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Le trou noir

Illustration d'un trou noir entouré de son disque d'accrétion et de son tore de poussière détruisant un système exoplanétaire par l'effet des marées gravitationnelles. Document T.Lombry.

Les candidats au titre de trou noir (IX)

Les grands télescopes (au moins 1 mètre de diamètre), les satellites de détection du rayonnement X tel que Chandra, XMM-Newton, NuSTAR et Swift-BAT ainsi que les réseaux de radiotélescopes interférométriques ont isolé plusieurs candidats[18] au titre de trous noirs potentiels, qu'il s'agisse de trous noirs stellaires et de faible masse ou galactiques et supermassifs.

Ce sont des candidats car concrètement, il est très difficile et souvent impossible de les détecter ou de les observer directement en raison de la luminosité qui se dégage de leur environnement ou, pour ceux qui seraient inactifs et sans disque d'accrétion, en raison de leur taille.

A titre d'information, une singularité de 1 milliard de M située à 1.6 année-lumière soit 0.5 pc ne mesure que 0.0001" soit 0.1 mas ou 100 μas. C'est plus de dix fois inférieur à la résolution spatiale du SKA dont la ligne de base atteint pourtant 100 km (cf. ce schéma de C.L. Carilli et al., 2015). Seul un réseau interférométrique de radiotélescopes dont la base serait à l'échelle planétaire tel le EHT ou un réseau VLBI spatial combiné à une analyse très complexe des signaux permet de dépasser cette résolution mais les conditions techniques et observationnelles à remplir sont difficiles à réunir.

En 2017, les astronomes avait catalogué plus de 1.35 million de quasars et plus de 100000 candidats jusqu'en 2020 (cf. le catalogue MILLIQUAS), la plupart abritant un trou noir supermassif.

Les trous noirs stellaires

Un candidat très célèbre car historique est l'objet Cygnus X-1 découvert en 1964 et qui fit l'objet d'un pari entre Stephen Hawking et Kip Thorne en 1974. La distance comme la masse et les paramètres orbitaux de ce système ont fait l'objet de controverses pendant plus d'un demi-siècle[19]. Comme le rappelle Jean-Pierre Luminet, directeur de recherches émérite au CNRS et spécialiste des trous noirs, "Il suffirait que la distance qui nous sépare du système Cygnus X-1 soit plus courte de 10% pour que la masse minimale du compagnon hyperdense tombe en dessous du seuil fatidique des trois masses solaires." Mais les nouvelles mesures ont confirmé la masse élevée de Cygnus X-1.

Selon une étude publiée dans la revue "Science" en 2022 par James C. Miller-Jones de l'ICRAR (International Center for Research in Radio Astronomy) de l'Université de Curtin de Perth en Australie, et ses collègues, Cygnus X-1 est un système binaire HMXB (High-Mass X-ray Binary), situé à environ 2.22 kpc soit 7237 années-lumière (contre 6064 années-lumière auparavant) constitué d'une étoile supergéante bleue nommée HDE 226868 de 31000 K et d'environ 41 M et d'un trou noir d'environ 21.2 M. C'est à jour le trou noir stellaire le plus massif découvert dans un système HMXB (il détrône M33 X-7 de ~15.65 M). Le fait qu'il soit organisé dans un système binaire pourrait expliquer sa masse plus élevée qu'un trou noir stellaire isolé.

A voir : Cygnus X-1 en 60 secondes, Chandra, 2011

A gauche, image de Cygnus X-1 obtenue par le satellite à rayons X Chandra entre 2001 et 2003. Temps total d'intégration de 16 heures. A droite, illustration artistique du système HMXB Cygnus X-1. Documents NASA/CXC/SAO et David A. Hardy.

Le demi-grand axe de l'orbite du système Cygnus X-1 est de 73 ±8 mas soit une distance de seulement 0.160 ±0.013 UA ou 24 millions de kilomètres (l'équivalent du tiers de la distance entre Mercure et le Soleil). Les deux composantes tournent autour de leur barycentre en 5.6 jours.

Le trou noir mesure 120 km de diamètre (contre 30 km de diamètre auparavant) et son paramètre de rotation a* > 0.9985, c'est-à-dire que son taux de rotation est proche de la vitesse de la lumière (a*=1) mais indépendant de son taux d'accrétion (voir plus bas). La densité de flux en rayons X est de 2300 Jansky pour une luminosité moyenne du jet en rayons X variant entre 4 et 14x1036 erg/s, un niveau d'énergie extrêmement intense pour un astre de cette taille (cf. D.M. Russell et al., 2007).

Sur base des derniers calculs de la masse de l'étoile, Cygnus X-1 serait âgé d'environ 4 millions d'années (et non de 6 millions d'années). Le système appartiendrait à l'association stellaire Cygnus OB3 qui se serait formée à partir d'une étoile progénitrice de plus de 40 M.

Grâce au réseau Karl Jansky (ex-VLBA), Mark J. Reid du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian et ses collègues ont calculé que le système binaire se déplace à 21 km/s par rapport à la Galaxie. L'absence de SNR qui accompagne normalement une supernova et la vitesse du système binaire suggère que ce couple s'est formé dans le plan de la Galaxie et ne diffère pas des systèmes binaires classiques. En effet, si l'étoile progénitrice s'était transformée en supernova, le trou noir résultant aurait été expulsé à une vitesse bien plus élevée. On en déduit que l'étoile se serait donc effondrée directement en trou noir sans exploser.

