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Les microquasars

Des systèmes binaires atypiques

Les microquasars sont des objets stellaires ayant les mêmes propriétés que les quasars mais réduits à la taille d'une étoile et agencés en système binaire. Ce sont leurs similitudes avec le comportement des quasars qui sont à l'origine de leur nom.

SS 433

Le premier microquasar fut découvert en 1978 par trois groupes de chercheurs étudiant les rémanents de supernovae (SNR), David H. Clark et Paul Murdin (1978), l'équipe d'Elisabeth R. Seaquist et celle de Martin Ryle. Il s'agit de SS 433 alias V1343 Aquilae situé dans la constellation de l'Aigle à environ 18000 années-lumière. Il se trouve donc bien dans la Voie Lactée. En fait il fut déjà répertorié en 1977 par C. B. Stephenson et N. Sanduleak, mais à l'époque, l'astre figurait seulement en 433e position dans une liste de sources d'émissions H-alpha et peut-être He I notent les auteurs.

SS 433 brille comme une étoile de magnitude apparente +14.2, légèrement variable (sa magnitude apparente varie entre 13.9 et 14.6). Visuellement on ne distingue qu'une étoile mais les photographies à longues poses revèlent qu'elle se situe au centre d'un SNR appelé la nébuleuse Westerhout 50 (W50) et surnommée "manatee" (le lamentin) en raison de sa forme comme illustré ci-dessous. Ce SNR se serait formé il y a 10000 à 100000 ans.

Détection de jets en rayons X

Située près du centre du SNR W50, la position de la source coincide également avec une forte émission radio et rayons X, avec un spectre optique anormal et variable. Ses propriétés physiques furent établies dans les trois ans qui suivirent sa découverte mais après plus de 40 ans de recherches et plus de 1000 articles plus tard, il restait beaucoup de questions sans réponse.

SS 433 forme un système binaire dont l'astre primaire est vraisemblablement un trou noir de 9 à 11 M (à confirmer) bien que l'hypothèse d'une étoile à neutrons ne soit pas écartée. Son compagnon est une étoile de classe spectrale A dont la masse est comprise entre 3 et 30 M maximum (cf. A.M. Cherepashchuk et al., 2005).

A gauche, une photo LRGB-OIII de la nébuleuse Westerhout 50 alias W50 située dans la constellation de l'Aigle. Il s'agit d'un SNR qui abrite en son centre le microquasar SS 433. A droite, une image radio (en vert) obtenue par le NRAO superposée à une image rayons X de Chandra, XMM-Newton et IXPE et infrarouge (le fond rouge foncé) obtenue par le télescope spatial WISE. Voici l'image sans annotation et l'image radio du NRAO sans annotation. Ci-dessous, le détail de l'image rayons X sur laquelle on distingue clairement le jet. Documents Maciej et NRAO/CXC.

SS 433 forme un système binaire X massif ou HMXB (High-Mass X-ray Binary). Le couple stellaire effectue une révolution autour de leur barycentre commun en 13.1 jours. L'étoile perd son atmosphère au profit du trou noir en formant un disque d'accrétion supercritique dit de super Eddington (cf. T.Okuda et al., 2000), terme utilisé pour qualifier un taux d'accrétion supérieur au maximum théorique. Ce disque d'accrétion est à l'origine des intenses émissions X et d'un jet bipolaire relativiste qui se déplace à 78000 km/s, soit 26% de la vitesse de la lumière !

Le système SS 433 émet un jet bipolaire perpendiculairement à son disque d'accrétion qui présentent tous deux une précession comme une toupie avec un axe incliné d'environ 79° par rapport à la Terre.

Pour les astrophysiciens, cette accrétion de super Eddington est une anomalie, une exception dans leur théorie. Ils savent que tôt ou tard, elle imposera une révision des modèles comme tente déjà de le faire le modèle unifié des TDE proposé en 2018 adapté aux trous noirs supermassifs situés au coeur des AGN. Le système SS 433 continue donc de faire l'objet d'intenses recherches notamment en radio, rayons X et gamma.

