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La Bible face à la critique historique

Les gnostiques ont toujours été associés aux mouvements sectaires et aux cultes à mystère. Faute d'être initiée, la société s'en est méfiée.

Les doctrines et les textes gnostiques

Comme nous l'avons expliqué à propos de la constitution des livres canoniques et du Crédo, le christianisme n'est pas apparu du jour au lendemain après la disparition de Jésus ni même un siècle plus tard. Cette religion s'est lentement installée au cours d'un long processus de réflexions et surtout d'oppositions entre les différents mouvements doctrinaux concurrents qui occupaient la scène théologique au Moyen-Orient et en Europe au cours des premiers siècles de notre ère.

Entre la fin du Ier siècle et le IIIe siècle de notre ère, une multitude de mouvements proto-chrétiens se sont développés prétendant être les héritiers de la doctrine de Jésus et de ses disciples mais dont les idées étaient parfois en totale contradiction ou ne reflétaient aucune des idées transmises dans le Nouveau Testament ! En fait, cela commença très tôt dans l'histoire du christianisme primitif car dès le milieu du Ier siècle, Paul de Tarse prit plusieurs fois la plume pour remettre l'église au milieu du village ! On y reviendra à propos de la querelle paulienne et du rôle de Paul dans la foi chrétienne.

Voyons ces principaux mouvements doctrinaux et dans quelle mesure ils se rapprochaient ou s'écartaient de la doctrine proto-chrétienne orthodoxe.

Les Ébionites

Il s'agit d'une communauté chrétienne d'origine juive qui respecte la Loi juive autant que l'enseignement de Jésus, abandonnant toute richesse au profit d'une vie de pauvreté à la manière des premiers disciples de Jésus (cf. Actes 2:44-45; 4:32). Les Ébionites sont donc les défenseurs d'une doctrine hybride qui respecte les règles du judaïsme tout en reconnaissant le Messie en Jésus de Nazareth, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'interprétation du Tanakh et notamment des prophéties.

Comme l'Église de Jérusalem dirigée par Jacques le Juste, les Ébionites respectent les règles du judaïsme autant que Jésus les respectait. Ils sont persuadés que Jésus a été envoyé par Dieu auprès du peuple juif comme l'accomplissement des prophéties.

Seule anicroche aux yeux des Gentils, comme l'exige Jacques le Juste ou son disciple Pierre, les Ébionites exigent également que les païens qui veulent se convertir respectent les règles du judaïsme et notamment la circoncision telle que l'a ordonné Yahvé (cf. Genèse 17:10-14). Mais s'était sans compter sur l'opposition d'un homme de foi influent comme Paul de Tarse qui ne voyait pas l'utilité que des fidèles de culture étrangère adhèrent à la culture juive jusque dans ses moindre détails pour respecter l'enseignement de Jésus. Sa réponse fut donc un non catégorique. Selon Paul, le judaïsme ne peut pas apporter le salut aux hommes à l'inverse de Jésus.

C'est justement cette deuxième pierre d'achoppement qui opposa les premiers chrétiens aux Ébionites : la nature de Jésus. Selon les Ébionites et conformément au judaïsme, il n'existe qu'un seul Dieu. Par conséquent, Jésus n'est pas Dieu ni le Fils de Dieu mais un saint homme désigné par Dieu pour être le Messie, le Christ et auquel il confia la mission de mourir sur la croix pour pardonner tous les péchés du monde. Selon les Ébionites, Jésus n'est pas non plus né d'une vierge mais comme tout le monde, de l'union d'une femme et d'un homme ordinaires.

Les Ébionites mirent leur doctrine par écrit dans un Évangile très similaire à celui de Matthieu mais sans les deux premiers chapitres évoquant la virginité de Marie, livre qui complétera le Tanakh qui resta aux fondements de leur foi.

Ces positions doctrinales contre la divinité de Jésus, la vierge Marie et respectueuses des rites juifs opposeront les Ébionites aux disciples de Paul et bientôt aux chrétiens fidèles à l'enseignement du Nouveau Testament pendant plusieurs siècles. Si Eusèbe de Césarée traita les Ébionites d'hérétiques, Épiphane de Salamine les classa parmi les gnostiques chrétiens dans son "Panarion" écrit vers 375.

