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La Bible face à la critique historique

L'arrestation de Jésus

Après la Cène, il reste un épisode dramatique qui pose question. Selon la Bible, le soir même de la Cène tout bascula. En effet, dans l'esprit de Jésus deux prophéties de Zacharie devaient malheureusement mais obligatoirement s'accomplir. Alors qu'ils étaient atablés, Jésus dit à ses disciples : "En vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera, un qui mange avec moi" (Marc 14:18). Nous saurons par la suite qu'il s'agissait de Judas l'Iscariote, l'un des apôtres les plus proches de Jésus. Ce texte sous-entend que Jésus savait qu'il serait arrêté et peut-être condamné à mort. C'est en tout cas l'idée chrétienne.

Comme nous l'avons évoqué, selon la tradition, après le repas Jésus et ses disciples se réfugièrent à Gethsémani, le jardin situé au pied du mont des Oliviers qui selon l'historien et épigraphiste Stephen J. Pfann de l'Université de Tel-Aviv était très similaire du temps de Jésus et était souvent squaté à l'époque des fêtes par les pèlerins qui n'avaient pas trouvé de logement en ville. En temps normal, le lieu arboré est paisible et Jésus aimait s'y retirer à l'écart des foules. Ce soir là, les disciples s'endormirent sous les oliviers mais Jésus passa une nuit blanche imaginant le sort qui l'attendait. Selon les Évangélistes, triste à mourir, Jésus s'y recueilla et pria seul : "Mon âme est triste jusqu'à la mort" (Matthieu 26:38), "Père, si tu le veux bien, éloigne de moi cette coupe ! Toutefois, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne, qui soit faite." (Luc 22:42).

A voir : Le Sanctuaire de Gethsémani, Custodie en Terre Sainte

Photos du Jardin des Oliviers (Jardin de Gethsémani)

Tour virtuel de l'église de Toutes-les-Nations

A gauche, le mont des Oliviers (808 m) vu depuis le mur oriental du second Temple, pratiquement en face de la Porte Dorée et à l'est de la route de Siloé (qui traverse l'image horizontalement). Derrière les tombes, on reconnaît une partie de la vallée du Cédron avec ses plantations d'oliviers et juste derrière la route, l'église de Toutes-les-Nations ou basilique de l'Agonie construite entre 1922-1924, au lieu-dit Gethsémani. Elle remplace l'église construite au IVe et détruite au VIIe siècle. Selon la tradition, cette église renferme le rocher auprès duquel Jésus pria durant son agonie avant son arrestation. Depuis l'église ou plus précisément du cimetière juif, si on se retourne vers Jérusalem, on peut apercevoir les remparts orientaux de la vieille ville et la vallée du Cédron (cf. ce panorama) traversée de nos jours par la route de Jéricho. A droite, le Jardin des Oliviers situé juste à côté de l’entrée du sanctuaire de Gethsémani, "de l'autre côté du torrent de Cédron" comme le dit Jean (vv. 18:1). Le jardin occupe environ 1200 mètres carrés. Le feuillage des oliviers a été daté du XIIe siècle, d'autres oliviers furent plantés au XIXe siècle pour remplacer les cyprès mais 8 gros oliviers dont le tronc mesure plus de 3 m de circonférence ont probablement plus de 2000 ans. La plupart des plants sont issus de bouturage et appartiennent donc à la même plante mère. Ce lieu se trouve à dix minutes de marche du mont du Temple. Documents Gérard Colombat (2011) et All 4you.

Anticipant visiblement son éventuelle arrestation (ou ses prochaines souffrances comme le prétend l'Église), Jésus fut en proie à une forte angoisse et l'âme à l'agonie. Selon Luc, "sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre" (Luc 22:44), phénomène que l'Église dénomma le"sang de Gethsémani". D'un point de vue médical, ce symptôme est révélateur d'un suitement de sang par la peau connu sous le nom d'hématidrose (ou hémathidrose). Il s'agit d'une sueur associée à une sorte d'hémorragie des capillaires pouvant être provoquée par un traumatisme superficiel (on y reviendra à propos de la flagellation) mais également par un stress comme une angoisse intense ou un état de choc.

