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Les galaxies les plus lointaines

Une partie du champ ultra profond (UDF) de la constellation du Fourneau photographié en 2003 par le Télescope Spatial Hubble dans le cadre du programme HUDF. Le temps d'intégration total est de 11.3 jours sous filtres I-RGB. L'image couvre 3' carré. Les chercheurs ont identifié 28 parmi plus de 500 jeunes galaxies rouges évoluant dans un Univers âgé de moins d'un milliard d'années (à plus de z ~ 6). De futurs cibles pour le JWST. Document NASA/ESA/UCSC, voir aussi JWST

Aux frontières de l'univers (I)

Les instruments

Les découvertes que nous allons décrire sont les résultats des moyens sophistiqués développés par les chercheurs pour sonder l'univers. Il est donc intéressant de les passer en revue pour saisir toute la valeur de ces documents dans leur globalité.

Nous avons décrit dans l'article consacré aux outils pour sonder l'univers quels sont les divers moyens dont disposent les astronomes pour étudier l'univers, du télescope optique géant au radiotélescope interférométrique en passant par le spectrographe à haute résolution et les observatoires orbitaux parfois dédiés à certains rayonnements, sans oublier le support aujourd'hui indispensable de l'informatique, traitement d'image, des Big Data, modélisations, simulations et IA comprises.

Si le télescope optique permet de capter la lumière de ces astres, pour déterminer leur distance, il faut faire appel à d'autres moyens dont la spectroscopie et utiliser un spectrographe pour décomposer et analyser leur lumière.

Le spectrographe

Les données spectrales sont utiles pour deux raisons. Premièrement, elles permettent de déterminer la distance et donc l'âge de la galaxie. Les objets présentant des décalages Doppler plus élevés sont nettement plus éloignés et donc plus anciens. Deuxièmement, les spectres donnent une idée de la composition et de l'activité d'une galaxie.

La méthode la plus simple pour calculer la distance d'une galaxie est de mesurer son effet Doppler via la mesure de son décalage vers le rouge (redshift) à partir des raies spectrales observées.

En pratique, cela se fait en mesurant les décalages des raies spectrales connues (comme celles de l'hydrogène par exemple) et en comparant les positions de ces raies dans le spectre observé et le spectre théorique pour des objets au repos (spectre prit en laboratoire). Ainsi, le décalage vers le rouge indique non seulement la vitesse d'éloignement de la galaxie mais aussi son âge approximatif, car plus un objet est éloigné (et donc plus son décalage vers le rouge est grand), plus sa lumière a voyagé dans le temps et plus elle provient d'une époque lointaine dans l'histoire de l'Univers.

Notons qu'on peut aussi déduire cette distance de la couleur spectrale des galaxies. En effet, une galaxie peut être visible dans certains bandes spectrales mais pas dans d'autres. La bande de longueurs d'ondes dans laquelle la galaxie disparaît indique approximativement son décalage vers le rouge et indirectement le temps écoulé depuis le Big Bang.

Les spectres galactiques sont également des outils parfaits pour détecter un perturbateur majeur des atomes : les trous noirs supermassifs qui se cachent au cœur des galaxies et autres AGN. En attirant le gaz et la poussière environnante parfois sur des milliers d'années-lumière, les trous noirs déstabilisent et excitent les atomes, les faisant émettre des rayonnements révélateurs. Bien avant le lancement du télescope spatial James Webb (JWST), les astrophysiciens espéraient que ce télescope les aiderait à repérer ces comportements et à trouver suffisamment de trous noirs supermassifs actifs dans l'univers primitif pour résoudre le mystère de leur formation.

L'instrument NIRSpec du JWST est un spectrographe dispersif multi-objets fonctionnant dans le proche infrarouge. Il peut enregistrer simultanément plus de 100 sources sur un champ de 3'x3'. Il peut fonctionner en mode de fente fixe ou de champ intégral (IFU) avec une résolution spectrale moyenne dans un domaine de 1 à 5 microns ou à basse résolution spectrale entre 0.6 et 5 microns. C'est le premier instrument déployé dans l'espace offrant cette capacité.

Grâce au JWST, les astrophysiciens ont fait un énorme pas en avant. Quand on y pense, le fait de connaître la composition chimique de galaxies situées à z = 10, une époque où l'Univers n'avait que 500 millions d'années, est tout simplement stupéfiant. Et ce n'est qu'un début.

A gauche, les premiers spectres non traités de 220 galaxies enregistrés simultanément grâce au spectrographe VIMOS en mode MOS ( Multi-Object-Spectroscopy) du VLT en 2002. Le temps d'intégration est de 900 secondes. Au centre, un agrandissement de quelques spectres de la partie située un peu au-dessus à gauche du centre de l'image de gauche. A droite, grâce à VIMOS, en une seule exposition de 300 secondes, plus de 3000 spectres ont été pris de la région centrale des galaxies des Antennes, NGC 4038/NGC 4039. Documents ESO, ESO et ESO.

L'analyse spectrale fait aujourd'hui appel à des techniques très sophistiquées. Malheureusement, étant donné le peu de temps d'observation disponible, les astronomes n'ont pas toujours la possibilité d'utiliser le spectrographe NIRSpec du JWST ou les spectrographes à haute résolution du VLT (cf. MOONS, VIMOS, UVES, MUSE, etc) chaque fois qu'ils le désirent. Ils doivent alors se rabattre sur le grism à basse résolution du Télescope Spatial Hubble (cf. K.E. Whitaker et al., 2014), celui du JWST ou d'Euclid. Mais il existe une solution plus rapide bien que moins fiable qui donne une idée approximative de la distance, c'est la photométrie.

