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L'évolution des systèmes vivants Les équilibres ponctués et les périodes de stase (V) Comment peut-on expliquer que le nautile ou le coelacanthe découvert en 1938 n'a pratiquement pas changé depuis des centaines de millions d'années ? Comment expliquer ces périodes de stase de l'évolution ? Oublions d'abord l'idée exprimée par certains paléontologues (minoritaires telles Anne Dambricourt) que le "moteur interne" de l'évolution de ces espèces aurait stagné pour une raison spirituelle. Cette vision irrationnelle de l'évolution fait peu de cas de la sélection naturelle qui demeure un fait avéré et incontestable. Oublions aussi toute idée de prédestination des espèces, au grand dam des spiritualistes et des croyants sectaires. Pour les gradualistes convaincus tels Richard Dawkins ou Stephen Gould, la réponse est simple. Il ne faut pas chercher une raison complexe, comme le fait qu'il n'y ait pas d'évolution parce que les gènes ont appris à résister aux substances chimiques présentes dans l'environnement (mutagènes), etc. C'est justement pour la raison inverse. C'est parce qu'il n'y a pas de pression de l'environnement sur la sélection naturelle que l'espèce a pu survivre, que ce soit sur une île du Pacifique ou dans le fond des océans. Mais le cas du coelacanthe reste unique à bien des égards. L'ancêtre de ce poisson remonte à 410 millions d'années. Depuis, l'espèce s'est diversifiée et a légèrement évolué, notamment du fait que son ADN contient 25% de transposons, des segments qui peuvent se déplacer dans son génome pour mieux répondre aux conditions changeantes du milieu (cf. J.-N. Volff et al., 2013). C'est aussi le seul animal dont la durée de gestation atteint 5 ans, un record, et qui atteint sa maturité sexuelle entre 50 et 55 ans. Le coelacanthe peut vivre plus de 100 ans et peut atteindre de 2 m de longueur. Son adaptation parfaite prouve qu'il est tout le contraire d'un "fossile vivant" ! Pour Motoo Kimura[18], neutraliste convaincu, le code génétique ne contiendrait aucune information sur l'adaptation d'un animal à son milieu. Chaque molécule d'ADN (locus) évolue à son propre rythme au fil des siècles et des éons. Pour Kimura, les mutations sont donc aléatoires et ne peuvent orienter l'évolution des espèces. Faux, disent Gould et les gradualistes car l'évolution est avant tout une sélection adaptive. D'où la stase qu'on connut le nautile et le coelacanthe puisque le milieu était propice à leur survie. Pourquoi donc évoluer, et dans quel sens, puisque rien ne l’exigeait ?... A télécharger : openModeller - MaxEnt Logiciels basés sur la théorie de l'information simulant la distribution des populations
Darwin et beaucoup d'autres après lui se sont étonnés de ne pas trouver de fossiles entre la lignée d'une espèce fille par exemple et celle de l'espèce ancestrale. Darwin considérait que les strates géologiques étaient imparfaites et qu'il n'était dès lors pas étonnant qu'on ne trouve pas les gradations les plus fines entre toutes les formes de vie éteintes et actuelles. Le fait qu'il existe des bifurcations dans l'évolution semblait toutefois très étrange. Mettons toutefois à sa décharge qu’à son époque, Darwin ne pouvait pas savoir qu’il y avait eu périodiquement des extinctions massives de populations. Gould répond qu’on ne trouve pas ces fossiles parce qu’ils n’existent pas ! Un évènement dominant provoqua une discontinuité dans la formation de l’espèce et il y eu spéciation. Une nouvelle espèce est apparue subitement et s'est développée car elle était mieux adaptée aux rigueurs du climat par exemple et recolonisa la niche écologique de l’espèce éteinte. C’est le même phénomène qui divisa les papillons anglais Bistons en deux populations, gris clair et noir, suite aux éjections de fumées noires dans les villes. Gould propose que des mutations peuvent se transmettre en peu de temps - 5000 à 50000 ans - à un grand nombre d'individus. Dans le cas des papillons anglais, un seul gène, codant pour la couleur noire