A voir : SS 433: Binary Star Micro-Quasar, APOD

A gauche et au centre, les émissions du microquasar SS 433 enregistrées en 2003 par le VLBA. Cliquez sur l'image du centre pour lancer l'animation (GIF de 2.1 MB). Les images ont une résolution spatiale le long du jet de ~7 mas (7 fois supérieure au Télescope Spatial Hubble), correspondant à ~35 UA (presque équivalent au système solaire) à la distance de la source soit environ 18000 a.l. A droite, la toute première image submillimétrique obtenue par ALMA en 2019 montrant les jets émis par le disque d'accrétion entourant le trou noir de SS 433. La forme en tire-bouchon est créée par la précession; à mesure que les jets se déplacent vers l'extérieur, ils pivotent lentement autour de leur axe de la même manière qu'une toupie qui ralentit, l'orientation de leur axe de rotation changeant en même temps. La taille de ce tire-bouchon atteint ~2.6 années-lumière soit 5000 fois la taille du système solaire. Un aspect remarquable de cette observation est que sa forme détaillée fut entièrement prédite en 2018 à partir de mesures spectroscopiques effectuées par les télescopes du réseau Global Jet Watch de 50 cm d'ouverture, précédant les observations d'ALMA. Documents NRAO et ESO/ALMA.

Les jets de SS 433 peuvent être détectés dans les bandes radio et X jusqu'à une distance inférieure à une année-lumière de part et d'autre de l'étoile binaire centrale, avant qu'ils ne deviennent trop faibles. Puis, comme illustré ci-dessous, étonnamment à environ 75 années-lumière de leur site d'émission, les jets réapparaissent brusquement sous la forme de sources de rayons X très lumineux. Les raisons de cette réapparition sont restées longtemps mal comprises.

Détection de rayons gamma

Pendant des décennies, les chercheurs n'avaient détecté aucune émission de rayons gamma dans aucun microquasar. Puis en 2018, l'observatoire de rayons gamma Cherenkov HAWC installé au Mexique détecta pour la première fois des rayons gamma de très haute énergie dans les jets de SS 433 (cf. H.Zhou et al., 2018). Pour les astrophysiciens, cela signifie que quelque part dans les jets, des particules sont accélérées à des énergies extrêmes. Mais jusqu'à présent ils ignoraient comment et à quel endroit du milieu interstellaire les particules des jets astrophysiques sont accélérées.

Illustration artistique du système SS 433, représentant les jets à grande échelle (en bleu) et le SNR de la nébuleuse Westerhout 50 (W50) environnante (en rose). Les jets ne sont détectables qu’à une courte distance du trou noir, trop petite pour être visible sur cette image. Les jets se propagent jusqu'à environ 75 années-lumière avant de subir une transformation brutale sous la forme de sources lumineuses d'émissions non thermiques (rayons X et gamma). A cet endroit les particules sont accélérées, indiquant probablement la présence d'un choc important, une discontinuité dans le milieu capable d'accélérer les particules. Document Science Communication Lab pour MPIK/H.E.S.S. adapté par l'auteur.

L'intérêt d'étudier les émissions gamma de SS 433 est le fait que bien les jets sont 50 fois plus petits que ceux de l'AGN le plus proche (Centaurus A alias NGC 5128), SS 433 est situé dans la Voie Lactée. Par conséquent, la taille apparente des jets de SS 433 est beaucoup plus grande et leurs propriétés sont donc plus faciles à étudier avec la génération actuelle de télescopes à rayons gamma.

Grâce à l'observatoire H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System) composé de 4 télescopes de 12 m de diamètre installés en Namibie capturant les émissions de Cerenkov atmosphériques des rayons cosmiques, en collaboration avec l'Institut Max Planck de Physique Nucléaire (MPIK) d'Heidelberg, une équipe de 165 astrophysiciens de la Collaboration H.E.S.S. réussit à détecter des rayons gamma de très haute énergie dans les jets émis par SS 433. En comparant les images en rayons gamma prises à différentes énergies, ils sont également parvenus à identifier leur emplacement exact dans la structure des jets. Leur découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Science" en 2024 (en PDF sur arXiv, lire aussi "Nature", 2024).

