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Les galaxies sombres Le défi de voir l'invisible Définition Avant de commencer, soulignons qu'on qualifie bien ces galaxies de "sombres" (dark) et non pas de "noires" (black) comme certains traduisent mal ce terme en français. On les qualifie de "sombres" car, quand elles sont visibles, ces galaxies présentent à peu près la même luminosité que le fond du ciel en optique, d'où le recours aux plus grands télescopes optiques (au moins 6.5 m de diamètre pour les télescopes terrestres et aux télescopes spatiaux) qui discernent parfois une surdensité lumineuse. Nous verrons que certaines galaxies sombres ne sont "visibles" que dans les bandes radios centimétriques ou millimétriques, en infrarouge profond ou par fluorescence UV. En revanche, ce que les Anglo-saxons appellent les "galaxies noires" (black galaxies) qualifient un autre type hypothétique de galaxie composée de matière sombre dite noire (cf. M. Habouzit et al., 2020; G.Lee et al., 2024), deux termes souvent confondus en français et qui prêtent à confusion. Or, dans d'autres langues (par exemple en italien ou en espagnol), les adjectifs sont également différents et les auteurs ne confondent pas les deux termes car par nature ces deux types de galaxies sont différents. Malgré les progrès théoriques réalisés depuis plus d'un demi-siècle dans la compréhension de la formation des galaxies, d'importantes questions restent sans réponses concernant la manière dont le gaz diffus contenu dans le milieu intergalactique fut converti en étoiles. Des modèles galactiques récents suggèrent que pendant la phase initiale de la formation des galaxies, celles-ci étaient très riches en gaz mais aucune n'était capable de former des étoiles : c'est la phase de "galaxie sombre". Bien que ces galaxies contenaient des nuages d'hydrogène que l'on peut encore observer sur certaines raies spectrales, leur température et leur densité ne permettaient pas (encore) la formation d'étoiles et parfois leur quantité de gaz était insuffisante. Sachant que les galaxies ne se sont pas toutes formées en même temps mais à différents décalages spectraux ou distances, les astronomes s'attendaient à découvrir ces galaxies à n'importe quel décalage vers le rouge. Mais du fait que ces galaxies ne sont pas visibles à travers leur rayonnement stellaire, elles sont difficiles à détecter avec les instruments actuels. Découvrons comment les astronomes ont découvert les galaxies sombres, le temps qu'il fallut pour les débusquer et les risques de confusion. 1986, découverte de Malin 1 En 1986, l'astronome australien David Malin de l'Observatoire Anglo-Australien (AAO) de Siding Spring découvrit par hasard une grande galaxie pâle à z = 0.083 soit 1.1 milliard d'années-lumière (cf. G.D. Bothun et al., 1987). On l'appela Malin 1. Elle est aussi cataloguée PGC 42102, LEDA 42102 et 2MASX J12365934+1419494. Sa magnitude est de +13.69 en infrarouge (bande H à 1630 nm) mais tombe à +20.1 en vert (bande G à 464 nm). Malin 1 se situe dans la constellation de Coma (la Chevelure de Bérénice), à quelques minutes d'arc de deux galaxies brillantes, M91 (Mv. +10.2) et NGC 4571 (Mv +11.8). Malin 1 est une galaxie spirale faiblement barrée (type SB0a) mesurant environ 650000 années-lumière de diamètre. Sa partie centrale spiralée fut étudiée en UV par le satellite AstroSat/UVIT de l'ISRO (cf. K.Saha et al., 2021). Elle mesure 9" ou 14 kpc soit 45600 années-lumière et est aussi grande que le disque stellaire de la Voie Lactée (cf. ce photomontage). Son bulbe central mesure 10000 années-lumière de diamètre soit deux fois celui de la Voie Lactée en comptant son halo.
