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Les étoiles doubles et multiples

Albiréo, "Topaze et saphir" (II)

Parmi les plus belles étoiles doubles du ciel, il faut citer Albiréo, β Cygni dont une photo et une illustration artistique sont présentées ci-dessous. Elle est également référencée dans les catalogues sous le numéro 6 Cygni, HD 183912, HR 7417 ou encore SAO 87301, le compagnon B sous le numéro HD 183914, HR 7418 ou SAO 87302.

Ce système stellaire que l'on surnomme "Topaze et saphir" en raison de la couleur des étoiles est situé à l'extrémité sud de la croix du Cygne dans une région riche en étoiles et en nébuleuses chaotiques (en émissions et obscures), ces dernières étant uniquement visibles par photographie.

Albireo et son compagnon bleu

Albiréo, β Cygni, alias "Topaze et saphir". Cette étoile multiple dont les composantes brillent respectivement à la magnitude 3 (A) et 5 (B) présente un contraste de couleurs orange-bleu qui en fait l'un des plus beaux couples du ciel. Une lunette de 50 mm d'ouverture et un faible grossissement de 30x permet déjà de séparer le couple et de discerner ses couleurs. Documents Pete Roberts et T.Lombry.

Longtemps considérée comme une étoile double visuelle, les dernières mesures du satellite Hipparcos confirment qu'Albiréo forme en fait un couple physique. Il est situé à 386 ±26 années-lumière.

Albiréo de magnitude visuelle 3.08 est une étoile géante rouge de classe spectrale K3 II et d'une température effective d'environ 4100 K. Son rayon est de 20 R et sa luminosité environ 950 L ! Sa vitesse radiale est de -24 km/s et sa parallaxe 8.46 mas (0.0086"/an).

Le compagnon B brille à la magnitude visuelle 5.11 dans un angle de 55° (PA) à 34.3" d'Albiréo ce qui correspond à une séparation physique de 4040 UA (~604 milliards de km). C'est une étoile bleue légèrement variable de classe spectrale B8V et d'une température effective d'environ 11000 K. Son rayon vaut 3.3 R et elle est 190 fois plus lumineuse. Sa période orbitale est estimée à 75000 ans. Sa vitesse radiale est de -18 km/s et sa parallaxe 8.67 mas.

Bien que très volumineuse, cette étoile bleue tourne excessivement vite sur elle-même; sa période de rotation est inférieure à 0.6 jour (contre 27 à 34 jours pour les couches supérieures du Soleil). Sa vitesse équatoriale dépasse 250 km/s (contre 2 km/s pour le Soleil) ! De ce fait, elle éjecte une partie de son atmosphère dans l'espace qui forme un disque de gaz autour d'elle

En 1980, des astrophysiciens ont également suggéré l'existence d'un ou plusieurs compagnons à moins de 1" ou 180 UA d'Albiréo. Un compagnon C aurait été localisé à 0.389" ou 46 UA de l'étoile primaire. Il s'agirait donc d'un système triple mais l'information n'a pas été confirmée par la suite bien que relayée depuis 2000 sur différents sites dont APOD. Dans tous les cas l'observation de ce compagnon C est très difficile.

L'étoile HBS MACHO 80.7443.1718

Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2023 (et en PDF), Morgan MacLeod et Abraham Loeb du CfA de l'Université d'Harvard ont analysé un système binaire très particulier de la famille des "Heartbeat stars" (HBS ou étoile pulsantes) qui offre un regard sans précédent sur la façon dont les étoiles massives interagissent.

L'objet MACHO 80.7443.1718 surnommé sans originalité "Heartbeat star" fut découvert en 1990 dans le cadre du sondage ASAS-SN de recherche d'effets de microlensing et analysé en détails grâce au satellite TESS de la NASA (cf. T.Jayasinghe et al., 2021).

Pour rappel, les étoiles HBS présentent des oscillations excitées par l'effet de marée (tidally excited oscillations ou TEO) à des multiples entiers exacts de la fréquence orbitale entraînées par le forçage des marées au périastre. Dit ainsi, cela paraît compliqué mais l'illustration parle d'elle-même. Du fait que la forme de l'étoile principale se déforme, elle nous montre alternativement son côtés le plus large et le plus étroit, ce qui engendre des oscillations de luminosité imitant un cœur battant, d'où son surnom.

