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Le mal de l'espace

Pour se détendre à bord de la station ISS et supporter l'isolement comme la promiscuité, en 2008 l'astronaute Karen Nyberg a choisi de regarder la Terre. D'autre choisissent de cultiver des fleurs (Scott Kelly, 2016) ou des laitues (Peggy Whitson, 2017). Tous ont dû trouver une occupation qu'ils jugèrent essentielle à leur équilibre psychologique pour supporter les conditions de leur séjour prolongé dans l'espace.

L'équilibre psychologique (III)

En général les astronautes et autre pilote d'essai font preuve d'un étonnant sang froid et d'un calme impressionnant en situation de stress, face au danger par exemple ou en état d'isolement. Dans des situations inattendues où "le ciel vous tombe sur la tête" ou lorsque des réflexions vous émoussent les sens ou des évènements fortuits indésirables surviennent, y compris d'ordre socio-professionnel (accident, chômage, décès d'un proche, etc) certaines personnes sont prises de crise de nerf, deviennent hystériques, paranoïaques, perdent le souffle, angoissent, sont en proie à des malaises, leurs ganglions lymphatiques enflent au point que certaines personnes doivent être hospitalisées alors que d'autres dépriment, passent pour être insensibles ou prennent les choses avec calme et sérénité tout en agissant si nécessaire dans l'urgence.

En matière d'équilibre mental le fait de bénéficier d'une grande expérience astronautique et de connaissances techniques pointues ne permettent pas pour autant de résoudre les conflits psychologiques ou d'anticiper le comportement de personnes placées en isolement.

Des expériences d'isolement de longue durée furent conduites dans les années 1960 en Russie sur des désignés volontaires qui devaient vivre à trois pendant un an dans une pièce plus petite qu'un studio de 50 m2 éclairé à la lumière artificielle, sans jamais pouvoir sortir ni voir le monde extérieur et avec une hygiène pire que celle d'un goulag (des expériences similaires furent réalisées aux Etats-Unis mais sur de plus courtes périodes et dans des conditions sanitaires bien meilleures). Ces "cobayes" humains surveillés en permanence par des médecins furent contraints de vivre dans des conditions qu'on jugerait aujourd'hui insalubres avec un manque total d'hygiène, un air vicié mal recyclé, des émanations d'ammoniac et des odeurs d'excréments et de fluides corporels qui firent vomir les médecins venus finalement les libérer. Dans ces conditions extrêmes, l'expérience montra qu'au bout de plusieurs mois, les candidats en sont arrivés à ne plus se supporter même du regard. Selon les candidats eux-mêmes, ils auraient peut-être pu se supporter en étant deux mais certainement pas à trois en isolement dans un espace aussi exigu. Pourtant de nos jours, les Russes continuent à expédier les cosmonautes vers la station ISS dans des capsules exigues les forçant parfois à attendre plus de 50 heures en orbite et sans pratiquement pouvoir bouger avant de rejoindre la station spatiale (cf. la mission de Thomas Pesquet à bord de Soyouz en 2017 qui reconnut qu'une personne non préparée ou n'ayant pas son caractère serait devenue folle dans les mêmes circonstances).

Aujourd'hui, tous les astronautes y compris Thomas Pesquet reconnaissent que le plus grand problème que devront probablement gérer les astronautes séjournant longtemps dans l'espace et certainement lors d'une mission martienne n'est pas d'accomplir la mission ou l'environnement spatial avec tous les risques qu'il représente mais l'effet psychologique de l'isolement et de la promiscuité dans l'espace. Si les tests de sélection du personnel permettent d'identifier les personnes a priori à risques qu'il vaut mieux éviter d'engager comme les prétentieux, les susceptibles ou les agressifs, cela ne veut pas dire qu'une personne calme ou introvertie ferait un bon candidat et serait capable de résister à l'isolement et au stress. Aucun entraînement ne peut réellement préparer les astronautes à gérer ce genre de tensions qui débute souvent très subtilement avec par exemple un regard désapprobateur, un geste ou un soupir. La préparation psychologique des astronautes les aide juste à gérer et éviter les conflits et à négocier avec tact plutôt que de se quereller et se mettre en danger. En cas de problème, on peut par exemple se passer de la machine une fois de plus en panne qui énerve tout le monde, on peut s'isoler quelque temps ou on trouve une autre occupation pour se changer les idées. Mais compte tenu du contexte de la mission, il y aura toujours des circonstances où il faudra continuer à vivre en isolement et supporter ses collègues quoiqu'il advienne.