Les
bras spiraux de cette galaxie sont à peine visibles et n'apparaissent que par
traitement d'image. En revanche, elle est riche en gaz avec une quantité totale
d'hydrogène neutre (HI) d'au moins 1011
M Malin 1 est une galaxie quiescente (elle ne produit pas d'étoiles) à faible brillance de surface ou LSB ( cf. A.J.Barth, 2007; S.Boissier et al., 2016; P.M. Junais et al., 2024) qu'aujourd'hui on classe même parmi les LSB géantes ou GLSB. Cette découverte inattendue fit prend conscience aux astronomes qu'il existait des galaxies pâles principalement composées de gaz. 1989, découverte de HI1225+01 En 1989, au cours d'un scan du ciel pour un étalonnage en vue de cartographier la distribution des galaxies dans l'univers, Riccardo Giovanelli, alors directeur de l'observatoire radioastronomique d'Arecibo, et son épouse Martha Haynes, découvrirent par hasard l'objet HI1225+01 à 65 millions d'années-lumière de la Terre (cf. R. Giovanelli et al., 1989; R. Giovanelli et al., 1991; J.N. Chengalur et al., 1995). Si à l'époque, les deux astronomes signalaient l'existence "d'un amas de gaz sans étoiles", quelques années plus tard ils évoquaient plutôt "une protogalaxie sans population stellaire". En 2012, l'astronome Yoshiki Matsuoka de l'Université d'Ehime (Aida), à Matsuyama, au Japon, étudia cet objet. Il est formé de deux amas de gaz d'un milliard de masses solaires chacun. Selon Matsuoka, "La partie nord-est est une galaxie classique, mais la partie sud-ouest n'est encore qu'un amas de gaz, sans aucune étoile. Et à ma connaissance, aucune émission optique n'a été signalée jusqu'à aujourd’hui. Elle est donc toujours candidate au titre de galaxie sombre." (cf. Y.Matsuoka et al., 2012). 2005, découverte de HE0109-3518 En 2005, grâce au Télescope Spatial Hubble, une équipe européenne d'astronomes dirigée par Pierre Magain de l'Université de Liège découvrit l'objet HE0109-3518 alias QSO B0109-353, un quasar brillant de magnitude apparente ~17 situé dans la constellation du Sculpteur à z = 0.285 soit 3 milliards d'années-lumière. Sa particularité est qu'il n'est pas associé à une galaxie hôte, un des nombreux cas étranges de "quasar nu" (naked quasar) découverts depuis les années 1990, suggérant qu'il pouvait s'agir d'une galaxie sombre (cf. P.Magain et al., 2005; ESO, 2005).
En général, une galaxie perd son gaz suite à une interaction avec une autre galaxie. Soit la galaxie victime est éjectée du système mais s'en sort anémiée et éteinte (on évite le mot "morte" car il n'est pas appropié) soit elles fusionnent ensemble et la galaxie résultante se transforme en elliptique. Mais ces galaxies sombres sont isolés et quelques-unes ont une structure spirale. Deux générations après leur découverte, l'origine de ces galaxies demeure un mystère. Pour tenter d'identifier la galaxie sombre hôte de HE0109-3518, en 2012 trois astronomes utilisèrent le spectrographe FORS (FOcal Reducer and low dispersion Spectrograph) du VLT pour réaliser un sondage du ciel profond en bande étroite de l'émission Lyman α (l'émission de l'hydrogène dans l'UV qui se manifeste par des raies d'absorption décalées dans la partie visible du spectre des galaxies lointaines) centré sur le quasar HE0109-3518. Ils identifièrent 98 candidats Lyα jusqu'à la limite de flux possible (FLyα ~4 x 10-18 erg s-1 cm-2) dans un volume de 5500 Mpc3 à z = 2.4 soit une distance comobile de 10.96 milliards d'années-lumière. Selon Simon Lilly, professeur d'astrophysique expérimentale à l'Institut d'astronomie de l'ETH Zurich et coauteur de l'article publié en 2012, "Nous avons cherché à détecter la lueur fluorescente du gaz dans les galaxies sombres lorsqu'elles sont illuminées par la lumière ultraviolette d'un quasar proche et très brillant. La lumière du quasar fait s'illuminer les galaxies sombres selon un processus similaire à celui des vêtements blancs éclairés par des lampes ultraviolettes dans une boîte de nuit." (cf. ESO, 2012). Selon les chercheurs, "Les propriétés des sources détectées en termes de (i) leur distribution de largeur équivalente, (ii) leur fonction de luminosité et (iii) la luminosité moyenne par rapport à la distance projetée du quasar suggèrent qu'une grande partie de ces objets ont été « illuminés » par fluorescence par HE0109-3518." (cf. S.Cantalupo et al., 2012). Les chercheurs confirmaient ainsi qu'il était possible d'utiliser cette méthode pour détecter une galaxie sombre directement dans un gaz dense en émission, indépendamment de toute activité de formation d'étoiles associée. Comme nous allons le découvrir, depuis cette époque, les astronomes ont découvert quelques dizaines de galaxies sombres (en excluant les UDG), certaines contenant en masse 90% de gaz et seulement 10% d'étoiles. 2018, découverte de six candidates galaxies sombres Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Raffaella Anna Marino et Sebastiano Cantalupo du Département de physique de l'ETH à Zurich a découvert six candidates de galaxies sombres. Les résultats de leur étude furent publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2018. Pour les localiser, les chercheurs ont utilisé l'écran de lumière produit par les quasars situés à l'arrière-plan des sources suspectes (d'abord considérées comme des Émetteurs Lyman Alpha ou LAE avant d'affiner leur identité). En effet, les quasars émettent une lumière ultraviolette intense qui induit une émission fluorescente des atomes hydrogène connue sous le nom de raie Lyman α (Ly-α), une raie d'émission typique de l'hydrogène ionisé (sa recombinaison électronique des niveaux 2 à 1). Grâce à ce mécanisme, l'émission des galaxies sombres situées dans notre ligne de visée et dans le voisinage du quasar peut-être détectée jusqu'à de grandes distances propres (z ~ 9 ou 13.17 milliards d'années-lumière) comme l'expliqua Kim Nilsson de l'ESO dans sa thèse publiée en 2007. C'est aussi la raison pour laquelle on les appelle des galaxies "sombres" et non pas "noires" puisqu'elles rayonnent en UV.