Les Marcionites

Au IIe siècle de notre ère, le théologien Marcion de Sinope originaire d'Asie Mineure passa quelques années à Rome avant d'être exclu de la Grande Église et de retourner  fonder des Églises dans plusieurs villes d'Asie Mineure.

Opposé à la doctrine des Ébionites, Marcion partage l'avis de Paul sur le rôle secondaire de la Loi juive et la primauté du rôle messianique de Jésus et son ascendance divine.

Marcion ira encore plus loin que Paul en mettant par écrit dans ses "Antithèses" les différences absolues existant entre le Dieu des juifs et le Dieu des chrétiens, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament. Comme nous l'avons déjà constaté, le Dieu des juifs est un dieu guerrier et vengeur, le plus souvent en colère et qui condamne tous les écarts de conduite de son peuple alors que le Dieu des chrétiens est un Dieu d'amour et de miséricorde qui éprouve de la compassion pour ses fidèles et veut les sauver par le salut.

Marcion arrive à la conclusion qu'il existe deux Dieux : le Dieu des juifs qui créa le monde et détruisit les nations païennes et le Dieu des chrétiens qui, certes n'a pas créé le monde ni vaincu les nations ennemies mais qui en revanche est venu en ce monde pour sauver les humains contre la colère du Dieu des juifs. Jésus est donc mort sur la croix en prenant sur ses épaules toute la colère de ce Dieu juif et tous les péchés des hommes afin que l'humanité échappe au courroux du Dieu vengeur des juifs.

Selon Marcion, Jésus n'est pas un être humain même s'il en a l'apparence; c'est un être divin créé par Dieu. Marcion a trouvé cette idée dans l'Épître aux Romains de Paul qui affirme que Jésus apparaît "dans la condition de notre chair" (Romains 8:3), une doctrine qu'on appelle le docésime (du grec "dokei" signifiant "paraître") et que leurs opposants n'hésiteront pas à critiquer.

Pour diffuser sa doctrine, Marcion compila divers livres sacrés comprenant les dix Épîtres de Paul (toutes celles que nous connaissons sauf les Épîtres pastorales) et une version de l'Évangile selon Luc. Toutefois Marcion reconnaît que son canon est suspect car il se réfère aux livres de l'Ancien Testament, ceux qui sous-entendent que le monde fut créé par l'autre Dieu que celui de Jésus et de Paul. Soupçonnant que des copistes ont interprété les Écritures, Marcion va rédiger sa version personnelle des 11 livres sacrés et éliminer toutes les références à l'Ancien Testament pour ne retenir que les références au Dieu de Jésus.

Mais comme les Ébionites, le petit groupe des Marcionites ne résista pas à la déferlante chrétienne venue de Rome qui rallia à sa cause la majorité des adeptes des doctrines concurrentes, mettant un terme à ces querelles.

Pour mémoire, citons également les Nazôriens et les Esséniens sur lesquels nous reviendrons, le second groupe ayant déjà pratiquement disparu vers 70 de notre ère.

Les gnostiques

Parallèlement aux écrits qui formeront le Nouveau Testament et les manuscrits apocryphes, on découvrit notamment dans le désert égyptien de Nag Hammadi proche de Louxor des manuscrits littéralement cachés prouvant qu'il existe une autre source d'information, et littéralement de "connaissance" au sens premier, celle des gnostiques. Le terme est au pluriel car bien que les experts débattent encore de la question, il existait vraisemblablement  plusieurs mouvements gnostiques dont les idées étaient parfois proches de celles des proto-chrétiens (par exemple sur la nature divine de Jésus) mais parfois très différentes y compris entre les différents groupes gnostiques.

Sans entrer dans les détails de leur doctrine qui sont détaillés dans de nombreuses publications[1], les gnostiques forment des groupes de croyants élitistes prétendant détenir la gnose (du mot grec "gnôsis" signifiant la "connaissance"), le savoir, mais un savoir secret ("logois" en grec) qu'il faut uniquement transmettre à quelques élus.

