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Spécifications des verres utilisés en astronomie

Une optique de haute technologie (I)

Les optiques des instruments modernes d'astronomie exploitent des matériaux dont les normes de qualité sont extrêmement élevées. Leur processus de fabrication souvent innovants et complexes peuvent être qualifiés de haute technologie tant les propriétés des verres sont spécifiques afin de répondre aux cahiers des charges de clients très exigeants de part leur métier.

Si on prend par exemple des verres minéraux spéciaux comme le verre trempé, le Pyrex ou la vitrocéramique, on comprend à quel point leurs propriétés diffèrent du verre ordinaire. Les uns sont très résistants à la charge de pression, les autres sont insensibles au choc thermique ou restent stables à très hautes températures.

Dotés de propriétés optiques, mécaniques, thermiques et chimiques particulières, les verres spéciaux et anormaux représentent un secteur de la recherche et de l'industrie extrêmement porteur. C'est un monde qui passionne autant les physiciens, les opticiens que les chimistes et qu'apprécient par dessus tout les architectes, les astronomes et les photographes, sans oublier les professionnels du verre.

Vu l'étendue du sujet, cet article est divisé en plusieurs thèmes :

- L'histoire du verre, sa structure ainsi que les étapes de sa fabrication (cette page ci)

- Les propriétés des verres : optiques, thermiques, chimiques et mécaniques

- Les principaux types de verres : vitrocéramique, verre de silice et de quartz, borosilicates et sodocalciques.

Commençons par rappeler brièvement l'histoire du verre, sa structure et la façon dont il est fabriqué.

L'histoire du verre

Les premiers verres furent inventés il y a plus de 5000 ans en Mésopotamie, en Assyrie, en Egypte, à Chypre et dans les îles de la mer Egée. Mais il s'agissait de glaçures, une forme primitive d'émail fabriquée à base de sel ou d'eau salée formant une matière vitrifiée colorée et opaque colée sur le corps de poteries.

Des perles de verre furent fabriquées en Egypte au cours de la Ve dynastie, 4000 ans avant notre ère.

Le verre translucide à base de sable, de la silice (du mot grec "silicis" signifiant silex), apparut en Egypte vers 1500 ans avant notre ère, à la même époque que les fondants et les oxydes métalliques qui seront utilisés pour teindre les premiers émaux.

Le verre transparent apparut au IVe siècle avant notre ère en Méditerranée orientale durant le règne de Philippe II de Macédoine. Les verriers parvinrent à purifier et décolorer le verre en lui ajoutant du dioxyde de manganèse pour éliminer les oxydes colorants. C'est de cette époque que datent les premiers gobelets, les fioles, les bouteilles et autres ustenciels de table.

Ensuite, les Romains inventèrent la première technique de façonnage du verre plat en coulant de la silice fondue sur du marbre ou du fer, une technique qui se transmit dans tout l'Empire jusqu'en Angleterre.

Au Ier siècle de notre ère, les Romains savaient façonner des ustencils de cuisine en verre opaques, transparents, colorés, lisse ou couverts de motifs, qu'il s'agisse de gobelets, de bouteilles ou de plats.

A gauche, un gobelet romain en verre découvert à Barnwell (GB) datant du Ier siècle de notre ère. Il est exposé au British Museum. A droite, un bol romain intact vieux de 2000 ans découvert en 2023 par des archéologues à Nimègue (PB) où se trouvait un camp romain. Il fut très probablement fabriqué dans un atelier de verre en Allemagne ou en Italie. Selon l'archéologue Pepijn van de Geer de tels objets étaient fabriqués en laissant refroidir et durcir du verre fondu sur un moule. Le motif à rayures fut dessiné alors que le mélange de verre était encore liquide. L'oxyde métallique crée une couleur bleue. Document Bert Beelen/CARAA Center.

Comme on le voit ci-dessous, du verre plat remontant au IIe ou IIIe siècle de notre ère fut découvert à Stonea Grange, à 30 km au nord de Cambridge. Ce verre est translucide et présente une coloration quasi naturelle verdâtre. Ce verre servit à isoler les ouvertures des riches villas romaines. Pour montrer à quel point des vitres en verre étaient un signe de richesse, 1000 ans plus tard, certains petits chatelains de France et les bourgeois isolaient encore leurs fenêtres avec des cadres en bois sur lesquels étaient tendus une feuille de parchemin translucide parfois décorée de fines peintures.

