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La structure de l'Univers L'Univers est-il homogène ? (I) Les photographies du ciel profond nous montrent que la plupart des galaxies se rassemblent pour former des couples, des quartettes et autres quintettes. Certaines se rassemblent dans de gigantesques amas pouvant contenir plusieurs dizaines de milliers d'individus maintenus par la gravité. En 1761, à l'époque d la compilation du catalogue de Messier, Lambert fut le premier à considérer que les "nébuleuses" de Herschel formaient des structures hiérarchisées. Un siècle plus tard John Dreyer, directeur de l'observatoire irlandais d'Armagh publia son fameux catalogue NGC, complétant celui de Messier de plusieurs milliers de nébuleuses, d'amas stellaires et de galaxies. Grâce à ce recensement méticuleux, en 1908 l'astronome suédois Carl Charlier posa l'hypothèse que ces "nébuleuses" - les galaxies - se situaient bien au-delà de notre Voie Lactée. Il soupçonnait également que ces galaxies se groupaient en couple, amas, amas d'amas et ce jusqu'à l'infini[1]. Toutefois, en raison de la puissance limitée des télescopes de l'époque et en l'absence d'une théorie cosmologique faisant consensus et conforme aux observations, les astronomes mettront plus de 20 ans pour le démontrer, notamment grâce aux découvertes d'Edwin Hubble. Dans les années 1950, Gérard de Vaucouleurs et George Abell découvrirent indépendamment l'un de l'autre que les galaxies se ressemblaient pour former des amas de galaxies. Chaque amas regroupait entre une dizaine et quelques milliers de galaxies. Le ciel en était maculé. Alors qu'il compila son catalogue des amas riches de galaxies, en 1958 Abell postula l'existence "d'amas de second ordre, qui sont des amas d'amas de galaxies", c'est-à-dire des superamas de galaxies (cf. sa thèse de doctorat de 1957). L'idée sera confirmée par de Vaucouleurs. L'intuition de Lambert et Charlier semblait confirmée, mais en vertu du "principe cosmologique" évoqué par l'astrophysicien anglais Edward Milne selon lequel l'Univers est homogène et isotrope dans toutes les directions (voir page 4), les astronomes étaient réticents à admettre que l'Univers ait put être hétérogène. Finalement, grâce aux premières campagnes de sondages du ciel profond, à la fin des années 1950 les astronomes se rendirent compte de la structure très particulière et tout à fait inattendue de l'univers à grande échelle. Résultats des sondages du POSS Grâce aux photographies très détaillées réalisées avec la chambre de Schmidt de 1.20 m du Mont Palomar - qui constitueront le "National Geographic-Palomar Observatory Sky Survey" (POSS), aujourd'hui accessible en ligne via le Centre de Données de Strasbourg (SIMBAD) - les astronomes découvrirent que le ciel était parsemé de millions de galaxies. En analysant méticuleusement les milliers de plaques photographiques, dans certaines régions du ciel telles que Coma Berenices (La Chevelure de Bérénice), Perseus (Persée) ou Pisces (Les Poissons), sur quelques degrés carrés on pouvait décompter jusqu’à 50000 galaxies ! Les sondages à grande échelle : POSS - SDSS - BOSS - eBOSS - LSST - COSMOS DESI - DEEP - CFHTLS - PFS - Frontier Fields - Coma Cluster Treasury Survey Européens : VDSS - VIPERS - 4MOST - eROSITA
Encouragés par les travaux d'Abell et de Vaucouleurs, les astronomes portèrent leurs regards à une plus grande échelle. En 1976, Marc Davis alors à l’Université d’Harvard entreprit une analyse systématique du décalage spectral des galaxies situées dans un rayon de 100 millions d'années-lumière. Equipé d’une "z-machine" qui sera perfectionnée au fil des ans, en une dizaine d’années les astrophysiciens finirent par avoir une surprenante révélation. Après avoir traité sur ordinateur les positions de deux millions de galaxies réparties en profondeur sur 2 milliards d'années-lumière, soit 10% du ciel dans ce volume, les astronomes de l'Université d'Oxford ont remarqué que le nombre d'amas était bien plus élevé que ne le prédisait le modèle de la matière sombre et froide (ΛCDM) mais il restait malgré tout le modèle le plus compatible avec les données observationnelles. Cela signifiait qu'il manquait au moins un paramètre pour simuler correctement la "toile cosmique" mais dont la nature, encore aujourd'hui, reste inconnue. A voir : Carte 3D de l'Univers et version 3D, SDSS DR9/CfA, 2012
