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Les galaxies les plus lointaines

La première image prise par la caméra NIRCam du JWST publiée par le Webb Space Telescope le 11 juillet 2022. Il s'agit de l'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327. Voici l'image HD (5 MB). il s'agit d'un compositage panchromatique en couleurs arbitraires.

Des candidates galaxies massives à z = 17 et z = 20 (II)

La première image prise par le JWST publiée le 11 juillet 2022 présentée à droite montre des milliers de galaxies au coeur de l'amas massif SMACS 0723, mais l'image révèle également des galaxies bien plus éloignées. La masse de la grande galaxie spirale barrée située au centre du champ appelée "Sparkler" (La scintillante), des autres galaxies plus pâles ainsi que de la matière sombre (ou noire) qui les entoure génèrent des lentilles gravitationnelles, déformant leurs images mais aussi amplifiant l'image des galaxies situées à l'arrière-plan, les rendant visibles ou plus faciles à distinguer. Pami ces galaxies, il y a de nombreux "Petits Points Rouges" ou LRD.

Des articles non validés

Moins d'une semaine après que la NASA ait publié les premières données scientifiques du JWST, le serveur de préimpression "arXiv" fut inondé d'articles affirmant la découverte de galaxies évoluant quelques 250 millions d'années après la Big Bang (z ~15). Beaucoup d'entre elles semblent plus massives que ce que prédit le modèle cosmologique Standard qui décrit la composition et l'évolution de l'Univers. Si cela était confirmé, cela remettrait sérieusement en question le modèle cosmologique actuel. Mais pour l'instant, ce n'est qu'une hypothèse.

Selon l'astrophysicien Richard Ellis du Caltech et actuellement à l'University College de Londres, "Cela m'inquiète un peu que nous trouvions ces monstres dans les premières images", sous-entendant qu'il y a peut-être un manque de rigueur scientifique dans ces études. Le temps lui donnera raison.

Le 19 juillet 2022 soit six jours seulement après la publication des premières données scientifiques du JWST, deux équipes indépendantes d'astronomes ont présenté leur analyse dans deux articles d'abord publiés en préimpression sur le serveur "arXiv" puis validés et publiés dans "The Astrophysical Journal Letters". Les deux groupes, l'un dirigé par Rohan P. Naidu du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian (CfA) de Cambridge, Mass., et l'autre par Marco Castellano de l'Observatoire de Rome en Italie, ont trouvé deux galaxies candidates relativement brillantes à des redshifts ou décalages Doppler z ~11 et 12.3, c'est-à-dire évoluant respectivement quelque 400 et 325 millions d'années après le Big Bang (voir plus bas GLASS-z12).

Quelques jours plus tard, dans deux autres articles non validés publiés sur "arXiv", l'un le 26 juillet 2022 par l'équipe de Callum Donnan de l'Université d'Édimbourg, l'autre indépendamment le 3 août 2022 par l'équipe de Yuichi Harikane de l'Université de Tokyo, les chercheurs ont annoncé la découverte d'une galaxie étonnamment massive à un redshift z = 17 soit 225 millions d'années seulement après le Big Bang.

Dans un autre article non validé publié également sur "arXiv" le 23 juillet 2022, Haojing Yan de l'Université du Missouri et ses collègues ont même affirmé que certaines de leurs galaxies candidates pourraient atteindre un redshift z = 20 soit évoluer 180 millions d'années après le Big Bang.

Interviewé sur la validité de ces éventuelles découvertes, Ellis déclara : "Il est compréhensible que les jeunes équipes se précipitent" pour publier leurs résultats. Mais vu la vitesse à laquelle ces articles furent publiés, on peut imaginer qu'ils avaient préparé leur article à l'avance. Selon l'astronome Mariska Kriek de l'Observatoire de Leiden, experte de l'astronomie extragalactique, certains de ces groupes ont peut-être écrit de grandes parties de leur article à l'avance, ils n'ont donc eu qu'à remplir quelques chiffres et d'autres détails : "Ils ont cueilli les fruits à portée de main. Pour certaines personnes, il est simplement très important d'être le premier. Et bien sûr, tout le monde est très curieux de savoir ce qu'il y a dans les données."

A gauche, cette image fait partie d'une plus grande mosaïque prise avec la caméra NIRCam du JWST dans la région de la Grande Ourse en 2022. Il s'agit de l'une des premières images obtenues par la collaboration CEERS (Cosmic Evolution Early Release Science Survey) spécifiquement mis en place pour découvrir des galaxies lointaines et donc primitives. A droite, le Quintette de Stephan photographié par les caméras NIRCam et MIRI du JWST. Derrière cet amas compact, on a identifié au moins trois galaxies très éloignées mais dont le redshift élevé doit encore être validé. Documents NASA/STScI/ CEERS, TACC, UTAustin/S.Finkelstein, M.Bagley, Z.Levay et Webb Space Telescope.

Comme expliqué précédemment, pour calculer la distance d'une galaxie, il faut disposer de mesures précises, soit au moyen des spectromètres HR du JWST soit obtenues par le réseau interférométrique terrestre ALMA de l'ESO qui fonctionne à des longueurs d'ondes encore plus longues (submillimétriques et millimétriques) pour déterminer avec précision les décalages vers le rouge de ces galaxies.

Donc avant que la communauté ne valide ces données, les décalages vers le rouge signalés doivent être confirmés par spectroscopie. Mark McCaughrean, le conseiller scientifique principal de l'ESA publia ce commentaire sur Twitter : "Je suis sûr que certains d'entre eux seront [confirmés], mais je suis également sûr qu'ils ne le seront pas tous. […] Tout cela ressemble un peu à une ruée vers le sucre en ce moment."