Les deux astronomes se sont intéressés à ce système car la luminosité de la plupart des étoiles HBS ne varie que d'environ 0.1%, alors que MACHO 80.7443.1718 subit des variations de luminosité spectaculaires d'une amplitude photométrique de 20%. S'il existe d'autres étoiles HBS (cf. KIC 6117415, KIC 11494130, and KIC 5790807, etc., cf. S.J. Cheng et al., 2020) à ce jour aucune autre étoile pulsante n'oscille avec une telle amplitude.

Illustrations artistiques du tsunami que subit l'étoile bleue principale du système binaire MACHO 80.7443.1718 sous l'effet de la gravité de son compagnon. L'étoile principale a 17 fois le rayon du Soleil. Selon les simulations, la hauteur de la vague géante qui déferle périodiquement sur sa surface atteint trois fois la taille du Soleil ! Documents T.Lombry.

Comme illustré ci-dessus, MACHO 80.7443.1718 est en fait un système binaire massif situé à 169000 années-lumière dans le Grand Nuage de Magellan. Il se compose d'une étoile primaire supergéante bleue B0 Iae de 35 M et 17 R (R=M0.8 sur la Séquence principale) et d'un compagnon secondaire O9.5V de 16 M et 6.5 R évoluant sur une orbite excentrique (e ~ 0.51).

L'étoile compagne étant invisible, les auteurs ont réalisé des simulations HDM pour étudier les interactions du couple. Ils ont découvert que l'étoile compagne engendre de véritables tsunamis stellaires sur l'étoile principale dont les vagues maréales atteignant trois fois la taille du Soleil se brisent sous leur masse et s'écrasent sur sa surface comme autant d'explosions thermonucléaires. Sous cet effet, l'étoile vibre de manière extrême et sa luminosité fluctue périodiquempent lorsque la gravité de son compagnon l'étire en lui donnant une forme aplatie.

Selon MacLeod, postdoctorant et auteur principal de cet article, en fait, les immenses vagues qui déferlent sur cette étoile se produisent lorsque le compagnon invisible passe près de l'étoile tous les 32.8 jours. Comme la gravité de la Lune produit les marées sur la Terre en entraînant les océans, la gravité du compagnon entraîne l'atmosphère de l'étoile principale et la traîne à des vitesses supersoniques en formant un tsunami titanesque. La déformation à l'équateur de l'étoile principale est d'environ 50% de plus qu'à ses pôles. Et, à chaque nouvelle vague qui déferle, un peu plus de matière est projetée vers l'extérieur. La lueur caractéristique de cette atmosphère était l'un des principaux indices que des vagues se brisaient à la surface de l'étoile. Selon McLeod, "Chaque crash des immenses tsunamis de l'étoile libère suffisamment d'énergie pour désintégrer notre planète entière plusieurs centaines de fois. Ce sont vraiment de grosses vagues."

Bien que MACHO 80.7443.1718 soit un système extraordinaire, il est peu probable qu'il soit unique. Sur les quelque 1000 étoiles HBS découvertes à ce jour, environ 20 d'entre elles présentent de grandes fluctuations de luminosité proches de celles du système simulé par MacLeod et Loeb. Selon MacLeod, "Cette étoile HSB pourrait bien être la première d'une classe croissante d'objets astronomiques. Nous prévoyons déjà de rechercher d'autres étoiles déchirantes et des atmosphères brillantes engendrées par leurs vagues déferlantes."

Tout bien considéré, MacLeod estime que nous sommes chanceux d'avoir attrapé l'étoile dans cette phase, "Nous assistons à un moment bref et transformateur dans une longue vie stellaire." Et en regardant ce tsunami colossal déferler sur une surface stellaire, les astronomes espèrent comprendre comment les interactions étroites façonnent l'évolution des binaires stellaires.

Zeta Cancri

Le système multiple de Zeta Cancri (ζ Cnc, 16 Cancri ou encore Σ1196) est situé à quelques degrés à l'est de l'amas ouvert M44. Zeta Cancri apparaît a priori comme un beau système double bien séparé dont les composantes dorées sont distantes de 5.7", l'une étant deux fois plus brillante que sa compagne. Mais l'effet est trompeur.

