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Astrophysique et Cosmologie

Les découvertes récentes (II)

Découverte d'une nébuleuse [O III] près de M31

Des astronomes amateurs français ont découvert une nébuleuse d'émission [O III] filamentaire à 1.2° au sud-est du noyau de la galaxie M31 d'Andromède. La nébuleuse s'étend sur 1.5°. Elle est indétectable en Hα et n'a pas de contreparties évidentes dans les relevés aux rayons X (ROSAT), UV (GALEX), infrarouge (IRAS/IRIS, Planck), optique (DSS, SDSS) et radio (VLA FIRST, 408 MHz). Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans les "RNAAS" en 2023.

Si en soi cette découverte semble anodine vu la quantité de nébuleuses présentes dans la Voie Lactée et les autres galaxies, elle démontre que malgré l'utilisation de télescopes géants et de technologies de pointe, au XXIe siècle des astrophotographes amateurs avertis peuvent encore découvrir des objets célestes et servir la Science. Cette découverte mérite donc quelques explications.

Cette découverte qui a surpris tous les astronomes y compris les amateurs est le résultat d'un programme d'astrophotographie qui débuta début 2022. Les astronomes amateurs Xavier Strottner, Marcel Drechsler et l'astrophotographe Yann Sainty photographiaient le ciel profond à la recherche de nouvelles nébuleuses pour compléter leur catalogue Strottner-Drechsler (catalogue StDr) qui comprend aujourd'hui 166 objets et des centaines de candidats à valider.

Cette fois les amateurs orientèrent leurs lunettes astronomiques vers la galaxie d'Andromède. Pour l'occasion Sainty utilisa un filtre que peu d'astrophotographes utilisent  : un filtre OIII centré sur la raie de 5007 Å avec une bande passante de 3 nm pour mieux faire ressortir les régions HII faibles.

C'est en analysant les images brutes sous filtre OIII que Strottner et Drechsler découvrirent une nébulosité extrêmement faible au bord de l'image qui semblait s'étendre en dehors du champ de la photo. Selon Sainty et les astrophysiciens professionnels ayant examiné les photos originales, cela aurait pu être un défaut connu en imagerie (un artefact causé par la lumière diffusée, les réflexions internes, l'image dite de champ plat ou "flat field" - cf. le prétraitement d'image, le traitement d'image ou la lueur de l'amplificateur du détecteur). Pour confirmer l'existence de cette nébulosité, Sainty réalisa de nouvelles photos en OIII qui permirent de confirmer sa présence et de faire ressortir les sous-structures plus fines qui existent dans la nébuleuse. Après des semaines de recherche, les photos montrèrent sans équivoque que cette nébuleuse en forme d'arc ne pouvait être attribuée à aucune structure connue de et autour de M31.

Images de la nébulosité filamentaire (l'arc bleu) découverte près de M31 par l'équipe amateur de Yann Sainty en 2022. Il s'agit de l'empilement de 1062 images LRGB-OIII. Le temps d'intégration total est de 111 heures réparties sur 22 nuits distribuées sur 3 mois. A droite, les autres traces [O III] identifiées dans M31. Sainty utilisa une lunette apochromatique à 4 lentilles ED Takahashi FSQ 106 EDX4 (106 mm f/5) montée sur une monture Sky-Watcher EQ6 Pro, une caméra CCD ZWO ASI2600MM Pro, une roue à 7 filtres ZWO équipée des fitres Antlia de 36 mm Hα 3 nm, OIII 3 nm, B, V, R, L, complétés par un système d'autofocus Primaluce Lab SESTO SENSO 2 et de logiciels d'acquisition et de traitement d'image (c'est une installation à 15000 €).

De nouvelles photos furent réalisées entre août en novembre 2022 par Sainty et quatre autres amateurs (Bray Falls, USA; Christophe Vergnes, France; Nicolas Martino, France; Sean Walker, USA) au cours de 22 nuits réparties sur 3 mois afin de disposer d'un maximum de données pour des études scientifiques. L'image résultante présentée ci-dessus représente l'empilement de 1062 images individuelles sous filtres L, R, G, B et OIII et totalisa 111 heures de temps total d'intégration (auxquelles il faut ajouter quelques images de prétraitement et un long travail de traitement d'image).

Les astronomes ayant participé à la validation des données et de la découverte sont les astrophysiciens Robert Fesen du Dartmouth College de Hanover aux Etats-Unis, Stefan Kimeswenger de l'Université d'Innsbruck en Autriche et Michael Shull de l'Université du Colorado aux Etats-Unis.

Selon les astrophysiciens, sur base des données astrométriques dont les vitesses propres des objets relevés par le satellite Gaia , "il est probable que cette nébuleuse [O III] se trouve dans le halo de M31 et est liée aux nombreux flux stellaires, en particulier le Giant Stellar Stream dont le bord oriental se trouve près de cette nébuleuse. Un spectre de l'arc d'émission [O III] offrirait des données sur sa vitesse radiale qui pourrait établir une association avec M31 et son halo. Une étude spectroscopique de suivi de cet arc d'émission est en cours." Mais il faudra être patient car obtenir un spectre exploitable et de qualité de cette nébuleuse s'avère très difficile, même en utilisant de grands télescopes.

Notons que le "Giant Stellar Stream" est un courant stellaire visible photographiquement du côté sud-est de M31 comme illustré ci-dessous composé des résidus gazeux et stellaires d'une probable galaxie qui fut absorbée par M31 (cf. M.N. Ferguson et A.D. Mackey, 2016; K.M. Gilbert et al., 2019). On retrouve des courants similaires dans la Voie Lactée et beaucoup d'autres galaxies massives.

Images du "Giant Stellar Stream" ou courant stellaire géant qui s'étend sur ~4° au sud-est de M31. Il appartient à une structure plus vaste qui s'étend dans un rayon de 10° autour de M31. A gauche, la région interne du halo de M31 sur 40° carré. Chaque hexagone représente le champ de la caméra CCD du télescope Keck II de 10 m. Au centre, la partie interne du halo de M31 sur laquelle l'auteur a superposé la nébuleuse d'émission [O III]. A droite, les étoiles contenues dans une petite région du courant stellaire géant de M31 photographiées par le Télescope Spatial Hubble. L'analyse de telles images permet aux astrophysiciens de déterminer la chimie, l'âge et la nature et indirectement l'origine des étoiles de M31. Documents K.M. Gilbert et al. (2019), adapté par l'auteur de K.M. Gilbert et al. (2009) et NASA/ESA.STScI.

Comment est-il possible que cette nébuleuse n'ait jamais été photographiée auparavant sachant que M31 compte parmi les objets les plus photographiés du ciel (cf. la galerie d'images) ?

Les photographies modernes du ciel profond les plus détaillées et en couleurs utilisent des combinaisons de filtres (L ou IR/UV cut, R, G, B, IR, etc), y compris des filtres sélectifs à bande étroite surnommés UHC (Ultra-High Contrast) (Hα, Hß, SII, Na, OIII, etc). La plupart des caméras CCD et APN utilisés en astrophotographie sont sensibles jusqu'au-delà de la raie de l'hydrogène alpha (Hα à 6562.8 Å).

Dans cette nouvelle nébuleuse d'émission, la faible émission Hα coïncidant avec les filaments [O III] suggère un rapport de flux I([O III])/I(Hα) ≥ 5. L'émission Hα est donc pratiquement indétectable. Mais elle existe.

Sur les photos à grand champ de M31 - celles qui s'étendent sur plus de 3° du noyau et au-delà de l'étoile v Andromeda -, la nébuleuse d'émission [O III] est pratiquement invisible sur les photos prises sous filtre à large bande car la faible nébulosité est noyée dans la lueur des étoiles. Son absence sur les photos antérieures est liée à la très faible luminosité de surface combinée à sa taille angulaire inhabituellement grande. La majorité des caméras CCD et autres systèmes d'imagerie grand public couvrent généralement un champ trop étroit et leur niveau de sensibilité ne leur permet pas de détecter une nébulosité en émission aussi faible et aussi étendue.

De plus, pour obtenir une image détaillée en haute résolution d'un objet étendu du ciel profond, la plupart des lunettes et télescopes présentent un rapport d'ouverte trop élevé (> f/7) qui réduit le champ photographique à moins de 1° et les empêche d'englober sur une seule image des objets très étendus comme la Lune ou M31. Le diamètre apparent de M31 atteint 6 fois le diamètre apparent de la Lune, soit ~3° (cf. cette photo). Or la nouvelle nébuleuse se trouve en bordure de ce champ et est souvent en dehors du champ couvert par la plupart des télescopes. En effet, rares sont les optiques et les photos englobant un champ supérieur à 1 ou 2°. Dans ce cas, les amateurs ont deux possibilités : soit faire un montage de plusieurs photos mais cela exige de l'expérience et un logiciel de calibration soit se rabattre sur un téléobjectif de 300 ou 500 mm dont le champ est de respectivement 8° et 5°. L'idéal est d'utiliser une optique dite rapide dont le rapport focal < f/6 (qu'on peut aussi atteindre avec un réducteur focal 0.6x sur les télescopes catadioptriques f/10) voire un astrographe dont le rapport focal varie entre f/2.2 et f.5.6 chez Officina Stellare. Mais de telles optiques sont très chères.

S'ajoute le temps d'intégration. Le gauchissement de M31 en périphérie des bras ouest, les extensions de M57, les coquilles multiples de NGC 5128 ou les IFN ne furent détectées que sur des photographies à très longues poses. Peu d'amateurs passent des heures à photographier les objets du ciel profond, même en empilant de multiples images. Or seuls de très longs temps d'intégration - cela se chiffre généralement à plus de 100 heures avec un instrument amateur - révèlent ces très faibles nébulosités. Seuls les amateurs très patients sont récompensés de leurs efforts.