Comme Ellis me le précisait à propos des redshifts photométriques, "mes collègues et moi ne sommes pas convaincus que le rapport signal/bruit de ce type de spectre est suffisant pour être à l'abri de toute critique".

En effet, c'est une chose de publier un article en préimpression sur arXiv en attendant son éventuelle validation par les pairs, mais c'en est une autre de déclarer une découverte dans un article validé publié dans une revue académique prestigieuse. Pour rappel, on trouve également sur le serveur "arXiv" des thèses doctorales spéculatives qui peuvent être tout sauf fondées sur des faits, d'où la réticence de certains scientifiques à se référer à ce genre d'études non validées. Mais tous n'ont pas ces scrupules.

Jusqu'à présent, les astronomes ont trouvé des galaxies candidates éloignées dans quatre zones du ciel. Certains chercheurs ont exploré le voisinage de SMACS 0723-73, d'autres se sont penchés sur deux sondages en cours, le GLASS (Grism Lens-Amplified Survey from Space) dans le Sculpteur et le CEERS (Cosmic Evolution Early Release Science Survey) dans le Bouvier. De plus, trois candidates ont été découvertes dans l'image du Quintette de Stephan situé dans Pégase.

Le plus étonnant est le rythme auquel le JWST découvre des galaxies lointaines. Comme le déclara Ellis, "Chaque jour est une petite aventure." Cette flambée de découvertes paraît suspecte, surtout que deux d'entre elles proviennent de la même équipe, celle de Naidu. Mais les résutats d'autres équipes dont celle de Yuichi Harikane précité doivent aussi être examinés avec prudence car ils furent obtenus par photométrie.

Le cas de CEERS-93316

Il est difficile de suivre toutes ces découvertes potentielles, en partie parce que chaque équipe utilise sa propre nomenclature. Par exemple, la galaxie candidate à z = 16.4 (cf. C.T. Donnan et al., 2022) est cataloguée ID93316, CEERS-93316, CEERS-1749 ou encore CR2-z17-1. Naidu et ses collègues l'ont même surnommée la galaxie de Schrödinger en raison de sa nature indécise. En effet, en 2022 ils estimaient qu'au lieu d'être une galaxie primitive, il pourrait s'agir d'une galaxie très poussiéreuse à un redshift voisin de z ~ 5. Mais il fallait le prouver par spectrographie à haute résolution.

Photo RGB prise par le JWST de la galaxie CEERS-93316 située à z = 4.9. Document C.T. Donnan et al. (2022).

En fait, dans une nouvelle étude publliée dans la revue "Nature" en 2023, l'équipe du postdoctorant Pablo Arrabal Haro du NOIRLab (National Optical-Infrared Astronomy Research Laboratory) réalisa une analyse plus approfondie de plusieurs galaxies a priori très distantes dont CEERS-93316 et révisa sa distance à la baisse avec un redshift plus modeste de z = 4.9 soit une distance propre d'environ 12.5 milliards d'années-lumière, ce qui est déjà remarquable en soi.

Mais comment peut-on se tromper à ce point sur la distance d'une galaxie ? Il s'avère que le gaz chaud de CEERS-93316 émet tellement de lumière dans quelques raies spectrales associées à l'oxygène et à l'hydrogène qu'il rend la galaxie beaucoup plus bleue qu'elle n'est réellement. Cette dominante bleue imitait la signature que S.Finkelstein de l'UT Austin, coauteur de cet article et chercheur principal du sondage CEERS et ses collègues, s'attendaient à voir dans les toutes premières galaxies. Cela est dû à une bizarrerie de la méthode photométrique qui ne se produit que pour les objets ayant des décalages vers le rouge d'environ 4.9. Selon Finkelstein, c'était un cas de malchance : "C'était une sorte de cas étrange. Parmi les dizaines de galaxies candidates à haut redshift qui ont été observées par spectroscopie, c'est le seul cas où le vrai décalage vers le rouge est bien inférieur à notre estimation initiale."

Non seulement cette galaxie apparaît anormalement bleue, mais elle est également beaucoup plus brillante que ce que les modèles prédisent pour les galaxies qui se sont formées si tôt dans l'univers. Selon Finkelstein, "Il aurait été vraiment difficile d'expliquer comment l'univers a pu créer une galaxie aussi massive si tôt. Donc, je pense que c'était probablement le résultat le plus probable, car c'était si extrême, si brillant, à un décalage vers le rouge aussi élevé.

A l'inverse, la galaxie de Maisie que cette équipe étudia également est bien située au redshift qu'elle calcula (voir plus bas).

En résumé, nous ne cherchons pas à critiquer les méthodes de travail des chercheurs pour les dénigrer car la majorité d'entre eux font certainement au mieux en fonction des moyens disponibles, mais il faut garder l'esprit critique et bien lire les articles concernés avant de prendre les annonces de découvertes pour argent comptant.

Les contextes technique et méthodologique étant précisés, décrivons à présent l'objet de notre article, les "Petits Points Rouges".

Histoire de la découverte des Petits Points Rouges

L'histoire et le mystère entourant les Petits Points Rouges commença en 1999, lorsqu'une équipe dirigée par Xiaohui Fan, chercheur à l'Université d'Arizona découvrit l'une des galaxies les plus lointaines, un quasar brillant situé à z = 5 soit une distance propre d'environ 12.53 milliards d'années-lumière (cf. X.Fan et al., 1999). Il abrite déjà un trou noir supermassif actif dont la masse équivaut à plusieurs milliards de masses solaires. Depuis, Fan a passé sa carrière à rechercher des objets lointains dans l'univers primitif.