Pour découvrir ces galaxies sombres, les astronomes ont utilisé le spectrographe à champ intégral MUSE (Multi-Unit Spectroscopic Explorer) installé sur le télescope VLT UT4 de l'ESO et corrobé ses données avec des images monochromatiques prises dans la raie Ly-α. Au repos, cette raie d'émission se situe dans l'ultraviolet à 121.56 nm (X-UV). En raison de l'expansion de l'Univers, dans l'une de ces galaxies sombres présentée ci-dessus, cette raie est décalée vers le rouge et se trouve à ~573 nm, en plein spectre visible (partie jaune). Cette galaxie se situe à z ~ 3.5 soit près de 11.9 milliards d'années-lumière et est plus éloignée que les précédentes candidates détectées à z ~ 2.4 ou 10.96 milliards d'années-lumière. Parmi plus de 150 Émetteurs Lyman Alpha étudiés par les astronomes, ils ont donc eu beaucoup de chances de détecter 6 galaxies sombres. Selon Cantalupo, "D'après nos calculs, il s'agit de masses de gaz d'environ 1 milliard de masses solaires, dont les plus lointaines datent d'une époque où l'Univers n'avait que 1.6 milliard d’années." Elles comptent parmi les plus jeunes galaxies sombres détectées à ce jour. Représentent-elles les éléments constitutifs d'une future galaxie capable de former des étoiles ou resteront-elles des nuages sombres et isolés pendant des milliards d'années ? "On ne sait pas", admet Cantalupo. Mais une chose est acquise. La découverte de telles galaxies valide les modèles théoriques et comble donc une lacune importante dans notre compréhension de l'évolution des galaxies. Mais il reste encore beaucoup de questions ouvertes. 2019, découverte de neuf galaxies sombres Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Tao Wang alors postdoctorant à l'Université de Tokyo/NAOJ annonça dans la revue "Nature" en 2019 la découverte de 39 galaxies sombres. Elles se sont formées moins de 2 milliards d'années après le Big Bang. Avant d'identifier ces galaxies sombres, les chercheurs avaient remarqué sur les images infrarouges du télescope spatial Spitzer, la présence de sources lumineuses dans l'infrarouge moyen, une région du spectre inacessible au Télescope Spatial Hubble qui est sensible entre 100 et 1700 nm. Malheureusement, la faible résolution spatiale du télescope Spitzer n'avait pas permis d'identifier ces taches lumineuses. Pour résoudre ce problème, les astronomes ont utilisé l'installation ALMA réputée pour sa haute résolution jusqu'à de très grandes distances cosmiques et travaillant cette fois dans les bandes radios millimétriques et submillimétriques (entre 31 et ~950 GHz soit entre 9.6 et 0.3 mm de longueur d'onde). ALMA a effectivement résolu ces taches brillantes et détecté ces galaxies sombres très lointaines. Elles sont enveloppées de poussières interstellaires qui obscurcissent totalement la lumière entre les longueurs d'ondes ultraviolettes et proche infrarouges, les rendant invisibles. La poussière absorbe le rayonnement UV émis par les étoiles et le réémet sous forme de chaleur dans l'infrarouge lointain qui est décalé vers les ondes submillimétriques en vertu de l'expansion de l'Univers. Cette abondante poussière interstellaire est caractéristique des galaxies massives évoluant dans l'Univers primitif. Les données révèlent que l'abondance de la poussière interstellaire à sa époque primordiale est bien plus élevée que prévu, ce qui signifie que les scientifiques doivent à présent améliorer les modèles pour correspondre au plus près aux observations.