Même les télescopes professionnels en théorie capables de gérer de telles situations sont en difficulté dans ces conditions. Par exemple, le sondage du "CFHT MegaCam" qui utilise notamment le filtre [O III] pour étudier les nébuleuses planétaires du halo de M31 (cf. S.Bhattacharya et al., 2019) a couvert l'emplacement de la nouvelle nébuleuse mais n'a pas détecté d'émission [O III] étendue. La raison est que ces images sont prises avec un filtre [O III] centré sur 5007 Å mais à bande relativement large (102 Å) avec une petite échelle de pixels (0.187"/pixel), inappropriées pour détecter des nébuleuses faibles, diffuses et étendues au-dessus du bruit de fond du photodétecteur. La combinaison d'un champ de vision large, d'échelles de pixels ≥ 2" et de filtres interférentiels à bandes étroites (~ 30 Å) est nécessaire pour détecter de grandes nébulosités à faible luminosité de surface (cf. S.Kimeswenger et al., 2021).

Bref, cette découverte prouve que des astronomes amateurs (relativement) modestement équipés ont encore des chances de découvrir des objets dans le ciel (non seulement des nébuleuses mais également des astéroïdes et des comètes) sans oublier les météorites.

Des traces potentielles des premières étoiles de Population III

En analysant le quasar ULAS J1342+0928, l'un des plus éloignés situé à z = 7.54 soit 13.1 milliards d'années-lumière, l'astronome Yuzuru Yoshii de l'Université de Tokyo et ses collègues pensent avoir identifié la matière résiduelle de l'explosion d'une étoile de première génération (cf. Y.Yoshii et al., 2022).

Pour rappel, les toutes premières étoiles se sont probablement formées alors que l'Univers n'avait que 100 millions d'années, soit moins de 1% de son âge actuel. Ces premières étoiles dites de Population III étaient gigantesques et si massives qu'arrivées en fin de leur très courte vie, elles explosèrent en supernovae, éjectant dans l'espace de grandes quantités d'éléments lourds. Malgré des décennies de recherches, jusqu'à présent il n'y avait aucune preuve directe que ces étoiles primordiales existèrent.

Les étapes ayant permis de trouver les premières traces potentielles des premières étoiles de Population III. Document NoirLab adapté par l'auteur.

Yoshii et ses collègues ont étudié les résultats d'une étude antérieure de ce quasar (cf. M.Onoue et al., 2020) réalisée avec le télescope Gemini North de 8.10 m installé à Hawaï équipé du spectrographe GNIRS (Gemini Near-Infrared Spectrograph) sensible entre 97 et 293 nm (au repos) révélant de larges raies d'émissions d'éléments chimiques (H, N, Si, C, Al, Mg) dans différents états dont celles du fer (Fe, Fe II, Fe III) dans les nuages de gaz et de poussière qui l'entourent.

Les chercheurs ont constaté une composition très inhabituelle : le gaz contenait au moins 10 fois plus de fer que de magnésium par rapport à la composition du Soleil. Vu l'époque à laquelle se forma ce quasar, ce fer ne peut provenir que d'une étoile de première génération.

Selon les chercheurs, cette caractéristique frappante est probablement la signature du matériau laissé par une étoile de première génération qui explosa en supernova à instabilité de paire ou PISN. Cette version remarquablement puissante d'une supernova a rarement été observée et les candidates telles SN 2016iet n'en sont peut-être pas. Mais en théorie il s'agit de la fin de vie d'étoiles géantes hypermassives dont la masse est comprise entre 150 et 250 M.

Pour rappel, l'explosion d'une PISN se produit lorsque les photons gamma présents dans le coeur de l'étoile se transforment spontanément en électrons et positrons, autrement dit en antimatière. Cette conversion réduit brutalement la pression de rayonnement interne de l'étoile, permettant à la gravité de déclencher l'effondrement de l'astre et son explosion.

Contrairement à d'autres supernovae, cet évènement catastrophique détruit totalement l'étoile et ne laisse aucun reste stellaire, ni étoile à neutrons ni trou noir. Il y a malgré tout deux façons de trouver sa trace. La première consiste à observer une PISN au moment de son explosion, ce qui est un hasard hautement improbable (peut-être une fois tous les 10 ans dans tout l'univers, sachant que certaines peuvent être cachées derrière des nuages de poussière). L'autre façon est d'identifier sa signature chimique à partir de la matière qu'elle éjecta dans l'espace, qu'elle soit située dans la Voie Lactée ou aux confins de l'univers.

Mais déduire les quantités de chaque élément présent est une tâche difficile car la luminosité d'une raie spectrale dépend de nombreux autres facteurs en plus de l'abondance de l'élément.

Yoshii et et son collègue Hiroaki Sameshima de l'Université de Tokyo ont relevé le défi en développant une méthode utilisant l'intensité des longueurs d'ondes dans le spectre de ce quasar pour estimer l'abondance des éléments présents. C'est en utilisant cette méthode que les chercheurs ont découvert le rapport magnésium/fer manifestement très faible.

En complément, sur base de l'abondance du Mg II, grâce à leur modèle T06 des trous noirs, les chercheurs ont pu estimer la masse du trou noir supermassif situé au coeur du quasar à environ 91 millions de masses solaires avec un rapport de luminosité d'Eddington de ~1.1. Ce résultat confirme que ULAS J1342+0928 est alimenté par un trou noir supermassif déjà mature et actif qui accrète la matière au taux proche de la limite d'Eddington (au-delà de laquelle la pression de radiation l'emporte sur la gravité et on observe des éjections de la matière).

Des recherches de preuves chimiques d'étoiles de Population III ont déjà été menées parmi les étoiles du halo de la Voie Lactée et au moins une tentative d'identification fut présentée en 2014 (cf. W.Aoki et al., 2014). Yoshii et ses collègues, cependant, pensent que le nouveau résultat fournit la signature la plus claire d'une PISN basée sur le rapport d'abondance magnésium/fer extrêmement faible présenté dans ce quasar.

S'il s'agit bien de la preuve de l'une des premières étoiles et des restes d'une supernova à instabilité de paire, cette découverte contribuera à compléter notre image de la façon dont la matière brute de l'Univers a évolué pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Pour tester cette interprétation de manière plus approfondie, de nombreuses autres observations sont nécessaires pour voir si d'autres objets ont des caractéristiques similaires. Il est également possible qu'on puisse trouver de telles signatures chimiques plus près de chez nous, dans le Groupe Local ou dans la Voie Lactée, bien que les étoiles de Population III se soient toutes éteintes depuis plus de dix milliards d'années. En revanche, les empreintes chimiques qu'elles ont laissées dans leurs éjecta peuvent persister beaucoup plus longtemps et peuvent encore être détectées de nos jours. Cela signifie que les astronomes pourraient être en mesure de trouver les signatures d'explosions de supernovae à instabilité de paire d'étoiles disparues depuis longtemps mais encore imprimées sur des objets de notre univers local.

Le rayonnement diffus cosmologique déformé par la matière sombre

Pour la première fois, des astrophysiciens ont découvert des effets de la matière sombre (ou noire) dans le rayonnement diffus cosmologique à 2.7 K à la distance de z ~ 4 soit environ 12.1 milliards d'années-lumière. Les résultats de cette découverte furent publiés dans les " Physical Review Letters" en 2022 par l'équipe de Hironao Miyatake de l'Université de Nagoya et professeur associé à l'Institut KMI (Kobayashi-Maskawa Institute) dédié à l'étude de l'origine des particules et de l'Univers, en collaboration avec l'Université de Tokyo, l'Observatoire Astronomique National du Japon (NAOJ) et l'Université de Princeton.

Selon la théorie de la relativité générale d'Einstein, toute concentration importante de matière peut dévier la lumière (cf. l'éclipe total de Soleil de 1919, les lentilles gravitationnelles générées par les galaxies découvertes en 1969 et les trous noirs qui piègent littéralement la lumière).

L'étude de la matière sombre est rendue difficile non seulement en raison de sa nature et de sa distribution inconnues, mais la plupart des études précédentes sont restées bloquées dans leurs recherches en raison de la trop faible luminosité des galaxies lointaines qui résidaient aux limites de la puissance des télescopes. Incapables de détecter suffisamment de galaxies au-delà de z ~ 8 soit ~13 milliards d'années-lumière pour mesurer la distorsion de l'espace-temps, les astronomes ne pouvaient pas analyser la distribution de la matière sombre au-delà  de cette époque. Il était donc impossible de connaître sa distribution et son évolution entre 8-10 milliards d'années et le début de l'Univers il y a plus de 13.7 milliards d'années.

Illustration de la déformation du rayonnement diffus  cosmologique à 2.7 K (la carte couleur des surdensités mesurées par la mission Planck) par la matière sombre (l'image rose) il y a 12 milliards d'années. Document Reiko Matsushita/U.Nagoya.

Pour surmonter ces défis et observer la matière sombre située aux confins de l'univers visible, les chercheurs ont utilisé une approche différente. Ils ont procédé en deux étapes.

D'abord les chercheurs ont utilisé les données des observations du sondage HSC (Subaru Hyper Suprime-Cam Survey) qui leur permit d'identifier 1.5 million de galaxies générant des lentilles gravitationnelles en lumière visible sur des objets situés à au moins 12 milliards d'années-lumière.

Ensuite, pour surmonter la faible clarté des galaxies les plus éloignées, ils ont utilisé comme source lumineuse le rayonnement micro-onde du fond diffus cosmologique ou CMB à 2.7 K, le résidu du rayonnement du Big Bang. À partir des données de la mission Planck de l'ESA, les chercheurs ont mesuré la déformation du rayonnement cosmologique par la matière sombre.

Masami Ouchi de l'Université de Tokyo et coauteur de cet article, fait remarquer qu'on peut se demander "comme peut-on voir la matière sombre autour des galaxies lointaines ?". Il répondit : "C'était une idée folle. Personne n'a réalisé que nous pouvions le faire. Mais après avoir donné une conférence sur un grand échantillon de galaxies lointaines, Hironao est venu me voir et m'a dit qu'il serait peut-être possible d'observer la matière sombre autour de ces galaxies avec le CMB."

Après une analyse préliminaire concluante, en combinant le grand échantillon de galaxies lointaines et les distorsions observées dans le rayonnement cosmologique à 2.7 K, les chercheurss ont détecté de la matière sombre encore plus loin dans le temps, il y a 12 milliards d'années soit seulement 1.7 milliard d'années après le Big Bang.

