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L'extinction des dinosaures La fragmentation de l'astéroïde Baptistina (II) Taille et origine du corps parent Des simulations numériques publiées dans la revue "Nature" en 2007 par des chercheurs du SwRI en Arizona et de la Charles University (Karlova) de Prague suggèrent que le corps parent de l'impacteur de Chixculub devait mesurer quelque 170 km de longueur et infléchit sa trajectoire suite à une perturbation qui le dévia vers le système solaire interne. Ce corps parent se serait ensuite fracturé pour former les astéroïdes de la famille Baptistina. Ainsi que le montre l'illustration présentée à droite, ces fragments seraient à leur tour entrés en collision dans la partie intérieure de la Ceinture des astéroïdes il y a environ 160 millions d'années. Les chercheurs du SwRI ont abouti à cette conclusion en analysant les données de plusieurs fragments de cet objet dont celui de l'astéroïde 298 Baptistina justement, un corps de 13 à 30 km de longueur découvert en 1890 (cf. ce document de 1893) dans la Ceinture des astéroïdes. Ce petit corps de type C brille à la magnitude 11 et se déplace à environ 20 km/s soit 72000 km/h sur une orbite inclinée à 6.28° sur le plan de l'écliptique. A partir de ces données, les chercheurs ont modélisé l'évolution de la trajectoire des fragments et sont remontés jusqu'à l'époque de la fragmentation du corps parent dans la Ceinture d'astéroïde, en tenant compte des forces thermiques qui modifièrent leur trajectoire à mesure qu'ils absorbaient et réémettaient le rayonnement solaire. Ils ont découvert que cette fragmentation s'est produite il y a 160 ±20 millions d'années. Les fragments auraient suivi une trajectoire les écartant de la Ceinture des astéroïdes et les rapprochant du système Terre-Lune, provoquant une augmentation significative du nombre d'impacts météoritiques sur ces astres dont le pic d'activité est survenu il y a 100 millions d'années. Aux dernières estimations, le cratère Tycho (85 km de diamètre et 4.8 km de profondeur) aurait été formé il y a 108 millions d'années. Les deux impacts de Chicxulub et Tycho correspondent aux tracés des fragments du corps parent de Baptistina. En complément, le modèle indique une augmentation de la fréquence des impacts sur la Lune au cours des derniers 150 millions d'années. Des chercheurs ont également essayé de déterminer la nature de l'impacteur à l'origine du cratère de Chicxulub. De nombreux études dont les simulations du SwRI suggèrent que l'impacteur serait non pas une comète mais un astéroïde de la famille des chondrites carbonées (type C) provenant de la Ceinture principale. Mais de nouvelles analyses contredisent cette possibilité. Selon une étude publiée dans la revue "Science" en 2024, l'impacteur proviendrait de bien plus loin. Une équipe internationale de scientifiques dirigée par le géologue Mario Fischer-Göddes de l'Université de Cologne analysa la composition des métaux découverts à Chixculub et l'ont comparée à celle des roches de cinq autres sites météoritiques dont trois cratères d'impacts terrestres et des couches de sphérules formées à d'autres époques (des cratères de 36 à 470 millions d'années et des sphérules de 3.5 à 3.2 milliards d'années). Selon Philippe Claeys, géologue à la VUB et coauteur de cet article, le rapport isotopique du ruthérium (44Ru), un métal de la famille des platines comme l'iridium, est différent à Chixculub que dans les autres cratères d'impacts et dans les sphérules analysées. Les signatures isotopiques des autres sites analysés suggèrent que les impacteurs étaient des astéroïdes siliceux (rocheux), de type S, alors qu'à Chixculub, le rapport isotopique spécifique du ruthérium suggère que l'impacteur était un astéroïde carboné, de type C, et évoluait à l'origine au-delà de l'orbite de Jupiter, peut-être même dans la région de la Ceinture de Kuiper. Actuellement on ne peut pas en dire plus et d'autres études devront départager les deux théories. Masse de l'impacteur Quant à la masse de l'impacteur, il faut procéder par approximation à partir de la taille du cratère. Si on considère un astéroïde sphérique de 10 km de diamètre, poreux et peu dense formé d'un aggrégat de roches éparses d'une densité moyenne de 1.5 (mais c'est peu probable), sa masse déduite de son volume atteint 7.9 x 1014 kg (cf. le recueil d'exercices d'astronomie). S'il s'agit d'un corps rocheux d'une densité de 3.0, sa masse atteint 1.6 x 1015 kg. Si sa densité est de 5.0, sa masse atteint 2.6 x 1015 kg. S'il mesure 15 km de diamètre pour une densité de seulement 3.0, sa masse atteint 5.3 x 1012 kg. Mais si sa densité est de 7.8 comme celle du fer, alors sa masse serait de 1.4 x 1016 kg. C'est l'ensemble de ces données complétées par les résultats des études climatiques de Kevin Pope, Julia Brugger et leurs collègues que nous allons à présent rassembler en proposant un scénario plausible de ce qui s'est produit au moment de l'impact météoritique à Chixculub et de ses conséquences. Scénario d'une extinction En supposant que nous connaissons à présent l'origine du cratère de Chicxulub et du corps qui lui a donné naissance, voyons comment les spécialistes ont reconstitué les évènements qui suivirent l'impact sur notre planète. Nous détaillerons d'abord les effets à court terme comme le fall-out et les tsunamis puis nous détaillerons les effets à long terme, en particulier le changement de climat. Il y a environ 160 millions d'années, sous l'effet du chaos et de l'influence gravitationnelle du Soleil, un fragment de l'astéroïde Baptistina mesurant au moins 10 km de diamètre et relativement peu dense (poreux) s'écarta lentement de la Ceinture des astéroïdes. Il gravita seul autour du Soleil pendant près de 100 millions d'années, se rapprochant progressivement de la Terre dans une étreinte en spirale dont l'emprise allait être mortelle. L'impact Il y a 66 millions d’années, cet astéroïde suivit une trajectoire de collision avec la Terre. S'il y avait eu des observateurs à cette époque, pendant quelques jours ils auraient pu l'observer à l'oeil nu telle une étoile très brillante, augmentant rapidement d'éclat à mesure que les heures et les jours passaient. Le jour fatal il pénétra dans l'atmosphère terrestre à plus de 20 km/s. Son extrémité était encore au sommet de la basse atmosphère quand son front s'écrasa sur le plateau sous-marin du Yucatan, au Mexique.