L'analyse statistique de la distribution spatiale des galaxies réalisée par James E. Peebles en 1975 et les images créées par l'équipe de Seldner[2] en 1977 telles celle présentée ci-dessus à gauche révélèrent que les galaxies ont tendance à s'agglomérer pour former une sorte de tapisserie sidérale ou de toile cosmique à très fines mailles le long desquelles elles se regroupent. En fait, on retrouve les superamas d'Abell et de Vaucouleurs; l'univers prend une consistance grumeleuse. Le satellite infrarouge IRAS observa que les vides étaient beaucoup plus fréquents qu'on ne le pensait. En 1981, l'astronome Robert Kirshner de l'Université du Michigan découvrit par exemple "le trou du Bouvier" (voir plus bas), une zone sphérique alors estimée à 50 Mpc de diamètre (on l'estime aujourd'hui à 76 Mpc) exempte de galaxies spirales et elliptiques. Cette zone remarquait Kirshner "est une région typique de l'Univers. [Elle ne représente pas] sa structure à grande échelle". Le volume occupé par cette région et bien d'autres représente 1% de l'univers visible et correspond à celui d'un superamas de 200 millions d'années-lumière. Depuis cette observation, il est à présent évident que les 200 à 300 milliards de galaxies qu'on estime visibles entourent des régions virtuellement vides[3]. Voyons en détails comment les galaxies s'organisent à grande échelle dans ces immenses superstructures formant la grande tapisserie cosmique en nous focalisant sur quelques membres connus, relativement proches et brillants. Nous verrons ensuite comment la théorie explique ses grandes structures et jusqu'à quelles dimensions. Les superamas de galaxies Le superamas Local Dans les années 1980, Gérard de Vaucouleurs alors à l'Université du Texas découvrit que l'amas Local comprenant la Voie Lactée, M31 et environ 2000 galaxies se rassemble au sein du superamas Local (anciennement appelé superamas de la Vierge, terme que la NASA continue parfois d'utiliser à tord). On sait aujourdhui qu'il comprend le Groupe Local, l'amas du Sculpteur, les amas des Chiens de chasse I, II, l'amas du Fourneau, l'amas de la Grande Ourse, les amas du Lion I et II, l'amas de Maffei I, le groupe de M81, l'amas de M101, le groupe de NGC 5128 et les trois amas de la Vierge I, II et III. Au fil des études, il s'est avéré que le superamas Local contenait beaucoup plus de membres. Selon les dernières études, il contient environ 10000 galaxies regroupées dans une centaine d'amas et représente une masse d'environ 1015 M. Il s'étend sur un diamètre d'environ 33 Mpc ou 110 millions d'années-lumière (bien que certaines études l'étendent jusqu'à 200 millions d'années-lumière). Le superamas Local présente un volume ~7000 fois supérieur à celui de l'amas Local. L'amas Local se trouve en périphérie de ce superamas dans lequel il évolue à 400 km/s. Vu son étendue (~13 milliards d'années-lumière de circonférence), il lui faudrait 10000 milliards d'années pour en faire le tour. Cela nous donne déjà une idée de la dimension astronomique du superamas dans lequel nous sommes plongés qui, ainsi que nous le verrons, paraît presque minuscule à l'échelle du milliard d'années-lumière. Les superamas forment des structures cosmiques à grande échelle composées de galaxies qu'on appelle "filaments", "courants", "nappes" et autres "murs" qui s'étendre entre quelques centaines de millions et plus de dix milliards d'années-lumière. A l'image de la mousse, entre les superamas se trouvent de grands vides pratiquement dépourvus de galaxies. Les superamas sont les plus grandes structures connues à ce jour.
