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La physique quantique

Des hadrons constitués de 3 quarks. Document T.Lombry.

Le modèle Standard (II)

En 1961, Murray Gell-Mann (1929-2019) de Caltech et indépendamment Yuval Ne'eman (1925-2006) de l'Université de Tel-Aviv inventèrent la théorie de symétrie en transposant la théorie des groupes de Lie à la physique des particules. L'idée de Gell-Mann et Ne'eman était de restaurer l'unité du Monde dans la simplicité.

Pour classer et manipuler la matière, les deux chercheurs découvrirent que la théorie des groupes leur permettait de prédire toutes les transformations et échanges qu'il était possible de réaliser entre des particules ou leurs vecteurs. De façon à regrouper les particules en familles, ils les disposèrent dans des tableaux synoptiques, lesquels révélaient certains symétries internes. Mais si la symétrie pour le groupe choisi était bien respectée, toutes les particules représentées n'avaient pas la même masse[7].

Les quarks

Pour expliquer les différences entre les particules, les physiciens Murray Gell-Mann et George Zweig proposèrent que celles qui composaient la matière, les hadrons, étaient constitués de particules élémentaires chargées appelées quarks[8]. Leur théorie se développa dans les années 1970 et fut dénommée le modèle Standard.

Dans ses touts premiers papiers Gell-Mann avait suggéré que les quarks étaient des entités "mathématiques" plutôt que des particules réelles. Il fit cette distinction parce qu'il croyait qu'il serait impossible de les isoler et de les détecter individuellement. De l'aveu même de Gell-Mann, il ne désirait pas discuter avec les philosophes qui le cas échéant lui auraient certainement demandé ce qu'il entendait par "la réalité". Mais contrairement à ce que de nombreux auteurs ont écrit, Gell-Mann crut dès le début à l'existence des quarks.

A lire : Birth of a symmetry, CERN Courier

Caltech Mourns the Passing of Murray Gell-Mann (1929–2019), Caltech

Murray Gell-Mann, TED

Murray Gell-Mann (1929-2019) vers 1995 et une représentation de la mer de quarks, antiquarks et de gluons constituant un nucléon de silicium. Documents anonyme (DR) et Science Photo Library.

Si à l'heure actuelle il n'a pas encore possible de "voir" ou localiser directement ces particules élémentaires, les physiciens peuvent les tracer et estimer leur niveau d'énergie comme nous le verrons plus loin. Leurs forces ont pu être déduites par Gell-Mann à partir des collisions entre particules réalisées dans l'accélérateur linéaire du SLAC en 1969. Deux ans plus tard, quatre physiciens du même laboratoire démontrèrent que le proton avait une structure : en fonction de l'énergie libérée dans la collision, les particules diffusèrent sur le noyau, sur les protons ou sur des sous-structures plus petites encore, confirmant l'existence ce qu'on appelle "une mer de quarks et de gluons".

Fonctions de distribution ou densités de probabilité des partons dans un proton (cf. le texte pour les explications). Document Coll. H1 et ZEUS.

Suite à cette découverte, en 1969 au cours de la 3e Conférence sur les Collisions à Haute Energie des Hadrons, Richard Feynman proposa le modèle des partons qui fit l'objet d'un article publié dans les "Physical Review Letters". Le résultat est une "fonction de distribution des partons", c'est-à-dire un modèle décrivant les densités de probabilité de trouver une particule hadronique (en terme de fraction de quantité de mouvement et d'impulsion).

Comme on le voit dans le diagramme présenté à gauche, les courbes correspondent à la fraction de moment longitudinal (x) multipliée par la fonction de distribution (f), en fonction de x. Ce modèle prédit (courbe jaune) la structure et les interactions au sein du proton notamment. Il tient compte de la "liberté asymptotique" de l'interaction forte et donc prédit l'existence d'une mer de saveurs de quarks et de gluons.

Nous verrons plus bas que généralement les quarks sont confinés (liés en doublets, triplets, etc) mais en théorie, sous des conditions de pressions et de températures extrêmement élevées (>1015 g/cm3 et >1012 K), ils peuvent exister sous forme de particules libres. En théorie, on rencontre ces conditions titanesques dans un seul type d'objet : le coeur d'une étoile à neutrons et autre pulsar.

Mais ce n'est qu'une hypothèse puisqu'il s'agit de conditions physiques et d'équations d'états inaccessibles aux expériences. En effet, si on peut créer des plasmas de quarks-gluons ou QGP communément appelés "soupe de quarks" (cf. A.Abbott, 2000) dans l'expérience ALICE au CERN par exemple, créer des quarks exige des températures supérieures à 1012 K et cette petite goutte de matière dégénérée est instable et décroît en quelques femtosecondes.

Une méthode alternative consiste à simuler cette soupe de quarks sur ordinateur grâce à des modèles fondés sur les variétés de Calabi-Yau (les mêmes qu'on retrouve dans les théories de supersymétrie). Heureusement, bien qu'il s'agisse de modèles appliquant des équations très générales, les résultats concordent avec les modèles utilisés en astrophysique, ce qui est encourageant.

Quelle est la taille d'un quark ? En 2016, grâce à de nouvelles mesures établies au moyen du détecteur ZEUS de l'accélérateur de particules HERA du programme allemand DESY, les physiciens ont fixé une nouvelle limite à la taille du quark. Le rayon du quark est de l'ordre 0.043 fm (1 fm = 10-15 m) soit 4.3 x 10-17 cm ou 43 milliardièmes de milliardième de mètre. Qu'est-ce que cela représente concrètement ? Le rayon du quark est 20 fois plus petit que le rayon du proton, qui est 60000 fois plus petit que le rayon de l'atome d'hydrogène, lui-même étant 40 fois plus petit que le rayon de la double hélice de l'ADN qui est un million de fois plus petit qu'un grain de sable !

A gauche, plan éclaté du détecteur CMS (Compact Muon Solenoid) du LHC du CERN utilisé pour étudier divers domaines de la physique et des particules comme les hadrons (par ex. les protons et les mésons) et les bosons ainsi que les éventuelles autres dimensions de l'univers. A droite, l'intérieur du CMS. Il s'agit d'un aimant supraconducteur de 14000 tonnes capable de générer un champ magnétique de 4 teslas (100000 fois l'intensité du champ géomagnétique). Ce cylindre mesure 21 m de long, 15 m de large et 15 m de haut. CMS est utilisé par 4300 chercheurs de 41 pays (2012). Document CERN/Big Science et CMS/CERN.

Fermions et bosons

Au cours de l'élaboration de sa "taxonomie quantique", Gell-Mann divisa les particules en deux classes : les fermions, qui regroupent hadrons et leptons, déjà cités pour obéir au principe d'exclusion de Pauli et les bosons. Les fermions représentent la "matière", laquelle est soumise aux quatre interactions fondamentales par l'intermédiaire des bosons. Quarks, leptons et bosons sont des particules élémentaires. Parmi les bosons seuls le photon et probablement le graviton ont une durée de vie infinie. W et Z se désintègrent en une fraction de seconde, tandis que les autres vecteurs font encore l'objet de discussions.

Durée de vie des particules

En tant que particules libres, c'est-à-dire non confinées (non liées), les hadrons et les leptons ont une durée de vie (ou demi-vie) qui oscille entre 10-17 seconde et ~15 minutes (neutron), après quoi ils se désintègrent. Seul le proton aurait une durée de vie quasi infinie, en tout cas supérieure à 1031 ans (cf. Le Big Freeze en cosmologie). En revanche, le neutron devient une particule stable lorsqu'il est confiné dans un noyau. On y reviendra (voir plus bas).

Décrivons à présent les deux grandes familles de particules, les hadrons et les leptons, c'est-à-dire les composants de la matière. On reviendra en dernière page sur les bosons.

1. Les hadrons : baryons et mésons

Les physiciens regroupent les composants de la matière en deux familles : les hadrons et les leptons, selon qu'ils ressentent ou non les interactions fortes. Les hadrons (mot qui vient du grec hadros qui veut dire fort) sont subdivisés en baryons (proton, neutron et hypérons) et mésons (π ou pion, κ ou kaon, η ou eta, etc., selon la valeur de leur nombre de spin et leurs propriétés. Tous les baryons ont une antiparticule de même charge. Ce sont aussi les constituants les plus lourds de la matière (0.9 à 1.7 GeV).

Une étudiante en classe de master en physique examinant les données d'ALICE en 2011. Document CERN Courier, Mars-Avril 2019.

