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La vision des couleurs

Aspects sensitif et subjectif des couleurs (III)

L'oeil humain est sensible à de très petites variations de longueur d'onde ou de chromaticité. Cette sensibilité n'est pas linéaire et s'étend au-delà des couleurs pures, dans leur saturation, leur luminosité et varie également en fonction de considérations physiologiques notamment (réactions biochimiques, fatigue de l'oeil et âge du sujet).

Le cerveau est capable d'une analyse de chromaticité très nuancée et complexe qui dépasse largement les médiocres performances de l'oeil et le rendu des palettes ordinaires de couleurs codées sur 8 bits/pixel. Pour vous donner une idée des performances du cortex visuel, parmi les effets physiologiques les plus connus, citons la compensation, la réaction aux faibles luminosités et l'apparition des couleurs complémentaires.

1. L'effet de la luminosité

L'aspect chromatique d'une source lumineuse évoqué dans l'introduction peut être altéré par des effets physiques, physiologiques ou psychologiques. Prenons par exemple une barre d'acier proche de l'état de fusion. Elle prend une couleur apparemment jaune pâle. Or il ne s'agit que d'une impression liée à la saturation des couleurs. En effet, sa température réelle est inférieure à 1127 K, l'inox Z6 par exemple ne fondant qu'à 1400°C, loin des 5770 K qu'exige la couleur jaune du Soleil. Le tison paraît jaune parce qu'étant très lumineux, son éclat altère la réponse de nos yeux.

Idem avec l'éclairage. Nous savons tous qu'une ampoule de 150 W est beaucoup plus lumineuse qu'une ampoule de 20 W. En raison du mauvais rendement de cette invention, la première est également beaucoup plus chaude que la seconde. Ceci nous démontre que l'énergie dissipée par un objet dépend directement de sa puissance. Mais ici l'effet est trompeur. Si l'ampoule respecte plus ou moins la courbe d'émission du corps noir (en pratique elle en est loin mais admettons-le), avec ses 2865 K l'ampoule de 150 W serait orange, or elle nous paraît pratiquement blanche. Ici également c'est l'effet de l'intensité de la puissance lumineuse qui fausse notre interprétation des couleurs.

Enfin, lorsque le Soleil est haut dans le ciel, il nous paraît blanc pour la même raison que notre ampoule de 150 W. En revanche, lorsqu'il est bas sur l'horizon sa température de couleur peut descendre à 2500 K lorsqu'il devient rouge-rubis. Ce phénomène est provoquée par l'effet de la réfraction et de la diffusion atmosphériques mais un calcul simple tenant compte d'un facteur correctif permet de déterminer que sa température effective est bien de 5770 K, il est bien jaune.

En résumé, il ne faut pas confondre la température effective (du corps noir) d'une source lumineuse et la température de couleur qui est altérée par les conditions physico-chimiques du milieu. Vous conviendrez que si une barre de métal en fusion paraît jaune clair, avec une température de couleur de 1127 K, elle n'est pas jaune mais rouge.

2. Le métamérisme

Représentation de l'espace colorimétrique de Munsell. C'est une version que l'on retrouve sous différentes formes en infographie et à des fins de recherches. Les 3 paramètres physiques sont la teinte (T), la saturation (S) et la luminosité (L).

A l'occasion, nous avons tous observé que la couleur de surfaces réfléchissantes comme l'eau ou la neige évolue en fonction de la température de couleur du Soleil. Lorsqu'il est bas sur l'horizon (T=2500 K), la neige paraît rose, au zénith (T=6500 K) elle devient blanche ou bleutée. Ce changement de couleur en fonction de la lumière s'appelle le métamérisme et touche pratiquement toutes les surfaces, y compris la peau et les vêtements. Ce phénomène affecte uniquement la teinte de la surface et n'agit nullement sur sa saturation ou sa luminosité. 

Sur le plan théorique, pour évaluer une couleur, les professionnels ont adopté la représentation de Munsell présentée à droite qui organise les couleurs autour d'un volume cylindrique dont l'axe vertical détermine la sensation de brillance (la gamme de gris ou luminance).

De la même manière on peut définir un espace colorimétrique correspondant aux fonctions de radiance spectrale des stimuli colorés. Mais si on se concentre sur les fonctions continues de la longueur d'onde (celles qui sont perpendiculaires aux trois axes du sous-espace de couleur), d'un point de vue mathématique on constate qu'il s'agit d'un espace d'Hilbert de dimension infinie. 

Cela veut dire que les stimuli colorés que l'on peut distinguer sont ceux projetés par cette espace de dimension infinie dans le sous-espace tridimensionnel de couleurs. Les couleurs qu'on peut ainsi percevoir sont équivalentes aux trois couleurs primaires photométriques RGB couvrant un spectre à large bande.

Le vecteur de la projection ne peut être déterminé que par les seules mesures établies par l'oeil humain car c'est le seul détecteur capable de déterminer l'ensemble des stimuli colorés produisant un métamérisme. Ces stimuli sont appelés métamériques, c'est-à-dire qu'ils sont métamères les uns envers les autres. On en conclut que tout stimulus qui n'est pas monochromatique génère un nombre infini de métamères, raison pour laquelle le métamérisme effecte pratiquement toutes les surfaces réfléchissantes qu'elles soient éclairées par la lumière du jour ou un éclairage artificiel.