Mais cela s'est-il bien passé ainsi ? Si la pathologie existe, on peut douter de l'authenticité du récit dans la mesure où il est bien dit juste après : "il se leva, et vint vers les disciples, qu'il trouva endormis de tristesse" (Luc 22:45). Marc n'évoque pas ce qu'on appelle la "sueur de Gethsémani". En revanche, il précise qu'après avoir prié à l'écart des disciples, "[Jésus] revint, et les trouva encore endormis" (Marc 14:40) et les réveilla. Donc, non seulement il faisait nuit et la (presque) pleine Lune n'a pas dû être d'un grand secours pour distinguer la sueur du sang, mais il n'y avait personne d'éveillé (à part un ange selon la tradition) pour témoigner de l'état dans lequel était réellement Jésus à ce moment là. Il s'agirait donc d'un récit légendaire théologique de plus, un autre théologoumène cher aux Évangélistes. Mais nous verrons qu'il y en eu d'autres par la suite, probablement ajoutés par les premiers chrétiens.

La trahison de Judas

Puis, selon la tradition, ce fut l'abjecte trahison dont le monde se souvient encore aujourd'hui. Judas s'approcha de Jésus pour lui donner un baiser sur la joue comme on le faisait pour témoigner son amitié envers un ami proche : "Judas, qui le livrait, prit la parole et dit : Est-ce moi, Rabbi ? Jésus lui répondit : Tu l'as dit" (Matthieu 26:25). A ce moment là, Jésus qui a aussi chanté les psaumes durant la Cène (Marc 14:26) devait aussi se dire que le psaume du roi David était en train de s'accomplir : "Même le confident sur qui je faisais fond et qui mangeait mon pain, se hausse à mes dépens" (Psaume 41:10).

Jésus (à gauche) trahi par son bien-aimé disciple Judas. Documents T.Lombry.

Notons que ce passage est exactement le même que celui rédigé par le "Maître de Justice" essénien déjà évoqué dans le "Rouleau des Hymnes" découvert à Qumrân (cf. sa traduction dans le livre "Les Écrits esséniens découverts près de la mer Morte" de 1959). Dans ce texte messianique rédigé environ un siècle avant Jésus, l'auteur explique que l'un des membres avait bafoué sa confiance : "Et [tous ceux qui man]gaient mon pain, contre moi ils ont levé le talon" (Hymne J ou 9, 23-24).

Peu d'auteurs mentionnent que cet épisode est également similaire au passage du livre du prophète Samuel dans lequel on apprend que Joab a trahi Amasa avec un baiser : "Joab était ceint d'une épée par-dessus les habits dont il était revêtu; elle était attachée à ses reins dans le fourreau, d'où elle glissa, comme Joab s'avançait. Joab dit à Amasa : Te portes-tu bien, mon frère? Et de la main droite il saisit la barbe d'Amasa pour le baiser. Amasa ne prit point garde à l'épée qui était dans la main de Joab; et Joab l'en frappa au ventre et répandit ses entrailles à terre, sans lui porter un second coup. Et Amasa mourut" (2 Samuel 20:8-10).[1]

Si Jésus n'a pas prémédité son arrestation, alors il a de bonnes raisons d'éprouver de la rancune, de l'incompréhension et d'en vouloir à son bien-aimé disciple Judas. Documents T.Lombry.

Quant à la question de la blessure infligée par un disciple qui à l'instant de la trahison de Judas sortit son épée et coupa l'oreille du serviteur du grand prêtre et que Jésus guérit immédiatement (Luc 22:50-51), les disciples étaient armés d'un poignard et certains vraisemblablement d'une épée. Si cela nous paraît anachronique entre les mains de "saints hommes", il faut se remettre dans le contexte de l'époque où il était tout à fait normal que les hommes soient armés dans la vie de tous les jours, non pas pour tuer mais pour se défendre.