Etant donné que les baryons assurent une certaine cohésion aux noyaux, leur interaction a une portée limitée, permettant aux nucléons de se briser ou fusionner. C'est le physicien japonais Hideki Yukawa qui prédit l'existence d'une particule appelée par la suite méson, pour servir de vecteur à cette interaction nucléaire forte. On y reviendra.

La famille des hadrons regroupe donc les particules sensibles aux interactions fortes qui maintiennent la cohésion des nucléons dans le noyau. Outre les 92 éléments du tableau périodique, environ 250 autres particules ont été créées en laboratoire et complètent cette liste qui est remise à jour chaque année dans le "Particle Physics Booklet". La plupart d’entre elles sont instables.

Les hadrons sont constitués de 3 quarks : les baryons contiennent 3 quarks, les antibaryons 3 antiquarks. Les mésons contiennent 2 quarks. Les quarks n'ont plus un nom mais une "saveur" différente (en anglais flavor) : up, down, strange, charm, bottom (ou beauty) et top dont on retiendra la première lettre. Ces quarks auraient tout aussi bien pu s'appeler “hydrogène" ou "électron" mais ces noms étaient déjà utilisés !... Les physiciens ont donc préféré sortir du cadre ordinaire des noms de baptême en laisser libre cours à leur imagination. Ces quarks forment donc les soubassements de la matière.

Seuls les quarks up et down qui  appartiennent à la famille I (cf. ce tableau taxinomique) constituent la matière ordinaire, hadronique. Les quarks strange et charm ainsi que bottom et top, qui appartiennent respectivement aux familles II et III n'existent pas sur Terre mais on les trouve dans les rayons cosmiques (et existaient également juste après le Big Bang et à l'époque de l'Univers primordial). On peut néanmoins les créer lors de collisions entre particules, notamment au LHC du CERN.

La couleur des quarks

En 1964, une anomalie souleva bien des polémiques. Si les hypérons Λ-, Δ++ et Ω- avaient le même état d'énergie et le même nombre de spin, ils violaient le principe d'exclusion de Pauli. Pourtant ces particules existent. Walter Greenberg suggéra qu'il devait y avoir une caractéristique supplémentaire, une symétrie au niveau des quarks qui n'était pas prise en compte dans la théorie, elle sera baptisée la "symétrie de couleur".

Après leur avoir attribué une saveur, les physiciens ont attribué une "couleur" aux quarks pour préciser, non pas leur charge électrique, mais une propriété équivalente concernant l'interaction forte. Elle peut être rouge, verte ou bleue (antirouge, antiverte ou antibleue pour les antiquarks). Leur charge électrique est comparée à celle de l'électron prise pour unité[11]. La charge est de +2/3 pour les quarks u, c, t et de -1/3 pour les quarks d, s, b.

A voir : Quantum electrodynamics: theory (les diagrammes de Feynman)

A consulter : List of Feynman Diagrams, UZH

La symétrie de couleur

Hadron incolore (p+) de charge +1 (3/3)

Méson incolore (π+) de charge +1 (3/3)

Ci-dessous, émission d'un gluon virtuel dans une interaction forte entre quarks bleu et rouge.

Pour expliquer l'existence de la charge électrique entière des hadrons (baryons et mésons), les physiciens Yoichiro Nambu et M.Han démontrèrent en 1965 que les interactions entre quarks imposaient de les combiner de façon "incolores". Leur théorie traitant des variables dynamiques des quarks et de leur couleur, elle sera baptisée "chromodynamique quantique" ou CDQ en abrégé, par référence à l'électrodynamique quantique, l'EDQ.

Ainsi le proton devait être composé des trois quarks d, u, u ayant les couleurs vert, bleu et rouge : par exemple down-vert + up-bleu + up-rouge. Idem pour les mésons qui devaient se combiner avec leur anticouleur pour donner une couleur neutre (quark up-rouge avec quark antidown-antirouge donnent un méson π+). La charge du proton égale la somme de la charge des quarks (+2/3 +2/3 -1/3 soit +1, donc positive). Le neutron contenant deux quarks d et un quark u, sa charge est neutre (-1/3 -1/3 +2/3 soit 0).

Parmi les mésons citons le pion (méson π, u et anti-d), le kaon (méson K, s et anti-u), le rho (méson ρ, u et anti-d), le B-zéro (B0, d et andi-b) ou encore le η-c (méson ηc, c et anti-c). Certains comme le kaon présente un nombre quantique d'étrangeté (s). Seul le méson η (eta) présente un seul état, celui dans lequel sa charge est neutre. Toutes les autres existent sous différentes formes, à l'état de particule ou d'antiparticule, présentant une charge positive, négative ou neutre. Le méson π est sa propre antiparticule. C’est comme l’on dit un "état propre de la conjugaison de charge".

Toutes ces particules sont en interactions dans le noyau atomique. Ainsi, un proton peut se transformer en neutron s'il perd une paire virtuelle composée d'un pion (u + anti-d). Autrement dit le proton se transforme en neutron et en pion. Inversement, nous verrons plus bas qu'un neutron peut se transformer en proton. On reviendra sur le rôle du pion.

Bien que parfois malmené dans ses détails, le modèle Standard des particules élémentaires est régulièrement renforcé par les découvertes des physiciens.

Comme nous le verrons, la CDQ prédit l'existence du "charmonium" J/ψ (J-psi) une particule constituée des quarks c et anti-c et de bien d'autres particules "charmées" ainsi que des quarks b et t qui furent tous découverts.

A gauche, l'un des modes de production d'un charmonium (J/ψ) à partir d'une collision électron-positron. A droite, décroissance du Xi charmé (Ξcc++) en mésons. Documents Zhi-Guo He et al. (2009) et LHCb.

En 2012, au cours de l'expérience CMS du CERN les physiciens découvrirent un nouveau baryon cascade, Ξ*b ou Xi(b)* comprenant les quarks bsu ou bsd. Contenant un quark bottom, il présente une très courte vie à l'inverse des protons et des neutrons. Il faut une fraction de seconde pour que ce baryon décroisse en 21 autres particules à courte vie (d'où son nom de cascade), principalement des mésons tels que J/ψ, muon, lambda, pion, etc. L'énergie de repos de Ξ*b est d'environ 5.94 GeV (contre 511 keV pour l'électron).

Puis en 2017, les physiciens de la collaboration LHCb annoncèrent la découverte d'un baryon cascade charmé nommé pompeusement Ξcc++(Xicc++), c'est-à-dire le Xi charmé. Il se compose de deux quarks charmés et d'un quark up (ccu). Son existence était également prédite par le modèle Standard qui lui donnait une durée de vie comprise entre 0.20 et 1.05 picoseconde, soit très éphémère et donc assez massive. En pratique, c'est bien une particule instable présentant une énergie de repos de ~3621 MeV soit quatre fois plus élevée que celle du proton (cf. ce tableau). Sa durée de vie est d'environ 0.256 picoseconde (2.56x10-13 s) et décroît en Λc+ et en trois mésons légers K-, π+ et π+ comme le montre le diagramme de Feynman ci-dessus à droite. Sa découverte fut confirmée en 2018.

En 2020, la collaboration LHCb annonça la découverte d'une nouvelle particule exotique, un tétraquark composé de 4 quarks charmés. Avec une masse comprise entre 6.2 et 7.4 GeV/c2, il est deux fois plus massif que le J/ψ (charmonium). En fait, on ignore si c'est un véritable tétraquark ou un système de 4 quarks faiblement liés ou même 2 paires de quarks faiblement liés. Quoi qu'il en soit, sa découverte aidera les théoriciens à tester des modèles de la CDQ, la théorie de l'interaction forte.

Enfin, comme l'ont proposé des physiciens dans les "Physical Review Letters" en 2016, une hypothétique particule X neutre de 1.6-20 MeV/c2 pourrait expliquer le manque de lithium-7 dans l'univers quoiqu'une étude plus récente suggère que les éruptions des novae semblent suffisantes pour créer le lithium manquant. On y reviendra.

L'interaction forte des gluons

A la différence de l’EDQ où le photon est électriquement neutre et agit sur de courtes distances entre électrons par exemple, en CDQ les gluons portent une interaction de couleur qui peut interagir sur de grandes distances, c’est le confinement. C’est l’expérience de Dick Taylor, Henry Kendall et Jerry Friedman qui permit de découvrir la structure du proton, les quarks, découverte sensationnelle pour laquelle ils seront gratifiés du prix Nobel de Physique en 2004.

