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La Bible face à la critique historique

Document T.Lombry.

Bible hébraïque et bible chrétienne (I)

Les principales religions monothéistes (judaïsme, christianisme et Islam) plongent leurs racines au plus profond de la bible hébraïque, la Torah ou Pentateuque, que les chrétiens appellent par facilité l'Ancien Testament (nous verrons qu'il contient plus que les cinq livres de la Torah). Seul le judaïsme a conservé ses traditions ancestrales pour des motifs divers que nous développerons dans les autres articles de ce dossier.

En revanche, le christianisme se fonde essentiellement sur les paroles du Christ rapportées dans les livres apostoliques du Nouveau Testament et sur le Crédo défini par l'Église, sur lesquels nous reviendrons.

L'Islam qui est également la religion la plus récente des trois et qui traduisit le plus tard certains passages de la Torah s'est progressivement écartée de ces textes sacrés pour fonder sa propre théologie. Le Coran ne fait que partiellement référence à l'Ancien Testament, il en dénature aussi le sens et cite très peu de versets bibliques. Dans cet article nous nous focaliserons donc uniquement sur les textes de la Bible tels que transmis par les traditions judéo-chrétiennes.

Le mot "Bible" désigne l'ensemble des textes sacrés chrétiens, les fameuses Saintes Écritures comme on les appelait jadis et que certains assimilent à une bibliothèque de livres. De fait, le mot "Bible" vient du grec "σα βιβλία" ("ta biblia") signifiant "les livres".

Après deux mille ans d'existence, la Bible suscite toujours autant d'intérêt et représente l'ouvrage le plus vendu au monde. Elle fut imprimée à plus de 1.5 milliard d'exemplaires entre 1800 et 1950 et 25 millions d'exemplaires sont vendus chaque année, ce qui représente au total plus de 6 milliards d'exemplaires vendus. En parallèle, l'association protestante internationale des Gédéons (ou Gideons) fondée en 1899 a offert plus de 2 milliards de bibles, parmi lesquelles nous verrons que certaines versions sont disponibles gratuitement en ligne. La Bible est traduite dans quelque 1300 langues dont 1185 langues pour le Nouveau Testament (cf. les statistiques).

Pour les juifs, la bible hébraïque se limite à ce que les chrétiens appellent l'Ancien Testament moins quelques livres propres au canon chrétien puisque les juifs nient la nature messianique et divine de Jésus. On expliquera pourquoi. Par conséquent, à l'inverse des chrétiens, pour les juifs le Nouveau Testament ne fait pas partie de leur corpus doctrinal et ne représente qu'un livre vénéré par les chrétiens. Quant à l'Ancien Testament, il ne remplace pas le Tanakh (voir plus bas) et certainement pas la Torah qui rassemble les cinq livres fondateurs de leur théologie et de leur Loi.

En fait, chaque religion et chaque confession dispose de ses propres livres sacrés, chacun pouvant être décliné en différentes versions plus ou moins littérales (traduites mot pour mot) ou interprétées et simplifiées.

La bible hébraïque ou Tanakh

Dans le judaïsme, la doctrine repose sur deux types de lois : la Loi écrite (Tōrā sheBikhtāḇ ou simplement la Torah ou le Pentateuque) transmise selon la tradition par Dieu à Moïse et la Loi orale (Tōrā sheBeʿal Pe) transmise par la tradition et représentée par les écrits rabbiniques de la Mishna ainsi que les Talmuds (Talmud de Babylone et Talmud de Jérusalem).

La Torah qui signifie "insructions" comprend 5 livres sacrés : la Genèse (Berēshīṯ signifiant "Au Commencement"), l'Exode (Shemōṯ signifiant les "Noms"), le Lévitique (Vayyiqrā signifiant "Et il appela"), les Nombres (Bamiḏbar signifiant "Dans le désert") et le Deutéronome (Devarim signifiant les "Paroles"). Selon la tradition rabbinique, ce corpus théologique contient 613 commandements et constitute la Loi écrite (Tōrā sheBikhtāḇ).

