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La Bible face à la critique historique

Les sous-entendus : qui est Jésus ? (I)

Une peinture de Jérusalem avec une vue du second Temple depuis le mur ouest tel qu'il était vers 66 de notre ère, juste avant sa destruction par les Romains. Document D.R.

Pendant des millénaires, le monde fut régi par des forces occultes animistes et des dieux. Ce n'est que temporairement dans la culture égytienne (Aton, XIVe siècle avant notre ère) et ensuite de manière affirmée dans les cultures juive (YHWH, ~IXe siècle avant notre ère) puis chrétienne qu'on ne vénéra qu'un seul Dieu. Quelques hommes se sont également pris pour des dieux, généralement des souverains grecs et romains puis européens, ainsi que quelques âmes exaltées prétendûment sorties de la cuisse de Jupiter ou Fils de Dieu, jusqu'à prétendre comme Jésus qu'il était le Messie, ne pas être de "ce monde" et avoir été avant même la création du monde (Jean 8:23; 8:58).

Voyons brièvement ces différents concepts et personnages historiques avant de décrire les différents manières dont se présenta Jésus et de quel titre ou héritage il se revendiqua.

Des dieux romains au Dieu unique

Dans la Rome antique, le Panthéon est le temple religieux dédié aux divinités. Dans un empire romanisé comme à l'époque du Christ, comment un païen comme un Romain, un Phénicien ou un Egyptien pouvait-il croire Jésus quand toute sa vie on lui a expliqué que les dieux gèrent le Monde et les hommes. N'est-ce pas Jupiter (le Zeus grec) qui est le Maître de l'Univers et guide les empereurs, Mars (Arès) veillant sur la guerre, Vénus (Aphrodite) sur l'Amour, Terra (Gaïa) sur la Terre, Neptune (Poséidon) sur la Mer, Vulcain (Héphaîstos) sur le Feu, Cérès (Déméter) sur l'Agriculture, Mercure (Hermès) sur le Commerce, Bacchus (Dionysos) sur le vin et les fêtes ou encore Pluton (Hadès) sur le Royaume des morts ? Leur existence n'est-elle pas appuyée par des rites séculaires hérités des Anciens macédoniens et des Grecs ? L'accomplissement des oracles et autres prophéties n'en sont-ils pas les preuves ?

Dans l'esprit d'un citoyen romain, il est évident que les dieux existent et il n'est nul besoin d'ajouter à ce Panthéon un messie supplémentaire, qui plus est humain et d'origine juive. Cela n'a aucun sens ! Après tout Mercure est le messager des dieux et même Bacchus a le pouvoir de résurrection sur la nature !

Il faut remettre beaucoup d'idées et de bon sens (qui n'est pas synonyme de vérité) en question pour imaginer que ces Maîtres et Seigneurs de toutes choses n'existent pas ! Après tout, s'il y a une terre, de l'eau et du feu et même des éclairs, c'est bien la preuve que les dieux existent ! Et si le Général remporte des victoires sur les champs de batailles, c'est bien la preuve qu'il est protégé des dieux, n'est-ce pas ? En quoi cette cosmogonie et cette théogonie seraient-elles impies, moins parfaites ou authentiques que la doctrine revendiquée par le "peuple du Livre" ? Cette croyance en un seul dieu est une superstition stupide ! Tel était l'opinion des Romains quand ils entendirent parler d'un Messie prêchant en Judée se prétendant être le Fils de Dieu, du Dieu unique et tout puissant.

Nous avons expliqué précédemment que l'association spirituelle de Jésus avec Dieu est une invention purement chrétienne qu'on ne retrouve ni dans le judaïsme ni dans l'islam. Mais très tôt dans son enseignement, Jésus ne refuse pas le titre de Messie, il se fait également appeler le "Fils de l'homme" et occasionnellement Jésus fait référence à Dieu comme étant son Père jusqu'à mélanger les deux identités et devenir très ambigu et mystérieux dans l'esprit de ses disciples et adeptes. Ces différents titres parfois très prétentieux ont placé ses disciples face à des questions rationnelles insolubles et, pour certaines, toujours d'actualité. En revanche, nous verrons qu'à l'image des gnostiques, à deux occasions Jésus a préféré ne pas donner de nom à l'innommable ou préféra affirmer avec force de conviction et amour : "Je suis", une expression à la fois simple et mystérieuse en qui chacun peut se reconnaître. Mais cela n'a pas souvent été le cas. Voyons cela en détails car à force de chercher la vérité derrière les textes bibliques, les experts ont découvert des faits surprenants.

A. Seigneur

"Kyrios" en grec est un mot très ambigu. A l'origine il représente le tuteur d'une femme. Il peut aussi représenter le maître enseignant. Mais dans le langage courant il est synonyme de Maître, un signe de respect généralement attribué à une personne de grade ou de statut social supérieur au sien. Jésus accepte ce titre si la personne est sincère. Ainsi à deux occasions, on s'adresse à Jésus en l'appelant "Seigneur". D'abord le centurion qui demande à Jésus de guérir son fils : "Seigneur, ne prends pas tant de peine; car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit" (Luc 7:6). Ensuite, "Pendant qu'ils étaient en chemin, un homme lui dit : Seigneur, je te suivrai partout où tu iras. Jésus lui répondit : Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids : mais le Fils de l'homme n'a pas un lieu où il puisse reposer sa tête" (Luc 9:58).

