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La loi de Hubble-Lemaître
La preuve de l'expansion de l'Univers (I) A partir de 1917, l'astronome américain Herbert Curtis (1842-1942) découvrit grâce à la grande lunette de 0.9 m de l'Observatoire de Lick plusieurs novae dans ce qu'on appelait encore la "nébuleuse" M31. Mais vu leur faible éclat, Curtis suggéra que ces étoiles étaient beaucoup plus éloignées que celles de la Voie Lactée. Il faudra cependant attendre la construction du télescope Hocker de 2.5 m de l'observatoire du Mont Wilson en 1919 pour confirmer son hypothèse. L'astronome américain Edwin Hubble (1889-1953) avait gagné son doctorat en astronomie en 1917 et venait d'être engagé comme chercheur par Georges E. Hale à l'observatoire du Mont Wilson. A son retour de guerre en 1919, Hubble commença par photographier M31 en haute résolution. Ses clichés révélèrent bientôt des étoiles individuelles dans les bras de la "nébuleuse". C'est en étudiant la luminosité de ces étoiles qu'à la fin de 1924, Hubble découvrit 36 étoiles de la famille des Céphéides et 46 novae. Dans son esprit il était impossible qu'autant d'étoiles variables soient situées dans le même axe de visée sans être prodigieusement éloignées. En analysant la luminosité des Céphéides qui obéissent à la relation période-luminosité (loi de Leavitt découverte en 1912 par Henrietta Leavitt), Hubble put déterminer leur magnitude absolue. Ces étoiles variables changeant de luminosité de façon très régulière - d'où leur surnom de "chandelles standards", d'étalon de distance -, grâce à cette découverte et se basant sur les travaux de Shapley, Hubble put également déterminer leur distance. Il tenait là l'argument clé de sa plaidoirie. Ancien avocat et boxeur de renom, Hubble savait comment défendre son opinion et convaincre son auditoire. Hubble conclut bientôt que M31 se situait à des centaines de milliers d'années-lumière, bien au-delà de la Voie Lactée ! Son éloignement expliquait facilement le faible éclat des novae découvertes par Curtis. En 1929, Hubble publia un nouvel article de 56 pages dans "The Astrophysical Journal" intitulé "A spiral nebula as a stellar system, Messier 31" contenant des pages entières de mesures de magnitudes d'étoiles variables découvertes dans M31. Dans une petite phrase perdue au milieu de la page 123, Hubble déclare que le module de distance de "M31 (m-M) = 22.2" et donc que "la distance de M31 est de 275000 parsecs, ~900000 années-lumière [...] avec une erreur probable de 2.5 pourcents pour les galaxies spirales et de 5 pourcents pour les spirales et le Nuage", tout en reconnaissant que cette distance dépendait de la précision des courbes de luminosité des Céphéides, sous-entendant que la distance de M31 serait probablement corrigée plus tard. A lire : Cepheids in Spiral Nebulae, Edwin Hubble The Observatory, Vol. 48, 1925, pp139-142 (PDF de 344 KB) M31, NED
L'air de rien cet article était révolutionnaire. M31 devenait une "nébuleuse extragalactique", terme ambigu qui sera bientôt remplacé par celui de "galaxie". La galaxie d'Andromède était ainsi semblable à la nôtre et ne fut plus considérée depuis ce jour comme une nébuleuse perdue à la périphérie de la Voie Lactée. Rappelons que le mot "galaxie" apparaît pour la première fois dans un poème anglais au XIVe siècle et n'apparaît en français qu'au XVIe siècle. La distance de M31 fut longtemps estimée à 2.2 millions d'années-lumière mais il s'avéra que sa magnitude absolue était trop élevée, ce qui impliquait qu'en réalité M31 était plus éloignée. À partir de 1998, de nouvelles analyses spectrales, une réévaluation de l'indice de couleur des étoiles ainsi que de nouvelles mesures des Céphéïdes et des binaires à éclipses ont finalement permis de réduire la marge d'erreur entre 2 et 6%. En tenant compte de cette incertitude, depuis 2012 et les travaux d'Adam Riess et ses collègues, le module de distance de M31 a varié entre 24.36 < (m-M) < 24.42 ±0.06 ce qui correspond à une distance comprise entre 752-766 kpc ou 2.45-2.49 millions d'années-lumière[1]. A l'époque, la découverte d'Hubble se propagea rapidement dans la communauté des astronomes. Le public en prit connaissance dans un petit encart de 30 lignes dans le "New York Times" du 23 novembre 1924, trois jours après le 35e anniversaire d'Hubble. Pour l'anecdote qui prête à sourire, notons que le journal commit l'erreur d'appeler l'astronome le "Dr Hubbell".