Les premiers miroirs en verre métallisés auraient été inventés à Sidon, l'actuel Liban, au cours du Ier siècle de notre ère. Dans son "Histoire Naturelle" écrite vers 77 de notre ère, l'historien romain Pline l'Ancien mentionne la fabrication de miroirs en verre recouverts au dos d'une feuille d'or. Les Romains développèrent également une technique pour fabriquer des miroirs à partir de verre soufflé contenant du plomb.

Dans son livre "Miracle of Islamic Science", K.Ajram, rappelle que dès le XIe siècle, des miroirs en verre clairs furent fabriqués en Espagne Mauresque.

L'un des premiers verres plats. Ces fragments furent découverts en Angleterre, à Stonea Grange et datent du IIe ou IIIe siècle de notre ère. Ils sont exposés au British Museum.

Il faudra attendre plusieurs siècles pour qu'on invente des techniques beaucoup plus modernes de travail du verre et des miroirs.

Au XVe siècle, les verriers de Venise étaient les seuls capables de fabriquer des verres plats pratiquement incolores ainsi que des glaces.

Au XVIIe siècle, c'est Galilée qui tailla et polit lui-même les lentilles de ses lunettes astronomiques pour leur donner la planéité ou la courbure adéquate.

Mais comme tous les verres clairs fabriqués à cette époque, bien qu'ils présentaient une bonne transparence, ils contenaient en général de nombreuses bulles d'air et présentaient une légère teinte rouge ou verte en raison des nombreuses inclusions métalliques.

En 1665, afin de ne plus dépendre des importations de glaces vénitiennes coûtant un prix exorbitant, Jean-Baptiste Colbert, financier de Louis XIV, décida d'établir la Manufacture Royale des Glaces qu'il installa à Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, sous la direction de Nicolas Dunoyer.

Colbert fit espionner les verriers vénitiens pour découvrir leurs secrets de fabrication puis fit appel à des transfuges venus de Venise pour aider les verriers français.

En 1666, la Compagnie du Noyer parvint à fabriquer la première glace sans défaut, ce qui permit de construire la somptueuse Galerie des Glaces du château de Versailles qui fut terminée en 1684, après 6 ans de travaux.

En 1696, après la fusion de plusieurs manufactures, l'essentiel de la production et de la fabrication de verre fut prise en charge par le château de Saint-Gobain, en Picardie, avant que l'entreprise ne déménage dans l'Aisne.

Il faudra patienter près de deux siècles et attendre le développement de la chimie et des traitements de surface pour que les physiciens, chimistes et opticiens mettent au point des procédés innovants pour améliorer la qualité des verres et des miroirs et réduire voire éliminer leurs défauts.

Le procédé d'argenture basé sur la réduction du nitrate d'argent ammoniaqué fut développé par Justus von Liebig (1835), Drayton (1844) et T.Petitjean (1855). Jugée nocive, l'argenture fut remplacée par l'aluminure grâce au procédé inventé en 1931 par John Strong. Nous y reviendrons dans l'article consacré aux revêtements des miroirs.

Les premiers miroirs en verre dits sodocalciques, semblable au verre ordinaire, étaient composés de 71-75% de silice (du sable, SiO2), de 10-15% de calcium (CaO) et 12-16% de soude (Na2O). Ce type de verre est toutefois assez sensible aux variations de température et ne se prête donc pas à des applications impliquant des chocs thermiques par exemple ou exigeant une stabilité thermique quasi absolue.

Aperçu de la variété des verres disponibles sur le marché. Document Knight Optical.

A la fin du XIXe siècle, le chimiste et opticien allemand Otto Schott (de la fameuse entreprise Schott AG) inventa des verres plus performants en borosilicate, un verre plus homogène et thermiquement plus stable que le verre ordinaire et présentant une meilleure inertie chimique.

Les recherches d'Otto Schott ont également porté sur les lentilles des lunettes astronomiques et les oculaires en collaboration avec le fameux physicien Ernst Abbe et le maître-opticien Carl Zeiss dont l'excellence des produits est toujours d'actualité.