Les liens qui maintiennent les quarks sont si forts qu'il est actuellement impossible de les détecter, les accélérateurs de particules n'étant pas en mesure de briser les hadrons, le confinement des quarks provoquant une barrière d'énergie sinon inaccessible, du moins infranchissable avec nos moyens actuels.

Cette interaction forte peut-être comparée à un élastique aux extrémités duquel nous aurions placé un quark (nous représentons le cas des mésons, composés de deux quarks). Plus l'élastique s'étend plus la force à vaincre devient importante. Si on dépasse son seuil d'élasticité, il se brise, formant deux élastiques. Il suffit alors de placer deux nouveaux quarks à leur extrémité libre pour retrouver un système original. Dans la nature, l'interaction entre quarks agit de même, mais les physiciens ne sont pas encore parvenus à vaincre ce “seuil d'élasticité”. On reviendra sur les gluons.

Le rayon des baryons

En physique quantique, il faut autant que possible éviter de faire des comparaisons avec les objets du monde ordinaire ou de la physique classique au risque de faire de grossières confusions et d'avoir une fausse représentation de la réalité quantique. C'est notamment le cas du concept de "rayon du baryon", volontairement mis en guillemets.

Une particule composite telle qu'un proton ou un neutron n'est pas une petite sphère dure, même si plus d'un physicien la représentent ainsi par simplicité. Comme nous venons de l'expliquer, il s'agit d'un ensemble de trois quarks en interaction, qui sont eux-mêmes probablement des particules élémentaires "ponctuelles".

Le "rayon" d'un baryon doit être pris au sens figuré. En effet, c'est une construction mentale déduite de l'interprétation des données (techniquement des transformées de Fourier de la dépendance en termes de quantité de mouvement des données de diffusion). A partir de ces chiffres, on peut construire une image théorique de la taille d'un baryon selon le point de vue de Feynman.

Dans le jargon de la physique des structures nucléaires, le rayon  d'un "point-proton" (ou d'un point-neutron) ne fait pas référence au rayon d'un proton (neutron) individuel, mais au rayon des distributions de protons (neutrons) à l'intérieur du noyau.

Imaginez un noyau comme la somme d'une densité de protons et d'une densité de neutrons. Les rayons "pointe-proton" et "pointe-neutron" reflètent la taille de ces densités. Au lieu du "rayon", il s'agit plutôt du "rayon de la densité de distribution des protons" (ou des neutrons).Ce rayon est indépendant de l'environnement (bien que légèrement dépendant du type de sonde utilisé pour le déterminer). On y reviendra un peu plus bas à propos de la peau neutronique.

Une des propriétés fondamentales des nucléons est leur taille, déterminée par la distribution des charges. Mais par "rayon", il ne faut pas entendre celui du rayon de charge car le neutron par exemple contient des quarks positifs concentrés au centre du hadron et des quarks négatifs situés en moyenne sur le bord extérieur (voir plus bas), lui donnant un rayon efficace négatif. En effet, à l'intérieur d'un neutron il y a des régions de charges positive et négative qui donnent une charge totale nulle au neutron. Le rayon du neutron peut être considéré comme l'extension spatiale de la distribution de charge. Il détermine ainsi la taille des neutrons.

En théorie et les expériences de diffraction électronique le confirment, dans un noyau stable et pas trop lourd la densité des protons et des neutrons est constante à l'intérieur du noyau (respectivement de ~ 0.06 fm-3 et 0.08 fm-3) et tend vers zéro assez rapidement à partir d'une certaine distance du centre.

Comme le montrent les graphiques ci-dessous réalisés par Gerald A. Miller en 2007, au-delà de 1 fermi, la charge des neutrons se stabilise à zéro et les distributions des quarks se stabilisent à une très petite valeur, ce qui est cohérent avec les "navetteurs" ou commuters présents dans le nuage de pions virtuel qui brouillent le rayon de confinement. C'est probablement la meilleure représentation théorique qu'on puisse donner de la taille des baryons sans l'interpréter sous la forme de l'image d'une petite bille ou d'un nuage sphérique aux contours estompés.

A gauche, profils radiaux (en fermi ou femtomètre) de la densité de charge ρ(b) du proton et du neutron. A droite, profil radial de la densité des quarks up et down. Documents G.A. Miller (2007) adaptés par l'auteur.

En fait, le rayon dont on parle généralement est le rayon de confinement, qui est similaire pour la plupart des hadrons. Ainsi, pendant des décennies, les physiciens ont considéré la longueur d'onde de Compton de la particule, qui pour le neutron est de 1.31959 fm. Ce qu'on cherche en réalité, c'est la manière dont les quarks, toutes charges confondues, sont distribués dans le noyau ou plutôt l'essaim.

Puisque nous savons qu'il est impossible de mesurer simultanément la vitesse et la position ou la taille d'une particule, les équations d'ondes de Schrödinger nous montrent qu'il est plus pratique de les mesurer en fonction de la densité de masse/charge. On peut aussi adopter une approche indirecte (spectroscopie, diffusion électronique, interaction forte, etc) qui, malheureusement, est à peu près la seule dont nous disposons jusqu'à ce que la technologie nous permette de voir les neutrons.

Le proton

Après les quarks, le proton mérite toute notre attention car bien qu'il s'agisse d'une particule composite constituée de trois quarks, on le retrouve au coeur de l'élément le plus abondant de l'Univers, l'hydrogène, celui qui nous intéresse étant l'hydron, H+ composé d'un seul proton et dépourvu d'électrons.

La taille du proton

Quelle est la taille du proton ? La réponse dépend de ce qu'on mesure et des conditions d'observation ! En effet, les physiciens sont face à un problème car en fonction des mesures ou selon que le proton est isolé ou proche d'une autre particule, son rayon est différent. Selon le modèle Standard, sa taille doit être constante avec un rayon de 0.8745 fm. Or, en 2013 le rayon du proton (isolé) fut estimé à 0.8409 fm.

Mais une expérience faite en 2016 par Pohl Randolf à l'Université de Mainz avec ses collègues sur des deutérons muoniques (ou hydrogène muonique composé d'un proton lié à un muon négatif μ-) indiquait un rayon encore plus petit de 0.8356 fm, ce qui représente 4.6% de différence avec le modèle Standard. La même valeur fut observée avec un proton isolé.

Puis en 2019, l'équipe de Eric Hessels de l'Université de York à Toronto réalisa une nouvelle expérience basée sur des champs oscillatoires séparés par décalage de fréquence - l'expérience la plus complexe réalisée à ce jour - et obtint une valeur encore plus faible avec un rayon de 0.833 ±0.010 fm, soit 9.5% de moins que la valeur théorique.

Cette anomalie renforce l'idée que le modèle Standard est incomplet. En effet, antérieurement la mesure du moment magnétique bipolaire du muon avait également donné une valeur différente de celle prédite par le modèle Standard.

Pour expliquer cette différence, certains auteurs vont jusqu'à proposer l'existence d'une nouvelle interaction. Aujourd'hui, les physiciens n'ont pas d'explication. Ils vont donc réaliser de nouvelles expériences, différentes, et si possible plus précises pour identifier cette éventuelle variable cachée qui altère apparemment les mesures.

La structure du proton

En bombardant un proton avec un faisceau d'électrons de basse énergie (< 30 GeV), la diffusion de Compton permet de révéler sa structure interne. On constate que les électrons sont déviés ou diffusés sur trois partons de valence qui sont les 3 quarks qui eux-mêmes émettent ensuite des photons de haute énergie. Mais si on utilise un faisceau incident de plus grande énergie (jusqu'à 1 TeV), on s'aperçoit que les particule sont diffusées par toute une "mer de partons". Comment interpréter cette observation ?

A gauche, des protons avec leurs quarks de valence, leur mer de quarks et de gluons. Le rayon du proton est estimé à ~0.833 fm. A droite, le schéma d'un proton en insistant sur les interactions des gluons, vecteurs de l'interaction forte. Documents T.Lombry et DESY.

L'image que nous avons aujourd'hui du proton et qui a fait l'objet d'une publication en 2015 de la Collaboration H1 et ZEUS, est le résultat du travail de fourmi réalisé par quelque 300 chercheurs de 70 institutions associées au programme allemand DESY entre 1992 et 2007.