Si certaines méthodes de sophrologie permettent d'acquérir certaines méthodes de relaxation et un peu de psychanalyse aide à relativiser les choses, lorsqu'il faut prendre une décision à l'occasion d'un évènement grave, émotionnellement choquant ou qui survient très rarement, on peut rapidement se sentir impuissant, perdre ses repères, paniquer et ne pas agir correctement ou être pétrifié et ne plus pouvoir agir du tout. De plus, après l'effet du choc psychologique suivant un évènement stressant, il peut être difficile d'avoir les ressources mentales et parfois physiques nécessaires pour "prendre sur soi" et "assurer", gérer l'imprévu en effectuant rapidement une analyse correcte de la situation pour résoudre le problème dans les plus brefs délais et finalement agir pour s'en sortir et continuer la mission. Si des entraînements permettent d'acquérir des réflexes de survie en situation stressante, la faculté de pouvoir réfléchir calmement et d'agir reste avant tout une question de personnalité. C'est ici que le héros de notre histoire apparaît tout auréolé de l'espoir de la race humaine. Nous pouvons citer quelques exemples célèbres.

Piloter des prototypes en état de stress est une affaire à réserver aux pilotes d'essais et aux astronautes. A gauche, Neil Armstrong au commande d'un prototype X-15 au Dryden Flight Research Center en 1961. L'année suivante le X-15 de Jay McKay s'écrasa au Lac Mude au Nevada, le pilote fut indemme. Au centre, le LEM Eagle d'Apollo XI en orbite lunaire le 20 juillet 1969. Selon les experts, la mission d'Apollo XI avait 60% de réussir et 50% d'alunir et de décoller sans problème ! Tellement sollicité de données au moment de l'alunissage, l'ordinateur du LEM rendit l'âme contraignant Neil Armstrong à prendre les commandes manuelles. A droite, le module de service d'Apollo XIII endommagé en avril 1970 par l'explosion d'un réservoir d'oxygène. Documents NASA et NASA/DFRC.

Ainsi au cours de l'alunissage d'Apollo XI, alors que le LEM consommait ses dernières gouttes de carburant et que l'ordinateur de bord était en surcharge, incapable de piloter le module de descente, la situation devenait critique et il fallait de toute urgence prendre une décision : soit on laissait faire le pilote automatique avec le risque de crasher le LEM et de tuer l'équipage par la même occasion soit on passait en commandes manuelles. Se basant sur sa longue expérience de pilote d'essai et sa préparation à ce genre de manoeuvres, Neil Armstrong n'hésita pas longtemps et prit les commandes, estimant être capable de réussir. Preuve qu'il avait conscience des risques, son pouls battait tout de même à 156 pulsations/minute (alors qu'il était à 80 pulsations/minute peu avant) et celui de Buzz Aldrin était à 160 !

Pour Armstrong il n'y avait pas de différence entre piloter le LEM à 400000 km de chez lui dans une situation critique et faire la même expérience sur Terre sécurisée par un siège éjectable ! Mais sans ordinateur de bord et de plus sur la Lune, c'est un risque que peu de personnes auraient accepté de prendre. Il fallait vraiment qu'Armstrong ait du sang-froid, soit expérimenté, évalue les risques en un instant et connaisse parfaitement le fonctionnement et les ressources du LEM pour se dire "je maîtriserai cette machine, on y arrivera." Bien que la situation fut critique, Armstrong estimait que tout était sous contrôle et la mission d'Apollo XI connut le triomphe que l'on sait.