Les filtres photométriques

La seconde technique utilise les données photométriques fondées non pas sur un photomètre mais sur des photos de la couleur de la galaxie pour déterminer son redshift. C'est une solution plus rapide et moins coûteuse qui permet d'analyser de nombreux objets mais elle est moins précise que le spectrographe car elle est basée sur les longueurs d'ondes discrètes (fixe) d'un filtre à bande plus ou moins étroite plutôt que sur des raies spectrales en haute résolution.

La solution consiste à utiliser la caméra infrarouge NIRCam du JWST en intercalant différents filtres photométriques pour ensuite déterminer le redshift. Le JWST dispose de roues à filtres comprenant au total 29 filtres répartis en deux catégories :

- Les filtres à courte longueur d'onde (sous la bande morte dichroïque) : F070W, F090W, F115W, F140M, F150W, F150W2, F162M, F164N, F182M, F187N, F200W, F210M, F212N. Ce sont généralement ces filtres qui sont utilisés pour créer les images composites RGB en couleurs arbitraires.

- Les filtres à grande longueur d'onde (au-dessus de la bande dichroïque) : F250M, F277W, F300M, F322W2, F323N, F335M, F356W, F360M, F405N, F444W, F410M, F430M, F444W, F460M, F466N, F470N et F480M.

NB. Le nom du filtre donne sa longueur d'onde centrale et son type. "F070W" est un filtre centré sur la longueur d'onde de 0.70 micron ou 700 nm. La dernière lettre détermine le type de filtre : W2" pour extra-wide (R~1), "W" pour wide (R~4), "M" pour medium (R~10) et "N" pour narrowband (R~100), R étant le pouvoir de résolution.

En résumé, la fiabilité des résultats dépend donc de la méthode utilisée, la spectroscopie HR étant de loin plus précise que sa version LR à basse résolution et que la photométrie (cf. les différentes méthodes de calcul du décalage Doppler).

Cependant, suite à la publication des premières données du JWST, on constata que pour le prestige probablement, pour attirer l'attention de leur communauté ou de leur directeur, certains jeunes chercheurs n'ont pas hésité à affirmer avoir fait une découverte sur la seule base d'une analyse photométrique, sans même attendre les résultats des mesures spectroscopiques ni la validation de leur article par leurs pairs, c'est-à-dire un comité de lecture (les referees). C'est ce qu'on appelle de la mauvaise science car ces mauvaises pratiques portent préjudice à toute la communauté scientifique. Nous décrirons quelques exemples dans les pages suivantes.

Les modèles théoriques

Enfin, n'oublions pas que ces instruments seraient pratiquement sous-exploités s'ils n'étaient pas complétés par des modèles théoriques, en particulier des programmes de simulation et des fonctions statistiques très puissantes faisant de nos jours appel à l'intelligence artificielle qui aident les astronomes à formaliser leurs hypothèses au quotidien. Toutefois, ces outils théoriques ne remplacent pas les observations qui, en apportant in fine la preuve in situ, sont les seules données pouvant valider une théorie.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, une précision s'impose.

Décalage Doppler et distance des galaxies

Dans la plupart des publications scientifiques destinées au public, les auteurs ont l'habitude de simplifier les explications pour les rendre plus compréhensibles mais en faisant cela ils créent des ambiguïtés entraînant parfois des confusions dans l'esprit des lecteurs. C'est en particulier le cas de la distance des galaxies. Aussi, pour éviter toute confusion, dans beaucoup d'articles scientifiques les auteurs ne citent que le décalage Doppler (z) sans préciser la distance des galaxies ou indiquent une valeur en années-lumière sans ajouter le mot "distance", ce qui est également la règle sur ce site.

Document T.Lombry.

Nous avons expliqué à propos de la Création de l'Univers et dans la théorie du Big Bang que dans un Univers de géométrie homogène et isotrope (modèle FRW), grâce à un changement de coordonnées, en tenant compte du facteur d'échelle qui détermine l'expansion de l'Univers et des paramètres cosmologiques actuels (densité de matière, constante cosmologique, paramètre de Hubble, etc.), à partir du décalage Doppler d'une galaxie on peut déterminer sa distance actuelle ou distance comobile radiale, c'est à dire la distance qui nous sépare de cette galaxie mesurée le long de la ligne de visée, généralement symbolisée par χ.

Ainsi, quand on lit qu'une galaxie est située à z = 11.0 soit 13.3 milliards d'années-lumière, c'est exact, à condition de ne pas ajouter le mot distance ou de référence au Soleil ou à la Voie Lactée, auquel cas la valeur serait fausse. En effet, il faut comprendre que c'est la distance à laquelle elle se trouvait au moment où nous avons capté sa lumière, c'est ce qu'on appelle le temps de regard (loopback time) ou distance (de mouvement) propre qui est la distance qui serait mesurée si l'expansion de l'Univers était stoppée et si nous pouvions mesurer directement la distance, sans tenir compte de l'expansion de l'Univers. Autrement dit, si la courbure de l'Univers était nulle (k=0), la distance propre serait égale à la distance comobile. La distance propre n'est donc pas sa distance réelle, actuelle.