A l'époque de Jésus, le concept de savoir secret est bien installé dans la mentalité des étrangers et des païens toujours nombreux dans toute la Palestine qui entretiennent de nombreux cultes dits à mystère. Les fidèles prétendent qu'ils entretiennent un contact personnel et privilégié avec leur dieu par le biais de rites secrets réservés aux seuls initiés.

Cette idée du secret est présente dans tous les rites d'initiations de toutes les cultures à travers le monde et perdure encore aujourd'hui dans nos sociétés modernes chez les Cabbalistes (d'origine juive) et les Francs-Maçons notamment dont les membres respectent un secret de nature ésotérique, même si chaque culte, tribu ou obédience propose sa propre définition du secret.

Bien que le mouvement gnostique soit divisé en plusieurs courants de pensées (Ophites, Cainites, Carpocratiens, Borborites) représentés par autant de prédicateurs (dont Simon le Mage, Saturnin, Cérinthe, Valentin, Basilide, Carpocrate, etc.), tous partagent un leithmotiv commun : le thème de la mort et de la vie après la mort.

Le temple d'Apollon à Acrocorinthe (l'ancienne Corinthe), dans le Péloponèse, photographié en 2006 par Clyxyou.

Généralement, ces sectes car tel est bien leur nom, se fondent sur les croyances païennes hellénistiques, la doctrine juive ou celle enseignée par Jésus d'où elles extrapolent leur propre doctrine pour s'opposer aux autres courants religieux. Comme l'a expliqué l'historien Paul Johnson, la plupart des mouvements gnostiques détachaient les concepts théologiques traditionnels de leur origines historiques, ils les assimilaient et les enseignaient sous des formes païennes tout en donnant l'impression d'être une religion tolérante.

Prenons un exemple. Lors de ses missions d'évangélisation à Corinthe, Paul rencontra des membres de l'Église de Colosse réputée pour ses idées étranges, parmi lesquels il y avait des chrétiens vouant un culte aux esprits et aux anges intermédiaires (cf. L'Épître aux Colossiens). Certains gnostiques ont tellement transformé leurs croyances qu'ils fusionnèrent la cosmogonie de Platon avec l'histoire d'Adam et Ève de l'Ancien Testament. Ainsi les Ophites qui vécurent en Syrie vers l'an 100 de notre ère vénéraient le serpent comme l'incarnation de Satan et... maudissaient Jésus !

Pour les gnostiques favorables à l'idée du Christ, le salut des hommes ne vient pas de la résurrection de Jésus mais de la connaissance surnaturelle qu'il enseigna aux hommes : "L'ignorance est esclave, la gnose rend libre" (Nag Hammadi II, 384, 8-11) peut-on lire dans leurs manuscrits.

La doctrine gnostique est métaphysique; elle ne s'intéresse pas au Jésus historique dont le corps de chair n'est qu'une bouffonnerie (voir plus bas) mais plutôt au sens ésotérique et caché de son discours. A l'image du platonicisme, elle considère que le monde d'ici bas y compris les hommes ont été façonnés par un dieu inférieur dénommé le démiurge (le "façonneur" en grec). L'homme étant fait de chair, il doit libérer son âme pour accéder à la plénitude, au royaume de Dieu. Pour les gnostiques, le dieu des juifs est un faux dieu, un charlatan, contrairement au vrai Dieu, ineffable et éternel, qu'ils dénomment parfois "l'Inconnu".

Hyliques, psychiques et pneumatiques

Pour les gnostiques à l'esprit très ésotérique, l'humanité est divisée en trois catégories :

- les "hyliques" (du grec "hylé" signifiant "matière" et par extension "chair"), c'est-à-dire les païens faits de chairs et condamnés à pourrir avec elle. Les traducteurs chrétiens des textes bibliques ont traduit le mot grec simplement par "homme" ou "homme de chair",

- les "psychiques" (du grec "psychikoi" ou "psyché" signifiant "âme"), c'est-à-dire les chrétiens ordinaires qui se laissent abuser par le démiurge. Les traducteurs chrétiens ont traduit le mot grec par "homme sensuel" ou "homme animal" vraisemblablement par référence à "l'homme sensible" de Platon,

- les "pneumatiques" (du grec "pneumatikoi" ou "pneuma" signifiant "l'esprit"), c'est-à-dire les êtres spirituels. Les traducteurs chrétiens ont traduits le mot grec par "corps spirituel" ou "l'Esprit".