En 1982, Brent Tully de l'Institut d'Astronomie de l'Université d'Hawaï (IfA) découvrit que le superamas Local avait la forme d'un halo sphéroïde géant comprenant un disque central contenant les 2/3 des galaxies brillantes, tandis que le halo regroupait le tiers restant. Le disque est très fin (1 Mpc), aplati et elliptique avec un rapport grand axe/petit axe de 6:1 pour une épaisseur dans un rapport 9:1. Des études réalisées en 2003 dans le cadre du sondage 2dF ont montré que le superamas Local est typique d'un superamas pauvre et est relativement petit. Une étude publiée en 2007 par Maret Einasto de l'Observatoire Tartu d'Estonie et son équipe indique que le coeur du superamas Local est peu dense bien que contenant un amas riche et est entouré de "filaments" de galaxies et d'amas pauvres. Depuis, grâce aux données des sondages Cosmicflows, une série d'études conduites entre 2011 et 2016 a permis de calculer la distance et la vitesse des galaxies proches. La combinaison de ces relevés avec d'autres estimations de distance et de champ de gravité a finalement permis de construire une représentation spatiale de l'écoulement des flux au sein du supermas Local. À partir de là, Brent Tully et ses collègues ont pu créer des modèles informatiques et cartographier les mouvements de près de 1400 galaxies dans un rayon de 100 millions d'années-lumière et sur une période de 13 milliards d'années. Depuis, ils ont étendu le sondage dans un rayon beaucoup plus étendu (voir plus bas). Les superamas de galaxies Parmi les autres superamas relativement proches et brillants, citons le superamas de Coma contenant quelque 36000 galaxies, chacune ayant une masse équivalente à celle de la Voie Lactée. Il est dominé par deux amas brillants, l'amas de Coma (Abell 1656) et l'amas du Lion (Abell 1367). Sa masse équivaut à environ 4x1014 M.
Vient ensuite le superamas de la Couronne Boréale abritant 76000 galaxies. Sa masse équivaut à environ 2 millions de milliards de masses solaires (2x1015 M) soit plus de 3000 fois la Voie Lactée (dont la masse a été réévaluée entre 700-850 milliards de masses solaires) ! On comprend aisément pourquoi ces deux superamas de galaxies sont qualifiés de superamas massifs. Le superamas de l'Hydre contient un seul amas riche, l'amas de l'Hydre (Abell 1060) qui contient autant de galaxies que l'amas de la Vierge, et quelques plus petits amas, le plus riche d'entre eux étant l'amas Antlia. Puis il y a le superamas du Centaure contenant des centaines de galaxies qui est traversé par le plan de la Voie Lactée d'où l'avant-plan parsemé d'étoiles sur les photos. Ce superamas est dominé par l'amas du Centaure alias Abell 3526 dont NGC 4696 illustrée à gauche donna son nom au groupe d'Abell. Il comprend 79 galaxies. NGC 4696 est une galaxie elliptique de magnitude 10.4 qui se situe à ~124 millions d'années-lumière. Son aspect est très particulier. C'est une galaxie LINER (son noyau présente un spectre d'émission à larges raies d'atomes faiblement ionisés) entourée de filaments d'hydrogène qui s'enroulent en spirale sur un trou noir supermassif. Cette galaxie se situe non loin des galaxies NGC 4709 et NGC 4706 (cf. cette photo prise par Michael Sidonio). Ensuite il y a le superamas de Persée-Poisson composé de nombreux amas de galaxies qui forment un grand mur qui s'étend sur près de 300 millions d'années-lumière. A une extrémité du superamas se trouve l'amas de Persée (Abell 426) qui est l'un des amas de galaxies les plus massifs dans un rayon de 500 millions d'années-lumière autour de la Voie Lactée. Les premiers amas ou galaxies isolées du superamas Persée-Poisson se situent à environ 210 millions d'années-lumière tandis que les plus éloignées se situent à plus de 400 millions d'années-lumière, parmi