Miyatake déclara : "J'étais heureux que nous ayons ouvert une nouvelle fenêtre sur cette époque. Il y a 12 milliards d'années, les choses étaient très différentes. Vous voyez plus de galaxies en cours de formation qu'actuellement ; les premiers amas de galaxies commencent également à se former. Les amas de galaxies comprennent 100 à 1000 galaxies liées par gravité avec de grandes quantités de matière sombre."

Selon l'astrophysicienne Neta Bahcall, professeure d'astronomie Eugene Higgins à l'Université de Princeton,"Ce résultat donne une image très cohérente des galaxies et de leur évolution, ainsi que de la matière sombre dans et autour des galaxies, et comment cette image évolue avec le temps."

L'une des découvertes les plus passionnantes de l'étude concerne l'agglutination de la matière sombre. Selon le modèle cosmologique Standard ΛCDM, de subtiles fluctuations dans le rayonnement cosmologique à 2.7 K forma des bassins de matière dense qui attirèrent par gravité la matière environnante essentiellement composée d'hydrogène. Cela créa des zones de surdensités hétérogènes qui furent à l'origine de la formation des premières étoiles supergéantes et des premières galaxies. Les résultats obtenus par les chercheurs suggèrent que leur mesure d'agglutination de la matière sombre est inférieure à celle prédite. Certains chercheurs imaginent déjà la possibilité que les lois fondamentales de l'Univers seraient différentes dans l'univers primitif que de nos jours.

Miyatake souligne que ces résultats sont encore préliminaires et devront être confirmés : "Notre découverte est encore incertaine. Mais si c'est exact, cela suggérerait que l'ensemble du modèle est défectueux à mesure que vous remontez plus loin dans le temps. C'est excitant parce que si le résultat tient après la réduction des incertitudes, cela pourrait suggérer une amélioration du modèle qui pourrait donner un aperçu de la nature de la matière sombre elle-même."

Sachant que la matière sombre est mesurable dans le rayonnement diffus cosmologique, il faut à présent obtenir de meilleures données et les comparer aux prédictions du modèle ΛCDM pour voir s'il est réellement capable d'expliquer ces observations. Mais les astronomes se doutent bien que leur modèle cosmologique sera amendé un jour ou l'autre car il en va ainsi de toutes les théories qui ne sont que des approximations basées sur l'état des connaissances.

Bien que cette étude ait été plus loin que toutes les précédentes, elle présente malgré tout des limites. Cette étude exploita les données disponibles des instruments existants, dont le satellite Planck et le télescope Subaru de 8.20 m installé sur le Mauna Kea à Hawaï. Les chercheurs n'ont examiné qu'un tiers des données du sondage HSC.

La prochaine étape consiste à analyser l'ensemble des données, ce qui devrait permettre une mesure plus précise de la distribution de la matière sombre. Les chercheurs profiteront également du temps d'observation sur le télescope LSST (Large Synoptic Survey Telescope) de 8.42 m de l'Observatoire Vera C. Rubin installé au Chili pour explorer davantage le jeune univers. Le LSST devrait opérationnel avant 2023.

Selon Yuichi Selon Harikane de l'Institut de recherche sur les rayons cosmiques de l'Université de Tokyo et coauteur de cet article, "Le LSST nous permettra d'observer la moitié du ciel. Je ne vois aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas voir ensuite la distribution de la matière sombre il y a 13 milliards d'années."

Découverte des "blue blobs"

Une équipe internationale d'astronomes a identifié cinq membres d'une nouvelle classe de système stellaire. Ce ne sont pas tout à fait des galaxies et elles n'existent que de manière isolée. Les nouveaux systèmes stellaires appelés les "blue blobs" ou "taches bleues" ne contiennent que de jeunes étoiles bleues qui sont rassemblées dans des systèmes irréguliers qui semblent situés à l'écart toute galaxie hôte potentielle. Cette découverte fit l'objet d'un article publié en préimpression sur "arXiv" en 2022 par l'équipe de l'astronome David Sand de l'Université d'Arizona.

Comme illustrré ci-dessous, ces systèmes stellaires apparaissent sur les photographies sous forme de "taches bleues" et ont à peu près la taille de minuscules galaxies naines. Leur masse stellaire varie entre 40000 et 100000 M, selon les cas.

Les astronomes ont découvert ces nouveaux systèmes après qu'une équipe de chercheurs dirigée par Elizabeth Adams de l'Institut néerlandais de radioastronomie (ASTRON), ait compilé le catalogue UCHVC en 2013 répertoriant des nuages de gaz proches, fournissant une liste de nouvelles galaxies potentielles (cf. E.A. Adams et al., 2013; E.A. Adams et al., 2015; E.A. Adams et al., 2016). Après la publication de ce catalogue, plusieurs équipes d'astronomes dont celle de David Sand précitée rechercha des étoiles qui pourraient être associées à ces nuages de gaz.

On pensait que ces nuages de gaz étaient associés à la Voie Lactée et la plupart d'entre eux le sont probablement, mais lorsque le premier amas d'étoiles, appelée SECCO1 (ou AGC 226067, cf. E.A. Adams et al., 2015) fut découvert, les astronomes ont réalisé qu'il n'était pas du tout situé près de la Voie Lactée, mais plutôt dans l'amas de la Vierge dont les membres sont situés entre 35 et 65 millions d'années-lumière. Les cinq systèmes sont séparés jusqu'à 300000 années-lumière de toute galaxie, rendant l'identification de leurs origines difficile.

Ces amas d'étoiles bleues découverts en 2018 grâce au Télescope Spatial Hubble représentent une nouvelle classe de système stellaire appelée "blue blobs". Le cercle vert indique le champ utilisé pour construire le diagramme Couleur-Magnitude (CMD). De gauche à droite, BC1, BC2 et BC5 dont voici l'image sans annotation. Documents M.G. Jones et al. (2022).

Les chercheurs ont étudié les données du Télescope Spatial Hubble, celles du réseau radioastronomique VLA du Nouveau-Mexique et du VLT de l'ESO. Michele Bellazzini de l'Institut National d'Astrophysique (INAF) d'Italie et coauteur de cette étude, dirigea l'analyse des données du spectrographe MUSE du VLT et soumis un article complémentaire dans les "MNRAS" en 2018.

Les chercheurs ont découvert que la plupart des étoiles de chaque système sont très bleues et très jeunes et qu'elles contiennent très peu d'hydrogène atomique. Ceci est important car la formation des étoiles commence avec de l'hydrogène gazeux atomique, qui finit par évoluer en nuages denses d'hydrogène gazeux moléculaire avant de se transformer en étoiles.

Selon Michael G. Jones, chercheur postdoctorant à l'Observatoire Steward de l'Université d'Arizona et auteur principal de cette étude, "SECCO1 était l'une des "blue blobs" très inhabituels. Nous avons observé que la plupart des systèmes manquent de gaz atomique, mais cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de gaz moléculaire. En fait, il doit y avoir du gaz moléculaire car ils sont encore en train de former des étoiles. L'existence d'étoiles pour la plupart jeunes et le peu de gaz indique que ces systèmes ont dû perdre leur gaz récemment."

La combinaison d'étoiles bleues et du manque de gaz fut une surprise, tout comme le manque d'étoiles âgées dans ces systèmes. La plupart des galaxies qui ne possèdent pratiquement que des étoiles âgées sont appelées des galaxies "rouges et mortes" (red and dead), comme par exemple la galaxie lenticulaire NGC 1277. Selon Jones, "Les étoiles qui naissent rouges ont une masse inférieure et vivent donc plus longtemps que les étoiles bleues, qui brûlent rapidement et meurent jeunes, de sorte que les vieilles étoiles rouges sont généralement les dernières qui restent en vie. Ces galaxies meurent parce qu'elles n'ont plus de gaz avec lequel former de nouvelles étoiles. En gros, ces étoiles bleues sont comme une oasis dans le désert."

Diagrammes Couleur-Magnitude des "blue blobs" BC1, 3, 4 et 5, avec superposition des isochrones PARSEC (PAdova and TRieste Stellar Evolution Code) pour différents âges de population stellaire, en supposant une distance de 16.5 Mpc soit ~54 millions d'années-lumière pour tous les objets. Les isochrones pour BC1 et 3 utilisent une métallicité [M/H] = -0.35, qui est approximativement la valeur des deux objets. Pour BC4 et 5, le rapport [M/H] = 0.05. Dans ce dernier cas, il est possible que les deux objets sont associés, alors que les métallicités similaires de BC1 et 3 sont vraisemblablement le fruit du hasard. Dans le panneau à l'extrême gauche, est également tracé un isochrone de 10 Gyr indiquant où une ancienne population RGB âgé de 10 milliards d'années résiderait dans le diagramme (le petit trait mauve dans le coin inférieur droit). Document M.G. Jones et al., (2022).

Le fait que les nouveaux systèmes stellaires soient riches en métaux (cf. la métallicité) indique comment ils auraient pu se former. Selon Jones, "Cela nous apprend que ces systèmes stellaires se sont formés à partir de gaz qui fut extrait d'une grande galaxie, car la façon dont les métaux sont élaborés passe par de nombreux épisodes répétés de formation d'étoiles, et vous n'obtenez vraiment cela que dans une grande galaxie."

Il existe deux principaux mécanismes pour extraire le gaz d'une galaxie. Le premier est l'effet de marée qui se produit lorsque deux grandes galaxies se croisent et arrachent gravitationnellement du gaz et des étoiles. L'autre est ce qu'on appelle l'arrachage par pression dynamique (ram pressure stripping). Lorsqu'une galaxie plonge vers le centre d'un amas de galaxies rempli de gaz chaud, son gaz est expulsé derrière elle (cf. le cas de D100). Selon Jones, "C'est le mécanisme que nous pensons en action dans ces objets."

Les chercheurs préfèrent l'explication de l'arrachage par pression dynamique car pour que les "blue blobs" soient aussi isolés, ils doivent se déplacer très rapidement alors que la vitesse acquise par effet de marée est faible par rapport à celle acquise par la pression dynamique.

Suite à l'effet des interactions gravitationnelles, les astronomes s'attendent à ce que ces systèmes finissent par se séparer en amas stellaires individuels et se dispersent dans l'amas de la Vierge.

