L'analemme du Soleil
Texte et illustrations d'Anthony AYIOMAMITIS
Le
défi et le scoop (I)
Analemme
: non masculin (même racine que "lemme"), représentant
la figure en "8" tracée par les différentes positions du
Soleil à un instant donné (à 24 heures d'intervalle) et depuis un même lieu au cours de l’année
calendrier. Cette figure n'est pas propre à la Terre et peut être
visible, sous d'autres formes (boucle ou goutte d'eau) depuis les
autres planètes du système solaire.
Réaliser
des photographies de l'analemme constitue toujours un défi sur le plan
technique mais dans ce cas-ci plus encore car jamais auparavant un tel
résultat ne fut obtenu.
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Jugez
par vous-même : il s'agit de la première fois qu'on photographie
un analemme du Soleil s'étendant sur une année calendrier, c'est la première
fois qu'on photographie des analemmes mensuellement durant une année, c'est la première
fois qu'on photographie un analemme au méridien, c'est la
première fois qu'on réalise une image composite de 11 analemmes, c'est
la première fois qu'on photographie deux analemmes, comme c'est la
première fois enfin qu'on enregistre trois analemmes, ces
performances étant toutes réalisées par une seule et même personne !
Et la dernière et non des moindres, tous ces analemmes sont symétriques...
alors qu'il y a 48 chances, une par prise de vue, de rater son coup
et de devoir recommencer ce cliché, si les positions relatives du
Soleil et de la Terre le permettent.
Aussi
étonnant que cela puisse paraître, parmi les images connues de
l'analemme du Soleil, jusqu’en 2002 il n’existait au monde que sept photographies multi-exposées réussies
de ce phénomène. Cette prouesse avait été réalisée quatre fois aux
Etats-Unis, une fois en Russie, une fois au Danemark et une fois en Angleterre.
Depuis, d'autres amateurs se sont attaqués avec succès à ce projet.
A
voir : L'analemme,
le film (sur APOD)
par
Tom
Matheson (enregistré en 2006, .WMV file of 2.1 MB)
Sachant
que la photographie de ce phénomène constitue un réel défi tant du
point de vue de la technique photographique que des conditions
météorologiques à remplir, je n’ai pas hésité à m’attaquer seul
à ce défi depuis mon domicile, un petit village grec situé quelques
kilomètres au nord-est d’Athènes (38.317° N, 23.800° E).
Ainsi que l’a
noté Dennis di Cicco[1]
Senior éditeur de Sky & Telescope et astrophotographe averti,
lui-même auteur d’un analemme en 1979, "La plupart des gens
disent qu’il faut être fou pour tenter une exposition du Soleil
distribuée sur une année. Ceux qui l’ont effectué seront probablement
d’accord” (S&T, March 2000, p135).
Alors que je projetais de commencer ce projet aussitôt après avoir lu l’article
(et le défi) que me proposait di Cicco, il fallut que j'attende l’été
2001 pour que les travaux de construction faits autour de mon domicile
soient achevés.
Malheureusement, après six mois de
travail et après avoir réalisé quelque 200 surimpressions jusqu’en décembre 2001,
un hiver capricieux comme je n’en avais jamais connu en 40 ans me fit
perdre la seule image qui allait couronner ma première tentative de
reproduire cette prouesse. Me rappelant qu’aucun des analemmes cités dans
l’article de di Cicco n’avait été réalisé au cours des 12 mois consécutifs
d’une même année calendrier, je suis immédiatement reparti sur de
bonnes bases, fort de mes essais et erreurs passés, recommençant toute
la procédure de prise de vue en janvier 2002.
Guidé
par la force d’Apollon, fils de Zeus et de Leto, dieu de la Lumière (et
du Soleil) dans la mythologie grecque, j’ai finalement été en mesure
de relever le défi inspiré par l’article di Cicco par 11 fois au
cours de l'année en utilisant 2 boîtiers photographiques Canon A-1,
cinq boîtiers Canon AE-1 à mise au point manuelle et près de 500
expositions multiples de notre étoile la plus proche.
On
peut dire que cet effort fut un véritable triomphe Herculéen car ce
travail a souvent ressemblé à la course de Sisyphe du fait des nombreux
accidents survenus dans l’avancement des films mais ces problèmes
m’ont aussi donné l’énergie pour revenir de cette odyssée avec
trois analemmes additionnels très particuliers regroupant
respectivement 129, 139 et 52 expositions multiples chacun, toujours
réalisés sur une seule image d’un film de 35 mm (format 24x36 mm).
Analyses
préparatoires
En
attendant qu'Anthony ait allumé son ordinateur, rappelons que la forme de
l'analemme dépend de la distance entre la Terre et le Soleil, de la forme
de l'orbite terrestre et de la manière dont le temps solaire est
déterminé.
