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La Bible face à la critique historique

Vue en direction du nord-ouest depuis le Park National de Qumrân de quelques grottes dont la grotte N°4 sur la gauche. Document Duby Tal/Albatross.

La découverte de nouveaux manuscrits (II)

Les Rouleaux de la mer Morte

Selon la petite histoire, en 1947 un bédouin israélien prénommé Ta'amireh cherchait un insecte tout en gardant son troupeau de moutons et de chèvres dans la région de Khirbet Qumrân quand il découvrit par hasard une grotte à mi-hauteur du flanc d'une colline culminant à 90 mètres. L'endroit est situé entre les collines de Judée et la mer Morte et comprend de nombreuses crevasses comme on le voit sur les photos ci-jointes. C'est une région désertique et rocailleuse située au plus bas à 1200 mètres sous le niveau de la mer. Il y fait donc très chaud (la température peut dépasser 40°C à l'ombre) et très sec (le taux d'humidité peut tomber à 30%) et l'endroit ne suscitait jusqu'ici aucun intérêt.

Intrigué par cette grotte, le bédoin jeta une pierre dans l'ouverture sombre et entendit un bruit de pots cassés. Il descendit dans la grotte et découvrit des jarres contenant d'anciens manuscrits. Selon une autre version, quand il pénétra dans la grotte, il trouva deux bédouins, Juma et Muhammed al-Dib qui prétendirent avoir découvert les premiers manuscrits de la mer Morte.

Ne sachant pas trop de quoi il s'agissait, les bédouins furent mis en contact avec un antiquaire de Bethléem nommé Kando qui évalua les rouleaux. Intrigué par ce qu'il vit, il demanda aux bédouins de revenir avec d'autres documents du même genre. Finalement, les bédouins sont revenus avec sept rouleaux. Kando en acheta quatre qu'il revendit à Mgr Samuel, responsable du monastère orthodoxe syrien de Saint-Marc à Jérusalem. Les trois autres rouleaux furent vendus à un deuxième marchand d'antiquité nommé Salahi. Bref, comme d'habitude, les découvertes archéologiques ont d'abord échappé à l'expertise des scientifiques en violation avec les lois.

Peu après, l'archéologue israélien Eliezer Sukenik (1889-1953) de l'Université Hébraïque de Jérusalem entendit parler de la découverte des manuscrits par un antiquaire arménien, et malgré les tensions politiques régnant alors entre Juifs et Palestiniens, il rencontra Kanto puis se rendit à Bethléem pour analyser les autres manuscrits. C'est en déballant l'un des rouleaux qu'il prit conscience de ce qu'il avait entre les mains : des textes écrits en hébreu biblique ressemblant à la langue des Psaumes mais qu'il ne connaissait pas.

A voir : Les grottes de Qumrân, Google Earth

A gauche, la grotte N°4 de Qumrân (T4) découverte en 1952 par des bédoins chasseurs de trésors. Elle contenait des milliers de fragments de centaines de manuscrits qui représentaient 75% de tout le matériel découvert à Qumrân, y compris des parties de livres bibliques, des textes apocryphes, des travaux sur la Loi juive, des prières, des textes sectaires, tefillin et mezuzot mais pas toujours en très bon état et difficiles à déchiffer et à traduire. A droite, la grotte N°11 (11Q) découverte par une bédouine en 1956. A ce jour, c'est dans cette grotte que furent découverts les quelques trente derniers manuscrits, y compris des rouleaux presque complets du Lévitique écrits en paléo-hébreu. Documents Alexander Schick.

En 1948, les trois premiers manuscrits conservés au monastère de Saint-Marc furent analysés et photographiés par John C. Trever alors directeur de l'École américaine de recherche orientale de Jérusalem. Il s'agissait d'un manuscrit complet du livre d'Isaïe, d'un manuscrit de la Règle de la Communauté et d'un commentaire du livre d'Habacuc. Sukenik acquit les manuscrits dont il publia une sélection de textes.

Puis en 1949, les archéologues identifièrent la grotte N°1 et commencèrent leurs travaux d'excavations dans la région, des fouilles qui redoublèrent d'intensité entre 1951 et 1956. Au total, les archéologues fouillèrent 257 grottes et cavités à Qumrân et découvrirent dans 11 grottes des jarres contenant des manuscrits, les fameux "Rouleaux de la mer Morte". Ces documents sont datés entre environ 250 avant notre ère et environ 150 de notre ère. Une vingtaine d'autres grottes contenaient des objets contemporains.

Certains rouleaux étaient enveloppés de tissu et enfermés dans des jarres en terre cuite et sont restés en bon état, leur identification n'ayant posé aucun problème. En revanche, dans d'autres cavités on ne retrouva que des fragments de parchemins ou de manuscrits qu'il a d'abord fallut classer, répertorier et photographier avant de pouvoir les reconstituer et ensuite les traduire et publier les résultats. On connait la suite de cette fabuleuse aventure.

Au total, grâce aux 15000 fragments de rouleaux ou rouleaux complets récupérés à Qumrân, on a reconstitué 870 manuscrits dont environ 200 sont écrits en hébreu. Parmi ces rouleaux, il y a les apocryphes de l'Ancien Testament (un apocryphe de la Genèse, plusieurs copies du Pentateuque dont une trentaine d'exemplaires du Deutéronome, le livre d'Isaïe, le livre de Daniel, le livre des Jubilés, le livre des Géants, le livre d’Enoch, une quarantaine d'exemplaires de psautiers, etc.), et des écrits propres à la communauté de Qumrân comme le Rouleau des Hymnes, cinq exemplaires de la Règle de la Communauté et même un rouleau très long provenant de la grotte N°11 décrivant le Temple de Jérusalem dans lequel l'auteur réécrit le Deutéronome et détaille les règlements relatifs à Jérusalem et au Temple dont on ne comprend toujours pas la destination car il n'a pas d'utilité dans le cadre religieux.

A voir : What the Dead Sea Scrolls Tell Us, CBN

The Dead Sea Scrolls, BBC

A consulter : The Digital Dead Sea Scrolls

Version numérique de quelques rouleaux de la mer Morte

(le Livre d'Isaïe, La Règle de la Communauté, le Commentaire d'Habacuc, ...)