La Torah fut ensuite complétée par divers livres sacrés pour former ce que les Occidentaux appellent la bible hébraïque. Elle comprend des textes antiques sacrés qui racontent l'histoire du peuple juif depuis l'époque des Patriarches et des Hébreux jusqu'à la fondation du judaïsme par les Israélites et les enseignements qui en découlent. Comme nous l'avons évoqué ci-dessus, elle représente également une histoire universelle dans la mesure où la Bible apporta un message d'inspiration divine aux autres nations.

Les différents livres sacrés qui composent la bible hébraïque furent écrits originellement en proto-hébreu et occasionnellement en araméen pour certains versets des livres d'Esdras (4:8-6:18, 7:12-16), Daniel (2:4b-7:28) et Jérémie (10:11). Selon la tradition, ils contiennent la parole de Dieu transcrite par les scribes et les prophètes. Cet ensemble de livres est appelée Tanakh en hébreu, l'acronyme des mots Torah (la Loi ou Pentateuque constitué de 5 livres sacrés formant le coeur du judaïsme, symbole T), Nevi'im (les Prophètes, symbole N) et Ketouvim (les autres Ecrits, symbole K). Au total, la bible hébraïque ou Tanakh comprend 24 livres, les 12 "petits prophètes" notamment étant réunis en un seul livre. On y reviendra à propos du canon de l'Ancien Testament.

A lire : La Torah en hébreu - Bible Français-Hébreu - La Bible en grec

Talmud de Babylone - Talmud de Jérusalem

Ci-dessus à gauche, la première page du livre de la Genèse ("Bereshit" ou "בראשית" en hébreu, signifiant "Au commencement") de la bible hébraïque (Tanakh) complétée par des commentaires rabbiniques. Elle fut imprimée à Venise vers 1546-48 chez l'imprimeur Daniel Bomberg. A droite, une page du Devarim (signifiant "paroles") ou Deutéronome (signifiant "seconde loi" en grec). La version utilisée dans les synagogues peut-être reliée dans une édition moderne mais la synagogue abrite toujours une version transcrite à la main sur un rouleau, la Torah (ou Sefer Torah, c'est-à-dire la copie des Cinq Livres de Moïse contenant le Pentateuque ou la Loi juive) comme illustré ci-dessous. Documents de la collection biblique Elizabeth Perkins Prothro, Holy Language Institute et adaptation par l'auteur.

A l'inverse de la liturgie chrétienne où toutes les pages de la Bible peuvent être prises et lues au hasard sans référence au calendrier (bien que les officiants respectent les fêtes chrétiennes et les sacrements et essayent de trouver des extraits correspondants dans la Bible dite liturgique), dans la tradition juive la lecture de la Torah obéit à un rite strict défini il y a plus de deux mille ans, après la destruction du premier Temple de Jérusalem. Ainsi, dès le retour de l'exil à Babylone sur lequel nous reviendrons, les massorètes (les gardiens de la tradition juive) ont divisé la Torah en "parasha" ("exposé" en hébreu), c'est-à-dire en unités de textes indépendantes de la numérotation des chapitres et des versets. Ces distinctions ont ensuite été marquées dans le texte (section ouverte ou fermée). Afin que les fidèles lisent tous les "parasha" au cours de l'année, la lecture de la Torah fut divisée en 54 sections hebdomadaires ou "sidrot" et 669 sous-sections classées en fonction de leur unité narrative ou de pensée.

La Torah inclue dans la bible hébraïque est également considérée comme la loi écrite du peuple juif. En effet, dans le cas de l'État d'Israël, il n'existe pas de constitution formelle mais un ensemble de lois cadres s'appliquant à différents domaines de la société. Ainsi, en matière religieuse, il existe la Loi juive ou "Halakha" basée sur la Torah et qui a force légale en Israël au même titre que les lois laïques. La Torah contient également les interprétations et commentaires écrits des textes sacrés, les Talmuds de Jérusalem et de Babylone (qu'on regroupe sous le nom générique de Talmud) dont il existe une interprétation orale transmise par les Rabbanim qui aborde des questions plus générales (droit civil et matrimonial, éthique, médecine, génie, mythes, etc.).