En revanche, Jésus refuse ce titre honorifique quand il est galvaudé : "Pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur! et ne faites-vous pas ce que je dis?" (Luc 6:26).

Enfin, ce titre étant accordé à la personne de rang supérieur au sein, comme les rédacteurs de l'Ancien Testament, Jésus ne l'attribue qu'à Dieu. Ainsi, lors de sa tentation dans le désert Jésus répondit à Satan : "Il est dit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu." (Luc 4:12). Dans l'absolu, Jésus ne se considère donc pas comme un Seigneur, même s'il sait que certains voient en lui bien plus qu'un simple prêcheur.

En résumé, le titre "Seigneur" n'est donc par lié à celui de Messie ou de Christ qui implique d'autres notions. On peut l'utiliser par respect pour Jésus à condition d'être sincère ou comme synonyme ou pour appuyer le nom de Dieu.

B. Le Messie, le Christ

En tant que juif pratiquant, déjà avec ses parents Jésus suivait le cycle des fêtes juives. Endocriné dans sa foi dès sa tendre enfance, il croyait les prophètes et donc en l'accomplissement des prophéties décrites précédemment. Il était donc au courant qu'un homme, un Messie ("Mashiah" en hébreu) choisi par Yahvé devait bientôt venir libérer son peuple et restaurer la grandeur de l'ancien royaume de David. En effet, au sens étymologique hébreu, "Mashiah" représente une personne consacrée (l'oint) et un prophète de Yahvé de la lignée du roi David. Ce Messie est le "bien-aimé de Yahvé", c'est-à-dire l'homme ayant un contact privilégié et direct avec Yahvé et dans lequel Yahvé à foi. 

Pour les chrétiens, le Messie est personnifié par Jésus qui représente le Christ, celui qui est oint (khristós en grec) d'une huile consacrée, d'où la relation directe pour l'Église entre le Messie et Jésus-Christ, relation inexistante chez les juifs, du moins depuis la mort de Jésus. Enfin, nous verrons plus bas que même l'idée d'un Messie souffrant, d'abord considérée comme d'origine chrétienne, existait déjà dans le judaïsme à l'époque de Jésus mais l'Église en a fait un symbole majeur.

Détail (et gros-plan) du Christ Pantocrator (Christ adulte en gloire dans l'art byzantin) de la mosaïque de la Déisis de l'ancienne basilique Sainte-Sophie (VIe.s.) à Istanbul, en Turquie (convertie en mosquée et devenue le musée Aya Sofya).

Selon la tradition et donc les prophètes, par la volonté divine ce Messie sera doté de pouvoirs charismatique et de guérison (thaumaturge) mais sera malheureusement trahi par l'un des siens, accusé et abandonné par ses amis avant de se sacrifier pour finalement ressuciter. Toutes ces prophéties sont décrites chronologiquement dans les Psaumes 2:7, 22:9, 69:22, 110:1, la Genèse 21:12, 22:18, 49:10, les Nombres 24:17, le Deutéronome 18:18, l'Exode 12:46, les livres de Jérémie 23:5, d'Isaïe 33:33, 35:5, 53:9-10, de Zacharie 11:12, de Daniel 9:24-26, etc., et pour certains vont pratiquement s'accomplir à la lettre près (mais cela ne veut pas dire qu'elles étaient prémonitoires puisque nous avons expliqué qu'elles ont pour la plupart été écrites rétrospectivement. On y reviendra lorsque nous aborderons la condamnation à mort de Jésus par le Sanhédrin puis par Ponce Pilate à propos de la mise en scène des prophéties).

En première analyse, un sceptique pourrait conclure hâtivement que ces parallèles entre l'Ancien Testament et les écrits apostoliques sont l'effet du hasard et de l'interprétation des textes. Mais en réalité, la relation n'est pas du tout celle là. L'histoire et la critique textuelle nous ont appris qu'il s'agit de manipulations et d'une construction de la théologie judaïque, autrement dit le résultat du réarrangement des paroles des prophètes par les derniers rédacteurs sacerdotaux de la bible hébraïque et surtout des paroles attribuées à Jésus par des judéo-chrétiens tels que les auteurs apostoliques ou des chrétiens de la première heure tels que les traducteurs zélés de la Grande Église. C'est la raison pour laquelle il a été et reste indispensable pour la crédibilité non seulement de la Bible mais de l'Église de retrouver les textes originaux et d'identifier leurs auteurs ainsi que les passages tardifs qui auraient éventuellement été intégrés par un faussaire. Aujourd'hui nous n'avons toujours pas découvert les textes originaux des Évangiles ni de l'hypothétique "source "Q" mais les plus anciens manuscrits que nous possédons montrent qu'aux traductions près et à quelques mots ou versets près, ils correspondent assez bien aux récits que nous lisons aujourd'hui, ce qui est déjà une très bonne nouvelle.

