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Le Soleil en lumière de l'hydrogène alpha

Les tempêtes géomagnétiques (VI)

Le champ magnétique d’un Soleil calme réside en général dans le plan de l’écliptique. Mais lorsque des boucles magnétiques se forment dans les éjections de masse coronale (CME), elles présentent de fortes composantes nord-sud. Etant donné que le champ magnétique terrestre se développe dans la direction nord, tous les champs sud entrant se combineront avec lui; plus les champs seront intenses plus ils se déplaceront rapidement, et plus le taux de reconnexions sera élevé et les points de contacts nombreux; bref nous assistons à une forte activité dans la haute atmosphère terrestre, c'est le signe d'une tempête géomagnétique.

Des CME cannibales !

Ainsi la très sérieuse NASA qualifiait-elle des CME capables de rattraper sur leur chemin des CME projetées quelques heures plus tôt. Sur cette image prise le 6 Juin 2001 une CME émise vers 17h rattrape une heure plus tard une autre CME émise vers 12h. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 90 Kb). Cliquez ici pour lancer une illustration de ce phénomène (Mpeg de 4.5 Mb). Documents ESA/NASA/SOHO et NASA-GSFC.

Sans ces reconnexions, le champ magnétique terrestre agit comme un bouclier face au vent solaire; c’est la magnétosphère. Elle est suffisamment robuste pour bloquer les pires rayonnements solaires mais elle n'est pas rigide ni imperméable. Ces reconnexions sont capables de briser cette barrière permettant au vent solaire de pénétrer dans la magnétosphère à une vitesse proportionnelle à la vitesse des reconnexions. A travers une succession de processus magnétosphériques, les courants entrant gagnent de l’énergie et favorisent l’apparition des aurores dans une action combinée du vent solaire et des particules locales. Il est donc juste de dire que les aurores sont provoquées par des particules énergétiques puisqu’elles sont excitées localement, mais elles sont différentes de celles associées aux CME et aux éruptions chromosphériques.

A consulter : Statut temps-réel de l'activité solaire, géomagnétique et des aurores

A gauche, des protubérances éruptives émises après une éruption chromosphérique. A droite, une boucle de plasma post-éruptive observée le 26 juin 1992. Cliquez ici pour lancer une animation de cette boucle. Documents NSO/Sacramento Peak et J.E.Wijk/OCA et al.

L'origine de l'énergie des CME

D'où provient l'énergie magnétique responsable des CME ? On serait tenter de répondre que l'énergie des éruptions provient de la couronne. Mais cette théorie n'explique pas les observations des CME. En examinant la profusion de nouvelles données sur les CME acquises par la sonde spatiale SOHO, James Chen et Jonathan Krall physiciens des plasmas au Naval Research Laboratory ont présenté le 16 novembre 2000 devant un parterre de physiciens de l'American Physical Society une nouvelle théorie selon laquelle l'énergie magnétique responsable de ces éruptions - quelque 1015-1016 g de matière éjectées à plus de 1000 km/s - serait stockée sous la photosphère, loin du feu de la couronne.

Si quelques chercheurs pensent que cette théorie est prématurée et difficile à tester, d'autres applaudissent devant cette nouvelle hypothèse hardie et quelque peu intrigante. La question est d'importance car la compréhension de ces mécanismes passionne bon nombre de chercheurs du fait que ces éruptions ont la capacité d'affecter les communications électroniques et les centrales électriques installées sur Terre. Le fait de connaître l'origine de ces éruptions est donc très important pour améliorer les prévisions numériques et prévoir avec plus de précision les perturbations qu'elles peuvent entraîner.

A gauche, deux CME apparues sur le limbe SE puis NE du Soleil le 6 août 2022 et enregistrées par le coronographe LASCO2 de la sonde spatiale SOHO. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 2.6 MB). Au centre, une CME de classe C2. A droite, la correspondance numérique dans le nouveau modèle proposant que l'origine des CME se situe plutôt dans la photosphère que dans la couronne. La corrélation est presque parfaite. Documents ESA/NASA/SOHO et J.Chen et J.Krall/Naval Research Laboratory.

Pour Jonathan Krall "le degré avec lequel les données s'accordent avec la nouvelle théorie est sans précédent". Chen et Krall ont pris en compte des mesures effectuées jusqu'à 30 rayons solaires, données qui furent ensuite minutieusement comparées au modèle théorique. Leurs explications font intervenir le concept de "cordes de flux solaire", des boucles de champs magnétiques géantes prenant racine sous la photosphère.

Selon leur théorie des courants électriques sous-photosphériques (convection, effet dynamo, etc) peuvent s'intensifier le long de telles boucles avant de produire des éruptions. Pendant que ces courant remonteraient en surface, la boucle de champ magnétique s'étendrait, accrochant au passage le plasma (principalement constitué de protons et d'électrons) qu'elle éjecterait dans le milieu interplanétaire.

