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La diversité des étoiles

Document T.Lombry

Comparaison entre la taille d'une étoile géante, solaire, une naine blanche, une étoile à neutrons et un trou noir. Document T.Lombry.

Les étoiles à neutrons (VI)

En 1934, Walter Baade et Fritz Zwicky prédirent l'existence d'étoiles constituées de neutrons et établirent leur connexion avec l'explosion des supernovae. Leur théorie fut développée par Richard Tolman en 1939 qui proposa dans la "Physical Review" une méthode analytique fondée sur les équations d'Einstein appliquées à une sphère statique fluide et par Robert Oppenheimer et George Volkoff[15] qui publièrent une analyse plus rigoureuse dans le même numéro de la "Physical Review".

Les chercheurs définirent ce qu'on appelle la limite d'Oppenheimer-Volkoff, c'est-à-dire la masse maximale de l'équilibre d'une étoile à neutrons statique qui à l'époque était fixée à 3/4 M, au-delà de laquelle l'étoile "n'atteindrait plus cet équilibre et se contraterait indéfiniment".

Bien entendu, à l'époque on ne parlait pas encore de trou noir, concept qui ne fut inventé qu'en 1967. Grâce à de meilleures connaissances en astrophysique et des simulations très complexes, aujourd'hui cette limite d'Oppenheimer-Volkoff a plus que doublé.

Formation d'une étoile à neutrons

Comme l'ont notamment montré en 2013 l'astrophysicien Nicolas Chamel de l'Université Libre de Bruxelles et ses collègues, les équations d'état (les relations mathématiques entre les différents paramètres physiques ou variables d'état de la matière) de la matière dense précisent que lorsque le noyau d'une étoile statique (dans un état stationnaire, le plus simple à mettre en équations) dépasse 1.1 M mais sans dépasser 3 M[16], les forces gravitationnelles sont si importantes qu'elles peuvent dépasser la force totale des électrons dont l'interaction électromagnétique peut empêcher l'effondrement des petites étoiles naines ainsi que nous l'avons expliqué précédemment. Bravant la limite de Chandrasekhar, la partie externe du noyau continue alors de s'effondrer. La pression électronique est tellement élevée que les électrons acquièrent une vitesse relativiste leur permettant de franchir les barrières du noyau atomique.

L'effondrement est interrompu par les forces nucléaires intra-atomiques de l'interaction forte, c'est l'effet de la pression de dégénérescence des neutrons : les électrons libérés de leur orbite s'annihilent avec les protons des noyaux. Leur charge devient neutre. A leur tour, les neutrons se désintègrent en protons et en électrons, puis ces protons et électrons fusionnent à nouveau pour former des neutrons. Chaque réaction produit un neutrino ou un antineutrino. Finalement, le noyau de l'étoile se transforme en une sorte de nucléon aux proportions astronomiques. C'est une étoile dite "dégénérée", dont la matière s'est transformée en neutrons, d'où l'étoile a tiré son nom.

Cette limite qui empêche l'étoile à neutrons de s'effondrer jusqu'au trou noir s'appelle la limite de Landau-Oppenheimer-Volkoff ou limite LOV (ou encore limite Tolman-Oppenheimer-Volkoff ou limite TOV).

A voir : The Violent Birth of Neutron Stars, J.Kelly, 2013

Simulation de l'évolution turbulente d'une étoile à neutrons respectivement de gauche à droite, 154 ms, 245 ms et 278 ms après sa formation. Le gaz est chauffé par les neutrinos (rouge) tandis que simultanément l'instabilité (SASI) provoque des mouvements de ballottement et de rotation chaotiques de toute la couche chauffée. Le choc enveloppant la supernova est en vert. Voir également la vidéo ci-dessus sur YouTube. Documents Elena Erastova et Markus Rampp/MPG/RZG).

Du point vue quantique, les électrons individuels occupent tous le même état quantique, une propriété qui est pourtant interdite en vertu des lois de la physique quantique. Mais contrairement à l'état libre des neutrons, une fois confinés ou stabilisés dans un atome, leur durée de vie dépasse les 15 minutes fatidiques - heureusement, sans quoi tout l’univers s’écroulerait au terme de ce délai ! - Le noyau de l'étoile peut à présent résister à la force gravitationnelle et ne s'effondre plus. L'équilibre de l'étoile est à nouveau assuré.

Les étoiles ayant plus de 8 M sur la Séquence principale mais qui ne dépassent pas environ 30 ou 40 M génèrent en fin de cycle des noyaux d'étoiles blanches dont la masse critique peut s'effondrer jusqu'à former des étoiles à neutrons et déclencher la phase supernova. Ce fut notamment le cas pour l'étoile géante bleue Sanduleak -202°69, alias SN 1987A. Les étoiles ayant une masse critique plus élevée, sans toutefois dépasser 60 à 100 M sur la Séquence principale évolueront également jusqu'à la transition étoile naine-étoile à neutrons mais se métamorphoseront ensuite en trou noir.

Evolution d'une étoile à neutrons

A sa naissance, du fait qu'une étoile à neutrons est le reste du noyau d'une étoile massive, sa température peut atteindre des centaines de milliards de Kelvins. Mais elle va très rapidement se refroidir à travers le rayonnement des neutrinos qui s'échappent en transportant de l'énergie. Ce processus cesse lorsque l'étoile atteint une température d'environ un 1 MK (1 million de Kelvins). A partir de ce moment, l'étoile perd lentement son énergie à travers le rayonnement électromagnétique. La majorité des étoiles à neutrons présentent une température surperficielle variant entre quelques centaines de milliers à un million de Kelvins.

Les étoiles à neutrons étant astrophysiquement parlant inertes sur le plan thermodynamique, elles ne génèrent aucune énergie. Elles ne rayonnent qu'en utilisant l'énergie "résiduelle" qu'elle possède distribuée entre chaleur, champ magnétique et rotation. Les étoiles à neutrons perdant leur énergie au fil du temps, les plus âgées rayonnent moins d'énergie. Nous verrons qu'elles peuvent "rajeunir" sous forme de pulsars et accélérer leur taux de rotation par accrétion d'un compagnon. Mais ce n'est pas une situation générale et cette revitalisation ne dure pas longtemps à l'échelle stellaire ou galactique. On y reviendra.

Après seulement quelques millions d'années, l'étoile à neutrons perd son énergie de rotation et son champ magnétique et se refroidit en fonction de la conductivité thermique de ses couches internes.

Selon les modèles, une étoile à neutrons "moyenne" peut survivre environ 7 milliards d'années après quoi elle devient moins chaude que le Soleil (5772 K). Parvenue à ce stade, son rayonnement varie comme le carré inverse de la luminosité solaire, soit 2 x 10-10. A la distance du Soleil (1 UA), cela représente une magnitude apparente de -2.5 soit 24.2 magnitudes plus faibles que la magnitude apparente du Soleil (-26.7). La magnitude absolue (reportée à 10 pc) d'une vieille étoile à neutrons tombe à +28 (contre +4.83 pour le Soleil), la plaçant parmi les astres les plus pâles de la Galaxie. Elle finira par devenir une sphère de cristal de fer glaciale sur laquelle il vaut mieux ne pas tenter de se poser au risque d'être aplati avant même d'en se rendre compte.

A gauche, schéma de la formation d'une étoile à neutrons (ou d'un trou noir) dans un système binaire. Voir le texte ci-dessous pour les explications. A droite, collision (fusion ou merge) de deux étoiles à neutrons. Il faut imaginer que les deux étoiles tournent rapidement l'une autour de l'autre et la collision génère tout le spectre de rayonnements ainsi que des ondes gravitationnelles. Ce phénomène cataclysmique concerne de nombreuses étoiles compactes binaires. Le résultat est soit une étoile compacte plus massive en rotation et magnétisée (pulsar, magnétar) soit un trou noir. Documents A.Vigna-Gómez et al. (2021) adaptés par l'auteur et T.Lombry.