Pendant ce temps Michael Collins passa du côté obscur de la Lune, seul à bord du module de service et perdit tout contact avec la Terre sans même s'alarmer, que du contraire. D'autres astronautes ont avoué qu'en pareille circonstance cela aurait été la panique à bord... Collins déclara par la suite avoir ressentit "quelque chose proche de l'exaltation."

Plus tard, James Lovell Jr de l'équipage d'Apollo XIII annonça tranquillement à Houston, "We've got a problem." En fait l'un des réservoirs d'oxygène avait explosé et endommagé le module de service, compromettant le retour sur Terre, rien que ça ! Avec l'aide des experts au sol l'équipage bricola des moyens de survie avec des boîtes et des tuyaux en plastique de récupération qui leur permirent de revenir en catastrophe sur Terre et d'être salués à la hauteur de leur mérite.

EVA de James S. Voss lors de la mission STS-101 pour assembler le bras de la grue. Document NASA.

En 1995, Valery Polyakov provoqua un incendie à bord de Mir à cause d'une bouteille d'oxygène. Après avoir éteint les flammes naissantes avec des vêtements, il prit son icône préférée et alla prier dans une pièce adjacente.

Enfin, lors d'une EVA mémorable à bord d'ISS, le 16 juillet 2013 le spationaute italien Luca Parmitano vit sa combinaison spatiale se remplir d'eau suite à une fuite de son système de survie. Après avoir averti ses collègues et le centre de contrôle, il tenta tant bien que mal de rejoindre le vaisseau n'y voyant plus qu'à moitié. Quand il fut enfin en sécurité à bord d'ISS, ses collègues furent surpris de voir que l'eau remplissait son casque jusqu'à son nez au point qu'il était à deux doigts de se noyer dans sa propre combinaison ! Suite à cet incident grave la mission fut abandonnée.

Selon la NASA, l'incident aurait pu être évité s'il n'y avait pas eu d'erreur (que d'autres appeleront des manquements) dans la chaîne de commandement et notamment des astronautes eux-mêmes. En effet, un incident similaire s'était déjà produit une semaine auparavant sans qu'il soit remonté au commandement de la NASA. L'information n'aurait pas été communiquée pour diverses raisons dont l'une était de ne pas perturber le déroulement des expériences toujours soumises à des plannings très serrés qu'il était convenu d'optimiser vu le prix de telles missions. Ce premier incident concernait un défaillance de la poche d'hydratation de la combinaison. Les risques auraient ainsi été minimisés par l'équipage d'ISS et les opérateurs au sol. Moralité, évitez de mentir car cela se retourne toujours contre vous et dans ce cas-ci les conséquences auraient pu être dramatiques.

Il faut donc vraiment avoir le "coeur bien accroché" comme on dit pour accepter les contraintes et les risques que prennent les astronautes. Toutes ces actions sont stressantes, source d'excitation, de panique, d'erreurs, bref de réactions inadaptées et parfois incontrôlables. Dans ces conditions l'aide des collègues est la bienvenue pour décharger le stress, partager ses émotions et distribuer le travail, quand ils sont disponibles. Sinon, on ne peut compter que sur soi, son sang-froid et ses compétences pour ne pas "perdre les pédales", paniquer et risquer l'accident.

Quand on demande à ces héros ce qu'ils ressentent devant cette reconnaissance publique, s'ils ne sont pas illuminés pour la circonstance et tout simplement déconnectés du réel pour un temps, la plupart des héros restent humbles et ne considèrent n'avoir fait que leur travail. Cette attitude est pour eux naturelle et fait partie de leur style de vie, de leur manière de concevoir le travail en équipe, bref de leur façon d'appréhender le monde.