Selon Sand, cette découverte complète "l'histoire plus large du recyclage du gaz et des étoiles dans l'univers. Nous pensons que ce processus d'attraction transforme jusqu'à un certain point de nombreuses galaxies spirales en galaxies elliptiques. Donc en apprendre davantage sur le processus général, nous en apprend plus sur la formation des galaxies."

GNz7q, le chaînon manquant entre les galaxies starbursts et les quasars

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2022, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Seiji Fujimoto de l'Institut Niels Bohr de l'Université de Copenhague annonça la découverte dans les données d'archives du sondage GOODS-North (Great Observatories Origins Deep Survey-North) du Télescope Saptial Hubble, d'un mystérieux objet rouge à z = 7.1899 ±0.0005 soit une distance d'environ 13 milliards d'années-lumière. Selon les chercheurs, il pourrait s'agir du chaînon manquant entre les jeunes galaxies starbursts (à sursauts d'étoiles) et les premiers trous noirs supermassifs.

L'objet, dénommé GNz7, évolue à l'époque de la Réonisation, lorsque l'univers avait seulement 750 millions d'années et à peine 5% de sa taille actuelle. Grâce au HST, les atsronomes ont détecté une source compacte en lumière ultraviolette et infrarouge mais par contre très faible en rayons X. Si la lumière UV provient des étoiles, l'émission IR ne peut correspondre qu'au rayonnement émis par de la matière tombant sur un trou noir. La meilleure explication est que cette galaxie abrite un trou noir en croissance enveloppé de poussière. Dans quelques dizaines ou centaines de millions d'années, le trou noir émergera de son cocon poussiéreux, transformant cette galaxie en un brillant quasar.

Si des théories et des simulations prédisent que des trous noirs en croissance peuvent se former dans des galaxies starbursts, c'est la première fois que les astronomes identifient un tel objet.

Selon Fujimoto,"Notre analyse suggère que GNz7q est le premier exemple d'un trou noir à croissance rapide dans le noyau poussiéreux d'une galaxie starburst à une époque proche du premier trou noir supermassif connu dans l'univers. Les propriétés de l'objet à travers le spectre électromagnétique sont en excellent accord avec les prédictions des simulations théoriques."

Cette petite tache rouge fait partie d'une classe d'objets extrêment rares dans l'univers qui établit le lien entre les galaxies starbursts et les quasars. Il s'agit de la galaxie starburst GNz7q située à z = 7.19 qui abrite déjà un trou noir massif en croissance mais en grande partie obscurci par la poussière. Cette photo fut prise par le Télescope Spatial Hubble dans le cadre du sondage GOODS-North. Document NASA/ESA/S.Fujimoto et al. (2022).

Mais évoluant dans un univers aussi jeune, comment des trous noirs massifs peuvent-ils se former si rapidement ? Bien que d'autres interprétations ne peuvent pas être complètement exclues, les propriétés de GNz7q sont en accord avec les prédictions théoriques et les simulations qui proposent le scénario suivant.

La galaxie hôte de GNz7q forme des étoiles au taux phénoménal de 1600 M par an. Les trous noirs supermassifs se forment au coeur de jeunes galaxies starbursts dont le noyau est enveloppé de poussière. Ces galaxies forment des étoiles à un taux très élevé avant que le trou noir central n'expulse le gaz et la poussière environnants, transformant ces galaxies en quasars extrêmement lumineux. Ces objets sont cependant très rares dans l'univers primitif.

En général, le disque d'accrétion d'un trou noir massif doit être très brillant à la fois en UV et en rayons X. Or, dans le cas de GNz7q, le rayonnement X n'a pas été détecté dans les données existantes des sondages X du ciel profond. Ces résultats suggèrent que le disque d'accrétion interne, d'où proviennent les rayons X, est toujours obscurci, tandis que la partie externe du disque d'accrétion, d'où provient la lumière UV, se dégage. Selon cette interprétation, GNz7q est un trou noir à croissance rapide encore obscurci par le noyau poussiéreux de sa galaxie hôte starburst.

Les chercheurs estiment que GNz7q pourrait être un chaînon manquant entre ces deux classes d'objets. En effet, GNz7q présente exactement les caractéristiques de la galaxie starburst poussiéreuse et du quasar, la lumière du quasar étant rougie par la poussière. De plus, GNz7q manque de diverses caractéristiques qui sont généralement observées dans les quasars très lumineux (leur brillance correspondant à l'émission du disque d'accrétion du trou noir supermassif), ce qui s'explique très probablement par le fait que le trou noir central de GN7q est encore jeune et dans une phase peu massive. Ces propriétés correspondent parfaitement au jeune quasar en phase de transition prédit par les simulations, mais qui n'avait jamais été identifié dans l'univers à un décalage Doppler aussi élevé, même dans les quasars très lumineux situés jusqu'à z = 7.6. La chance d'en observer un est donc exceptionnelle.

Selon Fujimoto, "GNz7q fournit une connexion directe entre ces deux populations rares et offre une nouvelle voie pour comprendre la croissance rapide des trous noirs supermassifs aux premiers jours de l'univers. Notre découverte fournit un exemple de précurseurs des trous noirs supermassifs que nous observons à des époques ultérieures."

Selon Gabriel Brammer de l'Institut Niels Bohr et coauteur de cette étude, "GNz7q est une découverte unique qui a été trouvée juste au centre d'un champ céleste célèbre et bien étudié - cela montre que de grandes découvertes peuvent souvent être cachées juste devant vous. Il est peu probable que la découverte de GNz7q dans la zone de recherche relativement petite de GOODS-North soit simplement une "chance stupide", mais plutôt que la prévalence de ces sources puisse en fait être nettement plus élevée qu'on ne le pensait auparavant."

A présent que les chercheurs connaissent les caractéristiques de ce type de galaxies, ils vont à présent rechercher systématiquement des objets similaires à l'aide de sondages dédiés à haute résolution et tirer parti des instruments spectroscopiques du télescope spatial James Webb pour étudier en détails des objets tels que GNz7q.

Selon Fujimoto, "Caractériser pleinement ces objets et sonder leur évolution et leur physique sous-jacente de manière beaucoup plus détaillée deviendra possible avec le télescope spatial James Webb. Une fois opérationnel, le JWST aura le pouvoir de déterminer de manière décisive la fréquence réelle de ces trous noirs à croissance rapide."

ID2299 : des astronomes témoins de la mort d'une galaxie

Pour la première fois, des astronomes sont témoins du début de la mort d'une galaxie lointaine et ont compris de quelle manière cela commence; c'est le cas de la galaxie starburst ID2299. Cette découverte majeure fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2021 par une équipe européenne d'astronomes dirigée par Annagrazia Puglisi du Centre d'Astronomie Extragalactique de l'Université de Durham, au Royaume-Uni, et du CEA de Saclay.

Illustration artistique de la galaxie starburst ID2299 qui résulte d'une collision entre deux galaxies, avec sa queue de marée composée d'étoiles et de gaz résultant de la fusion. Document ESO/M.Kornmesser.

Pour rappel, au cours des premiers milliards d'années de sa vie une galaxie spirale contenant jusqu'à 100 milliards d'étoiles produit jusqu'à 1000 M par an. Cette flambée de formation d'étoiles ou starburst peut durer plusieurs centaines de millions d'années. Ensuite, faute de combustible, ce taux diminue pour atteindre dix milliards d'années plus tard une production d'environ 3 M par an comme c'est le cas de la Voie Lactée de nos jours (voir page 2).

Pour rappel, une galaxie "meurt" quand elle ne produit plus d'étoiles à partir du gaz froid environnant. Mais pendant ce temps, les centaines ou milliers d'étoiles qu'elle forma chaque année continuent leur cycle de vie et beaucoup continueront à briller pendant une dizaine de milliards d'années.

Si beaucoup de galaxies peuvent donc survivre assez longtemps même en l'absence de gaz, quelques galaxies starbursts subissent des perturbations tellement violentes qu'elles meurent prématurément. ID299 compte parmi celles-ci.

La galaxie starburst ID2299 se situe à z = 1.395 soit 9.1 milliards d'années-lumière et présente une masse stellaire d'environ 94 milliards de M. Elle présente un taux de formation d'étoiles (SFR) d'environ 550 M par an, soit 5 plus élevé que le SFR moyen des galaxies starbursts de masse comparable situées à cette époque cosmique. Cette galaxie héberge déjà un trou noir supermassif actif.

L'analyse des quatre transitions du CO et du [C I] ainsi que la phase ionisée a permis aux chercheurs de calculer la masse de gaz expulsée par la galaxie ID2299 : elle a déjà éjecté environ 46% de sa masse moléculaire de gaz froid à un taux d'au moins 10000 M par an ! A ce rythme la galaxie aura perdu tout son gaz dans quelques dizaines de millions d'années.

Selon Puglisi, "C'est la première fois que nous observons une galaxie massive à formation d'étoiles typique dans l'univers lointain sur le point de "mourir" à cause d’une éjection massive de gaz froid."

Selon les chercheurs, cette perte spectaculaire de gaz est le résultat d'une collision entre deux galaxies qui ont finalement fusionné (merge) pour former ID2299. L'indice en faveur de ce scénario est la présence d'une queue de marée associée au gaz, une longue traînée d'étoiles et de gaz encore brillante résultant de la fusion des deux anciennes galaxies.

A gauche, image UV de la galaxie starburst ID2299 située à z ~ 1.4 ou 9.1 milliards d'années-lumière photographiée par le Télescope Spatial Hubble. On distingue un noyau brillant entouré de volutes de gaz. A droite, image de la galaxie starburst ID2290 en optique (HST) et les cartes obtenues par ALMA dans différents états de la molécule de gaz froid du CO et du [C I]. On distingue clairement l'éjection de gaz. Documents NASA/ESA et A.Puglisi et al. (2021).

La plupart des astronomes estiment que ces éjections de matière qui se manifestent par d'immenses volutes de gaz et des vents stellaires violents sont provoquées par la formation des étoiles et l'activité éventuelle d'un trou noir supermassif situé au centre de la galaxie (cf. le modèle de la formation et de l'évolution galactique et la co-évolution des galaxies et des trous noirs supermassifs). Mais la découverte de ID2299 suggère que les fusions de galaxies peuvent également éjecter dans l'espace le combustible nécessaires à la formation des étoiles.

