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La création de l'Univers

L’abondance des éléments (IV)

A l'époque de l'article B2FH sur la nucléosynthèse, les astrophysiciens savaient grâce à la spectroscopie que l'hélium contenu dans les étoiles ne reflétait pas le taux d'abondance cosmique. Il y en avait en effet dix fois plus dans l'univers que dans les étoiles[18].

Par ailleurs, les vieilles étoiles contenaient jusqu'à 28% d’hélium, ce qui était en contradiction avec la nucléosynthèse qui stipulait que l'abondance des éléments devait décroître jusqu'à disparaître.

En 1964, Fred Hoyle et Roger Tayler réexaminèrent les premiers travaux de Gamow sur la nucléosynthèse et proposèrent dans la revue "Nature" l'idée que l'hélium fut produit lors du Big Bang. Deux ans plus tard, P.J. Peebles envisagea que le deutérium fut également synthétisé au cours de cet évènement, car très fragile, s'il avait été synthétisé par les étoiles il aurait directement été transformé par les réactions nucléaires. C'est alors que Hoyle, Fowler et Wagoner eurent l'idée d'analyser les possibilités de synthèse des éléments légers au cours du Big Bang.

Partant des principes de la relativité générale et des propriétés de l'Univers primordial, ils devaient trouver une relation entre la température et la densité de l'Univers en fonction du temps. Laissant l'Univers se refroidir à son propre rythme, Hoyle et ses collègues découvrirent que de l'hélium était effectivement produit en quantité dix fois plus faible que l’hydrogène. Ce rapport était identique aux valeurs observées. L'hélium pouvait donc avoir été fabriqué au cours du Big Bang. Mais qu'en était-il du deutérium, de l'hélium-3, du lithium-6 ou du béryllium-7 ?

Les acteurs des années 1970 (III)

Fred Hoyle (1975), William Fowler (1983) et Hubert Reeves (~1985). Documents Thomas Nebbia/NGS, OSU-Lima et D.R.

Fred Hoyle pensait que ces éléments avaient été fabriqués lors de la formation du système solaire, suite aux bombardements des noyaux lourds par des photons. Les réactions de fissions auraient libéré un grand nombre de neutrons qui, par réactions en chaînes, auraient formé le deutérium et l'hélium-3. Or, des chercheurs rassemblés autour de Jean Audouze, René Bernas et Hubert Reeves[19] démontrèrent en laboratoire que ces collisions entre des noyaux légers et des noyaux lourds n'avaient pu engendrer les éléments tant espérés.

Restait donc les protons issus des rayons cosmiques, seules particules capables de briser les noyaux lourds. Ils n'étaient pas seulement issus du Soleil mais on en trouvait les traces dans toute la Galaxie. Ainsi il s'avéra que la probabilité d'obtenir du lithium-6, du béryllium ou du bore-10 rendait compte de l'abondance relative de ces éléments.

La réaction de spallation qui conduit à la fission nucléaire et notamment à la formation de nucléides cosmogéniques. Document T.Lombry.

Seule difficulté, ce mécanisme de fission appelé la spallation illustré à gauche n'expliquait pas l’abondance du lithium-7, douze fois plus grande que celle du lithium-6, alors que la théorie prédisait un rapport sept fois plus élevé seulement. Ces 4 éléments avaient donc été formés d'une autre façon.

Grâce aux missions Apollo et la capture des particules du vent solaire sur de grands films d'aluminium, les physiciens purent mesurer l'abondance relative des isotopes de l'hélium, principalement ceux issus du Soleil. Ils découvrirent que l'hélium-4 était environ 2000 fois plus abondant que son isotope l'hélium-3 formé beaucoup plus tôt.

Les astrophysiciens savaient aussi que le deutérium s'était transformé en hélium-3 suite aux réactions nucléaires dans l'enceinte du Soleil dans la réaction D + n → 3He. D'un autre côté, les physiciens supposaient que l'abondance du deutérium contenu dans l'eau devait être la même que celle du système solaire.

Pendant ce temps en Suisse, Johannes Geiss[20], inventeur de la voile solaire déployée sur la Lune, avait déjà mesuré l'abondance relative de l'hélium-3 dans le rayonnement cosmique. Mais elle était dix fois trop élevée comparativement à la quantité de deutérium contenue dans l'eau. La question était donc de savoir si on pouvait alourdir l'eau en deutérium (eau lourde) et retrouver les mesures de Geiss.

René Bernas et ses collègues découvrirent que si l'eau était enrichie en deutérium à basse température on retrouvait les abondances relatives du deutérium et de l'hélium-3 du système solaire. Dans une démarche inverse, les astrophysiciens en conclurent que l'abondance du deutérium dans le système solaire primitif était dix fois plus faible que celle que l'on relève aujourd'hui dans l’eau.