Ainsi Neil Armstrong n'acceptait pas cette reconnaissance publique : "pourquoi me féliciter quand il s'agit de l'aboutissement du travail de toute une équipe ? [...] Pourquoi donc me considérer comme un héros quand d'autres auraient fait la même chose ? [...]J'aimerais que l'on efface les traces que j'ai laissées sur la Lune." C'est ici que l'on pose alors la question qui fâche : et à qui pensez-vous ?

Car il y a le héros que tout le monde voudrait être pour la reconnaissance ou n'importe quelle autre raison obscur, et le fait d'agir dans le cadre d'une mission en situation de stress comme si tout était normal.

Le pilote William R.Pogue en équilibre sur le doigt du Cdt Gerard P.Carr à bord de Skylab 4 le 1 février 1974. Document NASA.

Si votre patron est à sa place cela signifie en général qu'il est capable de se projeter à long terme, de prendre des décisions qui engagent l'avenir de la société, de placer chaque homme à la place qui valorise ses capacités. Ce travail se réalise parfois dans des situations stressantes que le simple employé ne pourrait pas supporter. Certains managers ont même besoin de ce stress pour fonctionner. Sa position peut donc être valorisante et enrichissante pour certains ou très pénible à supporter pour un employé qui vient de recevoir une promotion mais également plus de responsabilités. Ce point limite à ne pas dépasser est ce que certains appellent péjorativement le "seuil d'incompétence" pour qualifier ceux qui ne sont pas à leur place.

De la même manière l'astronaute qui doit effectuer une sortie dans l'espace pour réparer un instrument de survie n'a, il est vrai, fait que son travail et ne s'attend pas à être remercié tout spécialement pour son geste. Or pour l'homme de la rue il devient un héros, capable d'affronter seul l'impossible pour sauver l'équipage. A chacun son point de vue.

Ni la NASA ni aucune autre agence spatiale ne fait vraiment de publicité pour relater les petits accidents liés au stress ou à l'ennui qui peut survenir là-haut lorsque l'espace est confiné et que l'on doit supporter les attitudes provocantes, prétentieuses, stupides ou enfantines des collègues. Aussi a-t-on assisté parfois à des comportements inhabituels : des prises de main à bord de Mir le jour de l'An, une Canadienne s'est plainte d'avoir été embrassée de force par un Russe et un Japonais a demandé de quitter le vaisseau car il ne supportait plus le bruit (il est vrai que même à bord de la station ISS, le bruit du système d'air conditionné atteint parfois 80 dB).

Depuis les premières missions Skylab, la NASA avait considéré qu'il fallait bombarder les astronautes de travail de peur qu'ils ne s'ennuient ou subissent un stress dû à l'isolement et l'enfermement : "Suivant notre système, raconta un chef de vol, nous ne devions pas leur laisser une minute de répit". Cela n'a pas duré longtemps. En février 1974 les contrôleurs de Houston envoyèrent 2 mètres d'instructions à l'équipage de Skylab 4 constitué de 3 astronautes, dont certaines devaient se dérouler pendant les repas. C'en était trop. Sans mettre de gants le Cdt Gerard P. Carr annonça aux contrôleurs que l'équipage était en grève ! Il prendrait le temps de se détendre et d'agir comme bon lui semble. Ils en profiteraient pour regarder par les hublots et prendre des photos.

Abasourdis, les contrôleurs durent s'incliner et admirent que le temps de repos était "nécessaire" et "inaliénable". Au prix de telles missions la NASA a bien compris la leçon mais continue malgré tout de surveiller le rythme de travail de ses employés très spéciaux.

Selon l'astronaute américain Andrew Thomas qui vécut à bord de Mir, si vous laissez les gens oisifs dans un espace confiné il ne faudra pas deux jours pour que le stress s'installe. Sachant cela les astronautes se prennent en charge, s'organisent et effectuent des rotations afin que chacun dispose de temps libre, et tout marche très bien comme ça.