Comment expliquer que la scène de la trahison de Judas corresponde à la prophétie même si les détails sont assez vagues ? Comme sa lecture d'Isaïe dans la synagogue de Nazareth ou son "entrée triomphale" à Jérusalem sur un âne (cf. le discours politique de Jésus), nous savons par les Évangélistes qu'à plusieurs reprises, tout au long de son ministère Jésus s'est comporté conformément aux prophéties, ce que les témoins juifs n'ont pas manqué de remarquer.

Si cela peut choquer les croyants, tout semble indiquer que Jésus a orchestré cette mise en scène pour "coller" aux prophéties. En effet, à supposer qu'il était un homme ordinaire, comment savait-il que les prophéties se réaliseraient ce jour-là ? Comment Jésus aurait-il pu savoir que quelqu'un allait le trahir le soir même et comment savait-il que c'était Judas l'Iscariote ?

A gauche, un vieil arbre du Jardin des Oliviers sous la pleine Lune. Le jeudi 3 avril 33 (14 de Nissan) au soir, date probable de l'arrestation de Jésus, c'était la pleine Lune. On peut aussi imaginer que Jésus fut arrêté aux toutes premières heures le 4 avril 33 (pour être condamné à mort et crucifié le même jour). A droite, "Judas, qui le livrait, prit la parole et dit : Est-ce moi, Rabbi ? Jésus lui répondit : Tu l'as dit" (Matthieu 26:25). Depuis cet acte odieux, "le baiser de Judas" est synonyme de trahison et plus personne n'oserait appeler son fils Judas. Documents Custodie en Terre Sainte et LDS.

Comme nous l'avons évoqué à propos des manuscrits, dans l'"Évangile de Judas", un apocryphe gnostique, il y a une discussion entre Jésus et Judas l'Iscariote où Jésus lui demande une faveur très particulière et en des termes vraiment étonnants : "tu sacrifieras l'homme qui me sert d'enveloppe charnelle". Comme le pensaient les gnostiques, Jésus se considérait comme un esprit divin immortel dans une enveloppe humaine. Mais plus encore, ce texte démontre que Jésus aurait organisé sa trahison avec l'aide plus ou moins consentie de Judas pour que s'accomplisse la prophétie ! Quant au fait que Jésus aurait deviné le reniement des apôtres, rien ne prouve que cela s'est réellement passé ainsi puisque aucun des auteurs apostoliques n'était présent pour en témoigner. Un théologoumène de plus.

Dans ce cas ci, il semble que Jésus ait préparé sa dernière Cène et sa trahison, ce qui explique son tourment dans les jours et les heures qui précédaient son arrestation. S'il ne présageait ou ne savait rien de l'avenir, il n'avait aucune raison d'être plus inquiet ou de redouter ce soir là plus qu'un autre. En faisant cette déclaration à ses disciples, Jésus savait donc dans les grandes lignes qu'un évènement grave allait se produire pour l'avoir planifié discrètement avec Judas. 

Par ailleurs, membre d'une société théocratique, Jésus se doutait bien que suite à ses esclandres dans le Temple (à propos des marchands du Temple où il réitère les propos du prophète (cf. Jérémie 7:1-15; 20:1-6), après le miracle de l'aveugle-né dans le bassin de Siloé où il proféra des menaces contre les Pharisiens (Jean 9:1-41), ses propos véhéments envers le haut clergé et ses blasphèmes en se prétendant le Messie, les membres du Sanhédrin n'attendaient que le moment propice que l'arrêter et le condamner à mort. C'était un risque tangible dont Joseph d'Arimathie l'avait déjà averti mais que Jésus acceptait afin que sa mission s'accomplisse comme il le souhaitait (et non pas comme Dieu le souhaitait même si Jésus l'interprétait peut-être ainsi).

Jésus anxieux peu avant son arrestation. Documents T.Lombry.

