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Le boson de Higgs
Une particule très spéciale (II) De l'importance du boson de Higgs Pourquoi les physiciens des particules s'intéressent-ils autant au boson de Higgs ? Pourquoi le champ de Higgs est-il si important ? Contrairement à la plupart des champs quantiques élémentaires, le champ de Higgs a une valeur moyenne non nulle dans tout l'Univers (voir plus bas). C'est pour cette raison que de nombreuses particules ont une masse de repos, qui est la quantité de masse qu'elles possèdent intrinsèquement comme tous les hadrons (électrons, quarks, W et Z). Nous pouvons même affirmer que de nombreux types de particules tirent la grande majorité, voire la totalité de leur masse de repos du champ de Higgs. Cela dit, il reste encore beaucoup de choses à apprendre. On y reviendra. Si la valeur moyenne du champ de Higgs était nulle, ces particules auraient une masse bien plus petite, voire aucune masse du tout. Concrètement, ce serait une catastrophe : tous les atomes et toute la matière se désintégreraient. Rien de ce qui existe sur Terre et dans l'Univers ne pourrait exister si le champ de Higgs avait une valeur nulle. Nos vies dépendent donc fondamentalement de sa nature très spéciale. Depuis la découverte du boson Higgs mais également grâce aux modélisations et aux simulations réalisées dix ans auparavant, toutes les études ont montré sans ambiguïté que le champ de Higgs existe. Il y a cependant encore des questions qui restent sans réponses. Par exemple, il pourrait y avoir plus d'un champ de Higgs, chacun avec sa propre particule ou boson de Higgs. Jusqu'à présent, les preuves montrent qu'il n'y en a qu'un seul, mais cela n'est pas encore fermement établi (voir plus bas). Il est aussi possible que le champ de Higgs soit composite, une combinaison de plusieurs autres champs. Nous avons déjà des exemples de ce genre dans la nature : le proton est un objet composite constitué de quarks, d'antiquarks et de gluons. Le champ de protons serait un champ composite constitué de champs de quarks, d'antiquarks et de gluons. Jusqu'à présent, tout porte à croire qu'il s'agit d'un champ élémentaire. Mais il est encore trop tôt pour le certifier. La seule façon de savoir combien il existe de champs de Higgs, s'ils sont élémentaires ou composites et comment ils interagissent avec les particules que nous connaissons et probablement celles qui restent à découvrir, est de réaliser des expériences en laboratoire : le LHC du CERN et notamment l'expérience CMS (Compact Muon Solenoid) fut notamment conçue dans ce but, pour comprendre le champ de Higgs, comment il fonctionne et s'il est élémentaire ou composite. La recherche et l'étude de la ou des particules de Higgs sont le moyen d'y parvenir. Le boson de Higgs étant une particule essentielle de la description de la nature, le physicien Leon Lederman (1922-2018) la surnomma "la particule de Dieu" en 1993 dans son ouvrage "The God Particule: If the Universe Is the Answer, What Is the Question?" traduit en français en 1996 par "Une sacrée particule". Bien qu'inventée par un éminent physicien lauréat du prix Nobel de physique de 1988 pour ses travaux sur les neutrinos, cette expression est malheureuse car elle sous-entend que le boson de Higgs aurait une origine divine, ou du moins extraordinaire, une importance à part dans l'univers des particules et dans l'Univres tout court... Ce surnom surprit tous les spécialistes et le public averti, les laissant bouche bée. Il n'y a rien dans les équations mathématiques, dans l'interprétation de la physique, dans aucune philosophie, ni aucun texte ou tradition religieuse qui pourrait relier le boson de Higgs ou le champ de Higgs à une quelconque notion religieuse ou divine. A part Lederman, tous les physiciens sont du même avis : ce surnom est complètement absurde. Au plus vite on l'oubliera au plus tôt on écartera l'influence de la religion en science et on pourra discuter entre gens raisonnables. Le boson de Higgs Comme nous l'avons décrit en détails à propos du modèle Standard des particules, toutes les particules, qu'elles soient élémentaires ou non (composites), peuvent être divisées en deux classes : les fermions et les bosons (auxquels ils faut ajouter quelques entités exotiques). Il se trouve que la particule de Higgs, comme le photon et quelques autres particules élémentaires, est un boson; il possède des propriétés particulières, dont le spin, différentes des fermions. C'est