Sur le plan de l'infographie, une étude statistique a démontré qu'on pouvait réduire la taille de l'espace des couleurs nécessaire à la représentation d'un objet à 7 paramètres ou dimensions.

Cette limitation s'explique également par la largeur limitée de l'absorption électronique dans les solides. Concrètement cela signifie qu'on peut utiliser des filtres à bande large pour réaliser des images couleurs san perdre beaucoup d'information spectrale sur le sujet. Cette technique est notamment utilisée dans les systèmes vidéos des sondes spatiales, des observatoires placés sur orbite et en photométrie. Ainsi, le fait de sous-échantillonner le spectre d'un objet à travers ces systèmes ou même par l'oeil, ne va pas produire une différence de couleurs très marquée et le métamérisme ne représente pas réellement une nuisance pratique.

En informatique, ce sont les imprimantes à encres pigmentaires qui sont le plus affectées par cet effet au point de dénaturer les couleurs les plus subtiles ou très saturées exposées en pleine lumière (beige, gris, lilas, bleu, vert, rouge).

Aussi, pour garantir que les jaquettes de livres ou les posters par exemple ne changent pas de couleurs lorsqu'ils sont exposés sous différents types de lumière, les imprimeurs doivent utiliser des couleurs pigmentaires qui ne soient pas métamères afin de préserver leur impact visuel.

3. Les couleurs apparentées

Dans des conditions normales de luminosité, les caractéristiques d'une couleur dépendent non seulement de l'état d'adaptation de l'oeil mais également du contexte visuel dans lequel le stimulus apparaît.

Quand une couleur est isolée sur un fond noir, par nature elle n'est pas apparentée à quoi que ce soit. C'est notamment ce qu'on observe en astronomie : les tonalités extrêmes, blanches ou noires pures, n'existent pas malgré ce qu'on peut imaginer (une image sous-exposée ou brûlée n'a rien à voir avec une couleur). On parle de la brillance du fond du ciel en astronomie car ce dernier n'est jamais totalement noir en raison de la présence des corps célestes. Cette brillance, même imperceptible, affecte le rendu des couleurs. Aussi, sans référence au blanc ni au noir pur, l'intensité lumineuse d'un astre nous paraîtra obligatoirement plus ou moins faible ou intense sur une échelle ouverte, sans limite blanche ou noire. Ainsi, un astre peut nous paraître "brillant" ou "lumineux" voire "blanc" dans un télescope alors qu'en réalité sa surface ne réfléchit peut-être que 5% de la lumière et est fondamentalement gris voire noir. C'est notamment le cas des mers lunaires.

En revanche, dans des conditions d'éclairement normales, nos yeux et notre cerveau vont s'adapter en fonction de l'intensité lumineuse. Dans ce cas on parle de couleurs apparentées. Pourquoi ? Parce que nous pouvons définir un "blanc" et déterminer par rapport à lui qu'une surface est plus brillante ou même fluorescente. Au lieu d'utiliser une échelle de brillance pour qualifier sa luminosité, on estime la pureté ou saturation de cet objet relativement au blanc standard.

De même, et c'est particulièrement vrai pour l'observation télescopique des planètes, un astre comme Mars peut nous paraître rouge alors qu'en réalité l'astre est plutôt orange-brun. Même chose pour Jupiter dont  les couleurs rouges et brunes souvent observées par les amateurs sont dues à l'extension de la gamme de couleurs perçues dans un sujet dont la gamme de couleurs est limitée. Ainsi, des tests conduits en 1960 par L.M.Hurvich et D. Jameson sur plusieurs observateurs ont démontré que des couleurs jaunes-verdâtres peu saturées peuvent paraître rouges à certains observateurs car le cerveau adapte automatiquement le contraste des images peu lumineuses.

Cette accentuation de la couleur d'une image présentant une gamme très limitée de couleurs explique probablement les exagérations des couleurs réalisées par les équipes du JPL sur les images retransmises par les sondes Voyager dans les années 1980. Si selon Bradford Smith du JPL ces couleurs se rapprochaient le plus de la véritable couleur de Jupiter, on sait aujourd'hui que ces couleurs accentuées sans le savoir ne correspondaient pas à l'aspect qu'auraient ces astres si on les observaient dans la totalité du spectre visible. Aujourd'hui ce problème a été décrit sur le plan théorique et les images sont heureusement corrigées en conséquence. Bien que présentant des couleurs moins contrastées, plus ternes et tendant parfois vers les couleurs pastels, ces images sont plus réalistes.

Pour le satellite Io, connu pour présenter un pouvoir réfléchissant important, la surface de l'astre présente une forte déficience de rayonnements indigo et violet. De ce fait sa couleur paraît pâle, en nuances de gris mêlées de jaune-verdâtre. Newton avait déjà observé ce phénomène en 1730 quand il écrivit dans son "Optique" (p164) :  "le mélange de toutes les couleurs à l'exception du violet et de l'indigo forme un jaune pâle virant plus vers le vert que vers l'orange". Ce phénomène est exactement celui qu'on observe dans la distribution spectrale de Io. Et Newton de conclure : "C'est donc par calcul qu'on aura le plaisir de voir les couleurs qu'on trouve dans la nature". Ainsi parlait Newton. Ainsi nous confirmons son point de vue.