Illustration artistique du trou noir Cygnus X-1 d'environ 21.2 masses solaires. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (Mpeg de 3.5 MB). Consulter le texte pour les explications. Document ESO.

Le trou noir attirant lentement l'étoile géante, la friction sur la matière provoque une dispersion du flux de gaz qui tombe en spirale sur le trou noir avec un taux d'accrétion estimé à 2x10-7 M par an. Ce trou noir présente donc un disque d'accrétion, il est actif et émet un jet bipolaire très puissant. A ce titre, il fait partie de la famille des microquasars.

Il faut environ un mois pour que le gaz capturé en périphérie atteigne la région interne, la plus proche du trou noir. La friction continue sur le gaz porte la matière d'une température de quelques dizaines ou milliers de degrés aux limites extérieures de l'anneau d’accrétion, à plus de 10 millions de degrés près du centre. La luminosité de ce plasma est extraordinaire et se concentre dans les rayons X qui dépassent de plusieurs millions de fois la luminosité globale du Soleil sur tout le spectre.

Le flux de rayons X qui arrive sur Terre provient de la partie interne du disque d'accrétion, une région qui s'étend sur moins de 100 km de rayon. Ainsi que le montre bien l'animation présentée à gauche, à mesure que la matière se rapproche du trou noir son rayonnement se décale de plus en plus vers les longues longueurs d'ondes, raison pour laquelle le nuage isolé de gaz représenté près du centre prend une coloration de plus en plus rouge puis il disparaît définitivement en atteignant le rayon de Schwarzschild.

A très long terme, c'est-à-dire dans plus de 15 milliards d'années, l'étoile supergéante bleue finira également en trou noir (à moins que son coeur soit pulvérisé dans l'explosion de la supernova). Ce système pourrait donc se transformer en un trou noir binaire qui finira pas fusionner par coalescence en libérant un intense flux d'ondes gravitationnelles.

Ceci dit, il existe dans l'Univers des candidats au titre de trou noir bien plus massifs où même une imprécision des calculs ne change pas radicalement l'ordre de grandeur astronomique de leur masse qui s'exprime en dizaines de millions et même en milliards de masses solaires !

Les trous noirs des Hyades

A ce jour, les trous noirs stellaires virtuellement les plus proches de la Terre seraient situés dans l'amas des Hyades dans la constellation du Taureau, à environ 150 années-lumière du Soleil.  Ils détrônent le trou noir Gai BH1 (voir ci-dessous). Des simulations expliquent le mieux l'évolution des Hyades s'il contient deux ou trois trous noirs. Mais il est également possible que ces trous noirs aient été éjectés de l'amas il y a moins de 150 millions d'années. Dans tous les cas, leur existence réelle doit encore être confirmée. (cf. MNRAS, 2023) On y reviendra à propos des amas ouverts.

Gaia BH1

Si on écarte les trous noirs des Hyades qui n'ont à l'heure actuelle qu'une existence virtuelle, le trou noir stellaire le plus proche du Soleil est Gaia DR3 4373465352415301632, plus simplement surnommé Gaia BH1 (cf. K.El-Badry et al., 2022). Il fut découvert en 2022 dans les données du sondage Gaia DR3 par Kareem El-Badry de l'Institut Max Planck d'Astronomie et ses collègues (qui ont déjà découvert un trou noir stellaire dans le système binaire VFTS 242 situé dans la Grand Nuage de Magellan).

Illustration du système binaire Gaia BH1. Document NoirLab et al.

Gaia BH1 est un trou noir stellaire de 9.62 M situé dans un système binaire à 1565 années-lumière du Soleil dans la constellation d'Ophiuchus (le Serpentaire). Il présente un rayon de Schwarzschild Rs ~ 28 km. La deuxième composante est une étoile solaire de type G d'une température effective de 5850 K, ~0.93 M, ~0.99 R et ~1.06 L qui évolue à ~1.40 UA du barycentre commun et dont la période orbitale est de ~186 jours. Elle est dix fois plus éloignée du barycentre que les étoiles agencées en systèmes binaires équivalents découvertes à ce jour.

Etant donné la masse importante du trou noir, l'étoile progénitrice devait avoir au moins 20 M et ne vécut que quelques millions d'années.

Actuellement on ignore comment son compagnon a survécu. Il est possible que l'étoile solaire ait été capturée par le trou noir lors de son errance près d'un amas stellaire et que son orbite s'est raccourcie par la suite. Il est aussi possible qu'il s'agisse en réalité d'un système triple et que ce qu'on le pense être un seul trou noir soit en réalité une paire de trous noirs en orbites serrés. De nouvelles mesures pourraient le vérifier.

Selon les auteurs, l'avenir de l'étoile solaire risque d'être dramatique. Premier scénario, elle se transformera en naine blanche et se refroidira lentement. Mais si par malheur une perturbation la dévie vers le trou noir, il pourrait accréter son atmosphère qui forma des filaments de plasma et finira par l'absorber. Second scénario, s'il s'agit d'un trou noir binaire, la fusion des trous noirs engendrera un telle onde de choc que la future étoile naine sera éjectée du système et terminera sa vie isolée dans l'espace glacial.