lié au fait que le champ de Higgs peut avoir une valeur non nulle importante (~246 GeV). Nous avons expliqué que le boson de Higgs est une particule instable qui se désintègre en d'autres particules en environ un dix mille milliardième de milliardième de seconde. Cela signifie qu'en ce moment, il n'y a aucun boson de Higgs autour de nous. En fait, les bosons de Higgs n'ont plus rien fait d'intéressant depuis le tout début de l'Univers. De nos jours, il n'y a probablement plus aucun boson de Higgs existant naturellement dans l'Univers. Ceux qu'on détecte dans le LHC ont été créés artificiellement, suite à des collisions provoquées en laboratoire. A quelle époque les bosons de Higgs (naturels) ont-ils disparu ? Lorsque la température de l'Univers descendit sous 1015 K vers 10-12 seconde après le Big Bang, une troisième transition de phase s'est produite appelée la brisure de symétrie électrofaible. Ce changement d'état de l'Univers permit au champ de Higgs de donner leurs masses aux particules élémentaires. Après cette brisure de symétrie, les bosons W et Z ont acquis leur masse via le champ de Higgs, mais cela ne signifie pas que les bosons de Higgs eux-mêmes ont disparu. Après cette brisure de symétrie, les bosons de Higgs n'ont plus eu la possibilité d'être produits de manière continue dans l'Univers. Selon les expériences réalisées au CERN, sachant que la masse de repos du boson de Higgs représente ~125 GeV, la seule façon d'en produire exige des conditions extrêmement énergétiques, comme celles créées dans les accélérateurs de particules et dans certains phénomènes astrophysiques (supernovae, jets des trous noirs, sursauts gamma des GRB et autre collisions dans des conditions de haute énergie). Malgré l'absence des bosons de Higgs une fraction de seconde après la naissance de l'Univers, le champ de Higgs était et est toujours présent partout autour et à l'intérieur de nous, et c'est d'une importance capitale. Cela signifie que même dans un espace "vide" de matière (le vide ordinaire), le champ de Higgs est actif et influence en permanence les particules massives (comme nous l'avons expliqué les électrons ont une masse grâce au champ de Higgs, ce qui leur permet de rester liés aux noyaux atomiques. Sans masse électronique, il n'y aurait pas d'atomes stables, donc pas de molécules, donc pas de chimie, et donc pas de vie). Même si les bosons de Higgs naturels ont disparu, l'influence du champ de Higgs ne dépend pas de leur présence physique, mais plutôt des propriétés fondamentales du champ de Higgs lui-même décrites précédemment (champ omniprésent, interaction avec les particules massives, brisure de symétrie électrofaible, etc). Enfin, si vous avez bien compris la différence entre un champ et une particule, si de nos jours la plupart des particules ont une masse, vous comprendrez que ce n'est pas grâce au boson de Higgs. Le boson de Higgs n'a jamais joué aucun rôle dans le "mécanisme de Higgs" par lequel les particules élémentaires ont acquis leur masse. C'est le champ de Higgs qui assure ce rôle, et en particulier le fait que sa valeur moyenne soit non nulle, qui engendre des particules avec différentes masses. La particule (ou l'excitation du champ) est un moyen de parvenir à cette fin, pas la fin en soi. A lire : Comment les particules ont acquis leur masse Le mécanisme de Higgs La masse du boson de Higgs L'existence du champ de Higgs nous prouve que la masse des particules élémentaires n'est pas contenue par défaut dans la matière mais s'acquiert grâce au mécanisme de Higgs. La masse d'une particule est constante, quel que soit son état : qu'elle soit stationnaire par rapport à nous ou en mouvement par rapport à nous. Mais contrairement à ce que pensait Galilée, Newton ou Einstein, la masse est une quantité dynamique ! Ce concept est révolutionnaire. C'est une précision importante car une particule est toujours stationnaire par rapport à elle-même. En effet, dans son référentiel, elle a toujours la même masse; on dit que sa masse est invariante. La masse propre est une quantité scalaire qui ne dépend pas du référentiel. En revanche, ce qui peut varier, c'est l'énergie totale et l'impulsion de la particule lorsqu'elle est observée depuis un référentiel différent (cf. le fameux facteur γ en relativité restreinte et l'expérience de pensée du voyageur de Langevin). Pour le reste, ces trois génies ont raison et leurs lois sont cohérentes car elles s'appliquent toujours mais uniquement