A consulter : Press Kit d'une mission à bord d'ISS

Du reste, même libre de ses actes, en bonne santé et sans tracas, un médecin spatial n'a aucun moyen de savoir pourquoi un astronaute est pris de lassitude ou refuse de travailler. Il est peut-être déprimé mais il souffre peut-être simplement de l'isolement. Chacun s'ennuie ou s'énerve déjà quand il doit passer quelques jours confiné dans un espace clos (cf. le confinement pendant la crise sanitaire de Covid-19 en 2020 et le stress psychologique qu'il occasionna). Que dire quand le séjour en isolement se prolonge... C'est aussi pour cette raison que les astronautes peuvent emporter avec eux des photographies, un lecteur MP3, même un peu de nourriture et des objets personnels car certains ont besoin de se créer un petit chez soi; cela les aident à garder le moral, à se rassurer en retrouvant certains repères.

Créer un corps humain digital est l'un des projets de la médecine spatiale.

Pour résoudre ces problèmes et bien d'autres qui relèvent de la psychiatrie, la NASA a créé en 1997 le National Space Biomedical Research Institute, NSBRI, en association avec douze universités ou instituts et dirigée par Laurence Young.

Son objectif est d'étudier les problèmes biomédicaux dans l'éventualité d'une mission habitée vers Mars. On y discute des traumatismes, la manière d'opérer les astronautes à plusieurs millions de kilomètres de distance, de trouver les moyens d'arrêter la perte de tissu osseux, l'hypertension crânienne, de diagnostiquer objectivement et scientifiquement leurs malaises, les troubles visuels, nerveux et du comportement ou des moyens de mesurer le stress, le moral et autre déprime.

Car pour prendre deux exemples extrêmes, il faut bien se dire qu'en cas d'infection globale ou de mutinerie une analyse empirique fondée sur les dires des membres de l'équipage est inadéquate et peut avoir des conséquences dangereuses. Si une paranoïa s'installe par exemple, il peut s'écouler des jours avant que l'on découvre l'incident.

La solution envisagée repose sur l'utilisation d'outils informatiques et de robots capables de reconnaître les états émotionnels ou les expressions du visage par exemple. Nous savons tous qu'une personne qui fronce les sourcils est plutôt mécontente ou qu'une personne nerveuse peut présenter une température corporelle plus élevée à hauteur du visage ou des mains, une tachycardie (accélération du pouls) ou se mettre à suer. Encore faut-il doser ces sentiment subtils et les mettre en corrélation avec d'autres attitudes, symptômes et évènements pour établir un diagnostic scientifique correct.

David Dinges, directeur chargé au NSBRI des troubles nerveux et du comportement et Dimitri Metaxas, informaticien, travaillent sur un logiciel de ce type tandis que d'autres chercheurs élaborent des appareils pour diagnostiquer les problèmes cardiovasculaires (Richard Cohen) ou cherchent une solution pour protéger les astronautes des noyaux lourds avec des boucliers en polyéthylène. Certains de leurs projets auront certainement des retombées concrètes dans notre vie quotidienne.

Simuler les conditions d'un voyage habité vers Mars

Nous verrons à  propos de la colonisation et du terraforming de Mars que l'exploration de la planète Rouge par l'homme n'est pas sans risque et comme l'exploration lunaire, ce genre de mission ne s'improvise pas, d'autant moins sachant que l'équipage sera à plusieurs millions de kilomètres de la Terre et qu'une mission de secours mettra entre 6 mois et plus d'un an pour parvenir à destination, à condition qu'une fusée de secours soit disponible.

En résumé, les astronautes qui embarqueront pour une mission vers Mars rencontreront de nombreux défis et des risques que les équipages de la NASA n’ont jamais connus, notamment un vol et un séjour de longue durée en gravité réduite et une exposition prolongée à des rayonnements nocifs dans un environnement très hostile.