Selon les chercheurs, les résultats des simulations montrent "qu'il ne s'agit pas d'un vent de rétroaction, mais plutôt du matériel d'une fusion qui a probablement été éjectée par la marée. Cette découverte remet en cause certaines études dans lesquelles le rôle des vents entraînés par rétroaction pourrait être surestimé." Ainsi, certaines équipes qui ont précédemment identifié des vents puissants dans des galaxies lointaines pourraient en fait avoir observé des queues de marée éjectant du gaz de ces galaxies. Selon Emanuele Daddi du CEA de Saclay et coauteur de cette étude, " Cela pourrait nous amener à revoir notre compréhension de la façon dont les galaxies meurent."

A gauche, comparaison entre les taux d'évènements perturbateurs et la densité des galaxies nouvellement éteintes. Au centre, comparaison entre la galaxie ID2299 et les vents moléculaires décrits dans la littérature. (Quenching = extinction, SFR = Star Formation Rate ou taux de formation stellaire). A droite, simulation de la distribution du gaz lors d'une collision-fusion entre deux galaxies. Notez la formation d'une queue de marée qui rappelle ce qu'on observe dans le couple de galaxies NGC 4038-39 en interaction surnommé "les Antennes". Documents A.Puglisi et al. (2021) et J.Frensch et al. (2017) adaptés par l'auteur.

Notons que dans une autre étude publiée en 2021, une équipe internationale de chercheurs découvrit grâce à l'effet amplifiant d'une lentille gravitationnelle, trois galaxies starbursts à ~ 3 soit 11.5 milliards d'années-lumière présentant un taux de formation d'étoiles > 850 M par an et des échelles de temps d'épuisement plutôt courtes < 100 millions d'années. L'une de ces trois galaxies lointaines nommée SPT2357-51 est probablement le résultat d'une fusion majeure.

A l'avenir, les observations effectuées avec le JWST de 6.5 m et le futur télescope ELT de 39 m de diamètre de l'ESO pourraient permettre aux chercheurs d'explorer les connexions entre les étoiles et le gaz dans ID2299, apportant un nouvel éclairage sur l'évolution des galaxies.

Earendel, l'étoile la plus lointaine découverte par Hubble

Grâce au Télescope Spatial Hubble, l'astrophysicien Brian Welch de l'Université Johns Hopkins (JHU) et ses collègues ont découvert une étoile à z = 6.2 ±0.1, c'est-à-dire à ~12.9 milliards d'années-lumière, évoluant dans un univers âgé de seulement 900 millions d'années. Cette étoile est la plus lointaine découverte à ce jour et fut nommée "Earendel"[1].

C'est une découverte majeure sachant que le record précédent remontait à 2018 avec une étoile située à z = 1.5 qui évoluait dans un univers âgé de 4 milliards d'années (cf. P.L. Kelly et al., 2018). Cette nouvelle découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature" en 2022 (en PDF sur STScI) que la plupart des médias ont immédiatement repris.

Welch et ses collègues avaient déjà identifié la galaxie hôte de l'étoile parmi les galaxies les plus proches de l'amas situé à l'avant-plan catalogué WHL0137-08 (à z = 0.566 soit ~5.5 milliards d'années-lumière) lors de sessions d'observations réalisées en 2016 dans le cadre du sondage RELICS (Reionization Lensing Cluster Survey) du STScI. L'équipe réalisa un suivi de cette étoile en 2019 grâce à de nouvelles images prises par le HST.

L'étoile fut détectée grâce à l'effet d'une lentille gravitationnelle engendré par l'amas de galaxies qui a déformé la lumière d'une galaxie lointaine sous forme d'un arc long et fin que l'équipe surnomma "Sunrise Arc" (l'Arc du lever du Soleil). Mais l'image de toute la galaxie n'a pas été amplifiée ni déformée de la même manière. En effet, en fonction de la densité de matière située entre cette étoile et la Terre, la lumière de la galaxie a localement été plus amplifiée qu'à d'autres endroits, générant des points lumineux plus brillants le long de ce qu'on appelle la courbe critique : à mesure que les objets approchent de la courbe critique, le facteur d'amplification ou grossissement augmente. Pour les très petits objets, tels que les étoiles, ils peuvent parfois s'aligner si précisément sur la courbe critique que leur lumière augmente considérablement, jusqu'à plusieurs milliers de fois. Malgré la déformation, des algorithmes permettent de redresser l'image.

A gauche, l'étoile surnommée Earendel (indiquée par la flèche sur l'image de droite) est située le long d'une lentille gravitationnelle qui amplifie sa lumière comme une loupe, lui permettant d'émerger de sa galaxie hôte qui apparaît comme une tache rouge sur ces images. La lentille gravitationnelle est créée par l'amas de galaxies WHL0137-08 situé à l'avant-plan. Les deux points rouges de chaque côté d'Earendel sont en fait un amas d'étoiles dont la lumière a été divisée en deux images qui se reflètent de chaque côté de l'arc. A droite, un agrandissement de l'image. Documents NASA/ESA, B.Welch (JHU), D.Coe (STScI), A.Pagan (STScI).

Welch et ses collègues ont comparé les images prises par le HST avec quatre modèles informatiques de lentilles gravitationnelles. Ils ont associé les modèles à d'autres amas d'étoiles de la galaxie "Sunrise Arc", dont deux apparaissent de chaque côté d'Earendel, leur lumière se divisant en plusieurs images. L'étoile elle-même n'est pas divisée, ce qui suggère qu'elle est plus proche de la courbe critique que les amas stellaires. Bien que les modèles ne s'accordent pas sur le facteur exact d'amplification, la valeur minimale est d'au moins 1000 fois et peut atteindre 40000 fois !

Les modèles ont également permis de calculer la taille de l'étoile : moins de ~2 années-lumière de diamètre et peut-être bien plus petite. La taille exclut la possibilité que Hubble ait détecté un amas d'étoiles.

Selon les chercheurs, "Le grossissement et la luminosité observée (magnitude monochromatique AB = 27.2) sont restés à peu près constants sur 3.5 ans d'imagerie et de suivi. La magnitude UV absolue réduite de -10 ±2, est cohérente avec une étoile de masse supérieure à 50 M." L'étoile est composée essentiellement d'hydrogène et d'hélium. Compte tenu de l'âge de l'univers dans lequel elle évolue, les chercheurs estiment qu'Earendel n'est probablement pas l'une des toutes premières étoiles, de Population III, mais en raison de sa grande masse c'est néanmoins une des premières qui forma les nouveaux éléments lourds.

L'existence d'étoiles massives à cette époque de l'univers est une confirmation importante qui valide les hypothèses sur la formation des plus anciennes étoiles de la Voie Lactée. Selon Anna Frebel aujourd'hui au MIT, qui n'a pas participé à cette étude mais qui étudie les très anciennes étoiles proches pour trouver des indices sur l'évolution stellaire dans l'univers primordial, cette découverte est une trouvaille fantastique : "Les premières étoiles massives doivent avoir produit les premiers éléments et entraîné l'évolution chimique, donc avoir des observations à portée de main qui soutiennent cette notion est merveilleux."

Après le lancement du télescope spatial James Webb fin 2021, les chercheurs vont en profiter pour tenter de découvrir la véritable nature de cette étoile et comment elle s'intègre dans l'évolution de l'univers. Les images et les spectres réalisés par le JWST amélioreront les estimations de sa masse, de sa température et de son type spectral. On en reparlera dans quelques années.

SPT0311-58 à z = 6.9 contient déjà de l'eau et du carbone

Pour la première fois de l'eau et du carbone ont été détectés dans une galaxie lointaine grâce au réseau radiointerférométrique ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) installé dans le désert d'Atacama au Chili. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2021 (en PDF sur arXiv) par l'équipe de Sreevani Jarugula de l'Université de l'Illinois.

Image composite de la galaxie SP0311-58 située à z = 6.9. Elle combine les données d'ALMA (rouge) révélant la poussière et du HST (bleu et vert) révélant le gaz et les étoiles. La partie droite de l'image de la galaxie est déformée par l'effet d'une lentille gravitationnelle. Document NRAO, NASA/ESA/ESO/NAOJ.

SPT0311-58 est une galaxie apparaissant sous l'aspect de deux images suite à un effet de lentille gravitationnelle. Elle fut découverte au cours d'un sondage réalisé grâce au South Pole Telescope (SPT) de 10 m de diamètre par les équipes de Vieira et d'Everett (cf. J.D. Vieira et al., 2013; W.B. Everett et al., 2020).

SPT0311-58 se situe à z = 6.9 soit environ 12.88 milliards d'années-lumière du Soleil et s'étend sur ~25". Elle évolue à l'époque de la Réonisation lorsque l'Univers n'avait que 780 millions d'années soit environ 5% de son âge actuel, et que les premières étoiles et galaxies étaient en train de se former.

En combinant les composantes est et ouest de cette galaxie, sa masse totale de gaz est estimée à plus de 1021 M (contre ~1016 M pour la Voie Lactée pour les masses de gaz HII et H2), ce qui en fait une galaxie massive.

La détection des molécules d'eau comprenant donc de l'oxygène, et de carbone, est très instructive car il s'agit d'éléments de première génération, et dans les formes moléculaires de l'eau et du monoxyde de carbone, ils sont essentiels à la vie telle que nous la connaissons.

L'eau en particulier (H2O) est la troisième molécule la plus abondante dans l'univers après l'hydrogène moléculaire (H2) et le monoxyde de carbone (CO). Des études antérieures sur les galaxies évoluant dans l'univers local et primitif ont corrélé l'émission de l'eau avec celle de l'émission infrarouge lointaine de la poussière (CO). Cette poussière absorbant le rayonnement ultraviolet des étoiles de cette galaxie, elle se réchauffe et réémet ce rayonnement sous forme de photons infrarouges lointains. Ce rayonnement excite à son tour les molécules d'eau, provoquant son émission que le réseau ALMA a pu détecter. Dans ce cas-ci le travail des chercheurs fut facilité car cette galaxie est massive et produit énormément d'étoiles. Cette corrélation entre l'émission de la molécule d'eau et celle de la poussière, le monoxyde de carbone, pourrait être exploitée pour utiliser l'eau comme traceur de la formation des étoiles, qui pourrait ensuite être appliquée aux galaxies à l'échelle cosmologique.