Selon Krall, une fraction significative de toutes les éruptions solaires - plus de 30% - seraient provoquées par des boucles de flux. Chen et Krall ont évalué différents mécanismes éruptifs afin de comparer leur modèle aux théories traditionnelles. Le scénario qu'ils proposent est celui qui décrit le mieux les éruptions solaires, y compris les propriétés des nuages magnétiques, des structures du vent solaire interplanétaire qui sont probablement associées aux CME. Etonnamment, comme on le voit ci-dessous, les signatures des particules constituant ces nuages magnétiques suggèrent que les boucles de flux magnétiques issus du Soleil s'étendraient jusqu'à la Terre tout en restant enracinées dans la photosphère !

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Cette illustration représente une boucle de flux solaire. Elle consiste en une boucle géante de champ magnétique capable, selon la théorie de Chen et Krall, de s'étendre du Soleil (point jaune à gauche) jusqu'à la Terre. Document du Naval Research Laboratory. Réalité ou fiction ? Des observations effectuées en 2007 dans le cadre du programme Themis ont confirmé leur existence.

Ce nouveau modèle a toutefois reçu un accueil mitigé. Selon Leon Golub du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian, le nouveau modèle soulève plus de problèmes qu'il n'en résout alors que les quelques problèmes de "l'ancien paradigme" ont rapidement disparu avec les récents travaux. Terry Forbes de l'Université de New Hampshire rappelle qu'il y a une observation bien acceptée, le fait que la photosphère reste tout à fait passive pendant une éruption. Et quand bien même ces chercheurs prétendraient que ce flux magnétique pourrait être injecté sans perturber la surface solaire, ils doivent encore démontrer le pourquoi de la chose de façon convaincante.

A l'inverse, parmi d'autres spécialistes supportant cette théorie Craig DeForest du centre Goddard de la NASA concluait à l'époque, "A première vue, le modèle de Chen et Krall est aussi plausible que n'importe quelle autre explication posée sur la table et il s'agit certainement d'une idée nouvelle et intéressante. Je suis curieux de voir comment elle se développera et si elle s'accorde avec les observations."

Les aurores au secours des astronomes

C'est alors qu'un évènement survint quelques années plus tard, confortant la théorie de Chen et Krall. Le 23 mars 2007, vers 11h TU, une sous-tempête géomagnétique se développa au-dessus de l'Alaska et du Canada - lieu de prédilection d'apparition des aurores boréales. Durant cet évènement, des aurores en forme de bandes et de rayons verts et blancs sont apparues périodiquement en augmentant d'intensité pour finalement se fragmenter en lueurs multicolores. Un réseau de stations photographiques au sol enregistra l'évènement tandis que 5 micro-satellites collectivement appelés Themis les ont observées depuis l'espace.

Aurore photographiée par Yiming Hu, à Yukon en Arctique, le 22 novembre 2015 avec un APN Nikon D810 équipé d'un objectif Nikkor 14-24 mm f/2.8. Il s'agit du compositage de 16 photos dont 14 exposées 30 s à 6300 ISO.

"Les aurores sont apparues à l'ouest deux fois plus vite que prévu, traversant 15° de longitude en moins d'une minute", expliqua Vassilis Angelopoulos du JPL, responsable scientifique du programme Themis, "La tempête a traversé l'entiereté du fuseau horaire polaire soit 640 km, en 60 secondes juste." Les images ont révélé une série d'éruptions "staccato", durant chacune 10 minutes. Certaines aurores disparaissaient pendant que d'autres se renforçaient mutuellement.

Selon les chercheurs, la sous-tempête présentait une énergie équivalente à un tremblement de terre de magnitude 5.5. Selon David Sibeck, responsable scientifique du projet au centre Goddard, "Les satellites ont révélé que des boucles magnétiques reliaient l'atmosphère supérieure de la Terre directement au Soleil". Ces boucles pourraient servir de guide d'onde pour le vent solaire, ces particules chargées émises par les trous coronaux du Soleil. Selon Sibeck, les particules du vent solaire semblent se propager le long de ces boucles, fournissant l'énergie aux tempêtes géomagnétiques et aux aurores.

Les satellites avaient détecté les traces de ces boucles auparavant mais un seul satellite ne permettait pas de dessiner la carte de leur structure dans les trois dimensions. Les micro-satellites Themis ont permis de réaliser cet exploit. Selon Angelopoulos, le fait d'avoir découvert et décrit "le mécanisme de ces sous-tempêtes va vraiment nous aider à comprendre et à prédire le "temps" dans l'environnement spatial proche de la Terre."

Cette étude fit l'objet d'un article qui fut présenté le 12 décembre 2007 au meeting d'automne de l'Union Géophysique Américaine (AGU), à San Francisco.

Finalement, Chen et Krall avaient raison.

Localisation de la source des particules solaires de haute énergie

Il fallut du temps, mais les astrophysiciens ont finalement découvert la source des particules de haute énergie (de plusieurs dizaines de MeV) et potentiellement dangereuses émises à grande vitesse durant les tempêtes solaires.

Dans une étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2021, David H. Brooks de l'Université George Mason et professeur agrégé honoraire au Mullard Space Science Laboratory de l'UCL (MSSL) et Stéphanie L. Yardley, spécialiste du temps spatial au MSSL, ont analysé la composition des particules émises au cours du dernier cycle solaire à l'origine des tempêtes géomagnétiques et ont découvert qu'elles avaient la même signature que le plasma situé dans la basse couronne, juste au-dessus de la chromosphère.