Pendant 15 ans, les chercheurs ont minutieusement compilé des mesures, complétées par 8 années d'investigations et de calculs durant lesquelles ils ont analysé plusieurs milliards de collisions entre protons et électrons ou positrons à des énergies comprises entre 460-920 GeV pour les protons et 27.5 GeV pour les électrons.

Il ressort de ces études qu'il ne faut pas imaginer le proton comme on le représente généralement de manière simplifiée comme une sphère contenant 3 petites boules de quarks maintenus ensemble par des gluons. Comme on le voit sur les schémas présentés ci-dessus, la réalité est bien plus complexe. En effet, les expériences ont montré qu'un proton (ou un neutron) n'est pas seulement composé de 3 quarks de valence - 2 quarks u et 1 quark d - et de gluons mais il est rempli d'une mer de paires de quarks-antiquarks virtuels (u, d, t, b et c) baignant dans une mer de gluons qui interagissent les uns avec les autres.

Selon une étude publiée en 2022, une petite partie de l'impulsion du proton, environ 0.5%, provient du quark charm. Mais cette découverte doit encore être confirmée (cf. les découvertes récentes).

Intensité de la force de pression dans un proton

Quelle est l'intensité et comment varie la force de pression et le confinement à l'intérieur du proton ? On sait qu'il est très difficile de briser un proton en raison de l'interaction forte qui unit les quarks par un champ bosonique de gluons.

L'étrange distribution de la pression dans un proton. Voir le texte pour les explications. Document V.D. Burkert et al. (2018) adapté par l'auteur.

En 1966, Heinz Pagels[9] inventa les facteurs de formes gravitationnels pour étudier la structure subatomique mais devant les difficultés qu'il rencontra pour sonder le proton, il avait estimé qu'il serait impossible d'exploiter cette méthode pour étudier la structure du proton en raison de la trop faible intensité de la force gravitationnelle qui était littéralement écrasée par la force forte. Pendant plus de 50 ans, personne ne l'a démenti.

Puis grâce à de nouvelles théories et surtout grâce à l'accélérateur de particules du Jefferson Lab (Thomas Jefferson National Accelerator Facility) installé aux États-Unis, à Newport News en Virginie où travaillent 700 chercheurs et techniciens, l'équipe du physicien Volker Burkert a relevé le défi. Ils ont réussi "l'impossible" selon Pagels, c'est-à-dire qu'ils ont exploité sa méthode et sont parvenus à mesurer la distribution de la force de pression dans un proton.

Comme on le voit sur le diagramme présenté à gauche qui présente la distribution de la pression (r2.p) exprimée en GeV/fm en fonction de la distance radiale (r), les chercheurs ont mesuré une forte pression répulsive (dirigée vers l'extérieur) près du centre du proton qui s'affaiblit jusqu'à 0.6 fm. Le pic de pression ou pression de pointe moyenne près du centre est d'environ 1035 pascals, soit 10 fois supérieure à la pression estimée régnant dans les étoiles à neutrons, les astres les plus denses connus dans l'Univers (où elle atteint ~1034 Pa pour un gaz idéal de fermions dégénérés).

Bizarrement mais logique quand on connaît l'effet de l'interaction forte, quand on s'éloigne du centre, le sens de la force s'inverse et est dirigé vers l'intérieur; c'est une pression de liaison ou force de confinement dont le pic se situe vers 0.8 fm et qui s'affaiblit jusqu'au-delà de 2 fm où elle n'est plus sensible.

C'est la première fois depuis plus d'un demi-siècle de recherches qu'on parvient à mesurer le comportement de l'interaction forte entre quarks. Les résultats de cette importante découverte furent publiés dans la revue "Nature" en 2018.

Cette découvre va permettre aux physiciens d'explorer les propriétés gravitationnelles des protons, des neutrons et des noyaux et, ils espèrent, conduire à la mesure de leurs rayons physiques, des forces de cisaillement internes agissant sur les quarks et à la distribution des pressions.

La vitesse des quarks

Au sein du nucléon, les particules élémentaires se déplacent à des vitesses relativistes mais elle n'est pas constante. En effet, en 1983 les physiciens du CERN de la collaboration CEM (European Muon Collaboration), ont observé pour la première fois ce qui allait devenir l'effet CEM : dans le noyau d'un atome de fer (Fe-56) contenant 26 protons et 30 neutrons, les quarks se déplacent 20% plus lentement que les quarks du deutérium qui contient un seul proton et neutron.

Il fallut 35 ans pour comprendre ce phénomène qui fit l'objet d'un articlé publié dans la revue "Nature" en 2019 par les membres de la Collaboration CLAS du Jefferson Lab.

On sait que les protons et les neutrons formant un noyau atomique se couplent constamment mais temporairement, avant de se séparer et se recoupler. Au cours de cette brève interaction à haute énergie, les quarks de chaque particule disposent de plus d'espace pour se mouvoir. Or, en physique quantique, quand on augmente le volume dans lequel un objet est confiné, cela le ralentit. Si on réduit l'espace, cela l'accélère.

A voir : Un proton et sa mer de quarks (.MP4 de 12 MB), Olena Shmahalo

A gauche, structure simplifiée et statique d'un proton (la grande sphère) et d'un neutron (la petite sphère en haut à droite). A l'intérieur, les trois grandes sphères solidaires sont les quarks de valence, les quarks u (en bleu) et les quarks d (en vert). Les autres petites sphères colorées sont des paires virtuelles de quark-antiquark (u, d, t, b, c et s) formant la mer de quarks. Les petits points représentent la mer de gluons qui assure la cohésion de l'ensemble. Les tire-bouchons représentent l'interaction des gluons. A droite, arrêt sur image de la version dynamique un peu plus réaliste d'un proton et de ses composants élémentaires en mouvements permanents. En toute probabilité, les trois quarks de valence se situent dans les nuages plus clairs. Documents T.Lombry et adapté de Olena Shmahalo.

Les atomes lourds possèdent plus de protons et de neutrons. De ce fait, ces particules ont plus de chances de former un plus grand nombre de paires de proton-neutron, ce qu'on appelle des paires "corrélées à courte portée" ou SRC (short-range correlated).

En 2011, les chercheurs de la Collaboration CLAS ont réalisé des expériences pour mesurer le comportement des quarks dans différents noyaux atomiques et étudier les paires de SRC. Ils ont constaté que plus l'atome est lourd (ou gros), plus il est susceptible de contenir de paires, ce qui force les quarks à ralentir dans ce type atome. Ainsi, dans l'atome d'or (Au-79 comprenant 79 protons et 118 neutrons), les quarks se déplacent 20% plus lentement que dans le petit noyau d'hélium (He-4 comprenant 2 protons et 2 neutrons).

Comme expliqué précédemment, en projetant un faisceau d'électrons sur des noyaux atomiques de différents éléments, les électrons se dispersent et les angles ainsi que les énergies auxquels ils se dispersent varient en fonction de ce qu'ils frappent, fournissant aux physiciens des informations sur les particules.

Les chercheurs ont découvert que les électrons se dispersent sur les protons et neutrons plutôt que sur les quarks. Pourquoi ? Parce que les paires de SRC sont généralement extrêmement énergétiques et dispersent donc les électrons à des énergies plus élevées que les protons et neutrons non appariés. C'est ce phénomène lié aux paires à forte impulsion qui explique pourquoi les quarks sont plus lents dans les atomes plus lourds. Les quarks du plomb, par exemple, sont beaucoup plus lents que ceux de l'aluminium, qui eux-mêmes sont plus lents que ceux fer, etc., parce qu'ils contiennent plus de paires SRC.

Le proton, cet inconnu

A priori, depuis les années qu'on l'étudie, on connait bien le proton. Son énergie de repos, son rayon, sa force, son spin, ses constituants ont été caractérisés et mesurés sous tous les angles. Mais quand on plonge la tête dans la soupe de quarks et de gluons qu'il contient, notre vue comme notre esprit se troublent. A cette échelle, le flou quantique prend un sens concret et on ne reconnait plus l'image simple du proton qu'on nous a apprise sur les bancs de l'école !

Plusieurs questions importantes restent ouvertes à propos du proton. Que ce soit au CERN, au Fermilab ou au BNL, les physiciens avouent eux-mêmes que malgré les décennies de recherche, la structure du proton est encore mal comprise, ressemblant à une sorte de puzzle très complexe à l'image d'une poupée russe noyée dans une mer de quarks, de gluons et de particules virtuelles au comportement parfois étrange. Prenons deux exemple récents significatifs.