A gauche, le grand rouleau du livre d'Isaïe (manuscrit A ou 1QIsa) découvert dans les grottes de Qumrân en 1947 ouvert sur quelques pages parmi les mieux conservées. Voici d'autres pages moins bien conservées présentées au Musée d'Israël. ce rouleau date d'environ 125 avant notre ère selon les experts du Musée d'Israël. C'est le plus grand (734 mm de largeur) et le mieux préservé de tous les livres bibliques et l'un des rares pratiquemnt complets. Il comprend 54 colonnes contenant les 66 chapitres de la version hébraïque du livre d'Isaïe. Il est pratiquement mille ans plus ancien que les plus vieux manuscrits bibliques (comme le Codex d'Alep) et les écrits massorétiques. Document photographié par John et James Trevor du National Council of Churches. A droite, un autre exemple de rouleau. Des exemplaires sont exposés au Musée de Jordanie et des copies au Musée d'Israël à Jérusalem qui a également numérisé les manuscrits et les mit à disposition des internautes.

Dans la décennie qui suivit ces découvertes, vu le temps relativement long qui s'écoula sans la moindre publication, on prétendit que la publication des manuscrits fut retardée en raison de la censure du Vatican qui y aurait vu un risque inavoué et tabou pour l'Église. Ceci est totalement faux et non fondé. Le meilleur exemple est l'ouvrage "La Bible arrachée aux sables" de Werner Keller publié en 1962 (puis réédité en 1999 et 2005) consacré à l'histoire antique d'Israël. Alors que les Rouleaux de la mer Morte sont connus depuis 1947, il n'aborde le sujet que dans une dizaine de pages en appendice (d'un ouvrage de 428 pages) où il rappelle qu'il fallut une bonne dizaine d'années pour rassembler l'essentiel des manuscrits de Qumrân et qu'il fallut parfois 4 ans pour dérouler et traduire un seul rouleau constitué d'une feuille de cuivre. A la fin des années 1950, on venait donc juste de terminer leur traduction et de publier les premiers articles et livres de vulgarisation sur le sujet. Ainsi, le livre "Les Écrits esséniens découverts près de la mer Morte" fut publié en 1959 (et réédité en 1996) par le bibliste André Dupont-Sommer. Ce livre de 466 pages comprend une traduction complète du "Rouleau des Hymnes", de la "Règle de la Communauté", du Document ou "Écrit de Damas", du "Commentaire d'Habacuc" et de divers apocryphes et pseudépigraphes parmi d'autres fragments et commentaires bibliques.

Ce délai très long pendant lequel très peu d'informations filtrent peut donner l'impression qu'une censure agit dans l'ombre mais en réalité deux règles s'appliquent généralement à ce type de découvertes archéologiques. D'abord la conscience professionnelle des chercheurs et leurs précautions d'usage liées à la recherche de la vérité historique expliquent ce délai. Ensuite, toute découverte impose une période d'embargo (de secret) qui peut durer quelques années. Enfin, parfois comme ce fut le cas pour les manuscrits de la mer Morte, il y eut des litiges avec leur détenteur institutionnel original.

A consulter : La revue de Qumrân

Les 5 premiers folii (sur un total de 11) de la "Règle de la Communauté" des Esséniens. Ce manuscrit 1QS

fut découvert dans la grotte N°1 de Qumrân en 1947. Il fut rédigé entre 100-75 avant notre ère.

Finalement les Rouleaux de la mer Morte furent publiés en intégralité aux États-Unis à partir de 1991 et mis à disposition des scientifiques. Les 870 manuscrits représentent une collection de 40 volumes dont on réalisa une traduction en français (cf. "La Bibliothèque de Qumrân" en neuf volumes publiée entre 2007 et 2014, voir aussi la page des références) qui fut ensuite vulgarisée par différents auteurs.

Le Musée d'Israël et Google sont également à l'origine de la numérisation de quelques textes. Aujourd'hui, les manuscrits ont été partagés entre différentes institutions dont le Sanctuaire du Livre (The Shrine of the Book Complex) qui est dans une aile du Musée d'Israël (Musée archéologique Rockfeller), le Musée de Jordanie, l'Université Hébraïque de Jérusalem et trois instituts américains, l'Université Azusa Pacific, l'Institut Oriental de l'Université de Chicago et le Séminaire Théologique Baptiste du Sud-Ouest. D'autres musées nationaux ont également achetés quelques rouleaux dont le Musée d'Ontario. Quelques fragments sont également exposés dans les bibliothèques des grandes universités.

Trois parmi les plus anciens fragments des Évangiles. A gauche, un fragment du papyrus P69 dans la nomenclature de Gregory-Aland. Découvert à Oxyrhynque, il s'agit d'un petit extrait de l'Évangile selon Luc (Luc 22:41, 45-48, 58-61) datant de c.250. Il est exposé dans les salles de papyrologie de la Bibliothèque Sackler de l'Université d'Oxford en Angleterre. Au centre, un fragment de l'Évangile selon Jean découvert à Jabal Abu Mana en Égypte et datant de c.200. Il fut présenté aux enchères à Sotheby's à Londres en 2015. Les autres fragments (Papyrus Bodmer II P66) sont conservés à la Bibliothèque de la Fondation Martin Bodmer (Bibliotheca Bodmeriana) à Coligny, en Suisse. Document Plunkett/Reuters/Corbis.

Les analyses de ces manuscrits ont montré qu'il s'agit surtout de textes se référant à l'Ancien Testament, enrichis d'interprétations. Mais ils montrent surtout que les textes modernes y compris des Évangiles sont des versions plus mystiques et poétiques que nature, positives et pleines d'espérance, bref biaisées et édulcorées de textes apostoliques et gnostiques qui furent adaptés pour refléter au mieux le dogme chrétien.

Ceci dit, il ne faut pas confondre les manuscrits de la mer Morte rédigés par la communauté de Qumrân et s'appuyant sur les révélations du "Maître de Justice" avec les manuscrits des Évangélistes et des premiers chrétiens reposant sur la Bonne Nouvelle de la résurrection de Jésus.

Nous reviendrons sur la communauté de Qumrân, en particulier sur le "Rouleau des Hymnes" et le messie Menahem quand nous évoquerons le message messianique de Jésus et lorsque nous discuterons du livre de Daniel et des Jubilés car les paroles de Jésus sont tellement proches des textes de ces différents manuscrits et des prophéties qu'on ne peut pas s'empêcher de remettre les certitudes et vérités dogmatiques de l'Église en question.