4. Couleurs et textures

Si nous voulons être précis dans la définition d'une couleur, nous devons faire la distinction entre la couleur d'un objet et ses caractéristiques. Dans l'industrie automobile par exemple tout le monde parle de "couleur métallisée". Chacun en comprend fort bien le sens mais d'un point de vue technique ce qualificatif est tout sauf une bonne idée. 

En effet d'un côté on parle d'une couleur spectrale, de l'autre d'un qualificatif relatif aux caractéristiques de la surface. Cette texture n'a rien à voir avec une couleur et ne sème que la confusion dans le catalogue des noms de couleurs.

La situation est à ce point confuse que dans le secteur de la mode où l'éventail des couleurs est très vaste, la couleur "sable" comme toutes celles faisant référence à des textures ont été remplacées par des codes, le sable blanc de Pukhet et jaune-gris de la mer du Nord n'ayant pas tout à fait le même aspect !

5. Sensibilité aux couleurs

En présence d'une gamme de couleurs limitée, le cerveau va utiliser les tons gris ou faiblement saturés pour compenser les couleurs manquantes dans la palette. Ceci explique pourquoi certaines tonalités nous paraissent si subtiles.

A ce sujet, à un niveau particulier d'adaptation, l'oeil est capable de répondre à un stimulus lumineux jusqu'à un rapport de contraste d'environ 100:1, un gamma de 2.0, rarement plus élevé. Pour prendre un exemple concret, dans cette gamme de luminances qui s'étend entre 1 et 100, notre système visuel peut distinguer deux luminances différentes à condition que leur rapport dépasse environ 1.01, l'équivalent d'une sensibilité de 1%.

Le cercle chromatique et ses couleurs complémentaires.

Dans le deuxième exemple, dans une scène plongée dans l'obscurité, ainsi que nous le démontrent les astronomes, le moindre signal lumineux faiblement contrasté (une nébuleuse très pâle par exemple) sera parfois associé à une teinte visuelle verdâtre alors que cette couleur n'existe pas dans le sujet. C'est la conséquence de la sensibilité de l'oeil aux faibles rayonnements et de sa sensibilité accrue dans le vert.

Enfin, tous les dessinateurs apprennent sur les bancs d'école qu'en observant longtemps une même couleur, on peut percevoir sa couleur complémentaire en léger décalage. Cet orange présenté à gauche a par exemple un bleu-gris foncé comme couleur complémentaire. 

Pour l'anecdote c'est l'effet visuel que Vincent van Gogh exploita dans ses peintures... post-impressionnistes pour accentuer artificiellement le contraste !

L'apparition des couleurs complémentaires peut nous jouer des tours, notamment en astronomie lors de l'observation des planètes présentant de forts contrastes. Ainsi, si vous observez Mars ou Jupiter devant un ciel bien noir et dans un oculaire très lumineux, il se peut que les tonalités de cette planète apparaissent dans leur couleur complémentaire par rapport au fond du ciel, c'est l'effet de contraste simultané défini en 1989 par l'Allemand Hauke Hartmann du TFH de Berlin.

Nous pourrions également citer les nombreux effets optiques liés aux couleurs tels ceux présentés sur le site Project LITE du professeur Kenneth Brecher de l'Université de Boston.

En guise de conclusion

Ces quelques exemples nous démontrent déjà qu'au-delà de la perception directe des couleurs physiques (des signaux électromagnétiques correspondants), le cerveau joue un rôle très important dans leur interprétation et donc dans le rendu chromatique. En deux mots et pour résumer nos propos, certaines des couleurs ou luminance que nous "pensons voir"... n'existent pas !

Bien sûr nous pouvons ajouter à cette liste tous les effets optiques et autres hallucinations qui transforment des successions de points en ligne continue, les déserts en lacs et font tanguer la terre de temps en temps. A moins que cela ne relève d'une maladie neurologique, gardez la tête froide, il ne s'agit que d'illusions passagères. A défaut, consultez un ophtalmologue ou un psychiâtre !

Ceci dit, libre à vous de voir "la vie en rose"... Mais mise à part suite à un éblouissement de la rétine, ce sera nécessairement pour une raison subjective n'en déplaise à votre sens critique. Encore une fois tout dépend de votre interprétation du sens des réalités.

Pour plus d'informations

Du corps noir aux étoiles (sur ce site)

La vie des étoiles (sur ce site)

La restitution des images sur ordinateur (sur ce site)

La gestion des couleurs sur ordinateur (sur ce site)

Multimission Image Processing Laboratory, NASA/JPL

Color & Vision, Institute of Ophthalmology, UCL

Some paradoxes, errors, and resolutions about human vision, D.Lynch et al. (PDF de 127 KB)

Commission Internationale de l'Eclairage (CIE)

Optical Society of America (OSA)

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