dans leur cadre de travail mais plus du tout quand on observe la matière à l'échelle quantique ou dans des conditions de haute énergie. On reviendra sur le mécanisme de Higgs en cosmologie. Le champ de Higgs donne-t-il sa masse au boson de Higgs ? La question est pertinente car la masse du boson de Higgs ne provient pas entièrement du champ de Higgs ! Alors d'où tient-il sa masse ? Bien que la réponse ne soit pas encore définitive, la masse du boson de Higgs provient de plusieurs sources, ce qui est assez étrange pour une particule peu massive. C'est même un casse-tête pour les physiciens appelé le "problème de la hiérarchie" qui concerne la stabilité de la masse du boson de Higgs face aux corrections quantiques dans le cadre du modèle Standard. En effet, il existe une énorme différence entre la masse du bosons de Higgs (~125 GeV) et les échelles d'énergie fondamentales (1019 GeV à l'échelle de Planck, où la gravité devient significative, 1016 GeV à l'échelle des théories de grandes unifications (GUT) voire même déjà supérieure au TeV (1000 GeV) à l'échelle de la supersymétrie SUSY (si elle existe). Selon les expériences du CERN, le boson de Higgs tire sa masse, au moins en partie, d'ailleurs que du champ de Higgs (voir plus bas). Et ce n'est probalement pas la seule particule dans ce cas. Par exemple, il est fort possible que la matière sombre (ou noire) soit constituée de particules et que celles-ci tirent probablement au moins une partie de leur masse d'une autre source. Les astrophysiciens ont découvert que la matière sombre constitue la majorité de la matière de l'Univers; elle est dominante dans la Voie Lactée comme dans pratiquement toutes les autres galaxies. En fait, il y aurait même de la matière sombre dans le système solaire et donc en théorie également dans notre corps. Le champ de Higgs ne fournit probablement qu'une petite partie (cf. CERN), voire ne participe pas du tout à cette masse.
D'autres entités subatomiques tirent leur masse d'autres sources que du champ de Higgs. La majeure partie de la masse d'un atome est constituée de son noyau, et non de ses électrons qui sont très légers et évoluent en moyenne à l'extérieur. Les noyaux sont constitués de protons et de neutrons - des mers de quarks, d'antiquarks et de gluons confinés. Les masses du proton et du neutron sont autant dues à ces énergies qu'à celle nécessaire pour confiner les quarks et les autres particules à l'intérieur de la zone confinée, qu'à la masse au repos des quarks et des antiquarks contenus dans ce volume. On reviendra en détails sur le proton, sa masse et sa structure. Ainsi, les masses du proton et du neutron ne proviennent pas principalement du champ de Higgs. Concrètement, cela signifie que la masse de la Terre ou de la Lune ne changerait pas énormément s'il n'y avait pas de champ de Higgs (en supposant qu'ils puissent maintenir leur cohésion, ce qui n'est pas certain). Quelle que soit la manière dont on le considère, le champ de Higgs n'est pas le donneur de masse universel aux objets de l'Univers : ni à la matière ordinaire (baryonique), ni à la matière sombre, ni à rien d'autre. Pour la plupart des particules fondamentales connues, c'est une notion cruciale pour garantir l'existence même des atomes. Mais il y aurait la place dans l'Univers pour une physique gravitationnelle toute aussi intéressante s'il n'y avait pas de champ de Higgs. Il n'y aurait tout simplement pas d'atomes, ni personnes pour les étudier mais peut-être autre chose. A l'inverse, serait-il possible que le champ de Higgs soit à l'origine de toute la masse de l'Univers ? Non. On peut l'affirmer avec certitude car nous avons dressé la liste des 18 ou 19 particules élémentaires connues à ce jour (sans compter les antiparticules). Parmi celles-ci, il existe des particules sans masse, ce sont les bosons : le photon, le gluon, le graviton (toujours hypothétique mais nécessaire pour la cohérence de la théorie) auxquels il faut ajouter les bosons intermédiaires massifs W+, W- et Z0. Les particules élémentaires massives sont les quarks (top, bottom, charme, étrange, up, down), les leptons chargés (électron, muon, tau), les trois types de neutrinos (de faibles masses) et le boson de Higgs lui-même. Les particules W et Z, les quarks, les leptons chargés et les neutrinos doivent obtenir leur masse d'un champ de Higgs. Il n'est pas possible qu'ils aient une masse autrement. Mais ce n'est pas vrai pour le boson de Higgs L'effet du champ de Higgs