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Le boson de Higgs

Simulation réalisée en 1997 pour le détecteur CMS qui démarra en 2010 de la production du boson de Higgs par une collision p-p d'une énergie de 14 TeV dans le centre de masse et sa désintégration en une paire de bosons ZZ* (Z* est virtuel) qui se désintègrent chacun en deux muons μ+μ-. Les traces énergétiques des autres produits de la collision sont représentées en bleu. Document CERN.

Une particule très spéciale (I)

En hommage au physicien théoricien britannique Peter Higgs (1929-2024) de l'Université d'Edimbourg décédé à l'âge de 94 ans et à ses réalisations ainsi qu'à ses collègues dont Robert Brout et François Englert avec des mentions spéciales pour Phil Anderson et Gerald Guralnik, Carl Richard Hagen et Thomas Kibble, voici un résumé des connaissances que nous avons sur le fameux boson de Higgs découvert en 2013 au CERN.

Mais avant de décrire cette découverte, il est nécessaire d'expliquer quelques concepts liés à l'univers de cette particule.

Le champ de Higgs

Qu'est-ce que le boson de Higgs ? Pour bien comprendre sa nature, nous devons commencer par définir le champ de Higgs, qui est à l'origine de toute l'histoire.

Qu'est-ce qu'un champ ? Comme expliqué dans l'article référencé, un champ est quelque chose présent partout et toujours dans l'espace-temps et indépendamment du contenu de l'Univers. Ses propriétés (intensité, direction, fluctuations) peuvent être mesurées.

La valeur moyenne du niveau d'énergie d'un champ quantique peut être nulle ou non nulle. Un champ quantique de valeur nulle signifie que le vide de l'espace ne contient pas de perturbation quantique, ou comme le diraient les physiciens, aucune excitation spontanée du mode propre de ce champ (par mode propre entendons des oscillations à des fréquences spécifiques). En revanche, il existe toujours des fluctuations quantiques liées à l'état du vide.

Par exemple, le champ électromagnétique dans un espace vide est en général nul car il n'y a pas de photons spontanément présents. Sa présence ne dépend pas d'une source spécifique; il existe même en l'absence de matière. En revanche, certains champs présentent une excitation permanente, comme le champ de Higgs (une valeur non nulle qu'il acquit vraisemblablement une fraction de seconde après le Big Bang, voir plus bas).

Si la valeur moyenne d'un champ quantique est différente de zéro dans certaines régions, cela peut avoir des effets physiques, comme la création d'une particule ou d'un flash lumineux.

Il existe autant de champs que de particules élémentaires. Un champ tel le champ électromagnétique peut être le siège d'une interaction fondamentale entre particules dont le médiateur est le photon. Ce champ peut donc contenir des ondes, comme la lumière, les ondes radios ou les rayons X.

Le champ de Higgs est lui aussi omniprésent. En fait, son énergie est non nulle en tout point et c'est cette propriété qui donne leurs masses aux particules élémentaires (voir plus bas). Les excitations du champ de Higgs sont également constituées de "particules", appelées les bosons de Higgs.

Si le champ de Higgs donne à certaines particules leur masse de repos, ce n'est pas une règle universelle : le proton par exemple étant une particule commposite, il obtient sa masse de repos d'autre chose (la masse du proton de ~938 MeV/c2 provient essentiellement de l'énergie de liaison des quarks et des gluons, médiée par leurs champs respectifs qui interagissent selon la théorie de la chromodynamique quantique ou CDQ).

On peut imaginer que très tôt après la naissance de l'Univers (voir page 2), pendant une période extrêmement courte d'une fraction de nanoseconde pendant laquelle l'Univers était très chaud (> 1015 K avant 10-12 seconde après le Big Bang), la valeur du champ de Higgs était proche de zéro voire nulle. Il est même possible que l'Univers connut une période extrêmement courte pendant laquelle tous les champs que nous connaissons étaient méconnaissables et unifiés ou, au contraire, réduits à des champ quantifiés d'espace et de temps déliés. En fait, les physiciens théoriciens et les cosmologistes ne peuvent pas décrire cette période initiale de l'Univers, ni même estimer si les premiers instants du Big Bang furent plus chauds, plus courts ou plus longs que prévu. Ils n'en ont vraiment aucune idée.