En revanche, on ne peut pas exclure le fait que Jésus s'est inspiré des prophéties ou de croyances sectaires de son époque pour créer son personnage et légitimiser son statut de Messie, attendant même des signes dans le ciel (un jour d'orage, une éclipse, etc.) ou dans la société (l'arrestation de Jean le Baptiste, une fête juive, une rumeur, etc.) pour agir à un moment plus opportun qu'un autre. C'est en tout cas une théorie plus rationnelle que celle invoquant la venue sur Terre au sens propre du "Fils de Dieu" en personne avec tout ce que cela implique de surnaturel et d'improbable. On reviendra plus loin sur les doctrines et les thèmes ayant vraisemblablement influencés Jésus.

Jésus est-il le Messie, la personne choisie et consacrée par Dieu, le Christ ? Pour un chrétien, tout dépend de la définition que l'on donne au christianisme et au judaïsme. Par conséquent, la question de la conscience messianique de Jésus est toujours largement débattue. Mais plusieurs indices suggèrent que Jésus en avait tout à fait conscience de part sa confession et son intérêt pour la doctrine essénienne sur laquelle nous reviendrons.

Ainsi, le deuxième fragment de "L'Apocalypse messianique" découvert à Qumrân (4Q521) n'était probablement pas étranger à Jésus. Ce manuscrit décrit les pouvoirs et les bienfaits dont le Seigneur, le Dieu unique et non pas le Messie, gratifiera les fidèles : "il honorera les pieux sur un trône royal éternel, libérant les captifs, ouvrant les (yeux des) aveugles, redressant ceux qui ont été courbés. [...] il fera planer son esprit sur les humbles, et transformera les fidèles par sa puissance. [...] il guérira les blessés, et fera revivre les morts [...] il guidera les déportés, et comblera les affamés." (4Q251, 2, 5-14).

Ces textes sont déjà mentionnés dans les Psaumes ("Le Seigneur délie les prisonniers, le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse ceux qui fléchissent", Psaumes 146:7-8) et certains passages sont extraits du prophète Isaïe ("il m'a envoyé porter joyeux messages aux humiliés", Isaïe 61). On en déduit que les idées messianiques de Jésus étaient déjà construites plusieurs siècles avant sa naissance. Elles font aussi mieux ressortir le caractère apocalyptique des textes de la source "Q" qui représentent bien plus que la sagesse biblique comme on l'a longtemps supposé.

Mosaïque illustrant Jésus et la Samaritaine de la Basilique Saint-Apollinaire-Le-Neuf à Ravenne (I).

Concrètement, Jésus ne dit jamais explicitement qu'il est le Messie mais il ne reprend pas non plus ses disciples ou ses interrogateurs quand ils l'affirment ou évoquent le sujet. Plusieurs épisodes des Évangiles font allusion au rôle messianique de Jésus tout au long de son ministère.

D'abord, lorsque Jean le Baptiste est emprisonné dans la forteresse de Macheronte, dans le désert, il reçoit la visite des disciples qui lui apprennent que Jésus se proclame le Messie, réalisant ainsi la prophétie d'Isaïe (Luc 6:20-25 et Isaïe 61). Mais peu après, isolé dans son cachot et espérant certainement être délivré de cette prison par un acte de Jésus, Jean le Baptiste lui envoie un message lui redemandant s'il est bien le Messie. Jésus ne lui répondit pas affirmativement mais lui donne l'espoir en évoquant un passage de l'"Apocalypse messianique" des Esséniens, un passage dont il présume que son cousin connaît bien : le Messie "guérira les malades, ressuscitera les morts et amènera la bonne nouvelle aux pauvres". Rappelons que l'extrait relatif aux pauvres est probablement copié du livre d'Isaïe (verset 61:1).

Malheureusement Jean le Baptiste ne sera pas épargné et Jésus n'a rien pu faire pour le délivrer ni même compter sur l'intervention de Dieu. Comme nous l'avons expliqué, c'est une preuve criante de l'humanité ordinaire de Jésus, incapable d'éviter ou de combattre concrètement une menace existante ou d'appeler Dieu à son secours quand il en a le plus besoin, lorsque sa propre vie ou celle de ses proches est en jeu.

A une autre occasion, alors que Jésus approcha de Jéricho, la foule le considéra comme le Messie attendu : "Jésus, Fils de David, aie pitié de moi !" (Luc 18:39), le saluant comme le roi héritié du royaume du père de la nation. C'est à cette occasion qu'il rendit la vue à un aveugle (Luc 18:40-43).

Ensuite, dans l'épisode des marchands du Temple probablement survenu à la fin de son ministère, face à ses interrogateurs Jésus répond : "Jetez à bas ce Temple et moi en trois jours je le remettrai debout" (Jean 2:19), un blasphème de plus. Dans l'interprétation spirituelle de Jean, Jésus parle du "temple de son corps" et les trois jours font référence à sa résurrection d'entre les morts, une relation que le public et beaucoup de lecteurs n'ont pas entrevue. 