Jusqu'à récemment, les scientifiques ne savaient pas grand chose non plus concernant d'autres défis de taille que devront affronter les astronautes : leurs capacités à travailler ensemble avec un soutien limité depuis la Terre et la gestion des crises.

Des expériences contrôlées menées auprès de petits groupes de personnes isolées pendant des semaines ou des mois, ainsi que des études conduites sur des équipages travaillant dans des régions isolées telles que l’Antarctique, commencent à apporter quelques lumières sur les types de problèmes et de comportements auxquels les astronautes et les gestionnaires de mission restés au sol seront confrontés lors d'une mission sur Mars.

Ces expériences ont pour objectif de développer des systèmes capables de détecter des signes de tension subtils et d'aider les équipages à résoudre les problèmes avant que la cohésion du groupe et les performances ne soient altérées. Les résultats seront ensuite traduits dans des modèles informatiques qui à l'image des prévisions météos, permettront d'anticiper tout problème potentiel au sein de l'équipage.

Le Dr Contractor fait partie des chercheurs travaillant sur le projet HERA (Human Exploration Research Analog) au Centre Spatial Johnson de la NASA. Avec ses collègues, il a présenté en 2019 certaines de ses conclusions au meeting annuel de l’AAAS (American Association for the Advancement of Science) dont voici un résumé.

A consulter : HERA, Analog Missions, NASA

L'une des équipes mixtes (2015), masculines (2016) et féminines (2016) du projet HERA. Documents U.Houston, NASA/Flickr et Space Coast Daily.

The right stuff ou quand les bonnes choses ne sont pas les meilleures

Le projet HERA a débuté en 2014 et vise à comprendre comment vivent des équipes de quatre personnes dans un environnement clos et isolé pendant une période pouvant atteindre 45 jours. Pendant ce temps, les communications avec l'extérieur peuvent être progressivement retardées jusqu'à cinq minutes afin de simuler ce à quoi les futurs explorateurs de Mars seront confrontés lorsqu'ils seront loin de chez eux.

En réalité, une mission sur Mars imposera à l'équipage de vivre au moins 3 ans en vase clos sans possibilité de sortie anticipée, même en considérant la fenêtre d'envol la plus favorable au voyage Terre-Mars et retour. Au milieu de la mission, le temps de trajet aller-retour des signaux radio en provenance et à destination de la Terre sera supérieur à 40 minutes. Dans de telles conditions, les astronautes devront dépendre davantage de leurs coéquipiers que n'importe quelle mission spatiale antérieure.

Leslie DeChurch, une psychologue associée au projet, a déclaré que suffisamment de personnes ont participé à l'expérience HERA (18 équipes de 4-6 volontaires soit plus de 90 personnes en 5 ans) pour que son équipe puisse établir de bonnes prédictions sur ce qui pourrait se produire dans l'espace à grande distance de la Terre. Parmi ces résultats, il y a la reconnaissance du fait qu'une équipe est souvent la plus vulnérable au cours du troisième trimestre d'une mission, quelle que soit sa durée. Dans le contexte d'une mission sur Mars, cette période engloberait une partie du voyage de retour, lorsque la nouveauté de l'expérience aurait disparu et fait place à la routine et l'ennui lors du long trajet de retour. Selon DeChurch, "c'est à ce moment-là que les gens commencent à se dire : Je ne veux plus jouer." Or lorsqu'on rentre dans un vaisseau spatial pour une mission de longue durée, on est obligé d'y rester jusqu'à la fin de la mission.

Intérieur du module HERA installé au centre JSC de la NASA photographié le 15 novembre 2013 en présence d'une équipe mixte. Document Flick/NASA/JSC.