Cependant, une chose est sûre, le champ de Higgs est non nul depuis que l'Univers s'est refroidi de quelques millions de milliards de degrés, une nanoseconde après le début du Big Bang. On y reviendra.

Depuis cette époque, le champ de Higgs a une valeur moyenne non nulle de manière naturelle; elle n'a pas besoin d'être générée par un mécanisme. C'est simplement l'état préféré de l'Univers pour que le champ de Higgs soit non nul. On ignore pourquoi mais c'est un fait qu'il faut accepter, comme d'autres réalités étranges (la dualité onde-particule, la vitesse finie de la lumière dans le vide, la taille de l'Univers, la valeur des constantes de couplage, etc).

A gauche, affichage des évènements dans le détecteur ATLAS en vue transversale lors de la création d'un boson de Higgs en 2012. Il est situé sur la ligne rouge en haut à gauche du schéma, connecté aux bosons W et Z (les autres lignes rouges) ainsi qu'aux quarks top et bottom. Cela correspond aux interactions bien connues du boson de Higgs, qui donne leur masse à ces particules élémentaires. Les courbes oranges représentent les fermions (quarks et leptons). Au centre, évènement enregistré dans le détecteur CMS le 13 mai 2012 à une énergie dans le centre de masse proton-proton de 8 TeV vu dans le plan transversal. L'évènement présente les caractéristiques attendues de la désintégration du boson de Higgs en une paire de photons (les lignes jaunes en pointillés et les lignes vertes épaisses). A droite, des évènements candidats enregistrés dans le détecteur CMS en 2016 de création d'un boson de Higgs se désintégrant en une paire de quarks charmés (les deux cônes oranges). Le Higgs est produit en association avec un boson Z qui se désintègre soit en une paire d'électron-positron soit en une paire de muon-antimuon. Documents ATLAS/CERN, CERN et CERN.

Précisons que la valeur non nulle du champ de Higgs ne signifie pas qu'il existe une "mer de particules de Higgs" (par analogie à la mer de quarks ou de particules virtuelles). Cela n'a rien à voir. Une particule de Higgs est une excitation dans le champ de Higgs; elle varie dans l'espace et dans le temps. On peut l'imaginer telle une onde. Mais la valeur non nulle du champ de Higgs est constante dans l'espace et le temps ; elle ne varie pas.

Prenons une analogie avec l'air. La densité de l'air est un champ; elle a une valeur moyenne constante. Les ondes qui se propagent dans l'air sont des ondes acoustiques. Il n'y a aucune raison et cela n'aurait aucun sens de considérer que la densité moyenne constante de l'air est liée au fait qu'il existerait une mer d'ondes acoustiques, qui sont par nature des ondes temporaires dans l'air.

Ondes et particules

Les ondes ou plus exactement les excitations des modes propres d'un champ quantique ne peuvent pas avoir une valeur ou une intensité quelconque. A l'inverse des ondes acoustiques, les excitations du champ sont quantifiées et ne peuvent donc pas prendre des valeurs arbitraires ou continues mais uniquement des niveaux d'énergie discontinus ou discrets (comme un spectre d'énergie). L'excitation quantifiée la moins intense qu'un champ quantique puisse avoir est appelée "particule". Elle se comporte comme on imagine intuitivement une particule, se déplaçant en ligne droite et rebondissant de manière indivisible sur les objets, etc. Mais là s'arrête l'analogie car c'est une entité quantique bien plus complexe à décrire.

Dans le cas du champ électromagnétique, les particules sont appelées "photons" ou quanta; ils représentent l'intensité la plus faible du quantum d'action.

Comme nous l'a prouvée l'expérience de la double fente de Young dès 1801 et mainte fois répétée, les photons comme les électrons et toutes les particules considérées comme des "points quantiques" peuvent se comporter comme des ondes : chaque photon par exemple peut interférer avec lui-même ! Ce phénomène contre-intutif et paradoxal est appelé la dualité onde-corpuscule, que les physiciens appellent l'état de superposition quantique ou d'intrication quantique. On y reviendra.