Quelques mois plus tard, au puits de Jacob, la Samaritaine dit à Jésus : "Je sais que le Messie doit venir". Ce à quoi Jésus répond : "Je le suis, moi qui te parle" (Jean 4:26). Cette révélation à une seule femme s'est faite sans témoin, l'heure du Christ n'étant pas encore arrivée pour la proclamée publiquement.

Si la résurrection est déjà en soi miraculeuse et le mot est faible, la transfiguration (ou métamorphose) de Jésus de son vivant compte parmi ses miracles les plus extraordinaires. On y reviendra. Durant cet évènement situé après le décès de Jean le Baptiste, entre la multiplication des pains et son entrée à Jérusalem, Jésus aurait révélé à ses disciples sa nature divine, "son visage changeant et son vêtement devenant d'un blanc éclatant" (Matthieu 17:1-13, Luc 9:29). Selon la tradition car le lieu n'est pas attesté historiquement, elle se serait déroulée sur le mont Tabor près du lac de Tibériade durant la fête des Tentes et quelques mois avant son arrestation. La fête est commémorée par les chrétiens le 6 août.

Peinture du IIe siècle décorant une tombe des Catacombes de Sainte-Callixte située à Rome, sur la droite de la Via Appia Antica. Christos, le Messie, est dépeint comme un berger, un symbole typique de la chrétienté romaine. Ce lieu qui occupe 15 ha et court sur ~20 km comprend les tombes de 500000 chrétiens dont des dizaines de martyrs et seize papes.

C'est à l'occasion de la transfiguration que Jésus déclara son statut de Christ en prononçant ses fameuses paroles : "Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? Simon-Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus, reprenant la parole, lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais c'est mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église" (Matthieu 16:16-18).

Après la naissance de Jésus, cette confession qu'il est le Christ est le second évènement majeur de sa vie et le socle de la future Église.

Juste après cette confession, "Jésus recommanda à ses disciples de ne dire à personne qu'il était le Christ", c'est-à-dire le Messie (Matthieu 16:13-20, Jean 4:23-30). Pourquoi Jésus imposa-t-il cet interdit s'il se croyait (ou était) réellement investi par Dieu, être le Fils de Dieu et armé de ses pouvoirs ? Cet "embargo" est d'autant plus paradoxal que plus tôt Jésus avait proclamé tout le contraire : "ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour; et ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les toits" (Matthieu 10:27).

Plusieurs interprétations sont possibles. D'abord, le fait que Simon-Pierre soit parvenu à la conclusion que Jésus était le Christ est déjà en soi étonnant car personne n'en avait jamais parlé auparavant. De plus, le texte ayant été écrit bien longtemps après la mort du Christ, les auteurs n'avaient aucun intérêt à citer une expression isolée proposant aux adeptes de se taire et faire l'inverse de partager la Bonne Nouvelle !

Sachant que son combat a déjà conduit indirectement à la mort tragique de Jean le Baptiste, Jésus a bien conscience que sa cause est source de divisions entre les Juifs et que les Sadducéens n'attendent qu'une occasion pour l'appréhender et le condamner. S'il veut apporter la paix sur terre et taire les rumeurs, Jésus doit se déclarer publiquement et assumer son rôle.

Mais en même temps on peut imaginer que Jésus ne souhaitait pas du tout informer le monde à ce moment là, mais au contraire que ses disciples confirment d'abord son statut de Christ et ainsi le réconforter et le soutenir dans son rôle de Messie. En effet, avant de "tout avouer" publiquement, on peut interpréter l'interrogation de Jésus et cette confession comme une intropection destinée à ses disciples (et plus généralement à l'humanité) par laquelle Jésus demande à chacun de se poser la question de sa nature et donc de la légitimité de sa mission : pour moi, quelle est la nature de Jésus ? Autrement dit, son combat a-t-il un sens, vaut-il la peine de le défendre et faire un bout de chemin avec lui et témoigner de son amour ? Aujourd'hui, la question est toujours d'actualité.

Enfin, deux jours avant la fête de Pâque, Jésus est jugé devant le Sanhédrin: "Jésus garda le silence, et ne répondit rien. Le souverain sacrificateur l'interrogea de nouveau, et lui dit : Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? Jésus répondit : Je le suis. Et vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel" (Marc 14:61-62). Cette fois, les jeux sont faits et le destin scellé. Jésus doit assumer ses paroles blasphématoires et les conséquences d'un jugement religieux.

Si on considère que Jésus fut inspiré par ses amis baptistes, en parfait adepte il croyait à l'imminence de la "Fin des Temps", une vision eschatologique proche de la vision apocalyptique essénienne. En revenant de sa retraite, se rappelant les paroles des prophètes et de Jean le Baptiste, Jésus finit par conclure que Dieu l'avait choisi comme l'élu pour annoncer la venue du royaume de Dieu sur terre et porter l'épée afin d'accomplir les prophéties, et la volonté divine diront les croyants.