L'évolution d'un système binaire comprenant une étoile géante et une étoile à neutrons (BNS) est très différente de celle d'une étoile à neutrons isolée. Comme illustré ci-dessus à gauche, trois cas se présentent selon le rapport de masse q (avec q = MBNS/Mdépouillée).

a. Dans un système binaire, lorsqu'une étoile quitte la Séquence principale à la fin de sa vie, elle entame son évolution parmi les géantes. Elle se dilate et engloutit sa compagne, dans ce cas-ci une étoiles à neutrons, au cours de l'étape dite d'évolution à enveloppe commune. Une éjection réussie de l'enveloppe de la géante laisse l'étoile à neutrons sur une orbite rapprochée autour de l'étoile géante dépouillée de son enveloppe. Si l'étoile à neutrons est en rotation rapide et génère un puissant champmagnétique, elle se transformera en pulsar.

b. L'évolution du système dépend du rapport de masse q. Les étoiles dépouillées peu massives avec q 0.3 connaissent une phase accrétante avec un transfert supplémentaire de masse qui dépouille davantage l'étoile géante et recycle le compagnon pulsar. Une telle séquence conduit à des systèmes binaires qui finissent par fusionner comme l'évènement GW170817 qui résulte de la fusion ou merge de deux étoiles à neutrons. Vu leur composition exotique et leur densité extrême, leur collision à l'effet d'une explosion atomique mais aux proportions astronomiques capable de produire des ondes gravitationnelles, autrement dit de perturber la structure même de l'espace-temps.

c. Les étoiles dépouillées plus massives avec q ≈ 0.3 ne se dilatent pas autant, évitant ainsi un décapage supplémentaire et un recyclage du compagnon. En revanche, une telle séquence évolutive devrait conduire à des systèmes binaires tels que l'évènement GW190425 résultant également de la fusion de deux étoiles à neutrons.

d. Enfin, des étoiles dépouillées de leur enveloppe et encore plus massives avec q <~ 0.3 forment des systèmes composés d'un trou noir et d'une étoile à neutrons tels que celui ayant produit l'évènement GW200115.

Taille minimale d'une étoile à neutrons

Grâce aux modèles des étoiles à neutrons, on peut calculer leurs propriétés comme leur diamètre, leur masse, leur densité, leur gravité de surface et leur pression interne notamment, à condition que l'équation d'état de la matière nucléaire soit précise.

Il existe une équation d'état pour les étoiles à neutrons depuis 1974 (cf. C.E. Rhoades et R.Ruffini, 1974) mais les astrophysiciens ne connaissent pas toutes les contraintes qui déterminent cette équation, surtout dans les profondeurs de l'astre où sa composition interne reste hypothétique (voir plus bas). Cette équation fut donc régulièrement améliorée en fonction des progrès en physique et en astronomie (cf. J.M. Lattimer, 2010). Malgré ces incertitudes, on peut fixer des contraintes, des limites minimale et maximale aux différents paramètres qui caractérisent une étoile à neutrons. Les données observationnelles viennent aussi renforcer ou corriger certaines hypothèses et donc parfois amender les modèles.

A gauche, image multispectrale du SNR G353.6-0.7 montrant les contreparties de la source de rayonnement gamma (optique par Gaia pour le fond, IR en rouge et jaune par Spitzer, rayons X en vert par XMM-Newton et TeV en bleu par H.E.S.S.). Enveloppée dans la coquille de poussière du SNR (en jaune), l'étoile à neutrons HESS J1731-347 est sur le côté droit de la tache jaune située au centre. L'étoile compagne est à sa gauche, près de la tache grise (cf. cette image annotée). L'ensemble du SNR mesure environ 0.4° de diamètre. A droite, graphique de l'équation d'état de l'étoile à neutrons HESS J1731-347 comparée à d'autres étoiles de même type. Documents V.Doroshenko et al. (2022).

Si la plupart des étoiles à neutrons rentrent dans les cases du modèle Standard, HESS J1731-34 est un cas particulier. Découverte en 2008 par l'équipe de F.Aharonian, cette étoile à neutrons est âgée de 27000 ans et est le reste d'une supernova dont le SNR est toujours visible comme le montre l'image composite ci-dessus à gauche.

En 2016, des chercheurs ont découvert l'existence d'une deuxième étoile au centre du SNR dont la masse fut estimée à 2 M. Située à peu près à la même distance que l'étoile à neutrons, cette seconde étoile a permis de réévaluer la distance de l'étoile à neutrons à 2.5 ±0.3 kpc soit environ 8150 années-lumière, plus proche que les anciennes estimations.

Selon les modélisations, pour une distance de 2.5 kpc, sa température superficielle atteint ~2 MK (cf. D.D. Ofengeilm et al., 2015) mais c'est déjà mille fois fois moins qu'à sa naissance.

Relation masse-rayon pour différentes équations d'état (EOS) et contraintes pour plusieurs étoiles à neutrons. "RDF" est la densité relativiste fonctionnelle, "DM" est la matière sombre. Document V.Sagun et al. (2023).

HESS J1731-34 est en voie de refroidissement et accumule épisodiquement de la matière provenant d'une étoile compagne. Ce phénomène de relaxation thermique devrait être mesurable dans moins de 30 ans. Mais cela va dépendre de la température du noyau et des propriétés physiques de sa croûte de nature exotique et des états de la matière.

Son refroidissement a fourni des preuves irréfutables de l'existence d'une phase exotique de matière à la fois solide et superfluide qu'on peut désormais appliquer aux phénomènes transitoires observés dans les autres étoiles à neutrons en phase d'accrétion.

Ces résultats permettent aux chercheurs de prédire de manière fiable la vitesse de refroidissement des étoiles à neutrons et démontrent en outre que ce sont des laboratoires uniques pour étudier la matière à une densité extrême (cf. N.Chamel et al., 2013; D.Page et S.Reddy, 2013 et S.Reddy et D.Page, 2012).

Une équipe dirigée par Victor Doroshenko de l'Institut d'Astronomie et d'Astrophysique de Tübingen, a recalculé le rayon de HESS J1731-34 et obtenu un rayon de 10.4 [+0.86 -0.78] km. Sur base d'une modélisation de son spectre en rayons X enregistré par le satellite XMM-Newton, les auteurs ont obtenu une masse de seulement 0.77 [+0.20 -0.17] M (cf. V.Doroshenko et al., 2022).

Une masse aussi faible s'écarte sensiblement des modèles qui prédisent que la masse minimale théorique devrait être de 1.17 M, comme c'est le cas par exemple de PSR J0453+1559 dont la masse est de 1.174 ±0.004 M. Cet écart signifie qu'il reste des inconnues et que le modèle des étoiles à neutrons est toujours incomplet.

L'équipe de Violetta Sagun du Département de Physique de l'Université de Coimbra au Portugal, a déjà trouvé une explication : HESS J1731-347 serait la première représentante d'une étoile à neutrons riche en quarks étranges, s, une saveur quantique qui n'existe pas dans la matière ordinaire faite de protons et de neutrons composées des quarks u et d (voir plus bas). Ces quarks étranges se formeraient suite à la transformation des quarks u et d. On y reviendra.

Mais l'hypothèse qu'il existerait des étoiles à neutrons riches en quarks étranges exige une correction importante de l'équation d'état. En effet, cette transition vers un état riche en quarks s ne se produit qu'à des densités ou pressions très élevées qu'on ne trouve généralement que dans des étoiles à neutrons très massives. En revanche, les quarks appariés pourraient expliquer l'absence d'émission de neutrinos. La taille réduite de l'étoile pourrait aussi expliquer la faible émission de photons depuis sa surface et son faible refroidissement, ce qui a pour effet de produire une température de surface très élevée.

Parmi les autres hypothèses envisagées, les auteurs proposent qu'il pourrait s'agir d'une étoile hybride où la matière est dans un état de transition de phase précoce de déconfinement, un phénomène qui se produit en dessous de deux fois la densité de saturation nucléaire.

Selon une troisième hypothèse, cette étoile à neutrons contiendrait environ 5% de matière sombre dans son noyau (cf. V.Sagun et al., 2023). Si cette solution est compatible avec les observations, son point faible est qu'on ignore la nature de cette matière sombre qui n'a toujours pas été identifiée. Dans ce cas, on se trouve dans une impasse avec une équation d'état qui reste incomplète.

Quelle que soit la nature de cette étoile, HESS J1731-347 reste exceptionnelle car c'est à ce jour la plus petite étoile à neutrons connue.

Masse maximale d'une étoile à neutrons en rotation

Si par simplicité, souvent les valeurs théoriques s'appliquent à une étoile à neutrons statique, pendant des décennies il fut difficile de déterminer la masse maximale d'une étoile à neutrons en rotation car elle dépend des équations d'état de la matière que nous savons incomplètes. De plus, sa masse maximale dépend également de son taux de rotation. Mais cela c'est du passé. En effet, une étude publiée dans les "MNRAS" en 2016 par les astrophysiciens Cosima Breu et Luciano Rezzolla de l'Université de Frankfort a montré qu'il est possible de prédire la masse maximale d'une étoile à neutrons en rotation en se basant simplement sur la masse maximale correspondante de l'étoile statique. Ils ont obtenu une masse maximale valant 1.203 ±0.022 fois la masse totale de l'étoile statique.