La particule de Higgs est au champ de Higgs ce que le photon est au champ électromagnétique. Les ondes du champ de Higgs sont constituées d'excitations quantifiées du champ de Higgs, c'est-à-dire de bosons de Higgs. Par conséquent, une excitation du champ de Higgs représente une onde dans le champ de Higgs, et la particule de Higgs est la plus petite ou plutôt la moins énergétique de ces ondes. Dans une théorie plus générale comme la théorie quantique des champs (TQC), le quantum d'excitation du champ disparaît quand la source de l'excitation disparaît, alors qu'une particule réelle reste toujours une particule dès qu'elle est créée (et tant qu'elle est stable). Bien sûr, ce n'est pas le jargon technique qu'utilise un physicien ni même l'explication complète qui exige de faire appel à des notions mathématiques.

Rappelons que les particules virtuelles, y compris les particules de Higgs virtuelles, ne sont pas du tout des particules, malgré leur nom trompeur qu'on a conservé pour des raisons historiques. Les bosons de Higgs sont des excitations du champ de Higgs qui se comportent comme telles, alors que les bosons de Higgs virtuels sont des types plus généraux d'excitations dans le champ de Higgs. Comme toutes les particules massives, les bosons de Higgs ont une masse définie alors que les bosons de Higgs virtuels n'en ont pas.

La découverte du boson de Higgs

Le boson de Higgs, H° fut découvert en 2013 grâce à l'expérience CMS du LHC du CERN (cf. les résultats préliminaires du 4 juillet 2012 mais la découverte fut confirmée le 14 mars 2013). Son existence fut théorisée en 1964 par François Englert et Robert Brout et indépendamment par Peter Higgs ainsi que Gerald Guralnik, Carl Richard Hagen et Thomas Kibble. Cette particule explique la brisure de l'interaction électrofaible fondamentale par le mécanisme de Higgs et explique comment les particules élémentaires ont acquis leur masse. On reviendra sur ces concepts.

François Englert (à gauche) écoutant l’intervention de Peter Higgs après l’annonce de la découverte du boson de Higgs par ATLAS et CMS au CERN le 4 juillet 2012. Document Maximilien Brice/CERN.

François Englert (81 ans) et Peter Higgs (84 ans) seront récompensés par le prix Nobel de Physique en 2013. Robert Brout qui avait cosigné l'article de 1964 avec François Englert était décédé en 2011.

Selon les données enregistrées entre 2011 et 2016 au CERN, le boson de Higgs présente une masse de repos de 125.35 ±0.15 GeV. Dans l'absolu c'est une masse colossale à l'échelle atomique. 1 GeV = 1.783 x 10-24 g. Le boson H° pèse donc 2 x 10-22 g. Il est 134 fois plus lourd que le proton ou le neutron (~0.938 GeV) et près de 250 fois plus lourd que l'électron (0.511 MeV). A lui seul il pèse autant que l'une des molécules constituant l'ADN, la thymine (C5H6N2O2) !

Précisons qu'on ne peut jamais observer ou détecter directement un boson de Higgs. Comme la plupart des particules, il est instable (voir plus bas) et se désintègre rapidement en particules plus légères. Les détecteurs ATLAS et CMS ne peuvent donc observer que les restes de ces désintégrations, des signatures énergétiques indiquant qu'un boson de Higgs pourrait bien avoir été produit lors de l'expérience. De plus, les particules observées en aval de la production d'un boson de Higgs donnent également des indices sur la manière dont celui-ci a été produit. Aidés ensuite par des simulations et des quirielles de mesures, les physiciens peuvent calculer la probabilité d'avoir créé une excitation du champ de Higgs correspondant au boson de Higgs.

La production du boson de Higgs

Le LHC peut produire des bosons de Higgs selon différents modes et soit un boson de Higgs isolé soit une paire ou même un triplet de bosons de Higgs, en fonction des processus d'interaction entre les particules initiales (principalement des protons).