lesquelles la galaxie spirale UGC 12591 de type S0/Sa. On reviendra sur cette galaxie étonnante à propos du calcul de sa vitesse de rotation et la question de la matière sombre. En raison de sa structure, le superamas de Persée-Poissons est le plus apparent dans le ciel. Il réside par ailleurs près du "Trou du Taureau" (voir plus bas). Le superamas d'Hercule présente un diamètre d'environ 100 Mpc soit quelque 330 millions d'années-lumière. Il comprend les amas Abell 2147, évidemment celui d'Hercule alias Abell 2151, Abell 2152 et Abell 2162 situé près de la Couronne Boréale. Il est par ailleurs relié aux deux amas Abell 2197 et Abell A2199. Le superamas d'Hercule jouxte le superamas de Coma qui font tous deux parties du "Grand Mur CfA2" (Mur Local) ou "Mur du Sculpteur" sur lequel nous reviendrons. Enfin, le superamas d'Hercule se trouve en bordure du "Supervide Local Boréal" (voir plus bas). Parmi les superamas les plus spectaculaires, celui de l'Horloge situé dans l'hémisphère sud contient 355000 galaxies ! Il s'étend sur plus d'un demi-milliard d'années-lumière ! Le superamas Laniakea fut découvert en 2014 (lire dans la revue "Nature", 513 (2014), les articles "Heavenly homes" et ceux de E.Gibney, R.Brent Tully et al. et E.Tempel). Son nom signifie "univers immense" en hawaïen. Ouvrons une parenthèse pour rappeler que les astronomes ont décidé de choisir un nom traditionnel suite au conflit les ayant opposés aux Hawaïens. La dénomination traditionnelle de certaines découvertes astronomiques faites à l'Observatoire d'Hawaï fait partie du programme 'Imiloa, A Hua He Inoa, créé pour prouver que la langue hawaïenne ou 'ōlelo Hawai'i peut tout aussi bien servir les connaissances scientifiques que l'anglais ou toute autre langue. C'est aussi et surtout une manière pour les Américains du continent de se dédommager pour tous les abus commis envers le peuple hawaïen dont le fait d'avoir transformé sans leur consentement plusieurs de leurs sites sacrés et en particulier le sommet du Mauna Kea en observatoire astronomique (il abrite les télescopes CFHT, Gemini, Keck I et II, Subaru et le futur TMT de 30 m qui sera le dernier télescope construit sur ce sommet). Refermons la parenthèse. Le superamas Laniakea rassemble tous les amas attirés vers le Grand Attracteur. Le superamas Laniakea mesure environ 500 millions d'années-lumière de diamètre mais ses contours sous flous . Il contient de l'ordre de 1 million de galaxies (2023) jusqu'à ~160 Mpc ou ~526 millions d'années-lumière et représente une masse de 1017 M (100 millions de milliards de masses solaires). Mais les calculs indiquent qu'il y a 5 fois plus de matière sombre (noire) que de matière visible. Le superamas Laniakea englobe le superamas Local, celui de l'Hydre-Centaure (où se trouve le Grand Attracteur) et du Paon-Indien (Pavo-Indus). Il comprend également les amas de galaxies du Fourneau, d'Eridan, de la Règle et quantité d'autres. Une bonne partie de la matière est invisible pour plusieurs raisons : il existe des zones vides de galaxies (voir plus bas les Zones of Avoidance), les zones situées derrière le plan galactique sont très difficiles à explorer (voir page 2 le superamas des Voiles découvert dans une ZOA) et il existe de la matière sombre indétectable mais qui influence la rotation et les déplacements des galaxies. A voir : Laniakea, our home supercluster, Nature, 2014 Laniakea Supercluster, B.Tully et al., 2014 Galaxy orbits within 8000 km/s - Interactive Maps, IRFA/CEA, 2022 Podcast à écouter : Hélène Courtois : l'univers à la carte, France Culture, 2023