Prenons
une photographie du Soleil dans un paysage. La coordonnée verticale du
Soleil correspond à la déclinaison du Soleil (dans son acceptation
astronomique), sa coordonnée horizontale indiquant le décalage entre le
temps solaire (apparent) et l'heure solaire moyenne (celle de votre
montre). L'écart entre ces deux temps s'appelle l'équation du temps et
est dû à la variation de la longueur du jour synodique (effet de l'excentricité
orbitale et de l'irrégularité de la vitesse apparente du déplacement du Soleil
sur la voûte céleste). S'ajoute à cet effet une correction pour le
temps solaire moyen du fait que l'on détermine une position fictive du
Soleil autour de l'équateur géographique alors qu'il se déplace le long
de l'écliptique. Il faut donc tenir compte de l'inclinaison de l'axe de
rotation de la Terre par rapport au plan de l'écliptique.
La forme de l'analemme
varie d'une planète à l'autre mais ne dépend pas directement de la
latitude du lieu où elle est observée mais plutôt de l'heure et de l'époque
de l'année considérée. Toutefois, en fonction de la latitude géographique
de l’observateur, cette grande boucle sera différemment inclinée sur l’horizon.
Ceci dit, revenons au travail de l'auteur.
Alors
que je planifiais l’énorme charge de travail et toute la logistique qui
allaient m’accaparer durant ce projet, je découvris quelques points
critiques qu’il me fallait absolument résoudre. Avant toute chose il y
avait le problème de la réalisation d’un analemme sur un film de 35
mm. En utilisant le logiciel de simulation SkyMap
Pro (Version 8) de Chris Marriott, j’ai pu déterminer les dates des
minima et maxima de l’azimut solaire (par exemple les positions extrêmes
de l’analemme côté est ou côté ouest) ainsi que les élévations
minimales et maximale du phénomène (par exemple les déclinaisons
solaires les plus basses et les plus élevées) afin d’identifier le
cadre du champ minimum nécessaire et donc par conséquent la longueur
focale maximale de l’objectif que je pouvais utiliser pour couvrir cet angle.
Ces
extrêmes dépendent de l’époque de la journée à laquelle les
photographies sont réalisées et c’est ici qu’un second phénomène
doit être considéré simultanément : les instants de lever et de
coucher du Soleil.
Ce
deuxième facteur n’apparaît pas de manière évidente à partir des
moments de lever et de coucher du Soleil. Il faut en effet rechercher les
instants du dernier lever de Soleil (le plus tardif le matin) et du tout
premier coucher de Soleil (le plus tôt dans la soirée) et trouver un
compromis entre les deux extrêmes afin d’encadrer correctement le sujet
sans manquer la moindre image journalière ou mensuelle du Soleil.
A
la latitude où les photographies sont réalisées, le lever du Soleil le
plus tardif se produit à 05h41m TU le 5 et 6 janvier 2002, le coucher de
Soleil se produisant au plus tôt à 15h05m TU le 6 et 7 décembre 2001.
Cela me donne comme heures clés initales les tops horaires de 6h00m00s,
9h00m00s et 12h00m0s TU.
A
consulter : Les
temps de lever et de coucher du Soleil
Calculés
par l'U.S.Naval Observatory
En
analysant les azimuts et altitudes minimales et maximales du Soleil aux époques
les plus précoces pour chaque mois de l'année, on peut très facilement
sélectionner les cadrages adéquats en tenant compte du fait qu'aux deux
dernières époques candidates le Soleil présente une élévation d’au
moins 60° quelle que soit l’élévation maximale la plus basse qui est
légèrement supérieure à 30° (Table 1). Bien sûr tous ces calculs
s’avérèrent bientôt “immatériels” quelques semaines plus tard
lorsque je commençai à photographier mon premier analemme car il m'était
toujours possible de réaliser des prises de vues supplémentaires en
utilisant un autre boîtier photographique.
Simulateur
d'analemme
|

|
Un
logiciel de Bob Urschel
(Fichier
ZIP de 248 Kb)
|
|
Ayant
déterminé les azimuts et élévations extrêmes, mesuré le déplacement
du Soleil en azimut (39°44'18") et élévation (29°44'51") à
travers le ciel (Table 1), il fallait à présent rechercher le
meilleur objectif pouvant satisfaire ces conditions. Etant donné que
l’image d’un film de 35 mm mesure 24 x 36 mm de côté, un objectif
standard de 50 mm de focale présente un champ réel de 25° x 37° (mon
éventail d’azimut est d’environ 40°). L’objectif grand angle de 24
mm f/2.8 Canon FD couvre un champ réel de 53° x 74° et dans ce cas
l’analemme couvre environ 60 % de l’image, m’offrant non seulement
une bonne flexibilité (et quelques erreurs) dans le cadrage de
l’analemme mais ce format permet également d’ajouter un avant-plan
pour l’esthétique du document et fixer la dimension relative du sujet
par rapport au décor.