et les analogies Les physiciens nous disent que la masse n'est pas contenue par défaut dans la matière comme nous l'imaginons tous. John Ellis du CERN nous explique qu'on peut imaginer une particule massive telle un marcheur qui s'enfonce dans un champ de neige ou comme un flocon qui se transforme en boule de neige. Le champ de neige est le champ de Higgs dont le médiateur est le boson de Higgs. Sans interaction avec le boson de Higgs, les particules n'ont pas de masse. Il existe une autre analogie proposée par David J. Miller du Département de Physique et d'Astronomie de l'University College London qui compare le champ de Higgs à une salle remplie d'un grand nombre d'invités à l'occasion d'un cocktail. Un personnage important arrive (dans l'histoire originale, il s'agit de Mrs Margaret Thatcher) et essaie de se frayer un chemin dans la foule. Aussitôt qu'ils reconnaissent la célébrité, les invités s'agglutinent autour d'elle, ce qui ralentit sa progression. Si au contraire une personne normale se présente, elle peut traverser la pièce sans peine. A
voir : C'est quoi le boson de Higgs et comment on le recherche,
John Ellis, 2012 Même s'il s'agit des deux meilleures analogies qu'on puisse faire d'un champ de Higgs, ce genre de comparaison présente forcément des limites et est même problématique. En effet, elles donnent l'impression qu'une particule doit être en mouvement pour ressentir l'influence ou l'effet du champ de Higgs, alors qu'en réalité ce n'est pas le cas. Pire cette idée viole les principes de base de la mécanique de Galilée et de la relativité d'Einstein. L'erreur est de croire que c'est la particule qui se déplace pour acquérir sa masse, où le champ de Higgs qui se déplace, ou les deux. Si cette idée était vraie, alors une particule immobile par rapport au champ de Higgs ne devrait pas avoir de masse ou pourrait perdre sa masse. Or, ce n'est pas ce que nous observons en réalité. Cette analogie n'est donc pas correcte. En fait, la masse des particules provient de leur interaction avec le champ de Higgs, qui est un champ scalaire omniprésent dans l'univers. Cette interaction est indépendante du mouvement de la particule : une particule peut être immobile dans un référentiel donné et posséder une masse du fait de son couplage au champ de Higgs. Ainsi, la masse n'est pas liée au déplacement d'une particule ou à celui du champ de Higgs, mais au mécanisme de brisure spontanée de symétrie électrofaible qui donne une valeur non nulle au champ de Higgs dans le vide. D'autres particules de Higgs ? Si le mécanisme de Higgs explique comment les particules élémentaires acquièrent leur masse, cette théorie ne semble toutefois pas être une solution totalement satisfaisante ni complète car trop de questions restent sans réponses. Ainsi, sur le plan philosophique, le boson de Higgs ne partage pas les autres propriétés des particules élémentaires comme la beauté (la supersymétrie), la symétrie (la symétrie électrofaible est brisée par le mécanisme de Higgs) ou l'élégance (dans le sens où la théorie est complexe" ou "surdimensionnée" au regard des autres particules). Selon les résultats de l'expérience ATLAS, jusqu'à 30% des désintégrations du boson de Higgs peuvent potentiellement être invisibles, d'où l'idée que la masse du boson de Higgs ne provient pas entièrement du champ de Higgs et que le boson de Higgs pourrait peut-être en partie constituer la matière sombre. Le boson de Higgs est également plus léger que prévu. En effet, les estimations théoriques fondées sur la symétrie sont supérieures de plusieurs ordres de grandeur aux résultats expérimentaux. Dans une thèse publiée en 2001, Giovanni Ridolfi du CERN indiquait que mH < ~120 GeV mais les limites supérieures atteignaient ~710 GeV voire dépassaient 1 TeV bien que jugées peu probables (cf. l'article d'André Morgado Patricio Theoretical constraints on the Higgs boson mass). De nombreuses théories ont été proposées pour expliquer cette faible masse, mais aucune n'a été validée à ce jour. La masse du boson de Higgs est l'un des paramètres les plus importants pour décrire la nature. Comme l'écrivit Raffaele Tito D'Agnolo du CEA dans un projet de thèse, "Sa valeur étonnamment faible indique l'un des échecs les plus spectaculaires de la symétrie en physique. Pendant des décennies, nous nous sommes efforcés de comprendre cet échec apparent de la symétrie, mais les meilleures solutions que nous avons trouvées n'ont pas passé les tests expérimentaux