Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Les galaxies les plus lointaines

Les redshifts photométriques (III)

Voyons quelques autres exemples de "Petits Points Rouges", des galaxies lointaines mais cette fois dont le redshift fut calculé à partir de données photométriques. Elles sont donc moins fiables que les enregistrements spectroscopiques HR mais restent néanmoins très utiles. En effet, l'intérêt de telles études n'est pas négligeable car en dépouillant de grandes quantité de données rapidement et à moindre coût, les chercheurs peuvent mettre en évidence des objets très particuliers qu'ils peuvent ensuite examiner en détails avec l'instrument NIRSpec du JWST ou d'autres types d'instruments sensibles à d'autres rayonnements.

Passons en revue quelques "Petits points Rouges" en allant vers les redshifts photométriques les plus élevés.

Six candidates galaxies massives à zph ≥ 7.4

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2023 (en PDF sur arXiv), Ivo Labbé du Centre d'Astrophysique et de Calcul Intensif (supercomputing) de l'Université de Technologie de Swinburne en Australie et ses collègues annoncèrent la découverte grâce au JWST de six "Petits Points Rouges" qui se situent à des redshifts photométriques compris entre 7.4 ≤ zph ≤ 9.1. Il s'agit de galaxies qui se sont formées seulement ~540 à 700 millions d'années après le Big Bang.

Particularité, leur masse dépasse 10 milliards de masses solaires, l'une d'entre elles atteignant probablement les 100 milliards de masses solaires. Cette dernière est presque aussi massive que la Voie Lactée mais est 30 fois plus compacte. Selon les chercheurs, c'est trop massif et donc impossible sur base des modèles actuels.

Ces premières galaxies ne sont pas en elles-mêmes surprenantes. Les astronomes s'attendaient à ce que les premiers amas stellaires apparaissent peu de temps après les Âges Sombres (après les 400 premiers millions d'années qui suivirent le Big Bang, lorsque seuls les atomes d'hydrogène dominaient l'Univers). Mais les six galaxies découvertes semblent trop grandes et les étoiles trop vieilles selon les modèles actuels. En effet, les caractéristiques de ces objets sont en conflit avec les modèles décrivant l'aspect et l'évolution de l'univers primitif et ne correspondent pas aux observations antérieures faites avec le Télescope Spatial Hubble.

Si ces observations sont confirmées, selon Labbé cette découverte "pourrait transformer notre compréhension de la formation des premières galaxies dans notre Univers."

Images de six candidates galaxies massives situées à zph > 7.4. L'une des sources (en bas à gauche) pourrait contenir plus de 100 milliards d'étoiles mais est 30 fois plus compacte que la Voie Lactée. Document I.Labbé et al. (2023), traitement d'image par G.Brammer/Niels Bohr Institute's Cosmic Dawn Center/U.Copenhague).

Mais avant de déclarer en toute certitude une découverte aussi sensationnelle qui défierait la cosmologie moderne, d'autres observations et analyses de données sont nécessaires. Les chercheurs vérifient donc actuellement leurs résultats pour exclure d'autres explications.

Il est en effet possible que leurs hypothèses de travail concernant la structure des galaxies et les caractéristiques déduites des analyses spectrales soient incorrectes, et qu'en réalité ces galaxies sont beaucoup plus légères que ne le suggère l'étude préliminaire, ce qui rendra leurs masses conformes aux modèles.

Une autre explication est que ces galaxies ne sont peut-être pas ce que les chercheurs pensent qu'elles sont, mais qu'il s'agit de nouveaux objets qui seraient toujours cohérents avec la théorie cosmologique moderne. Selon Labbé, "une [explication] alternative tout aussi fascinante est que certains de ces objets appartiennent à une nouvelle classe de trous noirs supermassifs émergents, jamais vus auparavant."

Selon Erica Nelson, astrophysicienne à l'Université du Colorado et coautrice de cet article, "Une autre possibilité est que ces objets seraient un autre type de quasars faibles, ce qui serait tout aussi intéressant."