Cette hypothèse appuyée par le manuscrit de Judas est en tout cas plus facile à admettre et plus probable que l'hypothèse invoquant des dizaines de prêtres et scribes prophètes ayant vécu plusieurs siècles auparavant ayant tous des dons de prémonition, des sortes de devins ou d'oracles dédiés au peuple juif et spécialisés dans les visions de l'avenir de Jésus. S'il fallait en plus ajouter la nature divine de Jésus et ses dons (quand il évoque que lui et le Père ne font qu'un, sans parler des miracles et des apparitions), cela représente un ensemble de conditions qui ne sont même plus invraisemblables, mais impossible à réunir (à moins bien entendu d'évoquer autant de miracles réalisé par un être divin). On reviendra plus loin sur les miracles.

Pourquoi ?

En admettant que Judas l'Iscariote exista, ce qui reste à prouver (voir plus bas), depuis l'aube du Christianisme les Pères de Église et de nombreux auteurs se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles Judas trahit Jésus. Si ce n'est pas pour une rivalité de pouvoir ni pour une mésentente, il est difficile de comprendre ce qui poussa Judas à trahir son maitre. Deux raisons nous viennent à l'esprit, un coup de folie ou un intérêt supérieur, et donc politique ou financier. Mais il y a d'autres raisons possibles.

Judas tournant le dos à Jésus. Document T.Lombry.

Selon la théologienne Candida R. Moss de l'Université de Birmingham en Grande-Bretagne, trois raisons ont été proposées. La première est la cupidité. Le Sanhédrin le paya 30 pièces d'argent pour l'avoir livré. Mais ce serait naïf de le croire car à l'époque cela représentait l'équivalent de 15 jours de solde d'un légionnaire romain (solde de base de 300 deniers ou 4800 as). Vu la modique somme que Judas reçut, cela ne l'empêcha pas de se suicider ou d'être assassiné (on se fend rarement le crâne comme le disent les Évangiles en se suicidant).

La deuxième raison serait que si Judas était un Zélote et donc opposé à l'occupation romaine, voyant que Jésus ne faisait rien pour attiser la révolte, il obligea Jésus à agir contre les Romains afin qu'il libère la Judée. Judas voyait ainsi en Jésus un libérateur et un héros. Mais il s'avéra que ça n'a jamais été l'intention de Jésus qui attendait simplement l'Apocalypse et la fin des temps pour que cela s'accomplisse selon la volonté de Dieu.

Enfin, troisième raison et probablement la plus plausible, Jésus aurait voulu une confrontation avec le Sanhédrin et comme le suggère le texte gnostique, il demanda l'aide de Judas pour y parvenir. Judas savait-il que Jésus risquait d'être arrêté ? Probablement pas sinon il n'aurait pas accepté de le trahir. Au contraire, en intercédant auprès du Sanhédrin comme Jésus lui demanda, Judas y voyait sans doute un moyen permettant à Jésus d'user de sa diplomatie pour trouver un arrangement avec Caïphe comme par exemple une révision de la Loi à la lumière de sa doctrine. On peut supposer que Judas n'imagina pas le pire puisque Jésus avait confiance en lui, à l'image de Pierre qui fut également étonné que Jésus évoque la Croix en entrant à Jérusalem.

Le point de vue de l'Église a également évolué. Au cours des premiers synodes, la cause était entendue car révélée par les Écritures : Judas avait trahi Jésus et méritait la damnation éternelle. Tout qui s'opposait à cette conclusion était déclaré hérétique, en particulier les Caïnites à l'origine de l'Évangile de Judas. La situation resta inchangée jusqu'au concile de Trente au XVIe siècle où l'Église catholique affirma encore que Judas n'a pas voulu de la rédemption et perdit son âme.

A gauche, les remords de Judas après avoir trahi Jésus. A droite, Judas s'enfuyant du Jardin des Oliviers. Documents T.Lombry.