directs. Elles ne sont pas apparues dans les collisionneurs électron-positron (LEP) ni dans les collisionneurs de hadrons (LHC)." Avec ses collègues, D'Agnolo a donc étudié une nouvelle classe d'explications qui selon ses propres mots "constitue une rupture radicale par rapport à la théorie standard". L'une de ses hypothèses est qu'il existerait deux bosons supplémentaires, un Higgs léger et un Higgs lourd. La particule la plus légère pourrait expliquer pourquoi notre univers ne s'est pas effondré lors de sa formation (voir ci-dessous). Comme la nature de la matière sombre que nous avons évoqué, pour l'heure ce ne sont que des hypothèses que le temps devra valider (ou écarter). Le boson de Higgs aurait empêché notre univers de s'effondrer Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2022, Raffaele Tito D'Agnolo et Daniele Teresi du CERN, proposent une nouvelle théorie expliquant à la fois la faible masse du boson de Higgs et résolvant une autre énigme de la physique fondamentale. En deux mots, les chercheurs proposent qu'en raison de sa faible masse, le boson de Higgs aurait pu empêcher notre univers de s'effondrer. Et ses propriétés pourraient être un indice que nous vivons dans un multivers composé de bulles d'univers (cf. les univers multiples). La théorie proposée par D'Agnolo et Teresi part de l'hypothèse qu'à l'origine l'Univers avec un grand U est un multivers né à partir d'une instabilité quantique et d'un phénomène d'inflation cosmique et se compose d'un ensemble de nombreuses régions ou univers aux propriétés distinctes. Dans chacun de ces univers les lois de la physique peuvent être différentes. Le boson de Higgs par exemple avait une masse différente, et, dans certains univers, il était léger. Tous les univers contenant des bosons de Higgs lourds se sont effondrés en très peu de temps dans un "Big Crunch", alors que ceux contenant des bosons de Higgs légers ont survécu à cet effondrement avec des taux d'expansion stables, conduisant au développement de structures organisées. Notre univers ferait donc partie des univers ayant survécu car il contient des bosons de Higgs légers. Ce sont les interactions de ces deux nouvelles particules qui fixent la masse du boson de Higgs dans ces différentes régions du multivers. Ce modèle comprend donc deux nouvelles particules, le Higgs léger et le Higgs lourd, qui viennent s'ajouter au modèle Standard.
Cette théorie permet également d'expliquer pourquoi il existe une symétrie dans l'interaction forte, la force qui lie les quarks dans les protons et neutrons qui forment les noyaux atomiques. L'interaction forte ne se comporte pas exactement comme le modèle Standard le prédit. Dans les théories qui décrivent les interactions à haute énergie, il existe certaines symétries. Par exemple, la symétrie de charge (changez les particules par leurs antiparticules dans une interaction et tout fonctionne de la même manière), la symétrie de parité (prenez l'image miroir d'une interaction et c'est pareil) et la symétrie du temps (inversez la flèche du temps et c'est encore pareil). La théorie de l'interaction forte (CDQ) prédit qu'une brisure de symétrie fondamentale, dite symétrie CP, est possible, mais jusqu'à présent les expériences n'ont pas permis de l'observer. L'une des nouvelles particules du modèle de D'Agnolo et de Teresi pourrait permettre de résoudre ce problème, en rétablissant la symétrie CP dans l'interaction forte. De plus, cette même nouvelle particule pourrait être la clé de la matière sombre qui semble constituer 27% de la matière pesante différente des baryons de l'univers visible. En effet, les nouvelles hypothétiques particules de Higgs n'ont pas de rôle limité à l'Univers primitif. Elles pourraient encore exister dans l'univers actuel. Si la masse du Higgs léger est suffisamment petite, il aurait pu échapper à la détection dans les accélérateurs de particules, et ces bosons flotteraient donc incognito dans l'espace, influençant discrètement l'évolution des galaxies et de l'Univers. Mais actuellement, ce ne sont que des hypothèses et même très audacieuses puisqu'elles s'écartent du modèle Standard. L'explication serait-elle vraiment aussi simple ? Aussi élégante soit-elle, une théorie doit être testée pour être soit confirmée et validée si possible dans les cas les plus généraux, soit écartée. Le modèle prédit une certaine plage de masse pour la matière sombre, des valeurs que les expériences recherchant la matière sombre (cf. les WIMP) pourraient déterminer. Selon Teresi, "Chaque modèle a ses avantages et ses limites. Notre modèle se distingue par sa simplicité, et par le fait qu’il est générique et qu’il résout simultanément ces deux énigmes apparemment sans lien. De plus, il prédit des caractéristiques bien particulières dans les données issues des expériences menées en vue de rechercher la matière sombree ou un moment dipolaire électrique dans le neutron et dans d’autres hadrons." D'autres théories ont été proposées pour expliquer la masse du boson de Higgs, par exemple le modèle de champ de relaxation (2015), le modèle du "Higgs égoïste" (2019) ou encore une théorie reposant sur un nouveau phénomène de cosmologie quantique (2021). Il existe également des théories plus anciennes qui reposent soit sur l'hypothèse que le boson de Higgs est une particule composite, soit sur la supersymétrie et son lot de superparticules. Espérons que l'avenir nous dira quel modèle se rapproche de la réalité. Les confusions Pour terminer cette description, évoquons deux questions qui prêtent parfois à confusion dans l'esprit de certaines personnes. L'explication permettra de vérifier si vous avez bien compris les notions de base de la physique quantique. 1. Puisque nous cherchons une explication à la masse des particules élémentaires, peut-on suivre la même démarche pour comprendre l'origine de la charge et du spin des particules ? Dans la théorie quantique des champs, la masse est une notion très différente de la charge et du spin (cf. l'atome de Bohr). La charge et le spin d'une particule sont fixes; une fois spécifiés, ils sont déterminés. En revanche, la masse peut être modifiée de manière dynamique de zéro à une valeur non nulle, et une fois positive, la valeur précise de la masse d'une particule est déterminée de manière très complexe par l'intensité et la nature des interactions de cette particule avec tous les autres types de particules. Ainsi, la question de savoir d'où viennent les masses (et les interactions) s'avère être d'une nature très différente de la question de savoir d'où viennent les charges et les spins. 2. Existe-t-il une relation mathématique entre le champ de Higgs qui donne sa masse à une particule élémentaire et le champ gravitationnel qui attire cette masse ? D'abord la question est mal formulée car cela revient à comparer des pommes et des poires. Ensuite, comme nous l'avons expliqué à propos des interactions fondamentales, selon l'échelle considérée, si l'interaction des hypothétiques gravitons du champ gravitationnel assure la cohésion de la matière au niveau le plus fondamental, cette influence est rapidement surpassée par l'interaction nucléaire forte des hadrons puis par l'interaction électromagnétique qui devient dominante aux échelles atomique et moléculaire et peut être attractive ou répulsive selon la charge moyenne de l'entité. Mais la portée de ces champs est grosso-modo limitée à l'échelle atomique. A l'inverse, le champ gravitationnel ne tire tous ses effets attractifs que sur de grandes quantités de matière (des astres) et donc à l'échelle de l'univers. Le champ gravitationnel a pour médiateur l'hypothétique graviton de spin 2 et est décrit comme faisant partie de l'espace-temps; les gravitons interagissent avec toutes les particules et tous les champs de la nature. Le boson de Higgs, médiateur du champ de Higgs a un spin 0; il n'interagit directement qu'avec les particules élémentaires et les champs qui participent également aux interactions électromagnétiques et nucléaires faibles. Il n'existe donc aucun lien entre le champ de Higgs et le champ gravitationnel, si ce n'est que les deux concepts sont en relation avec la masse. Pour plus d'informations Le boson de Higgs, CERN Le boson de Higgs, une particule très spéciale, CERN, 2020 A portrait of the Higgs boson by the CMS experiment ten years after the discovery, CMS Coll., 2022 Le boson de Higgs expliqué, le guide complet, Antonio Jaimez, Independently published, 2024 Aux sources de la matière, le boson de Higgs, James Gillies, Quanto, 2022 Qu'est-ce que le boson de Higgs mange en hiver et autres détails essentiels, Pauline Gagnon, Editions MultiMondes, 2015 LHC : le boson de Higgs, Michel Davier, Evberegreen, 2013 Higgs. Le boson manquant, Sean Carroll, Belin, 2013 Waves in an Impossible Sea, Matt Strassler, Basic Books, 2024 Waves in an Impossible Sea: How Everyday Life Emerges from the Cosmic Ocean, Matthew Strassler, 2024, YouTube. |