Dans le cadre des divers sondages du ciel profond, Fan et ses collègues ont battu à plusieurs reprises leurs propres records, poussant la frontière du redshift des quasars à 6 en 2001 (cf. X.Fan et al., 2001) et à 7.6 en 2021 (cf. F.Wang et al., 2021) soit une distance propre de 13 milliards d'années-lumière. Elle évolue dans un Univers âgé de seulement 691 millions d'années. Mais si ces donnés sont validées, un problème apparaît : en théorie la création de trous noirs aussi massifs est impossible si tôt dans l'histoire de l'Univers. A moins de corriger la théorie... On y reviendra.

Comme tout objet, les trous noirs supermassifs mettent du temps pour se former. Et comme un enfant qui grandit trop vite, les trous noirs supermassifs de Fan semblent trop grands pour leur âge. En effet, a priori l'Univers n'était pas assez vieux pour que ces objets eurent le temps d'accumuler des millions voire des milliards de masses solaires. Pour résoudre ce problème, les astrophysiciens furent contraints d'envisager deux options.

Aujourd'hui encore, les découvertes de Fan défient les théories standards sur la formation des trous noirs supermassifs. La première est que les galaxies identifiées par l'équipe de Fan abritent des trous noirs stellaires, du type de ceux que les supernovae laissent souvent derrière elles. Ces trous noirs se sont ensuite développés à la fois en fusionnant et en absorbant les gaz et les poussières environnantes.

Normalement, si un trou noir absorbe de la matière de manière suffisamment agressive, une intense émission de rayonnements finit par repousser cette matière. Cela met fin à l'alimentation du trou noir et fixe une limite au taux de croissance des trous noirs appellée la limite d'Eddington (la luminosité au-delà de laquelle la pression du rayonnement l'emporte sur la gravité). Mais il s'agit d'une limite floue : un flux constant de poussière pourrait éventuellement vaincre la pression du rayonnement et tomber sur le trou noir. Cependant, les astrophysiciens ont du mal à comment maintenir une telle croissance de super-Eddington assez longtemps pour expliquer la masse des trous noirs de supermassifs de Fan : elles auraient dû se développer à un taux bien trop rapide, inexplicable par les théories actuelles.

L'alternative est d'imaginer que ces trous noirs sont nés massifs avec une taille gigantesque qui semble aujourd'hui improbable. Selon ce modèle, des nuages de gaz primordaiux se seraient effondrés directement en trous noirs pesant plusieurs milliers de masses solaires, formant ce qu'on appelle des "graines lourdes". Ce scénario est également difficile à imaginer car ces immenses nébuleuses grumeleuses devraient se fracturer en poches de hautes densités et former des étoiles massives avant de se transformer en trou noir. Il y a dans ce scénario quelque chose que les astronomes ne comprennent pas encore.

L'une des priorités du JWST est d'évaluer ces deux scénarii en scrutant l'univers primitif à la recherche de protogalaxies et des plus anciens trous noirs de Fan. Ces précurseurs ne seraient pas vraiment des quasars, mais des galaxies abritant des trous noirs un peu plus petits et en passe de devenir des quasars.

Grâce au JWST, les scientifiques ont l'espoir de repérer des trous noirs évoluant dans l'univers primitif qui ont à peine commencé à se développer, des objets suffisamment jeunes et suffisamment petits pour que les chercheurs puissent déterminer leur masse à la naissance.

C'est avec cet objectif en tête qu'une équipe d'astronomes travaillant dans le cadre du sondage CEERS dirigée par Dale Kocevski du Colby College découvrit fin 2022 et pour la première fois toute une série de jeunes trous noirs dans les galaxies évoluant dans l'univers primitif.

Dans les spectres du sondage CEERS, quelques galaxies sont immédiatement apparues comme cachant potentiellement de jeunes trous noirs. Contrairement aux galaxies normales ou quiescentes sans grande activité nucléaire, ces galaxies émettaient une lumière qui ne provenait pas d'une seule raie étroite de l'hydrogène mais d'une raie en émission qui était dispersée dans une gamme de fréquences suite à l'effet Doppler. Certaines ondes lumineuses étaient compressées et bleuies en se dirigeant vers la Terre tandis que d'autres étaient résolument rougies du fait de leur éloignement, mais dans tous les cas c'était la signature de gaz éjecté à grande distance depuis le coeur de ces galaxies. Kocevski et ses collègues savaient que les trous noirs étaient à peu près le seul objet capable de projeter de l'hydrogène de cette manière.

A peine deux mois plus tard, début 2023 l'équipe du CEERS publia un article (non validé) décrivant deux des "petits monstres cachés", comme ils appelaient ces jeunes trous noirs massifs. Ensuite, l'équipe entreprit d'étudier systématiquement les centaines de galaxies identifiées par leur programme pour déterminer le nombre exact de LRD et de trous noirs qu'ils abritaient.

Leurs données furent récupérées quelques semaines plus tard par une autre équipe, dirigée par Yuichi Harikane de l'Université de Tokyo. L'équipe de Harikane étudia 185 des galaxies les plus éloignées du sondage CEERS et en trouva dix affichant de larges raies d'hydrogène en émission avec des redshifts compris entre 4 et 7 (cf. Y.Harikabe et al., 2023). La présence de ces raies était vraisemblablement l'oeuvre de trous noirs d'un million de masses solaires.