Mais il reste une question de fond toujours ouverte : si "pris de remords" comme l'écrit Matthieu, Judas s'est repanti en jetant l'argent qu'il avait gagné (Matthieu 27:5), Jésus aurait dû lui pardonner son péché, même à titre posthume. Alors pourquoi Judas s'est-il pendu juste après, refusant par son geste désespéré la miséricorde et le pardon du Fils de Dieu, sachant qu'il avait l'espoir d'entrer dans la vie éternelle ? En fait, aucun écrit apostolique - mais qui s'en étonnera connaissant la vision de l'Église - ne déclare que Jésus pardonna la trahison de Judas comme si son péché était éternel. La réponse est dans le silence de Jésus où plutôt le parti pris des Évangélistes qui résumèrent par cette péricope tout le sens de la traîtrise, n'hésitant pas à contredire les paroles mêmes de Jésus à propos du pardon dans un but théologique.

Judas a-t-il existé ?

Si certains lecteurs n'ont pas la conscience tranquille sur la nature de Judas, qu'ils se rassurent car il est probable que l'histoire fut différente. En effet, à la question de savoir si Judas l'Iscariote exista, à ce jour il n'existe aucune preuve historique mais uniquement des hypothèses plus ou moins fragiles à son sujet.

Lithographie de Judas par Kenneth Wyatt.

Sans attestation officielle de son existence ou de son origine, différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer l'origine de son patronyme ou de son pseudonyme. Parmi les plus communes, l'hypothèse intuitive (mais pas nécessairement exacte pour autant) suppose que "Iscariote" proviendrait du hébreu "Is'Qeriyot" (ou Is-Qriyoth) qui se réfère à la ville de Qeriyoth et désignerait donc l'habitant de la ville de Qeriyoth en Judée (au sud d'Hébron, près de Arad). Mais aucune découverte archéologique ne permet de prouver que cette ville existait du temps de Jésus. En revanche, elle est attestée au IXe siècle avant notre ère car son nom est gravé sur la stèle de Mesha commémorant la victoire du roi de Moab sur les rois d'Israël à l'époque d'Omri (vers 800-850 avant notre ère).

Par ailleurs, si Judas était originaire de cette ville, sur le plan étymologique les experts considèrent que son nom ne pouvait pas s'écrire "Judas de Qeriyot", mais "Judas de la population de Qeriyot", ce qui tend à rejeter cette hypothèse.

Mais une autre hypothèse évoquée par l'historien Simon Claude Mimouni dans les comptes-rendus de la conférence "The Gospel of Judas" (p136) qui s'est tenue en 2008, se base sur l'Évangile des Ébionites écrit à la même époque que les Évangiles Synoptiques dans lequel Judas est présenté comme d'origine galiléenne comme les autres apôtres. Mais puisque ces deux hypothèses s'excluent mutuellement, l'une au moins est donc fausse, ou les deux.

Selon une troisième hypothèse, il existe dans la Peshitta, c'est-à-dire la version syriaque de la Bible, un passage des Évangiles où le personnage est appelé Judas "sikariot". Ce terme fait référence au "sicaire" dont l'origine vient du mot latin "sica" signifiant "poignard" dont la lame a une forme courbe et était utilisée du temps des Romains lors des combats au corps à corps en Dacie (actuelle Roumanie et Moldavie près de la mer Noire). L'Iscariote correspond à l'homme "au couteau", c'est-à-dire l'assassin. Par extension, le Sicaire est également le nom commun désignant les juifs résistants (selon le camp que l'on soutient) contre les Romains comme les Zélotes ou les Galiléens extrémistes. Notons que vers 50 de notre ère selon Flavius Josèphe, ce nom fut donné à la secte des Sicaires, des révolutionnaires opposés à la présence des Romains en Judée, ce qu'on appellerait aujourd'hui des terroristes, qui participèrent activement à la révolte des juifs en 66. Mais si toutes ces références sont historiquement vérifiables, on ne peut pas scientifiquement les relier à Judas l'Iscariote.

En résumé, plus d'un spécialiste estiment que le personnage de Judas l'Iscariote est fictif et cet épisode de la vie de Jésus serait un théologoumène de plus inventé très tôt par l'Église dans le seul but d'appuyer sa doctrine qui consiste à dire que Jésus est un être envoyé par Dieu qui fut trahi par l'un des apôtres afin de se sacrifier et de ressusciter pour sauver l'humanité. Mais de nouveau, on ne peut pas affirmer que c'est une invention de l'Église car déjà dans les plus anciens textes, les quatre Évangélistes surnomment Judas le "traître" et comme nous l'avons expliqué, le "baiser de la trahison" était déjà connu des juifs cinq siècles avant Jésus.