Sans le dire mot pour mot et laissant plutôt ses interlocuteurs le proclamer, Jésus se considère donc comme le Messie annoncé par les prophètes, quitte à mettre sa vie en danger pour le démontrer (en gardant l'espoir que les prophéties s'accompliraient). Si Jésus en est d'autant plus convaincu que ses disciples le croient, en revanche les juifs (comme les musulmans) n'y croient pas du tout. Comment expliquer ce paradoxe alors que les juifs attendent justement le Messie et qu'ils entendent partout qu'il serait présent à Jérusalem ? L'ayant toujours connu, à leurs yeux Jésus n'est qu'un prédicateur tenant un discours rebelle et eschatologique. Quant à être l'élu, il ne faut pas exagérer... Qu'il lui prenne des envies de rébellion soit, mais par quel miracle un homme de sa condition pourrait-il soudainement prétendre être le Messie et se transformer en chef de guerre invincible ? Aux yeux des juifs, cette image est anachronique avec le personnage de Jésus, ce qui conduisit à terme au schisme entre juifs et chrétiens. Mais en rabbin dissident ou nazir dévot inspiré des paroles prophétiques et esséniennes, Jésus avait une toute autre estime de lui et du rôle qu'il devait jouer. De plus, rien qu'en lisant les livres des prophètes ou les manuscrits de Menahem, Jésus savait qu'il aurait des opposants et devrait s'armer autant de patience que d'arguments convainquants pour convertir le public insensible à ses idées messianiques, avec le risque d'être emprisonné voire mis à mort pour insoumission conformément à la loi romaine.

Comme son cousin Jean le Baptiste et d'autres prédicateurs, Jésus exprima clairement son intention de renverser le pouvoir en place, un discours fidèle à l'idée que se font tous les messies de leur mission. Car Jésus ne fut ni le premier ni le dernier messie.

1. Un messie parmi d'autres

Le Christ Bénissant du triptyque (en fait un polyptyque) peint par Grifo di Tancredi vers 1310. L'oeuvre est conservée à la National Gallery of Art à Washington, D.C.

Jésus n'a pas été le seul Messie de l'Histoire ! C'est le genre de "révélation" qui jette un froid sur l'authenticité du christianisme et apporte un indice supplémentaire sur la nature humaine du personnage de Jésus.

L'idée n'était pas nouvelle. Avant lui, David, le deuxième roi d'Israël qui régna au Xe siècle avant notre ère (de -1000 à -961), prétendait également qu'il avait été enseigné par Dieu et s'auto-proclama Messie, qualifiant les paroles du Seigneur de "plus douces que le miel" (Psaume 119:99-103). Toutefois, les textes évoquent la venue probable d'un autre Messie pour assurer la continuité de la paix dans le royaume, personnage généralement appelé le "Fils de David" pour préciser son héritage davidique et par extension le "Fils de Dieu". On y reviendra.

On peut déjà noter que les auteurs ont réécrit l'histoire puisque voyant que les premières prophéties ne s'étaient pas accomplies sous les règnes de David et Salomon et qu'ensuite on assista à la division du royaume d'Israël, ils décidèrent d'inventer de nouvelles prophéties annonçant la venue d'un autre Messie, histoire de restaurer la foi et de renforcer les liens nationalistes entre les juifs.

Toute personne d'obédience juive dont le culte est ancré dans la bible hébraïque sait que dans le chapitre 11 du livre d'Isaïe souvent considéré comme le "Cinquième Évangile", la croyance traditionnelle veut qu'un jour, un descendant du roi David, le Messie, se lèvera et mènera le peuple d'Israël à la victoire (Isaïe 11:10, Daniel 9:25-26, Zacharie 9:9-16). Selon la prophétie d'Isaïe, c'est un chef militaire dont le discours évoque la fin des temps et capable d'actions miraculeuses dans le but de réunir tous les enfants d'Israël et les conduire vers un futur meilleur, une ère de paix et de bonheur éternels.

Apparemment cette prophétie ou cette oracle (cf. Zacharie 9 et 11) selon le cas sembla se concrétiser du temps de Josué et du roi messianique Zorobabel, un descendant de la lignée de David qui vécut au VIe siècle avant notre ère que le roi de Perse avait nommé pour gouverner la province de Judée. Rappelons que c'est Zorobabel qui ordonna la construction du second Temple de Jérusalem. Mais ce souverain n'ayant pas rempli les attentes messianiques des juifs, les prophètes décidèrent de reporter la couronne du Messie sur un autre élu qui malheureusement tarda à venir.

Ainsi qu'on le constate, une pléthore de prophètes illuminés ou de messies ont enseigné avant la naissance de Jésus et l'existence de quelques manuscrits très significatifs comme l'Écrit de Damas (ou Document de Damas datant du Ier ou IIe siècle avant notre ère) qui cite l'"Enseignant de la Communauté" [de Qumrân] ainsi que les prophéties de Zacharie montrent clairement qu'il y eut une crise de croyance vers le milieu du Ier siècle avant notre ère.