Bien qu'aucune émission de rayons gamma ne soit détectée depuis la région centrale de SS 433, ce qui a le plus surpris les chercheurs, c'est le changement de position de l'émission des rayons gamm en fonction de leur énergie. En effet, l'émission gamma apparaît brusquement dans les jets externes à une distance d'environ 75 années-lumière de chaque côté de l'étoile binaire, conformément aux observations précédentes en rayons X. Les photons gamma dont les énergies dépassent 10 TeV ne sont détectés qu'au point chaud où le jet bipolaire réapparait brusquement. En revanche, les régions émettant des rayons gamma de plus faibles énergies apparaissent plus loin le long de chaque jet.

Les chercheurs ont ensuite simulé l'émission gamma en fonction du niveau d'énergie et obtenu la toute première estimation de la vitesse des jets externes. Selon les modélisations, les électrons sont injectés à ~0.083c soit ~25000 km/s. Selon les auteurs, "La différence entre cette vitesse et celle avec laquelle les jets sont expulsés suggère la présence d'un accélérateur de particules, probablement un choc situé à la base des jets extérieurs de SS 433, capable d'accélérer les particules à des niveaux très élevés". Le site d'accélération serait un choc violent, une transition brutale dans les propriétés du milieu interstellaire. La présence d'un choc fournit également une explication naturelle à la réapparition des jets de rayons X du fait que les électrons accélérés produisent également des rayons X en transformant une partie de leur intense énergie, c'est l'effet Compton inverse.

Selon la doctorante Laura Olivera-Nieto du MPIK et autrice principale de cet article, "Il s'agit de la toute première observation d'une morphologie dépendante de l'énergie dans l'émission de rayons gamma d'un jet astrophysique. Nous étions d'abord perplexes face à ces résultats. La concentration de photons à haute énergie sur les sites de réapparition des jets de rayons X signifie qu'une accélération efficace des particules doit avoir lieu à cet endroit, ce qui n'était pas prévu." SS 433 devient ainsi l'un des accélérateurs de particules les plus efficaces de la Galaxie.

Cette découverte offre des informations précieuses sur ces phénomènes astrophysiques extrêmes et met un terme aux spéculations sur l'apparition d'une accélération des particules dans ce système unique. Grâce à H.E.S.S., les astrophysiciens connaissent désormais le lieu de l'accélération, la nature des particules accélérées, et ont l'opportunité de pouvoir sonder les jets d'un trou noir actif proche à grande échelle.

A voir : Astrophysical jet caught in a speed trap, 2024

En revanche, on ne sait toujours rien sur l'origine des chocs sur les sites de réapparition des jets car aucun modèle n'a encore prédit cette caractéristique, qui sera l'un des objectifs des prochaines études. Les chercheurs espèrent que leurs résultats pourront aussi expliquer les jets mille fois plus grands des galaxies actives et des quasars, ce qui contribuerait à résoudre les nombreuses énigmes concernant l'origine des rayons cosmiques les plus énergétiques.

On pensait que SS 433 était le cas le plus exotique jusqu'à ce qu'on découvre en 1994 un second microquasar dénommé GRS 1915+105 alias V1487 Aquilae situé à environ 30000 années-lumière.

GRS 1915+105

Le microquasar GRS 1915+105 alias V1487 Aquila située à 36000 années-lumière est une nova X de classe spectrale K III qui connut un sursaut d'éclat en 1992. Cette étoile perd son atmosphère au profit d’un minuscule objet très massif, vraisemblablement un trou noir de 10 à 18 M dont l'horizon des évènements, c’est-à-dire la limite de Schwarzschild ne devrait pas dépasser 15 km de diamètre. C'est l'un des trous noirs stellaires les plus massifs.

A gauche, GRS 1915+105 est un microquasar, plus exactement une nova X en orbite autour d'un trou noir d'environ 14 masses solaires. Il éjecte des bulles de matière à plus de 10000 UA de distance (57 jours-lumière) en l'espace d'un mois, soit à la vitesse apparente de 2c ! A droite, une représentation du système. Documents NRAO/CEA et T.Lombry.