Selon une étude publiée dans la revue "Nature Communications" en 2020, Gareth S. Collins de l'Imperial College de Londres et ses collègues ont montré sur base des asymétries dans la structure souterraine du cratère de Chicxulub mesurées au cours de l'Expédition 364 de l'IODP/ICDP et la comparaison avec des simulations numériques 3D que l'impacteur suivait une trajectoire fortement incliné, entre 45 et 60° par rapport à l'horizontale, et venait du nord-est. Les auteurs soulignent que l'impact n'aurait pas pu se produire sous un faible angle (< 30°) car cela aurait distribué les éjecta de manière presque symétrique et libéré plus de gaz dans l'atmosphère qu'un impact très peu profond ou presque vertical. Formation du cratère d'impact Selon les chercheurs, le fait que le soulèvement du manteau est décalé par rapport au bord du cratère final est une conséquence de la reconfiguration de la partie la plus profonde du cratère transitoire par rapport au centre du cratère final. Les observations géophysiques réalisées à Chicxulub suggèrent que les centres de l'anneau de pics et du soulèvement du manteau sont décalés dans des directions différentes, approximativement opposées. Du fait de l'incertitude dans les emplacements précis des centres du cratère, de l'anneau de pics et du soulèvement du manteau, et sur base des résultats des simulations, les chercheurs estiment que la configuration observée correspondrait à un impact à 60° à 12 km/s (ou peut-être à un impact à 45° à 20 km/s).
Ce phénomène d'impact excessivement rare provoqua une catastrophe globale. Son indice d'explosivité a été estimé à VEI 8 sur une échelle qui va de 0 à 8, chaque degré étant 10 fois plus intense que le précédent ! A titre de comparaison, l'explosion du volcan de Santorin en mer Egée en 1650 avant notre ère atteignit l'indice VEI 5, tout comme l'explosion du St.Helens en 1980, tandis que l'explosion du Krakatoa en 1882 atteignait l'indice VEI 6. Seules les explosions des supervolcans de Yellowstone et Toba atteignirent l'indice VEI 8. Et tous deux eurent un impact majeur sur le climat et la biodiversité au point que l'humanité manqua de disparaître après l'explosion de Toba il y a 73000 ans. Face à des conséquences aussi dramatiques, l'impact du C/Pg devait donc fatalement conduire à l'extinction de la plupart des espèces par les effets secondaires qu'il provoqua (incendies, retombées de gaz et d'acides, tremblements de terre, tsunamis et refroidissement à l'échelle globale). En 2019, une équipe de chercheurs dirigée par Sean P. Gulick précité publia dans les "PNAS" les résultats d'une nouvelle analyse du cratère de Chicxulub basée sur les données provenant du site M0077. A voir : Chicxulub Tsunami, UCSC
Selon Gulick, ce qui se produisit juste après l'impact rappelle la scène d'un holocauste nucléaire moderne combiné à des désastres naturels extrêmes qu'il est difficile d'imaginer. Toutefois sur base des résultats des analyses effectuées sur le site et dans toutes les régions du monde dont les données furent ensuite modélisées et firent l'objet de simulations, avec son équipepour la première fois ils ont pu reconstruire la suite des évènements et avoir une idée de ce qui s'est produit après l'impact et notamment comment se forma le cratère. Selon les auteurs, quelques minutes après l'impact, la roche du soubassement située au centre du point d'impact qui s'était soulevée s'est effondrée vers l'extérieur pour former un anneau de pics recouvert de roche en fusion. En quelques minutes, l'anneau de pics fut recouvert d'environ 40 m de roche fondue (lave) composés de brèches et de suévite à grain grossier, y compris de clastes (fragments) éventuellement générés par des interactions entre l'eau et la matière en fusion lors de la réformation de l'océan. Au bout d'une heure, le sommet de l'anneau émerga des flôts, déposant une couche de suévite de 10 m d'épaisseur dont les particules eurent le temps de se polir et d'être triées. En quelques heures, le dépôt se forma par sédimentation et seiche (l'oscillation de l'eau), donnant lieu à une couche sédimentaire de suévite triée de 80 m d'épaisseur dans le cratère inondé.
En l'espace d'une journée, l'onde de retour du tsunami (voir plus bas) atteignit le cratère, déposant une couche fine de gravier sableux enrichie en hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH) recouverte de fragments de charbon de bois. Le cratère étant profond et ouvert sur l'océan, il fut rapidement submergé, présentant des taux d'accumulation de sédiments parmi les plus élevés jamais enregistrés. Ensuite, les charbons de bois précités et la rareté des évaporites riches en soufre supportent l'idée que l'impact déclencha de violents incendies conduisant au refroidissement rapide et à l'obscurcissement de l'atmosphère. On y reviendra. L'onde de choc L’énergie de l'impact estimée à 100 millions de mégatonnes de TNT (certains études citent 100 milliards de MT de TNT) soit plus de 6600 milliards de fois l'explosion d'Hiroshima (15 kt de TNT) fut convertie en onde de choc et en chaleur. On estime qu'en moins d'une seconde elle forma une dépression de 10 km de diamètre et de 13 km de profondeur qui se transforma au bout de 2 minutes en un cratère d’impact de plus de 192 km de diamètre (voir page précédente) qui libéra dans l’atmosphère une quantité extraordinaire de poussière, de roches en fusion, de débris, de vapeurs brûlantes et de gaz toxiques. La collision aurait généré une pression d'environ 660 GPa soit plus élevée que celle qui règne au centre de la Terre (360 GPa) ! Selon les géophysiciens, sous la puissance développée par l'impact, une onde choc se forma et se déplaça entre 50000 et 64000 km/h (jusqu'à 18 km/s) dans toutes les directions et notamment vers l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie qui abritaient une grande population de dinosaures. En une minute, l'onde choc parcourut plus de 1000 km et atteignit la côte ouest de l'Europe 8 minutes après l'impact.