En réalité l'étoile la plus brillante du système Zeta Cancri est composé de deux étoiles de magnitudes 5.6 et 6.0 de coloration jaune vive (classe F7) séparées de 0.8" dans un angle de 72°. Sa résolution avec des moyens d'amateur est très difficile. Si les composantes AB demeurent en théorie à la limite de la résolution d'un petit instrument de 150 mm d'ouverture, en pratique même dans un télescope de 350 mm et à fort grossissement le couple ressemble à un objet oblong mais non séparé, les disques d'Airy restant soudés l'un à l'autre. Ces deux étoiles ont à peu près la même luminosité et leur masse est voisine de celle du Soleil, respectivement de 1.1 M et 1.0 M.

Le système Zeta Cancri. A gauche, une photo prise par F.Ringwald avec un télescope S-C Meade de 400 mm f/10. A droite, une photo plus détaillée prise par le CFHT. La quatrième composante (en haut à gauche) fut identifiée en février 2000 par J.B. Hutching du Herzberg Institute of Astrophysics de Victoria au Canada. Cette composante Zeta Cancri D orbite en réalité autour des trois autres. Le couple de gauche est séparé de 0.3", celui de droite de 0.8" et les deux couples de 5.7". Cette photographie a été réalisée en utilisant une optique adaptative sur le CFHT. Il s'agit d'un compositage de 6 images infrarouges.

La "deuxième" étoile plus pâle, celle que l'on distingue immédiatement, y compris dans une paire de jumelle, forme en réalité la troisième composante du système comme on le voit à gauche des images présentées ci dessus. Elle brille à la magnitude 6.2 et est séparée de 5.7" du couple AB dans un angle de 88°. C'est également une étoile jaune de classe G2. Seules ces trois étoiles étaient connues jusqu'à présent mais leurs mouvements restaient perturbés par un astre inconnu.

La quatrième composante fut identifiée en février 2000 par J.B. Hutching du Herzberg Institute of Astrophysics de Victoria au Canada grâce à une optique adaptative fixée sur le télescope CFH d'Hawaï pour annuler l'effet de la turbulence atmosphérique. Cette quatrième étoile de magnitude 9.7 est séparée de 0.3" de l'étoile C et est bien visible sur l'image présentée ci-dessus à droite. Cette composante orbite autour des trois autres dans une configuration très complexe et extrêmement perturbée à N corps.

Les astrophysiciens ont exclu l'hypothèse qu'il s'agissait d'une étoile naine blanche car sa couleur est trop rouge et sa température trop froide. Ils pensent plutôt que cette étoile est elle-même un autre système binaire ! Une autre paire d'étoile de faible masse et de classe spectrale M. Leur coloration très sombre explique pourquoi elles n'ont pas été détectées en lumière visible jusqu'à présent. Le travail consiste maintenant à résoudre Zeta Cancri D et tenter de vérifier s'il s'agit bien d'un quintuplet et pourquoi pas de débusquer une nouvelle composante.

Eta Carinae

L'étoile η Carinae (Eta Carinae) ou plutôt le système binaire massif Eta Carinae est situé à environ 7660 années-lumière dans le complexe HII géant NGC 3372 de la constellation de la Carène, dans l'hémisphère sud.

Les paramètres physiques (masse, température, luminosité, taille) des étoiles Eta Carinae A et B sont difficiles à déterminer en raison de la présence de la nébuleuse très dense de forme bipolaire qui les enveloppe appelée l'Homunculus (voir plus bas). Comme on le voit sur le schéma ci-dessous à gauche, la composante B gravite sur une orbite excentrique (e=0.9) inclinée à 130-145° dont le demi-grand axe mesure ~15.4 UA et accomplit une révolution en ~5.54 ans (~2022.7 jours). Son dernier passage au périastre remonte à 2009.

Représentation du système binaire d'Eta Carinae constitué de deux étoiles très massives périodiquement en interactions, libérant des éjecta à grandes vitesses. Documents T.Lombry.