On reviendra sur la bible hébraïque "standard" à propos du Codex de Léningrad et du Codex d'Alep.

La bible chrétienne

Pour les chrétiens, la bible hébraïque de référence est la Bible des Septante écrite en grec qui remonte au IIIe siècle avant notre ère suite à la demande du roi Ptolémée II. Nous ne disposons malheureusement que de quelques fragments de manuscrits datant entre grosso-modo 150 avant notre ère et 150 de notre ère plus de nombreux fragments datant du IVe siècle de notre ère. Nous verrons à propos de la transmission de la Bible, que la bible hébraïque et la Septante servirent de référence à saint Jérôme pour la rédaction de la Vulgate, la première bible en latin publiée à la fin du IVe siècle de notre ère, d'où furent adaptés un certain nombre de bibles catholiques à partir du XVIe siècle. On y reviendra.

Bible Vulgate réalisée par les théologiens de l'Université de Paris vers 1250 à partir des traductions de saint Jérome. Il s'agit de manuscrits enluminés sur vélin. La page de droite est la première page de la Genèse. Le premier mot du paragraphe est appelé l'Incipit dont la première lettre est enluminée. Il s'agit du "I" dans la phrase "In principio creavit Deus caelum et terram" (Genèse 1:1 en latin). Document de la collection de l'Abbaye Sainte-Marie de Fulda

L'ordre et le nombre de livres contenus dans la bible chrétienne est différent de celui de la bible hébraïque, de la Septante et de la Vulgate.

La bible chrétienne contient bien sûr le Nouveau Testament qui relate la vie de Jésus et son enseignement par les apôtres et quelques disciples. Les livres sacrés les plus importants du Nouveau Testament sont les quatre Évangiles. Viennent ensuite les Actes des Apôtres qui relatent l'histoire des premiers disciples de Jésus durant les premières années qui suivirent sa mort et sa résurrection. Les Actes furent écrits par le même auteur que celui qui rédigea l'Évangile selon Luc. Puis il y a les Épîtres. Nous possédons 21 lettres adressées à certaines Églises ou peuples par Paul (13), Jean (3), Pierre (2), Jacques (1), Jude (1) et une anonyme (1) qui relatent surtout leurs missions d'évangélisation. Enfin, il y a l'Apocalypse (de Jean) ou livre de la Révélation. On reviendra sur les auteurs et la datation de ces livres à propos de la constitution des livres canoniques.

Tous ces textes furent réarrangés sous une forme dite canonique définie par les Pères fondateurs de l'Église durant les premiers siècles du christianisme. Par la suite, l'Église catholique y ajouta les neuf livres deutérocanoniques de l'Ancien Testament (le livre de la Sagesse, l'Ecclésiastique (le Sirac ou Siracide), les livres de Tobie et Judith ainsi que les passages en grec extraits de la Septante des livres d'Esther, Baruch, Daniel et des Maccabées).

Sur le plan dogmatique, pour les chrétiens le statut de la Bible est assez complexe car il dépend des confessions. Après de nombreux conciles, en 1054 l'Église orthodoxe copte d'Alexandrie et ses Églises servantes se séparèrent de la Grande Église de Rome. Le Crédo de chacune fut adapté en conséquence mais elles ont conservé les mêmes livres sacrés. On y reviendra. Puis en 1517, le théologien allemand Martin Luther dénonça les travers de l'Église catholique romaine (celle qui est encore aujourd'hui symbolisée par le Vatican) dans un document intitulé "Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum" (Dispute sur la puissance des indulgences), mieux connu sous le nom des "95 thèses". Suite à cette dispute théologique, un schisme se produisit entre les Églises catholique et protestante qui eut également des effets sur les éditions de la Bible.