Puis, en juin 2023, une analyse des sondages EIGER et FRESCO réalisée par l'équipe de Jorryt Matthee de l'École polytechnique fédérale de Zurich (cf. J.Matthee et al., 2024) identifia vingt autres "Petits Points Rouges" entre z = 4.2-5.5 soit une distance propre d'environ 12.2 à 12.7 milliards d'années-lumière présentant également de larges raies Lyman α, c'est-à-dire des raies d'émission produites par la recombinaison de l'hydrogène ionisé composant des nuages de gaz chauffés par le rayonnement UV des étoiles.

Les photos prises par le JWST montrent que le jeune Univers contient une très grande population de "Petits Points Rouges" ou LRD qui sont en fait des quasars abritant des trous noirs supermassifs. Document Jorryt Matthee/EIGER/FRESCO Survey (2023).

Une autre analyse non validée publiée deux mois plus tard annonçait une douzaine d'autres LRD (cf. R.Maiolino et al., 2023) dont quelques-uns pourraient abiter des trous noirs en développement, en train de grossir en fusionnant.

Mais peu d'astronomes avaient prévu le grand nombre de LRD possédant un trou noir supermassif actif. Les jeunes quasars observés au cours de la première année d'observation du JWST sont 10 à 100 fois plus nombreux que ce que les scientifiques avaient prédit sur la base du recensement des quasars adultes (cf. M.Niida et al., 2020).

Selon l'astrophysicienne Anna-Christina Eilers du MIT qui est coautrice de l'article sur les Petits Points Rouges, "Il est surprenant pour un astronome que nous nous soyons trompés d'un ordre de grandeur, voire plus. Il semble y avoir une multitude de sources dont nous ignorions l'existence et que nous n'avions pas du tout prévu de trouver."

Selon l'astrophysicienne Stéphanie Juneau du NOIRLab et coautrice de l'article sur les "petits monstres" publié début 2023, "c'était comme si à redshifts élevés, ces quasars n'étaient que la pointe de l'iceberg. Nous pourrions découvrir qu'en dessous, cette population est encore plus grande qu'un simple iceberg ordinaire."

Mais pour apercevoir ces trous noirs à leur naissance, les astronomes savent qu'ils devront aller bien au-delà du redshift de 5 et approfondir leurs recherches sur le premier milliard d'années de l'Univers. Récemment, plusieurs équipes ont repéré indirectement des trous noirs supermassifs actifs à des distances records.

En mars 2023, une analyse du sondage CEERS par l'équipe dirigée par l'astrophysicienne Rebecca L. Larson de l'Université du Texas à Austin permit de découvrir une large raie Lyman α dans une galaxie à z = 8.7, soit une distance propre de 13.1 milliards d'années-lumière, établissant un nouveau record du trou noir supermassif actif le plus lointain découvert à cette date (cf. R.L. Larson et al., 2023).

Mais le record de Larson est tombé quelques mois plus tard, après que les astronomes de la collaboration JADES (JWST Advanced Deep Extragalactic Survey) aient étudié le spectre de la galaxie GN-z11.

GN-z11 : z = 10.6

Le meilleur exemple qu'une prédiction peut être invalidée par l'observation est la découverte de la galaxie GN-z11.

Dans le cadre du sondage GOODS-North impliquant les télescopes Hubble et Spitzer, le 3 mars 2016 Pascal Oesch de l'Université de Yale et ses collègues ont annoncé la découverte de GN-z11, une galaxie à noyau actif (AGN) qui se situait a priori à z = 11.09 soit une distance propre de 13.3 milliards d'années-lumière dans la Grande Ourse. Mais le redshift fut calculé sur base d'analyses spectroscopiques réalisées avec le grism du HST à basse résolution. Il fallait donc obtenir de nouveaux spectres en haute résolution.

Le résultat fut affiné en 2020 par Linhua Jiang et ses collègues grâce au spectrographe IR multi-objet MOSFIRE du Keck d'Hawaï sur base de la détection de trois raies UV en émission décalées vers l'infrarouge moyen : [C III] à 1907 et 1909 microns et [O III] à 1666 microns. Son nouveau redshift z = 10.957 avec une précision supérieure à 5σ (soit 1 chance sur 3.5 millions que ce soit une erreur).

Mais en 2023, sur base des données de l'instrument NIRSpec du JWST, d'autres chercheurs ont obtenu un redshift encore plus faible avec z = 10.60 (cf. A.J. .Bunker al., 2023) qui fut cette fois confirmé, ce qui correspond à une distance propre de 13.28 milliards d'années-lumière. Nous la voyons telle qu'elle était environ 440 millions d'années après le Big Bang.

A voir : Hubble Team Breaks Cosmic Distance Record, NASA, 2016

A gauche, GN-z11 et son champ général photographiés par le JWST dans le cadre du sondage GOODS dont voici une autre image prise par le HST. A droite, sa localisation dans la Grande Ourse. Documents NASA/ESA/JWST, NASA/ESA/STScI et Rogelio Andreo adapté par l'auteur

GN-z11 évolue dans un Univers ayant 4% de son âge actuel, au début de l'ère de réionisation (selon les données sur la polarisation du rayonnement à 2.7 K, à cette époque seulement 10% de l'Univers était réionisé), quelques centaines de millions d'années avant la fin des Âges Sombres.

GN-z11 est 25 fois plus petite que la Voie Lactée et sa masse est estimée à 1 milliard de masses solaires soit moins de 1% de la Voie Lactée. Elle présente un SFR ~ 24 M/an, c'est-à-dire qu'elle transforme chaque année environ 24 masses solaires de gaz et de poussière en étoiles. On suppose qu'elle a rapidement grandit, son taux de formation stellaire étant 8 fois supérieur à celui de la Voie Lactée aujourd'hui (cf. K.Torii et al., 2019), ce qui permit à Hubble de le détecter et de l'analyser en détail.