Les "pneumatiques" ou hommes spirituels sont les seuls capables de recevoir la gnose transmise secrètement par Jésus à quelques disciples proches, dont Marie-Madeleine, Jean, Jacques, Philippe, Thomas et Judas. Selon l'Évangile de Thomas, un texte apocryphe gnostique, Jésus les a trié sur le volet : "Je vous choisirai un sur mille et deux sur dix mille".

La différence entre les "pneumatiques" et les "psychiques" est plus claire bien que traduite à la manière chrétienne, dans le livre de Jude : "ce sont ceux qui provoquent les divisions, hommes sensuels, n'ayant pas l'esprit" (Jude 1:19) et des Corinthiens : "nous en parlons, non avec des discours qu'enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit, [...] l'homme animal ne reçoit pas les choses de l'Esprit de Dieu" (1 Corinthiens 2:14-15) et plus loin : "Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Le corps est semé corruptible; il ressuscite incorruptible. Il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel." (1 Corinthiens 15:43-46).

Les dérives des gnostiques

Les gnostiques dont Simon le Mage cité dans les Actes des Apôtres (Actes 8:9-25) va jusqu'à réécrire l'histoire, reprenant à son compte la Bible et la mythologie grecque. Ainsi dans sa "Grande Révélation" écrite probablement au IIe siècle par des membres de sa communauté, il prétend que sa courtisane Hélène est la réincarnation d'Hélène de Troie et la mère du Saint-Esprit ! Pour l'évêque Irénée de Lyon (170 de notre ère) c'est plutôt une... prostituée !

Notons que c'est pour cette raison que selon certains experts, la réaction de la communauté de Simon le Mage est un indice suggérant que les gnostiques seraient d'anciens juifs déçus par le Dieu des prophètes de l'Ancien Testament qui les aurait abandonné. Et comme les auteurs de la Torah, ils ont préféré réécrire l'Histoire pour mieux défendre leur Église. Bien que cette théorie ne soit pas dominante, elle est plausible. Néanmoins, sur base de leur doctrine, il paraît plus simple d'y voir plutôt la dérive d'un courant de pensée sectaire issu de la philosophie de Platon enseignée au IVe siècle avant notre ère. En effet, on retrouve chez les gnostiques non seulement le démiurge cher à Platon mais également une allégorie similaire à la caverne de Platon et une interprétation métaphysique du monde proche de sa philosophie. De telles coïncidences ne s'inventent pas.

Illustration datant du XIIIe.s. de saint Augustin réfutant un hérétique (visant notamment les hérésies des gnostiques).

Mais ce qui déclencha par dessus tout l'hostilité des chrétiens et donne encore aujourd'hui une image négative à tout ce qui touche au gnosticisme est le fait que les gnostiques intellectuels se considéraient comme les "vrais chrétiens", qualifiant les fidèles à la Grande Église de "simples", ce qui eut le don d'exaspérer les prédicateurs chrétiens et les Pères de l'Église.

Devant l'augmentation du nombre de gnostiques et des idées fausses qu'ils propageaient ainsi que l'éthique extrême qu'ils revendiquaient, les chrétiens s'y sont vite opposés. C'est Pierre lui-même qui fut le premier à excommunier un chrétien en chassant Simon le Mage de la communauté proto-chrétienne (Simon s'était fait baptisé par Philippe en Samarie et peu après Simon proposa à Pierre d'acheter son don d'imposition de l'Esprit-Saint par les mains. Pierre lui répondit qu'il pouvait périr avec son argent).