On en déduit qu'une étoile à neutrons en rotation peut au maximum accroître sa masse de 20% et donc atteindre ~2.5 M, au-delà de laquelle elle s'effondre. Ce phénomène s'explique mécaniquement par le fait que le supplément de force centrifuge équilibre la force gravitationnelle. Mais même dans ces conditions, la masse de l'étoile ne peut pas augmenter indéfiniment car toute augmentation de masse doit être accompagnée par une accélération de sa rotation. Or comme nous le verrons avec les pulsars millisecondes et les trous noirs, il existe une vitesse limite au-delà de laquelle l'étoile se désintègre. Cette masse limite est donc une valeur absolue valable pour une étoile à neutrons tournant à sa vitesse maximale.

Parmi les étoiles à neutrons les plus massives, dans une étude publiée dans la revue "Nature" en 2019, l'équipe de H.Thankful Cromatie de l'Université de Virginie annonça la découverte d'un pulsar milliseconde de 2.17 M et de 30 km de diamètre, MSP J0740+6620. Le précédent record était détenu par PSR J0348+0432 avec 2.01 M.

En 2012, grâce au télescope LAT du satellite gamma Fermi, des astronomes découvrirent le pulsar milliseconde PSR J2215+5135. Une étude conduite en 2018 par des astronomes espagnols a permis d'estimer sa masse à ~2.27 M (cf. M.Linares et al., 2018).

Ce pulsar massif présente une période très rapide de 2.61 ms, mais ce ne sont pas ses seules particularités. Il est couplé en système binaire serré avec un petit compagnon peu massif de ~0.33 M dont la période est de 4.14 heures. En raison de ses interactions avec cette petite étoile, comme on le voit sur l'illustration ci-dessous, la surface de l'étoile compagne présente un important contraste de température avec une face relativement sombre et froide surnommée "redback" (dos rouge) portée à environ 5660 K et une face brillante et chaude du côté du pulsar portée à environ 8080 K.

A voir : A 2.3 Solar-mass neutron star in PSR J2215+5135

The fastest and heaviest known galactic neutron star (PSR J0952-0607)

A gauche, illustration du pulsar milliseconde PSR J2215+5135 et son compagnon "redback" dont il déforme et surchauffe l'atmosphère dans sa direction. Voir également la vidéo ci-dessus. A droite, la meilleure image que nous ayons du pulsar milliseconde PSR J0952-0607 d'environ 2.35 masses solaires. Documents UPC adapté par l'auteur et Obs.Keck/R.W. Romani et al. (2022).

Actuellement, l'étoile à neutrons la plus massive est PSR J0952-0607 découverte en 2017 à environ 3000 années-lumière dans la constellation du Sextant présentée ci-dessus à droite. Sa masse atteint le record de ~2.35 M. Au-delà de cette valeur, on estime que l'étoile doit s'effondrer et se transformer en trou noir. Cette étoile est également un pulsar milliseconde et même l'un des plus rapides découverts à ce jour avec une période de 1.41 ms soit 707 rotations par seconde (cf. R.W. Romani et al., 2022).

PSR J0952-0607 forme un système binaire avec une étoile qui devait se transformer en géante rouge. Actuellement l'étoile à neutrons accrète son atmosphère, ce qui a pour effet d'augmenter la masse et le moment cinétique et donc d'accélérer la rotation de l'étoile compacte tout en générant un vent de particules extrêmement énergétique. Ce vent qui souffle violemment et en permanence arrache littéralement l'atmosphère de son compagnon. A l'origine de la taille d'une étoile, son compagnon n'atteint plus que 2% de la masse du Soleil soit ~20 fois celle de Jupiter. A terme, son compagnon aura la taille d'une planète gazeuse et pourrait même totalement disparaître, d'où son nom de pulsar "Veuve noire" car il "avale" littéralement son compagnon. On reviendra (cf. page 9).

Selon Romani et ses collègues, les deux astres sont "verrouillés" gravitationnellement. Lorsque la partie la plus proche de l'étoile compagne est plus attirée que la partie la plus éloignée, le système passe en rotation synchrone et l'étoile compagne effectue une rotation sur elle-même dans le même temps qu'elle boucle sa révolution autour du pulsar en 6.4 heures (c'est le même phénomène maréal qui verrouille le système Terre-Lune). En raison de ce verrouillage gravitationnel, la température du compagnon du côté de l'étoile à neutrons s'élève à 6200 K, - c'est une "redback" - ce qui permet de l'observer optiquement dans les plus grands télescopes (Keck de 10 m et le JWST).

Structure et propriétés

Quelle est la constitution d'une étoile à neutrons ? Depuis les années 1980, grâce aux travaux de Stuart Shapiro et Saul Teukolsky, les astrophysiciens estiment que les étoiles à neutrons sont constituées de matière exotique. En effet, la matière fortement comprimée applique en force les lois de la chromodynamique quantique qui régissent les propriétés de la matière neutronique et celles de la relativité qui régissent également son comportement global à travers l'effet de la gravitation. Mais dans ces conditions extrêmes, nous connaissons mal les états de la matière et les façons dont elle s'organise en fonction de la pression.

L'épaisseur de l'atmosphère terrestre comparée à celle de l'étoile à neutrons Cassiopeia A qui ne fait que 10 cm d'épaisseur en raison de la pression colossale qui est 100 milliards de fois supérieure à celle régnant sur Terre au niveau de la mer ! Document Chandra adapté par l'auteur.

Plusieurs modèles sont actuellement à l'étude mais il leur manque une validation expérimentale en laboratoire ou dans l'espace, deux conditions impossibles à réunir vu les conditions physiques nécessaires. On ne peut donc qu'imaginer leur état et proposer des scénarii tenant compte d'expériences et de simulations aussi proches que possible des conditions régnant dans ces étoiles dégénérées. Nos modèles pêchent donc par approximation et présentent un certain degré d'incertitude.

Selon une étude publiée dans la revue "Nature" en 2020 par l'équipe de Collin D. Capano aujourd'hui à l'Université de Syracuse, sur base de l'analyse des données de l'évènement GW170817, pour une masse de 1.4 M, le rayon moyen d'une étoile à neutrons est de 11 km (entre 10.4 et 11.9 km). La gravité régnant à sa surface est 100 à 200 milliards (2 x 1011) de fois supérieure à celle qui règne à la surface de la Terre !

Comme on le voit ci-dessous, selon les modèles la surface d'une étoile à neutrons est enveloppée par une atmosphère de carbone dont la température près de la surface varie entre 2 et 10 millions de degrés. Comme sur Terre, l'étendue de cette atmosphère est proportionnelle à sa température et inversement proportionnelle à la gravité en surface.

Dans le cas de l'étoile à neutrons située au coeur de la nébuleuse Cassiopeia A, en raison de cette gravité colossale son atmosphère ne s'étend que sur 10 cm d'épaisseur ! Elle présente la densité du diamant (~3.5) et la pression en surface est 10 fois supérieure à celle qui règne au centre de la Terre (~360 GPa) soit environ 3.5 x 1012 Pa ou 3500 GPa ou encore 35 millions de bars. Sous cette pression, tout relief est réduit à quelques centimètres d'épaisseur. Dans ces conditions la moindre vibration ou le moindre impact devient cataclysmique; un corps tombe sur sa surface à la vitesse de 100000 km/s, générant un impact similaire à celui de l'explosion d'une bombe atomique !

Les pressions qui règnent à la surface d'une étoile à neutrons et dans sa croûte sont accessibles aux chercheurs mais uniquement dans des laboratoires très spécialisés. On atteint par exemple 1000 GPa dans des cellules à enclume en diamant (cf. N.Dubrovinskaia et al., 2016) et on dépasse les 100000 GPa dans des ondes de choc (cf. R.Jeanloz et al., 2007). Ces conditions permettent de tester certaines théories sur la matière condensée.

La surface d'une étoile à neutrons est recouverte de matière ordinaire constituée de fer cristallin sur quelques dizaines de mètres d'épaisseur sous laquelle se trouve une seconde couche de fer cristallin mélangée à des neutrons sur 100 m d'épaissseur. Sa densité est d'environ 106 soit 10000 fois plus dense que le plomb ! A titre de comparaison, le plomb présente une densité de 11.25 et seuls l'osmium et l'iridium présentent une densité supérieure à 22.6 (même l'uranium est plus "léger" avec une densité de 19). Il n'existe aucun atome plus dense à la surface de la Terre. Pour y parvenir il faut soit excercer une force de pression supplémentaire sur la matière soit augmenter la force gravitationnelle (mais cela dépend uniquement de la masse) et donc la confiner dans une enceinte. C'est exactement les conditions régnant dans une étoile à neutrons.