Les astronomes ont toutefois été surpris qu'une galaxie aussi brillante et relativement grande puisse exister seulement 200 à 300 millions d'années après la formation des premières étoiles car cet exemple n'est pas prédit par la théorie. Selon Garth Illingworth de l'Université de Californie à Santa Cruz, "son taux de croissance est vraiment très rapide, produisant des étoiles à un taux énorme pour former une galaxie d'un million de masses solaires si tôt", ce qui montre selon son collègue Ivo Labbe que "nous connaissons encore peu de choses sur l'Univers primordial." Il pose même la question "si nous ne sommes pas en train d'observer la première génération d'étoiles se formant autour des trous noirs ?" Le télescope spatial JWST devrait nous en dire plus.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2024, l'équipe de Roberto Maiolino du Laboratoire Cavendish de l'Université de Cambridge et de l'Institut Kavli de cosmologie utilisa l'instrument NIRSpec du JWST et passèrent plus de 10 heures à étudier en détail la lumière de GN-z11.

Les chercheurs ont immédiatement constaté que cette galaxie lointaine était étrange. Selon Jan Scholtz de l'Université de Cambridge et membre du sondage JADES, l'analyse spectrale révèle que l'abondance en azote de GN-z11 est très élevée et "complètement déséquilibrée", surtout si on la compare aux maigres réserves d'oxygène de cette galaxie, un atome plus simple que les étoiles devraient d'abord assembler.

Spectres de GN-z11 obtenus en utilisant la configuration PRISM/CLEAR de l'instrument NIRSpec du JWST. Le rapport S/B du continuum est élevé et les raies d'émission sont clairement visibles ainsi que la cassure Lyα. Le redshift z = 10.60. Document A.J. Bunker al., (2023).

Début mai 2023, la collaboration JADES poursuivit son étude de GN-z11 durant 16 autres heures avec le JWST. Les données supplémentaires ont affiné le spectre, révélant que deux raies de l'azote sont extrêmement inégales : une brillante et une faible. Selon les chercheurs, ce modèle indique que GN-z11 est enveloppée de nuages ​​de gaz denses retenus par une force gravitationnelle redoutable.

Selon Scholtz, "C'est à ce moment-là que nous avons réalisé que nous regardions directement le disque d'accrétion du trou noir." Cet alignement fortuit explique pourquoi cette galaxie lointaine était suffisamment brillante pour que le Télescope Spatial Hubble ait pu directement la photographier en 2016.

GN-z11 affiche des traces d'écoulements violents de gaz transportés entre 800 et 1000 km/s ainsi que des éléments chimiques ionisés, deux signatures typiques d'un trou noir supermassif actif. Celui-ci présente une masse d'environ 1.5 million de masses solaires entouré d'un disque d'accrétion et est en train de cannibaliser sa galaxie hôte.

Les chercheurs ont également découvert un amas gazeux d'hélium dans le halo entourant GN-z11. Selon Maiolino, "Le fait que nous ne voyons rien d'autre que l'hélium suggère que cet amas doit être assez intact. C'est quelque chose de prédit par la théorie et les simulations à proximité de galaxies particulièrement massives de ces époques : il devrait y avoir des poches de gaz vierge survivant dans le halo, et celles-ci pourraient s'effondrer et former des amas d'étoiles de Population III. (cf. R.Maiolino et al., 2023).

Pour rappel, la découverte d'étoiles de Population III, c'est-à-dire la première génération d'étoiles constituées presque entièrement d'hydrogène et d'hélium, est l'un des objectifs les plus importants de l'astrophysique moderne. On s'attend ce que ces étoiles soient très massives, très lumineuses et très chaudes. Leur signature serait la présence d'hélium ionisé et l'absence d'éléments chimiques plus lourds que l'hélium. La formation des premières étoiles et galaxies marque un changement fondamental dans l'histoire cosmique, au cours duquel l'Univers est passé d'un état sombre et relativement simple vers l'environnement hautement structuré et complexe que nous connaissons aujourd'hui.

A l'avenir Maiolino et ses collègues exploreront GN-z11 plus en profondeur et espèrent renforcer les arguments en faveur des étoiles de Population III qui pourraient se former dans son halo.

Nous verrons que cet AGN lointain fut réétudié par le JWST en raison de la découverte d'amas globulaires dans son halo.

Des trous noirs supermassif extrêmement jeunes et affamés comme celui qu'héberge GN-z11 sont exactement les objets que les astrophysiciens espéraient découvrir pour résoudre le dilemme de la création des quasars de Fan. Mais par hasard, il s'avère que même le cas extrême de GN-z11 n'est pas assez jeune ou assez petit pour que les chercheurs puissent déterminer de manière concluante la masse de son trou noir à la naissance.

Selon Scholtz, "Nous devons commencer par détecter des trous noirs massifs à un redshift bien supérieur, même à 11. Je n'avais aucune idée que je dirais cela il y a un an, mais nous y sommes."

Décrivons à présent quelques autres "Petits Points Rouges" parmi les plus lointains.

La galaxie de Maisie : z = 11.8

Grâce à l'instrument NIRSpec du JWST, l'équipe de Haro précité du NOIRLab en collaboration avec l'équipe du CEERS comprenant au total 121 chercheurs, découvrit l'une des plus anciennes galaxies (en fait il s'agit de l'une des quatre premières galaxies confirmées) à z = 11.8 soit une distance propre de 13.34 milliards d'années-lumière (cf. S.L. Finkelstein et al., 2022 et lire U.Texas). Ce "Petit Point Rouge" évolue dans un Univers âgé de seulement 380 millions d'années.