Selon Joel Leja, astrophysicien et professeur assistant à l'Université de Penn State et coauteur de cet article, "nous nous attendions à ne trouver que de jeunes et petites galaxies mais nous avons découvert des galaxies aussi matures que la nôtre à l'aube de l'Univers. C'est notre première image d'un passé aussi reculé. Il est donc important que nous gardions l'esprit ouvert sur ce que nous voyons. Bien que les données indiquent qu'il s'agit probablement de galaxies, je pense qu'il existe une possibilité réelle que quelques-uns de ces objets soient des trous noirs supermassifs obscurcis. Quoi qu'il en soit, la quantité de masse que nous avons découverte signifie que la masse des étoiles à cette époque de l'Univers est jusqu'à 100 fois supérieure à ce que nous nous attendions. Même si nous réduisons l'échantillon de moitié, cela reste un changement étonnant."

Quels que soient ces objets, les nouvelles études en cours auront probablement un impact très sérieux sur nos théories de l'évolution des étoiles, des galaxies et peut-être de l'Univers dans son ensemble, nécessitant un changement significatif dans la compréhension des processus qui se produisirent peu après le Big Bang.

Selon Leja, "nous appelons officieusement ces objets des "briseurs d'univers"- et ils sont à la hauteur de leur nom jusqu'à présent." Sans présager de l'explication finale, Labbé confirme que "cette première découverte n'est peut-être que le début d'une transformation dans la façon dont nous donnons un sens au monde qui nous entoure."

Mais certains astronomes sont déjà sceptiques face aux conclusions de l'équipe de Labbé. Sachant de plus que cette découverte est presque anecdotique et inexplicable selon les théories actuelles, dans au moins certains cas, un trou noir supermassif d'une luminosité extrême pourrait conduire les chercheurs à surestimer la masse stellaire environnante. Nous devons donc rester prudents et garder notre sens critique en éveil avant de conclure prématurement sans plus de données.

z8_GND_5296 : zph = 7.51

La galaxie z8_GND_5296 présentée ci-dessous à droite fut découverte en 2013 dans la Grande Ourse grâce aux enregistrements des télescopes Hubble et Keck I et II d'Hawaï. Son redshift photométrique zph = 7.51. Nous voyons cette galaxie telle qu'elle était il y a environ 13.1 milliards d'années, environ 700000 ans après le Big Bang.

En complément, les photographies prises avec le Télescope Spatial Hubble ont permis d'identifier au moins 8 galaxies à zph > 7.5. Leur densité diminue d'un facteur 2.5 entre zph = 6 et zph = 7 et d'un facteur ~2 vers zph = 8.

Les galaxies z8_GND_5296 (à gauche) et EGS-zs8-1 (colorée en bleu artificiellement pour souligner sa jeunesse) photographiées avec le Télescope Spatial Hubble. Nous voyons deux galaxies telles qu'elles étaient il y a plus de 13 milliards d'années. Documents NASA/ESA/STScI.

EGS-zs8-1 : zph = 7.73

La galaxie EGS-zs8-1 présentée ci-dessus à droite fut découverte en 2015 dans la constellation du Bouvier par une équipe internationale d'astronomes grâce aux images des télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. Sa magnitude apparente est de +25.03 et son diamètre apparent est d'une fraction de seconde d'arc.

Grâce au spectrographe infrarouge multi-objet MOSFIRE du télescope Keck de 10 m de diamètre installé à Hawaï, les astronomes ont pu obtenir des spectres après 2 heures d'intégration et calculer son redshift photométrique zph = 7.730. Nous voyons cette galaxie telle qu'elle était il y a environ 13.04 milliards d'années, quelque 660000 ans après le Big Bang. Sa masse est estimée à environ 109.9 M (7.94 milliards de masses solaires) soit plus de trente fois inférieure à celle de la Voie Lactée (estimée à 2.5x1011 M).

EGS-zs8-1 présente une magnitude absolue d'environ -22, c'est-à-dire qu'elle est aussi brillante dans l'absolu que la radiosource M87 (Virgo A) située à 54 millions d'annés-lumière, la plus brillante de l'amas de la Vierge. On peut donc supposer que EGS-zs8-1 ne rayonne pas uniquement par l'effet de la nucléosynthèse propre aux étoiles actives mais entretient d'autres processus non thermiques (comme les rayonnements issus d'un trou noir supermassif ou d'un front choc fortement excité dans un nuage de gaz).

