Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Histoires d'impacts

Le projet Spacewatch (VI)

Comme on dit dans ces cas là, être conscient qu'un astéroïde risque de tomber sur Terre n'est pas de la malchance mais de l'insouciance quand on sait que nous avons les moyens de l'empêcher !

En 1981, la recherche des NEO et autres NEA, alors appelés EGA, était déjà au programme du télescope de l'Université d'Arizona. Toutefois ainsi que nous l'expliquerons à propos des astéroïdes, Tom Gehrels et son équipe n'en découvraient que quelques dizaines à quelques centaines par an faute de moyens techniques adaptés.

A gauche, vue aérienne de l'Observatoire du Kitt Peak (KPNO) en direction du sud-est. Les deux télescopes du Spacewatch sont sous les petites couples blanches et argentées situées au centre de l'image. (Cf. cette carte du site). Document NOAO. A droite, le télescope LINEAR de 1 m d'ouverture installé près de Socorro, NM. Opérationnel depuis 1998, à lui seul il a découvert plus de 70% des NEO.

Depuis 1990, la NASA a mis en place le projet de veille cosmique de Chapman et Morrison appelé "Spaceguard Survey", généralisé depuis sous le nom de projet Spacewatch. Installé au Kitt Peak, il est constitué d'un réseau de 5 télescopes d'une ouverture oscillant entre 0.9 et 2.40 m dont la tâche principale est de détecter tous les astéroïdes dont le rayon est supérieur à 1 km (ils permettent toutefois de détecter des objets inférieurs à 10 m).

En parallèle, depuis 1999 l'Observatoire de Catalina de l'Université d'Arizona où sont installés trois télescopes de 0.5 à 1.54 m de diamètre assure une veille permanente complémentaire de tous les astéroïdes ainsi que des phénomènes transitoires (supernova, etc) dans le cadre du programme "Catalina Sky Survey" (CSS) qui réalise actuellement le plus grand nombre de découvertes.

Enfin, en 2007 les astronomes de l'IfA d'Hawaï ont inauguré la Gigacam (1.4 gigapixel) sur le premier des quatre télescopes PS1 (Pan-STARRS-1) de 1.8 m de diamètre installé au sommet du mont Haleakala sur l'île de Maui, à Hawaï.

Grâce à ces instruments exploitant des technologies de pointe et la collaboration de quelques amateurs très bien équipés, en 2010 les astronomes avaient recensé 90% des plus grands NEO dont tous ceux potentiellement dangereux et pouvant précipiter une catastrophe globale. En 2016, les astronomes avaient découvert plus de 13600 NEA, certains s'approchant sous l'orbite de la Lune. En moyenne, entre 2005 et 2015, entre 800 et 1200 astéroïdes NEA ont été découvert chaque année dont une moyenne de 21 NEA mesurant plus de 1 km.

Le coût du Spacewatch

Le coût de cette surveillance de l’espace est de l'ordre de 10 à 15 millions de dollars US par an pendant 30 ans, dix fois inférieure aux premières estimations qui incorporaient des missiles lourds. Par comparaison, le Gouvernement américain est prêt à investir 100 millions de dollars par an pour se protéger des tsunamis.

Nombre d'astéroïdes NEA découverts chaque année jusqu'en 2016 trié par sondage. Doc NASA/JPL adapté par l'auteur.

Mais comme souvent, certains sénateurs républicains sont réticents à consacrer autant d'argent dans cette activité, même s'ils ne veulent pas minimiser leur importance. Pour John McCain représentant de l'Arizona par exemple, ces 15 millions de dollars ne feront qu'augmenter le déficit budgétaire. Il ne faut donc pas s'attendre à recevoir beaucoup d'aide de certains élus.

Dans les faits, le projet Spacewatch travaille actuellement avec un budget annuel de 4 millions de dollars US alloué par la NASA et la Fondation Brinson. De ce fait, il sollicite également l'aide des particuliers à travers la Fondation de l'Université d'Arizona (comme les astronomes le font également dans le cadre du programme SETI@Home).

Malheureusement, le Spacewatch est en compétition avec les autres projet de la NASA et notamment avec les budgets alloués à l'exploration spatiale, aux missions habitées, aux télescopes orbitaux et à la R&D.

Le projet Spacewatch ne cherche pas le pourcentage restant de petits astéroïdes dont le diamètre oscille entre 1 m et 1 km. La plupart de ces NEO ne sont pas détectés et peuvent provoquer une catastrophe à l'échelle continentale. C'est la raison pour laquelle le Dr Tom Gehrels utilise un nouveau télescope de 1.80 m en foyer primaire muni d'une caméra CCD avec lequel il a déjà découvert quelques objets faisant entre 8 et 10 m de diamètre. En revanche, le programme CSS de l'Observatoire de Catalina cherche également les petits astéroïdes et a déjà découvert quelques corps mesurant quelques dizaines de mètres dont 2007 RC20 qui mesure environ 16 m de diamètre (H=26.7).