C’est ainsi qu’'à la Noël de 1924 la légende attribua ces paroles au jeune Edwin Hubble qui, regardant des clichés d'amas stellaires obtenus au télescope de 2.5 m du Mont Wilson aurait dit : "ces faibles nuages nébuleux sont en fait des amas d'étoiles semblables à notre Voie Lactée, des univers-îles." Depuis, l'expression nous est restée bien que désuette aujourd'hui. Rappelons que le néologisme "univers-île" fut inventé par le philosophe allemand Emmanuel Kant dans son livre "Histoire naturelle générale et théorie du ciel" publié en 1755 qui pensait également que les "nébuleuses spirales" étaient extragalactiques. L'idée lui fut inspirée en lisant le livre de l'astronome, mathématicien et architecte britannique Thomas Wright intitulé "Une Théorie Originale ou une Nouvelle Hypothèse sur l'Univers" publié en 1750 dans lequel il suggère que les nuages diffus sont des structures stellaires lointaines (pp.83-84 et planches XXXI, XXXII en fin de volume). Cette idée était très précoce. Après l'invention du télescope par Isaac Newton en 1666, parmi les astronomes ayant observé les galaxies sans le savoir, Charles Messier n'observa les comètes et les "nuisantes nébuleuses" qu'en 1760, William Herschel fabriqua son premier télescope de 17 cm de diamètre en 1776 et William Parsons, troisième comte de Rosse, fabriqua son "Leviathan" de 1.83 m d'ouverture en 1845.
Bien que sensationnelle, la découverte d'Hubble était cependant isolée et la théorie des "univers-îles" nécessitait d'autres observations. Hubble réalisa le même travail en recherchant les "chandelles standards" dans NGC 6822 qu'il décrivit comme un "système stellaire distant, un amas d'étoiles pâles et de nébuleuses d'environ 20'x10' ressemblant aux Nuages de Magellan." Comme il l'explique dans l'article publié en 1925, il découvrit dans ces "Nuages" (Clouds) 15 étoiles variables dont 11 Céphéides auxquelles il appliqua la relation Période/Luminosité pour calculer le module de distance (m-M) de ces astres. C'est ainsi qu'il découvrit que ce système se situait à 214000 parsecs soit ~700000 années-lumière. Nous savons aujourd'hui qu'il s'agit en fait d'une petite galaxie irrégulière contenant quelque 10 millions d'étoiles, membre du Groupe Local au même titre que les Nuages de Magellan et située à environ 1.6 million d'années-lumière. Travaillant inlassablement pratiquement jours et nuits, après avoir photographié, analysé et mesuré les spectres de 46 galaxies, en 1929 Hubble découvrit "un corrélation linéaire entre les distances et les vitesses [des galaxies], K représentant la vitesse par unité de distance due à cet effet." Par la suite K sera appelée improprement la "constante de Hubble" symbolisée par H, et il l'estima valoir +500 km/s/Mpc. Cette fameuse loi s'écrivait : r H = v En théorie, H n'est pas une constante mais correspond au "paramètre de Hubble". La constante de Hubble notée Ho désigne la valeur de ce paramètre à l'époque actuelle. Calculette : Convertisseur de magnitudes CosmoCalc (ICRAR) - CosmoCalc (UCLA)
Suite à cette découverte, Hubble[2] publia un article dans les "Proceedings of the National Academy of Sciences" (PNAS) repris ci-dessous dans lequel figure également un graphique qui, pour la première fois, apportait la preuve de l'expansion de l'Univers. Notons que Hubble ne cite ni Vesto Slipher dont il emprunta les données ni Alexandre Friedmann et encore moins Georges Lemaître qui pourtant avaient découvert avant lui l'expansion de l'Univers. En effet, rappelons qu'en 1927 Georges Lemaître avait déjà trouvé le même résultat avec la même valeur de la constante puisque les deux auteurs avaient utilisé les mêmes données de Slipher. Il faudra attendre près d'un siècle pour