Gaia BH2, BH3, etc

Depuis, Gaia a découvert deux autres trous noirs stellaires dans la Voie Lactée :

- BH2 de 8.94 M forme un système binaire avec une géante rouge d'une température effective de 4604 K, ~1.07 M, ~7.77 R et ~24.6 L. Le système est situé à ~3800 années-lumière dans le Centaure (cf. K.El-Badry et al., 2023). Ce trou noir présente un rayon de Schwarzschild Rs ~ 26.4 km. Il effectue une révolution autour du barycentre du système en 1277 jours soit ~3.5 ans sur une orbite moyennement excentrique (e= 0.518) dont le demi-grand axe mesure 4.96 UA. Il fut déjà localisé en 2022 mais les chercheurs n'étaient pas certains que le système binaire abritait un trou noir (cf. A.Tanikawa et al., 2022).

- BH3 de 32.70 M fut découvert dans le courant galactique ED-2 situé à ~1930 années-lumière dans la constellation de l'Aigle. Il s'agit d'un ancien amas ouvert dont les étoiles ont été dispersées par le champ gravitationnel de la Voie Lactée. Ce trou noir présente un rayon de Schwarzschild Rs ~ 88.57 km. Il forme un système binaire avec une étoile géante de type G d'une température effective de 5212 K, ~0.76 M et ~4.94 R. Le trou noir effectue une révolution autour du barycentre du système en 11.6 ans sur une orbite très excentrique (e = 0.729) qui le porte à une distance comprise entre 4.5 et 29 UA du barycentre (cf. P.Panuzzo et al., 2024).

A ce jour BH3 est le trou noir stellaire le plus massif découvert dans la Voie Lactée.

Selon El-Badry, la nouvelle distribution de Gaia DR4 attendue en 2025 devrait contenir des dizaines de systèmes multiples de ce type avec potentiellement des trous noir stellaires proches à découvrir.

Erratum

Des études de suivi ont conclu que deux candidats au titre de trou noir le plus proche de la Terre, le trou noir de la Licorne V723 Monocerotis et le trou noir du système V Puppis n'existent pas. Données et simulations confirment que ce sont tous les deux des systèmes stellaires multiples dans lesquels une étoile géante accrète la matière d'une étoile compagne. On y reviendra à propos des étoiles doubles et multiples.

Autres trous noirs stellaires potentiels

Dans la Voie Lactée :

- le microquasar V404 Cygni, un système binaire situé à environ 7800 années-lumière qui connut des éruptions X et gamma spectaculaires en 1989 (que certains associèrent à l'époque à une nova) et en 2015. On estime qu'il abrite un trou noir stellaire de 12 M. Particularité, son champ magnétique est 400 fois plus faible qu'estimé pour ce type de système. On a également découvert que son disque d'accrétion interne est désaligné ce qui produit des jets rotatifs. On y reviendra.

- Le microquasar GRS 1915+105 alias V1487 Aquilae découvert en 1994 à environ 30000 années-lumière. Ce système binaire X abrite le trou noir stellaire le plus massif avec une masse estimée entre 10-18 M. Sa période de rotation est de 950 Hz soit 950 rotations par seconde qui frise la limite théorique qui est de 1150 fois par seconde au-delà de laquelle il éclaterait.

- L'amas globulaire Palomar 5 découvert par Walter Baade en 1950 dans la constellation du Serpent à ~65000 années-lumière du Soleil dans le halo galactique. Cet amas globulaire est âgé d'environ 11 milliards d'années. En moyenne les étoiles sont séparées les unes des autres de seulement quelques années-lumière (souvent de l'ordre de la distance qui nous sépare de l'étoile la plus proche). Palomar 5 est très pâle (Mv 11.5), dix fois moins massif et cinq fois plus étendu que les autres amas globulaires et libère surtout une traînée d'étoiles qui s'étend sur plus de 20° dans le ciel. C'est le seul amas globulaire présentant des courants stellaires de marée.

Dans une étude publiée dans la revue "Nature" en 2021, Mark Gieles de l'Université de Barcelone et ses collègues ont suggéré que Palomar 5 contiendrait en son coeur plus de 100 trous noirs stellaires.

A voir : N-body simulation of Palomar 5 and its stream, M.Gieles, 2021

A gauche, l'amas globulaire Palomar 5. A droite, illustration de la concentration de trous noirs au coeur de cet amas globulaire. Documents SDSS et T.Lombry.

Selon les auteurs, sur base de simulations à N corps, ils estiment que "plus de 20% de la masse totale de l'amas est constituée de trous noirs, chacun ayant une masse d'environ 20 M. Ils se sont formés suite à l'explosion d'étoiles massives en supernova. Les amas globulaires étendus dominés par les trous noirs sont donc les progéniteurs probables des fins courants stellaires récemment découverts dans le halo galactique."

Sous l'effet des interactions gravitationnelles, beaucoup d'étoiles furent éjectées de l'amas, si bien que dans un milliard d'années on estime que cet amas globulaire ne contiendra plus que des trous noirs.