En 2020, des astronomes ont découvert que cette galaxie et deux autres proches appartenant à l'amas de galaxies EGS77 contiennent des étoiles qui ont réionisé l'hydrogène présent dans leur environnement, formant d'immense bulles ionisées autour des galaxies (cf. les découvertes récentes).

Abell2744_Y1 : zph = 7.98

Dans le cadre du sondage "Frontier Fields" du Télescope Spatial Hubble, en 2014 une équipe internationale d'astronomes dirigée par Nicolas Laporte de l'Institut d'Astrophysique des Canaries (IAC) a découvert la galaxie Abell2744_Y1 qui sans ce programme serait passée inaperçue. Ensuite, c'est le télescope infrarouge Spitzer qui en fit un gros-plan.

Abell2744_Y1 est située dans l'amas de Pandore, Abell 2744, déjà connu pour ses 3000 et quelques galaxies pâles très lointaines, ses lentilles gravitationnelles multiples et sa matière sombre.

La galaxie Abell 2744_71 dans l'amas de Pandore, Abell 2744. Document NASA/ESA/STScI adaptés par l'auteur.

Comme on le voit sur la photo ci-dessus à droite, cette galaxie excessivement pâle (Mph < 30) se présente comme un "Petit Point Rouge" en raison de son éloignement extrême et affiche un redshift photométrique zph = 7.98. On aperçoit cette galaxie telle qu'elle était il y a environ 13.149 milliards d'années, quelque 650000 ans après le Big Bang.

Comme la pluart des galaxies évoluant dans l'univers primitif, Abell2744_Y1 est ~30 fois plus petite que la Voie Lactée mais produit 10 fois plus d'étoiles.

UDFy-38135539 : zph = 8.55

Cette galaxie fut découverte en 2009 par trois équipes dirigées par Rychard J.Bouwens de l'Université de Lieden sur les images infrarouge du champ ultra profond de la constellation du Fourneau prises par la caméra WCF3 du Télescope Spatial Hubble. L'objet fut initialement catalogué sous le code UDF-38135539.

La galaxie UDFy-38135539. Document ESO.

La distance de la galaxie UDFy-38135539 alias HUDF.YD3 fut calculée en 2010 par l'équipe franco-britannique de Matt D. Lehnert du GEPI (Obs.de Paris) grâce à l'instrument SINFONI du VLT.

Cette galaxie présente une raie de l'hydrogène Lyman α (partie UV du spectre à 121.5 nm) décalée jusque 1160 nm, c'est-à-dire dans le proche infrarouge, ce qui a permis de déterminer son redshift photométrique zph = 8.55. Nous l'observons telle qu'elle était il y a environ 13.2 milliards d'années.

Cette galaxie s'est formée environ 600 millions d'années après le Big-Bang, durant l'ère de réionisation, lorsque l'Univers était encore constitué d'hydrogène neutre que les protogalaxies ont commencé à ioniser.

UDFy-38135539 est une petite galaxie mesurant environ 10000 années-lumière de diamètre et contenant 1 milliard d'étoiles. Sa magnitude apparente est de +28.1.

Rappelons que la mission Planck a reculé l'ère stellaire durant laquelle se formèrent les protogalaxies, les quasars et où l'Univers des étoiles commença à briller. Cette époque aurait débuté à z = 8.8 soit 560 millions d'années après le Big Bang, il y a quelque 13.24 milliards d'années.

UDFj-39546284 : zph ~ 10

La galaxie UDFj-39546284 fut découverte en 2011 par l'équipe dirigée par Rychard J.Bouwens de l'Université de Lieden sur les images infrarouges du champ UDF de la constellation du Fourneau photographié par le Télescope Spatial Hubble.

Cette galaxie présente un redshift photométrique zph ~ 10. Sa distance propre est de 13.2 milliards d'années et sa magnitude apparente (en lumière verte) inférieure à +30.1.

L'objet est une galaxie compacte contenant des étoiles bleues qui existaient 480 millions d'années après le Big Bang, soit dans un Univers ayant 4% de son âge actuel. Cette galaxie mesure environ 1000 années-lumière, soit un centième de la Voie Lactée.

La galaxie UDFj-39546284. Document NASA/ESA/STScI. A droite, l'image prise par l'équipe HUDF09.

La photographie qui servit de référence fut réalisée avec la caméra WFC3 durant la campagne HUDF 2009-2010 et nécessita un total de 8 jours de temps d'intégration répartis sur 111 orbites.