En résumé, la bible chrétienne catholique comprend l'Ancien Testament constitué de 34 livres (dont les Livres des Rois et les Chroniques divisés chacun en deux livres) écrits en hébreu ou comprenant des passages en araméens. Elle comprend les 5 livres du Pentateuque (la Torah), les 8 livres Historiques, les 5 livres poétiques ou sapientiaux et les 16 livres des Prophètes auxquels s'ajoutent 9 livres deutérocanoniques (dont les deux livres des Maccabées) et les 27 livres du Nouveau Testament (dont parfois plusieurs Épîtres aux mêmes destinaires), soit un total de 70 livres pour la bible catholique mais 81 livres pour la bible orthodoxe.

La bible protestante fut publiée après la Réforme luthérienne. Les 27 livres du Nouveau Testament furent traduits du grec en allemand et publiés pour la première fois en 1522 tandis que les 39 livres de l'Ancien Testament (les livres en deux volumes sont séparés) furent traduits du hébreu en allemand et publiés pour la première fois en 1534. La bible protestante comprend 66 livres.

La plus connue de ces bibles protestante est la King James Version alias KJV (la Bible du Roi Jacques) publiée en 1611 à la demande du roi Jacques VI d'Écosse et Ier d'Angleterre.

Jusqu'à la fin des années 1970, la bible protestante et des autres églises réformées ne comprenait pas les livres deutérocanoniques de l'Ancien Testament qui étaient uniquement repris dans les bibles catholique et orthodoxe. Les protestants les ont classés parmi les "apocryphes" car selon Luther, leur authenticité n'est pas établie (comme le statut du Pape n'est pas reconnu par les Protestants du fait que selon eux il n'y est pas fait explicitement référence dans le Nouveau Testament malgré le statut particulier que Jésus attribue à l'apôtre Pierre).

Le "Livre de la Sagesse" ou "Livre de Salomon" n'est pas repris dans les bibles chrétienne et protestante ni dans le canon des écritures hébraïques. Il figure uniquement dans la version grecque de la Bible des Septante et dans certaines versions de la Vulgate.

Enfin, le livre des Maccabées fut exclu de la bible protestante mais uniquement des versions publiées à partir du XVIIIe siècle. On y reviendra à propos de la constitution du canon.

A gauche, une page de la Première Épître aux Corinthiens (Cor 14:33-40) du Codex Fuldensis de Tertullien écrit vers 546-547 basé sur la Vulgate. C'est le plus ancien Nouveau Testament complet que nous possédons. Cette page est particulière car comme l'explique le Centre d'Etudes du Nouveau Testament d'Amsterdam (ACNTS), la note en bas de page se réfère à une correction au chapitre 14 : les versets 36-40 ("an a vobis ... secundum ordinem fiant", c'est-à-dire "Est-ce de chez vous... et avec ordre") doivent s'insérer avant le verset 34 ("mulieres in ecclesiis taceant...", c'est-à-dire "que les femmes se taisent dans les assemblées..."). Au centre, le psautier de Luttrell rédigé vers 1320-40 ouvert à la page 23-24 sur la description de la récolte du blé mûr ( ff. 172v-173r, Psaume 95:12). Document British Library (réf. MS 42130). A droite, une page enluminée d'un autre psautier (MS BX2033.A00) datant de 1450 appartenant à l'Université St Andrews en Ecosse.

Toutefois, nous verrons plus bas que les dernières versions de la bible protestante éditée en anglais qui sont en fait une suite de révisions de la KJV ont tenu compte de la pluralité des confessions et des découvertes récentes et ont intégré les livres deutérocanoniques comme la New Revised Standard Version (NRSV ou NRSA) publiée en 1989, alors que la Holy Bible NIV de 1979 ne les reprend pas. Ces bibles sont aussi connues dans les pays anglo-saxons que la Bible de Jérusalem ou celle de Segond l'est en francophonie. On reviendra sur le contenu de chacune de ces bibles.

Pas une mais des bibles

1. Les bibles traditionnelles

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ?, pourrait-on résumer la situation en voyant l'éventail des bibles. En effet, si le lecteur francophone souhaite acheter la Bible (comprenant l'Ancien Testament et le Nouveau Testament), il risque d'être déçu en constatant qu'il n'existe pas une seule version de la Bible mais plusieurs ! Comment est-ce possible ?