Il existe plusieurs modes pour production un seul boson de Higgs :

- Par fusion de gluons : c'est le mode dominant (87% à 13 TeV). Nous allons donc le détailler. Il correspond à l'image de la simulation présentée à gauche (une image très claire sans bruit de fond et très simple comparée aux résultats réels illustrés plus haut).

Simulation de la production d'un boson de Higgs par fusion de deux gluons. Voir le texte pour les explications. Document CERN.

La création du boson de Higgs se produit en 3 étapes. D'abord les protons composés de quarks et de gluons entrent en collision à haute énergie afin que les gluons puissent fortement interagir. Ensuite, les gluons interagissent en produisant une paire virtuelle de quarks top (t), mais aussi des quarks bottom (b) et, dans une moindre mesure, d'autres quarks qui vont servir d'intermédiaire. Enfin, les deux quarks t ou b virtuels se recombinent pour former un boson de Higgs. Dans le jargon des physiciens, on parle d'une boucle de quarks lourds qui médie l'interaction entre les gluons et le Higgs. En d'autres termes, deux gluons interagissent en produisant un boson de Higgs. Cette première phase dure environ 10-24 seconde soit quelques femtosecondes.

Ensuite, le boson de Higgs se désintègre en deux quarks t ou b. Ces quarks ne sont pas détectés directement. En raison de l'interaction forte, ils se hadronisent rapidement (un quark ou un gluon ne peut pas exister seul en raison du confinement des quarks et se transforme en hadron en interagissant et capturant un ou deux quarks ou antiquarks en raison de l'interaction forte) en formant des jets de particules. Cette deuxième phase dure environ 10-22 seconde.

Généralement ce sont deux jets opposés correspondant aux directions initiales des quarks t ou b (les lignes blanches/jaunes représentent les trajectoires des particules constituant ces jets, permettant aux physiciens d'inférer la présence et l'origine des quarks initiaux t ou b.

Le jet peut aussi contenir des photons et des électrons issus de désintégrations secondaires, mais pas de quarks libres.

Chaque jet résulte d'une cascade de particules secondaires, principalement des hadrons incluant des mésons et des baryons qui sont détectés sous forme de traces de particules chargées (les courbes rouges) et de dépôts d'énergie (les lignes vertes) dans le calorimètre électromagnétique.

Les dépôts d'énergie indiquent de manière indirecte l'interaction de certaines particules avec le calorimètre, comme les électrons, les positrons ou les photons qui ont interagi avec le matériau du calorimètre. Ce type de signal est très important pour identifier certaines désintégrations comme celles du boson Z en une paire de leptons, des bosons W, H et des pions en photons et la production de photons dans des collisions de quarks.

- Par fusion de bosons intermédiaires : elle représente environ 7% de la production. Elle implique l'échange d'un boson W ou Z entre les quarks du proton. Elle se manifeste par des jets issus des quarks incidents. Ces jets contiennent également des électrons créés lors la désintégration des bosons W ou Z.

- Par association avec un boson intermédiaire (Higgs-strahlung) : il contribue à environ 5% de la production totale. Cela produit un boson W ou Z accompagné d'un boson de Higgs. C'est un mode intéressant car il permet d'étudier les couplages du boson de Higgs aux bosons électrofaibles.

- Par association avec un quark top : cela concerne environ 1% de la production totale. Le bosons de Higgs est produit en même temps qu'une paire de quarks t. Elle permet de mesurer directement le couplage de Yukawa du boson de Higgs (le couplage responsable du mécanisme de Higgs) au quark top.

- Par fusion de photons gamma (γγ). C'est un évènement très rare et négligeable par rapport aux autres mais il est possible via des interactions électromagnétiques entre protons.