Comme illustré à gauche, l'effet de l'expansion de l'Univers est peu sensible à courte distance de la Voie Lactée où les distances comobile et de mouvement propre convergent. Ainsi, tant que z < 0.23, la différence entre les deux types de distance ne dépasse pas 10% (2.76 contre 3.07 milliards d'années-lumière) alors qu'à z = 5 la différence atteint le double (12.53 contre 25.90 milliards d'années-lumière) et le triple à z = 80 (13.697 contre 41.45 milliards d'années-lumière). La distance propre suit une courbe asymptotique jusqu'au Big Bang alors que la distance comobile est exponentielle.

En résumé, pour notre galaxie située à z = 11, sa distance propre est de 13.3 milliards d'années-lumière. Pour éviter toute confusion, comme le font certains auteurs dans les articles académiques, on peut aussi bien ne pas donner sa distance mais dire que cette galaxie évolue dans un Univers âgé de 419 millions d'années ou qu'on la voit telle qu'elle était 419 millions d'années après le Big Bang[1].

Alors qu'elle est la distance réelle de cette galaxie ? Nous la voyons aujourd'hui mais en réalité sa lumière l'a quittée il y a 13.3 milliards d'années. Entre-temps, la galaxie s'est éloignée en vertu de l'expansion de l'Univers. Sa distance réelle (d) ou comobile radiale dépend de son décalage Doppler (z), de la vitesse de la lumière (c) et des paramètres cosmologiques, dont la constante de Hubble Ho, (~70 km/s/Mpc), la densité actuelle de matière Ωm (~0.3) et la densité actuelle de l'énergie sombre ΩΛ (~0.7) qui sont reliés dans la relation suivante :

En réalité, aujourd'hui cette même galaxie se situe bien plus loin, à 32.16 milliards d'années-lumière, il s'agit de sa distance comobile radiale. Généralement cette distance n'est jamais mentionnée dans les publications (pas plus que sur ce site). Les calculettes suivantes permettent de calculer le temps de regard et la distance comobile radiale.

Calculettes : Cosmological Calculator (modèle ΛCDM)

CosmoCalc, Edward L. Wright, UCLA

Convertisseur de magnitudes

Pour rappel, la loi de Hubble-Lemaître s'applique uniquement aux objets sous l'effet de l'expansion de l'Univers et donc affichant des vitesses positives par rapport à la Terre (s'éloignant de nous). Dans le cas d'un objet dont la vitesse est négative, comme la galaxie M31 d'Andromède, on ne peut pas utiliser la relation ci-dessus ou la simple la loi de Hubble-Lemaître. Il faut lui appliquer d'autres techniques comme les "chandelles standards".

Décrivons à présent l'histoire de la découverte de ces galaxies les plus lointaines.

Des candidates galaxies massives à z = 17 et z = 20

Grâce à l'astronomie spatiale et les grands télescopes équipés de moyens toujours plus sophistiqués pour sonder les profondeurs de l'univers, depuis les années 2000 les astrophysiciens ont eu l'occasion d'étudier non seulement le ciel profond en lumière blanche mais également à travers tout le spectre des rayonnements, des ondes radio aux rayons X et gamma en passant par les UV et l'infrarouge.

La première image prise par la caméra NIRCam du JWST publiée par le Webb Space Telescope le 11 juillet 2022. Il s'agit de l'amas de galaxies SMACS J0723.3-7327. Voici l'image HD (5 MB). il s'agit d'un compositage panchromatique en couleurs arbitraires.

Au cours de leurs recherches, les astrophysiciens ont découvert des centaines de "Petits Points Rouges" (Little Red Dots ou LRD) à des redshifts compris entre 3 < z < 13.3, c'est-à-dire une distance propre comprise entre 11.5 et 13.4 milliards d'années-lumière, c'est-à-dire évoluant dans un Univers âgé entre 2.1 milliards et ~300 millions d'années, des époques encore inaccessibles aux télescopes à la fin du XXe siècle.

L'étude de ces LRD a révélé qu'il s'agit généralement de galaxies à noyau actif (AGN) compactes et poussiéreuses mais d'un type particulier abritant déjà un trou noir supermassif. On y reviendra en détails.

A partir de z ~ 7, une distance propre supérieure à 12.9 milliards d'années-lumière, nous pénétrons également dans l'univers primitif où les premiers objets, galaxies et quasars, présentent des propriétés physiques et chimiques que ne possèdent plus les objets nés ultérieurement, leur matière et leur combustible ayant été recyclés tandis que leur activité s'est progressivement ralentie et stabilisée.

C'est l'époque de l'ère stellaire des nuages de gaz obscurs, de la réionisation de l'hydrogène par les protogalaxies, les premiers quasars et les étoiles hyperchaudes de Population III issues directement de la recombinaison.

C'est dans ce monde très éloigné de notre univers actuel, tant dans l'espace que par sa nature, que les astronomes ont découvert les galaxies les plus lointaines dont nous allons passer en revue quelques individus emblématiques.

Nous avons expliqué dans l'article consacé aux sondages du ciel profond, que cela fait plusieurs générations (en gros depuis le POSS des années 1950 et sa version DSS numérisée en 1994) que les astronomes réalisent des sondages sur ciel profond afin de mieux comprendre l'organisation de l'Univers et la façon dont les galaxies et les autres objets célestes évoluent depuis leur formation.