Dans ces moments-là, les psychologues ont déjà constaté que la capacité des membres d’équipage à tirer profit de leur expertise et à travailler ensemble pour résoudre des problèmes diminue de manière sensible et peut mettre la mission en échec voire même en danger (cf. les problèmes survenus lors des prises de décision sur Skylab 4 ou Apollo XIII).

Les résultats semblent largement indépendants du sexe. Selon DeChurch, alors que HERA a mené l'expérience avec une équipe entièrement masculine et une équipe féminine, les équipes les plus performantes et les moins performantes étaient composées d'hommes et de femmes.

Les résultats de HERA se retrouvent dans des missions simulées d'une durée plus longue menées dans une installation isolée au sommet du Mauna Loa à Hawaï appelée "HI-Hawaii" visant à simuler une exploration spatiale. En 2018, ce qui devait être une simulation de 8 mois pour un équipage de 6 personnes a pris fin brutalement lorsqu'un membre de l'équipage a été blessé par un choc électrique. Une expérience précédente avait fourni une mine de données sur ce qui pouvait mal se passer lorsqu'un petit groupe de personnes devait apprendre à s'entendre pour atteindre un objectif commun dans des conditions de stress. Cette fois-ci, le résultat était inattendu bien que prévisible, mettant en échec la mission.

Le psychologue Steve Kozlowski de l'Université d'Etat du Michigan a travaillé pour le HI-SEAS (Hawaii Space Exploration Analog and Simulation) et a constaté que chaque série d'expérience qui durait plus de 6 mois connut une fracture de la cohésion du groupe. Le désengagement commence généralement par deux membres d'équipage puis s'étend à l'ensemble du groupe à la fin de la mission. Dans le cadre d'une mission vers Mars, "c'est inquiétant" pour reprendre les mots de Kozlowski.

De son côté, l'anthropologue Jeffrey Johnson de l'Université de Floride à Gainesville a étudié les effets psychologiques équivalents sur la dynamique des équipes à la station de recherche du pôle Sud et dans d'autres installations en Antarctique. Il ajoute qu'un élément clé qui a permis à certaines équipes de résister à une telle fracture est la présence d'un membre de l'équipe très apprécié, doté d'un sens de l'humour fort, capable de dissiper les tensions et de servir de lien au sein d'une équipe.

Selon le Dr Contractor, le fait que la NASA avait initialement sélectionné les astronautes comme un corps d'élite entièrement composé de pilotes de chasse stoïques aux mâchoires carrées (cf. le livre "The Right Stuff", 1979) n'est plus une recette pour des missions spatiales habitées au-delà de la Lune. Il posa alors la question : "Les bonne choses sont-elles toujours bonnes pour un équipage allant sur Mars ?" Et de répondre : "Je pense que nous sommes assez confiants pour dire que ce n'est pas le cas."

Le retour sur Terre

Si aucune maladie, infection, malaise ou accident ne survient au cours d'une mission spatiale, les astronautes peuvent la prolonger et demeurer en apesanteur certainement aussi longtemps que leur permettent leur stock de nourriture et leur réserve d'oxygène et que leur soif de vivre cet état extaordinaire les soutienne. Mais un jour, le contrôle au sol leur donnera l'ordre de revenir sur Terre, au sens propre comme au figuré ...

Le retour des missions STS-80 et STS-92. Documents NASA et NASA/DFRC.

Pour entretenir leur forme et se préparer au retour sur le plancher des vaches, la parade la plus évidente pour les astronautes reste l'exercice physique afin de maintenir leurs muscles dans les meilleures conditions (en parallèle ils doivent également surveiller leurs principaux paramètres vitaux).

Les astronautes américains effectuent des exercices physiques intenses à raison de 2 heures par jour, perdant parfois plus d'un litre et demi d'eau par transpiration pendant leurs efforts. Les cosmonautes soviétiques exécutent un cycle de 4 jours de stretching avec une corde élastique et des séances de bicyclette et de tapis de jogging.