A voir : The Higgs Boson Discovery Explained, CERN, 2020

What is a Higgs Boson?, Don Lincorn, Fermilab, 2011

La découverte du boson de Higgs, Sandrine Laplace, 2014

Le boson de Higgs, Etienne Klein, 2013

Boson de Higgs, la découverte, Etienne Klein, 2012

Des signaux du boson de Higgs découverts, Jessica Leveque, 2011

Les articles historiques

Broken Symmetry and the Mass of Gauge Vector Mesons

F. Englert et R. Brout, Phys. Rev. Lett., 31 Aug 1964

Broken Symmetries and the Masses of Gauge Bosons

P.W. Higgs, Phys. Rev. Lett., 19 Oct 1964

Global Conservation Laws and Massless Particles

G.S. Guralnik, C.R. Hagen et T.W.B. Kibble, Phys. Rev. Lett., 16 Nov 1964

Spontaneous Symmetry Breaking in Gauge Theories: a Historical Survey

R. Brout et F. Englert, Phys. Rev. Lett., 1998

Le LHC peut également produire des paires de bosons de Higgs ou di-Higgs selon deux modes :

- Par fusion gluon-gluon : des gluons interagissent pour produire des bosons de Higgs. Ce processus permet d'étudier l'interaction entre un boson de Higgs à un état dit intermédiaire et deux bosons de Higgs à l'état final.

- Par interaction avec des quarks : la collision entre quarks dans un proton produit deux bosons vecteurs. Ces bosons vecteurs interagissent ensuite pour former des bosons de Higgs, ce qui permet d'étudier les interactions entre deux bosons de Higgs et deux bosons vecteurs.

Le LHC peut aussi produire des tri-Higgs - trois bosons de Higgs -, chacun se désintégrant en deux quarks bottom (cf. CERN).

Chaque mode de production a ses propres signatures expérimentales et sensibilités aux propriétés du boson de Higgs, ce qui permet de tester le modèle Standard et d'explorer d'éventuelles nouvelles physiques.

En résumé, si le champ de Higgs interagit via un boson de Higgs, grâce au mécanisme de Higgs, ce boson va acquérir une masse de repos de ~125 GeV. Etant instable, il va se désintégrer en deux quarks b ou en deux bosons intermédiaires W ou Z de masses plus légères. En revanche, si le champ de Higgs n'interagit pas avec une particule, ce boson ne va tirer aucune masse du mécanisme de Higgs; il n'aura donc pas de masse de repos, à l'image du photon et il vivra éternellement (en théorie au moins 1018 ans).

A lire : A brief history of the Higgs boson, the Holy Grail of physics, New Atlas

LHC experiments present new Higgs results at 2019 EPS-HEP conference, CERN

Le boson de Higgs sans doute découvert au CERN, 2012 (sur le blog)

Le Prix Nobel de Physique 2013 attribué à Higgs et Englert, 2013 (sur le blog)

Quelques uns des modes de production du boson de Higgs illustrés par des diagrammes de Feynman. A gauche, (a) par fusion de gluons qui est le mode de production dominant au LHC (87%) : deux gluons fusionnent via une boucle de quarks lourds pour produire un boson de Higgs; (b) par fusion de bosons faibles (~7%) : deux quarks échangent chacun un boson intermédiaire W ou Z, menant à la production d'un boson de Higgs; (c) par production associée avec un boson intermédiaire (~5%) : un boson de Higgs est produit en association avec un boson W ou Z; (d) par fusion de quarks lourds (~1%) : production simultanée d'un boson de Higgs et d'une paire de quarks top. A droite, le diagramme plus détaillé de production dominante (87%) du boson de Higgs par fusion de gluons via une boucle de quarks top, suivie de la production de deux bosons Z qui se désintègrent ensuite en leptons (toutes les contributions n'y figurent pas, par exemple, avec des quarks charm ou bottom, bien que celles-ci ne dominent pas, et il n'y a pas de sommation sur les diagrammes de Feynman). La Collaboration CMS a également publié des diagrammes de Feynman de la production et de la désintégration du boson de Higgs dans la revue "Nature" en 2022. Documents F.Mausolf et al. (2020) et O.Passon (2019).

Les états du boson de Higgs

Le boson de Higgs présente deux états : un état ordinaire, celui qu'on a découvert, et un état ultra dense. Il a une probabilité infime de passer de l'état actuel à l'état ultra dense par effet tunnel. Quelle serait la conséquence de ce changement d'état ? Comme l'eau en surfusion peut geler instantanément sous l'effet d'un choc, si le boson de Higgs venait à changer d'état, ce serait la fin de l'Univers tel que nous le connaissons, ni plus ni moins. En effet, la masse actuelle du boson de Higgs est justement celle qui permet à l'Univers d'être dans un état instable ou plutôt métastable; en théorie il peut donc s'effondrer. Mais rassurez-vous, la probabilité que le boson de Higgs change d'état par effet tunnel est négligeable, de l'ordre de 10-100. On reviendra sur la nature du boson de Higgs.