- L'amas globulaire NGC 6397 (Caldwell 86) situé à 7800 années-lumière dans la constellation de l'Autel (Ara) est âgé d'environ 13.4 milliards d'années et abriterait non pas un IMBH mais plusieurs trous noirs stellaires. En effet, dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2021, Eduardo Vitral et Gary A. Mamon ont noté que la masse concentrée près du centre de l'amas n'est pas réellement ponctuelle comme elle devrait l'être sous l'emprise d'un seul trou noir de masse intermédiaire. Les chercheurs suggèrent qu'il abriterait plutôt plusieurs trous noirs stellaires ainsi que de nombreuses étoiles compactes (naines blanches et étoiles à neutrons). De plus ces trous noirs stellaires seraient des cibles de choix pour la détection d'ondes gravitationnelles par la Collaboration LIGO/Virgo en cas de coalescence de ces trous noirs dans un proche avenir. Reste à débusquer tous ces objets compacts pour valider cette théorie.

A gauche, la région de LMC-X-1 qui abriterait un trou noir stellaire d'environ 3 masses solaires. Au centre, le trou noir de 500 masses solaires qui se cache dans le coeur de la galaxie irrégulière M82 qui contient par ailleur un trou noir supermassif de 30 millions de masses solaires. Analysé en rayons X le point brillant indiqué par la flèche représente la chaleur émise par le disque d'accrétion composé de plasma qui entoure le trou noir. Cette étoile effondrée ne serait pas plus grande que la Lune. A droite, l'amas globulaire NGC 6397. Documents Rosat/MPG, Chandra/SAO/NASA et ESO/MPI.

D'autres chercheurs ne partagent pas l'avis de Vitral et Mamon. Dans un article publié dans les "RNAAS Research Notes" en 2021 (en PDF sur arXiv), Nicholas Rui du TAPIR du Caltech (l'institut où travailla Kip S. Thorne) et ses collègue rappellent qu'un nombre important de trous noirs dans un amas fournirait un fort chauffage dynamique et est fondamentalement incompatible avec le profil d'effondrement qu'on observe dans le coeur de cet amas globulaire. Se basant sur des modélisations, selon les chercheurs, "la population noire centrale de NGC 6397 est exactement représentée par un sous-système compact de naines blanches [...]. Ces sous-amas centraux de naines blanches lourdes sont en fait une caractéristique générique des amas à noyau effondré, tandis que des sous-amas centraux de trous noirs sont présents dans tous les amas non effondrés."

Dans le Groupe Local :

- Grâce aux satellites Uhuru (1971) puis Rosat (1990), les astronomes ont découvert des émissions X dans plusieurs objets situés dans le Grand Nuage de Magellan à 166000 années-lumière. Il s'agit de LMC-X-1 et LMC-X-3, deux systèmes binaires abritant chacun probablement un trou noir stellaire de respectivement environ 3 M et 7.6 M.

- En 2021, grâce à MUSE, un spectrographe à grand champ installé sur le VLT de l'ESO, des astronomes ont découvert au coeur de l'amas ouvert NGC 1850 âgé d'environ 100 millions d'années et situé à 160000 années-lumière dans le Grand Nuage de Magellan, un trou noir stellaire d'environ 11 M qu'ils ont nommé NGC 1850 BH1. Agencé dans un système binaire, il fut détecté grâce aux perturbations qu'il entraîne sur son étoile compagne d'environ 5 M qui présente une vitesse radiale de 300 km/s.

C'est la première fois qu'on détecte un trou noir dans un jeune amas d'étoiles en utilisant cette méthode dynamique.

A gauche, l'amas ouvert NGC 1850 situé dans le Grand Nuage de Magellan à 160000 années-lumière. Juste à côté se trouve le petit amas ouvert NGC 1850B. Les filaments bleus ont probablement été créés lors de l'explosion d'une supernova. A droite, l'image de NGC 1850 obtenue par MUSE e tun agrandissement obtenu en optique par le HST. La croix rouge indique la position de l'étoile perturbée par le trou noir stellaire de ~5 masses solaires nommé NGC 1850 BH1. Documents NASA/ESA/STScI et S.Saracino et al. (2021).

Dans l'univers extraglactique :

- Parmi les objets extragalactiques, l'amas globulaire NGC 1601 situé à 228 millions d'années-lumière dans la constellation de l'Eridan contiendrait plusieurs centaines de trous noirs stellaires (cf. cette étude de 2016 basée sur des simulations).

Ensuite il y a les centaines et milliers de trous noirs de masse intermédiaire et supermassifs (les moins massifs et les jeunes trous noirs sont actuellement hors de portée des télescopes) découverts dans les objets du ciel profond dont la liste augmente tous les jours et dont voici un aperçu.