plutôt que gris clair, s’est répandu grâce à la sélection naturelle qui les rendait invisibles des oiseaux, augmentant fortement leur fréquence dans les régions industrielles. Quelques années plus tard, une réduction du taux de pollution réduisit la population des papillons noirs. Cette évolution procéderait donc par une succession d’équilibres ponctués[19]. A ceux qui s'étonneraient qu'un seul gène puisse ainsi modifier une espèce en quelques générations, il faut rappeler qu'il existe des reptiles où ce phénomène s'applique de manière bien plus spectaculaire. Ainsi, le tétard qui devient grenouille ou salamandre par exemple obéit à une évolution très rapide. En quelques semaines le tétard perd ses branchies et devient amphibien puis monte sur la terre ferme. Cette sorte de métamorphose est réglée par un seul voire quatre gènes régulateurs tout au plus. Il suffit de les injecter dans d'autres tétards pour activer leurs gènes de mutation avant l'heure et assister à leur transformation en quelques jours sous nos yeux éberlués ! Ce n'est pas une théorie fantasque mais un mécanisme existant depuis des millions d'années.
Notons que si l’habitat est stable, comme sous les Tropiques, les conditions d’existence seront également stables. Par suite, la niche écologique de chaque espèce se rétrécit car les espèces se spécialisent. En corollaire, cette spéciation provoque une augmentation du nombre d’espèces dans une région donnée. Mais ce phénomène est insuffisant pour expliquer leur apparition. Un coup de pouce du hasard est nécessaire pour infliger certaines contraintes aux espèces, telles qu’une perturbation climatique, des maladies, etc. Ce sont ces types d’instabilités externes (jamais internes) qui semblent être le moteur de l’évolution de nouvelles espèces. Wiliam Schaffer et Mark Kot[20] de l’Université d’Arizona ont en effet découvert que les fluctuations de populations avaient un effet favorable sur la diversité. Le chaos devient une force, une dynamique interne des communautés qui favorise la biodiversité. Tout en suivant la logique de Darwin, cette théorie des équilibres ponctués insiste sur le hasard ou l'imprévisibilité et la diversité des espèces. C'est la compétition entre elles qui oriente l'évolution. Gould reste néodarwinien. Mais c'est un adepte d'un gradualisme à vitesse variables, s'opposant au gradualisme à vitesse constante d'Eldredge ou ponctuationnisme[21]. Pour Eldredge et Gould, la pression de l'environnement conditionne donc toujours la survie de l'espèce, mais ils considèrent qu'il existe une pression non pas sur les espèces, mais interspécifique qui ponctue l'évolution. Leur thèse est prouvée par l'imperfection des archives fossiles qui sont vraisemblablement la conséquence d’extinctions de masse. Précisons bien notre pensée car les médias ont souvent malheureusement mal interprété cette idée. La thèse d'Eldredge et Gould est différente de la théorie de la saltation. En deux mots, cette bifurcation de l'évolution peut-être étudiée de deux manières. On peut en première approche reconnaître que les macromutations modifient l'évolution, mais considérer que l'espèce n'est aboutie qu'au terme de sa spécialisation et ne l'étudier qu'en tant que telle, comparant les populations entre elles. Or cette apparence est en réalité une succession d'opérations simples qui se répètent et s'additionnent en une seule étape, comme par exemple l'augmentation "soudaine" du nombre de segments de l'abdomen d'un insecte.
La seconde approche consiste à observer l'adaptation des spécimens à leur environnement, dans l'espace et dans le temps. Seule cette méthode permet d'insister sur l'observation des facteurs de compétition et reproductif des espèces. Non seulement cette étude permet d'étudier l'évolution, mais également les procédés qui amplifient les ruptures entre sociétés. Darwin lui-même était opposé à ce type d'apparition brusque des espèces. La sélection naturelle disait-il, ne fait pas de miracles ! Dernier chapitre
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