La désintégration du boson de Higgs

En physique des particules, la langue française est compliquée car plus nuancée que l'anglais. Là où un anglophone parle de "decay", le francophone y voit soit une décroissance soit une désintégration, selon le contexte.

Le terme "désintégration" désigne la transformation d'une particule instable en d'autres particules plus légères, conformément aux lois de conservation. Dans ce contexte, les physiciens des particules utilisent rarement le terme "décroissance", contrairement à leurs collègues de la physique nucléaire. Le mot décroissance est généralement utilisé pour décrire la diminution du nombre de particules dans un échantillon au fil du temps, en particulier à propos de la décroissance radioactive, mais il est moins adapté à une particule unique.

En revanche, on parle bien du nombre de "désintégrations isotopiques" quand on évoque la transformation d'un isotope instable.

Bref, rien n'impose l'usage de l'un ou l'autre terme. Ainsi on trouve dans la littérature scientifique le terme "décroissance" (decay) à propos de la désintégration d'une seule particule (un neutrino, un kaon, etc), en particulier dans des tableaux récapitulatifs où certaines décroissances s'accompagnent d'émission alpha, bêta, etc.

Mais si nous voulons être logiques et rigoureux et respecter les nuances du français, puisqu'en physique des particules, une particule ne "se réduit" pas ou ne "diminue" pas, elle se désintègre en d'autres particules.

A gauche, évènement enregistré avec le détecteur CMS le 13 mai 2012 à une énergie dans le centre de masse proton-proton de 8 TeV. L'évènement présente les caractéristiques attendues de la désintégration du boson de Higgs du modèle Standard en une paire de photons (les lignes jaunes en pointillés et les lignes vertes épaisses). A droite, affichage de la collision enregistrée par le détecteur CMS en 2018 produisant deux boson de Higgs (un di-Higgs), l'un se désintégrant en deux jets de quarks bottom (rouge) et l'autre boson de Higgs se désintégrant en deux photons (vert). Cette collision est un exemple typique du mode de production de Higgs par fusion de bosons vecteurs, qui crée des jets supplémentaires le long du faisceau du LHC (cônes jaunes). Voir aussi ces diagrammes de Feynman sur le site du CERN. Documents CERN et CERN.

Contrairement à ce qu'on lit souvent, ce n'est pas parce qu'une particule est massive comme le boson de Higgs que sa durée de vie est courte. Le formuler ainsi est un raccourci de langage mais surtout une approximation intellectuelle très grossière. En effet, la durée de vie d'une particule dépend surtout de ses couplages aux particules massives (celles favorisant des désintégrations rapides) et du nombre de canaux de désintégration ouverts (la largeur de désintégration). Explications.

Plusieurs facteurs influencent la durée de vie du boson de Higgs :

- Son couplage aux particules massives : le boson de Higgs interagit principalement avec les particules dont la masse est élevée, comme le quark top, les bosons W et Z. Ces couplages (la force de l'interaction entre le boson de Higgs et une autre particule) sont proportionnels à la masse des particules concernées, ce qui signifie que le boson de Higgs a une probabilité élevée de se désintégrer rapidement.

- Son nombre de canaux de désintégration : le boson de Higgs peut se désintégrer en plusieurs particules lourdes dont une paire de quarks b, une paire WW* (W* est virtuel), une paire ZZ* (Z* est virtuel) et en une paire de photons (via une boucle virtuelle). La somme des probabilités de toutes ces désintégrations contribue à une largeur de désintégration totale élevée (qui s'exprime en unité d'énergie étant donné qu'elle concerne des particules).

- Son instabilité : contrairement à certaines particules comme le proton, qui est "protégé" par des symétries spécifiques, le bosons de Higgs n'a aucune conservation particulière qui l'empêche de se désintégrer rapidement.