Si on écarte les éditions disponibles en différents formats et reliures y compris en facsimilé, la Bible a été déclinée en différentes versions françaises ou traductions pour deux raisons. D'abord parce qu'aucune langue ni aucun traducteur ne peut prétendre réaliser une traduction parfaite et harmonieuse (littérale tout en étant claire) des textes originaux écrits en hébreu, araméen ou grec. En effet, chaque communauté religieuse et même chaque Église a imposé sa propre interprétation de certains mots, graphies et tournures de phrases.

Ainsi si on pose la question à trois traducteurs biblistes ou des religieux respectivement chrétien, juif et musulman ce qu'ils comprennent et comment ils traduisent des mots apparemment simples comme "foi", "commandement" et "soumission", chacun va l'interpréter différement en fonction de sa doctrine et de sa culture et nous savons qu'à ce jeu combien la langue française est subtile. Finalement, les traducteurs comme les érudits ont admis depuis longtemps que ces mots sont intraduisibles.

Quant aux mots comme "serviteur" et "fiancée", leur traduction varie selon les cultures et les époques. Selon le contexte ou la culture, un serviteur est synonyme d'employé de maison ou d'esclave et une fiancée est synonyme de femme non mariée promise à son futur époux ou d'épouse. Ce sont des statuts sociaux très différents voire opposés. Or ce sont des mots très courants qui en principe ne devraient pas prêter à confusion. Il a donc fallu trouver des traductions "neutres" faisant consensus.

Enfin, pour la traduction du tétagramme YHWH, le traducteur est libre de respecter ou non la recommandation de Rome dans le no.41 de l'Instruction "Liturgiam authenticam" publiée en 2001 qui demande de faire preuve de fidélité "en se conformant à une tradition immémoriale" et le traduire par l'équivalent du mot latin "Dominum" (donc Dieu en français et God en anglais), et aucun autre nom. Bien sûr le clergé des confessions non catholiques est d'un autre avis. On y reviendra à propos des noms de Dieu.

Bref, quand on sait que la Bible contient plusieurs centaines de milliers de mots et des milliers de contextes particuliers, la tâche des traducteurs n'est pas évidente. On y reviendra.

Enfin, chaque Église a également décidé unilatéralement de supprimer certains passages ou livres (c'est toute la question de fond autour de la définition du canon et du Crédo). Tout ceci explique la raison pour laquelle il existe au moins 26 traductions françaises de la Bible.

Avant de décrire les principales bibles, pour avoir une idée concrète de ce qui différencie ces versions, nous avons repris un extrait de l'Épître aux Philippiens 2:6-7 dont voici les traductions de référence originales (à l'exception de la française) :

- En grec : "[Χριστός] ὃς ἐν μορφῇ Θεοῦ ὑπάρχων οὐχ ἁρπαγμὸν ἡγήσατο τὸ εἶναι ἴσα Θεῷ, ἀλλ' ἑαυτὸν ἐκένωσε μορφὴν δούλου λαβών, ἐν ὁμοιώματι ἀνθρώπων γενόμενος,[...]" (notons que certains anciens navigateurs Internet n'affichent pas les caractères grecs accentués. Sans accents, le texte est : [Χριστος] ος εν μορφη Θεου υπαρχων ουχ αρπαγμον ηγησατο το ειναι ισα Θεω, αλλ εαυτον εκενωσε μορφην δουλου λαβ ων, εν ομοιωματι ανθρωπων γενομενος,[...]).

Ce texte original ayant été repris dans toutes les versions, il n'y a aucune différence entre les textes Byzantin, Alexandrien, de Stephens de 1550, de Scrivener de 1894 ou avec la version contemporaine.

Notons que le texte grec utilise le mot "δούλου" ("doulou" dérivé de "doulos") employé par opposition avec un homme libre et qu'on traduit généralement par "esclave" mais aussi par "serviteur" et nous verrons que les traducteurs ont souvent hésité entre les deux mots.