Le nom de Maisie fut choisi par l'astronome Steven L. Finkelstein précité de l'Université du Texas à Austin, auteur principal de l'article et chercheur principal du sondage CEERS et se réfère au prénom de sa fille car cette galaxie fut découverte le jour de son anniversaire.

Finkelstein confirme que "la galaxie de Maisie est l'une des premières galaxies lointaines identifiées par le JWST, et de cet ensemble, c'est la première à être réellement confirmée par spectroscopie." (cf. P.A. Haro et al., 2023).

A voir : CEERS: Flight to Maisie's Galaxy

Champ général du télescope JWST et zoom sur la galaxie de Maisie découverte par des scientifiques de la collaboration CEERS en 2022. Les données spectroscopiques révèlent un redshift z=11.8 soit ~13.38 milliards d'années-lumière. Elle évolue dans un univers âgé de 390 millions d'années. Cela en fait l'une des quatre premières galaxies confirmées à une époque aussi reculée. A droite, la cassure Lyα bien visible dans le spectre de Maisie et de deux autres galaxies lointaines obtenu par l'instrument NIRSpec du JWST. Documents NASA/STScI/CEERS, TACC/UTAustin/S.Finkelstein, M.Bagley (2023) et Y.Harikane et al. (2023).

Comme d'autres galaxies lointaines, le spectre de Maisie présente une coupure brusque de la distribution d'énergie avant 1.4 micron ou 1400 nm, soit juste avant la raie Lyman α à 912 Å au repos (mais décalée dans le proche infrarouge). Cette cassure Lyα (Lyα break, cf. K.K. Nilsson, 2007) témoigne que les rayonnements bleus d'énergie plus élevée que cette limite de Lyman sont presque entièrement absorbés par le gaz neutre proches des régions stellaires de cette galaxie, vraisemblablement des régions de formation des étoiles (cf. S.L. Finkelstein et al., 2022). Nous verrons d'autres exemples plus bas.

En 2023, l'équipe du CEERS évalua une dizaine d'autres galaxies qui pourraient évoluer à une époque encore antérieure à celle de Maisie.

GLASS-z12 : z ≈ 12.34

Dans le cadre du programme "Early Release Science" du JWST (cf. les sondages CEERS et GLASS), Rohan P. Naidu du CfA Harvard-Smithsonian et ses collègues ont découvert dans la constellation du Sculpteur de nombreux Petits Points Rouges dont deux objets relativement brillants, présentant une magnitude absolue d'environ -21 en UV : GLASS-z10 et GLASS-z12 alias GHZ2 (cf. R.P. Naidu et al., 2022). Notons qu'auparavant GLASS-z12 s'appelait GLASS-z13 car on avait estimé son redshift z > 13. Internet conservant toutes les archives en ligne, on trouve donc l'un ou l'autre nom dans les premiers articles académiques et ailleurs sur Internet, histoire de semer la confusion.

A partir de la raie Lyman α fortement décalée dans la partie proche infrarouge de leur spectre, les chercheurs ont estimé le redshift de GLASS-z10 à z ≈ 10.4 soit une distance propre de ~13.27 à milliards d'années-lumière et celui de GLASS-z12 à z ~ 12.34 correspondant à une distance propre de ~13.36 milliards d'années-lumière (cf. M.Castellano et al., 2024).

Nous voyons ces galaxies telles qu'elles étaient respectivement environ 450 et 360 millions d'années après le Big Bang. Sur base des modèles des galaxies, GLASS-z10 serait âgée d'environ 163 millions d'années et GLASS-z12 de 111 millions d'années mais l'incertitude dépasse 12% (et peut atteindre 78% pour GLASS-z10).

Les galaxies GLASS-z10 (1) et GLASS-z12 (2) découvertes dans l'amas de Pandore, Abell 2744, grâce au télescope spatial James Webb. Document NASA, ESA, CSA, T.Treu (UCLA).

Comme dans la galaxie de Maisie et d'autres, les spectres de GLASS-z10 et GLASS-z12 montrent une cassure Lyα supérieure à 1.8 magnitude. Selon Naidu et ses collègues, c'est conforme aux modèles et compatible avec l'absorption complète du flux bleu de la raie de l'hydrogène Lyman α par les nuages de gaz neutres que contiennent ces galaxies.

Les modélisations de leur distribution d'énergie suggèrent que les deux galaxies ont une masse équivalente à un milliard de masses solaires soit moins de 1% de la Voie Lactée, ce qui suppose que les étoiles qu'elles contiennent se sont formées respectivement à peine quelque 400 et 300 millions d'années après le Big Bang.

Selon Castellano et ses collègues, "Compte tenu de ses modèles d'abondance et de sa forte densité de masse stellaire (104 M/pc2), GHZ2 est un site de formation idéal pour les progéniteurs des amas globulaires actuels. La luminosité remarquable de GHZ2 en fait une « pierre de Rosette » pour comprendre la physique de la formation des galaxies en seulement 360 millions d'années après le Big Bang."

L'analyse de leur luminosité montre une courbe claire et exponentielle suggérant que les deux objets seraient des galaxie à disque, c'est-à-dire soit des spirales soit des lenticulaires. GLASS-z10 aurait un rayon (r50, le rayon qui contient 50% de la luminosité totale de la galaxie) de l'ordre de 2280 années-lumière tandis que GLASS-z12 serait un peu plus petite avec un rayon estimé à 1630 années-lumière. Ces Petits Points Rouges sont donc 7.5 à 10 fois plus petits que la Voie Lactée.