C'est dans ce climat de scepticisme envers les prophéties et de remise en question des croyances religieuses qu'à l'époque de Jésus on recense une dizaine de personnes se proclamant être le Messie descendant d'Abraham et du roi David. La plupart étaient des révolutionnaires armés, y compris des voleurs et des assassins, accompagnés d'une troupe de fidèles. Flavius Josèphe les évoque brièvement soit dans la "Guerre des Juifs" soit dans les "Antiquités Judaïques" :

- Judas le Galiléen (ou Judas de Gamala ou encore Judas fils d'Ézekias - ben Huzkiya -) descendant d'une famille d'opposants aux Hérodiens et aux Romains, dirigea une révolte lors de la succession d'Hérode le Grand en l'an -4. Il est considéré comme le père fondateur des Zélotes qui conduisit une révolte sanglante en l'an 6 (cité dans Guerre des Juifs, II, 8.1 et 17.8; Antiquités Judaïques, XVIII, Actes des Apôtres, 5:37). 

Rappelons que Judas le Galiléen s'empara de l'arsenal de Sepphoris et arma ses compagnons pour mener son insurrection. Suite à cette révolte au cours de laquelle Judas le Galiléen fut tué, le général romain Varus assiégea Sepphoris et brûla la ville qui sera de nouveau détruite par le roi nabatéen Arétas IV. C'est Hérode Antipas qui rebâtit la ville sous le nom d'Autocratoris et en fera le siège royal de sa tétrarchie.

- Simon de Perée, fils de Joseph et ancien esclave d'Hérode le Grand qui fut tué en l'an -4.

- Athronges le Berger qui vécut vers l'an -4.

- Jésus de Nazareth fils de Joseph, appelé Christ après sa résurrection.

- Theudas qui conduisit une révolte en Judée en l'an 44

- Jean et Simon fils Judas le Galiléen, vécurent vers 46 de note ère et furent crucifiés par Tibère Alexandre, neveu de Philo qui fut procurateur de Judée entre 46-48 sous l'empereur Claude.

- "L'Égyptien" qui vécut vers 50 de notre ère

- Éléazar fils de Dineus qui vécut vers 52 fut envoyé par Claudius Félix, gouverneur de Judée, comme prisonnier à Rome.

- Menahem ben Juda, troisième fils de Judas le Galiléen, qui conduisit une révolte en l'an 66 et fut tué à Jérusalem.

- Éléazar fils de Jairus (ben Yair), commandeur de Masada, qui était de la famille de Menahem.

Il faut y ajouter le Maître de Justice ainsi que le messie Menahem de la secte de Qumrân évoqués dans le "Rouleau des Hymnes" notamment (cf. l'article Jésus de Nazareth). Le premier serait mort au début du Ier siècle avant notre ère et le second à peu près au moment où Jésus est né. Leurs paroles pleine de bonté mais au message traditionnel apocalyptique sont très proches des paroles de Jésus et reprennent certaines prophéties dont celles d'Isaïe et de Daniel.

Pour appuyer cette thèse, soulignons que les auteurs Michael Wise dans son livre "The First Messiah" (1999) et Israël Knohl, dans son étude intitulée "The Messiah Before Jesus" (2000) évoquent indépendamment l'un de l'autres l'idée que les maîtres enseignant à Qumrân auraient inspiré la doctrine enseignée par Jésus de Nazareth. Le plus intéressant est la question de savoir ce qui arriva à la communauté de Qumrân après la mort de leur Maître ainsi qu'aux Juifs et comment leur vision prophétique s'est maintenue (les attentes apocalyptiques) malgré l’échec des prophéties. On y reviendra quand nous évoquerons les évènements (tragiques pour les Juifs) qui surviendront au cours du siècle qui suivit la mort de Jésus.

Jésus de Nazareth est le Messie pour lequel nous disposons du plus grand nombre de documents issus de différentes sources mais paradoxalement, cette richesse ne facilite pas la recherche de l'authenticité historique du personnage.

Notons que l'ouvrage collectif "Messianismes: variations sur une figure juive" (2000) évoque les différentes figures du Messie.

Ces guides spirituels dont certains furent des rebelles ou des assassins seront suivis par une dizaine d'autres prétendants au titre de Messie, y compris des pseudo-Messie d'origine juive comme le célèbre Sabbataï Zevi qui se proclama Messie en 1648, et d'autres d'origine chrétienne, musulmane et même hindouiste et bouddhiste jusqu'au XIXe siècle, dont certains sont devenus des hommes politiques.

Précisons qu'avant l'époque de Jésus de Nazareth, le premier personnage non juif cité dans la Bible prétendant au titre de Messie fut le roi de Perse Cyrus le Grand (Cyrus II de Perse) qui conquit Babylone en 539 avant notre ère.