Au moment de l'impact, des ondes de chocs séismiques extrêmement intenses ont parcouru tout le globe et se sont répercutées pendant plusieurs mois à travers la planète, réveillant localement les volcans éteints ou assoupis ainsi que les zones de fractures qui commencèrent immédiatement à générer des tremblements de terre et à libérer des gaz suffoquants et de la lave. L'énergie de l'impact fut si violente qu'elle équivaut à celle d'un grain de sable hypersonique percutant une balle de bowling. L'énergie fut si puissante et la chaleur si élevée qu'elle transforma la mer avoisinante en vapeur et pénétra de plusieurs kilomètres dans l'écorce terrestre. En réaction, la croûte rocheuse fut poussée vers le haut formant une chaîne de montagnes plus haute que l'Himalaya qui s'effondra ensuite en formant l'étrange anneau de pics de 192 km de diamètre qu'on peut observer aujourd'hui sous l'eau à 40 km des côtes et à 60 km au nord de Chicxulub (et 75 km de Mérida), au Mexique. Ces évènements se sont déroulés en l'espace de 10 minutes. La chaleur et les incendies Sous l'impact, une boule de feu radioactive atteignant 18000°C et mesurant 1000 km de diamètre se forma et se propagea dans toutes les directions à la surface de la Terre. Sous l'effet de l'impact, l'explosion déversa 50000 km3 de débris dans l'atmosphère. En quelques secondes, les éjecta en fusion libérés sous l'impact provoquèrent une augmentation brutale de la température de l'air jusqu'en haute altitude. En quelques minutes seulement, des feux de forêts se déclenchèrent dans un rayon d'au moins 2500 km autour du point d'impact (cf. B.C. Kneller et al., 2022). Selon les chercheurs, ils furent soit déclenchés par la boule de feu soit par la retombée dans l'atmosphère des gouttes de roche en fusion (sous forme de lave). C'est la première fois qu'une étude parvient à déterminer l'origine des incendies survenus lors de cet impact. L'analyse de l'écorce des arbres fossilisés montra également que les incendies avaient commencé avant l'arrivée du mégatsunami qui déferla peu après sur la région. Les incendies déclenchés sur les côtes ont duré moins longtemps que les autres du fait qu'ils furent éteints par le mégatsunami qui les balaya tous.
Le nuage d'éjecta contenait des blocs de pierre dont la taille oscillait entre celle d'une maison et d'une petite ville. En retombant au sol, certaines pierres se sont transformées en météorites incandescentes accompagnées de laves partiellement vaporisées qui se sont respectivement transformées en météorites en fusion et en pluie brûlante. L'air devint si chaud que les végétaux et les animaux succombèrent sous les effets de la chaleur, ceux qui survécurent mourant le corps transpercé par les éclats de roche, écrasés ou brûlés vifs par les éjecta. Aux antipodes, à 12000 km de distance, le nuage d'éjecta d'une température de 800°C tomba sur l'Asie centrale et notamment sur la Mongolie à la vitesse de 16000 km/h. Chaque seconde, la température augmenta de quelques degrés. Au-dessus de 50°C, les animaux qui n'avaient pas trouvé refuge dans des abris ou dans l'eau suffoquèrent et perdirent connaissance. A partir de 65°C, les animaux commencèrent à cuire sur place et périrent en quelques minutes. A plus de 90°C, la survie se compta en secondes. Trois minutes après l'impact, la température du sol de la Mongolie atteignit 150°C. Toutes les formes de vie qui n'ont pu se protéger moururent. Dans le nord-ouest du Pacifique, les vallées profondes et l'humidité ambiante ont protégé la faune et la flore pendant quelques minutes de plus. Mais partout le feu surgit et envahit les terres. Les animaux restés à l'air libre furent brûlés vifs ou suffoquèrent avant d'être carbonisés. En moins d'une heure, tous les organismes vivants à la surface de la terre existant en Amérique du Nord et Centrale ont été brûlés vifs par l'onde de chaleur. A plus de 500 km de l'impact, les animaux furent soufflés par l'onde choc ou blessés mortellement par des débris se déplaçant à des vitesses supersoniques. A plus grande distance, ils moururent intoxiqués par lez gaz ou étouffés par les cendres (résidus incombustibles) et la suie (un dépôt carboné formé lors de la combustion incomplète de la biomasse). Ailleurs sur la planète, les organismes vivants n'eurent qu'un répit de quelques heures, le temps que l'onde de chaleur et les cendres les atteignent. Ce fut notamment le cas en Asie centrale où pratiquement tous les grands dinosaures ont disparu en quelques mois, quelques rares individus ayant survécu quelques années après la catastrophe.
Seuls les animaux pouvant se cacher et vivants notamment dans les terriers, cavernicoles ou capables de s'abriter sous terre, sous l'écorce des arbres ou dans les troncs épais, dans les grottes ou dans l'eau ont pu échapper au déluge de feu et de poussière brûlante. Parmi ces rescapés on retrouve une majorité de poissons, des reptiles aquatiques (lézards, tortues, crocodiles, grenouilles, etc), des insectes, de petits mammifères (les ancêtres du chien de prairie notamment) et même les rares oiseaux vivant dans des terriers ou capable de plonger. Mais aucun gros reptile et encore moins le T.Rex ne pouvait s'abriter sous terre, ce qui explique la disparition quasi instantanée des grands dinosaures. Les mégatsumanis et les torrents de débris Avec ses quelque 260 km de diamètre - presque la taille de la Belgique -, il fallut environ 10 heures pour que le cratère d'impact se remplisse d'eau. Dans les océans, on assista à des glissements de terrain sur plusieurs centaines de mètres de profondeur générant en surface une vague mégacolossale; un mégatsunami était en train de se former.