Dans le cadre du sonde SMACS (la partie sud du sondage MACS), le télescope James Webb (JWST) prit sa première image d'un amas de galaxies lointain présentée ci-dessus à droite qui fut publiée le 11 juillet 2022. Elle montre avec une grande netteté des milliers de galaxies au coeur de l'amas massif SMACS J0723.3-7327 (ou SMACS 0723 en abrégé), mais l'image révèle également des galaxies bien plus éloignées.

La masse de la grande galaxie spirale barrée située au centre du champ appelée "Sparkler" (La scintillante), des autres galaxies plus pâles ainsi que de la matière sombre (ou noire) qui les entoure génèrent des lentilles gravitationnelles, déformant leurs images mais aussi amplifiant 10 à 40 fois l'image des galaxies situées à l'arrière-plan, les rendant visibles ou plus faciles à distinguer. Pami ces galaxies, il y a de nombreux "Petits Points Rouges" ou LRD (Little Red Dot). Cette image donna l'occasion à des milliers d'astronomes d'analyser cette région du ciel en quête des galaxies les plus lointaines.

Des articles non validés

Moins d'une semaine après que la NASA ait publié les premières données scientifiques du JWST, le serveur de préimpression "arXiv" fut inondé d'articles affirmant la découverte de galaxies évoluant quelques 250 millions d'années après la Big Bang (z ~15). Beaucoup d'entre elles semblent plus massives que ce que prédit le modèle cosmologique Standard qui décrit la composition et l'évolution de l'Univers. Si cela était confirmé, cela remettrait sérieusement en question le modèle cosmologique actuel. Mais pour l'instant, ce n'est qu'une hypothèse.

Selon l'astrophysicien Richard Ellis du Caltech et actuellement à l'University College de Londres, "Cela m'inquiète un peu que nous trouvions ces monstres dans les premières images", sous-entendant qu'il y a peut-être un manque de rigueur scientifique dans ces études. Le temps lui donnera raison.

Le 19 juillet 2022 soit six jours seulement après la publication des premières données scientifiques du JWST, deux équipes indépendantes d'astronomes ont présenté leur analyse dans deux articles d'abord publiés en préimpression sur le serveur "arXiv" puis validés et publiés dans "The Astrophysical Journal Letters". Les deux groupes, l'un dirigé par Rohan P. Naidu du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian (CfA) de Cambridge, Mass., et l'autre par Marco Castellano de l'Observatoire de Rome en Italie, ont trouvé deux galaxies candidates relativement brillantes à des redshifts ou décalages Doppler z ~11 et 12.3, c'est-à-dire évoluant respectivement quelque 400 et 325 millions d'années après le Big Bang (voir plus bas GLASS-z12).

Quelques jours plus tard, dans deux autres articles non validés publiés sur "arXiv", l'un le 26 juillet 2022 par l'équipe de Callum Donnan de l'Université d'Édimbourg, l'autre indépendamment le 3 août 2022 par l'équipe de Yuichi Harikane de l'Université de Tokyo, les chercheurs ont annoncé la découverte d'une galaxie étonnamment massive à un redshift z = 17 soit 225 millions d'années seulement après le Big Bang.

Dans un autre article non validé publié également sur "arXiv" le 23 juillet 2022, Haojing Yan de l'Université du Missouri et ses collègues ont même affirmé que certaines de leurs galaxies candidates pourraient atteindre un redshift z = 20 soit évoluer 180 millions d'années après le Big Bang.

Interviewé sur la validité de ces éventuelles découvertes, Ellis déclara : "Il est compréhensible que les jeunes équipes se précipitent" pour publier leurs résultats. Mais vu la vitesse à laquelle ces articles furent publiés, on peut imaginer qu'ils avaient préparé leur article à l'avance. Selon l'astronome Mariska Kriek de l'Observatoire de Leiden, experte de l'astronomie extragalactique, certains de ces groupes ont peut-être écrit de grandes parties de leur article à l'avance, ils n'ont donc eu qu'à remplir quelques chiffres et d'autres détails : "Ils ont cueilli les fruits à portée de main. Pour certaines personnes, il est simplement très important d'être le premier. Et bien sûr, tout le monde est très curieux de savoir ce qu'il y a dans les données."

A gauche, cette image fait partie d'une plus grande mosaïque prise avec la caméra NIRCam du JWST dans la région de la Grande Ourse en 2022. Il s'agit de l'une des premières images obtenues par la collaboration CEERS (Cosmic Evolution Early Release Science Survey) spécifiquement mis en place pour découvrir des galaxies lointaines et donc primitives. A droite, le Quintette de Stephan photographié par les caméras NIRCam et MIRI du JWST. Derrière cet amas compact, on a identifié au moins trois galaxies très éloignées mais dont le redshift élevé doit encore être validé. Documents NASA/STScI/ CEERS, TACC, UTAustin/S.Finkelstein, M.Bagley, Z.Levay et Webb Space Telescope.

Comme expliqué précédemment, pour calculer la distance d'une galaxie, il faut disposer de mesures précises, soit au moyen des spectromètres HR du JWST soit obtenues par le réseau radiointerférométrique terrestre ALMA de l'ESO qui fonctionne à des longueurs d'ondes encore plus longues (submillimétriques et millimétriques) pour déterminer avec précision les décalages vers le rouge de ces galaxies.