Selon Jarugula, "Cette galaxie est la plus massive actuellement connue à fort décalage vers le rouge, à l'époque où l'univers était encore très jeune. Elle contient plus de gaz et de poussière que les autres galaxies de l'univers primitif, ce qui nous donne de nombreuses opportunités potentielles d'observer des molécules abondantes et de mieux comprendre comment ces éléments créateurs de vie ont eu un impact sur le développement de l'univers primitif."

La détection de ces deux molécules en abondance prouve que de l'oxygène et du carbone s'étaient déjà formés à cette époque précoce. On en déduit que des étoiles massives ont explosé en supernovae pour créer ces éléments qui ont ensuite formé des molécules qui se sont organisées en nuages moléculaires qui furent détectés par ALMA.

Cette découverte nous informe sur la façon dont les premières galaxies se sont formées et à quel rythme. Selon Jarugula, "Les premières galaxies forment des étoiles à un taux des milliers de fois supérieur à celui de la Voie Lactée. L'étude de la teneur en gaz et en poussière de ces premières galaxies nous informe sur leurs propriétés, telles que le nombre d'étoiles en cours de formation, la vitesse à laquelle le gaz est converti en étoiles, la manière dont les galaxies interagissent entre elles et avec le milieu interstellaire, etc."

A gauche, les images dans les raies moléculaires de l'eau (H2O) et du continuum de poussière du monoxyde de carbone (CO) détectées par ALMA dans la paire de galaxies massives primitives SPT0311-58 située à z = 6.9. La double image de la galaxie couvre ~25". A gauche, une image composite combinant les images dans les raies H2O et du CO. La colonne de droite montre le continuum de poussière en rouge (en haut), la raie moléculaire de l'eau en bleu (2e à partir du haut), les transitions des raies moléculaires du monoxyde de carbone, CO(6-5) en violet (au milieu), CO(7-6) en magenta (deuxième à partir du bas) et CO(10-9) ien rose et bleu foncé (en bas). Les données d'ALMA révèlent une abondance de H2O et de CO dans la plus grande des deux images de la galaxie, indiquant que la composition moléculaire de l'univers primitif s'est renforcée peu de temps après la formation initiale des éléments. A droite, une illustration artistique de cette galaxie. Documents ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/S.Dagnello (NRAO).

Mais il reste encore beaucoup à apprendre sur SPT0311-58 et les galaxies évoluant dans l'univers primitif et cette découverte soulève une nouvelle question. Selon Jarugula, "Cette étude fournit non seulement des réponses sur l'endroit et la distance où l'eau peut exister dans l'univers, mais pose également une grande question : comment tant de gaz et de poussière se sont-ils assemblés pour former des étoiles et des galaxies si tôt dans l'univers ? La réponse nécessite une étude plus approfondie de ces galaxies formatrices d'étoiles et similaires pour mieux comprendre la formation structurelle et l'évolution de l'univers primitif."

Le rayonnement UV serait à l'origine des supervents dans certaines galaxies

Les astronomes ont découvert dans certains galaxies stellairement très actives comme les galaxies starbursts et de Markarian des supervents soufflant jusqu'à 3000 km/s soit 1% de la vitesse de la lumière. C'est par exemple le cas dans NGC 2366, une galaxie naine bleue compacte ou BCD (Blue Compact Dwarf) dans laquelle se trouve la région ionisée Mrk 71 qui renferme deux jeunes amas stellaires encore tout auréolés de gaz comme on le voit sur les photos présentées ci-dessous. NGC 2366 est de magnitude apparente 11.4 et se situe à 10 millions d'années-lumière dans la constellation de la Girafe (Camelopardalis) et fait partie du groupe M81.

Jusqu'à présent les astronomes supposaient que ces vents très rapides et chauds (≥ 107 K) étaient engendrés par les explosions de nombreuses supernovae. Mais une équipe d'astronomes de l'Université du Michigan estime que les supernovae ne sont pas à l'origine de ces supervents.

A gauche, la galaxie NGC 2366 photographiée par l'amateur J.W. Inman. A l'extrémité droite de la galaxie se trouve la région ionisée HII Markarian 71 (Mrk 71) qui est agrandie au centre et à droite. La région rouge noyée dans un halo stellaire bleu pâle située au-dessus de la galaxie NGC 2366 est la galaxie naine NGC 2363. Au centre, une photo agrandie de Mrk 71 prise par le Télescope Spatial Hubble. A droite, une image composite de Mrk 71 avec la localisation des deux amas stellaires Knot A et Knot B (égalemernt dénommés Cluster A et Cluster B). La zone ionisée s'étend horizontalement sur plus de 13" ou 710 années-lumière. Documents NASA/ESA/L.Komarova et al. (2021) et M.S.Oey et al. (2017).

Selon les résultats d'une étude publiée dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021 par l'équipe de Lena Komarova de l'Université du Michigan, les auteurs proposent un autre mécanisme. En étudiant les propriétés du vent stellaire et des jeunes étoiles contenues dans les deux amas stellaires Knot A et Knot B de Mrk 71, les chercheurs ont constaté que les amas sont trop jeunes pour former des supernovae. Les chercheurs proposent que c'est le rayonnement ultraviolet des jeunes étoiles qui engendre ce supervent. Cette découverte pourrait aider à compendre comment débuta l'époque de la Réonisation au début de l'univers.

Pour rappel, juste après le Big Bang, l'univers était très dense et opaque au rayonnement, comme un brouillard que la lumière ne pénètre pas. Mais lorsque les premières étoiles se sont formées dans les premières galaxies, elles émettaient surtout dans l'ultraviolet. Cette émission ionisa l'essentiel du gaz contenu dans l'univers. Selon Komarova, "les atomes d'hydrogène neutre, qui constituent 92% du cosmos, formaient un épais "brouillard" opaque au début de l'univers. Mais lorsque la lumière des premières étoiles commença à percer, le rayonnement ultraviolet de ces jeunes étoiles brisa les atomes d'hydrogène. Une fois que l'hydrogène fut ionisé, il devint transparent car il ne pouvait plus capturer de photons UV. L'univers devint transparent, conduisant à "l'Aube cosmique" lorsque les premières étoiles apparurent. C'est ce processus que nous essayons de comprendre : comment peut-on obtenir un rayonnement UV suffisamment énergétique pour ioniser l'univers et pour former les galaxies sans que tout soit absorbé par l'hydrogène ?"

Les auteurs pensent que la réponse réside dans les supervents générés par le rayonnement UV des jeunes étoiles de ces galaxies.

La luminosité du gaz de la région HII Mrk 71 de NGC 2366 dans quatre plages de vitesses, montrant le comportement du supervent. Document L.Komarova et al. (2021).

Comme illustré ci-dessus, en examinant le spectre UV de l'hydrogène ionisé (la forêt Lyman alpha) de la région Mrk 71, Komarova et ses collègues ont pu étudier la structure dynamique du gaz et ont découvert un vent relativement faible (200-500 km/s) qui prit naissance dans l'amas stellaire le plus brillant de Mrk 71, dénommé Knot A. Les auteurs ont constaté que le paramètre d'ionisation dans l'amas Knot A et la densité de surface stellaire sont proches de leurs maxima théoriques et que la pression de radiation domine sur la pression du gaz. Combinés au manque de preuves d'une rétroaction des supernovae, cela implique un environnement dominé par les rayonnements. Selon Komarova, "Nous avons découvert que même si vous aviez des supernovae, il n'y aurait toujours pas assez d'énergie pour accélérer le gaz aux vitesses que nous observons. Nous avons comparé la force de radiation de la lumière stellaire sur le gaz à la force de la gravité, et nous avons constaté que le rayonnement est beaucoup plus fort que la gravité."

Selon les chercheurs : "un supervent noueux et radioactif provenant de Knot A est un modèle viable pour générer les vitesses extrêmes, et en particulier, que le continuum de Lyman et/ou l'opacité Ly-α en seraient responsables. [C'est] une signature distinctive de la rétroaction du rayonnement, et des vents radiatifs en particulier."

Les chercheurs proposent que ce processus d'ionisation dégage des voies de passage pour le rayonnement UV entre les régions d'hydrogène gazeux. Selon Komarova, "Ainsi, ce rayonnement UV peut en fait quitter l'amas où il est né et irradier dans le reste de l'univers pour l'ioniser. Cela ajoute une autre pièce au puzzle de l'ionisation de l'univers et fournit un mécanisme physique spécifique de la manière dont cela s'est produit."

Les ORC (Odd Radio Circle), d'étranges ronds dans le ciel

L'installation radioastronomique ASKAP gérée par le CSIRO installée à l'Observatoire de Radioastronomie Murchison dans l'ouest de l'Australie. Document CSIRO.

En septembre 2019, Anna Kapinska, une assistante de Ray Norris à l'Université de Western Sydney découvrit un étrange objet radio dans les données du sondage du continuum radio d'ASKAP (Australian Square Kilometer Array Pathfinder) à 944 MHz. En raison de sa forme inhabituelle, il fut nommé ORC (Odd Radio Circle signifiant Étrange Cercle Radio).

Cette découverte fut réalisée dans le cadre du sondage pilote EMU (Evolutionary Map of the Universe) qui vise à recenser les radiosources grâce à ASKAP. L'installation radioastronomique peut couvrir une zone d'environ 270° carrés avec une sensibilité efficace d'environ 30 µJy par faisceau, avec une résolution spatiale d'environ 12". Les chercheurs estiment que EMU pourrait détecter quelque 70 millions de radiosources, contre les 2.5 millions cataloguées à ce jour grâce au sondage NVSS (VLA Sky Survey) du NRAO.

Peu après, deux autres radiosources, ORC-2 et ORC-3, très proches l'une de l'autre, furent découvertes dans les données d'ASKAP.