Les modélisations suggèrent que l'impact généra un mégaséisme d'une magnitude supérieure à 11 sur l'échelle de Richter et un mégatsunami dont les vagues atteignirent la hauteur stupéfiante de 1500 mètres. Plusieurs vagues géantes se sont enfoncées à plusieurs centaines de kilomètres dans les terres le long de pus de 20000 km de côte. Par endroit l'eau qui séparait les îles du continent se retira permettant aux animaux de franchir des terres jusque là immergées. En analysant les données d'imagerie sismique obtenues en 2012 auprès d'une entreprise de combustibles fossiles, Gary L. Kinslanda de l'Université de Louisiane et ses collègues ont découvert dans les sédiments enfouis à 1500 mètres sous l'actuel centre de la Louisiane des méga-ondes fossilisées formées par le mégatsunami dont une image sismique est présentée à droite. Les empreintes des vagues furent ensuite recouvertes d'une fine couche de débris liés chimiquement au cratère de Chicxulub. Les empreintes ont finalement été préservées sous le schiste jusqu'à aujourd'hui. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans les " Earth & Planetary Science Letters" en 2021. Selon les chercheurs, les crêtes d'ondulations fossilisées forment une ligne droite jusqu'au cratère de Chicxulub et leur orientation est cohérente avec l'impact : "Ces méga-vagues ont une longueur d'onde moyenne de 600 mètres et une hauteur de vague moyenne de 16 mètres, ce qui en fait les plus grandes ondulations documentées sur Terre." Selon les chercheurs, "Le tsunami dura pendant des heures, voire des jours, car il s'est réfléchi plusieurs fois dans le Golfe du Mexique tout en diminuant en amplitude." Les ondulations que nous découvrons aujourd'hui sont le résultat des coups de butoir des murs d'eau qui se sont abattus sur la plate-forme continentale peu profonde proche du rivage et se réfléchissant vers leur source.
Kinsland et ses collègues soupçonnent que de nombreuses autres preuves de ces vagues du tsunami existent dans les données sismiques autour du Golfe du Mexique. De futures études pourraient fournir encore plus de détails sur cet évènement dramatique. Une étude antérieur montra que les strates sédimentaires témoignent qu'au moins 6 vagues gigantesques successives ont déferlé sur les continents nord et sud américains. En d'autres termes, si une créature avait survécu au premier tsunami, elle risquait fort de ne pas survivre aux suivants. Puis cette vague destructrice disparut aussi vite qu'elle était apparue, ne laissant que la mort et la dévastation derrière elle dans un monde à l'agonie. En 2019, Robert A. DePalma de l'Université du Kansas et ses collègues dont Walter Alvarez ont annoncé dans les "PNAS" la découverte de nouveaux fossiles attestant de la violente de ces vagues. Les chercheurs ont découvert sur le site de Tanis situé dans la formation de Hell Creek dans le Dakota du Nord à ~3050 km au nord de Chicxulub de nombreux fossiles extrêmement bien conservés de poissons et de reptiles morts il y a ~66 millions d'années. DePalma s'attendait à trouver une succession de dépôts témoignant de changements périodiques et saisonniers. Mais au lieu de cela, il découvrit des matériaux enchevêtrés, comme s'ils avaient été déversés en une seule fois. En fait, l’équipe découvrit un ancien lac d'eau douce dont les occupants avaient été pour ainsi dire cimentés par des vagues de sédiments et de débris. C'est comme si une immense drague avait raclé le bassin et ramassé toutes les espèces. Les fossiles comprennent des esturgeons et des polyodons de 2 m de long, deux espèces qui ont survécu jusqu'à nos jours. Selon Mark Richards, coauteur de cette étude, le site de Tanis "est comme un musée de la fin de la période du Crétacé sur une couche d'un mètre et demi d'épaisseur." L'onde principale du tsunami atteignit une mer intérieure dans ce qui est maintenant le Dakota du Nord quelque 17 heures après l'impact. Sous l'effet de l'onde de choc, le sens du courant d'une rivière proche abritant des poissons s'est inversé. L'analyse du gisement confirme que des torrents de pierres et de débris se sont abattus sur les animaux, avant qu'une deuxième vague ne vienne les noyer. Selon DePalma, le gisement contient "une masse enchevêtrée de poissons d'eau douce, de vertébrés terrestres, d'arbres, de branches, de billes de bois, d'ammonites marines et d'autres créatures marines." Le site contient également des fossiles de ptérosaures, de mammifères et de presque chaque groupe de dinosaure connu à Hell Creek (bien que l'étude ne décrit aucun disonaure sauf un os de la hanche de l'un d'entre eux). Plus de la moitié des poissons d'eau douce avait des tectites de 0.3 à 1.4 mm de diamètre dans leurs branchies. Ces sphérules vitrifiées formées à partir de gouttelettes de roche fondue ont été pulvérisées dans l'atmosphère après l'impact de l'astéroïde. A voir : Tsunami: Asteroid Impact - 66 Million Years Ago, NOAA, 2023
Quelques heures plus tard, ces objets son tombés sur l'Amérique du Nord et les poissons de Tanis les ont probablement avalés et se sont étouffés avant qu'une vague de débris ne les enterre. La biodiversité découverte sur le site est remarquable. Selon dePalma, "au moins plusieurs spécimens se révèlent être de nouvelles espèces, et d'autres sont les meilleurs exemplaires de leur genre. Nous regardons un enregistrement instant par instant de l'un des évènements les plus importants de l'histoire de la Terre. Aucun autre site n'en porte la trace comme celui-là." Pour confimer l'âge des fossiles, grâce à la géochronologie 40Ar/39Ar, les chercheurs ont pu dater les tectites : elles ont 65.76 ±0.15 millions d'années, c'est-à-dire identiques aux dates de l'impact de Chicxulub relevées en d'autres endroits. Au final, le site de Tanis est exceptionnel car les chercheurs ont pu décrire les évènements qui se sont déroulés entre quelques dizaines de minutes et plusieurs heures après l'impact. Comme l'ont écrit un peu vite les journalistes, à présent on connaît "le jour exact où les dinosaures ont disparu"... à 150000 ans près ! Les gaz et les poussières L'astéroïde s'est écrasé dans le Yucatan, dans une région riche en calcaire et sédiments marins contenant énormément de dioxyde de carbone, de soufre et de gypse aux effets potentiellement mortels, et ce fut dramatiquement le cas.