Ces galaxies sombres et massives constituent le chaînon manquant dans l'évolution entre deux populations de galaxies déjà connues : les galaxies jeunes visibles de l'Univers primitif et les galaxies très massives et éteintes dans l'univers proche. Selon les astronomes du CEA, "A masse égale, les galaxies sombres sont dix fois plus abondantes et forment jusqu'à cent fois plus d'étoiles que la première population de jeunes galaxies ! Elles témoignent d'un évènement majeur de l'histoire des galaxies et permettent notamment d'élucider l'origine des galaxies massives, dont les descendantes sont aujourd'hui des galaxies éteintes, ne formant plus de nouvelles étoiles." Selon David Elbaz, astrophysicien au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et coauteur de cet article, "ces galaxies détectées par ALMA constituent probablement la première population de galaxies elliptiques massives formées dans l'Univers primitif, mais il y a un problème. Elles sont étonnamment abondantes." En effet, 90% des galaxies massives se sont formées durant le premier milliard d'années après le Big Bang, mais en vertu des limites de nos technologies, actuellement leurs étoiles sont inaccessibles à nos télescopes spatiaux. Cette découverte a surpris les chercheurs car elle révèle que des galaxies aussi massives que la Voie Lactée on pu se former en moins d'un milliard d'années. Nous verrons que l'étude des "Petits Points Rouges" (LRD et autres DOG) confirme l'existence de nombreuses galaxies massives moins d'un milliard d'années après le Big Bang, un processus d'une étonnante efficacité que les modèles actuels de formation des galaxies n'expliquent pas et que les astronomes ne comprennent pas encore. Cette découverte offre donc l'espoir d'apporter un éclairage sur le premier milliard d'années de l'histoire de l'Univers. 2023, découverte de Cloud 9 En 2023, Alejandro Benítez-Llambay de l'Université de Milano-Bicocca en Italie et son collègue Julio F. Navarro de l'Université de Victoria au Canada découvrirent Cloud 9 (CL-9), un nuage de gaz HI sombre à 50' de la galaxie M94. Situé à 15 millions d'années-lumière, il contient très peu de gaz et aucune étoile visible. Cloud9 représente une masse de 5 milliards de masses solaires et émet un rayonnement thermique de 20000 K. Les chercheurs estiment que "Ces propriétés sont différentes de celles des nuages sombres HI détectés précédemment et similaires aux propriétés attendues des RELHICS (REionization-Limited-HI Clouds), à savoir des halos de matière sombre sans étoiles remplis de gaz en équilibre hydrostatique et en équilibre thermique avec le fond ultraviolet cosmique." Selon les chercheurs, "Cloud 9 pourrait être un halo de matière sombre qui s'est formé trop tard dans l'histoire de l'Univers, et rata sa chance d'être une galaxie à part entière. En ce sens, il pourrait être considéré comme un analogue de l'ancêtre d'une galaxie." Il s'agirait du candidat actuel le plus solide au titre de galaxie sombre (cf. A.Benítez-Llambay et al., 2023). 2024, découverte de J0613+52 Les astronomes ont toujours défini une galaxie comme un groupement compact d'étoiles, de gaz et de poussières à l'échelle galactique en rotation autour d'un noyau stellaire plus dense. Son spectre optique et son image radioélectrique sont donc très différents de ceux d'une nébuleuse. Parmi les différents types de galaxies, la nature diffuse des galaxies à faible brillance de surface ou LSB (Light Surface Brightness) remet souvent en question les théories existantes sur la formation des étoiles et des galaxies. En apprendre davantage sur leurs propriétés permet aux astronomes de mieux comprendre la formation et l'évolution des étoiles et des galaxies, y compris de la Voie Lactée. Depuis les années ~2003, une équipe de radioastronomes de l'Observatoire de Green Bank (GBO) et de l'Observatoire radioastronomique de Nançay fait des recherches systématiques dans la raie de l'hydrogène neutre (HI) à 21 cm pour débusquer des galaxies massives LSB. En vingt ans, ils ont étudié 350 galaxies. En 2023, une équipe d'astronomes composée de Karen O'Neil du NROA et scientifique principale au GBO, Wim van Driel de l'Observatoire de Paris-Meudon et Stephen Schneider de l'Université du Massachusetts étudiaient 350 galaxies au moyen des radiotélescopes de Green Bank, Nançay et celui d'Arecibo aujourd'hui détruit. Comme le rappelle O'Neil, "L'objectif était de déterminer le gaz et les masses dynamiques de ces galaxies ultra-diffuses. Pour ce faire, nous les avons observées à partir de plusieurs