- En Latin (Vulgate) : "[Kristus] qui cum in forma Dei esset non rapinam arbitratus est esse se aequalem Deo sed semet ipsum exinanivit formam servi accipiens in similitudinem hominum factus et habitu inventus ut homo [...]". Saint Jérôme utilise le mot "servi" qui pris isolément signifie "esclave" mais dans cette phrase il signifie "celui qui sert", le "serviteur".

- En français (trad. personnelle) : "[Le Christ] lui qui est de nature divine, il ne pensait pas revendiquer l'égalité avec Dieu, mais il a pris la forme d'un serviteur, en devenant semblable aux hommes. Reconnu comme un homme, [ ... ]."

Voici un bref aperçu des différentes bibles et de leurs versions de ce passage :

La Bible de Jérusalem publiée par les éditions Le Cerf de 1979 ouverte sur une page de l'Évangile selon Marc. Document T.Lombry.

- La Bible de Jérusalem : BJ en abrégé, elle doit son titre aux travaux des Dominicains (les frères Prêcheurs) de l'Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF). Une équipe de 31 traducteurs pour l'ensemble des livres bibliques complétée par une bonne dizaine de collaborateurs et réviseurs ont participé à sa compilation.

Comme toutes les bibles catholiques, elle comprend tous les livres deutérocanoniques (de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament).

Publiée pour la première fois en 1955, les révisions furent reprises par les éditions Le Cerf. La dernière révision date de 2016 et est assez différente de celle de 1979 ou 1973. Si quelques théologiens sont déçus par la dernière édition, la plupart des biblistes considèrent que cette version est dans son ensemble la meilleure traduction française de la Bible.

Cette version est proposée dans différentes reliures et formats, souvent sans illustrations (l'édition de 1979 est illustrée de dessins antiques et modernes la rendant moins austère) et avec ou sans annotations et/ou commentaires (bible d'étude, voir plus bas), permettant dans ce dernier cas une analyse détaillée des textes.

Extrait de la version de 1979 : "Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme homme, [ ... ]".

Extrait de la version de 1998 : "Lui qui est de condition divine n'a pas revendiqué son droit d'être traité à l'égal de Dieu mais il s'est dépouillé prenant la condition de serviteur. Devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme [ ... ]".

- La Traduction Oecuménique de la Bible : TOB en abrégé, est comme son nom l'indique une bible interconfessionnelle. Elle fut publiée par la Société biblique française et les éditions Le Cerf et révisée en 1988 et 2010. Elle résulte de la collaboration de deux Églises chrétiennes à travers un traducteur catholique et un protestant pour chacun des livres. Elle intègre tous les livres canoniques et deutérocanoniques des deux confessions. La qualité de ses notes est particulièrement exemplaire et se rapproche de la Bible de Jérusalem. Sa qualité oecuménique en fait une bible de référence bien qu'elle s'écarte de la traduction littérale (du mot à mot).

Extrait : "lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie à saisir d'être l'égal de Dieu. Mais il s'est dépouillé prenant la condition de serviteur devenant semblable aux hommes et, reconnu à son aspect comme un homme".

- La Bible en français courant : il s'agit également d'une Bible oecuménique. Rédigée par une équipe interconfessionnelle, les dernières révisions datent de 1982 et 1997. Cette bible s'adresse réellement au grand public car la traduction an langage moderne a été faite par "équivalence fonctionnelle" ou dynamique, c'est-à-dire que les traducteurs ont veillé à ce que le sens de chaque verset soit le plus évident possible, privilégiant la signification contextuelle à la traduction littérale. Cette bible comprend peu de notes et existe également avec ou sans les livres deutérocanoniques. Une version deutérocanonique avec introduction et notices en marge intitulée "La Bible expliquée" fut publiée par la Société Biblique Francaise en 2004 et révisée en 2008.

Extrait : "Il possédait depuis toujours la condition divine mais il n'a pas voulu demeurer de force l'égal de Dieu. Au contraire, il a de lui-même renoncé à tout ce qu'il avait et il a pris la condition de serviteur. Il est devenu homme parmi les hommes, il a été reconnu comme homme".