Aujourd'hui, les lentilles, les miroirs semi-transparents, les prismes et autres diffuseurs des instruments d'optique sont fabriqués en borosilicate crown (N-BK7, sans la substance toxique contenue dans l'ancien BK7), en verre flint, en silice (oxyde de silicium ou quartz), en fluorite (CaF2, le cristal de fluorine, mais le terme anglais "fluorite" décrit aussi l'espèce minérale dans le classement international et s'utilise donc aussi en français) et autres verres dopés pour des applications en dehors du spectre visible (UV, IR, X, etc).

Les miroirs des télescopes optiques sont fabriqués en vitrocéramique (Zerodur, ClearCeram, Sitall, etc) ou en borosilicate de type Pyrex ou verre flotté (Suprax, Supremax, Borofloat, etc). Nous reviendrons en détails sur tous ces matériaux.

Avant de décrire le processus de fabrication des verres modernes et les propriétés des différents verres, rappelons brièvement ce qui distingue le verre des autres matériaux.

Définition et structure du verre

Le verre est un solide non cristallin amorphe. C'est cette dernière particularité qui le rend transparent. Cette définition mérite quelques explications qui vont nous conduire à étudier sa structure atomique et chimique ainsi que la façon dont il se comporte sous l'effet de la chaleur.

Nous allons procédé progressivement en traitant un sujet à la fois, car bien que le verre paraisse simple en soi, comme l'eau, ses propriétés font appel à des concepts de chimie et de thermodynamique qu'il faut bien comprendre pour expliquer les différents aspects de ce matériau et la manière dont on peut le travailler.

Comme la lave, le verre est une forme de fluide qui ne s'est pas cristallisé au cours de la phase de refroidissement (bien que certains matériaux vitreux ne soient pas obtenus par refroidissement mais par des procédés sol-gel comme les aérogels ou encore par une transition gaz-liquide sur un support froid).

D'un point de vue thermodynamique, le verre est un corps hors d'équilibre. Cela signifie que son contenu d'énergie est supérieur à celui des produits cristallisés correspondants; il ne peut donc pas revenir spontanément à l'état d'équilibre, c'est-à-dire l'état cristallin (en théorie). En effet, quand le réseau de vitrifiant (silice, quartz, etc) est chauffé puis rapidement refroidit, la structure cristalline est incapable de se reformer et forme du verre, une structure amorphe, c'est-à-dire désordonnée, caractérisée par sa transparence. Nous détaillerons ce processus un peu plus bas.

Première particularité des solides amorphes, ils présentent des propriétés isotropiques, c'est-à-dire qu'elles sont identiques dans toutes les directions le long de n'importe quel axe, contrairement aux solides cristallins dont la structure est ordonnée et périodique et dépend donc de certaines directions; ils sont anisotropes (les cristaux peuvent par exemple facilement se cliver selon certains axes et sont très durs dans d'autres axes).

Deuxième particularité, les solides amorphes ne présentent pas de changement de phase précis en passant de l'état solide à liquide mais ramolissent et deviennent graduellement plus visqueux.

Pour bien comprendre ce phénomène, nous devons tout d'abord décrire la structure physique du verre et ensuite nous étudierons son comportement en fonction de la température. Voyons d'abord quelle est la structure atomique du principal constituant du verre, la silice.

Structure des silicates

Le verre étant créée artificiellement, il n'est donc pas repris dans la classification de Stunz de l'Association Minéralogique Internationale (IMA). Néanmoins, du fait qu'il contient de la silice, il partage les propriétés des silicates.

Représentation d'un tétraèdre d'oxyde de silicium relié par son sommet.

Cette famille minérale comprend des roches aussi diverses que le silex, l'opale, l'agate, l'améthyste, le quartz, l'olivine, l'obsidienne, l'argile ou encore le mica (notons que le diamant n'est pas un silicate mais un élément natif; il est composé d'un seul élément chimique, le carbone).

Dans le cas du verre, comme on le voit à gauche, les éléments ou mailles du réseau sont formées par la combinaison d'un stucture élémentaire tétraédrique [SiO4]4- : un atome de silicium entouré de quatre atomes d'oxygène.

La liaison Si-O-Si qui relie les tétraèdres ne forme pas un angle de 180° mais est inclinée à 144°. Cet angle est différent selon la variété de silicate. Il vaut par exemple 151° pour la b-cristobalite et les distances séparant Si-O sont également différentes.