Selon diverses études dont celle publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2014 par Sohsuke Ohno de l'Institut de Technologie de Chiba au Japon et son équipe, l'impact de Chicxulub vaporisa toutes les roches et le substrat dans un rayon de 6 à 12 km. La plume pyroclastique de vapeur brûlante qui s’éleva au-dessus du Yucatan était composée de trillions de tonnes de lave, de milliards de tonnes de roches anhydre riches en sulfates (SO4), de dioxyde de soufre (SO2) et surtout de trioxyde de soufre (SO3), de gaz carbonique et de vapeur d’eau. Ce mélange de carbonates et de sulfates devait avoir une épaisseur de 3 km et la température d'une lave très fluide soit plusieurs milliers de degrés. Les gaz et les poussières ont finalement été emportés dans la circulation atmosphérique générale et encerclèrent la Terre avant de retomber très lentement au sol. Le soufre s'est ensuite combiné à l'eau pour former des pluies et des brumes d'acide sulfurique (H2SO4) excessivement corrosives (pH entre 1 et 1.9). A titre de comparaison, si un volcan explose et libère un centimètre cube de poussière dans l'atmosphère, Chicxulub libéra un mètre cube de poussière ! Ces débris furent portés à une température telle que la surface de la Terre devint une chaudière à la vitesse de l'éclair, les forêts se consumant dans le monde entier. Le ciel s’obscurcit tandis que la poussière retomba lentement sur un paysage brûlé vif. Dans le golfe du Mexique et la région des Caraïbes, l’impact fut à ce point destructeur qu’il provoqua des tremblements de terre et des tsunamis qui renversèrent complètement les barrières de coraux et balayèrent totalement les zones intertidales. Deux heures après l'impact, tout la planète fut recouverte par un épais manteau de cendre sous lequel brûla un immense brasier. Le vent engendré par la chaleur emporta la terre réduite à l'état de cendre, formant des tempêtes de poussière brûlantes atteignant 150°C qui exterminèrent les derniers survivants restés à l'air libre. Une semaine après l'impact, la nourriture se fit rare sur Terre, surtout pour les grands herbivores; toute la végétation avait disparu. Les carnivores ont eu plus de chance car il y avait toujours de la "viande sur patte". Mais plus que jamais, ils durent lutter pour survivre. Un mois après l'impact, toute la terre fut recouverte de boues et de cendres, transformant les prairies et les bois en désert minéral. Selon le géologue Kevin Pope, des modèles informatiques suggèrent que parallèlement au nuage d'éjecta émis dans l’atmosphère, le dioxyde de soufre se transforma en acide sulfurique au contact des nuages. En bloquant 10 à 20% de la lumière du Soleil, ceux-ci ont empêché la photosynthèse végétale pendant 8 à 13 ans, refroidissant la surface de la Terre d'au moins 10°C durant cette période. Ce fut l'hiver d'impact. On y reviendra car de nouvelles simulations ont permis de préciser l'évolution de ce changement climatique. S’ajoute à ce cataclysme le fait que l’acide sulfurique et nitrique en suspension dans l’atmosphère engendrèrent une diminution de la quantité d’ozone et déversèrent sur le monde une pluie acide durant plusieurs années, acidifiant la surface des océans et tuant les derniers organismes restés à la surface, y compris les végétaux situés dans des régions jusque là épargnées. Outre la chaleur dégagée par les éjecta, il est également possible que le gaz carbonique libéré au cours de l’impact ait provoqué un réchauffement de l’atmosphère par effet de serre. Cette augmentation resterait néanmoins inférieure à 2°C. Cet évènement ne provoqua probablement pas l’extinction massive des espèces car cette vapeur dût rapidement se combiner avec les oxydes de calcium ou de magnésium et se précipita sous forme de carbonates. Mais "l'hiver de Chicxulub" semble bien avoir eu lieu suite à la vaporisation des sulfates. Dans tous les lacs ainsi que dans les dépressions où les animaux pensaient pouvoir boire un peu d'eau, les nuages toxiques de sulfure d'hydrogène libérés par les volcans ont achevé d'exterminer les derniers survivants terrestres et les amphibiens. Formation de sources hydrothermales dans le cratère d'impact Selon une étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2020 par David A. Kring du Lunar and Planetary Institute (LPI) et ses collègues, le cratère d'impact de Chicxulub pourrait avoir abrité un vaste système hydrothermal qui resta en activité très longtemps après l'impact. Comme expliqué précédemment, en 2016 l'Expédition 364 Chicxulub de l'IODP/ICDP fora dans le cratère submergé, atteignant une profondeur de 1335 m sous le fond marin actuel. Les chercheurs récupérèrent des carottes de roche qui ont permis d'étudier les modifications thermique et chimique de la croûte terrestre engendrées par l'impact. Les carottes montrent que le cratère abritait un vaste système hydrothermal qui modifia chimiquement et minéralogiquement plus de 100000 km3 de croûte terrestre.