2. A propos du Messie souffrant

Dans l'esprit des juifs ayant entendu les prêches apocalyptiques de Jésus, étant donné qu'il n'a jamais levé d'armée ni bouté les Romains hors de leur pays et n'est jamais monté sur le trône d'Israël, Jésus n'était pas le Messie annoncé par les prophètes. Au contraire, Jésus ayant été crucifié, cela prouvait bien qu'il n'était qu'un prédicateur et qu'ils devaient attendre un autre Messie. En revanche, dans l'esprit des premiers chrétiens, Jésus est le Messie et sa résurrection prouve que la foi des juifs n'était pas fondée. Bien que peu nombreux, certains juifs ont toutefois également cru que Dieu avait ressuscité Jésus. A leurs yeux, il était bien le favori de Dieu et donc le Messie annoncé par les prophètes.

Cette appropriation du Messie par certains juifs dont certains membres du Sanhédrin força les chrétiens à redéfinir la nature du Messie. Partant du fait que Jésus a souffert et est mort, les Pères de la Grande Église ont déduit que le Messie doit souffrir et mourir. Mais pour valider cette théorie, ils devaient trouver des références à un messie souffrant dans l'Ancien Testament. Ne les trouvant pas explicitement, ils ont choisi d'autres textes évoquant la souffrance des Justes qu'ils ont trouvé dans Isaïe 53:1-6 et le Psaume 22:1-18. Même si ces passages ne font pas référence au messie, les Pères de l'Église prétendirent qu'il s'agit de prédictions messianiques annonçant les souffrances du Christ. Soulignons qu'il s'agit d'une interprétation purement chrétienne car les juifs n'ont jamais interprété ces passages de cette façon pour le simple fait que le mot "messie" n'est jamais mentionné. Cette différence d'interprétation des Écritures est à l'origine de l'un des désaccords majeurs entre les juifs et les chrétiens (le second désaccord concernant le rôle des juifs dans la mise à mort de Jésus. On y reviendra à propos de l'antisémitisme).

Puis une découverte archéologique est venue appuyer la théorie du messie souffrant juif. Au premier chapitre de l'Évangile selon Luc, l'auteur évoque l'ange Gabriel venu annoncer à Zacharie, le père de Jean le Baptiste, que sa femme Elisabeth sera enceinte (Luc 1:19) puis il va proclamer l'Annonciation à Marie. Dans le premier passage, Luc cite la déclaration que l'ange dit à Zacharie : "Je suis Gabriel". On retrouve exactement la même phrase sur une grande tablette en pierre datant du Ier siècle sur laquelle sont gravés les mots : "Je suis Gabriel" comme on voit ci-dessous.

A gauche et au centre, la tablette en pierre de la "Révélation de Gabriel" datant de l'époque du roi Hérode exposée au Musée d'Israël. A droite, la ligne 80 dont la traduction incertaine évoquerait la résurrection au troisième jour. Voir le texte pour les explications. Documents IMJ et I.Knohl, BAR, 2008.

Selon le bibliste Israël Knohl de l'Université Hébraïque de Jérusalem (HUJI), cette tablette appelée la "Révélation de Gabriel" fut découverte en 2000 par un bédouin en Jordanie, sur la rive orientale de la mer Morte. Mais on n'a jamais pu retrouver l'endroit où elle fut exhumée. Un spécialiste a ensuite analysé quelques fragments et conclut que sa composition minérale n'existe que dans la région de la mer Morte. La tablette fut ensuite vendue à Ghassan Rihani, un antiquaire jordanien qui la vendit au collectionneur israélo-suisse David Jeselsohn qui ignorait de quoi il s'agissait. Puis, en 2005 à l'occasion de la visite de la paléographe Ada Yardeni chez Jeselsohn, elle fut attirée non pas par sa collection mais par la tablette et comprit qu'elle contenait une inscription en hébreu ancien. La tablette qui est toujours la propriété de Jeselsohn fut exposée en 2013 et 2014 au Musée d'Israël.

La tablette de la "Révélation de Gabriel" mesure 1 mètre de long, comprend 87 lignes de texte et remonte à l'époque du roi Hérode Ier le Grand. Il s'agit d'un texte prophétique évoquant la venue d'un messie quelques années avant Jésus. Selon une traduction proposée en 2008 par Knohl[1], le texte évoquerait la résurrection d'un messie après trois jours. Selon sa théorie, comme on le voit (à peine) ci-dessus à droite, à la ligne 80 le texte dit "dans trois jours, [vis], moi, Gabriel vous com[mande]" voulant dire "dans trois jours, Gabriel sera vivant et vous ordonne". Cette interprétation a toutefois été critiquée mais reste plausible.[2]

Selon Knohl, ce passage qu'il juge "révolutionnaire" suggère que l'idée d'un Messie souffrant, qui mourut et ressuscita était déjà un concept présent dans la culture juive avant la naissance de Jésus. Son point de vue fut partagé par Ada Yardeni précitée et le critique israélien Hillel Halkin, rédacteur au journal "New York Sun" qui considère également que la résurrection au troisième jour était "dans l'air du temps de la Palestine juive du Ier siècle, tout comme de nombreux autres aspects de l'histoire de Jésus".