En raison de cette géométrie asymétrique et de l’électronégativité des différents atomes, cette molécule est polaire et s'assemble par son sommet. Lorsque les tétraèdres s'enchaînent, la molécule partage deux de ses atomes d'oxygène dit pontants avec ses voisins immédiats grâce aux liaisons Si-O covalentes, formant un réseau cristallin tridimensionnel. On obtient la silice pure, SiO2.

Cette forme tétraédrique est la forme la plus commune de silice cristalline. Ne la cherchez pas dans la nature car elle n'existe pas isolément mais toujours en présence d'autres éléments.

Les oxygènes non liés sont situés à l’extérieur des plans structuraux. Ce réseau de silice ressemble à celui d'un cristal mais en raison de l'angle des pontages, les configurations tétraédriques se répétent de façon irégulière, formant un solide ou un liquide figé amorphe.

En raison de sa tendance à favoriser des liaisons covalentes, les silicates se polymérisent facilement en formant des macromolécules. Les oxydes polymériques participent à cet assemblage.

Contrairement aux réseaux cristallins, du fait de la géométrie irrégulière du réseau amorphe, l'absence d'alignement précis crée des lacunes au sein du réseau. Ces lacunes peuvent être occupées par des modificateurs (sodium, potassium, etc). On y reviendra à propos des oxydes et du travail du verre.

A lire : L'existence d'un ordre dans les verres enfin démontrée (PDF)

La transition vitreuse, CNRS, 2016

Formulations 3D d'un réseau amorphe de verre sodocalcique par liaisons covalentes Si-O. Les espaces entre deux atomes de silicium non liés par un oxygène pontant sont les lacunes. A gauche, la représentation montre la structure du réseau amorphe, à droite il s'agit d'une modélisation d'un verre trempé dont les lacunes sont comblées par des cations Ca et Na (OP=oxygène pontant; ONP=oxygène non pontant). Documents T.Lombry et G.Calas.

Les trois autres polymorphes de la silice sont la β-cristobalite (dont voici un belle exemple d'incrustations dans une pierre de Lybie ou tectite), la tridymite et le quartz qui correspondent chacun à des conditions d'équilibre et donc de structure atomique, de température et de pression bien précises, le quartz étant celui se formant à la plus basse température (1430°C).

Bien qu'on puisse fabriquer du verre à partir de cristobalite, étant plus chère que la silice, elle est surtout utilisée comme colorant blanc (plus brillant que l'oxyde de titane) ainsi que dans la formulation des pâtes de faïence.

Verres d'oxydes

Nous avons expliqué ci-dessus que le réseau formant les silicates est essentiellement constitué de silice mais on peut également le construire à partir d'oxydes, c'est-à-dire des éléments combinés à l'oxygène pouvant subir une réduction. En gagnant un ou plusieurs électrons, ils se séparent de l'oxygène et peuvent se fixer au sein du réseau, dans sa structure ou dans les lacunes.

Les oxydes sont à la base de la chimie du verre et des métaux et on les retrouve également dans les traitements de surface (anticorrosion, antireflets, etc) des lentilles et des miroirs parmi d'autres produits.

Etant donné qu'ils sont couramment utilisés, expliquons brièvement le rôle de ces oxydes dans la fabrication des verres.

En 1932, le physicien norvégien William Zachariasen qui se passionnait pour les cristaux formula un ensemble de règles pour décrire la manière dont se formaient les réseaux cristallins et amorphes. Ces règles seront confirmées par le cristallographe Bertram E. Warren du MIT et permirent notamment aux chercheurs d'améliorer le processus de fabrication et les performances des verres.

En résumé, ces règles décrivent l'architecture des réseaux tridimensionnels. Elles précisent qu'il y a deux types d'atomes :

- les atomes formateurs du réseau, entourés d'oxygène

- les atomes modificateurs qui se fixent dans les lacunes du réseau. Il s'agit des fondants et des stabilisants bien connus des verriers.

Comme nous l'avons vu ci-dessus, l'oxygène ne peut s'apparier qu'avec deux éléments formateurs maximum et peut aussi être remplacé par des éléments métalloïdes ou non métalliques comme le fluor, le soufre, le sélénium ou le tellure.

Rupture de la liaison covalente Si-O-Si en présence d'oxyde de sodium (modificateur). Document T.Lombry.