Le poids du noyau atomique

Un nucléon constitué d'un seul proton et d'un seul neutron et donc de 6 quarks de valence (u et d) pèse ~1.7x10-27 kg, masse qui se partage à peu près également entre le proton et le neutron. Rappelons que les nucléons représentent 99.97% de la matière existant dans l'Univers.

Mais si on pèse chaque particule élémentaire individuellement, on constate que la masse totale du nucléon est inférieure à la somme des masses individuelles. On peut imaginer que la masse manquante est utilisée sous forme d'énergie de liaison comme dans le cas de la bombe atomique ou des liaisons moléculaires mais cela ne suffit pas pour rendre compte de la masse totale du proton par exemple.

Les autres variables qui pourraient jouer un rôle sont le spin du proton, sa charge, les saveurs des quarks et des antiquarks, le spin des gluons et leurs variétés. Mais même en tenant compte du spin des quarks et des gluons, la somme des spins ne correspond pas à celui du proton.

Sachant que les gluons représentent l'essentiel de la masse du nucléon, il est possible que la réponse se cache dans cette entité élusive qui reste à découvrir. On y reviendra.

Les résultats de l'expérience SeaQuest/E906 conduite au Fermilab montre une asymétrie dans la distribution des antiquarks down et up dans le proton. Le modèle Standard des particules élémentaires ne l'explique pas. Document Paul. E.Reimer et al. (2021).

Une autre piste fut découverte au cours de l'expérience NA51 du CERN qui commença en 1994 et se termina en 2002. Au cours de cette expérience, les physiciens bombardèrent des nucléons avec un faisceau de protons de 450 GeV. Les résultats bien que peu précis montrèrent une surabondance d'antiquarks down dans la mer de quarks des protons.

Une seconde expérience nommée NuSea/E866 faite au Fermilab en 2001 avec un faisceau de protons de 800 GeV montra également une excès d'antiquarks down dans la mer de quarks et à l'inverse un excès d'antiquarks up à proximité des quarks de valence. Mais les incertitudes expérimentales n'ont pas permis de valider ces résultats.

En revanche, en 2019 Paul E. Reimer de la Collaboration SeaQuest du Fermilab et ses collègues ont exploré la structure interne du proton grâce à l'accélérateur du Fermilab pour mieux comprendre le bilan de la désintégration des particules et l'asymétrie entre matière et antimatière, une question qui reste toujours non résolue.

Dans le cadre de l'expérience SeaQuest/E906, une équipe internationale de chercheurs membres de l'expérience SeaQuest du Fermilab explora la façon dont ces particules et leur dynamique donnent naissance à l'état lié quantique du proton et à ses propriétés physiques, telles que son spin.

On sait que les deux quarks up et le quark down qui composent le proton dans l'image la plus simple ne représentent que quelques pour cent de la masse du proton, dont la majeure partie se présente sous la forme d'énergie cinétique et potentielle de quark et d'énergie de gluon provenant de l'interaction forte.

Une caractéristique essentielle de cette force, telle que décrite par la CDQ, est sa capacité à créer des paires de quarks-antiquarks à l'intérieur du proton qui n'existent que pendant un très court laps de temps. Leur existence éphémère rend difficile l'étude des quarks d'antimatière dans les protons, mais leur existence est perceptible dans les réactions au cours desquelles une paire de quarks-antiquarks s'annihile.

Rappelons que lorsque une paire virtuelle de quark-antiquark s'annihile, elle émet un photon γ virtuel dont l'énergie est égale à la somme de leur masse. Ensuite, ce photon virtuel se désintègre rapidement en une paire de muon-antimuon tout à fait concrets.

Les chercheurs ont bombardé des cibles d'hydrogène et de deutérium liquide avec des protons de 120 GeV. Les impulsions duraient 4 secondes et contenaient chacune 6000 milliards de protons. Au cours des deux années que dura l'expérience, les physiciens enregistrèrent 40000 évènements qui ont permis de calculer la probabilité de distribution des antiquarks dans le proton.

Selon les modèles, étant donné que les masses des quarks d'antimatière up et down sont très similaires et petites par rapport à la masse du proton, les distributions de probabilité de leur présence en fonction de l'impulsion devraient être presque identiques. Or, les résultats de l'expérience SeaQuest montrent sans ambiguïté, à partir de mesures de production de paires de muons, que ces distributions sont différentes, avec des quarks d'antimatière down plus abondants que des quarks d'antimatière up sur une large gamme d'impulsions. L'analyse des paires de muons-antimuons montra qu'il y a 1.4 fois plus d'antiquarks down que d'antiquarks up dans les protons. C'est une violation de la théorie CDQ qui impose la symétrie de saveur dans le proton. Les résultats de cette expérience furent publiés dans la revue "Nature" en 2021 (en PDF).

Il faut à présent comprendre l'origine de cette asymétrie de l'antimatière dans le proton en réalisant de nouvelles mesures pouvant distinguer ces mécanismes.

Si les physiciens sont confrontés à une énigme, une explication pourrait se trouver dans le méson π. Le pion possédant un antiquark down (son antiquark up ne pouvant pas se matérialiser aussi facilement), des théoriciens tels que Mary Alberg, Gerald Miller et Tony Thomas ont proposé qu'un nuage de pions expliquerait le surplus d'antiquarks down observé. En effet, en 2019 Alberg et Miller ont calculé ce que SeaQuest devrait observer sur base de l'hypothèse du nuage de pions. Leur prédiction correspond bien aux nouvelles données de SeaQuest.

En résumé, la mer (de quarks et d'antiquarks) est plus vaste qu'on l'imagine...

La saturation des gluons

Dans une autre expérience réalisée aux Etats-Unis dans le détecteur STAR du RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider), les physiciens de la Collaboration STAR ont constaté que les gluons atteignent un état stable "saturé" lorsque les ions présentent une grande impulsion. Selon les chercheurs, la preuve est la suppression de paires de particules-antiparticules émergeant des collisions entre les protons et les ions plus lourds. Plus le noyau avec lequel le proton entre en collision est gros (par exemple l'aluminium ou l'or), plus la suppression de cette signature clé est importante, comme le prédisent les modèles théoriques de saturation des gluons (cf. M.S. Abdallah et al., 2022).

Illustration d'un proton avec ses quarks, antiquarks et ses gluons (les ressorts jaunes). Les expériences du RHIC montrent que dans les ions (des noyaux d'atomes) à forte impulsion, les gluons se multiplient mais finissent par atteindre un état stable "saturé". Pourquoi ? On l'ignore. Document BNL adapté par l'auteur.

Des expériences antérieures ont montré que lorsque les ions sont accélérés à des énergies élevées, les gluons se divisent en deux, pour finir par se multiplier en très grands nombres. Mais les scientifiques soupçonnent que la multiplication des gluons ne peut pas durer éternellement. En fait, dans les noyaux se déplaçant à une vitesse relativiste où l'impulsion est telle qu'elle aplatit les noyaux dans le sens de leur mouvement (cf. la relativité restreinte), les gluons qui se chevauchent devraient commencer à se recombiner. Et de fait, pour les ions présentant une impulsion relativiste, la densité des gluons atteint un état stable, ou plateau, appelé la "saturation". Du fait qu'il y a plus de gluons et plus de gluons qui se chevauchent dans les noyaux plus lourds, ces plus gros ions montrent des signes de recombinaison et de saturation, conformément aux prédictions.

L'expérience STAR durera jusqu'en 2024. Les résultats serviront également de base pour des mesures très similaires qui seront réalisées avec le futur collisionneur électron-ion (EIC), en cours de construction à Brookhaven qui devrait permettre de lever les secrets de l'interaction forte.

Selon Elke-Caroline Aschenauer de Brookhaven et l'une des physiciennes exposant les plans de recherche du futur EIC, "Si nous mesurons cela maintenant au RHIC, à une énergie de collision de 200 GeV, c'est très similaire à l'énergie de collision que nous aurons au EIC. Cela signifie que nous pouvons utiliser la même observable à l'EIC pour tester si la recombinaison et la saturation sont des propriétés universelles des noyaux, comme prédit par les modèles de saturation. Si les résultats sont identiques dans les deux installations, cela prouverait que ces propriétés ne dépendent pas de la structure et du type de sonde que nous utilisons pour les étudier."