A gauche, schéma d'une étoile à neutrons. Au centre, modèle d'une croûte d'étoile à neutrons accrétante. La masse totale de l'étoile est de 1.4 Ms. Une combustion stable de l'hydrogène se produit sous l'enveloppe radiative et produit de l'hélium, qui s'accumule dans l'enveloppe d'hélium. L'hélium entre en combustion à une densité de 10 millions, conduisant à un flash de l'hélium et à une combustion explosive de toute la matière située au-dessus du fond de la couche d'He qui se transforme en Ni-56 qui va ensuite capturer des électrons pour se transformer en Fe-56 stable. Après environ une heure, les cycles d'accrétion, de combustion d'hydrogène et d'explosion déclenché par le flash de l'hélium se répètent à nouveau et la couche de fer de l'explosion précédente est repoussée vers le bas. A droite, résumé des diverses surfaces possibles des étoiles à neutrons. Documents T.Lombry et N.Chamel et P.Haensel (2008) adaptés par l'auteur.

Sous la couche cristalline se trouve la croûte qui se stratifie en deux couches. Dans les premiers 300 à 500 m se trouve une croûte externe composée d'ions et de neutrons, solide et mêlée de gaz d'électrons relativistes dégénérés. Sa densité est très variable, oscillant entre 106 et 4 x 1011. Juste en dessous se trouve la croûte interne. Il s'agit également d'une enveloppe solide mais cette fois constituée d'ions, de neutrons et de gaz neutronique superfluide (SFn). Elle s'étend sur 500 m à 1 km et présente une densité comprise entre 4 x 1011 et 2 x 1014.

Entre la croûte et le coeur existe une zone de transition, un manteau de 7 à 8 km de rayon et occupant 80% du volume constitué d'un liquide superfluide de neutrons et de protons (liquide de Fermi) mélangé à des muons (leptons) et quelques pourcents de gaz d'électrons superfluide (gaz de Fermi). Les auteurs de romans de science-fiction appellent cette matière le "neutronium".

La densité qui règne dans le manteau superfluide atteint ~1015, la valeur précise dépendant de la masse, de la composition et de l'équation d'état de la matière. Cette dernière est une formule approximative car on suppose que la matière subit des changements de phase dont on ignore les caractéristiques. Toutefois, Kai Hebeler de l'Université de Darmstadt et ses collègues ont tenté de calculer cette équation d'état en tenant compte des contraintes de la physique nucléaire dont les résultats furent publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2013.

Deux profils d'une étoile à neutrons en insistant sur sa croûte solide qui mesure 1 km d'épaisseur soit seulement ~10% du rayon. A gauche, structure et composition générales. A droite, variation de la densité à l'état fondamental. Documents S.Reddy ety D.Page (2012) et N.Chamel et P.Haensel (2008) adaptés par l'auteur.

Enfin, on suppose qu'il existe un noyau dont le rayon varie entre 1 et 3 km. Il pourrait être solide avec une densité pouvant atteindre 1018 ! Dans de telles conditions, la pression est affectée par un effet relativiste (ρc2) et approche en théorie le maximum possible pour un gaz idéal de fermions dégénérés, soit ~3 x 1034 Pa. Si dans l'absolu c'est le record de pression possible dans un astre, c'est encore 10 fois inférieur à la pression qui règne dans un proton !

Dans ce noyau se manifestent des phénomènes gravito-quantiques excessivement violents et chaotiques conduisant à des phénomènes inconnus que nos théories permettent à peine de modéliser. Que s'y passe-t-il, quelle est cette matière ? On l'ignore. Le noyau pourrait contenir des neutrons à l'état solide, des mésons condensés, une "soupe" ou plasma de quarks et de gluons (sous forme liquide) voire même des quarks étranges (voir plus bas). Mais à moins d'unifier toutes les lois de la nature, cela restera malheureusement encore longtemps des spéculations.

Seule chose certaine, grâce au VLT l'astronome Darach Watson de l'Université de Copenhague et ses collègues ont détecté du strontium dans le spectre de GW170817. Cette découverte qui fit l'objet d'une publication dans la revue "Nature" en 2019 (en PDF sur le site de l'ESO), confirme la création de cet élément par capture de neutrons et par conséquent le fait que les étoiles à neutrons sont composées de neutrons.

Soupe et étoiles de quarks

Propriétés de la soupe de quarks

Le modèle Standard des particules élémentaires de la physique quantique prédit que les soubassements de la matière sont notamment constitués de quarks unis par des gluons. Si généralement les quarks sont confinés (liés le plus souvent en paires ou triplets), en théorie ils peuvent exister sous forme de particules déconfinées dans des conditions de pressions et de températures extrêmement élevées (>1015 g/cm3 et >1012 K) telles celles qui règnent justement dans le noyau des étoiles à neutrons.

Simulation des collisions entre des noyaux d'or et des deutérons (p+n) au RHIC créant de minuscules gouttes chaudes de plasma de "soupe de quarks-gluons" ou QGP. Document BNL. Voir aussi cette vidéo.

On parle bien de quarks déconfinées car contrairement à ce qu'on lit souvent, ces particules ne sont pas réellement libres car elles subissent un potentiel quasiment aussi grand dans toutes les directions. Mais ce n'est qu'une hypothèse puisqu'il s'agit de conditions physiques inaccessibles aux expériences. En effet, on peut juste créer des plasmas de quarks-gluons ou QGP communément appelés "soupe de quarks" mais la création de quarks déconfinés ou même libre exige des températures supérieures à 1012 K et cette matière dégénérée de la taille d'un nucléon est instable et se désintègre en quelques femtosecondes.

Nous verrons à propos de la théorie du Big Bang, qu'en 2018 grâce au collisionneur RHIC du BNL des chercheurs ont découvert que ce plasma de quarks et de gluons présente les propriétés d'un fluide. En se détendant par exemple, il peut former des gouttelettes sphériques. On peut donc imaginer que le noyau des étoiles à neutrons ou même l'Univers primordial présentait un état fluide. On y reviendra.

On peut également simuler cette soupe de quarks sur ordinateur, par exemple grâce aux variétés de Calabi-Yau (les mêmes qu'on retrouve dans les topologies à plus de 4 dimensions en théorie des supercordes, cf. cette géométrie de Calaby-Yau en 6D) et vérifier si les résultats concordent avec certaines observations. C'est cette analyse qu'ont réalisée des physiciens du CERN en 2018.

Si on peut créer virtuellement des quarks (par exemple lors de la transformation d'un proton en neutron) dans les accélérateurs de particules, on peut aussi les matérialiser et les faire réagir avec des hadrons. Mais il est plus difficile d'étudier le comportement collectif des quarks déconfinés qui fait toujours l'objet de nombreuses études et spéculations. Mais grâce aux données sur les étoiles à neutrons, il serait possible de contraindre les modèles et d'en savoir un peu plus sur cet état particulier de la matière.

Illustration de la collision (merge ou fusion) de deux étoiles à neutrons. Document Dana Berry/SkyWorks Digital, Inc.

Les physiciens peuvent étudier en laboratoire la soupe de quarks car bien qu'une étoile à neutrons est 18 ordres de grandeur plus grande qu'un neutron de plomb-208 par exemple (rayon de ~5.8 fm contre ~12 km), les deux corps contiennent les mêmes neutrons soumis aux mêmes interactions fortes régis par les mêmes équations d'état.

Le physicien Aleksi Kurkela de l'Université de Stavanger en Norvège et ses collègues du CERN ont décrit en 2018 dans les "Physical Review Letters" une méthode pour déduire les équations d'état des étoiles à neutrons à partir des ondes gravitationnelles détectées par la Collaboration LIGO lors de la fusion de deux étoiles à neutrons. Un tel phénomène est par exemple survenu en 2017 dans la galaxie NGC 4993 située à 130 millions d'années-lumière - l'évènement LIGO GW170817 - qui donna lieu à une kilonova (voir page suivante). On estime que l'astre résultant de cette fusion se transforma en trou noir.

La propriété qu'ils ont analysée est la force de résistance qu'oppose l'étoile compacte en réponse aux contraintes gravitationnelles, c'est-à-dire les déformations induites par les forces de marée (le même effet qui produit notamment les TDE associés aux trous noirs).

Pour décrire le comportement collectif des quarks, les physiciens utilisent généralement des équations d'état mais ils n'ont pas encore trouvé une équation d'état unique pour la soupe de quarks et n'ont pu proposer que des cas généraux, des familles d'équations. En y appliquant les données sur les déformations de marées des étoiles à neutrons observées par LIGO et Virgo à une certaine famille d'équations d'état décrivant la soupe de quarks, Kurkela et ses collègues ont pu réduire considérablement la dimension de cette famille d'équations. Moins d'équations signifie aussi des limites ou contraintes plus strictes sur les propriétés collectives des quarks et plus généralement sur la matière nucléaire soumise à de fortes densités qu'il n'était permis jusqu'à présent.