Ce réseau obéit à des motifs structuraux particuliers déterminés par la coordinence (le nombre d'atomes voisins les plus proches) de l'élément formateur et les propriétés électriques de la molécule.

Plus les éléments du tableau de Mendéléev sont électronégatifs (partie gauche du tableau) plus ils forment des liaisons covalentes plutôt que ioniques avec l'oxygène.

Avec les éléments les plus électropositifs, l'anion de l'oxygène (ion négatif O2-) établit une liaison ionique avec un cation (ion positif, par exemple Na+).

Rappelons que dans le cas de la molécule SiO2, il n'existe pas de véritable liaison ionique et on ne peut donc pas parler d'ions.

Afin de modifier les propriétés des verres, les chimistes tirent profit des lacunes du réseau pour y insérer divers cations alcalins tels que Na+, Ca2+, K+, Mg2+, Fe3+, Pb2+, etc. Pour réaliser cette opération, les oxydes subissent une réduction chimique.

En utilisant un fondant (voir plus bas) comme l'oxyde de sodium Na2O qui abaisse la température de fusion, la liaison covalente Si-O-Si se rompt, séparant physiquement les deux molécules SiO4. Afin de maintenir son électroneutralité, la paire SiO2- est compensée par la présence de deux cations Na+ dans les lacunes.

Dans le cas des verres en fluorite (CaF2), comme il n'y pas de silice, le fluor remplace l'oxygène qui se fixe sur de petits atomes de zirconium ou de thorium. Le modificateur est le baryum.

Après avoir décrit la manière dont se construit une structure vitreuse, voyons à présent ce qui se passe au niveau thermodynamique et physique lorsqu'on chauffe et refroidit le verre.

La courbe d'état et l'enthalpie des verres

Si on suit la variation de volume ou de l'enthalpie (la somme de l’énergie interne et de l’énergie élastique d'un point de vue thermodynamique) d’un corps en fonction de la température entre l’état liquide et l’état solide, on constate que la plupart des corps (métaux, sels, etc) subissent une réduction de volume lorsqu'ils atteignent la température de fusion (Tf sur les schémas ci-dessous), en dessous de laquelle le coefficient de dilatation du solide est inférieur à celui du liquide.

Avec certaines précautions concernant surtout le taux de refroidissement, on peut descendre sous le point de fusion et obtenir une forme métastable de liquide surfondu où apparaît l'état vitreux. Cette température est le point de transition vitreuse (Tg).

Comme c'est le cas pour l'eau surfondue, l'état de surfusion de la pâte de verre peut être supprimé spontanément ou provoqué par l'ensemencement de germes de cristallisation, le verre reprenant alors la courbe d'enthalpie normale.

A gauche, variation du volume spécifique (ou de l'enthalpie d'un point de vue thermodynamique) en fonction de la température des verres. A droite, variation de la viscosité d'un verre en borosilicate en fonction de la température. Documents T.Lombry et D.Neuville.

En revanche, si la courbe du liquide surfondu se prolonge, sa courbe d'état devient parallèle à celle qui caractérise le cristal (courbes bleues ou vertes comparée à la ligne rouge à gauche). Ce changement intervient à une température g qui correspond à une viscosité η = 1013, en dessous de laquelle on peut parler de solide.

La transition vitreuse ne peut pas se produire en-dessous de la température critique de Kayzmann (Tk) car dans ce cas, l'entropie du verre serait inférieure à celle du cristal.

C'est la force des liaisons chimiques dans les oxydes qui détermine la viscosité du matériau. Un réseau à base d'oxyde de silicium est fortement connecté et offre une plus grande viscosité qu'un réseau à base d'oxyde de bore (voir graphique plus bas). Des alcalins (par exemple Na2O) peuvent toutefois modifier cette viscosité ainsi que la température de fusion (cristallisation) : elles diminuent par exemple si du sodium est ajouté au silicum ou au germanium mais augmentent avec du bore.

Si on veut façonner le verre à chaud, plus la température augmente plus la viscosité augmente et plus la pâte de verre devient malléable et visqueuse. Il existe ainsi une zone travail du verre où, comme pour les métaux, on peut réchauffer indéfiniment le matériau pour le ramolir et le travailler. Comme en métallurgie, la maîtrise de la viscosité est donc essentielle dans la fabrication du verre. Ce paramètre détermine également le degré de déformation que le matériau peut subir avant de se casser.