A lire : Comment les particules ont acquis leur masse

Les mécanismes de Higgs

Le neutron

Que savons-nous déjà du neutron ? Nous avons expliqué que le neutron est un baryon, une particule composite comme le proton, mais contenant deux quarks d et un quark u, et sa charge est neutre (-1/3 -1/3 +2/3 soit 0).

Comme le proton peut se transformer en neutron s'il perd une paire virtuelle composée d'un pion (u + anti-d), si dans un neutron un quark d forme une paire avec l'antiquark d d'un pion (contenant en plus un quark u), il se transformera en proton et deviendra une particule chargée.

Si le neutron est une particule libre, c'est-à-dire non confinée (non liée), il vit environ ~15 minutes (les valeurs divergent), après quoi il se désintègre. En revanche, il devient une particule stable lorsqu'il est confiné dans un noyau.

La durée de vie ou la demi-vie τ du neutron libre est progressivement passée de 1 heure à l'époque de Gamow (1948), à 20.8 minutes, puis 14.7 minutes, 12.8 minutes et même 10.3 minutes selon certaines sources. Elle fut remesurée entre 2004 et 2018 par plusieurs équipes différentes selon deux méthodes différentes (la méthode des bouteilles et la méthode des beams) et en aveugle... et les résultats sont différents !

Trois représentations de la décroissance du neutron (la version du milieu est plus conforme). Un neutron libre décroit via une interaction faible en libérant un électron et un anti-neutrino électronique en même temps qu'un quark down se transforme en quark up, devenant un proton.

En utilisant la première méthode, c'est-à-dire un piège magnétogravitionnel ultra-froid pour confiner les neutrons, en 2017 et 2018 trois équipes de la Collaboration UCNτ du Caltech travaillant au LANL ont obtenu une demi-vie de 877.75 secondes avec une incertitude de 0.039% (soit 14.629 ±0.005 minutes ou ~14m 37.68s ). La mesure est deux fois plus précise que la précédente (cf. F.M. Gonzalez et al., 2021).

Mais en utilisant la méthode des beams, en 2004 une équipe internationale de chercheurs avait obtenu un résultat différent avec une demie-vie d'environ 886.3 s soit 8.55 secondes plus longue, ce qui est significatif (~1%) sur un total de quelque 15 minutes (cf. J.S.Nico et al., 2005). Problème, les physiciens ignorent l'origine de cette différence. Or s'ils pouvaient connaître la durée de vie exacte du neutron, cela leur permettrait de mieux comprendre la formation de la matière juste après le Big Bang dont celle des protons et des neutrons à partir de la soupe primordiale de quarks et de gluons. La question de la durée de vie du neutron reste donc ouverte.

La peau neutronique

Faisons d'abord un petit rappel scolaire. Dans le tableau périodique des éléments chimiques de Mendeleïev, un atome se caractérise par son numéro atomique Z et son nombre de masse A. Le nombre de masse est la valeur arrondie sans dimension de la masse atomique relative (ou de l'isotope le plus stable). Z détermine également le nombre de protons ou le nombre d'électrons tandis que A représente le nombre de protons + le nombre de neutrons (et donc la différence A-Z donne le nombre de neutrons N). A l'exception de l'hydrogène, pour tous les éléments stables A ≥ 2Z. Par exemple, pour le 26Fe, Z = 26, A = 56 et donc N = 30. Pour les isotopes, Z ≤ N comme par exemple pour le 54Fe où Z = 26, A = 54 et N = 28.

Document T.Lombry.

Dans un noyau lourd, comme le concept de "rayon du proton" - où plus exactement le rayon de densité de distribution des protons - reflète le rayon de distribution des protons dans le noyau, la "peau neutronique" n'est pas une propriété d'un neutron individuel (le concept de "peau du neutron" est intellectuellement et physiquement faux), mais de la répartition des neutrons en périphérie du noyau. Explication.

Tous les noyaux où N > Z présentent une peau neutronique. Comme expliqué plus haut, en principe et certaines expériences le prouvent, la densité des protons et des neutrons est constante à l'intérieur du noyau. Mais dans certains noyaux lourds, du fait qu'il y a un excès de neutrons, l'une de leurs propriétés les plus intéressantes est leur structure : leur centre est composé d'un mélange de protons et de neutrons, mais sur leur périphérie se trouve une enveloppe diffuse composée principalement de neutrons. Les scientifiques appellent cette structure la "peau neutronique". Les expériences montrent que dans ces atomes lourds la distribution des neutrons est plus diffuse que la distribution des protons.

Les études de la peau neutronique permet aux physiciens d'approfondir leurs connaissances de la chromodynamique quantique, c’est-à-dire le comportement des quarks et des gluons dans l'interaction forte qui les lient dans le noyau. Cela peut également avoir des applications en astrophysique, en donnant un aperçu de la structure des étoiles à neutrons.

Le problème est que la plupart des noyaux atomiques ne sont pas de simples "sphères" de matière, mais présentent des formes non triviales. Les noyaux légers (par exemple N+Z < 24, jusqu'au 11Na) présentent des structures plutôt complexes et parler de "surface nucléaire" devient très imprécis. Les noyaux plus lourds ont des surfaces nettes, mais ils sont généralement déformés sous forme ellipsoïdale. Cette déformation entraîne une dépendance angulaire de la peau neutronique, c'est-à-dire qu'elle n'est pas identique dans toutes les directions. Cela rend sa définition largement dépendante de la modélisation théorique.

Par conséquent, la peau neutronique n'est bien définie que pour les noyaux les plus sphériques, également appelés doublement magiques (doubly-magic), comme le calcium-48 ou le plomb-208. C'est pour cette raison que ces atomes font l'objet d'études expérimentales comme PREX ou CREX.

Selon les physiciens, le plomb-208 possède un noyau intrigant. C'est un gros noyau lourd contenant 82 protons (Z = 82) et 126 neutrons d'une masse atomique de 207.98 g/mol (A = 208). C'est le plus lourd des isotopes stables ou nucléides naturels. C'est aussi le plus abondant (~55%) des nucléides du plomb-82. C'est le produit final de la désintégration du thorium-82.

Représentation artistique simplifiée et statique d'un noyau lourd dans lequel les protons et neutrons sont homogènes (la densité de distribution des protons et des neutrons est constante). Document T.Lombry.

Mesurer l'épaisseur de la peau neutronique du plomb-208 est un défi technique. Si la structure des protons dans le noyau peut être déterminée par diffusion électronique, les neutrons n'ont pas de charge et ne diffusent donc pas les électrons de la même manière. Cependant, les neutrons sont fortement affectés par l'interaction forte qui lie les quarks et les gluons dans les noyaux atomiques.

Dans le cadre des expériences du LHC, des chercheurs ont étudié les collisions de faisceaux d'ions plomb-208 à des énergies élevées. Sous des vitesses qui approchent celle de la lumière, la longueur de ces noyaux se contracte d'un facteur de Lorentz γ ≈ 2500, c'est-à-dire qu'ils "s'aplatissent" au cours de leur mouvement. Au moment de la collision, en raison de l'immense énergie cinétique accumulée et de la pression régnant dans les noyaux, les gluons qui maintiennent les quarks ensemble à l'intérieur des nucléons sont séparés, créant un plasma de quarks et de gluons. On pense que ce plasma quarks-gluons correspond à la composition de l'Univers quelques instants après le Big Bang, et selon les modèles, il pourrait correspondre au cœur des étoiles à neutrons (cf. Soupe et étoiles de quarks).

À mesure que la pression et la température diminuent dans le LHC, ce plasma se transforme et se désintègre en particules qui peuvent être suivies par les détecteurs du LHC. On peut ensuite déterminer les propriétés du plasma quarks-gluons.

Dans le plomb-208, la distribution des protons et des neutrons détermine la taille et la forme du plasma quarks-gluons. Cela permet aux physiciens d'imager la structure du noyau de plomb-208 et ainsi de calculer l'épaisseur de sa peau neutronique.

Le physicien théoricien Giuliano Giacalone de l'Université d'Heidelberg et ses collègues du CERN ont ainsi pu déterminer que l'épaisseur de la peau neutronique du plomb-208 est de 0.217 ±0.058 fermi (ou femtomètre), correspondant à un rayon (rms) de neutron ponctuel de 5.653 ±0.058 fm. Ceci est conforme aux mesures précédentes obtenues par d'autres équipes utilisant des méthodes différentes. Au total, les scientifiques ont utilisé 670 points de données du LHC, principalement extraits de l'expérience ALICE, avec quelques données des expériences d'ATLAS et de CMS (cf. G.Giacalone et al., 2023).