La largeur de désintégration totale (Γ) prédite pour le boson de Higgs (à 125 GeV) est ΓH ≈ 4.1 MeV. Cette largeur de désintégration est inversement proportionnelle au quantum d'action . On obtient donc une durée de vie extrêmement courte : τ = / ΓH = 1.56 x 10-22 seconde.

La durée de vie du boson de Higgs est environ 500 fois plus longue que celle des bosons W (masse de 80.3 GeV/c2, τ ~3.2 x 10-25 s) ou Z (masse de 91.2 GeV/c2, τ ~2.6 x 10-25 s), ce qui rend leur mesure directe très difficile et on peut être heureux chaque fois qu'on en détecte, même indirectement.

A consulter : Combination of searches for nonresonant Higgs boson pair production

in proton-proton collisions at √ s = 13 TeV, CERN, 2024

A gauche, le signal du boson de Higgs se désintégrant en deux photons, mesuré avec le calorimètre à cristal de tungstate de plomb du CMS. Actuellement, les estimations les plus précises donnent au boson de Higgs une masse de repos de 125.35 ±0.15 GeV/c². Au centre, un évènement candidat enregistré par CMS pour une désintégration du boson de Higgs en deux quarks b, associée à une désintégration d’un boson Z en un électron (e-) et un positron (e+). A droite, diagramme de Feynman du mode dominant de production du boson de Higgs (H) à partir d'une collision entre deux protons (p). Les lignes colorées sont les quarks, les tire-bouchons sont les gluons (g). t indique un quark top, z des bosons intermédiaires. Les lignes noires représentent respectivement un électron, un positron, un muon et son antiparticule. Documents CMS/CERN, CMS/CERN et CERN.

Le boson de Higgs se désintègre en de nombreuses particules, massives, légères et même en photons. Comme illustré ci-dessous au centre et à droite, la probabilité des différents modes de désintégration du boson de Higgs dépend de sa masse. Sa désintégration dans chaque particule avec laquelle il se couple peut être prédite par le carré de la masse de cette particule, de sorte que les particules plus lourdes apparaissent beaucoup plus souvent.

La désintégration la plus fréquente du boson de Higgs est H° → b, en une paire de quarks bottom, comme le montre le graphique présenté ci-dessous à droite. D'après le modèle Standard, cette désintégration se produit dans ~65% des cas. C'est en 2017 que les physiciens du CERN ont observé pour la première fois cette désintégration. L'annonce fut publiée le 28 août 2018.

Le long délai qui s'est écoulé depuis la découverte du boson de Higgs s'explique du fait qu'il existe de nombreux autres modes de production des quarks b dans les collisions proton-proton. Il est donc compliqué d'isoler le signal de désintégration du boson de Higgs du "bruit de fond" constitué par toutes les autres désintégrations. Au cours de ces expériences, les équipes des Collaborations ATLAS et CMS ont réalisé des collisions à des énergies de 7, 8 et 13 TeV et isolés tous les signaux de désintégration du boson de Higgs ayant une signification statistique supérieure à 5σ (cinq écarts-types) et donc les plus fiables.

Ce résultat est compatible avec l'hypothèse que le champ de Higgs donne également sa masse au quark b. Cette observation vient donc renforcer le modèle Standard qui prédit que le champ de Higgs donne leur masse aux quarks et à d'autres particules élémentaires. Ce concept est révolutionnaire.

Trois représentations de la désintégration du boson de Higgs. A gauche, une simulation dans le détecteur ATLAS du CERN. Même avec toutes les ressources informatiques du CERN, il faut du temps pour démêler toutes ces interactions. Au centre et à droite, les modes de désintégration du boson de Higgs en différentes particules et photons γ. Ces modes dépendent de la masse du boson de Higgs (~125 GeV). Documents CERN et CERN.

La deuxième désintégration la plus fréquente du boson de Higgs est H° → W+W-, une paire de bosons dans ~24% des cas, mais ces bosons de jauge, médiateurs de l'interaction faible interagissent peu avec la matière et sont difficiles à détecter.