Les trous noirs de masse intermédiaire

Les trous noirs de masse intermédiaire ou trous noirs intermédiaires (IMBH en abrégé) variant entre 100 et 1 million de masses solaires sont peu nombreux mais plusieurs candidats ont déjà été détectés parmi lesquels :

- Le coeur de l'amas globulaire Oméga du Centaure, NGC 5139, situé à 17700 années-lumière abrite un IMBH de 8200 M

- Le coeur de l'amas globulaire Mayall 2 (G1) gravitant autour de la galaxie d'Andromède M31 abrite un IMBH de 20000 M

- Le coeur du nuage moléculaire CO-0.40-0.22 situé à 200 années-lumière de Sagittarius A* abriterait un IMBH de 100000 M

- Le coeur de la galaxie NGC 4395 située à 13 millions d'années-lumière abriterait un IMBH de 360000 M

- La galaxie spirale RX J1140.1+0307 abriterait également un IMBH

A voir : Hubble Uncovers Concentration of Small Black Holes (NGC 6397), NASA

Ci-dessus à gauche (a), le nuage moléculaire CO-0.40-0.22 situé à proximité de Sagittarius A* observé dans les raies d'émissions des molécules de monoxyde de carbone (CO). Au centre (b), les ellipses délimitent les bulles de gaz contenant de l'acide cyanhydrique (HCN). Leurs vitesses et leurs mouvements très dispersés indiquent qu'elles sont sous l'influence du champ gravitationnel de CO-0.40-0.22 qui abriterait un objet de 100000 masses solaires distribué sur 0.6 année-lumière. A droite, l'amas globulaire G1 alias Mayall 2. Ci-dessous, de gauche à droite, respectivement la galaxie 3XMM J215022.4-055108 près de laquelle s etrouve un IMBH (le cercle), la galaxie NGC 4395, la galaxie RX J1140.1+0307 et la galaxie lenticulaire ESO 243-49 avec la source HLX-1 (le cercle). Documents Tomoharu Oka/U.Keio, Hubblesite, NASA/ESA/D.Lin, Bob Franke, NASA/ESA/J.Schmidt et NASA/ESA/S.Farrell.

- La galaxie irrégulière M82 située dans la Grande Ourse abriterait un petit trou noir de 400-500 M dénommé M82 X-1.

- Une source X située près de la galaxie elliptique barrée 3XMM J215022.4-055108 située à 805 millions d'années-lumière abriterait un IMBH d'environ 50000 M, mais ce n'est pas encore confirmé.

- La galaxie lenticulaire ESO 243-49 abrite la source HLX-1 qui cacherait un IMBH.

L'IMBH de l'amas globulaire B023-G078 de M31

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2022, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Renuka Pechetti de l'Université John Moores de Liverpool au Royaume-Uni annonce qu'elle aurait découvert un trou noir de masse intermédiaire d'environ 91000 M au coeur de l'amas globulaire B023-G078 situé dans le halo de la galaxie d'Andromède M31, à 2.5 millions d'années-lumière.

Pour le détecter, les chercheurs ont utilisé les données de l'Observatoire Gemini North d'Hawaï, celles du Télescope Spatial Hubble et des modèles de masses de trous noirs.

B023-G078 est l'amas globulaire le plus massif de M31 avec 6.2 millions de masses solaires. Comme d'autres amas d'étoiles, cet amas globulaire pourrait être le reste du noyau galactique d'une petite galaxie qui fut absorbée par M31.

L'amas globulaire B023-G078 situé dans la galaxie d'Andromède abriterait un IMBH de ~91000 masses solaires. Document NASA/ESA/HST, R. Pechetti et al. (2021).

Après avoir étudié les caractéristiques (composition chimique, métallicité et déplacement) des étoiles de cet amas, B023-G078 serait âgé d'environ 10.5 milliards d'années et présente une métallicité [Fe/H] = -0.7, similaire à celles d'autres noyaux galactiques dépouillés qu'on trouve dans la Voie Lactée.

En mesurant les vitesses des étoiles, la cinématique spectroscopique à champ intégral assistée par l'optique adaptative à haute résolution du Gemini/NIFS montre une forte rotation (~20 km/s) et une augmentation de la dispersion de la vitesse (37 km/s) vers le centre de l'amas globulaire. Selon Pechetti, "nous avons obtenu la preuve directe qu'il y a une sorte de masse sombre en plein centre. Il est très difficile pour les amas globulaires de former de gros trous noirs. Mais si c'est un noyau dépouillé, alors il doit déjà exister un trou noir, vestige de la plus petite galaxie qui tomba dans la plus grande."

Selon Anil Seth, astrophysicien à l'Université de l'Utah et coauteur de cet article, "Sur la base de travaux antérieurs sur des noyaux dépouillés de masse plus élevée, des simulations et de ce travail, il semble que ces noyaux de galaxies dépouillés puissent en fait être l'environnement le plus courant pour les IMBH."

Pour les chercheurs, la plus grande incertitude qui demeure est que ce qui semble être un trou noir de masse intermédiaire pourrait être une multitude de trous noirs de masse stellaire, rassemblés suffisamment près les uns des autres pour être perçus comme un seul objet. Ce fut le cas pour NGC 6397 décrit plus haut, qui fut d'abord considéré comme le chaînon manquant dans l'évolution des trous noirs.

La masse de l'IMBH de B023-G078 représente ~1.5% de la masse de l'amas globulaire. Selon les chercheurs, cela suggère que la galaxie progénitrice était une toute petite galaxie naine d'environ un milliard de masses solaires soit moins d'un centième de la masse totale du Grand Nuage de Magellan (LMC) estimée à ~188 milliards de masses solaires (cf. N.Shipp et al., 2021).

