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Le Soleil en lumière de l'hydrogène alpha Les détails chromosphériques (II) Rappelons que différentes raies d'absorption du spectre sont couramment exploitées pour étudier l'activité du Soleil. Ces différentes raies correspondent à différents états d'ionisation des atomes, qui dépendent de la température[2]. Les plus profondes et les plus populaires sont celles de l'hydrogène alpha (Hα) à 6562.81 Å dans la partie rouge-rubis du spectre visible dont la largeur à mi bande est de 1.20 Å seulement et les raies H et K des ions du calcium II dans la partie bleue-violette du spectre, respectivement à 3969 Å et 3933.7 Å. A cette dernière longueur d'onde, aux centres actifs visibles en lumière blanche et Hα s'ajoutent des nuages de calcium ionisés Ca II K très brillants. Les protubérances y sont très peu actives. On y reviendra.
Pour les études visuelles, on peut également étudier le Soleil dans la raie D du sodium à 5895.9 Å avec une demi-bande passante de 0.4 Å. Il existe bien sûr d'autres raies mais où l'activité de surface est moins spectaculaire (H bêta, He D3, Mg II, Na, etc.). Enfin, il y a des raies dans la partie radio à 10.7 cm (2.8 GHz), dans la bande UV extrême (UVE) comme la raie He II à 304 Å et dans la bande X mais inaccessibles depuis le sol qui permettent d'étudier la transition chromosphère-couronne. Ces régions extrêmes du spectre sont exploitées par les satellites tels que TRACE, SOHO et SDO. On y reviendra. Qu'observons-nous sur le Soleil en lumière de l'hydrogène alpha ? Les structures visibles en Hα sont encore plus nombreuses que celles visibles en lumière blanche ! C'est en 1908, que Ellery Hale mit pour la première fois en évidence la corrélation entre l'ampleur des champs magnétiques solaires et l'observation monochromatique : des clichés pris en Hα et dans la raie du fer montraient en effet une remarquable similitude. A voir : La rotation du Soleil en Hα, par le KIS (enregistré entre le 29 août et 9 sept 2000 et animé par l'auteur. GIF de 203 KB)
Le relevé des polarités magnétiques et les comparaisons avec les clichés des mêmes sites en Hα et en UV notamment ont permis de mettre en évidence plusieurs structures élémentaires et des modèles d'évolution des régions actives. Ces structures de base sont : - les taches sombres - les spicules - les macrospicules - les fibrilles, la superprénombre et les threads - les arches de champ transitoire (FTA) - les grains K (bombes de Ellerman) - les flocules - les plages faculaires - les filaments - les canaux filamenteux - les filaments-arches (AFS). Il faut y ajouter des formations convectives comme la supergranulation constituant le réseau chromosphérique, les cellules convectives géantes (~500000 km de longueur) sur lesquelles nous reviendrons dans l'article consacré à l'astrophysique solaire, sans oublier les éruptions chromosphériques, les protubérances et les éjections de masse coronale, les fameuses CME, autant de structures dynamiques qui participent au transfert d'énergie de région à région et que nous allons décrire. Les taches sombres ainsi que leur pénombre constituée de filaments bien visibles en lumière blanche sont toujours très actives dans la chromosphère où elles s'étendant sur environ 2000 km d'altitude. Ces structures dynamiques marquent l'emplacement de tubes de flux magnétique et d'une région active qui se caractérise par une tache sombre entourée d'une pénombre. Ces taches sombres évoluent en permanence et il suffit de patienter environ 1 heure pour les voir lentement se transformer. Voyons justement de quelle manière évolue un groupe de taches sombres tel qu'on peut l'observer en Hα entre l'apparition d'un pore et la maturité de la région active quelques jours ou semaines plus tard (voir aussi la description du cycle de vie d'une tache solaire). A
voir : Two Weeks in the Life of a Sunspot
(AR26665),
NASA/GSFC
Rappelons que toutes les structures chromosphériques sont visibles en absorption et donc uniquement dans des raies à bande étroite dont celles de l'Hα et les deux raies H et K du calcium pour nous limiter au spectre visible car on peut également observer la plupart de ces phénomènes dans d'autres raies spectrales mais uniquement depuis l'espace, notamment en UVE. Voyons dans le détail chacune de ces formations. Les granules ou "grains de riz" de la photosphère sont remplacés par la supergranulation dans la chromosphère. Il s'agit de cellules de formes polygonales, formant le réseau chromosphérique dont chaque élément mesure environ 30000 km de diamètre (de 12000 à 50000 km). Ce réseau supergranulaire est visible en émission tant dans la raie Hα que du Ca II. La vitesse d'expansion des cellules du réseau chromosphérique est voisine de 0.5 km/s prouvant une fois de plus que la surface du Soleil n'est en fait qu'une énorme boule de convection.