Peu après, au cours de sa mission d'évangélisation, à son tour Paul opposa l'amour de Dieu à la connaissance des gnostiques qu'il jugea artificielle et sans valeur : "[Si] la connaissance enfle, c'est l'amour qui édifie. Si quelqu'un s'imagine connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comment il faut connaître; mais si quelqu'un aime Dieu, celui-là est connu de lui" (1 Corinthiens 8:1-3).

Agacés par leurs airs de supériorité et leurs prédications métaphysiques qui se propageaient jusqu'en Égypte, faisant du tord à la Grande Église, les gnostiques et tous ceux partageant de près ou de loin leur doctrine furent bientôt considérés comme "hérétiques" par les Pères de l'Église. C'est en effet l'évêque Irénée de Lyon (fl.130-202) qui utilisa pour la première fois le mot "gnostique" dans son livre "Contre les Hérésies" écrit vers 180-185 pour définir les hérésies. Il faisait ainsi la différence entre la véritable gnose enseignée par la Grande Église et la pseudo-connaissance enseignée par les mouvements alternatifs (hérétiques) comme la dualité manichéiste (les notions de Bien et de Mal) et celle des sectes pseudo-gnostiques.

A sa suite, le théologien Tertullien (fl.160-225) et de nombreux Pères de l'Église latine dont Hippolyte et Épiphane écriront pendant plus de deux siècles des critiques sévères à l'encontre des gnostiques. Tertullien qui était de culture gréco-latine ira même jusqu'à considérer Platon comme "l'épicier" des hérétiques du fait que sa cosmologie évoque le démiurge comme cause de l'origine du monde sensible et considère que l'âme incarnée dans le corps est une dégradation puisqu'elle a oublié toute la connaissance que l'âme possédait préalablement, d'où la nostalgie d'un autre monde.

Parmi les écrits gnostiques antiques cachés, il y a notamment un texte relatant la relation entre Jésus et Marie-Madeleine passé sous silence par l'Église. Que "cache" ce récit qui devait rester secret ?

Le statut des femmes

Nous verrons à propos de Marie-Madeleine que certains textes apocryphes dont l'Évangile selon Philippe suggèrent qu'elle entretenait une relation intime avec Jésus et aurait vécu avec lui. Mais si on consulte le texte grec original de l'Évangile selon Philippe - la seule source valable -, on constate qu'il utilise le mot "κοινωνός" c'est-à-dire "koinonos" signifiant compagnon, c'est-à-dire le masculin de "compagne". Cela implique que même si Jésus semble être proche de Marie-Madeleine, elle n'est pas sa "petite amie" encore moins son épouse, mais plutôt une compagne au même titre que les disciples. Du moins, si on en croit Philippe car l'inscription sur l'un des ossuaires de la tombe de Talpiot laisse penser que Jésus eut un fils prénommé Jude.

Papyrus copte de 7.6x3.8 cm présenté en 2012 par Karen King, historienne à l'Harvard Divinity School sur leqquel il est écrit : "Jésus leur dit : ma femme" ainsi que "elle pourra être ma disciple". Jugé authentique par King, il suggère que Jésus était marié et que les femmes pouvaient être les disciples de Jésus mais il ne prouve pas le mariage de Jésus. Toutefois, Leo Depuydt, égyptologue à l'Université Brown, considère qu'il s'agit d'un faux car un faussaire peut aisément trouver ce type de papyrus et fabriquer l'encre à partir de suie de bougie et d'huile. Il s'étonne aussi que l'auteur soit resté anonyme. Son authenticité reste donc controversée même si d'autres papyri gnostiques évoquent la relation intime (à prendre sur le plan spirituel) de Jésus avec Marie-Madeleine.

L'Évangile de Thomas précise le sens de la relation qu'entretenaient les femmes avec Jésus : "Voici que je la ferai venir à moi afin de la faire mâle, pour qu'elle devienne, elle aussi, un esprit vivant semblable à vous, mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le royaume des cieux" (Logion 114). Aussi, certains spécialistes de la chrétienté y voient un baiser mystique, un symbole initiatique par lequel le couple échange un souffle spirituel par lequel Marie-Madeleine trouvera le salut en devenant la polarité mâle comme précisé dans l'Évangile selon Philippe qui dit clairement que la gnose n'est "pas pour les animaux, ni pour les esclaves, ni pour les femmes souillées, mais pour les hommes libres et les vierges".