Donc avant que la communauté ne valide ces données, les décalages vers le rouge signalés doivent être confirmés par spectroscopie. Mark McCaughrean, le conseiller scientifique principal de l'ESA publia ce commentaire sur Twitter : "Je suis sûr que certains d'entre eux seront [confirmés], mais je suis également sûr qu'ils ne le seront pas tous. […] Tout cela ressemble un peu à une ruée vers le sucre en ce moment."

Comme Ellis me le précisait à propos des redshifts photométriques, "mes collègues et moi ne sommes pas convaincus que le rapport signal/bruit de ce type de spectre est suffisant pour être à l'abri de toute critique".

En effet, c'est une chose de publier un article en préimpression sur "arXiv" en attendant son éventuelle validation par les pairs, mais c'en est une autre de déclarer une découverte dans un article validé publié dans une revue académique prestigieuse. Pour rappel, on trouve également sur le serveur "arXiv" des thèses doctorales spéculatives qui peuvent être tout sauf fondées sur des faits, d'où la réticence de certains scientifiques à se référer à ce genre d'études non validées. Mais tous n'ont pas ces scrupules.

Jusqu'à présent, les astronomes ont trouvé des galaxies candidates éloignées dans quatre zones du ciel. Certains chercheurs ont exploré le voisinage de SMACS 0723-73, d'autres se sont penchés sur deux sondages en cours, le GLASS (Grism Lens-Amplified Survey from Space) dans le Sculpteur et le CEERS (Cosmic Evolution Early Release Science Survey) dans le Bouvier. De plus, trois candidates ont été découvertes dans l'image du Quintette de Stephan situé dans Pégase.

Le plus étonnant est le rythme auquel le JWST découvre des galaxies lointaines. Comme le déclara Ellis, "Chaque jour est une petite aventure." Cette flambée de découvertes paraît suspecte, surtout que deux d'entre elles proviennent de la même équipe, celle de Naidu. Mais les résutats d'autres équipes dont celle de Yuichi Harikane précité doivent aussi être examinés avec prudence car ils furent obtenus par photométrie.

Décrivons deux cas de galaxies lointaines dont le redshift photométrique estimé en 2022 est très différent du redshift spectroscopique obtenu en 2023 : les "petits points rouges" CEERS-99316 et HD1.

Le cas de CEERS-93316

Il est difficile de suivre toutes ces découvertes potentielles, en partie parce que chaque équipe utilise sa propre nomenclature. Par exemple, la galaxie candidate à zph = 16.4 (cf. C.T. Donnan et al., 2022) est cataloguée ID93316, CEERS-93316, CEERS-1749 ou encore CR2-z17-1. Naidu et ses collègues l'ont même surnommée la galaxie de Schrödinger en raison de sa nature indécise. En effet, en 2022 ils estimaient qu'au lieu d'être une galaxie primitive, il pourrait s'agir d'une galaxie très poussiéreuse à un redshift voisin de z ~ 5. Mais il fallait le prouver par spectroscopie à haute résolution et donc attendre du temps disponible sur le JWST, ce qu'a obtenu une équipe concurrente.

Photo RGB prise par le JWST de la galaxie CEERS-93316 située à zspec = 4.9. Document C.T. Donnan et al. (2022).

En fait, dans une nouvelle étude publiée dans la revue "Nature" en 2023 (en PDF sur arXiv), l'équipe du postdoctorant Pablo Arrabal Haro du NOIRLab (National Optical-Infrared Astronomy Research Laboratory) réalisa une analyse plus approfondie de plusieurs galaxies a priori très distantes dont CEERS-93316 au moyen du spectrographe NIRSpec du JWST.

Dans leur article, les auteurs avertissent d'emblée le lecteur du risque de contamination des mesures : "Bien que des analyses indépendantes menées par différentes équipes aient permis d'identifier cette candidate galaxie à haut redshift à l'aide de la photométrie JWST/NIRCam à 7 bandes, il est possible que des objets situés à l'avant-plan s'infiltrent dans des échantillons à redshift élevé en raison de couleurs inhabituelles résultant de populations stellaires plus anciennes, de fortes raies d'émission nébulaires et/ou d'un rougissement induit par la poussière."

Suite à cette analyse, les chercheurs révisèrent le redshift de CEERS-93316 à la baisse avec une valeur plus modeste de zspec = 4.9, ce qui la rapproche de 8% et correspond à une distance propre d'environ 12.4 milliards d'années-lumière, ce qui est déjà remarquable en soi.

Mais comment peut-on se tromper à ce point sur la distance d'une galaxie ? Il s'avère que le gaz chaud de CEERS-93316 émet tellement de lumière dans quelques raies spectrales associées à l'oxygène et à l'hydrogène qu'il rend la galaxie beaucoup plus bleue qu'elle n'est réellement. Cette dominante bleue imitait la signature que Steven Finkelstein de l'UT Austin, coauteur de cet article et chercheur principal du sondage CEERS et ses collègues, s'attendaient à voir dans les toutes premières galaxies. Cela est dû à une bizarrerie de la méthode photométrique qui ne se produit que pour les objets ayant des décalages vers le rouge d'environ 4.9. Selon Finkelstein, c'était un cas de malchance : "C'était une sorte de cas étrange. Parmi les dizaines de galaxies candidates à haut redshift qui ont été observées par spectroscopie, c'est le seul cas où le vrai décalage vers le rouge est bien inférieur à notre estimation initiale."