Selon les chercheurs, s'il est possible qu'un autre phénomène explique les observations, aucune des alternatives explorées ne correspond aux données aussi bien qu'un trou noir de masse intermédiaire, notamment du fait que B023-G78 est un noyau dépouillé et de sa compacité apparente liée à la présence de matière sombre.

Les chercheurs réaliseront des analyses complémentaires à plus haute résolution spatiale dès que les télescope géants (GMT, TMT et E-ELT) seront opérationnels vers 2025-2026.

Les trous noirs supermassifs

Les trous noirs supermassifs ont une masse minimale de 50000 M et de toute évidence il ne semble pas y avoir de maximum ou presque ainsi que nous allons le découvrir.

Le coeur de la Voie Lactée contient un trou noir supermassif. En effet, la distribution et les mouvements des étoiles indiquent la présence d'un corps compact d'environ 4.3 millions de masses solaires qui attire à lui très rapidement les étoiles situées à quelques années-lumière de distance. Son attraction accélère certaines étoiles proches (quelques jours-lumière) jusqu'à 4500 km/s soit 16 millions de km/h ! Ce trou noir supermassif est situé dans la source Sgr A*. En 2022, la Collaboration EHT est parvenue à obtenir une image de ce trou noir. On y reviendra.

En raison de son activité beaucoup plus importante dans le passé, Sgr A* a vraisemblablement temporairement transformé la Voie Lactée en quasar il y a 6 millions d'années puis en galaxie de Seyfert.

Simulations du trou noir supermassif Sgr A* et de celui de M87 réalisées quelques années avant qu'ils soient observés par les astronomes grâce à l'installation VLBI de l'Event Horizon Telescope. Les images furent respectivement obtenues d'après le modèle 39 à 690 GHz, le modèle MBQ à 230 GHz et le modèle DJ1 (pour M87). Voir aussi les animations sur Black Hole Cam. Le croissant brillant est provoqué par l'effet relativiste sur la lumière et la courbure des rayons suite à l'effet gravitationnel. Documents extraits de F.Roelofs et al. (2019) et Ricarte & Dexter (2014).

On estime que toutes les galaxies massives connues ainsi que les quasars abritent un trou noir supermassif de plusieurs millions ou milliards de masses solaires, dont voici une courte liste :

- le cœur des galaxies M31, M32, M49, M59, M60, M61, M82, M84, M85, M88, M96, M105, M106, M108, NGC 109, NGC 4261 et NGC 6240 parmi les plus connues.

- le cœur des galaxies de Markarian (galaxies de Seyfert et quasars) Mrk 79, Mrk 231, Mrk 335, Mrk 501, Mrk 509, Mrk 771, Mrk 817, Mrk 1095

- le cœur des AGN Centaurus A (NGC 5128), Cygnus A, Hercules A, Perseus A, Virgo A (M87) et des galaxies de Seyfert M77 (NGC 1068, Cetus A) et 3C 273.

A partir des données du sondage SLOAN (DSS) qui répertoria 120000 galaxies, en 2003 on estimait que 20000 d'entre elles soit une sur six abriterait un trou noir supermassif. L'analyse des quasars montra que ce nombre pouvait être entre deux et cinq fois supérieur, ce qui signifie que pratiquement toutes les galaxies abriteraient un trou noir supermassif !

Ci-dessus à gauche, illustration du disque de gaz et de poussière d'environ 10 années-lumière entourant le trou noir supermassif de 15 millions de masses solaires situé au coeur de la galaxie spirale barrée M77 alias NGC 1068 ou Cetus A, le prototype des AGN situé à ~47 millions d'années-lumière. Voici une image prise par le VLT. L'existence de ce disque fut confirmée en 2015 grâce aux observations en interférométrie du VLT et en rayons X par les télescopes spatiaux NuSTAR et XMM-Newton. Chaque année, à travers ses jets solaires, ce trou noir éjecte l'équivalent de plusieurs masses solaires à environ 3000 années-lumière. Ci-dessous à gauche, la chaîne de bulles de plasma éjectée par le trou noir supermassif. A droite, cartographie du noyau de NGC 1068 par le spectromètre NIFS (infrarouge) du télescope Gemini de 8.1 m installé à Hawaï (les flux sont en unités de 10E-15 erg.cm-2.s-1. La croix bleue indique la position du noyau où se trouve le trou noir supermassif. La distribution des flux montre l'émission d'une gigantesque bulle de plasma (en jaune) à partir du noyau, un phénomène qu'on retrouve dans les bulles de Fermi de la Voie Lactée. Documents Greg Bacon/STScI, NASA/JPL, NASA et R.A Riffel et al. (2014).

Aux dernières nouvelles, les galaxies de Seyfert et celles présentant un noyau peu actif abriteraient un trou noir supermassif de 1 à 100 millions de M tandis que les quasars abriteraient un trou noir de plus de 100 millions de M. Voyons quelques sujets remarquables triés en fonction de leur masse.