Dans le cas où le verre est un liquide surfondu figé, il n’y a pas de réarrangement moléculaire analogue à la cristallisation, de sorte qu'on ne peut pas parler de température de transformation. En revanche, à la température Tg, qui dépend de la vitesse à laquelle on franchit ce point, le temps de relaxation (réduction de volume) n'est pas infini. Il existe une zone de figeage où la pâte de verre passe à l'état solide hors équilibre; elle se transforme en verre. Sous certaines conditions de température, on peut observer une dévitrification, précédée d'une séparation de phases (démixtion).

Avec toutes ces informations, voyons à présent ce qui se passe durant la cuisson du verre.

Le processus de cuisson du verre

Au début de la cuisson du verre, entre 550 et 700°C selon sa composition, le vitrifiant ramolit et passe de l'état plastique à l'état vitreux solide où il devient cassant.

Entre 700 et 1000°C selon les verres, des germes de cristallisation se forment. Pour éviter leur croissance anarchique, source de défauts et de contraintes dans le verre, la température est stabilisée et maintenue suffisamment longtemps pour que le verre présente des propriétés spécifiques (faible dilatation thermique, homogénéité, etc).

Pendant la fusion, entre 800 et 1730°C selon les verres, un réseau polyédrique se forme, constitué d'atomes de silicium reliés à des atomes d'oxygène (SiO2). On peut également élaborer ce réseau à partir de cristaux de fluorite (CaF2) et d'oxydes tels que le bore (B2O3), le phosphore (P2O5), le germanium (GeO2)e t le titane (TiO2) parmi d'autres que nous détaillerons plus bas.

Ce réseau polyédrique contient des cations (ions positifs) alcalins qui empêchent la formation d'un réseau cristallin. De ce fait, les atomes et les molécules se figent dans des positions désordonnées, amorphes. Ce réseau est structuré différemment du maillage des cristaux mais également des autres matériaux amorphes puisque le verre peut être transparent. Si les polyèdres étaient parfaitement alignés et ordonnés comme l'est un cristal, le verre serait opaque.

Ce réseau amorphe rend le verre mécaniquement presque aussi dure qu'un solide, tout en gardant un agencement désordonné semblable à celui d'un liquide lui conférant une certaine élasticité. Ceci explique pourquoi le verre est aussi considéré comme un fluide visqueux, sa pâte malléable à haute température étant particulièrement appréciée des verriers et des souffleurs de verre.

Voyons à présent les différentes étapes de la fabrication du verre.

Fabrication du verre

La fabrication du verre nécessite trois éléments ou agents : un vitrifiant et deux modificateurs, un fondant et un stabilisant.

Quel que soit le type de verre, le processus de fabrication se déroule en trois étapes :

A. L’élaboration

La première phase consiste à rassembler les éléments de base que l'on classe en trois catégories :

- Les vitrifiants : ce sont les éléments de base qui permettent de créer la structure vitreuse tridimensionnelle. La silice (SiO2), le sable de carrière, est le principal vitrifiant avec l'oxyde de bore (B2O3) qui apporte également une plus grande stabilité thermique. Ils permettent par exemple de fabriquer les verres en borosilicates comme le fameux Pyrex.

Variation de la viscosité (η) des verres en fonction de la température. Adapté de Larousse.

On peut également utiliser un dérivé du fluor (CaF2, ZrF4, BaF2) pour les verres à très faible dispersion ou expérimentaux ou du phospore (NaPO3) pour fabriquer des fibres optiques et des lasers infrarouge.

Au cours de la fabrication, on peut ajouter du verre broyé recyclé, ce qu'on appelle le calcin ou groisil. L'ajout de 10% calcin permet de réduire entre 2 et 3% l'énergie nécessaire à la fusion du verre, elle permet de réduire la température du four, de consommer moins d'énergie et de réduire les émissions de gaz polluants (CO2, SOx et NOx).

- Les fondants : ce sont des modificateurs qui permettent de réduire la température de fusion et donc de fondre le vitrifiant à une température raisonnable et qui favorisent le passage de la silice à l’état vitreux.