Les deux galaxies présentent un taux de formation d'étoiles (SFR) relativement faible pour l'époque concernée avec un SFR ~ 10 M/an pour GLASS-z10 et un SFR de 6 à 7 M/an pour GLASS-z12 (contre un SFR ~ 2.9 M/an pour la Voie Lactée de nos jours).

La galaxie GLASS-z12 (anciennement GLASS-z13) située à z~12.34 soit une distance propre de ~13.36 milliards d'années-lumière. Documents NASA/CSA/ESA/STScl, GLASS-JWST/T.True, R.P.Naidu et al. (2022), M.Castellano et al. (2022) et P. Oesch et G.Brammer (2022).

Encore un fois, ces observations s'opposent aux modèles actuels. Selon Naidu et ses collègues, "Ces sources, si elles sont confirmées, rejoignent GN-z11 et défient les prévisions de densité des galaxies lumineuses basées sur les fonctions de luminosité UV de Schechter, qui nécessitent une zone d'étude au moins 10 fois plus grande que celle que nous avons étudiée pour trouver de telles sources lumineuses à des redshifts aussi élevés." Autrement dit, la théorie actuelle de formation et de distribution des galaxies prédit moins de galaxies de cette luminosité dans l'univers primitif.

Non seulement, les astrophysiciens doivent comprendre pourquoi il y a plus de galaxies lumineuses et massives que prévu à ces distances, mais si ces données sont correctes, ils seront contraints de modifier leurs théories. En fait, les astronomes s'attendent à devoir amender leurs théories puisque ce n'est pas la première prédiction invalidée par le JWST. On y reviendra avec d'autres exemples.

JADES-GS-z13-0 : z = 13.20

Dans le cadre du sondage JADES, en 2022 une équipe internationale d'astronomes réexamina le champ UDF de la zone du ciel GOODS-South qui fut explorée par le Télescope Spatial Hubble. Les nouvelles photos multibandes prises par l'instrument NIRCam du JWST montrent des "Petits Points Rouges" à haut redshift évoluant à z > 10 soit moins de 460 millions d’années après le Big Bang, alors que l'Univers avait moins de 4% de son âge actuel.

La photo de gauche fut prise par le JWST dans le cadre du sondage JADES et est centrée sur le champ UDF de la zone du ciel GOODS-South du HST. L'analyse spectrale en haute résolution par l'instrument NIRSpec (à droite) de quatre d'entre elles respectivement cataloguées JADES-GS-z10-0 (z=10.38), JADES-GS-z11-0 (z=11.58), JADES-GS-z12-0 (z=12.63) et JADES-GS-z13 (z=13.20) montre une coupure brusque à hauteur de la raie Lyman α appelée la cassure Lyα, typique d'une absorption de la lumière bleue par le gaz neutre entourant de jeunes étoiles. Cette photo du ciel profond étant décalée vers l'infrarouge, il s'agit d'empilements RGB en couleurs arbitraires.

L'analyse spectrale en haute résolution par l'instrument NIRSpec permit de confirmer que l'une de ces galaxies se situe à z = 13.20 soit une distance propre de 13.39 milliards d'années-lumière. Elle fut catalogué JADES-GS-z13-0. Comme illustré ci-dessus, comme d'autres objets découverts dans le même champ, son spectre montre une cassure Lyα importante, typique d'une absorption de la lumière bleue par le gaz neutre entourant les jeunes étoiles. Selon les modélisations, le milieu intergalactique (IGM) de la galaxie JADES-GS-z11-0 serait entièrement ionisé alors que celui des trois autres galaxies ne le serait que partiellement (cf. E.Curtis-Lake et al., 2022).

Les quatre galaxies étudiées (JADES-GS-z10-0, JADES-GS-z11-0, JADES-GS-z12-0 et JADES-GS-z13) présentent une masse de l'ordre de ~107-8 M et sont jeunes. Elles sont pauvres en métaux avec une métallicité intégrée log (Z/Z) = -1.69 pour JADES-GS-z13-0, soit ~50 fois inférieure à la métallicité intégrée de la Voie Lactée de nos jours (où log (Z/Z) = 0).

Enfin, le SFR fut calculé pour deux galaxies. JADES-GS-z10-0 présente un SFR ~7.8 M/an et JADES-GS-z11-0 présente un SFR ~8.85 M/an.

Notons pour mémoire car le sujet reste très spéculatif, que dans un article publié dans les "PNAS" en 2023, Katherine Freese de l'Université du Texas et ses collègues ont suggéré que les trois objets JADES-GS-z11-0, JADES-GS-z12-0 et JADES-GS-z13 étaient en fait des "Etoiles Sombres" (Dark Stars), des étoiles supermassives alimentées par de la matière sombre, un concept qui remonte à 2007 mais qui n'a jamais été validé.

HD1 : z = 13.27

Dans deux articles publiés dans "The Astrophysical Journal" (en PDF sur arXiv) et les "MNRAS" en 2022 (en PDF sur arXiv), une équipe internationale d'astronomes annonça la découverte de la galaxie HD1 à z = 13.27 soit une distance propre d'environ 13.39 milliards d'années-lumière, à un âge où l'Univers avait seulement ~320 millions d'années. C'est 120 millions d'années plus ancien que le précédent record de 2016 détenu par la galaxie GN-z11.

La galaxie HD1 située à z = 13.27. Document CfA/Harvard-Smithsonian.