Parmi ses particularités, ce trou noir émet un jet de particules ainsi que des bulles de matière condensée à une vitesse de l'ordre de 92% de celle de la lumière provoquant des effets relativistes sur le rayonnement. Comme on le voit ci-dessus à gauche, des bulles de matière sont éjectées à plus de 10000 UA ou 1" apparemment deux fois plus vite que la lumière ! La source est tellement massive qu'elle arrache également de la matière de l'étoile voisine.

Autre particularité, ce trou noir présente un taux de rotation très élevé avec un paramètre de spin a* estimé à ~0.56 pour les rayons X mous et pouvant atteindre 0.98 pour l'ensemble du spectre (cf. J.L. Blum et al., 2009). Pour rappel, lorsque a*=1, on atteint le spin maximum (qui ne correspond pas à la vitesse de la lumière, cf. le taux de rotation et spin des trous noirs).

GRS 1915+105

A gauche, représentation des éruptions de rayonnement X émises par une galaxie (QT de 2.2 MB préparé par Chandra). A droite, animation du trou noir de GRS 1915+105 (MOV de 6 MB préparé par le CfA/U.Harvard)

Si on ne peut pas convertir un nombre sans dimension comme le paramètre de spin en vitesse angulaire ou linéaire (on ne peut pas dire que 0.98% représentent une vitesse de 98% de celle de la lumière), on peut malgré tout estimer que ce trou noir effectue 950 rotations par seconde (période de 950 Hz) soit une valeur qui atteint près de 83% de la limite théorique qui est de 1150 fois par seconde au-delà de laquelle il éclaterait. Dans ces conditions, il applique en force l'effet Lense-Thirring de précession relativiste.

V404 Cygni

Le microquasar V404 alias GS 2023+338 est situé à 7800 années-lumière dans la constellation du Cygne. C'est une binaire accrétante de faible masse ou LMXB composée d'une étoile d'environ la moitié de la masse du Soleil gravitant autour d'un trou noir stellaire de ~12 M (cf. T.Shahbaz et al., 1994 et en PDF) mais dont l'incertitude sur la masse atteint encore 20% (cf. T.Muñoz-Darias et al., 2016 et en PDF sur arXiv).

Illustration de la binaire accrétante V404 Cygni et du disque d'accrétion entourant son trou noir. Document Gabriel Pérez/IAC.

Le trou noir connut des sursauts spectaculaires d'émissions X et gamma en 1989 et en 2015 où les satellites enregistrèrent de fortes émissions de rayons X et gamma entre 20 et 40 keV d'une durée inférieure à 1 heure de façon répétée mais à des intervalles irréguliers pendant ~2 semaines (cf. ESA).

Le 5 juin 2015, le satellite Swift détecta le sursaut de rayons X qui forma de spectaculaires anneaux concentriques dont on voit une image ci-dessous à gauche prise le 30 juin 2015. La couleur indique l'énergie des rayons X mous (< 5 keV) : le rouge représente les plus faibles (800 à 1500 eV), le vert les moyens (1500 à 2500 eV) et le bleu - mais ils sont rares - les plus énergétiques (2500 à 5000 eV). 

A titre de comparaison, l'énergie transportée par la lumière visible est de l'ordre de 2 à 3 eV. Pour rappel, 1 eV correspond à l'énergie acquise par un électron au repos porté à la vitesse de 600 km/s. En 2021, le centre Chandra publia une image composite X et optique présentée ci-dessous à droite.

Ces anneaux sont ce qu'on appelle des échos lumineux qui se forment de manière analogue aux vagues ou aux ondes de réverbération acoustique. Ces anneaux furent produits lorsque les rayons X émis par le trou noir ont rebondi sur des nuages de poussière situés entre V404 et la Terre.

Ces échos lumineux apparaissent sous forme d'anneaux étroits plutôt que larges ou sous forme de halos (bulles) parce que le sursaut de rayons X dura relativement peu de temps et se produisit à une distance relativement grande de la Terre.