Un groupe d'astronomes[3] des universités de Cornell, d'Arizona et de l'observatoire de la Côte d'Azur ont estimé en l'an 2000 qu'il existait environ 900 ±100 astéroïdes de 1 km de diamètre potentiellement dangereux pour la Terre. Ce nombre est déjà moitié moins élevé que la précédente estimation. Aucun de ces corps ne devrait toutefois entrer en collision avec la Terre dans le siècle qui vient. Mais on ignore où se trouve 60% d'entre eux car la plupart sont trop éloignés de la Terre pour être facilement détectés.

A voir : Views from Kitt Peak National Observatory

Les deux graphiques de gauche montrent les orbites de tous les astéroïdes potentiellement dangereux ou PHA (Potentially Hazardous Asteroids) (PHAs). La NASA en a répertorié plus de 1400 début 2013 gravitant dans l'orbite de Jupiter. Ces astéroïdes mesurent au moins 140 m de longueur et passent tous près de l'orbite de la Terre (jusqu'à 7.5 millions de kilomètres de distance). Cela ne signifie pas qu'il y a un risque d'impact avec la Terre. Aucun de ces PHA ne nous inquiétera au cours des prochains siècles. Il faut toutefois les surveiller car leurs orbites subit l'influence de la mécanique céleste chaotique et peut légèrement dévier au fil du temps; il faut les suivre et affiner leurs paramètres orbitaux pour établir des prévisions précises lorsqu'ils s'approcheront de la Terre afin d'estimer le risque d'impact. Documents NASA/JPL adaptés par l'auteur. A droite, les orbites des principaux types de géocroiseurs. Document T.Lombry.

Les leçons de la météorite de l'Oural

Malgré le programme de surveillance Spacewatch et du CSS, il restera toujours un danger que les astronomes ne pourront pas écarter : les impacteurs venant droit dans la direction du Soleil. En effet, on estime que la fameuse météorite de Tchéliabinsk qui frappa l'Oural le 15 février 2013, heureusement sans faire de victime (mais blessa indirectement plus de 1000 persnnes), mesurait 17 m de diamètre et pesait 10000 tonnes. Elle est entrée dans l'atmosphère à 19.2 km/s et se désintégra à 23 km d'altitude en libérant une énergie équivalant à environ 440 kT de TNT, soit près de 30 fois la bombe d'Hiroshima ! L'onde de choc endommagea 7000 bâtiments à Tchéliabinsk et blessa près de 1500 personnes. On retrouva au moins 4 débris importants dont un mesurant 1.5 m et pesant 654 kg et des centaines de petits fragments de quelques dizaines de grammes que certains vendirent même sur Internet.

Selon Dmitri Badioukov, directeur adjoint du laboratoire météoritique à l'Institut Vernadski qui explora la région de l'impact, les débris sont tombés dans une zone de 100 à 150 kilomètres de long et de 20 kilomètres de large. Au total, Erik Galimov, directeur de l'Institut de géochimie et de chimie analytique de l'Académie russe des Sciences estime que 1000 tonnes de débris soit 10% de la masse de l'astéroïde sont tombés sur Terre.

A voir : Meteorite Explosion over Russia - HD Compilation

NPP Sees Aftermath of the Chelyabinsk Meteor, NASA, 2013

Ci-dessus à gauche, graphique résumant la terminologie utilisée pour définir les météores et autres météorites dont voici le document au format PDF (17.9 MB). Au centre, l'essaim d'alpha Monoceros de 1995 et à droite, celui des Léonides de 1997 vus depuis l'espace. Le bombardement pendant les périodes à essaim est continu pendant plusieurs heures. A ce jour ces "pluies d'étoiles filantes" n'ont jamais été dangereuses car elles sont constitués de particules de taille inférieure à celle d'un grain de sable malgré leur apparence parfois éblouissante mais trompeuse quand elles traversent le ciel. Ci-dessous à gauche, la traînée de la future météorite de Tchéliabinsk de 2013 (dont voici la trace IR). A droite, carte d'impact des bolides ayant pénétrés dans l'atmosphère terrestre entre 1988 et 2022. Ces objets mesuraient entre 1-20 mètres. Le point rouge est l'impact de Tchéliabinsk (440 kt). Documents AMS, NASA-ARC, Seti Institute, Simon Fier/U.Copenague/EUMESAT et NASA/PDOC et NASA/CNEOS.