Eta Carinae A est une étoile bleue hypermassive qui serait âgée de moins de 3 milliards d'années. Selon une étude publiée dans les "MNRAS" en 2015 (en PDF sur arXiv) par Nathan Smith et Ryan Tombleson de l'Université d'Arizona, lors de sa formation Eta Carinae A devait avoir une masse comprise entre 150-250 M qui fut peut-être le résultat de la fusion de deux étoiles.

 Au rythme des éruptions, Eta Carinae A a déjà perdu plusieurs dizaines de masses solaires avec un taux actuel de 10-3 M/an. Selon un rapport de la NASA publié en 2018, la masse de l'étoile est estimé à 90 M (mais selon les modèles, il reste une incertitude assez importante, si bien qu'en théorie sa mase est comprise entre 30-60 M ou 100-120 M). En dehors des phases éruptives, sa luminosité est estimé à 5 millions L

Sa masse qui est à la limite de la luminosité d'Eddington alliée aux interactions avec son compagnon expliquent les émissions violentes de vents stellaires.

Quant à son rayon, selon les modèles le coeur visible porté à 35000 K mesurerait 60 R mais si on considère l'extension de son atmosphère (une profondeur optique de seulement 0.67), on arrive à un rayon > 800 R ce qui suggère l'existence d'un vent stellaire très étendu et dense.

On estime que lors de son éruption majeure au milieu du XIXe siècle (on observa un plateau lumineux entre 1845-1858), le rayon de Eta Carinae atteignit 1400 R, similaire à celui des plus grandes étoiles connues, et sa luminosité atteignit 50 millions L (voir plus bas).

Si on plaçait Eta Carinae A à la place du Soleil, sa surface atteindrait la Ceinture principale des astéroïdes située en Mars et Jupiter ! Si on représentait cette étoile par la plus grosse des pastèques, le Soleil serait encore cent fois plus petit qu'une tête d'épingle...

Son compagnon (η Car B) serait une jeune étoile chaude de type O également âgée de moins de 3 milliards d'années dont la masse est estimée à 30 M. Sa luminosité ne dépasserait pas 1 million L pour un rayon compris entre 14.3 et 23.6 R et une température effective de 37200 K. Suite à son interaction avec η Carinae A, elle perd également son atmosphère au taux de 10-5 M/an.

La taille des deux étoiles doit également être mise en relation avec leur séparation orbitale qui est d'environ 324 R au périastre soit 225 millions de kilomètres ou 1.5 UA (certaines estimations donnent une distance 27% inférieure, voisine de 1.1 UA), une valeur excessivement faible pour des étoiles de cette taille.

Selon une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2010 (en PDF sur arXiv) par Amit Kashi et Noam Soker, la faible séparation entre les deux étoiles signifie que la composante B présente un rayon d'accrétion de ~60 R, ce qui implique une forte accrétion lorsque Eta Carinae B approche du périastre, avec pour effet la suppression du vent stellaire du compagnon.

Ensuite, lorsque le compagnon traverse la photosphère étendue de Eta Carinae A, il déclenche une brutale augmentation de sa luminosité accompagnée d'une éjection de matière comme celle qu'on observa durant les grandes éruptions entre 1837-1858.

A voir : Zoom on Eta Carinae, ESO

A gauche, une partie de la nébuleuse de la Carène NGC 3372 centrée sur Eta Carinae. A droite, image composite visible et X de l'étoile Eta Carinae en train d'éjecter les couches superficielles de son atmosphère dans l'espace. Documents Peter Ward et montage de T.Lombry basé sur des images visible et rayons X extraites de N.Smith/U.Az/NASA/ESA/STScI et CXC. A droite, cartographie composite de Eta Carinae réalisée en rayons X grâce à Chandra (le fond coloré). Les couleurs correspondent aux différents niveaux d'énergie des rayons X mous : 0.3-1 keV (rouge), 1-3 keV (vert) et 3-10 keV (bleu). A titre de comparaison, l'énergie de la lumière visible est d'environ 2-3 eV. Les lignes de contours vertes correspondent aux données du satellite NuSTAR qui révèlent les émissions de rayons X durs supérieurs à 30 keV. Ces observations indiquent que les vents stellaires interagissent avec le milieu circumstellaire et interstellaire, provoquant des collisions qui augmentent la température des particules; ils agissent comme un accélérateur de particules cosmiques générant des vitesses relativistes. Document NASA/JPL/CXC.