- La Nouvelle Bible Segond : NBS en abrégé, révisée en 2002, il s'agit de la traduction de la bible protestante par le pasteur Louis Segond publiée en 1851 et sous sa forme complète en 1880. Cette version est disponible avec ou sans annotations, en version classique ou d'étude.

La Bible Segond 21 "Archéo" publiée par la Société biblique de Genève en 2015 ouverte sur une page de l'Évangile selon Marc.

Document T.Lombry

Comme la bible hébraïque ou la bible anglaise NIV, cette bible protestante ne comprend pas les livres deutérocanoniques de l'Ancien Testament (livres de Tobie, Judith, Esther, Maccabées, de la Sagesse, L'Ecclésiastique et certains passages de Baruch), en revanche après quelques hésitations elles comprennent tous les livres du Nouveau Testament, Épîtres et Apocalypse compris.

Jusqu'en 1978, malgré ses révisions, la Bible Segond souffrait d'un style très XIXe siècle avec ci et là des tournures de phrases assez  lourdes comme on peut le constater avec cette version en ligne de 1910.

C'est la raison pour laquelle, après douze ans de travaux, une version "Nouvelle Segond 21" fut publiée en 2007, le nombre "21" faisant référence au XXIe siècle. Aujourd'hui la Bible Segond 21 est la version la plus répandue sur Internet et une bible classique en francophonie.

Extraits de la version de 1978 et de la version en ligne (saintebible.com) :  "lequel, existant en forme de Dieu, n'a point regardé comme une proie à arracher d'être égal avec Dieu, mais s'est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes [... ]".

Extraits de la version de 2002 : "lui qui était vraiment divin il ne s'est pas prévalu d'un rang d'égalité avec Dieu, mais il s'est vidé de lui-même en se faisant vraiment esclave en devenant semblable aux humains reconnu à son aspect comme humain [ ... ]".

Extraits de la version Segond 21 (2005 et 2016) : "lui qui est de condition divine, il n'a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver, mais il s'est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. Reconnu comme un simple homme, [ ... ]".

La Bible du Semeur : BDS en abrégé, fut publiée en 1992 sur base des traductions proposées par le théologien Alfred Kuen sous la forme d'autant de fascicules qu'il y a de livres bibliques. Sa publication a été reprise par les éditions Exelcis qui publia la première version en 2002 et la réimprime régulièrement. Voici la version en ligne.

La Bible du Semeur est une bible évangélique protestante rédigée sous les auspices de la Société Biblique Internationale. C'est une bible à équivalence fonctionnelle qui privilégie donc la signification contextuelle. Révisée en 2015, la Bible du Semeur inclut de nombreuses modifications au niveau linguistique afin de rendre le texte plus proche du français contemporain et de rendre le sens de l’original de manière plus précise et plus claire, quitte à s'éloigner un peu plus que les autres versions du texte original, ce qui est un inconvénient pour une analyse critique dans sa version d'étude (voir plus bas).

Extrait : "Lui qui était de condition divine, ne chercha pas à profiter de l’égalité avec Dieu, mais il s’est dépouillé lui-même, et il a pris la condition d’un serviteur en se rendant semblable aux hommes : se trouvant ainsi reconnu à son aspect, comme un simple homme, [...]".

- La Bible. Nouvelle Traduction : publiée originellement en 2001 aux éditions Bayard sous la direction de l'écrivain Frédéric Boyer, elle fut traduite par les exégètes Marc Sevin et Jean-Pierre Prévost mais est originellement basée sur six années de travail d'une cinquantaine de traducteurs. Le but de cette version était de moderniser le vocabulaire de la bible catholique afin de rendre le texte moins rigoureux et moins austère tout en respectant du mieux possible des expressions originales, à quelques mots près. Cette bible est l'une des plus épaisses avec 3186 pages au format 18x22x6.7 cm. Cette version est régulièrement réimprimée.