MACS0647-JD : zph = 10.8

Le 1er janvier 2013, l'équipe de Dan Coe du STScI annonça dans "The Astrophysical Journal" la découverte de la galaxie MACS0647-JD à un redshift photométrique zph = 10.8 soit 13.38 milliards d'années-lumière dans la constellation de la Girafe (Camelopardalis). Cette galaxie d'une magnitude de +26 en proche infrarouge (~1400-1700 nm) nous apparaît telle qu'elle est dans un Univers ayant 3% de son âge actuel.

Localisation de la galaxie MACS0647-JD dans la constellation de la Girafe. Au centre, les trois images de la galaxie MACS0647-JD créées par l'effet des lentilles gravitationnelles de l'amas MACS 0647+7015. L'image du centre couvre un champ de 94" de largeur ou 2 millions d'années-lumière et fut prise sous 17 filtres entre le proche UV et le proche IR d'où les excès de couleurs bleu et orange de certaines étoiles ou galaxies. A droite, illustration artistique de cette galaxie. Elle est tellement éloignée qu'elle paraît rouge. Documents A.Fujii/T.Lombry/STScI, NASA/ESA/STScI et T.Lombry.

Coe et son équipe ont observé cette galaxie le 5 octobre et le 29 novembre 2011 en profitant du programme CLASH (Cluster Lensing And Supernova survey with Hubble) du HST pour identifier cette galaxie grâce à l'effet de lentille gravitationnelle induit par l'amas de galaxies MACS J0647+7015 situé à l'avant-plan. En effet, en raison de sa masse importante, cet amas a créé trois images (JD1, JD2 et JD3) de cette galaxie, respectivement amplifiées ~80, 7 et 2 fois.

MACS0647-JD ne couvre pas plus de 0.1" sur les photographies et est une jeune galaxie qui mesure seulement 600 années-lumière de diamètre. Elle est plus petite que la plupart des galaxies naines (par ex. SagDEG, satellite de la Voie Lactée, mesure 10000 a.l.).

UDF12-3954-6284 : zph = 11.9

Au cours de la campagne "Ultra Deep Field" 2012 (UDF 2012) du Télescope Saptial Hubble, l'équipe de l'astrophysicien Richard Ellis alors au Caltech et une équipe de l'Université d'Edimbourg découvrirent plusieurs galaxies extrêmement éloignées sur une photographie composite du champ très profond de la constellation du Fourneau (cf. R.S. Ellis et al., 2013).

Comme on le voit ci-dessous, sept galaxies pâles furent identifiées présentant un redshift photométrique compris entre zph = 8.6, 8.8, 9.5 et 11.9. Ces galaxies nous apparaissent telles qu'elles étaient au cours d'une période qui s'étend entre 380 et 600 millions d'années après le Big Bang, évoluant dans un Univers ayant moins de 3% de son âge actuel, en pleine ère de réionisation.

La galaxie à zph = 11.9 et quelques autres candidates à zphz = 8.6 et supérieurs découvertes dans la constellation du Fourneau au cours de la campagne UDF de 2012. Les vignettes N/B furent enregistrées en proche infrarouge par la caméra WFC3 du Télescope Spatial Hubble. Documents NASA/ESA/STScI.

L'inconvénient est que la mesure du redshift de ces galaxies et notamment de UDF12-3954-6284 à zph = 11.9 n'est pas assez précis et ce record de distance ne peut donc pas être validé à 100%.

Cela signifie surtout que les analyses effectuées par les chercheurs (calcul de la distribution d'énergie spectrale, de la métallicité intégrée, des abondances, de la distribution des galaxies à ces redshifts, etc) bien que confirmant les tendances pour les galaxies situées à ces époques, ne peuvent pas être corrélées avec certitude avec leur redshift.

Conclusion, comme dans les autres cas précités, il faudra attendre d'obtenir des spectres en haute résolution d'UDF12-3954-6284 pour approfondir les analyses.

Après avoir décrit les Petits Points Rouges les plus remarquables, voyons pour finir leur nature et ce qu'ils nous apprennent sur l'évolution de l'univers primitif.

Dernier chapitre

Nature des Petits Points Rouges

Page 1 - 2 - 3 - 4 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