C'est la première fois que l'épaisseur de la peau neutronique du plomb-208 est mesurée à l'aide de l'interaction forte. La collaboration PREX (Lead Radius Experiment) du Jefferson Lab avait obtenu un résultat de 0.283 ±0.071 fm en 2021 (cf. D.Adhikari et al., 2021). Cependant, cela fut calculé à l'aide de techniques utilisant l'interaction électrofaible et des électrons polarisés (cf. ce schéma). Notons que ces deux valeurs sont significativement supérieures à celle calculée en 1968 donnant une différence de rayon de 0.07 ±0.03 fm plus grande que celui du proton (cf. J.A.Nolen et al., 1968).

Ceci dit, les auteurs estiment "qu'une analyse plus complète pourrait finalement conduire à une peau neutronique légèrement plus mince".

Selon Wilke van der Schee du CERN et coauteur de l'article, "Ce qui est passionnant dans cette nouvelle détermination, c'est qu'elle est réalisée en utilisant uniquement des données existantes et qu'elle donne néanmoins une incertitude compétitive par rapport à d'autres déterminations expérimentales. À l'avenir, des mesures plus spécialisées pourront certainement améliorer la précision de l'extraction des données du LHC."

A gauche, illustration de la méthode de mesure de l'épaisseur de la peau neutronique du plomb-208 utilisée au CERN. Lorsque les noyaux de plomb (à gauche) entrent en collision, la distribution des neutrons affecte la forme du plasma quark–gluon produit (au milieu), laissant des empreintes mesurables dans la distribution des particules détectées (à droite). Au centre, le flux des ions pb-208 dans la collision nucléaire relativiste réalisée dans le LHC et détermination de la peau des neutrons. Consultez l'article académique pour les détails. A droite, le rayon (de distribution de la densité) des protons du pb-208 (bleu ciel) comparé à celui des neutrons du pb-208 (bleu foncé) en tenant compte de l'épaisseur de la peau neutronique. Pour rappel, le "rayon du proton" n'est pas le rayon individuel du proton, mais le rayon de distribution des protons dans le noyau concerné. De même, la "peau neutronique" n'est pas une propriété d'un neutron individuel, mais de la distribution des neutrons à l'intérieur du noyau concerné. Documents CERN, G.Giacalone et al. (2023) et T.Lombry.

Parmi les expériences à venir, une méthode lancée par la collaboration STAR utilise la photoproduction de mésons vecteurs lors de collisions noyau-noyau ultrapériphérique pour déduire la densité moyenne de gluons dans les noyaux en collision, et donc les peaux neutroniques. D'ores et déjà, la valeur obtenue est en bon accord avec les prédictions de la théorie nucléaire (cf. B.Bally et al., 2023). La même méthode pourrait donc être exploitée au LHC pour réaliser une extraction indépendante de la peau neutronique du plomb-208.

De plus, les physiciens espèrent contraindre la peau neutronique via des observables ou des grandeurs dites dures (et non plus douces où les température de déconfinement CDQ sont de ~150 MeV), tels que les bosons électrofaibles à impulsion transversale élevée. La charge de ces bosons peut servir de sonde directe du nombre d'interactions neutron-neutron. En sélectionnant des collisions avec un paramètre d'impact relativement important, il est alors possible de déterminer la dominance des neutrons sur les bords extérieurs du noyau de plomb-208.

Enfin, les auteurs ont annoncé qu' "il est possible que le noyau de Calcium-48 et d'autres ions soient utilisés dans la décennie 2030."

2. Les leptons

La seconde famille de fermions regroupe les leptons, des particules élémentaires. La lettre "l" de lepton signifie "light"; ces particules sont relativement légères. Mais cette terminologie n'a plus de raison d'être aujourd'hui. Les unes n'ont pas de masse, le tau "pèse" 1777 MeV tandis que le muon "pèse" 106 MeV.

Les physiciens connaissent 6 leptons et 6 antileptons ; en fait 3 leptons de charge électrique négative (électron, muon, tau) auxquels sont associés 3 neutrinos de charge nulle (en réalité leur masse varie entre ~2 eV et 15.5 MeV) plus leur antiparticule."

L'électron

L'électron est le lepton dont la masse est la plus légère. Par définition, comme tous les leptons, il n'a pas de structure, c'est une particule élémentaire. Sa masse de repos vaut 0.511 MeV. Les leptons ne ressentent pas l'interaction forte. S'ils l'étaient, les électrons tomberaient tous sur le noyau empêchant les réactions chimiques et l'existence de la matière. Les électrons sont sensibles aux charges électriques, aux interactions électromagnétiques qui maintiennent les atomes en molécules.

Dans un communiqué publié par l'Université Northwestern en 2018 et détaillé dans la revue "Nature", une équipe de physiciens dirigée par Gerald Gabrielse comprenant des chercheurs de Harvard et de Yale montra avec une précision égalée jusqu'à présent que la forme de l'électron est véritablement sphérique.

Plus exactement, en théorie l'électron n'a pas de dimension et donc pas de forme mais il est plutôt entouré d'un nuage de particules virtuelles affichant une forme spécifique. Dans ce cas-ci, la forme du nuage est parfaitement sphérique, signifiant que le champ électrique est isotrope, c'est un monopôle électrique, alors qu'une forme non sphérique donnerait naissance à un dipôle électrique. Jusqu'à présent, selon le modèle Standard, le nuage pouvait ne pas être sphérique et donc créer un dipôle électrique. Cependant, les dernières mesures indiquent que la distribution de sa charge électrique est celle d'une sphère parfaite de 2.82x10-15 m de rayon, appelée le rayon classique de l'électron ou rayon de Lorentz, qui représente 2.5 fois le rayon du proton.

Selon Gabrielse, le fait que l'électron soit sphérique a une conséquence importante : "Si nous avions découvert que la forme n'était pas ronde, ce serait le plus gros titre en physique au cours des dernières décennies. Mais notre découverte est toujours aussi importante sur le plan scientifique car elle renforce le modèle Standard de la physique des particules et exclut les modèles alternatifs."

Le modèle Standard des particules reste le meilleur modèle que les physiciens théoriciens ont inventés, même s'il n'inclut pas la gravité ou des concepts hypothétiques comme la matière et l'énergie noires.

Les chercheurs sont toujours à l'affût de petites erreurs dans les prédictions du modèle Standard pour le tester. La théorie prédit notamment que la forme de l'électron est sphérique, mais s'il y avait d'autres particules ou interactions inconnues en jeu, elle pourrait être différente.

Selon Gabrielse, "Nous savons que le modèle Standard est faux, mais nous n'arrivons pas à trouver où il ne ne va pas. C'est comme un énorme roman policier. Nous devons être très prudents avant de supposer que nous nous rapprochons de la résolution du mystère, mais j'ai beaucoup d'espoir que nous nous rapprochions à ce niveau de précision." Et d'ajouter : "Si un électron avait la taille de la Terre, nous pourrions détecter si le centre de la Terre est éloigné d'un millionième de la taille d'un cheveu humain. Voilà à quel point notre appareil est sensible."

Mais l'exclusion des modèles alternatifs pose un problème intellectuel. En effet, nous avons besoin d'une théorie qui puisse aller au-delà du modèle Standard, mais presque toutes nécessitent que l'électron soit un peu aplati. Cela signifie que toutes les théories alternatives proposées doivent être repensées pour prendre en compte cette nouvelle découverte.

La précision avec laquelle la nouvelle mesure a été prise laisse très peu de place au doute. Il y a bien des indices de nouvelles particules et d'interactions au-delà du modèle Standard sur lesquels nous reviendrons, mais jusqu'à présent, nous manquons de preuves incontestables.

Rappelons que même si la masse d'un atome est colossale (99.5% de la masse de l'hydrogène se trouve dans son noyau et plus exactement dans les gluons), c'est avant tout la charge électrique qui est l'interaction dominante, c'est-à-dire l'interaction électromagnétique de l'électron. L'énergie d'un atome est donc liée avant tout à la valeur de ses charges.

A voir : The electron is still round. And the universe is still safe, Science, 2017

La saveur des leptons

Les leptons présentent des saveurs leptoniques représentées par une paire de particules appelée un doublet faible : une particule massive et chargée associée à une particule sans masse et sans charge (par exemple un électron et un neutrino). Lors d'une interaction, le nombre de leptons de même saveur est en principe conservé (mais on observe une oscillation dans le cas des neutrinos et des muons qui reste à expliquer).