La silice fond normalement à 1730°C. On peut abaisser cette température à 1000°C en utilisant de l'oxyde de sodium (Na2O, produit par le procédé de Solvay à partir d'une réaction entre le NaCl et le CaCO3) qui augmente également l'éclat du verre et sa résistance aux agents atmopshériques.

On peut aussi abaisser le point de fusion avec de l'oxydede potassium (K2O) qui augmente l'éclat du verre mais diminue sa résistance chimique; avec de l'oxyde de magnésium (MgO) qui abaisse aussi la résistance aux agents chimiques; avec de l'oxyde de calcium (CaO), de plomb (PbO), de baryum (BaO), de bore (B2O3) ainsi que des alcalis tels que le carbonate de sodium (Na2CO3).

La nature des fondants a également un impact sur les propriétés du verre : les verres borosilicates sont différents des sodocalciques et des verres plombeux. On y reviendra.

- Les stabilisants : il s'agit également de modificateurs qui augmentent la résistance mécanique du verre, sa brillance et diminuent sa solubilité. Ils évitent la dégradation du verre par les agents atmosphériques, notamment par l'acidité de l'eau qui à le pouvoir de le dissoudre.

Les stabilisants les plus répandus sont la chaux (par calcination de l'oxyde calcium, CaO), l'alumine (Al2O3 qui augmente la résistance hydrolithique, l'oxyde de zinc (ZnO) qui augmente l'éclat du verre et son élasticité, l'oxyde de plomb (PbO) qui augmente l'indice de réfraction et la brillance du verre, ainsi que les oxydes de bore (B2O3), de baryum (BaO), de fer (Fe2O3) et la magnésie (MgO). Notons que l'arsenic a été remplacé par l'antimoine suite à la directive Seveso sur les produits toxiques.

A consulter : Periodic Table, Webelements, Tableau périodique des éléments

Colorants et pigments 3M

A gauche, barre de verre en borosilicate sortant du four. Document Schaeferglas. A droite, développement de nouveaux verres chez 3M, division Ceradyne.

A ces matières premières s’ajoutent des additifs qui apportent des propriétés spécifiques au verre en fonction des applications concernées :

- Les affinants : ils dégagent du gaz (débullage) qui entraîne les bulles et favorisent l’homogénéisation de la pâte de verre. On utilise généralement du sulfate de sodium (Na2SO4), du nitrate de sodium (NaNO3), du nitrate de potassium (KNO3), de l'antimoine (Sn2O5), de l'arsenic (As2O5) ou encore du carbone.

- Les opacifiants : ou opalisants sont utilisés pour rendre le verre opaque. On utilise surtout des fluorures (F-) et des phosphates (PO43-) tel que le fluorure de calcium (CaF2) pour le verre opale, la fibre de verre et les verres spéciaux, ainsi que le phosphate de calcium (Ca3(PO4)2 pour les diffuseurs LED.

Dans l'Antiquité on utilisait de l'antimoine où on laissait simplement les bulles dans la masse en élaborant le verre à basse température.

- Les décolorants : ils permettent de fabriquer des verres clairs et transparents. La coloration est soit éliminée soit compensée par une autre teinte. On utilise en général de l'antimoine ou du manganèse.

Une teneur trop élevée en oxyde limite l’utilisation de certains sables pour la fabrication de verres clairs. Ainsi, si l'oxyde de fer (FeO) est trop abondant, le verre prend une coloration verdâtre. Son pouvoir colorant étant supérieur à celui du Fe2O3, on oxyde d'abord les ions Fe2+ avec de l'oxyde de cérium (CeO2). Cette réaction donne une teinte jaune qu'on élimine au moyen d'un autre oxyde de terre rare absorbant cette couleur, l'oxyde de néodyme ou l'oxyde d'erbium.

- Les colorants : ils apportent les éléments nécessaires à la coloration éventuelle du verre. Selon que le colorant est dans un état oxydé ou semi-oxydé, il donnera une couleur différente ou sera même sans effet (incolore).

Marchand de pigments à Venise, la Mecque des souffleurs de verre. Document M.Huston.

Les colorants sont des oxydes métalliques appartenant au groupe des métaux de transition (numéros atomiques de 23 à 30, 47, 48, 79 plus le 92).