Ainsi paradoxalement, les gnostiques ont une idée ambivalente de la femme. D'un côté ils considèrent la femme négativement du fait que c'est une femme, Sophia (la Sagesse en grec), qui donna naissance au démiurge néfaste et étant capable de procréer elle permet au démiurge de perdurer. D'un autre côté, pour rattaper cette catastrophe, Dieu crée le Christ qui permet aux femmes d'accéder au Salut au même titre que les hommes libres. Ainsi à la misogynie propre à la Grande Église se trouve opposé la liberté des femmes (asexuées) d'accéder à des fonctions ecclésiastiques dans l'Église gnostique. Et de fait, plusieurs femmes occuperont des places importantes dans leur hiérarchie, ce qui aura le don d'irriter les Pères de l'Église au point que l'Église romaine les a exclues de sa communauté jusqu'à aujourd'hui.

Si les Évangiles n'en parlent pas non plus, d'autres textes apocryphes expliquent qu'après la mort de Jésus, Marie-Madeleine serait partie prêcher la Bonne Nouvelle en Europe, dans le sud de la France. Mais à part la découverte d'un éventuel reliquaire antique contenant son présumé crâne, l'archéologie reste muette à son sujet.

Dans les textes gnostiques, Marie-Madeleine est donc considérée comme une disciple à part entière et même très influente jusqu'à la mort de Jésus, des textes jugés peu "orthodoxes" qui furent écartés par l'Église dès l'époque d'Irénée au IIe siècle. Il faudra attendre 1969 et le concile Vatican II pour que le pape Paul VI réintègre Marie-Madeleine dans son statut de femme sainte au même titre que les apôtres. On y reviendra.

Le Jésus des gnostiques

Avant d'aborder le Jésus des Évangiles canoniques et tous les sous-entendus que son nom et son enseignement évoquent, rappelons que pour les gnostiques (tous courants confondus), Dieu détient seul le pouvoir de créer des "éons" (de "aiôn" en grec signifiant "éternité", "être divin"), des enfants mâles et femelles. L'un des ces éons est le Christ, un esprit divin descendu sur terre pour sauver les êtres "pneumatiques" (les êtres spirituels choisis).

Pour un gnostique, Jésus et Christ sont deux êtres totalement dissociés comme un homme et son armure. A la demande du Père, Jésus est une enveloppe charnelle et temporaire que le Christ utilisa pendant son séjour dans le monde du démiurge. On reviendra sur ce concept lors de la trahison de Jésus. Jésus n'est pas un intermédiaire entre Dieu et les hommes ni son porte-parole, encore moins son Fils. Le gnostique Cérinthe précise que Jésus est un prophète sur lequel le Christ s'est posé lors du baptême et quitta après la Passion. Le Christ étant un être divin, il n'est pas né des entrailles d'une femme et n'a pas connu la souffrance de la crucifixion. Seul l'homme de chair fut crucifié sur la croix.

Jésus, Fils de l'Homme extrait du "Livre de la Révélation" de Kris Koelle.

D'autres gnostiques seront plus mystiques tel Carpocrate qui considère les apôtres comme des philosophes ou des sages ayant eut la vision du Christ ou Basilide qui imagine que l'Intellect habita Jésus avant de quitter son corps prestement avant la crucifixion.

Enfin, selon les gnostiques le Christ étant un être supérieur, il a trompé le démiurge en lui faisant croire qu'il était mort sur la croix, au point qu'il en ria comme le mentionne l'Apocalypse de Pierre (IIe.s.) découvert à Nag Hammadi où, voyant Jésus crucifié riant sur la croix (qu'il appelle "l'arbre"), Pierre lui demande : "Que vois-je, Seigneur, c'est bien toi-même qu'il ont saisi [...] Et qui est celui-là, qui est heureux et qui rit sur l'arbre [...] Le Sauveur me dit : "Celui que tu vois sur l'arbre est le Jésus vivant. Mais celui dans les mains et les pieds duquel, c'est-à-dire en sa partie charnelle, ils plantent des clous, c'est le substitut livré à la honte, celui qui vint à l'être dans sa ressemblance. Tourne ton regard vers moi et vers lui" (Nag Hammadi VII, 3:81, 4-14).