La représentation ci-dessus à gauche obtenue grâce au logiciel SDvision de visualisation 3D développé au SEDI/LILAS, montre une tranche du superamas Laniakea vu dans le plan équatorial supergalactique. Les galaxies individuelles sont indiquées par les minuscules points blancs. On observe en blanc des courants de galaxies se déversant dans le bassin d'attraction gravitationnel de Laniakea tandis que des courants en bleu foncé s'éloignent de ce bassin local, créant une séparation entre notre "continent" et nos voisins. La ligne de contour orange définit les limites extérieures de ces courants. A l'époque, la découverte de Laniakea et de sa forme chevelue représent les bassins versants fit la une des médias et toucha le public plus qu'on l'aurait jamais imaginé car il pouvait enfin se dire en voyant Laniakea, "Voilà où j'habite. Nous sommes ici". Depuis, ce nom n'appartient plus aux cosmographes. Aujourd'hui en cherchant "Laniakea" sur Internet, Google remonte plus de 1.4 million d'occurences dont une majorité dans des articles de vulgarisation mais également utilisé à des fins artistiques et commerciales. La découverte de Laniakea et de la portée de la force d'attraction du Grand Attracteur incitèrent les astronomes dont Hélène Courtois, astrophysicienne et cosmographe à l'Institut de Physique des 2 Infinis de Lyon (IP2I) à poursuivre leurs recherches et étendre leur carte jusqu'à 1 milliard d'années-lumière (cf. H.M. Courtois et al., 2019). La nouvelle carte présentée ci-dessous représente 1/45e de l'univers visible et comprend les 5 superamas voisins de Laniakea (Hercules, Lepus, Southern Wall et Aquarius) qui s'ajoutent aux plus petites structures connues (Apus, Coma, Perseus-Pisces, Pisces-Cetus, Shapley, Telescopium, etc). Grâce à ce travail, les astronomes savent à présent que le Grand Attracteur agit au moins dans un rayon de 500 millions d'années-lumière. A voir : CF3 GF H075 128 800 Mpc Density Isosurfaces V001 3D Model Carte interactive CF3 jusqu'à ~420 millions d'années-lumière
A ce jour, les sondages n'ont pas permis de découvrir des amas de superamas de galaxies. Il semble que la force de la gravité soit limitée à l'échelle des superamas et ne soit plus capable de construire de structures hiérachiques plus vastes. Ceci dit tous les astronomes ne s'accordent pas sur la définition de "superamas". Ainsi, pour l'astronome Gayoung Chon de l'Institut Max Planck de Physique Extraterrestre, le "superamas" Laniakea qui est attiré vers le Grand Attracteur porte improprement son titre. Selon Chon, "la définition de superamas dépend de la question que vous posez". S'il s'agit d'un groupement de structures s'effondrant vers un seul objet, alors "cette dernière méthode est une très bonne manière de cartographier les grandes structures de l'Univers, mais elle ne répond pas à la question de savoir ce que deviennent finalement ces superamas." Le bassin d'attraction d'Arrowhead Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023, Daniel Pomarede du CEA et ses collègues comprenant Brent Tully précité de l'IfA d'Hawaï ont annoncé la découverte d'une nouvelle mini structure cosmique. Les chercheurs ont relevé le défi de mieux comprendre l'architecture des superamas de galaxies. A partir des données du catalogue "Cosmicflows-2" de 8000 galaxies publié en 2013, les chercheurs de l'Université de Lyon/IPNL ont mesuré patiemment les vitesses des galaxies sur la base desquelles furent reconstruits les courants cosmiques. Grâce au logiciel SDvision précité, les chercheurs ont réussi à identifier une nouvelle mini structure extragalactique située au point précis où les zones d'influence de trois grands superamas de galaxies, Laniakea, Perseus-Pisces et Coma sont en contact. Ils ont appelé ce bassin d'attraction "Arrowhead" (la pointe de flèche) en raison de la forme en pointe de flèche de la surface reconstruite de son bassin d'attraction comme illustré ci-dessous sur les deux cartes de visualisation 3D.