Des différences parfois lourdes de sens

Selon les spécialistes, les textes découverts à Qumrân diffèrent sensiblement des plus anciennes copies massorétiques et parfois de la Septante et donc du texte des Bibles modernes.

Fragment du Deutéronome 32:8 à propos du cantique de Moïse. Il s'agit du texte massorétique postérieur de plus de 10 siècles à la Septante. La traduction ou la copie est déjà corrompue. Document IAA.

Ne prenons que deux exemples. D'abord le passage du Deutéronome évoquant le "cantique de Moïse" qui dit en français : "Quand le Très-Haut donna un héritage aux nations, quand il sépara les enfants des hommes Il fixa les limites des peuples d'après le nombre des enfants d'Israël" (Deutéronome 32:8).

Sur le fragment du texte massorétique du manuscrit 4QDeutj découvert à Qumrân présenté à gauche, il est écrit : "Le Plus Haut divisant les nations selon le nombre de "fils [enfants ?] d'Israël.". Or sa traduction dans la Septante au IIIe siècle avant notre ère à partir du Pentateuque hébraïque dit que les nations ont été divisées selon les "fils d'Elohim" (Dieu), ce qui n'a pas le même sens car le mot "Yisrā'el" signifie "lutter avec Dieu". Que disait le texte biblique original ? On en déduit que c'est le texte le plus ancien copié dans la Septante qui prévaut, donc celui évoquant les "fils d'Elohim".

Même genre d'altération dans un passage du livre de Samuel qui décrit la présentation de l'enfant sevré au temple de Silo par sa mère Anne : "Quand elle l'eut sevré, elle le fit monter avec elle, et prit trois taureaux [...]. Elle le mena dans la maison de l'Eternel à Silo" (1 Samuel 1:24). Selon ce texte extrait de la Bible Segond 21 comme celui du texte massorétique, Anne apporta "trois taureaux", mais selon la Septante et le rouleau 4QSama de Qumrân rédigé entre 50-25 avant notre ère, elle apporta un "taureau de trois ans". Aujourd'hui les spécialistes considèrent que Anne a offert un seul taureau comme le précise la Septante et le 4QSama. Ce choix est confirmé dans le verset suivant (1 Samuel 1:25) du texte massorétique qui évoque "le taureau" (mais "les taureaux" dans les Bibles modernes). On suppose que le texte massorétique fut comme on dit corrompu lorsque l'écriture hébraïque continue (sans espaces entre les mots) fut modifiée il y a un peu plus de deux mille ans, les mots originaux "pr mshlsh" (signifiant littéralement "taureau de trois ans") dérivé de la Septante furent séparés à tort en "prm/shlshh" (signifiant "taureaux trois").

Cette découverte est intéressante car elle nous apprend que le texte de la Septante rédigé en grec dépendait toujours d'une reconstruction en hébreu et par conséquent les Rouleaux de la mer Morte permettent de choisir entre les différentes options. Incidemment, une offrande d'un "taureau de trois ans" est également mentionnée dans la Genèse 15: 9. Il montre qu'un texte hébreu sous-jacent à la Septante existait auparavant dans lequel Anne apporta un seul taureau de trois ans.

En conclusion, on peut utiliser les Rouleaux de la mer Morte pour élucider la langue originale de la Bible, non seulement parce qu'ils représentent les plus anciens manuscrits bibliques, mais parce qu'il fournissent également des indices logiques complémentaires qui permettent de s'y retrouver dans le labyrinthe des sources textuelles.

Le Codex Vaticanus

A l'inverse des autres codices précités, le Codex Vaticanus était connu depuis l'époque de la Grande Église mais il était conservé dans la Bibliothèque apostolique vaticane au moins depuis le XVe siècle. Ce codex dont une page est présentée à droite date du IVe siècle. Il est écrit en grec ancien alexandrin (courant chez les égyptiens, hébreux et syriens) caractéristique des livres bibliques et en onciale typique de cette époque.

Folio 1375v du Codex Vaticanus datant du IVe siècle. Cette page contient les versets de l'Évangile selon Jean 16:27-17:21 décrivant la Cène. Document DVL.

Cette version comprend également des abréviations ou "Nomina Sacra" que les copistes utilisèrent pour les noms sacrés, par exemple les nominatifs ΙΣ pour Jésus, ΧΣ pour Christ, ΘΣ pour Dieu, ΙΗΛ pour Israël ou encore ΔΑΔ pour David. Une description détaillée de ce codex est disponible en anglais sur le site World eBook Library tandis que le codex est disponible en version numérisée (scannée) sur le site DVL Digitvatlib.

Le codex comprend 759 folii écrits sur trois colonnes. Il s'agit d'une copie presque intégrale de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament. Il manque les livres des Maccabées, un verset de la Genèse (Gen 1-46) ajouté au XVe siècle, des versets des Psaumes et de quelques Épîtres notamment ainsi que la finale longue de Marc (Marc 16:9-20) et les versets de Jean sur la femme adultère (Jean 7:53 à 8:11).

Cette version fut réalisée après la révision de la Septante par Hésychius d'Alexandrie, un évêque d'Égypte vers l'an 300 de notre ère (elle fut donc copiée juste après le Codex Sinaiticus). Selon le catalogue datant de 1475 de la Bibliothèque vaticane, ce codex servit de modèle pour la révision de la Septante éditée à Rome en 1586.

Selon les spécialistes, il s'agit soit de l'une des 50 bibles commandées par l'empereur Constantin Ier à Eusèbe de Césarée en l'an 331 soit celles commandées par son fils l'empereur Constant Ier à Athanase vers l'an 340.

Une copie de la traduction de saint Jérôme fut réalisée au XIIIe siècle portant le nom de "Neues Testament Codex Vaticanus Latinus 39". Cette version latine richement enlminée fut imprimée en facsimilé en 1984 par Belser Verlag à Stuttgart dont voici une photo de l'ensemble et du texte.

Comme beaucoup de livres historiques, une version facsimilé du Codex Vaticanus fut imprimée dès 1904 par l'éditeur Carlo Vercellonis de Milan appelée Codex Vaticanus Graecus 1209 B/03. Une nouvelle version en grec fut imprimée en 1999 aux éditions Facsimilefinder (vendue 6000$) dont voici une critique en anglais ainsi qu'une version latine (Codex Vaticanus Latinus 4922) dont voici une photo. Ce codex est également disponible en version papier ordinaire aux éditions Lulu mais d'une qualité médiocre et en format électronique y compris eBooks, Kindle et PDF. Soulignons qu'il ne faut pas confondre ce codex biblique avec le Codex Vaticanus B ou Codex Vaticanus 3738 A qui est codex mexicain remontant à l'époque des Conquistadors.