La nébuleuse de l'Homunculus présentée ci-dessus au centre se forma au cours des différentes explosions survenues au XIXe siècle. Elle forme deux lobes mesurant chacun ~7"x5" - 18" au total - soit un rayon d'environ 22000 UA et dont la masse totale représente 12 à 15 M avec un maximum de 40 M. Les émissions rayons X durs indiquent une température de 35000 K et sont concentrées dans un rayon de 1 mois-lumière autour de Eta Carinae mais on détecte encore des rayons X mous jusqu'à 2.2 années-lumière qui correspondent à la limite extérieure de la principale onde de choc qui suivit la Grande Éruption du XIXe siècle. Eta Carinae A émet de violents vents stellaires qui atteignent localement 3200 km/s.

L'étoile qui ne voulait pas mourir

Les échos optiques de l'éruption survenue au XIXe ont été localisés et suivis depuis 2003 par les astronomes de l'observatoire du CTIO et de Gemini Sud installés au Chili. La vitesse d'exansion des éjecta fut mesurée par spectroscopie. Elle varie entre 2700 et 8900 km/s soit 32 millions de km/h; c'est 20 fois plus élevé que prévu. Une telle valeur ressemble plus au comportement d'une supernova qu'à celui d'une étoile massive libérant lentement ses couches extérieures avant de mourir.

Malgré la puissance de cette explosion qui aurait dû transformer Eta Carinae A en étoile à neutrons ou en trou noir, elle survécut. Comment une étoile ayant subi un tel choc a-t-elle pu survivre ? L'accrétion de matière sur l'étoile a suffi pour provoquer l’éjection de ses couches externes mais l'énergie ne fut pas suffisante pour annihiler complètement l'étoile. Pour expliquer ce phénomène, les astronomes ont suggéré que ces éruptions correspondent en fait à la fusion de deux étoiles, une coalescence, mais il a été difficile de trouver un scénario "classique" capable d'expliquer toutes les évènements associés à Eta Carinae.

Illustration du scénario qui s'est probablement produit lors de la Grande Éruption de Eta Carinae dans les années 1837-1858. Voir le texte pour les explications. Document NASA/ESA/STScI.

Dans une étude publié dans les "MNRAS" en 2018, Nathan Smith précité et ses collègues ont suggéré que la façon la plus simple d’expliquer la plupart des évènements observés au cours des éruptions de Eta Carinae et son comportement actuel est qu'à l'origine il s'agissait d'un système triple composé d'un système binaire serré (η Car A et η Car B) autour duquel gravitait une troisième étoile (η Car C), l'ensemble subissant des interactions multiples. Selon Smith, c'est la manière la plus simple d'expliquer la façon dont le compagnon actuel (A) a rapidement perdu ses couches externes avant l'étoile principale (B) dont les rôles sont aujourd'hui inversés.

Comme l'explique les illustrations ci-jointes, lorsque l'étoile la plus massive du système binaire, η Car A, approcha de la fin de sa vie, elle commença à se dilater et perdit une grande partie de son atmosphère par accrétion au profit de sa petite soeur jumelle η Car B.

Le coeur brûlant d'hélium de l'étoile η Car A à présent exposé, le transfert de masse entre A et B modifia l'équilibre gravitationnel du système et l'étoile A s'est éloignée de l'étoile B à présent beaucoup plus massive. L'étoile A s'éloigna si loin qu'elle interagit gravitationnellement avec la troisième étoile C restée en périphérie. Cette interaction éloigna temporairement A du coeur du système mais en revanche, l'étoile C incurva sa trajectoire et s'approcha dangereusement de l'étoile B massive. Après quelques passages rapprochés, l'étoile C finit par fusionner avec son partenaire B, produisant une spectaculaire éjection de matière.

Au stade initial de la fusion entre les étoiles C et B, les éjecta étaient très denses et se dilatèrent relativement lentement. Par la suite, une explosion se produisit lorsque les deux étoiles fusionnèrent, provoquant l'éjection d'au moins 10 masses solaires à une vitesse 100 fois supérieure, créant les lobes bipolaires de l'Homunculus qu'on observe aujourd'hui. Cette matière rattrapa finalement les éjectas lents et les poussa telle un chasse-neige, chauffant le milieu jusqu'à l'incandescence. Ce matériau brûlant représenta la principale source lumineuse apparue lors de la Grande Éruption observée par les astronomes entre 1837-1858.