Depuis la première observation du boson de Higgs, les physiciens de CMS ont eu l'occasion d'observer la désintégration du boson du Higgs en leptons tau en 2017 et sa désintégration en muons en 2020. Leurs collègues d'ATLAS ont observé le couplage du boson de Higgs aux fermions les plus massifs : le lepton tau, le quark t et le quark b.

Notons que le boson de Higgs a plus de probabilités de se désintégrer en deux photos (γγ, 0.26%) qu'en une paire de muons (μ+μ-, ~0.02%). Mais au total, la désintégration du boson de Higgs en électrons, muons et taus se produit dans 10% des cas.

Selon Joel Butler de la collaboration CMS, grâce à "des techniques modernes d'apprentissage automatique, ce nouveau résultat est apparu plus tôt que prévu". Les chercheurs sont convaincus qu' "en améliorant la précision des mesures ils pourront étudier la désintégration du boson de Higgs en fermions beaucoup plus légers comme les muons, susceptibles de révéler une physique au-delà du modèle Standard" qui est restée si bien cachée jusqu'à présent.

A gauche, les données de CMS indiquent un pic d'environ 126 GeV sur l'axe x (la masse du boson de Higgs), difficile à repérer même pour un expert. L'évènement suggère que les bosons de Higgs se sont désintégrés en paires de muons. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 3.8 MB). A droite, diagramme d'état d'énergie de la physique des particules si on considère qu'elle s'applique jusqu'à l'échelle de Planck. Les quarks dont le quark top (~171 GeV) et le boson de Higgs (~125 GeV) se situent dans la zone métastable. Documents CMS/CERN et T.Lombry inspiré de Fermilab.

Concernant la désintégration du boson de Higgs en deux leptons (une paire d'électrons, de muons ou de taus de charges opposées) dont l'annonce fut publiée le 29 juillet 2020 sur le site Internet du CMS et confirmée en 2021, à l'aide d'algorithmes d'apprentissage automatique (de l'IA), les physiciens ont montré que ce minuscule évènement "inexpliqué" n'a que 0.023% de probabilité intrinsèque de se produire; c'est un évènement rare. Le niveau de certitude avec lequel CMS a identifié un signal et non pas seulement du bruit est de 3σ. Les chercheurs travaillant sur ATLAS ont également trouvé des preuves d'un couplage Higgs-muon, mais à seulement 2σ soit 95.45% de certitude ou 4.55% de probabilité que leur signal ne soit qu'un bruit de fond.

Si les chercheurs parviennent à augmenter le niveau de certitude jusqu'à obtenir 5σ (99.99994% de certitude ou 0.0000287% de bruit de fond) en rassemblant plus de données, ils pourraient alors confirmer cette relation exponentielle entre la masse d'un produit de désintégration de Higgs et la fréquence à laquelle le boson se désintègre en cette particule. Cette découverte pourrait aider à prouver que la fréquence correspond à la prédiction. Mais les physiciens avouent qu'ils sont à la limite de sensibilité du détecteur pour identifier les produits de désintégration les plus légers.

Désintégration du boson de Higgs H° en une paire de leptons l+l- et un photon via l'émission d'un photon virtuel γ* :

H° → γγ* → l+l- γ      (probabilité de 0.023%)

Désintégration du boson de Higgs H° en une paire de leptons l+l- et un photon médiée par les bosons électromagnétiques Z et γ (c'est le boson Z qui se désintègre en une paire de leptons avec une probabilité totale de ~10%) :

H° → Zγ → l+l- γ        (probabilité de 0.015%)

avec l+l- = e+e-, μ+μ- ou τ+τ-.

Enfin, si le boson de Higgs se désintègre si rapidement, comment alors expliquer la persistance du champ de Higgs ? En fait, comme expliqué plus haut, le champ de Higgs n'a pas besoin d'être créé par un "mécanisme de Higgs" ou un processus : il existe, comme le champ électromagnétique existe toujours et partout car il découle des lois de la nature. Il est intégré dans l'espace vide qui constitue la structure de l'Univers. Le champ de Higgs est omniprésent mais son effet n'est pas immédiatement perceptible à grande échelle, sauf au niveau des interactions fondamentales des particules.

Deuxième partie

De l'importance du boson de Higgs

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