Selon les chercheurs, ce bassin d'attraction est le résultat de l'équilibre des forces gravitationnelles excercées par les trois superamas proches. La structure Arrowhead s'étend sur 25 mégaparsecs soit plus de 80 millions d'années-lumière. Pour rappel, Laniakea est situé à proximité du superamas de Persée-Poissons distant de 230 millions d'années-lumière ainsi que du Grand Mur CfA2 ou Mur de Coma. Le Mur de Coma est situé à 250 millions d'années-lumière et comprend le superamas de Coma en son centre et le superamas d'Hercule à son extrémité. Il mesure environ 500 millions d'années-lumière de longueur. Plus loin, entre 150 et 800 millions d’années lumière de la Voie Lactée se trouve le Mur Sud ou Mur du Sculpteur qui comprend principalement le superamas du Sculpteur-Phoenix. On y reviendra. Les bulles d'Hubble ou les trous vides de galaxies En vertu du principe cosmologique, a priori l'Univers est homogène et il ne peut pas y avoir de vide entre les amas ou les superamas de galaxies. Or les observations contredisent ce principe. On peut même affirmer aujourd'hui que s'il existe des amas et des superamas de galaxies le plus souvent concentrés dans des espaces filamenteux réduits, à l'image d'une mousse, cela implique qu'ils doivent laisser des espaces vides autour d'eux. Et c'est exactement ce que les astronomes ont découvert. Depuis 1981, les astronomes ont identifié au moins 29 zones vides ou ZOA (Zone of Avoidance), des "trous" dans la tapisserie cosmique, jouxtant plus d'une centaine de superamas de galaxies dans un cube de 2.4 milliards d'années-lumière de côté (cf. le sondage EEDTA de 1994 recensant 27 ZOA et celui de B&B Abell de 1985 recensant 29 ZOA). En fait, l'Univers est rempli de bulles vides de galaxies et les découvertes se succèdent. En l'honneur d'Edwin Hubble, pionnier de l'exploration de l'Univers, ces "vides" ou ces "trous" ont été nommés les "bulles d'Hubble" (Hubble Bubble). Le trou du Bouvier La première "bulle vide" est le "trou du Bouvier" (A.D.: 14h50m, Décl.:+46°) découvert par Robert Kirshner et son équipe en 1981. Située à environ 700 millions d'années-lumière de la Voie Lactée, cette zone mesure 250 millions d'années-lumière de diamètre ce qui représente un volume de 8 millions de Mpc3 pratiquement vide ! Selon les astronomes de l'Université du Michigan, un tel volume devrait contenir 10000 galaxies. Au cours des sondages successifs, les astronomes ont fini par découvrir en 1997 que le "trou du Bouvier" contenait 60 galaxies. Le superamas d'Hercule est situé près du bord de ce vide comme on le voit sur la carte ci-dessous à gauche.