Autres codices et Évangiles apocryphes

Parmi les découvertes récentes, il y a l'Évangile du Pseudo-Matthieu ou "Évangile de la Nativité de Marie et de l'enfance du Sauveur", un apocryphe écrit vers 600-625 dont il existe cinq récensions ou critiques complétées par des ajouts tardifs (les compilations J, A, P, Q, R) rédigées entre le VI-XIe siècle.

Un extrait (4Q271Df) du "Document de Damas" rédigé entre le Xe siècle et le XI ou XIIe siècle de notre ère.

Citons également l'Évangile de Judas découvert en 1978 dans le désert du Sinaï. Ecrit en dialecte copte (sahidique) il est daté entre 220 et 340 mais serait basé sur un texte en grec rédigé vers le milieu du IIe siècle. Comprenant 26 feuillets, il fait partie du "Codex Tchacos" comprenant également l’Epître de Pierre à Philippe et la Première Apocalypse de Jacques qu'on retrouve également dans les manuscrits de Nag Hammadi. L'histoire de cet Évangile apocryphe qui contredit les enseignements du Nouveau Testament fut racontée dans le livre "L'évangile de Judas" par Herbert Krosney en 2006. On reviendra sur ce texte à propos de l'arrestation de Jésus.

Il y a aussi le "Document de Damas" évoqué plus haut dont un extrait est présenté à gauche. Il fut découvert dans les grottes N°4, 5 et 6 de Qumrân. Il comprend des manuscrits écrits en hébreu sur du cuir ou des papyri. Il s'agit de récensions (analyse critique) d'un document datant du I-IIe siècle probablement écrit par les Esséniens comprenant des pages rédigées au Xe siècle (sections CDa, CDb) et d'autres au XIe ou XIIe siècle de notre ère (CDb).

Le document doit son nom au fait que les membres de la secte des Esséniens furent chassés de Jérusalem et se réfugièrent au Pays de Damas. Ces manuscrits décrivent les lois juives, les persécutions des membres de la secte de Qumrân et comprend notamment le livre d'Osée et des références à "celui qui enseigne la Justice", c'est-à-dire le Maître de Justice. On y reviendra à propos de Jésus et ses influences.

Enfin et non des moindre, nous possédons également le manuscrit massorétique le plus ancien et complet de la bible hébraïque, le Tanakh, appelé le Codex de Léningrad, datant d'environ 1010 de notre ère dont une page est présentée ci-dessous à gauche. Il fut copié au Caire et vendu à la communauté juive karaïte de Damas en 1489. Il est conservé à la Bibliothèque nationale russe de Saint-Pétersbourg et fut récemment numérisé pour devenir le "Westminster Leningrad Codex" disponible en ligne.

Une autre copie, le Codex d'Alep (Keter Aram Tsova) présenté ci-dessous au centre et à droite, date d'environ 930 de notre ère mais il est incomplet. Il fut découvert en Syrie dans la seconde moitié du XVe siècle et fut préservé presque intact dans une synagogue jusqu'au XXe siècle. Après le vote des Nations Unies en 1947 qui divisa la Palestine et créa des États arabes et juifs indépendants, des émeutes ont éclaté à Alep et des parties du Codex d'Alep furent détruites. Ce qui restait du codex fut sorti clandestinement d'Alep et amené en Israël en 1957. Ce qui reste du Codex d'Alep est maintenant conservé dans le Sanctuaire du livre dans le Musée d'Israël.

Comparaison entre le Codex de Léningrad et le Codex d'Alep

Pour les chercheurs et les juifs pratiquants, l'importance des codices de Léningrad et d'Alep créés par les érudits massorétiques, réside dans les annotations qu'ils contiennent. Les anciens manuscrits bibliques écrits en hébreu sont en grande partie sans voyelles, donc même s'il n'y a pas de question à se poser à propos des lettres ou des mots d'un texte donné, il peut toujours y avoir une question quant à la façon dont un mot particulier doit être prononcé et ce qu'il signifie.

De même, les anciens manuscrits bibliques tels ceux de la mer Morte peuvent ne contenir aucune indication sur la manière dont les portions de la Torah et les lectures prophétiques doivent être chantées dans la synagogue.

Des codices tels ceux de Léningrad et d'Alep contiennent des marques de voyelle (nekkudot) sous la forme d'indices et d'exposants. Ils contiennent également d'autres marques (te'amim) indiquant les relations de hauteur (neumes ou pneumes en grec) pour guider le chantre dans le chant de la Torah prescrite ou de la portion prophétique (haftara). Plus important encore, ils contiennent des notations marginales massives (masora) concernant les nœuds du texte qui sont cruciaux pour l'interprétation.

A gauche, un manuscrit du Codex de Léningrad, le Tanakh copié vers l'an 1010. Il est conservé depuis 1863 à la Bibliothèque nationale russe de Saint-Pétersbourg. Au centre, la plus ancienne Bible hébraïque est conservée dans le Codex d'Alep (Keter Aram Tsova) datant d'environ 930. Mais il manque près de 200 pages qui semblent définitivement perdues. A droite, un gros-plan sur le Codex d'Alep. Il est exposé dans le Sanctuaire du Livre dans le Musée d'Israël. Notez dans les deux codex les ponctuations dans le texte et les notations en marge.

Jusqu'à ce qu'il soit endommagé et partiellement perdu, le Codex d'Alep était considéré comme le plus précieux des anciens manuscrits bibliques et était la version de la bible hébraïque qui était finalement considérée comme le texte faisant le plus autorité dans le judaïsme. Sa perte fut un coup dur pour l'érudition juive. Cependant, le Codex de Léningrad existe toujours. Il est similaire au Codex d'Alep, à la fois dans la date (à quelques décennies au plus) et dans la distinction. Comme le Codex d'Alep, le Codex de Léningrad comprend des marques de voyelle, des signes de cantillation et de nombreuses notes textuelles (masora). Cependant, dans l'esprit de nombreux érudits, le Codex d'Alep est supérieur dans sa précision et son érudition massora.