Ce
choix m'offrait encore un autre avantage car quelques semaines
plus tard je découvris avec joie en photographiant mon premier analemme
que cet objectif était idéal car il me permettait d’enregistrer
parfaitement et simultanément deux analemmes si les prises de vues étaient
séparées les unes des autres d’au moins une heure.
A
consulter :Revue des logiciels d'astronomie
Le
point suivant à considérer dans cet exercice de longue durée est la
date de départ. Pour des raisons esthétiques, en utilisant à nouveau
SkyMap Pro, j’ai pu déterminer que les deux boucles de l’analemme se
superposaient le 30 août 2001.
Je
sentais que cette date était importante car je ne pouvais pas me
permettre d’avoir une image floue du Soleil au moment de ce croisement
entre la boucle ascendante durant la première partie de l’année et la
boucle descendante les six mois suivants.
Notant
précieusement cette date dans mon planning je me suis attaché aux extrémités
de la boucle et spécialement aux dates auxquelles le Soleil était à
l’apex absolu (21 juin 2001 et 21 décembre 2001). En utilisant les
trois points ainsi définis je pris le temps de définir méticuleusement
un plan de prises de vues qui soit aussi symétrique que possible dans les
plans horizontaux et verticaux. Ainsi pour obtenir une équidistance dans
le plan vertical, j’ai utilisé les éphémérides du Soleil en commençant
à 6h00m00s TU. Afin d’établir la latitude solaire au solstice d’été
et déterminer le point de croisement dans l’analemme, les différentes
positions ont été divisées par 7 afin d’obtenir un décalage
angulaire de 1° (1.15°) en latitude, espace nécessaire entre chacune
des images successives pour la partie gauche de la boucle.
De
la même manière pour la boucle hivernale la différence de latitude
entre le sommet de la boucle et le solstice d’hiver a été mesuré et
le diviseur a été déterminé afin de tenir compte d’un décalage
aussi proche que possible de 1.15° (un diviseur de 18 donne un décalage
de 1.16°).
En
utilisant le point de croisement entre les deux boucles comme point de départ
et l’altitude du Soleil ce jour là comme rayon de l’analemme, les décalages
en altitude s’additionnent durant la boucle d’été ou se soustraient
durant la boucle d’hiver. Ainsi on peut déterminer l’altitude adéquate
et programmer la première partie de l’analemme (la première forme en
“S”). Par symétrie on peut facilement déterminer la deuxième partie
de la boucle.
Procédure
pour simuler l'analemme
avec
SkyMap Pro
1.
Prenez pour date de la carte le 1 Janvier 2002
2. Choisissez l'heure 12:28:16 (pour simuler l'analemme
au méridien)
3. Appuyez sur la lettre "S" sur le menu
vertical de gauche
pour visualiser l'horizon sud
4. Faites un clic-droit sur le Soleil et ... choisissez TRACK SUN
5. Affichez les positions tous les 5 jours
6. Calculez 72 positions (puisque 1 an = 72 x 5)
7. Utilisez alt / az (option inférieure sur la même
table)
8. Placez les labels horizontalement (ou verticalement si
vous préférez) |
Concernant
la symétrie horizontale entre les deux moitiés de la boucle il faut déterminer
le jour où l’analemme dessine son image miroir le long du grand (ou du petit)
axe. Il faut donc consulter les éphémérides pour déterminer les jours où
l’analemme est parfaitement vertical par rapport au méridien (10h28m16s TU
dans mon cas), époques où l’altitude présente précisément une valeur
complémentaire de celle établie durant la première moitié de l’analemme.
Avec
toutes ces dates clés à présent identifiées on peut établir une coupe
dans les deux dimensions (Table 2) et planifier rigoureusement les prises
de vues entre le 21 juin 2001 et le 5 juin 2002, représentant 43 images du
disque solaires à graver dans la pierre. En pratique et suite à des
analyses ultérieures, la fréquence des images prises dans la partie inférieure
de la boucle a été ajustée vers le bas - entre 14 et 17 images par côté
de la boucle - afin que la figure de l’analemme soit plus esthétique.
Ma
tentative initiale a été établie en planifiant les prises de vues de
manière à obtenir une parfaite symétrie verticale et horizontale de
l’analemme sur base d’un calcul de la pente des axes mineurs et
majeurs à 06h00m00s TU (a=-0.582879 et a=-0.817589 respectivement,
"a" étant l'angle de la pente) et
d’utiliser ces valeurs en conjonction avec le principe mathématique qui
dit que le produit de deux pentes perpendiculaires (axes majeur/mineurs et
lignes centrales reliant les images miroirs) doit être égal à -1.
Mais ceci présuppose que l’azimut et l’altitude sont des coordonnées
rectangulaires, ce qui n’est pas le cas en pratique. Toutefois une bonne
approximation a pu être obtenue !
Prochain chapitre
Notes
sur la prise de vue |