Le Vide Local et le Supervide Local Boréal En 1987, Brent Tully et Rich Fisher découvrirent aux coordonnées équatoriales A.D.: 18h28m, Décl.: +18° le "Vide Local" (Local Void) présenté ci-dessus à droite, une région dépourvue de galaxies de 195 millions d'années-lumière de diamètre, adjacente à l'amas Local. Des études réalisées en 2007 par Brent Tully et son équipe ont montré que cette structure est composée de trois secteurs spatialement bien distincts et placés fortuitement de manière orthogonale et séparés par des ponts de "filaments épars" de galaxies. En étudiant la répartition des amas riches de galaxies ainsi que la distribution des trous exempts de galaxies, les astronomes ont également mis en évidence le "Supervide Local Boréal" (Northern Local Supervoid). Il s'agit d'un immense volume vide de 339 millions d'années-lumière de diamètre dépourvu d'amas riches de galaxies dont le centre se situe à 199 millions d'années-lumière de la Voie Lactée. Il se situe entre le superamas Local et celui d'Hercule. Il se place sur la voûte céleste entre les constellations du Bouvier, de la Vierge et la tête du Serpent, approximativement aux coordonnées équatoriales A.D.: 15h, Décl.: +15°. Le trou du Taureau
Pour mémoire citons également le "trou du Taureau" situé à proximité du superamas de Persée-Poisson. C'est le trou vide le plus apparent du ciel. Il mesure 100 millions d'années-lumière de diamètre, il est circulaire et est recouvert de "murs" de galaxies. Il contient toutefois deux galaxies, UGC2627 et UGC2629 situées à 185 millions d'années-lumière. L'existence de ces vastes volumes quasiment vides de galaxies est en accord avec les prédictions du modèle cosmologique ΛCDM. Des simulations réalisées par Erwin Platen en 2004 telle celle présentée à droite ont déjà montré que des bulles vides pouvaient se former à partir d'un creux (un "trough") dans le champ de densité. Il est donc envisageable que ces espaces vides soient remplis de matière ou d'énergie sombre qui n'auraient pas formé de galaxies. On suppose que ces trous résultent de la fusion de plusieurs espaces vides plus petits comme les bulles fusionnent pour en former de plus grandes, ce qui expliquerait le faible nombre de galaxies qu'on y trouve. Quelques études montrent également qu'il est possible que ces "galaxies de vide" représentent une population différente des galaxies des amas. C'est une hypothèse que les astronomes étudient actuellement. Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023, Brent Tully de l'IfA d'Hawaï et ses collègues du CEA ont annoncé la découverte d'une immense bulle située à 820 millions d'années-lumière de la Voie Lactée qui serait un vestige fossile remontant à la naissance de l'Univers. Ils l'ont découverte de manière inattendue en étudiant les superamas de galaxies. La bulle a reçu le nom de "Ho'oleilana". Il est né des discussions entre Tully et le professeur de langue hawaïenne Larry Kimura et le directeur exécutif du Centre d'astronomie d'Imiloa, Ka'iu Kimura. Le nom de cette bulle vient du chant Kumulipo, "Ho'olei ka lana a ka Po uliuli" signifiant "de l'obscurité profonde sont venus des murmures d'éveil". Cette immense bulle n'est pas un trou vide comme les ZOA. Au contraire. Grâce aux données du catalogue Cosmicflows-4, les chercheurs ont pu observer la bulle sphérique complète de galaxies, identifier son centre et montrer qu'il existe une augmentation statistique de la densité des galaxies dans toutes les directions à partir du centre.
Comme illustré à gauche, Ho'oleilana (en brun) englobe de nombreuses grandes structures cosmiques bien connues découvertes précédemment, telles que le Grand Mur Harvard/Smithsonian contenant l'amas de Coma, l'amas d'Hercule et le Grand Mur Sloan. Le superamas du Bouvier réside en son centre. Le trou historique du Bouvier précité, se trouve à l'intérieur de la bulle d'Ho'oleilana. Le superamas Laniakea (en vert) s'étend jusqu'au bord le plus proche de la bulle. Les minuscules points blancs représentent les galaxies individuelles. Les astronomes ont localisé la bulle d'Ho'oleilana grâce aux données de Cosmicflows-4 publié en 2022 et qui constitue à ce jour (2023) la plus grande compilation de distances précises des galaxies. Rappelons que c'est la même équipe de chercheurs qui identifia le superamas Laniakea en 2014 décrit plus haut. Cette structure est petite comparée à cette bulle. S'étendant sur un diamètre d'environ 500 millions d'années-lumière, Laniakea s'étend jusqu'au