Toutefois, de nos jours, pour une grande partie du monde le texte scientifique standard de la bible hébraïque est la Biblia Hebraica qui utilise le Codex de Léningrad plutôt que le Codex d'Alep comme texte de base. Les deux premières éditions de la Biblia Hebraica utilisaient la bible rabbinique imprimée à Venise en 1524. La troisième édition, préparée par deux grands biblistes allemands, Paul Kahle et Rudolf Kittel, utilisait le Codex de Léningrad. Cependant, dans sa préface à cette édition, Paul Kahle note sa préférence pour le Codex d'Alep : "Rudolf Kittel et moi avions espéré pouvoir remplacer le Leningrad Ms., L, qui a servi de base à la Biblia Hebraica au cours de nos travaux, par le codex modèle de ben Asher lui-même [le Codex d'Alep], conservé à la Synagogue des Séfarades d'Alep. Cela n'avait pas été possible puisque les propriétaires du codex n'entendraient pas parler d'une copie photographique. De plus, les démarches personnelles faites par Gotthold Weil et Hellmut Ritter à Alep n'ont eu aucun succès."

C'est pour cette raison que les éditions Biblia Hebraica sont traditionnellement basées sur le Codex de Léningrad, et cela s'applique également à la cinquième édition appelée Biblia Hebraica Quinta (BHQ) qui remplace la quatrième édition, la Biblia Hebraica Stuttgartensia (BHS). En 2022, sur les 25 livres ou fascicules à publier, les premiers sortirent de presse en 2004 (Livre de Ruth, d'Esther, L'Ecclésiate, Le Cantique des Cantiques, etc), le Deutéronme en 2007 et la Genèse en 2016 mais 12 livres sont toujours en préparation (L'Exode, Le Lévitique, les Nombres, Les Rois, Josué, Jérémie, Daniel, etc). On espère que ce projet sera finalisé en 2024. Chaque fascicule est proposé entre 30 et 150$, notamment sur Amazon.

Depuis la destruction du Codex d'Alep et la déclaration d'indépendance d'Israël, le Codex de Léningrad présente un autre avantage : c'est le seul qui soit complet. Les éditions de la bible hébraïque basées sur le Codex d'Alep doivent désormais se tourner vers d'autres sources pour compléter les parties manquantes.

Les manuscrits néotestamentaires

Concernant le Nouveau Testament, jusqu'aux années 2000 nous ne disposions que de copies de copies de copies écrites plusieurs siècles après les documents originaux et il était difficile d'affirmer que nous lisions une copie fidèle des paroles originellement transcrites par les apôtres.

Aujourd'hui, nous n'avons pas encore découvert de manuscrit néotestamentaires datant du Ier siècle. Parmi les papyri remontant au IIe siècle, nous disposons du manuscrit P52 découvert en 1934 et présenté ci-dessus à droite qui est un fragment de 9 x 6 cm de l'Évangile selon Jean (versets 18:31-33 et 18:37:38) rédigé aux alentours de 100-150. Il est exposé à la bibliothèque publique John Rylands Library de Manchester (GB).

Citons également le manuscrit P90 découvert parmi les manuscrits d'Oxyrhynque (voir page précédente) exposé au Musée Ashmoléen d'Oxford (GB) relatif à l'Évangile selon Jean (vv.18-19) rédigé vers 150.

L'un des documents les plus complets est le manuscrit P45 rédigé vers l'an 250 qui fut acheté par l'industriel et collectionneur Alfred Chester Beatty (1875-1968) d'origine irlandaise au début du XXe siècle qui posséda dans les années 1940 l'une des plus prestigieuses collection de manuscrits et d'objets d'arts anciens (grec, islamique, chinois, japonais), y compris des livres enluminés et des incunables.

A gauche et au centre, un extrait du manuscrit P45 relatif à l'Évangile selon Marc rédigé vers l'an 250. A gauche, le folio 6 (Marc 8:10-26). Au centre, le folio 7 (Marc 9:18-31). Le codex est exposé à la Bibliothèque Chester Beatty de Dublin en Irlande. Les pages sont également disponibles en version numérisée sur le site du CSNTM. A droite, le fragment du manuscrit P52 de 9x6 cm de l'Évangile selon Jean rédigé vers 100-150 découvert en 1934. A gauche, le recto (Jean 18:31-33), à droite le verso (Jean 18:37-38). Ce document est exposé à la bibliothèque publique John Rylands Library de Manchester (GB).

Le  contenu du manuscrit P45 fut publié par le papyrologue Frederic G. Kenyon en 1933. Ce codex devait contenir environ 250 pages dont il ne reste que 30 pages fragmentaires. Il comprend des textes de Matthieu (vv.20-21 et 25-26), Marc (vv.4-9 et 11-12), Luc (vv. 6-7 et 9-14), Jean (vv.4-5 et 10-11) et des Actes des Apôtres (vv.4-17). Le manuscrit est exposé à la Bibliothèque Chester Beatty installée au château de Dublin en Irlande à l'exception d'un fragment (Matthieu 25:41 à 26:39) exposé à la Bibliothèque Nationale de Vienne (Österreichische Nationalbibliothek).

Nouveau fragment de l'Évangile selon Marc

La publication d'un nouveau fragment des Évangiles est toujours un évènement rare et très attendu par la communauté scientifique. Le 24 mai 2018, l'Egyptian Exploration Society (EES), une ONG travaillant pour l'Oxyrhynchus Society basée à Oxford annonça qu'un nouveau fragment du codex de l'Évangile selon Marc datant de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle venait d'être publié dans le Volume LXXXIII de l"Oxyrhynchus Papyri" (texte 5345) édité par les académiciens Daniela Colomo et Dirk Obbink de l'Université d'Oxford. Le fragment de 4.4 x 4 cm dont on voit le recto et le verso ci-dessous reprend en ancien grec les versets de Marc 1:7-9 et 16-18 évoquant Jean le Baptiste et le baptème de Jésus (cf. la Bible en ligne).

Le fragment original du texte 5345 de l'Évangile selon Marc découvert en 1903 à Oxyrhynque et sa transcription. Ce manuscrit date de la fin du IIe siècle ou du début du IIIe siècle. Il s'agit des versets de Marc 1:7-9 et 16-18.