instruments, et beaucoup d'entre eux plus d'une fois." La nature diffuse des galaxies LSB remet souvent en cause les théories existantes sur la formation des étoiles et des galaxies. En savoir plus sur leurs propriétés permet de mieux comprendre la formation et l’évolution de toutes les étoiles et galaxies, y compris de la Voie Lactée. En examinant une différence entre les données de Nançay et du GBT, suite à une erreur de frappe dans la saisie des coordonnées célestes, le radiotélescope GBT fut pointé dans la mauvaise direction. A la surprise générale, Karen O'Neil du NRAO et scientifique principale au GBO découvrit un signal HI ressemblant à celui d'une galaxie et ce, alors même qu'aucune galaxie n'apparaissait sur les images optiques relevées à la même position, comme le montrent les photos ci-dessous. Selon O'Neil, "L'objectif était de déterminer les masses gazeuses et dynamiques de ces galaxies ultra-diffuses. Pour ce faire, nous les avons observées à partir de plusieurs instruments, et beaucoup d’entre elles plus d’une fois. [...] L'objet découvert est une galaxie constituée uniquement de gaz HI et ne contient aucune étoile visible. Les étoiles pourraient exister, mais on ne peut tout simplement pas les voir."
L'objet catalogué J0613+52 est situé à 270 millions d'années-lumière, juste au-dessus de la constellation du Cocher (Auriga). Pour déterminer la taille et la cinématique de l'objet détecté, une série d'observations supplémentaires furent réalisée avec le GBT. Les données obtenues ressemblent à celles d'une galaxie massive. Avec un contenu total en gaz HI de près de 2 milliards de masses solaires, soit la moitié de celui de la Voie Lactée, la galaxie sombre J0613+52 tourne sur son axe à une vitesse de 100 km/s. O'Neil présenta sa découverte lors du 243e meeting de l'American Astronomical Society qui s'est tenu début 2024 à New Orleans (cf. K. O'Neil, 2024). Cette galaxie sombre LSB ne ressemble à aucune autre galaxie observée auparavant. Selon O'Neil, "Ce que nous savons, c'est qu'il s'agit d'une galaxie incroyablement riche en gaz. Elle ne présente pas la formation d'étoiles que nous attendrions, probablement parce que son gaz est trop diffus. En même temps, elle est trop éloignée des autres galaxies pour qu'elles puissent contribuer à déclencher la formation d'étoiles par le biais d'une quelconque rencontre. J0613+52 semble à la fois intacte et sous-développée. Cela pourrait être notre première découverte d'une galaxie proche composée de gaz primordial." Il pourrait aussi s'agir de la galaxie la plus pâle découverte à ce jour. Mais il y a encore beaucoup questions sans réponses. La faible densité du gaz de cette galaxie sombre rend son observation très difficile, voire impossible, à d'autres longueurs d'ondes qu'à 21 cm. Toutefois, une image optique à très longue pose réalisée dans plusieurs bandes spectrales très étroites (par exemple de 3 nm comme pour la découverte en 2023 de la nébuleuse proches de M31) pourrait peut-être en révéler davantage et repousser les limites de la lumière stellaire observable. Les confusions Comment faire la distinction entre une nébuleuse sombre et une galaxie sombre si aucune étoile n'est visible dans ces objets ? Peut-on définir une galaxie sombre sur base de critères objectifs, mesurables ? Aujourd'hui, il n'existe pas de définition officielle d'une galaxie sombre (dark galaxy). Parmi les critères dont on pourrait tenir compte, il y a la luminosité (la quantité d'énergie totale émise), la brillance de surface (la magnitude par seconde d'arc carré), la densité, la vitesse de rotation, la masse de gaz et la masse stellaire (la quantité d'étoiles). En général, les astronomes considèrent qu'une galaxie est sombre sur base de sa brillance de surface combinée à sa masse stellaire. Plus les valeurs sont faibles, plus l'objet à des chances d'être classé comme galaxie sombre. Mais ce n'est pas suffisant. Une galaxie anémiée ou une galaxie naine par exemple peut ressembler à une galaxie sombre alors qu'elle contient peu de gaz et une grande population stellaire. En fait, il n'y a jamais eu de critères ou de seuil fixes définissant à partie de quelles valeurs une masse de gaz ou stellaire est appelée une galaxie sombre. La tâche est d'autant plus difficile qu'il y a très peu de candidates dans le catalogue des galaxies sombres et certaines d'entre elles furent retirées car finalement on découvrit qu'il s'agissait d'une véritabe nébuleuse, d'une queue de marée, d'une galaxie UDG ou même d'une galaxie naine de faible densité.