Selon David Kring, "Imaginez une caldeira sous-marine comme le Yellowstone, mais plusieurs fois plus grande et produite par l'évènement d'impact impressionnant qui entraîna l'extinction des dinosaures." L'équipe trouva des preuves que les rivières d'eau souterraines avaient été chauffées et remontèrent vers la limite entre le fond du cratère d'impact et le fond de la mer du Yucatan. L'eau chaude ruissela autour des bords d'un bassin de magma d'environ 3 km d'épaisseur généré par l'impact, percolant à travers la roche fracturée et remontant jusqu'au fond de la mer où elle émergea. Le système d'eau chaude était particulièrement intense dans une chaîne de montagnes surélevée sur le fond marin formant un anneau de pics de 90 km de diamètre autour du centre du cratère. Le noyau rocheux de cet anneau de pics est coupé par des conduits hydrothermaux fossiles qui sont doublés de minéraux multicolores dont certains présentent une couleur rouge-orange ardente ou mauve. Alors qu'ils traversaient la roche, les fluides sursaturés ont permis la précipitation de plus d'une vingtaine de minéraux qui remplacèrent les minéraux originels de la roche (de la même façon que se forment les géodes ou les agates).
L'anneau de pics est composé de roches granitiques fracturées qui ont été soulevées de 10 km sous l'impact. Ces roches sont couvertes de débris d'impact poreux et perméables. Les deux unités rocheuses sont affectées par le système hydrothermal. Selon Martin Schmieder, aujourd'hui à l'Université Neu-Ulm en Allemagne et coauteur de cette étude, "L'altération des fluides chauds fut la plus forte dans les débris d'impact perméables, mais des cristaux de grenat, indiquant des températures élevées, furent trouvés à différents niveaux dans le cœur." Les minéraux identifiés dans le noyau rocheux indiquent que le système hydrothermal était initialement très chaud avec des températures de 300 à 400°C. Ces températures élevées indiquent que le système aurait mis longtemps à refroidir. Selon Sonia Tikoo de l'Université de Stanford et coauteure de cette étude, "Nos résultats indiquent que de minuscules minéraux magnétiques furent créés dans le cratère de Chicxulub en raison de réactions chimiques produites par un système hydrothermal à longue durée de vie. Ces minéraux semblent avoir enregistré des changements dans le champ magnétique terrestre au fur et à mesure de leur formation. Leurs mémoires magnétiques suggèrent que l'activité hydrothermale à l'intérieur du cratère perdura pendant au moins 150000 ans." Des preuves supplémentaires de la longévité du système hydrothermal furent découvertes dans les sédiments du fond marin présentant une concentration anormalement élevée de manganèse résultant de la ventilation du fond marin. Selon Axel Wittmann de l'Université d'Arizona et coauteur de cette étude, "Comme pour les dorsales médio-océaniques, la ventilation des cratères d'impact marin génère des panaches hydrothermaux qui contiennent du manganèse dissous s'oxydant lentement, ce qui, comparé aux concentrations de fond de Chicxulub, produisit des enrichissements jusqu'à dix fois la teneur normale dans les sédiments pendant 2.1 millions d'années." Bien que l'expédition n'ait exploité le système hydrothermal qu'à un seul endroit, selon Kring "Les résultats suggèrent qu'il y avait sur 300 km de long une chaîne d'évents d'eau chaude sur l'anneau de pics et des évents supplémentaires dispersés à travers le fond du cratère pendant que le cratère en fusion se refroidissait. Ces systèmes hydrothermaux auraient pu fournir des habitats pour la vie microbienne." A titre de comparaison, les systèmes hydrothermaux volcaniques de Yellowstone sont riches en organismes microbiens. Par conséquent, les systèmes d'eau chaude générés par l'impact de Chicxulub eurent le même potentiel biologique. Kring conclut : "Notre étude du noyau rocheux au cours de cette expédition fournit des preuves supplémentaires renforçant l'hypothèse qu'un impact peut être à l'origine de la vie. La vie peut avoir évolué dans un cratère d'impact." L'étendue et la longévité du système hydrothermal de Chicxulub suggèrent que des milliers de systèmes hydrothermaux similaires se sont formés au cours d'une période de bombardement météoritiques il y a plus de 3.8 milliards d'années et ont pu fournir des niches pour le développement de la vie. À mesure que chaque système s'est refroidit, il aurait fourni un environnement riche en matériaux adaptés aux organismes thermophiles et hyperthermophiles. L'acidification des océans Dans une étude publiée dans les "PNAS" en 2019, le postdoctorant en géochimie Michael J. Henehan de l'Université de Yale et ses collègues ont notamment découvert que l'effondrement des espèces marines fut la conséquence d'une modification de la chimie des océans.
En étudiant des animaux marins à coquilles comme les foraminifères présentés à droite, les chercheurs ont montré que la disparition des organismes marins est survenue après la chute du pH de 0.25 unité entre 100 et 1000 ans après l'impact de Chicxulub. L'acidification s'est ensuite intensifiée. Par comparaison, suite à la Révolution Industrielle le niveau de pH des océans chuta de 0.11 unité, ce qui correspond à une augmentation de l'acidité de 30%. Ce qui s'est produit à la limite C/Pg fut donc d'une ampleur deux fois plus conséquente. L'analyse isotopique du calcium contenu dans des fossiles de palourdes et d'escargots découverts en Antarctique datant de l'époque précédent la limite C/Pg a également permis d'affirmer que les trapps du Deccan situés dans le sud de l'Inde (voir page suivante) ont joué un rôle majeur dans l'acidification des océans et l'extinction des dinosaures (cf. B.Linzmeier et al., 2019). En effet, suite à cette intense activité volcanique qui affecta la Terre entière pendant des dizaines voire des centaines de milliers d'années, les environnements terrestres et marins sont subitement devenus acides et toxiques, les terres furent recouvertes de cendres et le ciel s'assombrit, stressant tous les biotopes avant même l'impact de l'astéroïde. Selon Ellen Thomas, coauteure de l'étude publiée dans les "PNAS", l'acidification des océans est heureusement réversible et se rétablit sur "des échelles de temps comprises entre 10000 et 100000 ans." Selon Emily Osborne de la NOAA, "si on projète ce scénario à l'époque actuelle, sans changement de nos habitudes il se pourrait que le pH des océans chute à nouveau à des niveaux comparables à ceux observés dans cette étude." L'hiver d'impact Dans les jours qui suivirent la collision, les mégatonnes d'énergie engendrés sous l'impact se sont propagés sous forme d'ondes séismiques dans la croûte et le manteau terrestres, déplaçant des plaques tectoniques qui ont généré des tremblement de terre et réveillé des volcans en sommeil sur toute la planète. Ce fut le début de l'hiver d'impact. En 2017, Julia Brugger de l'Institut de Postdam de Recherche sur l'Impact du Climat et ses collègues ont évalué les conséquences climatiques à long terme de l'impact de Chicxulub et notamment l'évolution de la température de l'air près du sol dans les années qui suivirent. Ils publièrent leurs résultats dans un article de neuf pages intitulé avec humour "Baby, it's cold outside"[8] (Chéri, il fait froid dehors). Intéressons-nous à ce changement climatique de l'après Chicxulub car c'est la première fois qu'il est décrit avec autant de détails.