Ce n'est pas la première fois que les chercheurs entendent parler de l'existence de cette première copie de Marc. Des rumeurs sur ce fragment circulaient depuis février 2012 quand au cours d'un débat avec Bart Ehrman, historien bibliste et évangéliste émérite de l'Université de Caroline du Nord qui de chrétien est devenu agnostique (il ne comprend pas pourquoi Dieu tolère la souffrance humaine), le bibliste et critique Daniel Wallace, directeur du Centre pour l'Étude des Manuscrits Néotestamentaires (CSNTM) au Dallas Theological Seminary annonça qu'il avait vu un "fragment de Marc du premier siècle" (alors daté de 70-90 et donc plus d'un siècle antérieur à sa datation actuelle). Wallace avait précisé que le spécialiste ayant daté le manuscrit était "un papyrologue de haut rang". Cependant bien que de nombreux chercheurs voulaient consulter le texte, Wallace était incapable d'en dire plus, affirmant peu de temps après ce débat qu'il avait signé un accord de non-divulgation.

Ceci dit, avec son équipe Wallace découvrit 7 papyri datant probablement du IIe siècle (100-200) ou du début du IIIe siècle.

Au cours des années suivantes, rien ne changea jusqu'au jour où l'historien et bibliste Craig A. Evans, professeur émérite de Université Baptiste de Houston, suggéra au cours de l'une de ses nombreuses conférences que le papyrus avait été extrait du cartonnage d'un ancien masque funéraire égyptien. Puis cette revendication fut recusée et tout semblait indiquer que le fragment de Marc du premier siècle avait été soit grossièrement dévalorisé soit, peut-être, qu'il n'existait tout simplement pas.

Aussi la réapparition de ce fragment de Marc dans le volume d'Oxyrhynchus et redaté a immédiatement soulevé le scepticisme des érudits et il fallut que Daniel Wallace confirme son existence sur son blog en précisant qu'il s'agit du même manuscrit auquel il faisait allusion en 2012. Il s'excusa par ailleurs à propos de l'erreur de datation. L'Egyptian Exploration Society a également déclaré que le nouveau fragment est le même manuscrit qui celui discuté sur divers blogs d'experts au cours des dernières années.

Ce texte renforce la datation des Évangiles et l'histoire du Christianisme. Mais il soulève aussi un mystère concernant son origine, sa datation et sa connexion potentielle avec la famille Green, les propriétaires putatifs de ce manuscrit et fondateurs du Museum of the Bible. En effet, à l'époque Obbink vendit régulièrement des manuscrits à la famille Green.

Bien que les spécialistes reconnaissent que l'inventaire de la collection d'Oxyrhynque soit opaque, étant donné qu'aujourd'hui cette collection appartient à l'Université d'Oxford et que le nouveau fragment fait partie de cette collection, on peut être raisonnablement rassuré que ce fragment ni aucun autre ne seront jamais vendus. L'Egyptian Exploration Society a d'ailleurs précisé que ce fragment de l'Évangile selon Marc n'a "probablement" jamais été vendu depuis son excavation en 1903, ce que confirmèrent plusieurs papyrologues.

En fait, les seules personnes qui ont semé l'embrouille autour de l'origine et la datation de ce manuscrit sont uniquement Scott Carroll, l'ancien directeur des collections Green et Daniel Wallace.

A consulter : Table of NT Greek Manuscripts (IIe-IXe)

A Table of Greek Manuscripts (IIe-XVIIIe)

Liste des manuscrits du Nouveau Testament

Au total, nous disposons à ce jour de 44 manuscrits datant du IIIe siècle (entre l'an 200-250 dont P45 et probablement le texte 5345) et de 18 manuscrits datant du IIer siècle (vers l'an 150 dont P52, P75, P90, P98, P104). Plus intéressant, près de la moitié (43%) des versets du Nouveau Testament sont contenus dans les 18 manuscrits du IIe siècle.

Avant la découverte de ces manuscrits plus d'un spécialiste avec en tête de file Bart Ehrman précité prétendaient qu'étant donné les modifications faites au cours du temps, nous ne pouvions pas être certain de lire les textes écrits originellement par les auteurs apostoliques, ce qui est exact. Mais cela ne sous-entend pas qu'ils sont tous truffés de corrections ou faux.

En revanche, la découverte de manuscrits rédigés entre l'an 100-200 confirme que les textes que nous lisons aujourd'hui sont très proches des versions les plus anciennes, ce qui est très réconfortant pour tous les chercheurs biblistes et les lecteurs du Nouveau Testament. Comme nous le verrons à propos de la constitution du canon du Nouveau Testament, la découverte de ces manuscrits et la critique textuelle ont également permis de découvrir les ajouts tardifs (comme la finale de Marc) qui n'ont pas été écrits par les apôtres mais par des chrétiens un peu trop zélés. On peut même suivre cette évolution jusqu'au VIIe siècle (~650) à travers les manuscrits P73, P74 et P79 conservés à la Bibliothèque Bodmer à Genève (CH).

Le papyrus d'Ismael

L'histoire de ce papyrus n'est pas moins intrigante que l'artefact lui-même présenté à droite. Selon l'Autorité Israélienne des Antiquités (IAA, cf. Gov.il), une touriste américaine visitant Jérusalem en 1965 est entrée en possession du petit fragment de papyrus qu'elle acquit auprès de Joseph Saad, conservateur du musée archéologique de Palestine (aujourd'hui le musée Rockefeller) et de Halil Iskander Kandu, un célèbre marchand d'antiquités de Bethléem qui vendit des milliers de ces fragments. De retour chez elle dans le Montana, la femme colla le précieux fragment dans un cadre et l'accrocha sur un mur de sa maison.

Le papyrus d'Ismaël écrit en paléo-hébreu date de la fin du VII ou du VIe siècle avant notre ère mais son authenticité n'est pas encore certaine. Document Shai Helevi/IAA.

Quelque 50 ans plus tard, en 2018 le professeur Shmuel Ahituv, spécialiste en épigraphie à l'Université Ben Gourion, renommé pour ses recherches en archéologie et en histoire israélienne, reprit le projet de publication de la regrettée Dr Ada Yardeni (décédée en juin 2018). Au cours de ce travail, il trouva une photographie d'un morceau de papyrus qui avait été pillé dans l'une des grottes du désert de Judée, ainsi qu'un déchiffrement préliminaire par Yardeni. À ce stade, il s'agissait d'un artefact inconnu dont on avait perdu la trace. Ainsi commença un projet de collaboration avec l'Unité de protection contre le vol d'antiquités de l'IAA pour tenter de retrouver ce morceau de papyrus extrêmement rare.