Cela dit il n'y a pas de contrainte et chacun est libre d'exécuter ces exercices ou de regarder le clair de Terre. Aussi, du temps de la station Mir, on voyait au retour de missions prolongées des cosmonautes russes plus ou moins prêts à faire face à l'effet de la gravité en fonction de leur préparation physique. Certains devaient être portés et ne pouvaient tenir debout mais d'autres tel Youri V.Romanenko qui était resté à bord de Mir durant 329 jours prouva sa bonne forme aux journalistes en se mettant en équilibre sur un seul bras peu après son retour sur Terre !

Mais cette discipline sportive ou la prise d'aliments riches en calcium ou de médicaments contre l'ostéoporose ne permet pas d'annuler la perte de tissu osseux en apesanteur. En effet, les premiers signes de perte de densité osseuse sont apparus dans les années 1970 après le retour de mission de deux astronautes de Skylab qui avaient perdu 7% de leur densité osseuse. En fait, en apesanteur le tissu osseux ancien absorbé ne se renouvelle pas au même rythme que sur Terre. Pour une raison inconnue, la fabrication de tissu osseux neuf est presque nulle et on observe un déficit osseux de près de 20% au niveau de la ceinture pelvienne.

Après un séjour de 4 mois et demi à bord de la station Mir comme spécialiste de mission (mission STS-86 en 1987), l'astronaute David A. Wolf du MIT avait perdu 40% de sa masse musculaire, maigrit de 10 kg et perdu 12% de sa densité osseuse.

En état d'apesanteur, le déficit de densité osseuse semble se limiter à environ 40%, une valeur similaire à celle des personnes paraplégiques. Mais rien ne prouve qu'il y ait une relation entre ces deux exemples et que la perte de tissu osseux se stabilise lors des vols prolongés dans l'espace.

A gauche, David A. Wolf de la mission STS-86. Il séjourna sur Mir. Au centre et à droite Valery Polyakov qui passa 438 jours sur Mir. Voici une vue plus générale de Polyakov à bord de Mir photographié au cours de la mission STS-63. Le record est détenu par Guennadi Padalka qui séjourna près de 900 jours dans l'espace entre 1998 (Mir) et 2015 (ISS), suivi par Sergueï Krikaliov qui passa 803 jours dans l'espace entre 1988 (Mir) et 2005 (ISS). Documents NASA/JSC et NASA.

Si durant leur vol en état d'apesanteur tous les astronautes éprouvent le "mal de l'espace" durant au moins une journée, au retour de leur mission ils doivent à nouveau affronter les effets de la gravité, ce dont leur mémoire et leur système vestibulaire ont bien vite oublié les effets... Si pour une mission de dix jours, le rétablissement s'effectue en quelques heures, il en va autrement après un séjour de plusieurs mois en apesanteur. Dans l'espace, on s'habitue vite à ranger ses objets de peur qu'ils ne s'échappent dans la cabine, on apprend à se déplacer en s'aidant de la force de réaction, etc, autant de réflexes qu'il faut désapprendre au retour sur Terre, sans parler des problèmes psychosomatiques et physiques.

C'est ainsi que David A. Wolf expliquait à ses étudiants la façon dont il avait vécu son retour à la vie normale : "je me cognais à toutes les portes... il me fallut six mois pour me sentir mieux, un an pour récupérer la totalité de ma masse osseuse, et deux ans pour retrouver mon équilibre intérieur."

Deux de ses collègues ont récupéré moins vite et souffraient encore d'une carence osseuse deux ans après leur retour. Quant à Valery Polyakov qui resta 438 jours à bord de Mir, avec ses deux heures d'exercices quotidiens il quitta le vaisseau spatial par ses propres moyens. Oui monsieur, c'est homme là est un héros, c'est un homme hors du commun ! Не компаньон, космонавт ! (Niet tovaritch, kosmonaut) !

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Diagnostic général

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