Bref, une fois de plus, les Évangiles sont des textes à vocation théologique et on ne peut pas en tirer des conclusions aussi logiques et concrètes que s'il s'agissait d'un compte-rendu historique. Mais la confrontation du dogme à la science ne s'arrête pas ici et va encore franchir un pas de plus avec la suite des évènements.

Le procès de Jésus devant le Sanhédrin

Jésus devant Anne

Comme nous l'avons évoqué, l'Évangile selon Jean nous dit que Jésus fut immédiatement conduit devant l'ancien grand prêtre Anne (Jean 18:13) pour y être entendu. Jésus était seul, juste suivi par Pierre et probablement à distance par d'autres apôtres qui ont attendu le verdict à l'extérieur en se faisant discrets au risque de subir également le même sort.

Matthieu précise que Pierre suivit Jésus jusqu'à "la cour du souverain sacrificateur" (Matthieu 26:58). Les archéologues se sont demandés où se trouvait cet endroit ?  A partir de 1967, après la Guerre des Six Jours, les archéologues ont entamé des fouilles dans la ville haute de Jérusalem située au sud de la vielle ville, à environ 200 m de la porte de Sion (cf. cette carte). Shimon Gibson notamment découvrit des villas de style hérodien qui furent également fouillées par l'archéologue Nahman Avigad et plus tard restaurées.

Les ruines de la maison hérodienne de 600 m2 datant du 1er siècle de notre ère découverte dans l'ancienne ville haute de Jérusalem mise à jour après la guerre des Six jours, entre 1967 et 1982. A gauche, une vue de la partie gauche du soubassement et du rez-de-chaussée de l'habitation. Au centre, les colonnes du péristyle entourant la cour et le sol recouvert de céramiques. A droite, la cave. Documents du Musée archéologique Whol.

Les habitations mises à jour sont typiques du style s'étalant entre l'époque d'Hérode et la destruction du second Temple en l'an 70, d'où le nom de quartier Hérodien attribué à ce lieu. Parmi les ruines, on a découvert des résidences prestigieusues comprenant une cour centrale et plusieurs étages, indiquant ostenciblement la richesse des notables habitant ce quartier. Ces résidences sont appelées les "manoirs hérodiens" (Hérodian mansons) ou les résidences palatiales tellement leur style et leurs décorations évoquent celles d'un palais. On a également découvert les ruines de l'Arche de Wilson, un pont qui surplombait la vallée de Tyropéon (aujourd'hui comblée, elle séparait la vieille ville du nord au sud) et reliait la zone résidentielle où vivait les marchands aisés ainsi que les prêtres et les serviteurs, au Temple.

Comme on le voit ci-joint, la plus grande de ces résidences a une superficie de 600 m2 et comprend un étage, une cave, deux piscines, de nombreux couloirs, trois terrasses et des dépendances. On y a notamment découvert des objets du culte dont une fresque murale représentant la ménorah du sanctaire. Les spécialistes estiment que cette résidence devait appartenir à un membre important du Sanhédrin. La cour dont parle Matthieu correspond peut-être au hall intérieur à ciel ouvert qui existe toujours dans ce type de maison de haut standing et que l'on voit ci-dessous au rez-de-chaussée dans la partie droite de la résidence. Cette immense habitation fait aujourd'hui partie du Musée archéologique Whol.

Reconstruction de la résidence hérodienne de 600 m2 datant du Ier siècle découverte dans la ville haute de Jérusalem. On reconnaît la cour intérieure sur la gauche et la salle ou hall de réception sur la droite ainsi que la cave voutée. L'entrée est à droite, au premier étage. Documents Leen Rittmeyer.