Comme le montre le spectre présenté ci-dessous, on observe comment la contamination [O III] dans le filtre F277W (vert) et la contamination Hα dans les trois filtres F356W (jaune), F410M (orange) et F444W (rouge) se sont combinées pour imiter la signature à la fois d'une rupture Lyα à très haut redshift et d'un continuum bleu à plus grandes longueurs d'ondes.

Le spectre de CEERS-99316 enregistré par le spectrographe NIRSpec du JWST. Le panneau supérieur a) montre le spectre 2D avec les lignes rouges indiquant les limites d'extraction spatiale tandis que le panneau inférieur montre l'extraction 1D. Les raies d'émission indiquent clairement un z = 4.912. La zone grise ombrée correspond aux incertitudes 1σ dans le spectre 1D. L'insert b) montre une image pseudo-RGB en couleurs arbitraires sous filtres F150W+F200W+F277W de cette galaxie. Document P.Arrabal Haro et al. (2022).

Non seulement cette galaxie apparaît anormalement bleue, mais elle est également beaucoup plus lumineuse que ce que les modèles prédisent pour les galaxies qui se sont formées si tôt dans l'Univers. Selon Finkelstein, "Il aurait été vraiment difficile d'expliquer comment l'univers a pu créer une galaxie aussi massive si tôt. Donc, je pense que c'était probablement le résultat le plus probable, car c'était si extrême, si brillant, à un décalage vers le rouge aussi élevé."

Le cas de HD1

Dans deux articles publiés dans "The Astrophysical Journal" (en PDF sur arXiv) et les "MNRAS" en 2022 (en PDF sur arXiv), deux équipes internationales d'astronomes annoncèrent la découverte de la galaxie HD1 à zph = 13.27 battant le précédent record de 2016 détenu par la galaxie GN-z11.

La galaxie HD1 située non pas à z = 13.27 comme calculé initialement, mais à zspec = 4.0. Document CfA/Harvard-Smithsonian.

Pour identifier HD1, les chercheurs ont combiné les observations du télescope VLT de l'ESO, du télescope spatial Spitzer de la NASA et du réseau ALMA. Son redshift est basé sur l'analyse d'une seule raie, celle de l'oxygène [O III] à zphot = 13.27 avec une précision de 4σ. Les données d'ALMA indiquent également un z ~ 13 soit une distance propre d'environ 13.39 milliards d'années-lumière.

HD1 est extrêmement brillante en lumière ultraviolette. Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs estiment que "certains processus énergétiques s'y produisent ou, mieux encore, se sont produits il y a quelques milliards d'années."

HD1 est 10 à 100 fois plus petite que la Voie Lactée mais présente un SFR ~ 40 M par an, créant des étoiles à un taux 14 fois supérieur à celui de notre Galaxie de nos jours. Elle pourrait contenir des étoiles de Population III. Il est également possible que ce soit un AGN qui abrite déjà un trou noir supermassif de 100 millions de masses solaires.

Toutefois, les chercheurs précisaient que de nouvelles mesures étaient nécessaires pour confirmer son redshift élevé et sa masse. Ils allaient donc utiliser les nouveaux télescopes spatiaux (JWST en 2023, Nancy Grace Roman vers 2027 et GREX-PLUS vers 2030) pour l'analyser en détails.

Et de fait, dans un nouvel article publié sur "arXiv" en 2024 (non validé), Yuichi Harikane de l'Institut de Recherche sur les Rayons Cosmiques (ICRR) de l'Université de Tokyo et ses collègues ont revu le redshift de HD1 à la baisse avec un zspec = 4.0 ! Cette galaxie se situe finalement à 12.1 milliards d'années-lumière soit 10% plus près.

Le spectre de HD1 enregistré par le spectrographe NIRSpec du JWST. On observe la cassure de Balmer autour de 1-2 µm, indiquant que cette source est une intruse à faible redshift à zspec = 4. Les cercles bleus représentent les points de données photométriques obtenus par l'équipe de Y.Harikane en 2022. Document Y.Harikane et al. (2024).

Comment expliquer cette différence de redshift pour un même objet ? L'astrophysicien Tom Bakx de l'Université Chalmers en Suède, qui analysa notamment les données de GLASS-z12 alias GHZ2 (voir page 2) me répondit : "Les redshifts photométriques proviennent de nos meilleurs efforts pour adapter une « galaxie typique » à un ensemble de données à large bande. Il existe parfois une dégénérescence entre les solutions à redshift élevé et celles à redshift faible. Dans ce cas, nous recherchons une « cassure de Lyman », où chaque photon peut exciter l'hydrogène, ce qui est en accord avec une solution à redshift élevé. La cassure de Balmer (n = 1 à l'infini, au lieu de n = 0 à l'infini) peut également être une option, comme pour HD1. Cela signifie que nous observons une transition différente de celle que nous pensions. Les caractéristiques spectroscopiques ne présentent pas (beaucoup) de telles dégénérescences, et nous voyons des caractéristiques beaucoup plus nettes. Cela diminue l'incertitude (généralement Δzspec de 0.001 au lieu de Δzphot = 1 à 0.1), bien que des dégénérescences existent toujours." Notons que Bakx et ses collègues ont justement écrit un article à ce sujet dans le domaine submillimétrique (cf. E. van Kampen et al., 2024).