Il faut imaginer que ces anneaux concentriques se déplacent et s'étendent comme des vagues à la surface de l'eau comme le montrent ces animations en time-lapse réalisées par Andrew Beardmore de l'Université de Leicester à partir des données de Swift enregistrées entre le 30 juin et le 4 juillet 2015. En quelques jours les anneaux se sont rapidement propagés dans un rayon de plus de 5' d'arc soit un tiers du rayon de la Lune.

L'analyse de l'image X de V404 révèle qu'il y a huit anneaux concentriques distincts correspondant à différents nuages de poussière. Les anneaux apportent des renseignements non seulement sur le comportement du trou noir, mais aussi sur les caractéristiques de l'espace dans la ligne de visée de V404 Cygni. Par exemple, à partir du diamètre des anneaux en rayons X, on peut calculer la distance des nuages de poussière intermédiaires sur lesquels la lumière ricocha (si le nuage est plus proche de la Terre, l'anneau semble plus grand et vice versa).

Les simulations indiquent que la poussière contient très probablement des mélanges de grains de graphite et de silicate.

A voir : Flaring Black Hole Accretion Disk in the Binary System V404 Cygni, NASA

A gauche, image rayons X prise par le satellite Swift le 30 juin 2015 des spectaculaires anneaux concentriques s'étendant dans un rayon de plus de 5' autour du trou noir de la binaire LMXB V404 Cygni. Bien que le temps d'intégration (d'exposition) soit d'environ 17 minutes, cette image est plus lumineuse que celles intégrées les jours suivants durant 25 ou 27 minutes. Voir aussi les animations. A droite, une image de V404 Cygni publiée en 2021 par le centre Chandra combinant les données rayons X de Chandra et de Swift ainsi qu'une image optique prise par Pan-STARRS. Les lignes sombres qui traversent les deux images (en diagonale à gauche et la bande horizontale à droite) sont des artefacts du système d'imagerie.

Parmi les découvertes dont devront tenir compte les astrophysiciens, en analysant les anneaux intérieurs avec Chandra, ils ont constaté que la densité des nuages de poussière n'est pas uniforme dans toutes les directions. Or des études antérieures avaient supposé qu'elle l'était. De plus, des analyses réalisées en 2017 par Stephen Eikenberry de l'Université de Floride et ses collègues ont montré que le champ magnétique de V404 est d'environ 461 G soit 400 fois plus faible que les estimations antérieures pour de tels systèmes. Il ne faudrait donc pas un puissant champ magnétique pour accélérer et focaliser un jet.

Ces découvertes parmi d'autres ajoutent de nouvelles contraintes sur les modèles des trous noirs et des microquasars.

Nous verrons à propos des binaires X massives ou HMXB que le système Circinus X-1 dont le compagnon gravite autour d'une jeune étoile à neutrons possède également des anneaux concentriques de même type enveloppés dans un SNR. C'est également une source super-Eddington. On y reviendra.

Désalignement du disque interne

En 2019, des chercheurs ont découvert que le trou noir de V404 Cygni émet des jets radios rotatifs couplés à l'éjection de nuages de plasma à grande vitesse dans différentes directions (cf. J.C.A. Miller-Jones et al., 2019 et en PDF sur arXiv).

Selon Miller-Jones, auteur principal de cet article, "C'est l'un des systèmes de trous noirs les plus extraordinaires que j'ai jamais rencontrés. Comme beaucoup de trous noirs, il se nourrit d'une étoile proche, accrétant le gaz de l'étoile et formant un disque de matière qui entoure le trou noir et spirale vers lui sous l'effet de la gravité. Ce qui est différent dans V404 Cygni, c'est que nous pensons que le disque de matière et le trou noir sont désalignés."

Normalement, les jets partent directement des pôles des trous noirs, mais ces jets furent repérés dans des directions différentes à des moments différents – et ils changeaient de direction rapidement, toutes les deux heures.

Comme illustré ci-dessous, ce désalignement signifie que la partie interne du disque d'accrétion du trou noir oscille comme une toupie, provoquant l'émission de jets dans des directions différentes lorsqu'il change d'orientation. L'amplitude de cette oscillation ou précession est un effet de la théorie de la relativité générale.

Illustrations du désalignement de la partie interne du disque d'accrétion du trou noir du microquasar V404 Cygni dont la précession engendre des jets rotatifs. Documents ICRAR.