Les premières études de l'hiver de Chicxulub par James Kasting, Michael Rampino et consorts dans les années 1980-1998 se concentraient sur les conséquences climatiques de l'injection de poussière dans la statosphère et son impact sur la photosynthèse. Toutefois, une étude publiée dans la revue "Geology" en 2001 par Kevin Pope montra que la taille microscopique des grains de poussière était trop faible pour expliquer les changements climatiques observés. Si la poussière n'expliquait pas la chute de température, il restait l'hypothèse d'une influence des aérosols. Les chercheurs ont donc voulu savoir quel était l'impact des gaz sulfurés libérés par les évaporites (des roches salines) après l'impact sachant qu'une fois qu'ils atteignent la stratosphère, ils forment des aérosols sulfatés capables de bloquer le rayonnement solaire. Pour obtenir la meilleure précision, leurs simulations furent couplées aux modèles de la circulation atmosphérique globale en tenant compte du dioxyde de carbone, de la circulation océanique globale et de la dynamique et la thermodynamique de la glace de mer. Les données initiales étaient les suivantes. Deux simulations, l'une partant d'une température moyenne de l'air au niveau du sol de 18.9°C et une concentration de dioxyde de carbone de 500 ppm, la seconde de 21.6°C et une concentration double de dioxyde de carbone (1000 ppm). Les paramètres de l'astéroïde impacteur étaient les suivants : un diamètre de 15-20 km et à moitié poreux (50%) ayant une vitesse d'impact de 20 km/s. Connaissant les caractéristiques du sol de Chicxulub, les simulations indiquent que 100 Gt (100 milliards de tonnes) de soufre et entre 415 et 1400 Gt de dioxyde de carbone auraient été injectés dans l’atmosphère (soit 10000 fois la quantité de soufre produite par l'éruption du Pinatubo en 1991). La quantité de dioxyde de carbone injectée dans l'atmosphère augmenta sa concentration de 180 ppm. Les chercheurs ont ensuite étendu leurs simulations climatiques sur 100 et 1000 ans après l'impact selon la persistance des aérosols dans la stratosphère (2.1, 4.3 et 10.6 ans comme indiqué dans le graphique ci-dessus). Bien après que les aérosols aient disparu de la haute atmosphère, les simulations montrent que dans le meilleur des cas (courbe bleue du graphique), celui où les aérosols sulfurés restèrent environ 2 ans en suspension dans la stratosphère, la température moyenne au sol chuta de 27°C dont le minimum fut atteint seulement 3 ans après l’impact. La température resta négative durant 3 ans. L'atmosphère ne retrouva sa température normale qu'environ 30 ans après l'impact. Durant cette période, jusqu'à 15% de la superficie des océans furent gelés. Dans le cas le moins favorable (courbe orange du graphique) où les aérosols ont subsisté dans la haute atmosphère pendant plus de 10 ans, la température moyenne au sol chuta de 34°C avec un minimum de -16°C atteint 9 ans après l'impact et resta négative durant 16 ans. Au plus fort de l'hiver d'impact, environ 30% de la surface des océans furent gelés. Le retour à la normale dura entre 10 et plus de 50 ans.
Sachant que les océans ont une forte inertie thermique, les simulations indiquent que leur température évolua beaucoup plus lentement que celle de l’atmosphère. Quelques années après l'impact lorsque les eaux furent dégelées, le refroidissement des eaux de surface et leur remplacement par des eaux plus chaudes issus des profondeurs généra un énorme brassage et des mouvements de convection qui auraient entraîné la remontée de grandes quantités de nutriments, faisant littéralement exploser la quantité de plancton. La température des océans aurait retrouvé son niveau normal seulement 1000 ans après l'impact. Cela perturba vraisemblablement les populations marines généralement très sensibles aux variations de température et à la composition chimique de l'eau. En conclusion, s'il est difficile de démontrer que l'extinction de masse à la limite C/Pg fut uniquement provoquée par l'impact d'un astéroïde, les simulations de l'évolution du climat montrent que l'impact de Chicxulub eut également un effet dévastateur à long terme qui affecta autant la température de l'atmosphère que la circulation océanique, anéantissant de toute évidence une grande partie de la faune et la flore dans la plupart des biotopes. Reste une question en suspens : combien de temps fallut-il pour que la vie réapparaisse au point d'impact de Chicxulub ? L'extinction des dinosaures et l'effet du hasard Dans ces conditions apocalyptiques, il n'est pas surprenant qu'une fois la couche de poussière et les gaz toxiques dissipés et que les pluies se soient adoucies, 76% des espèces vivant sur la terre ferme et quelques-unes dans les océans (certaines espèces de requins et de raies notamment) se soient éteintes comme l'a confirmée Peter Schulte et son équipe dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2010. Mais en raison de la rotation de la Terre, l'histoire aurait pu être différente. En effet, à une ou deux minutes près, l'astéroïde ne serait pas tombé dans le Yucatan mais dans l'Océan Atlantique ou Pacifique. Par conséquent, son impact n'aurait pas eu lieu sur la plate-forme volatile du Yucatan et n'aurait donc pas libéré l'énorme quantité de matière vaporisée et en particulier les sulfates dans l'atmosphère. Selon Gulick précité, à quelques minutes près, il est probable que les dinosaures n'aient pas disparu et auraient survécu jusqu'à aujourd'hui. Dans ces conditions, si les plus petits mammifères auraient malgré tout pu occuper leur niche et proliférer parmi les dinosaures, rien ne permet d'affirmer que l'homme aurait pu émerger parmi ces géants carnivores. Notre apparition serait-elle liée au hasard ? La question reste ouverte. Réapparition de la vie à Chicxulub Sur le plan biologique, des questions concernant les conditions de vie avec l'impact sont restées sans réponse pendant des décennies. Parmi celles-ci, il y a d'abord l'habitabilité : y a-t-il eu une intense activité hydrothermale dans les roches formant l'anneau d'impact et combien de temps cela dura ? Quels organismes colonisèrent l'anneau, étaient-ils diversifiés et/ou exotiques et étaient-ils dépendants du système hydrothermal qui s'est formé après l'impact ?