Armés de ces résultats, les chercheurs ont ensuite retourné le problème et ont utilisé les limites quark-matière pour déduire les propriétés d'une étoile à neutrons, dont son rayon. En utilisant cette approche, les chercheurs ont pu calculer la relation entre le rayon et la masse d'une étoile à neutrons et trouvé que le rayon maximum vaut 1.4 fois le rayon du Soleil soit entre 10 et 14 km pour une étoile statique, ce qui est un résultat remarquable compte tenu des moyens indirects utilisés. Ceci confirme une fois de plus l'intérêt des recherches pluridisciplinaires qui permettent d'aborder et de résoudre certains problèmes en les approchant parfois d'une manière tout à fait surprenante.

Trace des quarks dans les ondes gravitationnelles

Comme évoqué ci-dessus, lors de la collision entre deux étoiles à neutrons, les modèles montrent qu'il s'opère une transition de phase quark-hadron juste après la fusion des deux astres au cours de laquelle les neutrons se dissolvent dans leurs constituants, quarks et gluons. Cette transition de phase finit par former un noyau de quarks très chaud et très dense. Grâce à de nouveaux modèles, deux équipes de chercheurs (cf. Elias R. Most et al., 2019; A.Bauswein et al., 2019) ont découvert que ce changement d'état laisse une trace détectable dans les ondes gravitationnelles. En effet, si la transition a lieu assez tard après la fusion, de petites quantités de quarks apparaîtront progressivement dans l’objet fusionné qui provoqueront un signal différent de celui des hadrons dans l'onde gravitationnelle jusqu'à ce que l'étoile à neutrons nouvellement formée s'effondre sous son propre poids et forme un trou noir.

Précisons que ce signal particulier n'est pas encore mesurable avec les détecteurs d'ondes gravitationnelles actuels mais le seront avec la prochaine génération et avec des évènement de fusion relativement proches du système solaire.

Notons que deux expériences offrent une approche complémentaire pour répondre aux questions relatives aux quarks : l'installation du collisionneur d'ions lourds HADES du GSI installée en Allemagne et le futur détecteur CBM de l'installation de recherche d'antiprotons et d'ions (FAIR) actuellement en construction au GSI où de la matière nucléaire sera produite. Lors des collisions, il pourrait être possible de créer des températures et des densités similaires à celles développées lors d'une fusion d'étoile à neutrons. Les deux méthodes apporteront aux chercheurs de nouvelles données sur l'occurrence des transitions de phase dans la matière nucléaire et donc sur ses propriétés fondamentales.

A gauche, relation masse-rayon pour 12 étoiles à neutrons binaires. "APR4" est l'équation d’état standard représentée par la courbe noire. A droite, illustration de la fusion (merge) de deux étoiles à neutrons dans une explosion cataclysmique produisant du strontium et confirmant la création d'éléments lourds lors d'évènements aussi extrêmes. C'est par exemple le cas de l'évènement GW170817 où les chercheurs détectèrent également des ondes gravitationnelles. Documents G.Pratten et al. (2022) et ESO/L.Calçada/M.Kornmesser.

Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2022 (en PDF sur arXiv), l'équipe de Geraint Pratten de l'Institut d'Astronomie des Ondes Gravitationnelles (IGWA) de l'Université de Birmingham a réussi à améliorer les modèles des étoiles à neutrons après avoir étudié les ondes gravitationnelles qu'elles émettaient.

A l'image de la sismologie solaire qui permet de préciser la structure interne du Soleil, la détection par LIGO de nouvelles ondes gravitationnelles émises par des étoiles à neutrons en orbites serrées ou en collision, permet aux scientifiques d'obtenir des informations cruciales sur ces étoiles, comme par exemple de préciser la relation entre la masse de l'étoile compacte et son rayon comme illustré ci-dessus.

Les fréquences des ondes gravitationnelles au-dessus de ~800 Hz présentent une signature spécifique qui permet de contraindre l'équation d'état d'une étoile à neutrons froide. Toutefois, les effets des marées sous-dominantes appelées les marées dynamiques deviennent importants et étaient jusqu'ici négligés. Selon Pratten, "Si on néglige ces effets additionnels, notre compréhension de la structure d'une étoile à neutrons prise comme un tout risque d'être fortement biaisée."

Ces détails sont très importants car les expériences de laboratoire ne peuvent pas reproduire l'état de la matière au plus profond d'une étoile à neutrons. Selon sa collègue Patricia Schmidt, coautrice de cet article, le fait d'avoir précisé l'équation d'état de la matière dans une étoile à neutrons permet d'envisager de "voir des atomes interagir les uns avec les autres d'une manière que nous n'avons pas encore vue - nécessitant potentiellement de nouvelles lois de la physique."

A l'avenir les chercheurs de l'IGWA vont encore affiner les calculs afin de mieux calibrer les nouveaux modèles avant que l'installation Advanced LIGO+ soit opérationnelle en 2025.

A propos des étoiles étranges

On trouve parfois dans la littérature scientifique (cf. A.Drago et A.Lavagno, 2001) et dans les médias la référence aux "étoiles de quarks" (quark star) ou "étoiles étranges". Il s'agit d'un astre hypothétique fait de matière exotique imaginé par les physiciens soviétiques D. Ivanenko et D. Kurdgelaidze en 1965. Cet astre résulterait de l'explosion d'une supernova de Type II dont le reste stellaire serait réduit au noyau d'un étoile à neutrons, et à ce titre il serait très difficile de le différencier de cette dernière.

Si à des température et pression nulles, la soupe de quarks est énergétiquement favorisée par rapport à la matière nucléaire, on a longtemps pensé que dans le noyau d'une étoile à neutrons où règne des conditions infernales (>1012 K, ~3 x 1034 Pa, ~1018 g/cm3), elle prendrait la forme d'une soupe de quarks, confinés ou non reste à déterminer, comprenant des quantités comparables de quarks u, d et s. Certains ont également évoqué une structure nucléaire composée de mésons (doublets de quarks u et d).

La possibilité qu'il s'agisse de matière baryonique (comme le proton et le neutron) composée des seuls quarks u et d est généralement rejetée par les physiciens du fait que l'on sait que les noyaux ordinaires sont stables.

Il y a quelques décennies, les physiciens estimaient que les quarks u et d en principe confinés seraient déconfinés dans les conditions de température et pression évoquées ci-dessus et se transformeraient en quarks s, ce qui rendrait cette soupe de quarks stable. Si elle l'est effectivement dans le noyau des étoiles à neutrons protégé par leur manteau hyperdense et chaud, on ignore la composition de ce noyau.

Mais une étoile étrange pourrait-elle exister dans les conditions glaciales de l'espace et de pression nulle ? Selon la théorie de Bodmer-Witten (cf. A.Bodem, 1971 et E.Witten, 1984), ce serait le cas mais uniquement si la soupe de quarks se transforme rapidement en quarks étranges.

À son tour, l'équipe du physicien Bryan W. Lynn de l'Université de Stanford montra dans un article publié en 1990 dans la revue "Nuclear Physics B" qu'une soupe de quarks étranges serait stable dans son état fondamental à pression nulle tandis que les noyaux ordinaires seraient métastables (c'est-à-dire apparemment stables mais des conditions particulières et temporairement).

Cependant, l'équipe du physicien Bob Holdom de l'Université de Toronto réalisa de nouvelles modélisations du spectre des mésons pseudoscalaires et scalaires (dont le spin =0) les plus légers dont les résultats furent publiés dans les "Physical Review Letters" en 2018. Les chercheurs ont constaté que le doublet hadronique composé des quarks u et d (comme les mésons) présente généralement une densité d'énergie par baryon plus faible que les noyaux ordinaires (composés de triplets de quarks u et d) ou ceux d'une soupe de quarks s. Autrement dit, une "soupe de mésons" serait plus stable qu'une soupe de neutrons ou de quarks étranges.

Diagramme d'état d'énergie de la physique des particules si on considère qu'elle s'applique jusqu'à l'échelle de Planck. Dans la région métastable on trouve notamment les quarks u, d et s (hors échelle car très légers), le quark top (~171 GeV) et le boson de Higgs (~125 GeV) indiqués par l'ellipse. Document T.Lombry inspiré de Fermilab.

Mais cela ne veut pas dire qu'une étoile étrange ne peut pas exister; cet état est seulement peu probable; sur Terre il existe des états éloignés de l'équilibre qui peuvent rester métastables et donc donner l'apparence d'être stables très longtemps comme par exemple l'eau en surfusion, le diamant ou certaines roches métamorphiques. On sait également qu'il existe des conditions dans lesquelles les particules élémentaires comme les quarks et le boson de Higgs présentent des états métastables. Même le vide de l'espace peut subir une perturbation quantique; en ce sens l'Univers est dans un état métastable.