Sur base de cette valeur, l'équipe de Bernas retrouvait les quantités d'hélium-4 calculées par Hoyle. Ainsi, l'hydrogène, le deutérium, l'hélium-3, l'hélium-4 et une partie du lithium-7 avaient été synthétisés peu après le Big Bang. Les protons du rayonnement cosmique formèrent le lithium-6, le béryllium-7, le bore-10 et le bore-11. A partir de particules stables enrichies en neutrons et en isotopes, les quelques minutes qui suivirent le Big Bang permirent de produire les éléments chimiques stables jusqu'au lithium. Mais en raison de l'expansion, la température de l'Univers est devenue trop faible pour que des éléments plus lourds se forment spontanément. A partir du 12C les étoiles prirent la relève. On reviendra plus loin sur leur formation.

De nos jours, environ 25% du lithium-7 existant dans l'Univers s'est formé durant la nucléosynthèse primordiale. Pendant des décennies, les astrophysiciens ont recherché les traces de l'origine des 75% restants sans jamais identifier la source. En 2016, des physiciens ont même proposé dans les "Physical Review Letters" l'existence d'une hypothétique particule X neutre de 1.6-20 MeV/c2 pouvant expliquer l'absence de lithium-7. Mais cette particule n'a jamais été découverte.

A gauche, schéma de la formation des premiers éléments chimiques. Adapté de Science, 267, 1995. A droite, la formation du lithium-7 à partir de la décroissance du béryllium-7. 25% du lithium-7 détecté dans l'univers est issu de la nucléosynthèse primordiale, le restant serait produit par les novae. Documents T.Lombry.

Après avoir étudié quantité de nébuleuses et d'étoiles ayant explosé ou éjecté du gaz dans l'espace, on estime aujourd'hui que le lithium qu'on détecte un peu partout dans la Voie Lactée s'est formé durant les éruptions explosives des novae. En effet, durant la phase explosive de grandes quantités de béryllium-7 ont été détectées dans le gaz éjecté par les novae (cf. P.Molaro et al., 2016). Comme l'explique le schéma présenté ci-dessus à droite, instable, cet élément décroit en lithium-7 stable en émettant des rayons gamma de 478 keV.

La création continue et l’état stationnaire contre le Big Bang

La théorie du Big Bang imaginée par les émules de l’'abbé Lemaître ne pouvait expliquer l'origine de la singularité initiale, ni la formation des galaxies ou la distribution de matière dans les étoiles. En 1952, en extrapolation vers le début des temps le phénomène d'expansion de l'Univers, George Gamow estimait que l'Univers était âgé d'environ 3 milliards d'années mais reconnaissait que cette valeur était approximative et préféra par la suite utiliser l'expression "quelques milliards d'années". Or les géologues étaient parvenus à dater certaines roches terrestres de quelque 3.5 milliards d'années. Plus tard, les astronomes découvrirent que la nucléosynthèse stellaire pouvait durer au moins dix milliards d'années. Certaines étoiles devaient donc être aussi âgées. Les calculs des astronomes conduisaient ainsi à un paradoxe : la Terre était plus âgée que l'Univers !

Bien que le modèle du Big Bang ralliait à sa cause une majorité d'astronomes, en quelques années les partisans de la théorie "de l'état stationnaire" dépassèrent la communauté des cercles privés et portèrent le débat au grand jour.

Pour expliquer l'abondance des éléments dans l'Univers, les astrophysiciens Hermann Bondi, Thomas Gold et Fred Hoyle[21] considérèrent que l'Univers avait toujours existé, qu'il avait toujours été semblable à aujourd'hui et le serait toujours. Hoyle et ses collègues savaient qu'il était impossible que la matière naisse de rien. Nous savons que suite au phénomène de Big Bang l'éparpillement des galaxies dans tout l'Univers provoqua une dilution de la matière. Pour contrebalancer cet effet, ils suggérèrent avec beaucoup d'imagination que les champs quantiques imposèrent un équilibre entre la matière et l'expansion de l'Univers : l'énergie positive devait équilibrer l'énergie négative. Pour ce faire, de la matière se créait en permanence entre les galaxies à partir du vide. Pour maintenir la densité de l'Univers constante, il suffisait de créer un atome d'hydrogène par mètre cube d'espace tous les 5 milliards d'années.

Pour rendre compte de ce phénomène, Hoyle et ses collègues imaginèrent également que dans leurs mouvements de fuites effrénées, les galaxies laissaient derrière elles un sillage d'atomes d'hydrogène qui, par effets gravitationnels finissaient par former de nouvelles protogalaxies. La densité moyenne de l'Univers restait ainsi constante, le rapport matière/rayonnement étant égal à 2. Leur théorie était celle de la création continue, mais elle ne pouvait pas expliquer la création de cette matière... Malgré la publicité faite par Hoyle autour de sa théorie, celle-ci eut du mal à se maintenir dans les années qui suivirent suite à la découverte des radiosources[22].

Les acteurs des théories de l'état stationnaire

Fred Hoyle (~1975), Halton Arp (1972), Geoffrey et Margaret Burbidge (1975) et Thomas Gold (1975). Documents Don Ivers/CIT, AIP, Thomas Nebbia/NGS et Herman Eckelmann/U.Cornell.