En résumé, pour les gnostiques Jésus est un instructeur qui enseigne par la gnose comment l'homme peut détacher son Intellect de la matière pour rejoindre le royaume de Dieu. La mission des gnostiques sera donc de rechercher le sens caché des paroles de Jésus, non pas durant son existence, mais après sa résurrection. Le recueil de ses paroles secrètes n'est accessible qu'à une communauté restreinte d'initiés.

Face à cette doctrine métaphysique cultivant le culte du mystère, les chrétiens se sont organisés pour défendre la parole de Jésus-Christ telle qu'elle fut originellement transmises par Paul, plus que par Jacques et ses disciples. On y reviendra à propos de la querelle paulienne.

Notons que les textes gnostiques découverts à Nag Hammadi ont été rassemblés dans les "Écrits gnostiques: La bibliothèque de Nag Hammadi", un livre de 1920 pages publié en 2007 chez Gallimard.

Jésus était-il un gnostique ? 

Finalement, à partir de ces observations peut-on affirmer ou non que Jésus était un gnostique ? À deux occasions, Jésus montra des attitudes qui le rapproche des gnostiques en préférant la "docte ignorance" à la soi-disant érudition des théologiens en choisissant délibérément de ne pas donner de nom à l'innommable. Ainsi lorsque Jésus demande à ses disciplines : "Pour vous, qui suis-je", Thomas refusa de répondre : "Ma bouche ne peut pas dire à quoi tu ressembles". A son tour, quand Ponce Pilate demanda à Jésus "Qu'est-ce que la Vérité", il garda le silence. A d'autres occasions, Jésus affirma avec force de conviction et d'amour  "Je suis", une vérité à la fois simple et mystérieuse dans laquelle chacun peut se retrouver.

Dans l'Évangile de Thomas, l'auteur ou les rédacteurs cachés sous ce nom d'emprunt, bref Thomas, ne prétend pas détenir la Vérité. Il n'est pas d'obédience juive comme Matthieu, peu enclin à consigner tous les miracles comme Marc, bien que païen la Miséricorde ne semble pas le toucher autant que Luc et il n'est pas porté sur le sacré comme Jean. En revanche, Thomas s'intéresse de près à l'enseignement de Jésus, reconnaissant en lui un guide spirituel. Tout adepte qui reçoit son enseignement aquiert le germe d'un homme de connaissance, celui d'un gnostique.

Thomas présente le Christ (il n'est plus Jésus après sa résurrection) comme étant "le vivant" et rappelle que "Celui qui trouvera l'interprétation de ces paroles n'expérimentera pas la mort" (Logion 1). Par conséquent, Thomas considère que Jésus fait partie des leurs, c'est un gnostique qui s'ignore.

Thomas rapporte que Jésus souhaite nous éveiller à notre propre état de conscience, ce que d'ailleurs affirme également l'Évangile selon Jean : "Là où je suis, je veux que vous soyez aussi... l'Esprit que le Père m'a donné, je vous l'ai donné aussi... moi en vous, vous en moi."

A travers des expressions paradoxales et obscurs qu'on pourrait retrouver dans les kaons japonais, dans l'interprétation gnostique Jésus nous invite à prendre conscience de notre nature, à nous libérer des contingences les plus contraignantes. Comme lui, nous devons nous éveiller à la Réalité absolue au coeur même des réalités ordinaires et relatives.

A ce titre, la gnose présente la dualité de la condition humaine : la double conscience de porter notre regard sur l'absurdité du monde et la grâce absolue. Nous sommes à la fois plongé dans la réalité relative de retourner à la poussière et la Réalité absolue de retourner à la Lumière avec l'espoir d'aspirer à l'éveil et la paix infinie. Homme ou femme dans ce monde, pour les gnostiques nous intégrerons nos polarités masculines et féminine dans la nouvelle Réalité de l'Homme total qui unit non pas à partir de ses différences ou de ses manques mais de sa plénitude.