Selon le modèle Standard, les désintégrations impliquant différentes saveurs de leptons devraient se produire avec la même probabilité, ce qu'on appelle l'universalité de la saveur des leptons. Cependant des expériences ont montré qu'il existait une anomalie (cf. l'expérience Muon g-2) pouvant suggérer l'existence d'une nouvelle particule et d'une cinquième interaction fondamentale. On y reviendra.

Selon le modèle Standard, tous les leptons ont un nombre leptonique L = 1. L'isospin faible des leptons chargés (électron, muon et tau) T3 = -½ . Pour les neutrinos T3 = + ½. La théorie électrofaible impose que toute paire de leptons est associée à une paire de quarks.

Enfin, l'ensemble formé par un doublet de leptons chargés associé à un neutrino d'isospin opposé constitue ce qu'on appelle une génération de leptons. Le nombre d'hypercharge faible YW = -1 pour les leptons "gauchers" (dont le spin est négatif). Les nombres quantiques T3 et YW font partie de la théorie de jauge (ce sont des invariants lors de transformations locales, cf. le concept de champ et les groupes de Lie).

Des préons et des rishons ?

Mais ce n'est peut-être pas la fin de l'histoire. Sur base du modèle de grande unification (GUT) de Georgi-Glashow inventé en 1974 qui combine les modèles du quark et du lepton dans le groupe de jauge SU(5), le physicien théoricien Jogesh Pati de l'Institute for Advanced Study de Princeton proposa en 1974 avec Abdus Salam le modèle du préon. Les quarks et les leptons seraient constitués de triplets de particules, les préons. Il s'agirait de leptoquarks, des particules très lourdes qui seraient détectables à des niveaux d'énergie de l'ordre du TeV.

En 2006, le physicien théoricien Lee Smolin de l'Université d'Harvard et ses collègues sont parvenus à appliquer le modèle du préon aux états les plus simples des particules dans une des classes de modèles de la théorie de la gravitation quantique à boucles ou LQG (cf. L.Smolin et al., 2006).

Enfin, en 1981 Haim Harari et Nathan Seiberg de l'Institut Weismann proposèrent le modèle du rishon. Les quarks, les leptons, les particules scalaires et les bosons faibles seraient constitués de 2 ou 3 triplets de rishons (le proton serait constitué de 3x 3 rishons).

Avec les préons ou les rishons nous toucherions les fondements de la matière, mais aucune découverte récente ne vient supporter ces théories[10].

Les particules exotiques

En une quarantaine d'années, sur quelque 9000 noyaux pouvant théoriquement être créés - isotopes et isotones compris - quelque 5000 ont été étudiés, parmi lesquels 92 seulement sont des noyaux naturels, les 83 premiers étant stables sur Terre. Tous les autres éléments sont instables. En bombardant ces structures avec des énergies de plusieurs milliards d'eV[12], les physiciens ont découvert plus de 291 noyaux stables. La plupart de ces éléments présentent un léger excédant de neutrons qui compense la répulsion électrostatique entre protons.

Les physiciens ont également découvert près de 3000 noyaux exotiques (en 2017) qu'on ne trouve pas naturellement sur Terre mais uniquement dans les accélérateurs de particules et les réacteurs nucléaires. Ces noyaux présentent un défaut de cohésion leur donnant des formes aberrantes, différentes de celle standard de la sphère où toute la masse se concentre au centre. Il existe ainsi des noyaux en forme d'ellipsoïde (prolate), de soucoupe, de poire, de banane, d'althère, d'anneau et même de bulle comme dans le cas du 34Si.

A lire : Perspectives on the structure of atomic Nuclei, Nat.Acad.Press, 2013

A gauche et au centre, classement des noyaux en fonction de leur nombre de protons. Il met en évidence une "vallée de stabilité" (la diagonale noire) où se regroupent les noyaux stables autour de laquelle évoluent les noyaux exotiques. A droite, transformation graduelle de la forme des isotopes du silicium quand on leur ajoute un proton. Documents CEA adapté de NAP (2007), History Rundown et P.Riken.

Parmi ces particules instables (isotopes) citons le 32S qui existe sous 5 formes nucléaires, le 34Mg sous 4 formes et le 20Ne sous 3 formes, etc. Notons que si la plupart de ces isotopes peuvent être créés artificiellement, certains se forment naturellement dans la nature et ne sont donc pas des chimères de laboratoire, comme le 32S justement qui se forme au cours de la réaction triple alpha qui précède l'explosion des supernovae de Type II. Les "processus s" et "processus r" (cf. le même lien) permettent également de créer des particules exotiques. Il s'agit donc d'évènements que les astrophysiciens peuvent également étudier.

Cependant, dans le cas des noyaux lourds, les astrophysiciens ne peuvent pas encore se tourner vers les physiciens pour simuler leur formation car personne n'est encore parvenu à les modéliser tant les équations d'états relèvent de conditions extrêmes ou font appel à des paramètres encore inconnus que seules parfois quelques expériences de laboratoire permettent d'étudier (cf. l'asymétrie CP). Mais ce n'est pas encore le cas lorsque la matière est réduite à une "soupe de quarks" dont les propriétés précises restent mystérieuses car c'est à peine si les physiciens connaissent leurs équations d'états générales (cf. les étoiles à neutrons). Face à l'inconnu, les physiciens n'ont pas d'autre choix que d'extrapoler la valeur des paramètres manquants à partir de modèles théoriques (idéalement dans les limites du modèle Standard). Ceci dit, ils progressent dans la bonne voie.

Face à toutes ces découvertes et les inconnues existantes encore autour des interactions nucléaires, il est certain que le modèle Standard des particules sera amendé dans les années ou décennies à venir. On y reviendra en dernière page. En attendant ce jour faste, continuons notre exploration du bestiaire quantique en décrivant les particules virtuelles et les propriétés du vide quantique.

Prochain chapitre

Les particules virtuelles

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[7] Nous conserverons le terme de masse dans les pages qui suivent mais il faut préciser qu'il s'agit en réalité de la masse de repos des particules sachant que la masse dite inerte varie selon la vitesse du corps (cf. la relativité restreinte).

[8] Le mot "quark" est un néologisme - comme chacun le sait aujourd'hui - que Gell-Mann trouva dans un vers de "Finnegans Wake" de James Joyce, "Three quarks for Muster Mark !" dans laquelle les personnages allaient toujours par trois (Ed.Mandarin Paperback, Minerva, 1992, ch.4, p383, cf. cette version PDF). Noter que pour respecter l’esprit de James Joyce, dans la version française publiée chez Gallimard/NRF, le sens de cette phrase a été modifié (cf. ledit livre, 1982, p407) ce qui est dommage car ce néologisme fait aujourd'hui partie de notre culture scientifique. Il fut réédité en version bilingue Anglais/Français par Gallimard en 1997. Notons que la lecture de la version anglaise exige un très bon niveau d'anglais et un vocabulaire très riche et fleuri, sans même parler des quelques néologismes.

[9] Pour sonder la structure du proton et déterminer la distribution de sa pression interne, sur le plan expérimental (les données), les chercheurs ont utilisé une sonde électromagnétique de manière analogue à une sonde gravitationnelle sensible à la structure mécanique et gravitationnelle du proton, ce qu'on appelle des facteurs de formes gravitationnels (cf. H.Pagels, 1966). Sur le plan théorique, ils ont utilisé des modèles 3D de paramètres appelés des distributions de partons généralisés. En effet, il existe un lien entre ces paramètres et les facteurs de formes gravitationnels qui permet d'explorer les structures subatomiques (structure du proton, spin du nucléon, etc), méthode qui permit en 1969 de découvrir la nature ponctuelle (au sens mathématique où elle occupe un volume nul d'espace-temps) et élémentaire des constituants du proton.

[10] Nous savons seulement que les électrons de plusieurs dizaines de GeV sont diffusés par un grand nombre de sous-structures à l'intérieur des protons, mais il s'agit des gluons et des produits de leurs interactions.

[11] La charge de l'électron (Q=-1) égale 1.602 x 10-19 Coulomb.

[12] Des collisions frontales de 2000 GeV ont été réalisées au Fermilab. Précisons que nous continuerons à utiliser l'abréviation eV par clarté bien qu'en réalité il s'agisse de l'équivalent d'une masse, soit eV/c².


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