Le grand prêtre Anne a-t-il existé ? Avant l'occupation romaine, la charge de grand prêtre était héritée de père en fils mais sous l'Empire elle fut attribuée par nomination. Le grand prêtre appelé le sacrificateur est le chef religieux autant que politique de la nation juive représentée par le Sanhédrin mais qui à l'époque de Ponce Pilate n'avait plus aucun pouvoir (voir plus bas). Anne fut nommé grand prêtre en 6 ou 7 de notre ère par le gouverneur romain Quirinius et il occupa cette fonction jusqu’en l'an 15 (Luc 2:2). C'est le procurateur Valerius Gratus, gouverneur de Judée, qui destitua Anne. Bien qu'ensuite il ne fut plus officiellement grand prêtre, visiblement Anne resta influent et un membre honoraire important du Sanhédrin.

Il est fort possible que la grande résidence palatiale fut celle de Anne car sa famille appartenait à la tribu de Lévi qui était connue pour tirer ses revenus des taxes et de la vente d'animaux pour les sacrifices dans le Temple. C'est l'une des raisons qui mit Jésus en colère lorsqu'il qualifia le Temple de "grotte de bandits" (Marc 11:15-17; Matthieu 21:12-13; Luc 19:45-46; Jean 2:13-16). Anne s'opposa probablement à Jésus pour ce fait, ce qui influença peut-être Caïphe, mais également parce que Jésus enseignait la résurrection des morts, un autre blasphème dans l'esprit du Sanhédrin.

Ensuite, selon les Évangélistes Jésus fut conduit devant Caïphe, le grand prêtre sacrificateur du Sanhédrin pour y être jugé. C'est à ce moment là, alors que Pierre attendait dans la cour attenante à la salle d'audience qu'il fut prit à partie et, comme Jésus l'avait prédit, il le renia par trois fois (Luc 22:33-34; 22:54-62). Visiblement Pierre ne s'est pas de suite repenti car plus tard dans la journée il était absent au bas de la croix, probablement parti se cacher en ville avec les autres apôtres.

A gauche, "Le déni de Saint Pierre" par Adam de Coster (1546-1643). Huile sur toile de 107.3x 153.3 cm. Au centre, la pénitence de Pierre peinte par Guido Réni vers 1600 qui en fit de nombreuses versions. Huile sur toile de 62.5x48 cm. Les deux oeuvres appartiennent à des collectionneurs privés. A droite, "Saint Pierre pleurant devant la Vierge" également appelé "Les Larmes de Saint Pierre" peint par Barbieri Giovanni Francesco dit Le Guerchin en 1647. Huile sur toile de 122x159 cm exposée au Musée du Louvre. Notons que la plupart des temps, les auteurs publient uniquement la partie droite plus suggestive.

Jésus devant Caïphe

Le Sanhédrin a-t-il existé ? La réponse est affirmative. Le Sanhédrin est l'équivalent juif de la Cour suprême. A l'époque de Jésus, cette assemblée qu'on appelle également le Grand Sanhédrin se composait de 71 membres issus de l'aristocratie sacerdotale Sadducéenne et Pharisienne. Matthieu notamment nous dit que c'est Caïphe qui assura la fonction de grand prêtre sacrificateur pendant le procès de Jésus.

Caïphe a-t-il existé ? Au cours de travaux d'aménagements publics dans le sud de la vieille ville de Jérusalem, en novembre 1990 des ouvriers ont accidentellement fait effondrer le plafond d'un ancien caveau funéraire. Le site était connu pour avoir constitué une nécropole du Ier siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère. Dans la sépulture, les archéologues ont découvert 12 ossuaires dont un qui était finement ciselé la mention "Yehôsef bar Kayafa" (Joseph fils de Caïphe) sur deux faces (à l'arrière et sur le côté) comme on le voit ci-dessous. Sans pouvoir le certifier, cet indice suggère qu'il s'agirait de l'ossuaire du grand prêtre devant lequel Jésus comparut. L'information est appuyée par l'historien Flavius Josèphe qui désigne ce grand prêtre sous le nom de "Joseph appelé aussi Caïphe" (cf. "Antiquités Judaïques", Livre XVIII, II, 29).