Par l a suite, Norris et ses collègues s'aperçurent que ORC-1 et ORC-2 avaient déjà été détectés à 88-154 MHz par le MWA (Murchison Widefield Array).

Des observations de suivi de ORC-1 et ORC-2 furent ensuite réalisées avec l'ATCA (Australia Telescope Compact Array) qui détecta les deux objets à 2.1 GHz.

Puis ORC-4 fut découvert dans des archives de mars 2013 enregistrées à 325 MHz par le radiotélescope GMRT (Giant Metrewave Radio Telescope) installé en Inde. S'il est similaire aux autres ORC, il s'en diffère par sa source centrale d'émission.

La découverte des ORC fit alors l'objet d'un premier article rédigé par l'équipe de Ray Norris publié par l'Astronomical Society of Australia en 2021 (en PDF sur arXiv).

Ensuite ORC-5 alias ORC J0102-2450 fut découvert en 2021 par ASKAP à 944 MHz. Il est superposé ou associé à la galaxie elliptique DES J010224.33–245039.5 située à z ~ 0.27 soit plus de 3.1 milliards d'années-lumière. Cette galaxie représente une masse stellaire estimée à 1011 M et abriterait un trou noir supermassif d'environ 750 millions de masses solaires. Mais on ignore pour l'instant s'il existe une interaction entre ORC-5 et cette galaxie.

Comme le montre la carte du ciel présentée ci-dessous à gauche, ORC-5 se situe à seulement 3.1° de NGC 253, une belle galaxie spirale de Seyfert située dans le Sculpteur, de magnitude 7.2 et mesurant ~30'x7'. Elle fut justement étudiée aux basses fréquences de 27 et 227 MHz par Kapinska en 2017 au moyen du MWA mais qui ne s'attendait pas à revenir dans cette zone pour découvrir un ORC ! Comme quoi, une découverte tient parfois à un léger décalage de fréquence...

Deux radiosources que tout sépare et que tout rapproche dans le sens ou ORC-5 (ORC J0102-2450) est séparée de seulement 3.1° de la galaxie de Seyfert NGC 253. Document T.Lombry/Aladin.

L'étude de ORC J0102-2450 fit l'objet d'un article publié dans les "MNRAS" en 2021 (en PDF sur arXiv) par l'équipe de Bärbel S. Koribalski de l'Australian Telescope National Facility. Ces radiosources firent également l'objet d'un article de vulgarisation publié sur le site Space Australia le 1 mai 2021.

Les ORC ressemblent à d'immenses anneaux ou à des disques d'émissions radio diffuses qui, jusqu'à présent, n'ont pas été détectés à d'autres longueurs d'ondes; ils sont invisibles en optique (visible et infrarouge) et en rayons X. Autre bizarrerie, les ORC se situent à des latitudes galactiques élevées, à bonne distance du plan galactique.

En fait, les ORC sont des sphères de gaz apparaissant sous forme d'anneaux par effet de perspective. Elles résultent de processus énergétiques se déroulant au centre des galaxies bien que la nature exacte de ce processus soit inconnue.

ORC-1 mesure environ 80" de diamètre et est pratiquement circulaire. Selon Norris, "Il présente une surface remplie avec des taches plus brillantes en périphérie. L'analyse du flux radio et le calcul de son indice spectral suggèrent qu'il s'agirait d'une vieille population d'électrons qu'on retrouve souvent dans les SNR, les halos des amas et les radiogalaxies mourantes." Curieusement, ORC-1 semble associé à une petite galaxie elliptique située en son centre mais l'interaction éventuelle doit encore être confirmée.

ORC-2 mesure également environ 80" de diamètre et ressemble à ORC-1 mais présente une structure radio différente avec deux puissants composants dans le secteur nord-est.

ORC-3 est situé juste à l'est de ORC-2 et mesure environ 90" de diamètre. Il est détectable par ASKAP mais est trop faible pour ATCA et MWA.

ORC-4 mesure environ 70" de diamètre soit 978000 années-lumière; il est presque deux fois plus étendu que la partie visible de la Voie Lactée ! ORC-4 est marginalement détectable à 150 MHz dans le sondage TGSS du GMRT et à 1.4 GHz dans le sondage NVSS.

Etant donné que ORC-3 et ORC-4 ne présentent pas de galaxie centrale, Norris pense qu'il s'agit peut-être d'objets différents des autres ORC. A confirmer.

Enfin, ORC-5 mesure ~90" de diamètre. Selon Norris, le fait qu'il présente un arc plus brillant du côté est suggère qu'il pourrait s'agir d'une queue qui est orientée du sud-est vers le nord et donc provenir d'un objet compact invisible ou l'effet d'une interaction avec le milieu intergalactique qui reste à découvrir. Cette hypothèse pourrait aussi expliquer la stucture de ORC-1 et la présence des galaxies à proximité.

A gauche, image du continuum radio de la radiosource ORC-1 découverte en septembre 2019 dans les données d'ASKAP superposée à une image RGB composite extraite du sondage DES (Dark Energy Survey). Notez les deux galaxies brillantes près des lettres "C" et "S". Au centre, image radio de ORC-1 superposée à une image RGB de DES avec un traitement supplémentaire pour faire ressortir l'émission diffuse (en vert). On distingue une galaxie orange au centre de l'ORC. On ignore encore si elle est en interaction avec lui. A droite, une image du continuum radio de ORC-4 obtenue par le GMRT à 325 MHz superposée à une image optique du SDSS. Documents R.Norris et al./CSIRO (2020).

Les chercheurs rappellent que "plusieurs classes d'évènements transitoires, capables de produire une onde de choc sphérique, ont été récemment découvertes, telles que des sursauts radio rapides (FRB), des sursauts gamma (GRB) et les fusions d'étoiles à neutrons. Cependant, en raison de la grande taille angulaire des ORC, de tels phénomènes transitoires se seraient produits dans un lointain passé."

Selon les chercheurs, "Tous les ORC présentent au centre de leurs anneaux concentriques une galaxie elliptique." Ils estiment que ce n'est pas une coïncidence et que les ORC ayant une galaxie en leur centre peuvent être communs, ce qui pourrait les aider à mieux comprendre les mécanismes de formation de ces radiosources.

Selon Koribalski et ses collègues : "A première vue, les ORC ressemblent à des rémanents de supernova (SNR) et pourraient donc être le résultat d'une onde de choc géante engendrée par un évènement transitoire (par exemple, un trou noir supermassif binaire ayant mergé, une hypernova ou un sursaut de rayons gamma remontant à plusieurs millions d'années."

"Il est également possible que les ORC représentent une nouvelle catégorie d'un phénomène connu, comme les jets d'une radiogalaxie ou d'un blazar lorsqu'ils sont vus de bout en bout, dans le 'tonneau' du jet. Alternativement, ils peuvent représenter un rémanent d'un précédent flux émergeant d'une radiogalaxie."

Dans un article non validé publié sur "arXiv" en 2020, deux scientifiques russes ont même suggéré que les ORC pourraient être les "bouches" de trous de vers. Actuellement aucune hypothèse n'est écartée (ou peut-être juste le trou de ver très spéculatif) et les radioastronomes recherchent d'autres ORC pour les vérifier.

A gauche, image de ORC-2 et ORC-3 reconstruite à partir du continuum radio d'ASKAP à 944 MHz lors du sondage pilote EMU, avec un traitement supplémentaire pour souligner l'émission diffuse. A droite, le continuum radio de la radiosource ORC-5 enregistré par ASKAP superposé à une image RGB extraite du sondage DES (Dark Energy Survey). Les trois vignettes sont des images DES des trois galaxies détectées dans le champ avec leurs décalages Doppler photométriques moyens (en haut, la galaxie d'arrière-plan; au milieu, la galaxie centrale; en bas la galaxie du sud-est). Documents R.Norris et al./CSIRO (2021) et B.S.Koribalski et al./CSIRO (2021).

Selon Norris, "Nous en avons trouvé une poignée dans 300° carrés de ciel, et nous nous attendons à ce qu'ils soient répartis plus ou moins uniformément dans le ciel, ce qui signifie qu'il y en a probablement environ 500 à 1000 en attente d'être découverts." Les chercheurs ont donc sollicité leurs collègues pour les détecter. Depuis ces découvertes, la bande de fréquences comprise entre 800 et 1088 MHz est réservée à la recherche des ORC.

Norris conclut : "Ces cercles dans l’espace ne se voient que dans des longueurs d'ondes radio et sont probablement composés de nuages d’électrons. Mais pourquoi ne voyons-nous rien dans les longueurs d'ondes lumineuses visibles ? Nous ne savons pas, mais trouver un puzzle comme celui-ci est le rêve de tout astronome."

ORC J0624–6948 : le premier SNR intergalactique ?

Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2022 (en PDF sur arXiv), une équipe internationale d'astronomes a découvert un anneau radio de faible luminosité de surface entre le plan galactique de la Voie Lactée et le Grand Nuage de Magellan (LMC). Dénommé ORC J0624-6948, il fut détecté à 888 MHz grâce au réseau radioastronomique australien ASKAP (Australian Square Kilometre Array Pathfinder). L'objet mesure environ 196" soit 155 années-lumière de diamètre et présente des similitudes avec les ORC précités.

Toutefois l'objet s'en différencie significativement en raison d'un indice spectral radio plus plat, l'absence d'une galaxie centrale proéminente comme hôte possible et une taille apparente plus grande. Selon les auteurs, il pourrait donc s'agir d'un type d'objet différent.

Selon les auteurs, l'explication la plus plausible est qu'il s'agirait du rémanent d'une supernova intergalactique de Type Ia dont l'étoile progénétrice, peut-être organisée en système binaire, résidait dans la périphérie du LMC. Parmi les autres hypothèses, il pourrait s'agir des jets provenant d'un trou noir supermassif actif distant ou du reste d'une superéruption stellaire proche du centre galactique.

A gauche, image composite en couleurs arbitraires de ORC J0624-6948 (RGB, radio de l'ATCA à 5500 MHz et X entre 0.3-10 keV) et de tous les objets dans le champ. L'image dans l'encart est prise en RGI. Voici l'image sans légende. A droite, la localisation de l'objet dans l'hémisphère sud, près du LMC. Documents M.D. Filipović et al. (2022) et T.Lombry.