A l'inverse, la galaxie de Maisie que l'équipe d'Harikane étudia également est bien située au redshift qu'elle calcula (voir page2).

En résumé, nous ne cherchons pas à critiquer les méthodes de travail des chercheurs pour les dénigrer car la majorité d'entre eux font certainement au mieux en fonction des moyens disponibles, mais il faut garder l'esprit critique et bien lire les articles concernés avant de prendre les annonces de découvertes pour argent comptant.

Les contextes technique et méthodologique étant précisés, décrivons à présent l'objet de notre article, les "Petits Points Rouges".

Histoire de la découverte des "Petits Points Rouges"

L'histoire et le mystère entourant les Petits Points Rouges commença en 1999, lorsqu'une équipe dirigée par Xiaohui Fan, chercheur à l'Université d'Arizona découvrit l'une des galaxies les plus lointaines, un quasar brillant situé à z = 5 soit une distance propre d'environ 12.53 milliards d'années-lumière (cf. X.Fan et al., 1999). Il abrite déjà un trou noir supermassif actif dont la masse équivaut à plusieurs milliards de masses solaires. Depuis, Fan a passé sa carrière à rechercher des objets lointains dans l'Univers primitif.

Dans le cadre des divers sondages du ciel profond, Fan et ses collègues ont battu à plusieurs reprises leurs propres records, poussant la frontière du redshift des quasars à 6 en 2001 (cf. X.Fan et al., 2001) et à 7.6 en 2021 (cf. F.Wang et al., 2021) soit une distance propre de 13 milliards d'années-lumière. Elle évolue dans un Univers âgé de seulement 691 millions d'années. Mais si ces donnés sont validées, un problème apparaît : en théorie la création de trous noirs aussi massifs est impossible si tôt dans l'histoire de l'Univers. A moins de corriger la théorie... On y reviendra.

Compilation de quelques "Petits Points Rouges" photographiés par la NIRCam du JWST. Le champ de chaque mosaïque est de 1.5'x1.5'. Ces objets évoluent dans un Univers âgé de 550 millions à 1.2 milliard d'années et abritent déjà des trous noirs supermassifs en croissance rapide. Il s'agit de photos pseudo-RGB en couleurs arbitraires prises sous les filtres F444W (R), F200W (G) et F115W (B). Documents Webtelescope (2025).

Comme tout objet, les trous noirs supermassifs mettent du temps pour se former. Et comme un enfant qui grandit trop vite, les trous noirs supermassifs de Fan semblent trop grands pour leur âge. En effet, a priori l'Univers n'était pas assez vieux pour que ces objets eurent le temps d'accumuler des millions voire des milliards de masses solaires. Pour résoudre ce problème, les astrophysiciens furent contraints d'envisager deux options.

Aujourd'hui encore, les découvertes de Fan défient les théories standards sur la formation des trous noirs supermassifs. La première est que les galaxies identifiées par l'équipe de Fan abritent des trous noirs stellaires, du type de ceux que les supernovae laissent souvent derrière elles. Ces trous noirs se sont ensuite développés à la fois en fusionnant et en absorbant les gaz et les poussières environnantes.

Normalement, si un trou noir absorbe de la matière de manière suffisamment agressive, une intense émission de rayonnements finit par repousser cette matière. Cela met fin à l'alimentation du trou noir et fixe une limite au taux de croissance des trous noirs appellée la limite d'Eddington (la luminosité au-delà de laquelle la pression du rayonnement l'emporte sur la gravité). Mais il s'agit d'une limite floue : un flux constant de poussière pourrait éventuellement vaincre la pression du rayonnement et tomber sur le trou noir. Cependant, les astrophysiciens ont du mal à comment maintenir une telle croissance de super-Eddington assez longtemps pour expliquer la masse des trous noirs de supermassifs de Fan : elles auraient dû se développer à un taux bien trop rapide, inexplicable par les théories actuelles.

L'alternative est d'imaginer que ces trous noirs sont nés massifs avec une taille gigantesque qui semble aujourd'hui improbable. Selon ce modèle, des nuages de gaz primordaiux se seraient effondrés directement en trous noirs pesant plusieurs milliers de masses solaires, formant ce qu'on appelle des "graines lourdes". Ce scénario est également difficile à imaginer car ces immenses nébuleuses grumeleuses devraient se fracturer en poches de hautes densités et former des étoiles massives avant de se transformer en trou noir. Il y a dans ce scénario quelque chose que les astronomes ne comprennent pas encore.

L'une des priorités du JWST est d'évaluer ces deux scénarii en scrutant l'Univers primitif à la recherche de protogalaxies et des plus anciens trous noirs de Fan. Ces précurseurs ne seraient pas vraiment des quasars, mais des galaxies abritant des trous noirs un peu plus petits et en passe de devenir des quasars.

Grâce au JWST, les scientifiques ont l'espoir de repérer des trous noirs évoluant dans l'Univers primitif qui ont à peine commencé à se développer, des objets suffisamment jeunes et suffisamment petits pour que les chercheurs puissent déterminer leur masse à la naissance.

C'est avec cet objectif en tête qu'une équipe d'astronomes travaillant dans le cadre du sondage CEERS dirigée par Dale Kocevski du Colby College découvrit fin 2022 et pour la première fois toute une série de jeunes trous noirs dans les galaxies évoluant dans l'Univers primitif (cf. D.Kocevski et al., 2023).