L'ossuaire en calcaire portant le nom "Yehôsef bar Kayafa" pourrait être celui du grand prête Caïphe qui présida l'assemblée du Sanhédrin lors du procès de Jésus.

Une autre découverte confirme son existence. En juin 2011, des archéologues de l'Université Bar-Ilan et de l'Université de Tel-Aviv découvrirent un ossuaire dans la vallée d'Elah portant l'inscription "Miriam, fille de Yeshua, fils de Caïphe, prêtre de Ma'aziah de Beth 'Imri ". Sur base de ce titre, les spécialistes peuvent pratiquement confirmer que Caïphe appartenait bien au corps sacerdotal de Ma'aziah institué par le roi David.

Après la révocation du grand prêtre Anne, trois hommes dont un fils de Anne se succédèrent à cette fonction puis Caïphe devint grand prêtre vers l'an 18. Ponce Pilate, nommé gouverneur de Judée en l'an 26, le maintint dans sa charge durant les dix années que dura son gouvernorat, soit jusqu'en 37.

Ces différents faits sont autant d'indices en faveur de l'authenticité du personnage de Caïphe et donc indirectement du récit du procès de Jésus devant le Sanhédrin et ensuite devant Ponce Pilate.

Si Judas l'Iscariote pensait probablement que Jésus aurait un procès équitable et serait peut-être même libéré, si on en croit ce qu'il avait annoncé aux apôtres durant la Cène, Jésus se doutait qu'il serait condamné pour ses nombreux blasphèmes et indirectement pour la menace qu'il représentait, d'autant plus avant la célébration de la Pâque. Étrangement, selon la Bible Jésus ne s'est pas défendu et n'a pas essayé de s'attirer la sympathie du Sanhédrin ni même éventuellement d'user de diplomatie et de négocier et encore moins de s'excuser. Au contraire, Jésus a répété qu'il était le Fils de Dieu : "Jésus garda le silence, et ne répondit rien. Le souverain sacrificateur l'interrogea de nouveau, et lui dit : Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni? Jésus répondit : Je le suis. Et vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel" (Marc 14:61-62), un blasphème de plus qui rendit Caïphe furieux au point selon Marc qu'il déchira son vêtement. Jésus venait littéralement "d'enfoncer le clou" qui le condamnait.

Mais si Jésus a répondu affirmativement à Caïphe qui interpréta sa réponse comme voulant dire que Jésus se prenait pour une divinité, quand Jésus évoque le "Fils de l'homme", il le dit à la troisième personne comme s'il s'agissait d'une autre personne, ce que Caïphe n'a pas compris. On reviendra sur cette expression et sa signification.

Malgré l'intercession probable de quelques membres du Sanhédrin favorables à Jésus (comme ses amis Joseph d'Arimathie et Nicodème, ce dernier ayant défendu Jésus contre les Pharisiens, cf. Jean 7:47-51), Caïphe jugea Jésus coupable et selon la Loi de Moïse il devait être condamné à mort par lapidation. Mais à cette époque le Sanhédrin n'avait plus ce pouvoir. Jésus fut donc conduit la nuit même devant l'autorité romaine, s'attendant à un verdict de culpabilité comme le souhaitait le Sanhédrin. Le procès eut lieu le jour même, c'est-à-dire le vendredi, le sabbat et veille de la Pâque.

Nous allons voir dans le prochain article que lors du procès de Jésus et sa crucifixion, c'est probablement sa foi aveugle dans sa doctrine et dans la parole des prophètes plus que le jugement de Pilate ou du Sanhédrin qui lui coûteront la vie.

A lire : La condamnation à mort de Jésus

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[1] Le récit de Samuel qui n'est pas réellement un prophète mais un chef de guerre au sens biblique se termine en disant qu'Amasa fut mortellement blessé et abandonné sur le bas-côté de la route tandis que Joab s'en alla commander l'armée d'Israël. Selon la tradition, cela se déroulait au XIe siècle avant notre ère, à l'époque du roi David. L'Histoire nous apprend que ce second livre fut en réalité écrit vers le VIe ou le Ve siècle avant notre ère.


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