Les chercheurs ont utilisé les données du satellite Wind de la NASA en orbite de halo entre le Soleil et la Terre sur le point L1 de Lagrange, pour analyser le flux corpusculaire émis par le Soleil entre le 4 et le 12 janvier 2014. Ils ont ensuite comparé leurs mesures aux données du spectromètre imageur UVE de la sonde spatiale Hinode de la JAXA (l'instrument ayant été construit par le MSSL et Brooks étant membre de l'équipe opérationnnelle de la mission Hinode).

Ils ont découvert que les particules solaires mesurées par le satellite Wind avaient la même signature chimique - le même rapport d'abondance Si/S - que le plasma confiné près du sommet de la chromosphère. Comme expliqué précédemment, ces emplacements sont connus pour être aux pieds - les footpoints - des boucles coronales, c'est-à-dire à la base des boucles de champ magnétique et de plasma qui s'étendent dans la couronne externe du Soleil.

À l'aide d'une nouvelle technique, les chercheurs ont mesuré l'intensité du champ magnétique coronaire aux pieds des boucles coronales et ont constaté qu'elle était très élevée, de l'ordre de 245 à 550 gauss, confirmant la théorie selon laquelle le plasma est maintenu dans l'atmosphère du Soleil par de forts champs magnétiques, avant d'être libéré dans l'espace (pour rappel, entre la photosphère et la couronne, en théorie l'intensité du champ magnétique passe progressivement de ~3000 à 10 gauss, cf. ce schéma).

A voir : SDO Captures Release of X1.2 Class Solar Flare (7 jan. 2014)

A gauche, la photosphère du Soleil photographiée par l'imageur héliosismique et magnétique (HMI) de SDO montrant l'emplacement de deux régions actives AR 1944 (la plus grande) et AR 1946. Le groupe AR 1944 mesure 114550 km de longueur. L'ombre de la grande tache sombre mesure ~16000 km de diamètre soit 1.26 fois le diamètre de la Terre. Une éruption de classe X1.2 apparut le 7 janvier 2014 à quelques dizaines de milliers de kilomètre à droite de AR 1944 (près de la région AR 11943). A droite, la CME émise le 7 janvier 2014 à 18h18. Documents NASA/SDO et ESA/NASA/SOHO.

Les dernières découvertes soutiennent l'idée que certaines particules solaires de haute énergie proviennent d'une source différente de celle du vent solaire lent (dont l'origine est encore débattue), car elles sont confinées dans des conditions spécifiques dans des boucles coronales chaudes au coeur de la région source.

Les particules de haute énergie libérées le 7 janvier 2014 provenaient d'une région du Soleil qui présentait de fréquentes éruptions solaires et des CME où le champ magnétique était extrêmement puissant. Ainsi, comme on le voit ci-dessus, la région active AR 1944 était associée à un grand groupe de taches sombres de classe Fkc visibles à l'oeil nu depuis la Terre tandis qu'une zone active proche de AR 11943 généra une éruption de classe X1.2 accompagnée d'une CME comme l'explique la NASA. L'intensité du champ magnétique dans la région active AR 1944 atteignait 8200 gauss, l'une des valeurs les plus élevées jamais enregistrées à ce niveau de l'atmosphère du Soleil.

Selon Brooks, " Nous sommes maintenant au début d' un nouveau cycle solaire, et une fois qu'il se mettra en marche, nous utiliserons les mêmes techniques pour voir si nos résultats sont généralement vrais ou si ces évènements sont d'une manière ou d'une autre inhabituels. Nous sommes chanceux dans la mesure où notre compréhension des mécanismes derrière les tempêtes solaires et les particules énergétiques solaires va probablement progresser rapidement au cours des prochaines années grâce aux données qui seront obtenues par deux sondes spatiales - Solar Orbiter de l'ESA et la sonde solaire Parker de la NASA - plus proches du Soleil que n'importe quel vaisseau spatial auparavant."

Selon Yardley, cette découverte qui offre "une meilleure compréhension des processus solaire permettra d'améliorer les prévisions de sorte que, lorsqu’une tempête solaire majeure frappe, nous ayons le temps d’agir pour réduire les risques."

Enfin, nous verrons que depuis l'an -660, il y eut plusieurs superéruptions solaires historiques ayant battu tous les records d'intensité, prouvant que parfois l'activité solaire peut gravement impacter nos infrastructures et indirectement menacer notre vie (par exemple l'évènement de Carrington de 1859, l'éruption solaire de 1972, etc).

A n'en pas douter, le Soleil nous réservera encore certainement des surprises à l'avenir.

Pour plus d'informations

Sur ce site

Le Soleil (dont les références bibliographiques et hyperliens)

Les superéruptions solaires historiques

Les éclipses solaires

Le spectre-éclair du Soleil

SSN or the short history of the Smoothed Sunspot Number

Eclipses and the D-layer absorption

Suivi de l'activité solaire

Sun Activity, Earthsky

SOHO

SDO

GOES-16 SUVI , SWPC/NOAA.

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