Un impacteur ferreux comme celui qui forma le Meteor Crater en Arizona (l'impacteur mesurait 50 m de diamètre, pesait 300000 t et libéra une énergie équivalant à 10 MT de TNT) et qui aurait suivi la même trajectoire que la météorite de Tchéliabinsk aurait provoqué un impact majeur et des millions de victimes, autant qu'une bombe atomique de 10 MT mais sans les retombées radioactives !

On peut se demander pourquoi le minuscule astéroïde qui frappa l'Oural n'a pas été détecté avant son impact ? Pour la bonne raison que sa trajectoire de collision coïncidait avec la direction du Soleil; éblouis par notre étoile, les systèmes automatiques de détection ne l'ont pas vu venir ! On n'ose imaginer ce qui se serait produit si l'objet avait été ne fut-ce que deux fois plus grand et aurait explosé plus près du sol comme celui qui tomba dans la Tunguska en 1908 mais qui se serait écrasé sur une mégapole...

Comment réduire ce risque ? Actuellement, le Spacewatch ne dispose que d'observatoires terrestres mais dont le champ de vision est aveugle autour du Soleil.

Sentinel, ATLAS et NEOCam

Pour résoudre ce problème de couverture du ciel, la fondation B612 dirigée par d'anciens astronautes américains a eu l'idée de construire sur fonds privés un télescope spatial infrarouge de 50 cm de diamètre dans le cadre de la mission Sentinel. La fondation avaitrécolté 400 millions de dollars sur les 450 millions de dollars que coûte ce projet ainsi que le soutien de Ball Aerospace qui est également le partenaire industriel de la plupart des télescopes spatiaux et sondes spatiales (Kepler, Spitzer, Hubble, JWST, New Horizons, etc).

En 2012, la fondation signa également un accord avec la NASA afin de disposer des antennes du réseau DSN et communiquer plus facilement avec le télescope orbital depuis les stations au sol, pour bénéficier du support technique des experts de la NASA, de ses moyens informatiques pour calculer les orbites des astéroïdes en temps réel et de l'expertise du JPL (CNEOS) pour réaliser les analyses de risques.

Le télescope infrarouge de 50 cm d'ouverture et sa maquette présentée par Edward Tsang Lu, CEO de la fondation B612 et ancien astronaute sur ISS. A droite, le champ couvert par le télescope (orange) comparé à la couverture actuelle du réseau Spacewatch (gris-vert). Faute de financement, le projet fut abandonné en 2015 au profit de la mission NEOCam de la NASA. Documents Fondation B612, Paul Sakuma/AP et NASA adapté par l'auteur.

Le télescope spatial Sentinel devait être lancé en 2018 par une fusée Falcon 9 de SpaceX et placé sur une orbite héliocentrique située à peu près à la même distance que Vénus. Il devait être équipé d'un bouclier de protection solaire et le télescope serait dirigé dans la direction opposée au Soleil. Autrement dit, vu de la Terre, il devait accéder à un champ supérieur à 180° en direction du Soleil. On estimait qu'il pouvait identifier 200000 géocroiseurs par an de plus de 140 m de diamètre contre un bon millier actuellement. Mais le projet fut abandonné.

La NASA résilia son accord de financement de 30 millions de dollars avec la fondation B612 en 2015 tandis que la collecte de fonds privée n'a pas atteint ses objectifs. La fondation B612 opta alors pour une solution alternative : l'utilisation d'une constellation de sondes spatiales beaucoup plus petites. Mais le projet n'aboutit pas non plus. Finalement, en 2017 la NASA proposa la mission NEOCam en remplacement qui est toujours en phase d'étude.

Entre-temps, en 2014 la NASA révisa son programme de surveillance des NEO et mis en place une nouvelle organisation pour gérer la menace : le Bureau de Coordination de la Défense Planétaire (PDCO ou Planetary Defence Coordination Office).

Un an plus tard, la NASA améliora son réseau de surveillance terrestre grâce au programme d'alerte ATLAS (Asteroid Terrestrial-impact Last Alert System) opérationnel depuis 2015. Nous voilà un peu plus rassurés.

Voyons pour terminer quels sont les moyens et scénarii que nous pourrions mettre en place en cas d'alerte afin d'éviter qu'un astéroïde potentiellement dangereux nous tombe sur la tête et quelle énergie faudrait-il pour détruire un astéroïde menaçant.

Dernier chapitre

Scénarii de défense

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 -


[3] Science, June 23, 2000. Une étude similaire fut également publiée début 2000 dans la revue Nature.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