Dès la publication de Knohl, les spécialistes étaient partagés sur le sens de ce texte. Encore aujourd'hui, malgré la découverte des manuscrits de la mer Morte, le dogme du "Messie souffrant" résiste toujours à la critique car on constate dans les écrits datant de l'époque des Esséniens de Qumrân comme ceux de la communauté juive de la Diaspora transmis notamment par Philon d'Alexandrie, gouverneur de Judée de 46 à 48 et juif romanisé, que le concept des prophéties tel que décrit par Daniel, Isaïe ou Zacharie était accepté. Soulignons qu'il s'agit chez les trois prophètes d'un messie souffrant et humble et nullement d'un chef de guerre armé comme les juifs le considère traditionnellement.

Mais en parallèle, depuis le XIXe siècle et les travaux de Johannes Weiss (1863-1914) affinés par Heinrich Holtzmann (1832-1910), les théologiens protestants allemands ont toujours prétendu que l'idée d'un "Messie ou d'un Fils de l'Homme souffrant, mourant et ressuscitant était inconnue dans le judaïsme [...] Cette interprétation du concept n'est cependant pas due à Jésus lui-même, mais à l'Église, ex eventu", c'est-à-dire a posteriori, conclut Rudolf Bultmann au début du XXe siècle que cite Knohl dans le magazine BAR 34/5 en 2008.

Par la suite, Knohl ainsi que Peter Shäfer de l'Université de Princeton et Daniel Boyarin de l'Université de Californie à Berkeley ont reconnu que l'idée du Messie souffrant proposée voici plus d'un siècle par les théologiens chrétiens pour expliquer le scandale de l'exécution de Jésus était inexacte. En revanche, comme nous l'avons expliqué, il est vrai que du temps de Jésus quelques juifs attendaient un messie souffrant et s'attendait éventuellement à ce qu'il meurt.

Mais tous les experts ne partagent pas cet avis. Ainsi, selon Rezan Aslan, auteur du livre "Le Zélote" (2013/2015) consacré à Jésus, la conception d'un Messie souffrant et mourant restait totalement étrangère aux juifs de l'époque de Jésus. Ils attendaient un messie qui triomphe et qui vive" (Aslan, 2013, p269). L'auteur et essayiste David Klinghoffer conclut aussi dans son livre "Why the Jews Rejected Jesus" que pour les juifs, "le Messie était censé être un chef militaire et politique" (2005, p63). En revanche, Bart Erhman est d'un avis partagé, évoquant le Messie chef d'armée dans son livre "How Jesus Became God" (2014, p115) mais reconnaissant également dans son livre "La construction de Jésus" (2010, p312) que certains juifs acceptaient l'idée du Messie souffrant.

Finalement qui a raison ? En réalité, tous ces arguments apparemment opposés sont valides car ils se complètent. En effet, à l'époque de Jésus, dans le monde juif l'attente messianique accordait au Messie quatre rôles : celui de roi héritier de David, de prêtre, de prophète et de "Fils de l'homme". S'ils sont apparemment incompatibles, ils tracent le portrait d'un personnage idéal à la fois royal et divin, souffrant et glorieux qui ne pouvait qu'exalter les espoirs de toutes les mouvances juives. Ensuite, sous l'influence de la philosophie hellénistique, dans la suite des idées de Philon d'Alexandrie, les érudits juifs comme chrétiens en commençant par la communauté johannique ont modifié cette espérance perdue suite à l'échec de la révolte des Juifs pour y incorporer à travers le "Logos", c'est-dire le "verbe", médiateur entre Dieu et les hommes, un moyen pour libérer l'âme afin qu'elle accède à Dieu.

Prochain chapitre

C. Le Fils de l'homme

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[1] Israël Kohl, "The Messiah Son of Joseph", in "Biblical Archeological Review", 34, 5, sept/oct 2008, pp.58-62.

[2] La traductrion d'Israël Kohl a fait l'objet de critiques. Ronald Hendel de l'Université de Californie répondit à Kohl que le mot à moitié lisible peut effectivement être "vis" (חאיה, le verbe vivre à l'impératif) mais aussi le mot "lettre" ou "signe" (האות), la phrase signifiant alors "dans trois jours, le signe...". Kohl lui répondit dans le même article qu'on s'attend plutôt à trouver un verbe à cet endroit de la phrase, ce que confirma également la paléographe Ada Yardeni, une spécialiste des manuscrits de cette époque. Toutefois, sur le plan grammatical de la langue hébraïque on ne s'attend normalement pas à ce que la lettre Aleph (א) serve de mater lectionis (de consonne pour noter une voyelle ou semi-voyelle) pour une voyelle réduite ou nulle, ce que nous attendons dans la première syllabe. Cette orthographe paraît douteuse. Bref, certains auteurs n'hésitent pas à conclure que la lecture est contestable en raison d'un verbe philologiquement improbable trouvé dans une inscription de provenance douteuse.


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