Ouvrons une parenthèse pour rappeler qu'à côté de la raie Hα, les raies du calcium (Ca II H à 3969 Å très proche de la raie Hε, Ca II K à 3933.7 Å et Ca II à 8542 Å) sont également très intéressantes pour étudier la granulation. Le calcium est très sensible à la présence de champ magnétique dont le rôle détermine l'activité solaire. Et justement, ce champ magnétique est plus intense dans les supergranules. Si un champ magnétique est présent en surface comme par exemple dans les régions actives, l'absorption sera moindre et plus de lumière sera donc transmise, rendant la plage plus brillante (à l'image de ce qu'on observe en lumière blanche sur le pourtour du disque du Soleil) et plus contrastée qu'en lumière blanche comme on le voit ci-dessous. Notons que dans la raie Ca II K, les détails se concentrent dans une bande passante d'environ 1 Å. Comme en lumière blanche, étant donné que les taches sombres en Ca II K sont plus froides (3000-3500 K) que leur environnement (~5772 K), les champs magnétiques les rendront plus sombres et entourées d'une pénombre de filaments clairs et sombres. On peut également observer des points brillants appelés "grains K" ou bombes de Ellerman de la taille de granules. On y reviendra page suivante. Ce réseau chromosphérique doit son existence aux mouvements des fluides qui se produisent dans les supergranules et qui concentrent les lignes du champ magnétique. La supergranulation couvre toute la surface solaire comme en témoigne cette image Doppler. La durée de vie d'une supercellule est voisine d'une vingtaine d'heures. Enfin, il est également possible d'observer des protubérances dans la raie Ca II K comme on le voit ci-dessous à droite, bien qu'elles soient moins spectaculaires et brillantes que dans la raie Hα ou dans d'autres raies spectrales. Refermons la parenthèse. A lire : Observing the Sun in Ca-II K (PDF), NASA/NGDC
Les spicules du réseau chromosphérique sont également bien visibles dans la raie Hα. Comme le montrent les photographies ci-dessous ainsi que celles reprises dans la galerie des chefs-d'oeuvre, à fort grossissement les spicules ressemblent à de petites langues de feu ou des haies qui ont tendance à se regrouper en bordure des supergranules. Les spicules qui entourent les régions actives sont plus apparentes dans l'aile rouge de la raie Hα (décalage de 0.7 à 1.0 Å) tandis que leur structure est plus évidente dans l'aile bleue de l'Hα. Selon une étude de Takara Nishikawa, les spicules forment de petites éruptions qui sont projetées entre 10-30 km/s dans l'atmosphère solaire entre 5000 km et 15000 km d'altitude au-dessus de la photosphère. Leur largeur varie entre 300-1500 km et leur température entre 5000-10000 K. Selon Bart de Pontieu, elles comptent parmi les structures les moins denses avec une densité de 3x10-13 g/cm3. Au total, les spicules ne couvrent qu'environ 1% de la surface du Soleil. En 1998, Harold Zirin et plus tard Lorrain et Koutchmy (1996) avaient estimé qu'à tout instant 60000 à 70000 spicules étaient éjectées dans la basse couronne mais des analyses plus récentes indiquent que la surface solaire contient environ 10 millions de spicules. Notons qu'il n'y a pas de spicules au-dessus des plages.