Pour identifier HD1, les chercheurs ont combiné les observations du télescope VLT de l'ESO, du télescope spatial Spitzer de la NASA et du réseau ALMA. Sa distance est basée sur l'analyse d'une seule raie, celle de l'oxygène [OIII] qui indique un redshift z = 13.27 avec une précision de 4σ. Les données d'ALMA indiquent également un z ~ 13 soit une distance propre d'environ 13.39 milliards d'années-lumière.

HD1 est extrêmement brillante en lumière ultraviolette. Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs estiment que "certains processus énergétiques s'y produisent ou, mieux encore, se sont produits il y a quelques milliards d'années."

HD1 est 10 à 100 fois plus petite que la Voie Lactée mais présente un SFR ~ 40 M/an, créant des étoiles à un taux 14 fois supérieur à celui de notre Galaxie de nos jours. Elle pourrait contenir des étoiles de Population III. Il est également possible que ce soit un AGN qui abrite déjà un trou noir supermassif de 100 millions de masses solaires.

De nouvelles mesures sont encore nécessaires pour confirmer son redshift et sa masse.

Enfin, les chercheurs ont annoncé qu'ils utiliseront les nouveaux télescopes spatiaux (JWST en 2023, Nancy Grace Roman vers 2027 et GREX-PLUS vers 2030) pour l'analyser en détails.

UHZ1

En attendant de découvrir des LRD et de jeunes trous noirs massifs au-delà de z ~ 13 soit une distance propre supérieure à 13.39 milliards d'années-lumière, les astronomes ont recours à des astuces plus subtiles pour trouver et étudier ces jeunes trous noirs, comme faire appel à d'autres télescopes spatiaux travaillant à d'autres longueurs d'ondes.

Début 2022, une équipe internationale d'astronomes dirigée par l'astrophysicien Ákos Bogdán du CfA Harvard-Smithsonian pointa périodiquement le satellite à rayons X Chandra de la NASA vers l'amas de galaxies de Pandore, Abell 2744, qui figurerait sur la liste restreinte du JWST. Cet amas agit comme une lentille gravitationnelle, amplifiant le rayonnement des galaxies lointaines situées derrière lui. L'équipe voulait savoir si l'une de ces galaxies d'arrière-plan émettait des rayons X, une des signatures traditionnelles d'un trou noir supermassif actif.

Le satellite Chandra observa ce champ galactique pendant deux semaines - l'une de ses plus longues campagnes d'observation à ce jour - et collecta 19 photons de rayons X provenant d'un quasar appelé UHZ1 qui affiche un redshift z ~ 10.1. Ces 19 photons provenaient très probablement d'un trou noir supermassif actif en pleine croissance situé au coeur du quasar. Ce trou noir supermassif évolue dans un univers âgé de ~470 millions d'années soit seulement 3% de son âge actuel, ce qui en fait de loin la source de rayons X la plus éloignée et le trou noir supermassif le plus lointain détectés à ce jour.

A voir : Quick Look: NASA Telescopes Discover Record-Breaking Black Hole, CXC, 2023

A gauche, image composite rayons X (Chandra) et optique (JWST) de l'amas de Pandore, Abell 2744, identifiant le quasar UHZ1 à z ~ 10.1. A droite, agrandissement de l'image rayons X du quasar UHZ1 enregistrée par Chandra. Cette galaxie à noyau actif abrite un trou noir supermassif probablement formé par effondrement direct dont le disque d'accrétion chaud émet d'intenses rayons X entre 2 et 7 keV. Documents NASA/CXC/A.Bogdan et al. (2023).

Selon les auteurs, le quasar UHZ1 est fortement obscurci et présente une luminosité bolométrique (intégrale) de ~5x1045 erg/s ou ~5x1037 watts, soit 10 fois plus que la Voie Lactée avec 5x1036 watts). Il abrite un trou noir supermassif de ~107 à 108 M en supposant une accrétion à la limite d'Eddington.

Cette découverte fut l'objet d'un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2023 (en PDF sur arXiv). Un second article fut publié dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2023 (en PDF sur arXiv) par l'équipe de Andy Goulding de l'Université de Princeton, coauteur du premier article et membre de l'équipe du sondage UNCOVER (Ultradeep Nirspec et NIRCam ObserVations before the Epoch of Reionization).

En combinant les données du JWST et de Chandra, les chercheurs découvrirent quelque chose d'étrange et très intéressant. Dans la plupart des galaxies de l'univers proche, presque toute la masse se trouve dans les étoiles, avec moins de 1% environ dans le trou noir supermassif central. Mais dans UHZ1, la masse semble répartie de manière égale entre les étoiles et le trou noir (cf. P.Natarajan et al., 2023), ce qui ne correspond pas au modèle auquel les astronomes auraient pu s'attendre pour l'accrétion de super-Eddington.

Selon les auteurs, une explication plausible est que le trou noir central d'UHZ1 est né lorsqu'un nuage géant s'est effondré en un énorme trou noir massif, laissant derrière lui peu de gaz pour la formation d'étoiles. Selon l'astrophysicien Grant Tremblay du CfA Harvard-Smithsonian et membre de l'équipe, ces observations "pourraient être cohérentes avec une graine lourde."

En attendant que ce sujet soit approfondi par de nouvelles études et découvertes, la conclusion générale selon laquelle l'univers primitif a produit extrêmement rapidement une multitude de trous noirs massif et actifs est susceptible de survivre. Après tout, les quasars découverts par l'équipe de Fan doivent bien provenir de quelque part.

Prochain chapitre

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