Parmi ces oxydes citons le souffre (SO3, jaune ambre), le manganèse (Mn3+, violet-pourpre; Mn2+, incolore), le cobalt (CoO, bleu foncé), le cuivre (Cu2+, beu clair-turqoise et Cu+, rouge), le nickel (NiO, brun ou gris), le fer (Fe2+, vert ou ambre; Fe3+, jaune), le cadmium (CdO, jaune), le vanadium (V2O5, jaune), l'uranium (UO2, jaune fluo), etc. L'oxyde d'or (cation Au2+ ou Au+) est incolore.

Certaines transitions atomiques des oxydes peuvent également varier les couleurs : le chrome II (bleu), le chrome III (vert), le chrome IV (jaune), etc.

Certains lanthanides (CeO2, Nd2O3, etc) permettent égalemen de colorer ou décolorer le verre.

Selon leurs affinités avec les ions alcalins, leur combinaison peut donner d'autres couleurs. Ainsi, le Ni+K donnent une couleur pourpre, Ni+Li donnent une couleur jaune, Cr+Mn donnent une couleur pourpre tandis que Cd+Se donnent une couleur rouge parmi de nombreuses combinaisons possibles.

Notons également que si on chauffe suffisamment longtemps un verre contenu certaines impuretés, on peut observer un changement de couleur, c'est le thermochromisme, une technique que les faussaires utilisent pour créer des gemmes plus colorées, notamment des rubis plus rouges que nature.

Dans certaines conditions, entre 600 et 700°C, si on maintient la température suffisamment longtemps, avec une teneur en or comprise entre 0.005% et 0.07% (20-300 ppm), et en évitant une recuisson trop forte, les ions d'or forment de petits cristaux qui émettent une belle couleur rouge, c'est l'effet Plamson qui a fait la réputation des verres à l'or de Murano (Rubino oro), du Pourpre de Cassius en France et du Cranberry glass anglo-saxon. Ce procédé fonctionne également avec l'argent.

L'affinage se poursuit vers 1400°C où les verriers débarrassent le verre fondu des gaz pouvant apparaître sous forme de bulles et des éventuels fragments cristallisés flottant en surface.

Dans le cas des verres plats et coulés, la pâte de verre peut ensuite être versée dans son gabarit à la dimension de la pièce finale ou laminées sous forme de feuillets et de dalles.

B. La recuisson

 La pâte de verre est recuite pour réduire les éventuelles contraintes internes, homogénéiser la pâte et la rendre utilisable.

C. Le façonnage

La pâte de verre est ensuite conditionnée dans un état et une forme prêts à être travaillés, c'est la découpe. Elle s'effectue à chaud (avec déformation, c'est le cas du fusing) ou à froid (sans déformation, soit par abrasion mécanique ou chimique soit en appliquant un revêtement comme le cas des émaux).

S'il s'agit de souffler le verre, c'est à cette étape qu'il est travaillé et qu'on lui donne sa forme, son aspect et sa couleur définitives.

On laisse ensuite le verre refroidir à un taux qui dépend de sa destination et des propriétés attendues, ce que nous allons détailler page suivante.

A propos de la dévitrification

Nous avons expliqué en introduction que pour des raisons thermodynamiques liées à son état d'énergie, un verre ne peut pas revenir à l'état cristallin d'équilibre.

C'est vrai en théorie, mais en pratique dans certaines conditions liées au mode de cuisson, ce processus peut se produire spontanément, c'est la dévitrification dont voici un exemple :

Dévitrification ou cristallisation du verre (partie gauche). Document Popular Science Monthly, 83, 1913, p26.

Tant que la cristallisation réside en surface dans des blocs de verre épais, on peut l'éliminer par polissage. En revanche, quand elle pénètre dans l'épaisseur du verre, il perd toutes ses propriétés et doit être remplacé et refondu.

Nous reviendrons sur les étapes de la cuisson du verre dans l'article consacré à la fabrication du miroir brut d'un télescope. Nous y aborderons également la dévitrification du verre trempé, le recuit et le fusing (thermoformage).

NB. Le lecteur désirant aller plus loin trouvera à la fin de la dernière page des liens vers des vidéos et des support de cours sur la chimie non organique, les réseaux non cristallins, la mécanique des fluides, etc.

Voyons à présent les propriétés des différents types de verre.

Prochain chapitre

Les propriétés des verres

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