Les confusions sont nombreuses. Comme le rappelle l'équipe de Robert Minchin de l'Observatoire d'Arecibo dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2007, "Des objets détectés à 21 cm mais sans équivalent optique sont connus depuis de nombreuses années ; il s'agit notamment des nuages à grande vitesse (Wakker & van Woerden 1997), de l'anneau du Lion (Schneider et al. 1983) et de divers nuages de gaz proches de galaxies brillantes (Kilborn et al. 2000 ; Boyce et al. 2001 ; Ryder et al. 2001). Cependant, aucun de ces objets ne présente les caractéristiques d'une galaxie, c'est-à-dire une émission détectable sur des échelles spatiales de la taille d'une galaxie et une structure de vitesse compatible avec un disque en rotation et lié gravitationnellement. Récemment, deux galaxies sombres candidates ont été signalées : VIRGOHI 21 (Minchin et al. 2005) et HVC Complex H (Simon et al. 2006). Une troisième possibilité est le nuage H I associé à la galaxie du groupe local LGS3 (Robishaw et al. 2002)." Wim van Driel précité se rappelle du cas de VIRGOHI 21 qu'il avait découvert avec ses collègues de l'équipe de Minchin>: "En 2005, on pensait avoir trouvé la première galaxie sombre, et tout le monde s’est enthousiasmé. Finalement, VIRGOHI 21 s’est avérée être une concentration de gaz dans la queue de marée d’une galaxie spirale de l'amas de la Vierge." Plus récemment, une confusion similaire s'est produite en 2024. Dans le cadre du sondage IAC Stripe 82, l'équipe de Mireia Montes, astronome à l'Institut des Sciences Spatiales de Barcelone découvrit fortuitement "Nube" ("nuage" en espagnol), une tache lumineuse très pâle d'un diamètre inférieur 30" et à peine visible sur les images du sondage SDSS. Selon Montes,"Un de mes collègues regardait les images d'un grand sondage du ciel afin de trouver des supernovae. Il a alors vu une petite tache qui apparaissait dans toutes les bandes de lumière. Nous avons donc demandé du temps d'observation sur le Gran Telescopio Canarias de 10.4 mètres de Ténérife, le plus grand télescope optique du monde, et nous avons vu des étoiles. Puis nous avons contacté des personnes qui faisaient des observations radios pour déterminer sa masse de gaz, et aussi sa distance." Résultat
: l'objet pâle présente une masse d'environ 4 x 108
M Un autre exemple sont les galaxies ultra-diffuses ou UDG que certains auteurs n'hésitent pas à qualifier de galaxies sombres bien que leur brillance de surface soit parfois significative. En tout cas, elles ne sont pas invisibles et certaines, clairement visibles dans le champ ou dans les amas de galaxies, présentent même une couleur bleue ou rouge. On y reviendra. En guise de conclusion Karen O'Neil estime qu'une "étude complète du ciel par un instrument extrêmement sensible comme le radiotélescope de Green Bank pourrait découvrir d'autres objets du même type [que J0613+52]." L'existence des galaxies sombres massives est prédite par les théories de formation des galaxies, mais contenant très peu d'étoiles pour leur taille, elles sont difficiles à voir sur les images optiques (visibles ou IR proche). La découverte d'autres galaxies sombres permettra de tester et de contraindre les théories. Dans ce but, le télescope spatial Euclid de 1.20 m de diamètre de l'ESA lancé en juillet 2023 et le futur télescope terrestre Vera Rubin (ex-LSST) de 8.42 m installé sur le Cerro Pachón, au Chili, rechercheront des objets similaires par voie optique, tandis que d'autres télescopes et le futur radiotélescope géant du SKA (Square Kilometre Array) en cours de construction, tenteront de détecter leur gaz froid.
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