corriger cette omission. En effet, afin de reconnaître les contributions scientifiques de Georges Lemaître à la théorie de l'expansion de l'Univers, l'Union Astronomique Internationale (UAI) recommanda que la loi de Hubble soit renommée loi de Hubble-Lemaître, résolution qui fut acceptée par 78% des votants lors de la XXXe Assemblée générale de l'UAI qui s'est tenue à Vienne, en Autriche, en août 2018. Notons comme c'est souvent le cas en science, le nom de la constante et du paramètre de Hubble n'ont pas été modifiés. Soulignons car on le précise rarement que la loi de Hubble-Lemaître ne permet d'expliquer que les phénomènes d'expansions et donc des vitesses positives par rapport à la Terre. Pour les galaxies animées d'une vitesse négative, comme par exemple M31, on ne peut pas utiliser la loi de Hubble-Lemaître pour calculer sa distance. Il faut lui appliquer des méthodes indirectes comme celles des "chandelles standards". A lire : L'article original d'Edwin Hubble de 1929 "A Relation between Distance and Radial Velocity among Extra-Galactic Nebulae"
Mais Hubble resta prudent et demanda d'autres mesures, en particulier la détermination précise de la vitesse de déplacement du système solaire et du rayon de courbure de l'Univers. "Pour cette raison écrit-il, il est prématuré de discuter en détails des conséquences évidentes des résultats présents [...] Cette relation linéaire est une première approximation représentant une échelle réduite de distance." Fort de ses mesures et finalement convaincu par sa découverte, en 1935 Hubble démontra que les mesures de vitesse de Van Maanen étaient inexactes. Il était impossible de déterminer la vitesse angulaire d'une galaxie à de si grandes distances. La loi de Hubble-Lemaître fut reconnue immédiatement par la communauté scientifique. Cela n'avait rien de surprenant. Tous les astronomes étaient prêts à considérer depuis des années qu'il devait exister une relation entre la vitesse et la distance des galaxies. Cette découverte marqua un tournant majeur de l'astronomie et de notre vision de l'Univers. Tout d'un coup l'Univers changea de dimensions; il devenait 10 fois plus vaste et serait bientôt hors de portée des télescopes. La Voie Lactée devenait une petite galaxie perdue parmi les autres, sans privilège si ce n'est d'avoir la satisfaction de porter l'Humanité. Tout était devenu bien relatif depuis Einstein. Par reconnaissance, Hubble fut invité à présenter des conférences dans les universités américaines et britanniques. Il recevra honneurs et médailles et devint doctor honoris causa de plusieurs universités. Par la suite, Hubble réalisa les mêmes calculs pour des centaines d'autres galaxies, aidé par son assistant Milton Humason et son collègue Allan Sandage qui avait l'avantage de pouvoir accéder au nouveau télescope Hale de 5.1 m du Mont Palomar qui venait de voir sa première lumière le 26 janvier 1949 (cf. ce compte rendu de "Popular Science" de 1934 et le blog Palomar skies qui relate l'histoire de sa construction). Près d'un siècle s'est écoulé depuis les travaux d'Edwin Hubble. Dans une interview accordée à Kip Thorne pour célébrer le centenaire de sa naissance, Allan Sandage[3] considérait qu' "il n'est pas question de douter qu’il fut le plus grand astronome depuis Copernic. Les trois énormes et importantes choses qu'il réalisa furent : il découvrit les galaxies, il montra qu'elles étaient caractéristiques de la structure à grande échelle de l'Univers et enfin il découvrit l'expansion. N’importe laquelle de ces découvertes est monumentale et devrait asseoir sa place dans l’histoire." Deuxième partie Le paramètre de Hubble et l'âge de l'Univers
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