Finalement, Ahituv et Eitan Klein, directeur adjoint de l'unité de prévention du vol d'antiquités de l'IAA ont retracé le fragment jusqu'à la maison du fils de la femme vivant au Montana, qu'ils ont invité en Israël pour visiter le laboratoire des manuscrits de la mer Morte géré par l'IAA. Après la visite, le fils était convaincu que le laboratoire disposait des meilleures conditions pour conserver et étudier ce papyrus dont il fit généreusement don à l'IAA.

Selon Eli Eskosido, directeur général de l'IAA, "le rapatriement de ce document rare fait partie d'un vaste processus mené par l'Autorité Israélienne des Antiquités, visant d'une part à empêcher la vente illégale des anciens rouleaux qui ont été pillés dans le désert de Judée par le passé, et d'autre part, d'empêcher de nouveaux pillages du patrimoine culturel que l'on trouve aujourd'hui dans le désert."

L'étude de ce papyrus indique qu'il contient un texte en paléo-hébreu de quatre lignes. Selon l'IAA, le fragment de papyrus, bien qu'endommagé, comprend plusieurs mots hébreux révélant qu'il fait partie d'une lettre avec des instructions à un destinataire. On peut y lire : " À Ismaël, envoie… ". La lettre était probablement une demande à Ismaël d'envoyer des marchandises à l'auteur du texte.

L'examen paléographique du texte réalisé par l'IAA indique qu'il date de la fin du VIIe ou du VIe siècle avant notre ère, c'est-à-dire de l'époque du Premier Temple. L'analyse au radiocarbone du papyrus donne une date similaire.

Cependant, le papyrus est un objet sans origine connue qui peut provenir du marché des antiquités, ce qui conduisit les chercheurs à être plus prudents lorsqu'ils l'ont daté et tenté d'établir son authenticité.

Certains chercheurs ont averti que la datation au radiocarbone n'est pas suffisante pour prouver l'authenticité d'un papyrus qui n'a pas de provenance archéologique certaine. Comme le déclara Christopher Rollston, professeur de langues et littératures sémitiques du Nord-Ouest à l'Université George Washington, "les faussaires modernes peuvent utiliser, ont utilisé et utilisent encore ces médias anciens pour produire des contrefaçons à l'époque moderne." Selon Rollston, bien que le papyrus puisse s'avérer authentique, il est important que les chercheurs "appuyent sur les freins… plutôt que de sauter aux conclusions" lorsqu'un examen scientifique plus approfondi du document est entrepris.

A voir : First Temple Period Papyrus? - EXCLUSIVE interview with Joe Uziel of IAA, 2022

Le papyrus d'Ismaël. A gauche, son prudent retrait du support sur lequel l'acheteur américain l'avait fixé. A droite, sa conservation dans les collections de manuscrits de l'IAA. Documents Shai Helevi/IAA.

S'il est authentique, le papyrus d'Ismael, comme on l'appelle, sera l'un des trois seuls papyrii connus à ce jour datant de cette période dans la collection de manuscrits de la mer Morte de l'IAA. Par conséquent, même modeste, il offre un aperçu unique du monde de Jérusalem à l'époque des rois bibliques.

Selon Joe Uziel, directeur de l'Unité des manuscrits de la mer Morte de l'IAA, il est possible qu'Ismaël fut un fonctionnaire administratif du royaume de Juda. En effet, bien que ce ne soit pas une preuve, plusieurs sceaux royaux portant le nom d'Ismaël ont été découverts, dont un portant la mention "A Ismaël, fils du roi". Mais étant donné qu'Ismaël était un nom très courant à l'époque, il est difficile d'identifier l'Ismaël du papyrus avec un individu spécifique.

Selon Uziel, "Vers la fin de la période du Premier Temple, l'écriture était répandue. Cela ressort de nombreuses découvertes, y compris des groupes d'ostraca (documents écrits sur des tessons de poterie) et des sceaux de timbre avec écriture, qui furent découverts dans de nombreuses anciennes colonies urbaines, y compris dans la capitale royale de Jérusalem. Cependant, les documents de la période du Premier Temple écrits sur des matériaux organiques - comme ce papyrus - ont à peine survécu. Alors que nous avons des milliers de fragments de parchemin datant de la période du Second Temple, nous n'avons que trois documents, dont celui-ci récemment trouvé, de la période du Premier Temple."

Il est important de noter que malgré le peu de papyrii datant de cette époque, on peut en déduire, sur la base du nombre croissant de bulles (utilisées pour sceller les papyrii) qui furent découvertes lors des fouilles, que le papyrus était le support d'écriture prédominant pendant la période du Premier Temple (lire ce qu'en dit la Bible dans Jérémie 32: 9-16). Malheureusement, cette matière organique est rarement conservée en dehors des régions au climat exceptionnellement sec, comme le désert de Judée. Ainsi, alors que les preuves indiquent que de grandes quantités de documents paléo-hébreux ont été conservés à Jérusalem et dans d'autres villes de Judée, ils se sont décomposés au fil du temps et furent perdus.

L'IA au secours des chercheurs

Entre les mains des chercheurs, des conservateurs et des archéologues, la technologie joue depuis longtemps un rôle central dans l'analyse et la préservation des rouleaux et autres manuscrits de la mer Morte. Alors que les premières technologies utilisaient du ruban adhésif pour réunir les fragments et des photographies analogiques pour les documenter, les outils très avancés d'aujourd’hui permettent de lire des parchemins fragiles sans même les dérouler.

La gamme de parchemins bibliques s'étend des textes majeurs, tels que les parchermins de Qumrân aux étuis de phylactères non ouverts avec des fragments d'écriture cachés, en passant par les rouleaux d'argent et quelques petits parchemins complètement fermés et impossible à ouvrir. Selon l'Autorité Israélienne des Antiquités (IAA), les archives en rouleaux contiennent plus de 25000 fragments, dont beaucoup ne sont pas plus grands qu'un timbre-poste. Pratiquement tous sont constitués de plusieurs couches, des parties d'un seul parchemin collées ensemble en raison d'un manque de conservation (dommages, effet de la pourriture, etc).

Le travail minutieux des restaurateurs a permis de stabiliser ces fragments contre une nouvelle dégradation au prix d'un impressionnant effort de restauration physique. Dans de nombreux cas, cependant, on ne peut pas faire grand-chose, laissant des milliers de fragments non étudiés en raison de la difficulté et du risque associés aux efforts invasifs visant à séparer les multiples couches qui s'accrochent obstinément les unes aux autres.