Extrait : "Lui-même forme de Dieu n'a pas pourchassé l'égalité avec Dieu lui-même s'est vidé a pris forme d'esclave est devenue copie humaine [... ]".

- La Bible Chouraki est une version entièrement rédigée par l'auteur juif André Chouraki qui traduisit les textes originaux juifs et grecs sans leur donner la moindre interpétation. Sa bible fait ressortir le style original de la syntaxe hébraïque ou le cas échéant les origines araméennes du texte. Le résultat est une bible au style atypique qui peut désorienter comme susciter la curiosité. L'écrivain et homme politique André Malraux la qualifia de "grandiose aventure de l'esprit". La première édition date de 1985, la dernière de 2007 aux éditions Desclée de Brouwer.

Extrait : "lui, qui subsistant en forme d'Eiohîms n'a pas estimé un butin le fait d'être égal à Elohîms mais il s'est vidé lui-même, pour prendre forme d'esclave devenant à la réplique des hommes, et, par l'aspect, trouvé comme un homme [...]".

La Bible du chanoine Crampon (1850), une Vulgate Clémentine. La couverture est recouverte d'argent et d'une croix en or.

- La Bible Osty : publiée aux éditions Rencontres en 1970 sous forme de 22 fascicules puis rassemblées aux éditions du Seuil en 1973, il s'agit d'une bible catholique traduite du hébreu et du grec par le chanoine sulpicien Emile Osty (qui participa également à la traduction de la Bible de Jérusalem) en collaboration avec l'abbé sulpicien Joseph Trinquet. Si la traduction qui s'échelonna sur 25 ans fut qualifiée de "remarquable", cette version contient des annotations parfois peu objectives et discutables.

Extrait : "Lui qui, subsistant en forme de Dieu, n'a pas estimé comme une usurpation d'être égal à Dieu, mais il s'est anéanti, prenant forme d'esclave, devenant semblable aux hommes. Et par son aspect reconnu pour un homme [...]".

- La Bible Crampon : traduite en 1894 par le chanoine Auguste Crampon et disponible tout d'abord en édition bilingue (latin de la Vulgate et français), elle fut révisée en 1904 et en 1923. A l'époque, elle fut considérée comme la bible catholique de référence jusqu'à ce qu'elle soit occultée par les versions plus modernes, en particulier la Bible de Jérusalem et la Traduction Oecuménique de la Bible. La Bible Crampon fut reproduite en facsimilé argenté. Elle est à présent disponible en un seul volume et uniquement en français mais il s'agit toujours d'une réimpression de l'édition de 1923.

Extrait : "Bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui [... ]".

Notons qu'en 2022, une nouvelle édition de la Bible Crampon fut proposée "en gros caractères taille 18" et 6 volumes de plus de 500 pages chacun au format A4 et pesant 1.55 kg chacun. Les évangiles figurent dans le tome 5.

- La Bible liturgique : comme son nom l'indique, c'est une bible conçue pour le culte et les différents sacrements catholiques. Il s'agit d'une version demandée par le concile Vatican II visant à réformer la liturgie de rite latin. Dans la Constitution sur la liturgie, au n° 35, Vatican II donnait un principe général : "dans les célébrations sacrées, on restaurera une lecture de la Sainte Écriture plus abondante, plus variée et mieux adaptée". Pour la messe, les préconisations au n° 51 sont précises : "Pour présenter aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, on ouvrira plus largement les trésors de la Bible pour que, en l’espace d’un nombre d’années déterminé, on lise au peuple la partie la plus importante des Saintes Écritures." Le texte de cette version a parfois été modifié pour éviter toute ambiguïté lors de l'audition (par exemple en changeant le mot "voie" par "chemin" pour éviter que les fidèles ne comprennent la "voix").

Depuis 2003, cette version liturgique comprend tous les livres bibliques de la Bible de Jérusalem. C'est la seule bible pour les professionnels de la foi reconnue par Rome et l'ensemble des évêques francophones. Elle est éditée par l'AELF (Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones).

Extrait : "[Jésus-Christ] ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect [...]".

Deuxième partie

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