Pendant ce temps, la plus petite étoile η Car A continua à graviter sur son orbite elliptique, traversant les couches externes de l'étoile η Car B tous les 5.5 ans. C'est cette interaction qui génère encore aujourd'hui des ondes de choc à l'origine des émissions de rayons X.

A voir : Animation Showing Scenario for Eta Carinae Outburst, NASA

Détails du scénario probable de la Grande Éruption de Eta Carinae des années 1837-1858. L'étoile A atteignit la phase géante et perdit progressivement son atmosphère au profit de l'étoile B qui vit sa masse augmenter et son atmosphère s'étendre. Réduite à son coeur d'hélium, l'étoile A s'éloigna de B et interagit avec l'étoile C gravitant à plus grande distance. L'étoile C incurva sa trajectoire pour se rapprocher de l'étoile B dans un mouvement en spirale jusqu'à fusionner avec elle. L'étoile B subit alors une explosion de matière dont l'onde de choc détruisit au passage l'étoile C. Pendant ce temps, l'étoile A continua de graviter autour de l'étoile B, traversant périodiquement son atmosphère supérieure, créant des ondes de choc à l'origine d'émissions de rayons X. Documents NASA/ESA/STScI adaptés par l'auteur.

L'avenir de Eta Carinae

Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2019 (en PDF sur arXiv), l'astronome Augusto Damineli de l'IAGUSP du Brésil et ses collègues estiment que l'augmentation d'éclat d'Eta Carinae n'est pas intrinsèque à l'étoile comme certains le pensent. En fait, il est probablement provoqué par la dissipation d'un nuage de poussière situé exactement dans notre ligne de visée. Selon les chercheurs, ce nuage enveloppe complètement l'étoile et ses vents, oblitérant l'essentiel de la lumière que l'étoile émet en direction de la Terre. En revanche, l'Homunculus peut être observé car il est 200 fois plus vaste que le nuage de poussière et de ce fait sa luminosité est pratiquement stable.

Selon les chercheurs, en 2032 (avec une incertitude d'environ 4 ans), le nuage de poussière se sera dissipé et l'éclat de l'étoile centrale ne variera plus. Elle devrait être plus brillante (ΔV ~1 magnitude) que dans les années 1600 mais l'Homunculus perdra de son éclat. A cette époque, on pourra donc étudier l'étoile Eta Carinae avec plus de précision.

Quant à l'avenir de l'étoile elle-même, on ignore précisément à quel stade évolutif se trouve Eta Carinae A (l'ancienne η Car B qui accréta l'atmosphère de η Car A réduite aujourd'hui à son coeur d'hélium) car cela dépend de sa masse qu'on ne connaît pas avec précision. Elle appartient à la famille des variables bleues lumineuses (LBV). On ignore si la réaction "triple alpha" a déjà débuté dans son noyau qui assure la transformation de l'hélium en carbone. Quand cela arrivera nous ne le saurons pas plus car il faudra attendre que les produits de cette réaction remontent en surface et que le carbone et l'oxygène soient détectables. A ce stade, l'étoile pourrait se transformer en étoile Wolf-Rayet WC ou WO. Actuellement, les spectres de l'étoile indiquent que ce n'est pas le cas.

A gauche, zoom sur l'étoile Eta Carinae (A, ancienne composante B) cachée au centre de l'Homunculus. L'image fut obtenue en 2016 grâce au VLTI équipé de l'instument AMBER. Le nuage de gaz et de poussière qui enveloppe l'étoile témoigne des interactions avec son compagnon. En effet, périodiquement l'atmosphère des deux étoiles est littéralement arrachée et éjectée à grande vitesse dans l'espace (2700-8900 km/s), générant un puissant vent stellaire. A droite, courbe lumineuse historique d'Eta Carinae entre 1600 et 2017 établie par Fernández-Lajús et al. (2009), complétée par les relevés de La Plata, de l'AAVSO et les rapports de Frew (2004) et Smith & Frew (2011). La ligne pointillée horizontale indique le niveau présumé d'une éruption majeure. Documents ESO/VLTI et A.Damineli et al. (2019) adapté par l'auteur.