A voir : Recent Research in Imaging and Archaeological Science: Herculaneum and Beyond, SchAdvStudy, 2020

Reading the Invisible Library: Virtual Unwrapping and the Scroll from En-Gedi, UBC, 2021

A gauche, le fragment 1032a des manuscrits de la mer Morte qui ne mesure que quelques centimètres mais qu'il est impossible d'analyser manuellement sans le détruire. Au centre, après scannage aux rayons X, une IA - un réseau neuronal convolutif (CNN) - est parvenue à "déballer", segmenter, séparer, texturiser et aplatir les morceaux. On distingue à présent les caractères. A droite, le résultat final. On a extrait virtuellement 5 (frag. 5, 8, 9, 10, 11) des 13 morceaux du fragment de papyrus 1032a qui sont présentés en couleurs. On peut enfin lire ce texte. La plupart des fragments mesure moins de 1 cm. Documents Leon Levy/Dead Sea Scrolls Digital Library, IAA/Shai Halevi et EDUCÉLAB.

Heureusement, à l'image de ce qui se fait pour les momies et d'autres objets archéologiques très fragiles, pour les manuscrits les chercheurs ont développé des techniques de restauration numérique non invasives. Ils réalisent un scannage de l'objet aux rayons X afin de réaliser un "déballage virtuel" qui révèle les écritures à l'intérieur des surfaces enroulées et les fragments multicouches. A partir des images radiographiques, les chercheurs créent un modèle 3D de l'objet. Les données du modèle passent ensuite par une série d'étapes de traitements numériques dont certaines sont déjà utilisées depuis quelques années dans les jeux vidéos notamment : segmentation, séparation, texturisation et aplatissement virtuels des fragments de pages. Cette technique de pointe fut appliquée avec succès pour la première fois en 2015 sur un ancien rouleau hébreu d'Ein Gedi en partie brûlé qui révéla être une première copie du Livre du Lévitique (cf. W.B. Seales et al., 2016).

Cette technologie révolutionnaire est désormais appliquée aux 25000 fragments de Qumrân. Parmi eux se trouve le fragment multicouche 1032a présenté ci-dessus dont le texte est dissimulé entre 13 couches collées.

Grâce à l'intelligence artificielle (IA), on peut encore aller plus loin en améliorant les résultats du déballage virtuel. Grâce à l'apprentissage automatique, les chercheurs peuvent désormais afficher les images en niveaux de gris, en couleur.

Pour réaliser cette colorisation, les photos radiologiques de l'encre et du parchemin provenant du plus profond d'un fragment fermé sont comparées à une photo couleur des parties visibles du fragment. Un réseau neuronal convolutif (CNN) est ensuite entraîné pour créer une carte de correspondance entre les deux modalités d'imagerie. Chaque fois que le CNN rencontre un grand nombre d'associations entre les deux types d'images - la photo couleur et celle en rayons X - il peut mémoriser la conversion entre les deux types de données. Cette conversion apprise, l'IA peut rapidement convertir les fragments virtuellement déballés en photographies couleur. Les performances de l'IA sont telles que les images numériques virtuelles de manuscrits non ouverts rivalisent avec les photographies réelles de textes sur parchemin intacts.

La prochaine étape est la restauration des documents fragmentés où l'IA et l'apprentissage automatique repousseront plus loin encore les limites de ce qui était auparavant considéré comme impossible. Un jour peut-être, on pourra lire les collections fragmentaires et endommagées comme des livres neufs.

Résumons-nous

Nous disposons aujourd'hui de milliers de manuscrits bibliques et de documents administratifs rédigés sur des rouleaux ou des fragments de papyrus ou de parchemin. Les textes de l'Ancien Testament furent d'abord rédigés en hébreu avec certains chapitres en araméen. Puis, suite à la déportation à Babylone, certains fidèles ont commencé à parler des langues étrangères. Après l'avènement du christianisme, des lecteurs ne parlant ni hébreu ni araméen ont souhaité lire les saintes Ecritures, ce qui incita les papes et souverains à demander leur traduction en grec, en latin puis en langues vernaculaires y compris en araméen et en égyptien afin que la Bible soit accessible à tous.

Malgré le travail assidu des archéologues et la reconstitution de 870 rouleaux à partir des manuscrits plus ou moins fragmentaires découvert à Qumrân, nous ne possédons aucun manuscrit biblique d'origine. Les textes les plus anciens de l'Ancien Testament remontent au IIer siècle avant notre ère mais certains sont très fragmentaires (un fragment de verset), sinon ils datent de la tradition massorétique, c'est-à-dire ceux à l'origine de la bible hébraïque actuelle remontant au plus tôt au VIe siècle de notre ère. Ils sont rédigés en hébreu et sans voyelle et se transmettaient par la tradition orale. Ce n'est qu'entre l'an 500 et 1000 de notre ère que les érudits juifs inventèrent l'écriture des voyelles et ajoutèrent les accents et les notes. Ces textes massorétiques sont très bien conservés et certains rouleaux sont encore utilisés aujourd'hui.

Concernant le Nouveau Testament, nous possédons des milliers de manuscrits et des dizaines de codices remontant au IIIe et IVe siècle, y compris des bibles quasiment complètes comme le Codex Sinaiticus et le Codex Vaticanus remontant au IVe siècle. Nous possédons également des manuscrits de la Bible des Septante rédigée au IIIe siècle avant notre ère et terminée au cours du Ier siècle de notre ère ainsi que des manuscrits de la Vulgate de saint Jérome datant du IVe siècle. A ce jour, les plus anciens manuscrits néotestamentaires datant au mieux du IIe siècle (P52, P90) voire du IIIe siècle (P45, etc).

Autrement dit, on cherche toujours les manuscrits originaux des quatre Évangiles et des autres livres apostoliques. Avis aux chercheurs.

A ce propos, chacun peut constater que certains passages des Évangiles synoptiques sont très similaires comme si les trois Évangélistes avait copié des paroles de Jésus d'une tradition antérieure. Les spécialistes allemands ont appelé ce document hypothétique la source "Q". Nous verrons dans le prochain article comment les biblistes sont arrivés à cette conclusion, sur base de quelles preuves et ce qu'il faut en conclure. Nous en profiterons pour présenter le supposé texte reconstruit de la source "Q".

A lire : La source "Q"

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