L'intervention de l'astronome soviétique Victor Ambartsumian allait contredire cette si belle hypothèse. En 1958, Ambartsumian suggéra que les intenses émissions détectées dans les radiosources provenaient de phénoménales explosions dont on devait trouver l'origine dans leur noyau. En généralisant son hypothèse aux galaxies, il imagina que même les amas pouvaient se former suite à de violentes explosions. Son hypothèse se trouva confirmée en 1965 avec la découverte du rayonnement à 2.7 K. Or la théorie de l'état stationnaire prédisait que l'Univers avait toujours été froid, semblable à aujourd'hui. Il y avait là un paradoxe, car l'existence d'un rayonnement cosmologique "fossile" et l'abondance de l'hélium par exemple témoignaient qu'à une époque très reculée, la température de l'Univers avait été bien supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui.

Malgré le fait que les théories de l'état stationnaire et de la création continue ne sont plus capables d'expliquer le rapport rayonnement/matière observée ni le rayonnement fossile, tout au long de leur vie Fred Hoyle[23] et ses collègues Halton Arp, Geoffrey Burbidge, Narlikar et Wickramasinghe considérèrent que nous interprétions mal la réalité. Dans les années 1990, ils ont même proposé à plusieurs reprises une théorie "quasi stationnaire" sous l'acronyme HBN, mais qui s'avéra être une théorie a posteriori. La théorie HBN s'accordant avec le fond de rayonnement à 2.7 K de manière ad hoc, le physicien P.J. Peebles et ses amis de l'Université de Princeton l'ont ouvertement critiqué dans la revue "Nature". Nous y reviendrons lorsque nous aborderons les cosmologies alternatives.

Finalement, la théorie du Big Bang s'en trouva consolidée et devint ce que l'on dénomma dorénavant le modèle Standard.

Ce modèle d'Univers est qualifié de "Standard" car tous les concepts proposés furent dans leur majorité confirmés par des découvertes ultérieures. Seulement, comme ce qu'il advient de toute théorie, celle-ci sera tôt ou tard invalidée. On découvrira une entrave à sa généralisation ou une expérience plus poussée qui l'infirmera et on devra remplacer ce concept par un nouveau modèle qui fera consensus dans la communauté scientifique.

Le modèle Standard FRW

Ω = 1       ρ = ρc       Λ = 0

Les “paramètres directeurs” du modèle Standard sont le paramètre de densité Ω et le taux d’expansion q car ils conditionnent l’évolution de l’Univers. ρ est la densité d'énergie et Λ la constante cosmologique (ou pression du vide dans son acceptation moderne). A l’heure actuelle le modèle cosmologique Standard Einstein-De Sitter est le meilleur choix qu’aient pu faire les astronomes.

Il est donc prudent de considérer le modèle cosmologique Standard comme un simple outil de travail. Aucun astronome ne peut considérer ce modèle d'Univers comme étant meilleur qu'un autre. Jusqu'à ce jour, le modèle Standard explique correctement la plupart des évènements qui sont survenus dans l'Univers, jusqu'à un centième de seconde après le Big Bang. Il doit néanmoins être complété par des théories plus complexes (inflation et ΛCDM) pour expliquer certaines étapes de cette évolution (hautes températures primordiales, unification des interactions, platitude de l'Univers, densité, matière sombre, énergie du vide, etc). Cette théorie reste le modèle de base que toutes les autres hypothèses doivent rencontrer une fraction de seconde après le Big Bang.

Pour plus d'informations

L'invention du Big Bang, J.-P.Luminet

Expansion de l’Univers en Relativité Générale (dont l'équation de Friedmann), S.Poirier

Cours de cosmologie, Podcast de l'Université de Grenoble (F)

Cours d'astronomie et de cosmologie (PDF, Cours C4, niveau Master), F.Combes, Obs.de Paris-Meudon, 1983.

Prochain chapitre

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[18] J.Glanz, Science, 272, 1996, p1429 - S.Burles et al., Nature, 381, 1996, p207 - S.Vauclair, La Recherche, 287, 1996, p46.

[19] F.Hoyle, W.Fowler et H.Reeves, Nature, 226, 1970, p727.

[20] J.Geiss et G.Gloeckler, Nature, 381, 1996, p210 - N.Prantzos et al., “Origin and Evolution of the Elements”, Cambridge University Press, 1994.

[21] H.Bondi et T.Gold, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 108, 1948, p252 - F.Hoyle, "The stead-state theory of the expanding universe", même revue, p372.

[22] F.Hoyle, Nature, 9 oct.1965, p111.

[23] H.Arp, G.Burbidge, F.Hoyle, J.Narlikar et N.Wickramasinghe, Nature, 346, 1990, p807 - G.Burbidge, F.Hoyle et J.Narlikar, Astrophysical Journal, 410, 1993, p437 - Vous trouverez une critique de ce modèle "quasi stationnaire" dans P.Peebles, D.Schramm, E.Turner et R.Kron, Nature, 352, 1991, p769.


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