Notons qu'en théorie, si de la matière neutronique dégénère en quarks étranges, dans ce cas l'étoile étrange se transformerait en une sorte de hadron gigantesque, c'est-à-dire en matière liée non pas grâce à l'interaction forte mais à la gravité.

En tenant compte les effets de la taille finie des doublets (mésons), il est possible que l'état fondamental de la matière baryonique (la soupe de quarks) soumise à de telles conditions ne soit stable que pour un assemblage d'au moins 300 nucléons où l'effet gravitationnel devient sensible. Cette propriété assurerait la stabilité des noyaux ordinaires et constituerait une nouvelle forme de matière stable dite mésonique.

Cette sorte de nucléon géant constitué de quarks confinés avec des gluons (ou déconfinés) mesurerait entre 5 et 10 km de rayon soit un peu plus de la moitié d'une étoile à neutrons. Selon les théoriciens, du fait de la très faible masse de ces quarks (2.4 MeV pour u et 104 MeV pour s), la masse d'un tel astre serait 11 à 25 fois inférieure à celle d'une étoile à neutrons mais au moins égale à 0.09 M soit ~1029 kg ou 30000 fois celle de la Terre.

En revanche, si la matière baryonique se transforme en quarks étranges, à ce niveau de température et de pression, cette soupe de quarks se comporterait comme un liquide de Fermi (un gaz d'électrons refroidi sans interaction et supraconducteur) dont les quarks seraient couplés dans une phase couleur-saveur ou CFL (color-flavor-locked phase) de supraconductivité de couleur. En surface, on serait hors phase CFL avec un état liquide de quarks peut-être conducteur de la couleur comme l'électromagnétisme conduit la charge électrique mais dans une phase inconnue dont les propriétés restent à découvrir mais qui sont actuellement inaccessibles aux expériences ou de manière indirecte.

Signalons qu'en 2002, Rachid Ouyed de l'Université de Calcutta en Inde et ses collègues ont proposé qu'une étoile à neutrons pourrait se transformer en étoile étrange, formant ce qu'ils ont appelé une "quark-nova" (QN), c'est-à-dire une nova étrange. Cette hypothèse fut à l'origine du "Quark Nova Project" en 2013 mais depuis ses auteurs ne se sont plus manifestés.

Quel est le statut des "novae étranges" ? Depuis les années 2000, plusieurs chercheurs ont prétendu que certaines étoiles compactes découvertes au coeur de SNR seraient d'éventuelles étoiles étranges; en fait leur "méthode" consiste simplement à classer tout reste stellaire qu'ils n'ont pas identifié immédiatement parmi les étoiles étranges pour citer 3C58, RX J1856.5-3754, XTE J1739-285, PSR B0943+10, SN 2006gy, ASASSN-15lh et même SN 1987A ! Mais à ce jour, faute de preuves, la majorité des scientifiques sont plus réservés et n'ont finalement retenu aucun candidat.

Notons que certains astronomes dont le postdoctorant Lijing Shao de l'Institut Max Planck de Radioastronomie (MPIfR) et ses collègues cherchent toujours l'hypothétique "cinquième force" de la nature qui serait une variante de la gravité. Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2018 (en PDF sur arXiv), ils estiment que les propriétés extrêmes des étoiles à neutrons et des pulsars en feraient des candidates toutes désignées "pour interagir avec la matière noire", ce qui permettrait de mieux comprendre ce qu'elle représente et de découvrir éventuellement son lien avec une hypothétique cinquième force. Les chercheurs ont donc proposé un test expérimental sur le pulsar binaire PSR J171300747 et si possible sur d'autres pulsars binaires situés à moins de 33 années-lumière (10 pc) du centre de la Voie Lactée afin de mieux contraindre les modèles actuels et prédire les valeurs de couplage entre la matière sombre et le modèle Standard. Mais ce n'est qu'une hypothèse très spéculative dans la mesure où on ne connaît pas les propriétés précises du noyau des étoiles à neutrons et des pulsars, sans parler que ni la matière noire ni la 5e force n'ont été identifiées.

Densité et luminosité d'Eddington

Une étoile à neutrons d'au moins une masse solaire présente un rayon de 11 à 20 km seulement, ce qui représente également le diamètre final du reste résultant de l'effondrement d'une supernova. Parvenue à ce stade, la densité du noyau d'une étoile à neutrons équivaut à des milliards de milliards de fois celle du plomb.

Réduit à l'état cristallin ou mieux encore, de fluide neutronique superfluide, un centimètre cube de cette matière peut aisément peser plusieurs centaines de milliards de tonnes sur Terre ! Pas question de la manipuler comme un sucre ou une boule de papier ! De toute façon vous n'en auriez même pas le temps car elle ne pourrait même pas se maintenir à la surface de la Terre et s’enfoncerait instantanément (à la vitesse de 70000-100000 km/s) jusqu'au noyau.

La densité d'une étoile à neutrons a été décrite comme équivalant à l'empaquetage de toutes les voitures du monde dans un dé à coudre ! Et encore, il en manquerait "quelques camions"... Trêve de plaisanterie, une étoile à neutrons est réellement un objet étrange au point que même son rayonnement a subi les effets gravitationnels.

La matière est tellement comprimée que son champ magnétique peut atteindre une intensité de 108 à 1015 G (104 à 1011 T), alors qu'un Soleil en pleine activité atteint en moyenne 3000 G dans les taches solaires et trois mille fois moins aux pôles !

Comment une telle masse peut-elle tenir dans un corps aussi petit sans le faire éclater ? Pour cela il faut se replonger dans un cours d'astrophysique et se rappeler la limite imposée par la "luminosité d’Eddington" évoquée à propos des étoiles géantes qui impose un seuil d'équilibre entre gravitation et pression de radiation. Si le Soleil par exemple voulait émettre un rayonnement thermique proche de l'énergie d’une étoile à neutrons ou d'un pulsar X, sachant que sa luminosité d’Eddington serait égale à 25000 fois sa luminosité actuelle, sa surface devrait être cent mille milliards de fois plus lumineuse, soit quelques milliards de fois supérieure à la luminosité d'Eddington. En conséquence, sa surface devra être réduite dans un facteur comparable pour ne pas dépasser la luminosité critique au risque de voler en éclats par l'intensité des rayonnements (la pression de radiation) face auxquelles même les forces inter-atomiques sont impuissantes.

C'est la raison pour laquelle toutes les étoiles émettant un intense rayonnement X ne font que quelques dizaines de kilomètres de rayon, tandis que les astres rayonnant des photons gamma se réduisent à un volume encore plus étroit de quelques kilomètres de rayon.

Pour une étoile "normale" la luminosité maximale d'Eddington se situe autour de 100 M mais il existe un certains nombre d'étoiles à neutrons dépassant largement la limite d'Eddington sans qu'on observe d'instabilités. Ces étoiles à neutrons sont en quelque sorte protégées car elle bénéficient de l'effet d'une "bulle de photons" comme l'a montré Jonathan Arons dès 1992. Dans une atmosphère dominée par le rayonnement, une étoile à neutrons peut spontanément développer une bulle de photons lorsque la pression magnétique dépasse la pression du gaz. Ainsi, on peut imaginer une étoile dont une région de l'atmosphère présente une densité inférieure à celle de son environnement mais dont la pression de radiation est plus élevée. Cette région va donc s'élever dans l'atmosphère tout en diffusant son énergie en périphérie, ce qui va augmenter la pression de radiation. Cet effet pourrait transporter le rayonnement plus efficacement qu'une atmosphère homogène avec pour conséquence d'augmenter le taux total de rayonnement "autorisé" dans un rapport 10 à 100 fois supérieur à la limite d'Eddington.

Énergie du rayonnement

Mais d'où cette petite étoile tire-t-elle une nouvelle fois autant d’énergie ? A l'image de la conservation du moment cinétique, pendant l'effondrement stellaire le flux magnétique, c'est-à-dire le produit de l'intensité du champ magnétique par la surface de l'étoile reste constant. Ce phénomène explique qu'une petite étoile de cet acabit présente un champ magnétique des milliards de fois supérieur à celui du Soleil.

Dans ces conditions de pression et d'intensité magnétique, l'énergie de liaison qui unit ses neutrons atteint 10% de leur masse au repos contre seulement 0.7% pour le noyau d'hélium élaboré dans le chaudron solaire !

A gauche, l'arc de choc nébuleux près de l'étoile à neutrons RX J1856.5-3754. Au centre, son image dans le rayonnement X. Située à 400 a.l. dans la Couronne australe, cette étoile à neutrons est un corps solide d'environ 14 km de diamètre présentant une température effective de 434000 K ! Elle émet un vent stellaire à ~200 km/s. Elle se serait formée suite à l'explosion de son compagnon en supernova il y a environ 1 million d'années. A droite, aspect extérieur vu à la verticale du disque d'accrétion et du changement de fréquence de la lumière autour d'un trou noir et d'une étoile à neutrons (nova X ou binaire accrétante). Documents ESO/VLT, Chandra et CfA/U.College.