Ensuite il y avait la question de la restauration des conditions de vie : après l'impact, combien de temps a-t-il fallu pour que l'océan redevienne normal ? La diversité s'est-elle graduellement rétablie ou les organismes sont apparus en même temps que l'environnement s'est stabilisé ? Quelle est la relation entre les survivants de l'impact C/Pg et les taxons qui ont émergé et l'extinction massive du PETM 10 millions d'années plus tard[9] ? Certaines de ces questions font toujours l'objet d'études. Jusqu'à présent les scientifiques ignoraient combien de temps il fallut aux organismes marins pour conquérir les biotopes laissés en friche après l'impact et peupler le cratère de Chicxulub. Aujourd'hui nous connaissons la réponse. Selon l'article précité publié dans la revue "Science Advances" en 2021, les chercheurs de l'Expédition 364 Chicxulub de l'IODP/ICDP ont découvert que les sédiments accumulés après l'impact sur l'anneau de pics du cratère, juste en dessous du calcaire pélagique Danien le plus bas, retrouva entre quelques années et quelques décennies un niveau environnemental ordinaire et de faible énergie, "enregistrant avec des détails sans précédent la reprise de la vie au cours des millénaires suivants." Le paléo-océanographe Christopher M. Lowery de l'Université du Texas à Austin et ses collègues ont publié en 2018 dans la revue "Nature" (version PDF) les résultats d'une étude de géolo-pétrophysique sous-marine portant sur l'analyse d'un carottage de plus de 800 mètres de long prélevé à des centaines de mètres de profondeur au large du Yucatan en 2016. L'une des carottes présentée à droite faisant l'objet de l'étude contenait 130 mètres de matériaux dont seulement les 75 cm supérieurs furent déposés par des sédiments de l'époque actuelle. Tout le reste s'est déposé dans les jours, les années et les siècles qui suivirent l'impact et forment un enregistrement unique des différents évènements qui suiviren la catastrophe. Les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu'il ne fallut que 2 ou 3 ans pour que la vie marine réapparaisse à "ground zero", au point d'impact dans le cratère englouti de Chicxulub. Cela ne veut pas dire qu'il y avait des poissons en abondance mais le site était déjà viable pour des formes de vie élémentaires comme les micro-organismes unicellulaires ou des métazoaires (protistes, algues, etc). Comme on le voit sur la photo ci-dessus au centre, l'une des premières espèces à repeupler le site fut Parvularugoglobigerina eugubina, un foraminifière (protiste eucaryote) d'à peine 0.1 mm membre de l'embranchement des protozoaires. Sachant que le site fut contaminé par les retombées de métaux toxiques, un délai aussi court a surpris les scientifiques. Mais c'est également une bonne nouvelle car cette donnée signifie que le repeuplement d'un site dépend essentiellement de facteurs locaux. Reportée à l'époque actuelle, cette découverte permettra notamment de mieux estimer le temps de résilience des sites contaminés par la pollution ou ayant été gravement perturbés par le changement du climat.
En revanche, à grande échelle la production primaire fut hétérogène. Selon les chercheurs, à Chicxulub il fallut attendre 30000 ans pour reconstruire un écosystème complet en pleine vigueur tandis qu'en d'autres endroits du golfe du Mexique et en Atlantique Nord-Ouest de la Téthys, il fallut dix fois plus longtemps soit 300000 ans pour reconstruire un écosystème similaire à l'état qu'il présentait à la fin du Crétacé. A propos des documentaires cinématographiques Malgré les nombreuses questions encore ouvertes, ce scénario a fait l'objet de plusieurs documentaires cinématographiques d'un très grand réalisme. Citons en particulier le film "Les derniers jours des dinosaures" réalisé en 2010 par Richard Dale connu pour ses fameux documentaires historiques. Ce film dure 71 minutes et fait appel à des effets spéciaux saisissants de réalisme qui rendent compte de toute l'ampleur de cette catastrophe globale. A voir : L'extinction des dinosaures extrait de la série "Voyage aux origines de la Terre" Simulation de l'impact d'un grand astéroïde, Discovery Channel Citons également la superproduction "Voyage aux origines de la Terre" également réalisée en 2010. Il s'agit d'une série de 8 épisodes produits par une équipe internationale comprenant France Télévision et le National Geographic parmi d'autres producteurs dont le 7e épisode est consacré à l'extinction des dinosaures. Enfin, la BBC Two a produit un documentaire intitulé "The Day the Dinosaurs Died" diffusé en 2017. Ces trois films appuyent la théorie selon laquelle les dinosaures ont disparu suite à l'impact d'un astéroïde et ne considèrent l'activité volcanique que comme un effet indirect et tardif de ce cataclysme qui a notamment accentué l'hiver d'impact. Voyons à présent comment la vie renaquit après ce mauvais coup du sort. Prochain chapitre La renaissance de la vie au Tertiaire
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