- le cœur du quasar ULAS J112001.48+064124.3 (ou JJ1120+0641 en abrégé) situé dans la constellation du Lion abriterait un trou noir supermassif d'environ 2 millions de masses solaires. Mais le plus étonnant est que ce quasar est non seulement très lumineux (l'équivalent de 63000 milliards de soleils soit plus de 150 à 300 fois la Voie Lactée) mais il se trouve à plus de 13 milliards d'années-lumière (z = 7.085). Il est difficile de comprendre comment un trou noir aussi massif a pu se former à peine 770000 ans après le Big Bang, dans un Univers ayant 6% de sa taille actuelle. Mais nous verrons que ce n'est pas un cas exceptionnel ni même le record (voir plus bas à propos du trou noir le plus âgé).

- Le cœur de la galaxie NGC 1365 située dans l'amas du Fourneau à 60 millions d'années-lumière abrite un trou noir supermassif de 2 millions de masses solaires. Son diamètre (horizon externe ou horizon des évènements) mesure plus de 3 millions de km et sa surface tourne pratiquement à la vitesse de la lumière (taux de rotation A* ~ 1) !

- le cœur de la galaxie M77, alias NGC 1068, une galaxie de Seyfert II prototype des AGN de magnitude apparente +9.6 située à environ 47 millions d'années-lumière abrite un trou noir supermassif de 15 millions de masses solaires entouré d'un disque d'accrétion de gaz et de poussière d'environ 10 années-lumière de diamètre. C'est la première galaxie où les astronomes ont observé en détail (résolution de 2.5 pc) le tore de poussière entourant le trou noir.

- La radiosource NGC 5128, Centaurus A, située à 12 millions d'années-lumière abrite un trou noir supermassif de 55 millions de masses solaires (bien que l'ESO lui donne ~100 millions de masses solaires) qui émet un jet de plasma. Cette radiosource est également un émetteur de rayons X et gamma (VHE) mais de faible luminosité.

La radiosource NGC 5128, Centaurus A, située à 12 millions d'années-lumière. Cet AGN présente un diamètre apparent d'environ 16' soit le quart de la pleine Lune mais s'étend en réalité sur au moins 5° en comptant son halo. A gauche, une photographie prise en 2012 par le télescope de 2.2 m de l'ESO à La Silla. L'exposition totale a dépassé 50 heures et révèle toute l'extension de la galaxie elliptique dont voici une photo montrant les coquilles extérieures encore plus étendues photographiées par le CTIAO. Au centre, compositage des images visibles (RGB), IR proche à 870 nm (orange), radio submillimétrique (jets extérieurs orange) et X (bleu et halo central) réalisé en 2009. A droite, une image générale montrant l'extension du halo qui contient au moins 16 galaxies naines satellites. Documents ESO, ESO/NASA et Christian Wolf/ANU.

- le coeur du quasar RXJ1131-1231 situé à 3.8 milliards d'années-lumière abrite un trou noir supermassif d'au moins 100 millions de masses solaires mesurant ~190 millions de kilomètres de rayon soit 1.28 UA.

- le cœur de la galaxie spirale barrée NGC 1097 située à 45 millions d'années-lumière dans le Fourneau abriterait un trou noir supermassif de 140 millions de masses solaires.

- le cœur de la galaxie d'Andromède M31 situé à 2.5 millions d'années-lumière abriterait un trou noir supermassif de 230 millions de masses solaires. Son compagnon elliptique M32 abriterait également un trou noir galactique.

- le cœur de la galaxie NGC 7052 présentée ci-dessous à gauche et au centre abriterait un trou noir de 300 millions de masses solaires entouré d'un disque de gaz et de poussière d'environ 3 millions de masses solaires. Le tore extérieur de poussière est l'un des plus vastes avec un diamètre de 3700 années-lumière !

- le coeur du fameux blazar CTA 102 (QSO 2230+114 ou 4C 11.69) situé à 8 milliards d'années-lumière (z = 1.037) dans Pégase présenté ci-dessous à droite abrite un trou noir supermassif de plus de 851 millions de masses solaires. Ses émissions gamma ont été détectées par le satelite EGRET jusqu'à plus de 100 MeV.

CTA 102 brille normalement à la magnitude +16.5 mais peut atteindre +13.8 lors de sursauts d'éclats comme en 2012 et 2016 (cf. ce graphique de l'AAVSO) et même descendre sous la magnitude +12 comme fin 2016, devenant le seul quasar situé à cette distance visible dans un télescope amateur de 150 à 200 mm de diamètre.

- Le coeur de la galaxie spirale M104 "Sombrero" située à 30 millions d'années-lumière dans la constellation de la Vierge abrite un trou noir supermassif d'environ 1 milliard de masses solaires affichant une très faible luminosité d'accrétion avec un rapport d'Eddington de 10-5

Grâce au VLA, en 2024 on a découvert que son noyau émettait des lobes radios jusqu'à 3000 années-lumière ainsi qu'un jet radio bipolaire probablement jusqu'à 10 kpc soit 32600 années-lumière de part et d'autre de son plan galactique (cf. cette carte du VLA), le jet étant lui-même enveloppé dans une bulle de rayons X. C'est donc un AGN actif (du moins à l'époque où nous l'observons). On reviendra sur cette galaxie.