Dans les spectres du sondage CEERS, quelques galaxies sont immédiatement apparues comme cachant potentiellement de jeunes trous noirs. Contrairement aux galaxies normales ou quiescentes sans grande activité nucléaire, ces galaxies émettaient une lumière qui ne provenait pas d'une seule raie étroite de l'hydrogène mais d'une raie en émission qui était dispersée dans une gamme de fréquences suite à l'effet Doppler. Certaines ondes lumineuses étaient compressées et bleuies en se dirigeant vers la Terre tandis que d'autres étaient résolument rougies du fait de leur éloignement, mais dans tous les cas c'était la signature de gaz éjecté à grande distance depuis le coeur de ces galaxies. Kocevski et ses collègues savaient que les trous noirs étaient à peu près le seul objet capable de projeter de l'hydrogène de cette manière.

Les photos prises dans le cadre des sondages Eiger-Fresco du JWST montrent que le jeune Univers contient une très grande population de "Petits Points Rouges" qui sont en fait des galaxies primitives et surtout des quasars abritant des trous noirs supermassifs. Document J.Matthee et al. (2024).

A peine deux mois plus tard, début 2023 l'équipe du CEERS publia un article (non validé) décrivant deux des "petits monstres cachés", comme ils appelaient ces jeunes trous noirs massifs. Ensuite, l'équipe entreprit d'étudier systématiquement les centaines de galaxies identifiées par leur programme pour déterminer le nombre exact de LRD et de trous noirs qu'ils abritaient.

Leurs données furent récupérées quelques semaines plus tard par une autre équipe, dirigée par Yuichi Harikane de l'Université de Tokyo. L'équipe de Harikane étudia 185 des galaxies les plus éloignées du sondage CEERS et en trouva dix affichant de larges raies d'hydrogène en émission avec des redshifts compris entre 4 et 7 (cf. Y.Harikabe et al., 2023). La présence de ces raies était vraisemblablement l'oeuvre de trous noirs d'un million de masses solaires.

Puis, en juin 2023, une analyse des sondages EIGER et FRESCO réalisée par l'équipe de Jorryt Matthee de l'École polytechnique fédérale de Zurich (cf. J.Matthee et al., 2024) identifia vingt autres "Petits Points Rouges" entre z = 4.2-5.5 soit une distance propre d'environ 12.2 à 12.7 milliards d'années-lumière présentant également de larges raies Lyman α, c'est-à-dire des raies d'émission produites par la recombinaison de l'hydrogène ionisé composant des nuages de gaz chauffés par le rayonnement UV des étoiles.

Une autre analyse non validée publiée deux mois plus tard annonçait une douzaine d'autres LRD (cf. R.Maiolino et al., 2023) dont quelques-uns pourraient abiter des trous noirs en développement, en train de grossir en fusionnant.

Mais peu d'astronomes avaient prévu le grand nombre de LRD possédant un trou noir supermassif actif. Les jeunes quasars observés au cours de la première année d'observation du JWST sont 10 à 100 fois plus nombreux que ce que les scientifiques avaient prédit sur la base du recensement des quasars adultes (cf. M.Niida et al., 2020).

Selon l'astrophysicienne Anna-Christina Eilers du MIT qui est coautrice de l'article sur les "Petits Points Rouges", "Il est surprenant pour un astronome que nous nous soyons trompés d'un ordre de grandeur, voire plus. Il semble y avoir une multitude de sources dont nous ignorions l'existence et que nous n'avions pas du tout prévu de trouver."

Selon l'astrophysicienne Stéphanie Juneau du NOIRLab et coautrice de l'article sur les "petits monstres" publié début 2023, "c'était comme si à redshifts élevés, ces quasars n'étaient que la pointe de l'iceberg. Nous pourrions découvrir qu'en dessous, cette population est encore plus grande qu'un simple iceberg ordinaire."

Mais pour apercevoir ces trous noirs à leur naissance, les astronomes savent qu'ils devront aller bien au-delà du redshift de 5 et approfondir leurs recherches sur le premier milliard d'années de l'Univers. Récemment, plusieurs équipes ont repéré indirectement des trous noirs supermassifs actifs à des distances records.

En mars 2023, une analyse du sondage CEERS par l'équipe dirigée par l'astrophysicienne Rebecca L. Larson de l'Université du Texas à Austin permit de découvrir une large raie Lyman α dans une galaxie à z = 8.7, soit une distance propre de 13.1 milliards d'années-lumière, établissant un nouveau record du trou noir supermassif actif le plus lointain découvert à cette date (cf. R.L. Larson et al., 2023).

Mais le record de Larson est tombé quelques mois plus tard, après que les astronomes de la collaboration JADES (JWST Advanced Deep Extragalactic Survey) aient étudié le spectre de la galaxie GN-z11.

Décrivons à présent quelques "Petits Points Rouges", des galaxies lointaines dont le redshift ou décalage vers le rouge fut calculé par des méthodes spectroscopiques. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

Les redshifts spectroscopiques

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[1] Ces valeurs dépendent des paramètres cosmologiques. Elles sont valables pour un Univers en expansion avec une constante de Hubble Ho = 69.6 km/s/Mpc, une densité de matière ΩM = 0.298 et une densité du vide Ωvac = 0.714, avec Ω le rapport entre la densité de l'Univers et la densité critique. Ainsi, si Ho diminue par exemple, la distance de l'objet augmente dans les mêmes proportions.


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