Selon Alex Tetarenko, coauteur de cet article, la vitesse à laquelle les jets changent de direction signifie que nous avons dû utiliser une approche très différente pour la plupart des observations radios : "En général, les radiotélescopes produisent une seule image après plusieurs heures d'observation. Mais ces jets changeant si vite que sur une image de quatre heures, nous n'avons vu qu'une tache floue. C'est comme essayer de prendre une photo d'une cascade avec une vitesse d'obturation d'une seconde."

Au lieu de cela, les chercheurs ont réalisé 103 images, chacune réduite à environ 70 secondes, et les ont rassemblées dans un film. C'est par ce truchement qu'ils ont découvert ces changements sur une très courte période.

Selon Gemma Anderson, coautrice de cet article, "Chaque fois que vous constatez un désalignement entre la rotation d'un trou noir et la matière qui y tombe, vous vous attendez à ce que le trou noir commence à se nourrir très rapidement. Cela pourrait inclure tout un tas d'autres évènements brillants et explosifs dans l'Univers, tels que des trous noirs supermassifs se nourrissant très rapidement ou des TDE (évènement de perturbation maréale), lorsqu'un trou noir déchire une étoile."

Notons que le même phénomène s'observe dans le trou noir binaire LMXB 4U 1543-47 alors que celui du LMXB XTE J1550-564 s'est aligné avec le disque externe (cf. S.Banerjee et al., 2019).

 XMMU J004243.6+412519

En 2012, grâce au télescope orbital XMM-Newton de l'ESA, on découvrit le microquasar XMMU J004243.6+412519 dans la galaxie M31. Il s'agit d'un système binaire X de faible masse (LMXB) composé d'un trou noir de masse stellaire qui accrète la matière d'une étoile de faible masse.

Environ dix jours après sa découverte, le microquasar afficha un spectaculaire sursaut de rayons X, indiquant une transition vers un taux d'accrétion proche de la limite d'Eddington du trou noir voire même supérieure. Les données radio ont permis de détecter de multiples éruptions sur des échelles de temps de quelques jours seulement, suggérant que l'augmentation du taux d'accrétion de masse pourrait avoir déclenché un jet "balistique", c'est-à-dire une série d'éjections consécutives de matière.

Illustration du système XMMU J004243.6+412519. Document ESA.

V4641

Le microquasar V4641 situé à 1600 années-lumière dans le Sagittaire et présenté ci-dessous est un système binaire HMXB constitué d'une étoile de classe spectrale B9 III en orbite autour d'un trou noir de 9.6 M. C'est un objet galactique qui n'a donc rien de commun avec les quasars au sens strict. Les radioastronomes ont toutefois découvert en 1999 que le rayonnement de cet objet fluctuait en l'espace de quelques dizaines de minutes. Après analyse, on s'est rendu compte que l'objet central projetait un jet directionnel jusqu'à environ 125 UA, soit plus de trois fois la distance du Soleil à Pluton et à une vitesse apparente 1.5 fois supérieure à celle de la lumière en raison de l'effet relativiste.

A lire : The Early History of Microquasar Research, I.F.Mirabel, 2012

Microquasars, Mierk Schwabe, 2004

Microquasars: Proceedings of the Third Microquasars Workshop, 2000

Le microquasar V4641 du Sagittaire accuse des déplacements superluminiques et une forte brillance dans les rayonnements X et gamma. A gauche, ces deux images séparées de 30 minutes ont été prises le 16 septembre 1999 par le radiotélescope du VLA à la fréquence de 4.9 GHz. On distingue un jet dans la direction nord-est qui s'étend sur 125 U.A. à une vitesse apparente 1.5 fois supérieure à celle de la lumière. A droite, illustration du microquasar LS 5039 dans l'Ecu de Sobieski (Scutum) probablement associé à une étoile à neutrons ou un trou noir. L'objet émet également des rayons X, gamma et des jets radios. Documents NRAO adapté par l'auteur et T.Lombry.