Selon Miroslav Filipovic de l'Université de Western Sydney en Australie et auteur principal de cet article, "Ce que nous avons alors potentiellement découvert est un vestige unique d'une supernova qui s'est développée dans un environnement intergalactique raréfié, un environnement que nous ne nous attendions pas trouver dans un tel objet. Nos estimations indiquent un âge d'environ 2200 à 7100 ans."

Bien que les SNR n'aient pas tendance à être circulaires, ce ne serait pas le premier exemple pour citer SN 1987A qui explosa dans le Grand Nuage de Magellan. Si les scientifiques ont raison, ORC J0624–6948 serait le premier SNR intergalactique découvert à ce jour.

Les futures observations devraient permettre de lever les incertitudes. De plus, davantage d'observations avec l'ASKAP et son homologue sud-africain MeerKAT pourraient aider les chercheurs à identifier d'autres ORC dans le ciel, leur offrant une vision plus complète de leur diversité, ce qui leur donnera plus de chances de comprendre ce qu'ils sont réellement.

Les filaments cosmiques seraient en rotation

Nous savons que les corps célestes, des planètes aux étoiles en passant par les galaxies, tournent sur elles-mêmes. En revanche, les amas de galaxies ne tournent pas du tout ou très lentement. Jusqu'à présent, on pensait que la rotation s'interrompait à l'échelle des grandes structures cosmiques. Mais dorénavant cette idée doit être écartée.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2021, Noam I. Libeskind de l'Institut Leibniz d'Astrophysique de Potsdam, en Allemagne, et ses collègues ont découvert que les filaments cosmiques constitués de centaines de galaxies qui s'étendent sur des centaines de millions d'années-lumière (cf. cette simulation) semblent également tourner sur eux-mêmes. Il s'agirait des plus grandes structures en rotation de l'univers.

A gauche, si on considère que la signification statistique ou fiabilité de la corrélation ΔzAB est compatible avec le hasard, alors on peut l'afficher en fonction de la "température" dynamique du filament, zr.m.s./ΔzAB, dans laquelle ΔzAB est la différence de décalage vers le rouge des galaxies entre les régions se rapprochant et celles s'éloignant de chaque filament. Plus cette quantité est élevée, plus il est improbable que ΔzA soit aléatoire. La couleur de chaque point indique le nombre de galaxies dans chaque filament. L'échelle de droite indique le nombre de galaxies dans la région A ou la région B. A droite, la vitesse de rotation des filaments en fonction de la distance (en Mpc) entre les galaxies et l'épine dorsale du filament (en projection). La vitesse de rotation est calculée par cΔz, où z est la différence de décalage vers le rouge des galaxies à une distance donnée par rapport au décalage vers le rouge du filament. La distance des galaxies par rapport au centre du filament est affichée en rouge dans les régions en récession et en bleu dans les régions se rapprochant. Documents N.I. Libeskind et al. (2021).

Des études antérieures ont suggéré qu'au cours de l'évolution de l'Univers, une grande partie du gaz probablement combiné à de la matière sombre et froide s'est effondré pour former les galaxies. Elles se sont ensuite rassemblées pour former des amas de galaxies qui se sont eux-mêmes rassemblés dans des superamas de galaxies qui ont fini par s'agglutiner et former les immenses filaments noueux de la toile cosmique.

À l'aide des données du sondage SDSS (Sloan Digital Sky Survey), les chercheurs ont examiné plus de 17000 filaments, analysant la vitesse à laquelle les galaxies composant ces structures géantes se déplaçaient. Pour se faire ils ont statistiquement approximé les filaments de galaxies par des cylindres. Au sein de chaque cylindre, les galaxies ont été divisées en deux régions A et B autour de l'axe central ou épine dorsale du filament (en projection). Ils ont ensuite mesuré le décalage Doppler (vers le rouge et vers le bleu) des galaxies au sein de chaque région et calculé leur vitesse relative par rapport à l'axe du filament. Ils ont découvert que ces galaxies tournaient autour de l'épine centrale de chaque filament comme le montrent les graphiques ci-dessus.

Les galaxies les plus rapides se déplacent autour du centre évidé de ces filaments à des vitesses atteignant environ 100 km/s. Les chercheurs soulignent que si les filaments individuels ne semblent pas tourner sur eux-mêmes, il semble exister des filaments en rotation.

Les chercheurs ont également remarqué que l'ampleur de la rotation est proportionnelle à l'angle d'observation et à l'état dynamique du filament. La rotation est plus apparente lorsque le filament est observé de face. De plus, plus les halos de galaxies situés aux extrémités des filaments sont massifs, plus la rotation est décelable. Cette corrélation pourrait être un indice permettant aux chercheurs de comprendre le mécanisme à l'origine de cette rotation.

La grande question est de savoir pourquoi ces filaments tournent-ils ? Et indirectement, sous l'effet de quelle impulsion initiale et depuis quand, c'est-à-dire à quelle époque ou à quel stade de l'évolution de l'Univers et des galaxies cette rotation s'est déclenchée ?

Selon Libeskind, en théorie le Big Bang n'a pas donné d'impulsion initiale aux structures primordiales de l'univers primitif. Par conséquent, ce qui a mis en rotation ces filaments est apparu plus tard dans l'histoire de l'Univers, au fur et à mesure que les structures se sont formées.

Une origine possible de cette rotation est que les puissants champs gravitationnels engendrés par ces filaments ont forcé le gaz, la poussière et d'autres matériaux, à s'effondrer ensemble, et que les forces de cisaillement résultantes auraient déclenché la rotation de toute cette matière. Mais selon Libeskind, pour le moment "nous ne savons pas vraiment ce qui peut provoquer un couple à cette échelle." Le mystère est entier.

SPT0418-47, une galaxie semblable à la Voie Lactée à 12.2 milliards d'années-lumière

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2020, grâce au réseau radioastronomique ALMA ( Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) installé au Chili, Francesca Rizzo de l'Institut Max Planck d'Astrophysique et ses collègues ont découvert une galaxie semblable à la Voie Lactée cataloguée SPT0418-47 à z = 4.2 soit plus de 12.2 milliards d'années-lumière de la nôtre.

Cette découverte soulève un problème astrophysique car les astronomes ne s'attendaient pas à ce qu'une galaxie de ce type existe seulement 1.5 milliard d'années après le Big Bang. En effet, selon les modèles, les premières galaxies sont extrêmement instables et ne ressemblent pas du tout à la Voie Lactée.

A voir : SPT0418-47: lensed view to reconstructed view, ESO

Gravitational lensing of the distant SPT0418-47 galaxy (schematic)

A gauche, image obtenue par ALMA de la galaxie SPT0418-47 située à z = 4.2 ou 12.2 milliards d'années-lumière déformée par une lentille gravitationnelle située à l'avant-plan (mais invisible). A droite, sa reconstruction. Voir aussi les vidéos ci-dessus. Documents ALMA/ESO.

Dans un communiqué de l'ESO, Rizzo déclara que "ce résultat constitue une véritable percée dans le domaine de la formation des galaxies. Il atteste que les structures que nous observons au sein des galaxies spirales proches de la nôtre ainsi que dans notre propre Voie Lactée étaient déjà en place voici 12 milliards d’années."

Les chercheurs ont identifié des caractéristiques distinctes telles qu'un disque en rotation et un renflement central où se ressemblent un grand groupe d'étoiles, un peu comme la Voie Lactée.

Selon Filippo Fraternali de l'Institut d'astronomie Kapteyn de l'Université de Groningue aux Pays-Bas et coauteur de cet article, "Le fait que cette galaxie ressemble tant aux galaxies proches de la nôtre constitua une véritable surprise. Ce résultat va à l’encontre de l’ensemble des prévisions des simulations numériques et des données d’observations antérieures, moins détaillées."

Le problème est qu'il est presque impossible d'obtenir une image détaillée d'une galaxie située à 12 milliards d'années-lumière, même avec les plus grands télescopes actuels de 8 à 10 m de diamètre. Heureusement, grâce à une galaxie massive située à l'avant-plan et faisant office de lentille gravitationnelle - qui est à l'origine de la forme circulaire de l'image de la galaxie -, les astronomes ont pu profiter de son effet amplificateur pour distinguer des détails sans précédent dans SPT0418-47.

Les chercheurs se sont ensuite appuyés sur des techniques de modélisation informatique pour reconstruire la forme de la galaxie. Selon Simona Vegetti de l'Institut Max Planck d'Astrophysique et coauteure de cette article, "Ce que nous avons découvert est assez déroutant : bien qu’elle forme des étoiles à un rythme élevé et qu’elle soit le siège de processus hautement énergétiques, SPT0418-47 est le disque galactique le mieux ordonné observé à ce jour dans le jeune Univers [...] Ce résultat particulièrement inattendu bouleverse notre perception de l’évolution des galaxies."

Les chercheurs espèrent utiliser le futur télescope ELT de 39 m de diamètre qui devrait voir sa première lumière en 2025 pour observer de plus près et mieux comprendre à quoi ressemblaient les galaxies peu de temps après le Big Bang.

Troisième partie

Découverte de filaments diffus de gaz dans l'espace profond

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[1] Les fans de John R.R. Tolkien reconnaîtront sans doute ce nom malgré l'orthographe légèrement différemment qui fait référence à Eärendil, le marin demi-elfe qui transporta un joyau céleste dans le ciel dans son livre "Le Silmarillion". Tolkien trouva l'inspiration pour ses œuvres dans le trio de poèmes du Xe siècle intitulé "Crist", dont une ligne (traduite du vieil anglais) se lit comme suit : "Je vous salue Éarendel, le plus brillant des anges, envoyé sur la Terre du Milieu à l'humanité". La nature d'Éarendel est débattue mais il est communément identifié comme "l'étoile du matin". Welch étant un grand admirateur de Tolkien, "c'était l'une des premières idées de noms qui me sont venues à l'esprit pour désigner une étoile lointaine. Quand j'ai approfondi la question et découvert que le vieux mot anglais Earendel faisait en fait référence à une étoile du matin, j'étais à peu près convaincu par ce nom."


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