Selon une étude sur les étoiles massives publiée dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2014 (en PDF sur arXiv) par l'équipe de Sylvia Ekström de l'Université de Keele, l'Homunculus contient 60% d'hydrogène et 40% d'hélium. La quantité d'azote qu'elle produit est 40 fois supérieure à celle du Soleil ce qui indique qu'elle poursuit toujours le cycle CNO de fusion de l'hydrogène. Cette émission d'azote est intéressante car sur base de l'analyse de la dynamique du SNR de Cassiopeia A, c'était également ce type d'émission qui fut à l'origine de l'explosion de cette supernova il y a 3 siècles.

Eta Carinae émet des rayons X de basse énergie (< 10 keV). Ils proviennent de l'endroit où le gaz émit par l'étoile entre en collision avec le vent d'origine interstellaire, portant le milieu à 40 millions de degrés. Selon une étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2018, grâce au satellite NuSTAR, l'équipe de Kenji Hamaguchi du centre GSFC de la NASA a découvert une source de rayons X durs de plus de 30 keV, une valeur supérieure à celle prédite par l'émission des ondes de choc en interactions avec le vent interstellaire. A titre comparatif, ce niveau d'énergie très élevé est équivalent à celui qu'on trouve dans des galaxies ultralumineuses (ULX) comme NGC 3256 et NGC 3310 ou des galaxies formant de nombreuses étoiles comme M83 et NGC 253 (cf. cette étude de B.D. Lehmer et al., 2015).

En plus d'émettre des rayons X d'une énergie comprise entre 0.3 keV et plus de 30 keV, Eta Carinae est également une source gamma. Sa période mesurée grâce au satellite Fermi est similaire à celle de la source de rayons X durs. Mais l'orientation spatiale du système fait que le beam gamma n'est pas orienté vers la Terre (de toute façon à cette distance, le rayonnement serait inoffensif).

A voir : Superstar Eta Carinae Shoots Cosmic Rays, NASA/GSFC

Selon les chercheurs de la NASA, les émissions de rayons X durs et de rayons gamma proviennent d'électrons accélérés par de violentes ondes de choc situées à l'interface des collisions avec le vent interstellaire. Certains des électrons ultra-rapides ainsi que d'autres particules accélérées s'échappent du système et certains finissent probablement par arriver sur Terre, où on les détecte comme des rayons cosmiques. Grâce à NuSTAR, c'est la première fois que les astronomes ont pu associer un système binaire à des sources d'émissions aussi énergétiques et étudier ses propriétés en détails.

A terme, l'évolution de Eta Carinae A est toute aussi difficile à déterminer étant donné que son stade ultime dépendra de sa masse à la fin de son activité thermonucléaire et de ses interactions avec son compagnon massif. En bref, tous les scénarii sont possibles.

Selon une autre étude de l'équipe de Ekström précitée également publiée dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2013 (en PDF sur arXiv), dans moins de 3 millions d'années le coeur de Eta Carinae A pourrait s'effondrer et se transformer en étoile Wolf-Rayet avant soit d'exploser en supernova de Type Ib ou Ic ou en supernova superlumineuse (SLSN) soit il s'effondrera directement en trou noir sans explosion visible à moins qu'ayant perdu énormément de matière elle se transforme en étoile à neutrons.

Notons qu'en 2007 les astronomes de l'Université de Montréal ont identifié dans la même nébuleuse de la Carène une seconde étoile hypermassive d'une masse de 114 M. Baptisée A1, il s'agit d'une binaire à éclipse dont le compagnon pèse 84 M. Ce système se trouve au centre de l'amas ouvert HD 97950, le plus dense de la Voie Lactée, situé lui-même au coeur de la région HII NGC 3603 dans la nébuleuse de la Carène.

On reviendra sur Eta Carinae à propos du spectre des novae.

LB-1, une binaire spectroscopique

L'étoile LB-1 alias LS V +22 25 est située à 13790 années-lumière (4.23 kpc) dans la constellation des Gémeaux. C'est une jeune sous-géante bleue de magnitude 11.5 (V) âgée d'environ 35 millions d'années et d'environ 8.2 M pour un rayon de 9 R et une métallicité de 1.2 Z.