Ces phénomènes extrêmes qui s'expliquent tous par des lois physiques provoquent l'émission d'une énergie considérable supérieure à 100 MeV/nucléon, un taux de conversion bien supérieur à celui d'une réaction thermonucléaire de fusion qui libère environ 8 MeV/nucléon.

Cela s'explique à nouveau par les propriétés de l'astre : intense champ magnétique conjugué à une rotation rapide, l'étoile à neutrons se transforme en générateur de courant, en dynamo, à l'instar des installations du CERN ! Une étoile à neutrons peut générer des particules capables de développer 10 millions de milliards de volts !

Par respect des lois qui gouvernent le corps noir, étant donné que son volume est tellement réduit, une étoile à neutrons qui veut briller comme le Soleil doit, en vertu de la loi de Stefan briller deux milliards de fois plus que le Soleil. Mais cela la contraint de monter en température. Il n'est donc pas étonnant de constater que la surface d'une étoile à neutrons peut atteindre 10 millions de degrés, juste ce qu'il faut pour qu'elle ait la luminosité du Soleil. Mais malheureusement elle restera invisible; à cette température elle brille surtout en rayons X et gamma, ce qui ravit les chercheurs spécialisés dans ces disciplines. Pour les binaires X, le rayonnement X est dix mille fois plus lumineux ou intense que celui du Soleil et peut atteindre 1038 erg/s (contre ~1027 à 1033 erg/s selon la phase du cycle solaire).

Comme beaucoup d'étoiles, la majorité des étoiles à neutrons tournent sur elles-mêmes suite à une impulsion initiale qu'elles ont probablement reçue au cours de leur formation et qui a été accélérée au cours de leur effondrement. En effet, pendant qu'elle implose, à l'image des patineuses qui rabattent leurs bras pour tourner sur elles-mêmes de plus en plus vite, les étoiles à neutrons présentent une vitesse de rotation qui peut s'élever à plusieurs milliers de tours par seconde ! Vu la densité de l'astre, ce mouvement est rigide.

Ce mouvement de toupie est parfaitement naturel car il est proportionnel à la masse, à la vitesse angulaire et au rayon de l'étoile, c'est ce qu’on appelle la conservation du moment angulaire. Prenons un exemple. A masse égale, si le rayon d'une étoile à neutrons devient dix fois plus petit qu'au départ, sa vitesse angulaire doit être proportionnelle au carré de son rayon, c'est-à-dire que sa vitesse de rotation doit être cent fois plus rapide qu'au départ ! Si le Soleil devenait une étoile aussi compacte, il passerait d'un rayon de près de 700000 km à quelque 11 km. Effectuant actuellement une rotation en quelque 25 jours, une fois comprimé il devrait tourner sur lui-même à raison de... 1000 tours/s ! C'est inimaginable et pourtant ce genre d'étoile existe !

On estime aujourd'hui qu'il existe 100 millions d'étoiles à neutrons dans notre Galaxie, soit une étoile à neutrons pour un peu plus de 1000 étoiles ordinaires. La plupart sont “mortes” et ne dissipent plus d'énergie mais beaucoup sont encore actives et observables.

Les sursauts de rayons X de type I

Lorsqu'une étoile à neutrons forme un système binaire accrétant (LMXB, etc), à travers son champ gravitationnel intense l'étoile à neutrons attire la matière principalement composée d'hydrogène de l'atmosphère supérieure de son étoile compagne, généralement une étoile naine ou une géante. Cette matière s'accumule dans un disque d'accrétion autour de l'étoile à neutrons dont une partie est ensuite éjectée dans l'espace à travers un jet bipolaire le long de l'axe de rotation de l'étoile à neutrons, le reste de la matière tombant en spirale sur la surface de l'étoile à neutrons où il s'accumule en formant une couche dense. À mesure que la matière s'accumule sur la surface, le champ gravitationnel la comprime jusqu'à atteindre une masse critique qui déclenche une explosion nucléaire incontrôlée. Cela crée un évènement cataclysmique connu sous le nom de sursaut de rayons X de type I. Ce phénomène se reproduit aussi longtemps que le processus est entretenu. On parle alors d'étoile binaire X. On y reviendra.

Pour la première fois, des astronomes ont mesuré la vitesse des jets émis par une étoile à neutrons durant cet évènement, un phénomène qui affecte le milieu interstellaire et donc crucial pour la formation des étoiles et la distribution des éléments chimiques nécessaires à la vie.

On parle bien de jets à l'instar du jet bipolaire des pulsars et comme pour certains pulsars, ce n'est pas un jet visible mais de rayons X et radio. Rappelons que ce ne sont pas les seuls astres produisant des jets. Les étoiles T Tauri en émettent aussi ainsi que les trous noirs actifs cachés au coeur des AGN, les supernovae et les GRB notamment. Si ce n'est pas un phénomène très courant, l'émission de jets est en tout cas un phénomène universel dès qu'il y a présence de particules de hautes énergies piégées dans un intense champ magnétique. Le rôle des spécialistes de la physique et de l'astrophysique des hautes énergies est donc notamment de comprendre les mécanismes à l'origine de ces jets et idéalement de prédire leur apparition et leur évolution.

A voir : Nuclear explosions feed a neutron star’s jets, ESA, 2024

A gauche, illustration artistique des explosions nucléaires sur une étoile à neutrons (en blanc) qui alimentent le jet bipolaire détectable en rayons X et radio (en bleu). L'étoile à neutrons est entourée d'une couronne, et plus loin d'un disque d'accrétion formé par le gaz capturé de son étoile compagne. Voir également la vidéo ci-dessus. A droite, schéma général du spectre d'émission des binaires X représenté par le flux (unité arbitraire) en fonction de l'énergie des photons. On distingue une composante dure en loi de puissance (en bleu) qui domine à haute énergie, et en dessous de ~1 keV dans cet exemple, la composante des rayons X mous en forme de corps noir (kTbb est la température du bord interne du disque d'accrétion). Document D.Futselaar et N.Degenaar et extrait de la thèse de C.Cabanac (2007) adapté par l'auteur.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2024 (en PDF sur arXiv), l'astrophysicien Thomas D. Russell de l'Institut national d'astrophysique de l'INAF, à Palerme, en Italie, et ses collègues ont annoncé que le satellite gamma Integral de l'ESA avait détecté des sursauts de rayons X de type I dans deux étoiles à neutrons, 4U 1728-34 et 4U 1636-536 situées dans l'hémisphère sud. Selon les chercheurs, ce sont des explosions nucléaires géantes qui ont alimenté les jets de ces étoiles à neutrons.

Selon une étude publiée en 2016 par l'équipe de Jari J. E. Kajava de l'Université de Turku, lors des sursauts de rayons X, les émissions persistantes de 4U 1728-34 se situent dans la plage des rayons X durs de ~40 à 80 keV mais des émissions ponctuelles jusqu'à ~200 keV ont été détectées. Leur analyse montre qu'elles correspondent à un modèle de comptonisation thermique (cf. la thèse de C.Cabanac, 2007, p12) qui pourrait correspondre à l'émission du disque, combiné à une composante supplémentaire aux hautes énergies : soit une queue de loi de puissance soit une réflexion qui correspond à  l'effet de la couronne de l'étoile à neutrons. A l'époque, Kajava et ses collègues suggéraient que "les spectres énergétiques sont caractérisés par deux composantes thermiques provenant probablement du disque d'accrétion et de la couche limite/étalement".

Russell et ses collègues estiment que cette libération soudaine de matière et d'énergie de la surface d'une étoile à neutrons affecterait le jet bipolaire et qu'il serait possible de mesurer cette perturbation à mesure qu'elle s'éloigne de l'étoile. Si c'est le cas, cela fournirait une nouvelle méthode pour étudier ces évènements énergétiques violents. En 2024, on connaissait environ 125 étoiles à neutrons se comportant de cette manière. C'est donc à cette tâche que se sont attelés les chercheurs en commençant par étudier ces deux étoiles à neutrons accrétantes.

Selon Russell, "Nous avons une très brève impulsion de courte durée de matière supplémentaire qui est projetée dans le jet et que nous pouvons suivre à mesure qu'elle évolue dans le jet pour connaître sa vitesse." Il s'agit d'une mesure cruciale car une fois qu'un nombre suffisant d'étoiles à neutrons accrétantes auront été étudiées, la vitesse du jet pourra révéler le mécanisme de lancement dominant et montrer si le jet est propulsé par des champs magnétiques ancrés dans la matière en accrétion ou dans l'étoile elle-même.