Le Grand Annihilateur

Le "Grand Annihilateur" alias 1E 1740.7-2942 est un microquasar situé à 300 années-lumière du centre géométrique de la Voie Lactée. Banale source X du catalogue Einstein qui fit un premier recensement des sources X du ciel (remplacé par le catalogue Einstein2E en 1996), elle présente un tout autre tempérament en rayonnement gamma. Observée depuis 1990, notamment par les satellites SIGMA, CGRO et Chandra, cet objet témoigne de l'annihilation de particules et d'antiparticules en émettant des photons gamma d’une énergie de 0.511 et 1.81 MeV (cf. G.Riegler et al., 1981; W.Webber et al., 1986).

Ce rayonnement caractéristique proviendrait du disque de plasma qui circulerait autour d'un trou noir de masse stellaire, au sein duquel la matière serait annihilée dans une profusion d'énergie, d’une puissance équivalent à 2x1030 W. Dans son livre "L'homme qui courait après son étoile" (Odile Jacob, 1998, p244), l’astronome Jacques Paul du CEA de Saclay a comparé son éclat gamma à une puissance "telle que chaque millimètre carré de sa surface doit déchaîner une puissance dix mille fois supérieure à celle d'une centrale nucléaire" de mille mégawatts.

La source 1E 1740.7-2942 est l'objet le plus brillant situé au centre de l'image de gauche représentant le centre galactique observé par le satellite SIGMA entre 1990 et 1993. Le rayonnement est émis dans la fourchette 35-75 keV et est vraisemblablement associé à un système binaire comprenant un trou noir stellaire. A droite, ses fluctuations lumineuses en un peu plus de deux ans. A comparer avec la courbe lumineuse de Sgr A. Document CEA et M.GRAIG.

Par ailleurs, grâce au réseau interférométrique Karl Jansky, les radioastronomes ont découvert deux jets de plasma s'échappant de l'objet central, appuyant l'idée qu'il est émis par le disque interne d'accrétion d'un trou noir.

H 1743-322

Grâce aux satellites XMM-Newton et NuSTAR, on découvrit l'objet H 1743-322 qui est également un trou noir associé à une binaire accrétante et des émissions X pulsées (cf. les QPO). Cet objet présente également un effet Lense-Thirring de précession relativiste très important. On reviendra sur tous ces concepts à propos des trous noirs.

Autres microquasars

Le microquasar LS 5039 de l'Ecu de Sobieski (Scutum) est un système binaire de type LMXB constitué d'une étoile de classe spectrale O6.5 V en orbite autour d'un objet compact et massif de 1-3 M, probablement une étoile à neutrons ou un trou noir. L'objet compact (référence 3EG J1824-1514) émet des rayons X et des rayons gamma d'une énergie supérieure à 100 GeV ainsi que des jets radios. Il fait partie des objets dits "TeV emitters" au même titre que H1743-322.

Le microquasar XTE J1550-564 alias V381 Normae est également un système binaire de type LMXB. Il comprend un trou noir stellaire de 9 M qui attire l'atmosphère d'une étoile de type K3III. Ce trou noir émet un jet bipolaire et est entouré d'un disque d'accrétion.

Selon Mierk Schwabe, en 2004 plus de 280 microquasars avaient été découverts dans la Voie Lactée dont 130 sont associés à un compagnon lourd d'une dizaine de masses solaires (HMXB) et 150 à un compagnon léger pesant entre 1-3 M (LMXB). Parmi ces microquasars, 50 sont associés à des pulsars X qui ne sont pas radioémetteurs et 43 sont des radiosources. On estime que la Voie Lactée contiendrait quelque 700 systèmes binaires X plus brillants que 2x1034 erg/s (notons que les véritables quasars peuvent émettre jusqu'à 1061 erg/s à 1.42 GHz).

Parmi les autres microquasars HMXB citons Cygnus X-1 (21 M), H1743-322 alias XTE J17464-3213 (10 M), XTE J1118+480 (7-8 M) et GRO J1655-40 (7 M), et parmi les microquasars LMXB il y a notamment 47 Tucana X9 et Scorpius X-1 (~1.4 M). On reviendra sur certains d'entre eux dans l'article consacré aux étoiles doubles et multiples.

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