Le système LB-1 est une binaire spectroscopique. Illustration artistique de T.Lombry.

Les chercheurs ont découvert qu'elle tourne autour d'un corps massif en 78.9 jours sur une orbite "étonnamment circulaire" pour reprendre leur expression à une distance d'environ 1.5 UA. Cet astre serait un trou noir d'une masse d'environ 68 M (comprise entre 55-79 M), ce qui correspond à un rayon d'environ 200 km. Cette découverte fut publiée dans la revue "Nature" en 2019.

Si les modèles peuvent expliquer les masses élevées de certains trous noirs stellaires, en revanche aucune théorie ne prédit l'existence du trou noir putatif LB-1. Selon Jifeng Liu, "les trous noirs d'une telle masse ne devraient même pas exister dans notre Galaxie, selon la plupart des modèles actuels d'évolution stellaire. LB-1 est deux fois plus massif que ce que nous pensions possible. Maintenant, les théoriciens devront relever le défi d'expliquer sa formation."

Dans ce cas ci, l'équipe de Jifeng Liu de l'Observatoire National d'Astronomie de Chine qui étudie les systèmes binaires à la recherche de corps invisibles (sans émission lumineuse, radio ou X) y compris des trous noirs, utilisa le télescope LAMOST (Large Sky Area Multi-Object Fiber Spectroscopic Telescope) installé en Chine pour le débusquer tandis que le suivi fut assuré par d'autres chercheurs utilisant le Gran Telescopio Canarias européen et le Keck américain.

Ce candidat trou noir invisible et silencieux fut "détecté" indirectement par la méthode de la vitesse radiale qui permet de découvrir un astre invisible à partir des variations périodiques de la vitesse de l'étoile par rapport à l'observateur résultant des déviations gravitationnelles que subit l'étoile autour de laquelle il gravite (cas d'une exoplanète) ou gravitant autour de lui (le cas de LB-1).

On a proposé plusieurs théories mais évidemment spéculatives pour expliquer la formation de ce trou noir hypothétique.

Notons que des astronomes ont détecté une émission Hα provenant du disque situé autour de l'éventuel trou noir (cf. R.-F.Shen et al., 2019); il devrait donc y avoir une accrétion. Cependant, l'équipe de Liu a étudié LB-1 en rayons X grâce à Chandra et n'a rien détecté, le niveau de rayons X étant inférieur à la sensibilité du télescope. Il n'est donc pas très réaliste d'illustrer LB-1 avec un disque d'accrétion massif comme le fit l'illustrateur (cf. NAOC). Mais comme personne ne le verra probablement jamais dans le rayonnement visible, laissons-lui le bénéfice du doute.

A gauche, localisation de l'étoile LB-1 dans le catalogue DSS d'ALADIN. L'agrandissement couvre un champ de 37.61'. A droite, la vitesse radiale de l'étoile et du compagnon, un soi-disant trou noir qui s'avère n'être qu'une étoile. Documents Simbad/U.Strasbourg et J.Liu et al. (2019) adapté par l'auteur.

Finalement, dans un article publié dans la revue "Nature" en 2020, Hugues Sana de la KU Leuven en Belgique et ses collègues ont analysé de nouvelles données obtenues avec le spectrographe HERMES installé sur le télescope Mercator de 1.20 m de Las Palma. Ils sont arrivés à la conclusion que le pseudo décalage spectral de la raie Hα est bien induit par le mouvement orbital d'un compagnon mais il ne s'agit pas d'un décalage spectral mais d'une superposition des raies d'absorption du compagnon sur un profil d'émission Hα statique. Les chercheurs ne remettent pas en cause l'existence du compagnon, mais ils ont réévalué sa masse qui ne dépasserait pas 4.2 M. De plus, la température effective de l'étoile sous-géante a été revue à la baisse et serait inférieure d'environ 5000 K par rapport à l'étude de l'équipe de Liu.

Conclusion, il est très probable que le système LB-1 n'abrite pas de trou noir mais simplement une seconde étoile similaire à la première. Exit donc le trou noir !

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AR Scorpii

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