Courbes de rayons X et radio multibande de 4U 1728-34 enregistrées simultanément. Le taux de comptage varie entre 3 et 25 keV sur 2 secondes pour chaque panneau. Le timing des sursauts de rayons X est illustré par les lignes verticales grises dans les panneaux inférieurs. Il y a 10 sursauts de rayons X coïncidant avec les émissions radio. Document T.D. Russell et al. (2024).

Les deux étoiles à neutrons précitées présentaient ces sursauts de rayons X. Cependant, à l'époque seule 4U 1728-34 s'avéra suffisamment brillante aux longueurs d'ondes radio pour mener à bien une étude détaillée.

Cela posa immédiatement un problème pratique aux chercheurs. Dans le cas de U 1728-34, les sursauts furent détectés en rayons X mais le jet bipolaire n'émettait que des ondes radio. L'équipe a donc dû coordonner les observations radio avec celles du satellite Integral. Mais il était impossible de prédire exactement quand une de ces explosions se produirait. Selon Jakob van den Eijnden de l'Université de Warwick au Royaume-Uni et coauteur de cette étude, "Ces sursauts se reproduisent toutes les deux heures, mais on ne peut pas prédire exactement quand ils se produiront. Il faut donc observer le système avec les télescopes pendant de longues périodes en espérant capter quelques sursauts."

Les mesures radio furent enregistrées pendant trois jours par le réseau ATCA (Australia Telescope Compact Array) du CSIRO, enregistrant un total d'environ 30 heures d'observation entre le 3 et le 5 avril 2021. Le satellite Integral était la seule mission à haute énergie capable de maintenir cette longue veille. Son orbite géosynchrone très excentrique, large et allongée (entre 2756 km et 159967 km de la Terre) lui permettait de fixer l'étoile pendant plusieurs heures d'affilée. À la fin des observations, Integral avait enregistré 14 sursauts de rayons X provenant de 4U 1728-34, dont 10 se sont produits lorsque la source était visible par l'ATCA.

Mais au cours de l'analyse de ces données, les chercheurs eurent une grosse surprise. Selon Nathalie Degenaar de l’Université d’Amsterdam aux Pays-Bas et coautrice de cet article, "Sur base de ce que nous avions vu précédemment dans les données radio, nous pensions que l'explosion X détruirait le site d'émission du jet. Mais nous avons constaté exactement le contraire : une forte contribution au jet plutôt qu'une perturbation." De toute évidence, le mécanisme du jet est plus robuste qu'on ne le pensait.

Le fait d'avoir pu suivre l'évolution de la matière supplémentaire injectée dans le jet aux longueurs d'ondes radio a permis aux chercheurs de calculer la vitesse à laquelle la matière était éjectée : les jets ont parcouru environ 114000 km en une seconde, soit une vitesse de 35 à 40% de celle de la lumière ! Selon Erik Kuulkers de l'ESA et coauteur de cet article, "Jamais auparavant nous n'avions pu anticiper et observer directement comment une certaine quantité de gaz était canalisée dans un jet et accélérée dans l'espace."

Les chercheurs pensent que la masse et la rotation des étoiles à neutrons comme des trous noirs ont également un impact sur les jets.

Ayant maintenant montré que cette recherche est possible, cette méthode servira de modèle aux futures études sur les étoiles à neutrons et leurs jets, y compris sur d'autres types d'astres comme les supernovae et les GRB. Ces nouveaux résultats auront une large applicabilité dans de nombreux domaines de l'astrophysique.

L'objet de Thorne-Żytkow

Un objet de Thorne-Żytkow, TZO en abrégé, est un type d'étoile hypothétique imaginé par Kip Thorne et Anna Zytkow en 1977 à partir de simulations informatiques de systèmes binaires serrés. Il résulterait de la collision entre une étoile supergéante ou géante avec une étoile à neutrons.

Extérieurement l'astre ressemblerait à une supergéante rouge mais elle contiendrait dans son noyau une étoile à neutrons. Selon les auteurs, "La grande enveloppe diffuse de chaque modèle est séparée de son noyau compact par une fine couche (~40 mètres) émettrice d'énergie appelée le "halo"."

Thorne et Zytkow ont estimé qu'il se forme environ 0.0002 TZO chaque année dans la Voie Lactée. Leur durée de vie caractéristique variant entre cent mille et un million d'années, il devrait y avoir "actuellement entre 20 et 200 TZO dans la Galaxie."

Illustration artistique d'un objet de Thorne-Żytkow (TZO) montrant son coeur constitué d'une étoile à neutrons. Document Astronomy Magazine.

Comment reconnaître un TZO ? En pratique, un TZO pourrait ressembler à une étoile supergéante rouge comme Bételgeuse ou Antarès mais il survivrait jusqu'à 10 fois plus longtemps que leurs consoeurs. Ensuite, selon les chercheurs, "Ceux-ci peuvent être distingués des supergéantes rouges ordinaires en raison de l'abondance de surface anormalement élevée en lithium et en processus rp produits à l'intérieur du TZO. La phase TZO se termine lorsque l'étoile a épuisé ses éléments germes du processus rp ou que la masse de l'enveloppe diminue en dessous d'une masse critique (~ 14 M)."

Pour rappel, dans le mécanisme de nucléosynthèse stellaire, le processus rp caractérise un processus de capture rapide de protons par les noyaux atomiques, une manière de produire des éléments de plus en plus lourds.

Comme toutes les étoiles actives, les supergéantes rouges ordinaires émettent de l'énergie grâce aux réactions de nucléosynthèse qui se déroulent leur noyau. Lorsque la matière première et donc cette énergie s'épuise, la pression de radiation diminue fortement et la force de gravité fait imploser le coeur avant d'exploser en supernova.

Mais les TZO peuvent éviter ce funeste destin et vivre plus longtemps car leur émission d'énergie ne dépend pas de la fusion nucléaire de leurs noyaux mais de l'état de la matière de l'étoile à neutrons qu'ils abritent. Comme expliqué plus haut, le noyau d'une étoile à neutrons est tellement comprimé qu'il empêche l'effondrement gravitationnel des couches internes de la supergéante.

Si les astrophysiciens ne comprennent pas encore tous les détails des TZO, deux théories furent proposées pour expliquer la façon dont ils se forment. Dans les deux hypothèses, tout commence par un système binaire serré composé de deux étoiles massives dont une supergéante ou géante rouge. Ensuite, première possibilité, l'étoile la plus massive du système exploserait en supernova, abandonnant derrière elle une étoile à neutrons en orbite autour de la supergéante. Au fil du temps, la supergéante continuerait à grossir, son atmosphère finissant par engloutir complètement et sans la détruire la petite étoile à neutrons qui finirait par se retrouver dans son noyau. Une autre possibilité est que l'une des étoiles explose asymétriquement en supernova. Dans ce cas, son noyau résiduel réduit à une étoile à neutrons pourrait être bousculé et potentiellement se déplacer jusqu'au coeur de la supergéante.

Les astrophysiciens ont recherché des étoiles supergéantes ou géantes susceptibles de correspondre à des TZO. Plusieurs candidates ont été proposées dont les étoiles variables HV 11417 et HV 2112 située dans le Petit Nuage de Magellan (cf. J.H. Elias et al., 1980; E.M. Levesque et al., 2014). Mais des études complémentaires ont suggéré que HV 2112 serait en fait sur la Branche asymptotique des géantes tandis que HV 11417 présente tous les aspects d'une variable à longue période. Finalement, aucun candidat n'a résisté à l'analyse.

En résumé, à ce jour les astrophysisiens n'ont pas encore découvert d'objet de Thorne-Żytkow mais rien ne prouve qu'ils n'existent pas et donc les recherches continuent.

Prochain chapitre

Les sources de processus r

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[15] W.Baade et F.Zwicky, Physical Review, 45, 1934, p138 - W.Baade et F.Zwicky, Proceedings of the National Academy of Sciences, 20, 1934, p254 - ) Richard C. Tolman, Physical Review, 55, 4, 1939, pp364-373 - J.Oppenheimer et G.Volkoff, Physical Review, 55, 4, 1939, p374 - A.Burrows, Physics Today, sept.1987, op.cit.

[16] En théorie une étoile à neutrons statique peut présenter une masse maximale d'environ 3 M. Mais en réalité les turbulences qui apparaissent durant sa formation l'empêche de dépasser 2.16 M selon une étude publiée en 2018 dans "The Astrophysical Journal" par Luciano Rezzolla et son équipe. Une étoile à neutrons en rotation peut au maximum être 20% plus massive (voir le texte) et atteindre ~2.5 M.


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