L'Évangile de Thomas nous demande d'être des passants, de "passer" d'une conscience limitée et relative à une conscience illimitée et absolue. Il y a la connaissance relative qu'on acquiert par l'éducation, la culture, l'expérience et nos rencontres et la connaissance absolue, par le "soi-même, le Vivant qui est en nous". C'est c'est forme de connaissance, la gnose, à laquelle (semble) nous inviter Jésus pour que nous devenions comme Lui, non pas de "bons disciples" ou de "bons chrétiens" mais d'autres "christs", des gnostiques, des Éveillés.

Contrairement à ce que pensait Paul sur la connaissance des gnostiques qui "enfle leur ego", la gnose est l'effacement de celui-ci : c'est la transparence face à "Celui qui Est", la simplicité et l'innocence, tels les traits de "l'enfant de moins de 7 jours", ceux de "l'inconditionné".

Retrouve-t-on le portrait de Jésus des Évangiles canoniques dans cette description plus ésotérique que rationnelle ? Certainement pas ! Mais la différence se situe moins dans le personnage de Jésus qui reste mystérieux voire inaccessible que dans la façon dont nous a été présenté son enseignement. En effet, aujourd'hui nous pouvons lire l'Évangile de Thomas comme les Évangiles canoniques sans adopter une attitude dualiste et sans mystère, en ne considérant pas l'Évangile de Thomas comme "supérieur" à ceux du Nouveau Testament. Nous n'avons ni à craindre les hérésies ni les mauvaises interprétations et les contradictions d'une Église ou d'une autre. À travers cet ensemble d'évangiles, on pourrait percevoir le seul évangile authentique, celui qui permet de voir le Christ à "l'intérieur de vous et à l'extérieur de vous", comme autant de dimensions historiques et spirituelles d'un personnage qui transcende le temps à l'écoute non pas des initiés mais de tous ceux qui comprennent son message qui nous offre toujours matière à méditer.

Vers le New Age

Que sont devenus  les gnostiques ? Au sens strict, ces mouvements n'ont pas subsisté à la déferlante des grandes religions monothéistes et des philosophies orientales. Néanmoins, bien que très marginal, le mouvement gnostique continua d'exister au Moyen-Âge où saint Augustin d'Hippone notamment vit sa réminiscence dans le Manichéisme (dont il fut quelque temps un adepte) et qu'il critiqua brièvement dans ses "Confessions" (Livre III, ch.VI; ch.VII, ch. X).

Des relents de gnosticisme perdurent encore aujourd'hui sous diverses formes de doctrines et traditions "New Age" qui ont tendance à recueillir plus de membres en période de crise et de désillusions pour citer les adeptes du mouvement Urantia dont le gourou a réécrit la Bible (Le Livre d'Urantia) entre 1925 et 1955 et les clubs d'amateurs d'ésotérisme et d'occultisme qui voient une réalité dans des romans comme le "Da Vinci Code" de Dan Brown (2003) porté sur le grand écran en 2006 par Ron Howard avec le succès que l'on sait. On y reviendra dans l'article consacré à Marie-Madeleine.

Venons-en à présent à l'histoire de Jésus. Nous tenterons de décrypter son attitude et sa doctrine et les relations qu'il entretenait avec les Juifs et les Romains dans les prochains articles en commençant par sa conception et sa naissance.

A lire : La venue du Messie

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[1] Pour plus d'informations sur les gnostiques, consultez le site Le gnosticisme et les encyclopédies en ligne (Britannica, Universalis) mais vous n'y trouverez aucun secret révélé si tant est il en existait. Parmi les ouvrages les plus complets sur les gnostiques lire, Collectif, "Écrits gnostiques: La bibliothèque de Nag Hammadi", Gallimard, 2007 - Karen King, "What is Gnosticism ?", Harvard University Press, 2003 - Michael Williams, "Rethinking Gnosticism: An Argument for Dismantling a Dubious Category", Princeton University Press, 1996.


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