C'est en ultraviolet que les spicules sont les plus apparentes. Ainsi, en 1975 David J. Bohlin de l'US Naval Research Lab. et ses collègues découvrirent grâce au spectrographe XUV de la mission Skylab des jets d'hélium II (à 304 Å) associés aux spicules. Ces jets de plasma résultent de l'interaction entre les particules chargées et neutres avec le champ magnétique qui permet à ce dernier d'expulser la matière à des vitesses similaires à celle d'un coup de fouet. Ce processus génère de puissantes ondes magnétiques qui participent au réchauffement de la couronne solaire. En 2007, Bart De Pontieu montra qu'il existe deux types de spicules, le type I et le type II, qui obéissent à deux mécanismes différents (cf. ce schéma de l'atmosphère solaire). Les spicules de type I (les "classiques") sont générées par les oscillations du mode p (les ondes magnétoacoustiques) le long des espaces intergranulaires où elles emportent avec elles la matière et la chaleur à hauteur de la température minimale (4100 K), traversant toute la chromosphère le long des lignes de forces du champ magnétique pour se dissoudre dans la couronne très chaude. Les spicules participent ainsi de façon sensible à la stabilité thermodynamique de la basse atmosphère solaire. On pense que ces spicules se forment probablement dans les cellules convectives géantes suite au bombardement de la photosphère par les courants convectifs internes, les ondes de choc réchauffant le plasma qui est ensuite projeté dans l'atmosphère solaire. On les observe principalement dans les régions actives. On soupçonne également que les spicules tirent leur énergie de la couronne solaire. Ces jets de plasma présentent une vitesse ascensionnelle maximale de 15 à 40 km/s (54000 à 144000 km/h) et ont une durée de vie variant entre 1-10 minutes. Au bout de 3 à 7 minutes, les jets atteignent le sommet de leur trajectoire puis retombent en suivant une trajectoire balistique (parabolique). A
voir :
Spicules - Scientists Uncover Origins of Dynamic Jets, NASA Hinode: 10th Anniversary of its Lauch
D'aspect sombre sur la surface, les spicules de type I présentent une faible inclinaison (< 20°) par rapport à la verticale. C'est donc près du limbe solaire qu'elles apparaissent le plus facilement, notamment lors des éclipses totales (ou au moyen d'un coronographe) où elles forment un liséré rose-rouge agité qui souligne le pourtour du Soleil. (surtout au périgée de l'orbite lunaire lorsque la Lune est la plus éloignée de la Terre car sinon son disque cache presque totalement la chromosphère). Leur courte durée de vie en font l'une des structures évoluant le plus rapidement dans la chromosphère. Les spicules de type II furent découvertes en 2007 grâce au télescope solaire optique SOT embarqué sur le satellite Hinode. Elles sont beaucoup plus dynamiques que le type I et ont tendance à dominer le limbe quand on observe les trous coronaux du Soleil dans le rayonnement X. Ce type de spicule survit entre 10-150 secondes seulement, elles s'élèvent entre 1000-7000 km et sont 2 à 5 fois plus rapides que celles de type I avec une vitesse d'éjection variant entre 30 et 110 km/s (108000-396000 km/h). Disparaissant de la bande passante de la raie Ca II, on en déduit qu'elle sont portées à de plus hautes températures. Les études confirment qu'elles jouent un rôle actif dans la physique solaire, notamment en corrélation avec le vent solaire et le réchauffement de la couronne.
Du fait de leur vitesse plus élevée, les spicules de type II sont formées par un mécanisme différent du type I qui fait intervenir des reconnexions magnétiques, seul mécanisme capable d'accélérer le plasma (comme cela se produit également avec les aurores sur Terre) jusqu'à la vitesse dite de Alfvén sur une courte période de temps. Enfin, les macrospicules visibles en Hα sont de petites éruptions de plasma se produisant au-dessus des régions calmes et qui dépassent largement la hauteur des spicules. En effet, beaucoup plus grandes que les spicules ordinaires de type I, elles atteignent des altitudes variant entre 40000-60000 km au-dessus du limbe et peuvent persister plus de 20 minutes. Voici l'une des premières études publiées sur le sujet en 1979 par B.Labonte du BBSO. Les observations réalisées en 2009 par Scott McIntosh et Bart de Pontieu suggèrent que les macrospicules disparaissent en devenant une composante de la couronne. En effet, les observations effectuées au moyen du spectromètre coronal CDS du satellite SOHO ont montré que dans ces macrospicules la température du plasma atteint celle de la couronne soit 1 million de degrés. Des indices suggèrent qu'elles atteignent une vitesse de 300 km/s, ce qui est beaucoup plus élevé que la vitesse locale du son qui est de l'ordre de 20 km/s mais similaire à la vitesse locale d'Alfvén, ce qui signifie que les ondes magnétiques joueraient un rôle important dans leur formation. Des simulations supportent l'hypothèse qu'elles sont également générées par des reconnexions magnétiques comme l'ont proposé le physicien des plasmas Pradeep Kayshap du Centre Inter-universitaire IUCAA de Pune en Inde et son équipe en 2013. En 1975, Bohlin précité et son équipe découvrirent également des macrospicules en UVE près des trous coronaux des régions polaires. Elles peuvent surgir par groupes de jets persistant environ 5 minutes. Ces macrospicules UVE forment des structures de plasma alongées et aussi denses que celles visibles en Hα. On les observe le mieux dans la raie He II à 304 Å. Il est intéressant de noter qu'en 1977 Ronald L. Moore de l'observatoire BBSO et son équipe découvrirent que les éruptions X apparaissant sous forme de points blancs coïncidaient avec des macrospicules et que les macrospicules Hα représentaient la contrepartie optique des macrospicules UVE.
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