bord le plus proche de la bulle d'Ho'oleilana. Cette bulle est prédite par la théorie du Big Bang comme le résultat d'oscillations spatiales (3D) de la matière (baryons) datant de l'Univers primitif, les fameuses oscillations acoustiques baryoniques ou BAO (voir plus bas). Selon Tully, "Nous ne la cherchions pas. Elle est si énorme qu’elle s'étend jusqu'aux limites du secteur du ciel que nous analysions. C’est une caractéristique beaucoup plus importante que prévu. Son très grand diamètre d’un milliard d'années-lumière dépasse les prédictions. Si sa formation et son évolution sont conformes à la théorie, cette BAO est plus proche que prévu, ce qui implique une valeur élevée pour le taux d’expansion de l’univers." L'équipe de Tully a découvert que Ho'oleilana est mentionnée dans une étude de 2016 comme étant la plus importante parmi plusieurs structures en forme de bulle observées dans le sondage SDSS. Cependant, les travaux antérieurs n'ont pas révélé toute l’étendue de la structure et cette équipe n'a pas réalisé qu'elle avait découvert la trace d'une BAO. Selon Tully et ses collègues, c'est peut-être la première fois que les astronomes identifient une structure individuelle associée à une BAO. Cette découverte pourrait contribuer à renforcer les connaissances des scientifiques sur les effets de l’évolution des galaxies. Origine de la bulle d'Ho'oleilana Comment expliquer l'existence de la bulle d'Ho'oleilana ? Comme nous l'avons évoqué, ces bulles sont prédites par la théorie du Big Bang. Au cours des quelque 400000 premières années, avant l'époque l'époque de la recombinaison, l'Univers était un plasma (les électrons étaient séparés des noyaux atomiques) excessivement chaud (plus de 3000 K) couplé aux photons (des rayons gamma). Des régions de densité légèrement plus élevée ont commencé à s'effondrer sous l'effet de la gravité, alors même que l’intense rayonnement tentait de séparer la matière. Cette lutte entre deux forces antagonistes faisait osciller le plasma comme des ondes sonores tout en se propageant vers l'extérieur en vertu de l'expansion de l'Univers. Ces oscillations tridimensionnelles de la matière sont connues sous le nom d'oscillations acoustiques baryoniques ou BAO (cf. la matière sombre pour les détails). Ce mélange de matière baryonique et de rayonnement génère un "son", une signature cosmologique typique que les scientifiques ont pu notamment extraire des données de la mission Planck. On y reviendra. Dans cet Univers primitif, les plus grandes oscillations dépendaient de la distance qu'une onde sonore pouvait parcourir. Déterminée par la vitesse du son dans le plasma, vers 400000 ans après le Big Bang, cette distance était de près de 500 millions d'années-lumière et n'a plus varié une fois que l'Univers s'est refroidi et cessa d'être un plasma à l'époque de la recombinaison où la température chuta sous ~3000 K, laissant de vastes ondulations tridimensionnelles, c'est-à-dire des bulles. Tout au long des éons, les galaxies se sont formées aux endroits de plus forte densité, dans d'énormes structures en périphérie de ce qui ressemble encore de nos jours à ces bulles. Les modèles de distribution des galaxies pourraient révéler les propriétés de ces bulles et indirectement des BAO. Une bulle de faible densité de ~300 Mpc En analysant les données des sondages UKIDSS Large Area Survey, du Sloan Digital Sky Survey (SDSS), du Two-degree Field Galaxy Redshift Survey (2dF), du Galaxy And Mass Assembly Survey (GAMA) et d'autres relevés spectroscopiques, des astronomes ont découvert que dans un rayon de ~300 Mpc ou 1 milliard d'années-lumière, l'univers contient relativement peu de matière comparé à la moyenne de l'univers visible. Il s'agit en fait d'une bulle locale de faible densité (cf. R.C. Keenan et al., 2013). La présence de cette bulle "locale" ne s'explique pas par le modèle cosmologique Standard. En revanche, la théorie de MOND la prédit et explique dans la foulée la tension de Hubble. Mais la théorie de MOND a été invalidée. Si les amas et les superamas de galaxies sont des structures qui défient l'entendement, la structure de l'Univers est encore plus étonnante dans l'espace très profond, au-delà d'un milliard d'années-lumière, où les astronomes ont découvert de véritables murs de galaxies et même de quasars. C'est l'histoire de ces découvertes que nous allons à présent décrire. Prochain chapitre Résultats des sondages à grande échelle
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