A gauche, la galaxie NGC 7052 abrite un trou noir supermassif de 300 millions de masses solaires. Au centre une photo de son tore de poussière obtenue par le Télescope Spatial Hubble. Son diamètre est de 3700 années-lumière. Document NASA/ESAHST. A droite, le blazar CTA 102 situé dans Pégase à 8 milliards d'années-lumière photographié par Tom Polakis avec un télescope de 317 mm f/6.7, 3 minutes d'exposition avec une caméra CCD SBIG ST-3603. CTA 102 brillait à la magnitude 12.2 (V). La petite galaxie à sa droite est NGC 7305 située à 400 millions d'années-lumière.

Ensuite, il y a quelques trous noirs supermassifs pesant plusieurs milliards de masses solaires, soit autant qu'une galaxie et dont la taille est plus grande que le système solaire :

- Le cœur du quasar QA2237+0305 contenant la fameuse "Croix d'Einstein" abriterait un trou noir supermassif de 1 milliard de masses solaires et dont le taux de rotation, le spin A* ≥ 0.65.

- le cœur de la radiogalaxie M87, Virgo A, alias 3C 274, de magnitude apparente +9.59 située à ~55 millions d'années-lumière abriterait un trou noir supermassif de 5.37 milliards de masses solaires (cf. E.R. Liepold et al., 2023; UCB, 2023) et émet un jet relativiste sur 30" soit 4900 années-lumière (cf. les quasars). Son ISCO (Innermost Stable Circular Orbit ou la dernière orbite circulaire stable avant l'horizon des évènements) vaut 5.5 fois le rayon de Schwarzschild (la taille de l'horizon des évènements). Son disque d'accrétion est en orbite prograde, c'est-à-dire qu'il tourne dans le même sens que le trou noir.

Ce trou noir supermassif est gigantesque; avec un rayon d'environ 19 milliards de km soit ~127 UA ou 0.002 année-lumière, il est ~27000 fois plus grand que le Soleil et 3 millions de fois plus grand que la Terre ! C'est 3 fois la distance moyenne du Soleil à Pluton !

Comme on le voit ci-dessous à gauche, grâce à une configuration radioastronomique VLBI à l'échelle planétaire (cf. ce schéma), en 2019 (données d'avril 2017), une équipe de 168 astronomes rassemblés dans la Collaboration EHT parvint pour la première fois à le "photographier" à 230 GHz soit 1.3 mm de longueur d'onde. Grâce à un algorithme de traitement d'image développé par Katie Bouman du MIT, l'EHT atteignit une résolution angulaire de 0.00002" soit 0.02 mas ou 20 μas. L'image représente 5 PBytes de données ! Le trou noir est la zone centrale sombre. Une image plus précise améliorée grâce à un outil d'IA appelé PRIMO, présentée ci-dessous au centre, fut publiée par NoirLab en 2023.

On reviendra sur le trou noir supermassif de M87 dans l'article consacré aux quasars et autres radiogalaxies.

A voir : Zoom Out of the Black Hole M87*, EHT, 2021

A gauche, l'image originale obtenue par la Collaboration EHT en 2017 du trou noir supermassif de M87 (Virgo A) situé à ~55 millions d'années-lumière. Au centre, l'image corrigée publiée par NoirLab en 2023 sur base des données de l'EHT de 2017. L'image fut améliorée grâce à une nouvelle technique d'apprentissage automatique, un outil d'IA appelé PRIMO. L'image est floue en raison de l'effet de la diffusion interstellaire. Le croissant brillant est provoqué par l'effet relativiste sur la lumière et la courbure des rayons suite à l'effet gravitationnel. A droite, l'image de l'anneau de photons de M87* publiée en août 2022 à partir d'un retraitement des données de 2017. Il s'agit des photos ayant fait un demi-tour autour du trou noir et qui se dirigent ensuite vers la Terre. Les lignes de contours bleues représentent l'image primaire diffuse produite par les photons dirigés vers la Terre. Documents Collaboration EHT/ESO, EHT/NoirLab et A.E. Broderick et al. (2022).

- le cœur de la galaxie NGC 3842, la plus brillante de l'amas du Lion (Mv=12.8) située à 331 millions d'années-lumière abriterait un trou noir supermassif de 9.7 milliards de masses solaires.

- le cœur de l'amas de galaxies MS 0735.6+7421 situé dans la constellation de la Girafe (entre Dubhe de la Grande Ourse et l'étoile polaire) abrite un trou noir supermassif de 10 milliards de masses solaires qui porte le même nom que l'amas.

Début 2005, grâce au satellite Chandra, l'astrophysicien Brian McNamara de l'Université d'Ohio et son équipe ont découvert l'une des plus grandes éruptions jamais observée autour d'un trou noir : l'énergie libérée atteignit 1061 erg soit 1054 J ! MS 0735.6+7421 ressemble à l'amas extragalactique Perseus. En effet, tout deux affichent un disque d'accrétion central très lumineux, entouré par deux immenses cavités vides de matière, à la différence que celles de MS 0735.6+7421 sont dix fois plus vastes : elles mesurent 600000 a.l. de diamètre !

A voir : The life and death of black holes explained

A gauche, le quasar Mrk 231 abriterait un trou noir binaire supermassif de 12 milliards de masses solaires. Au centre, la configuration spatiale du trou noir binaire supermassif OJ 287 de 17 milliards de masses solaires. A droite, l'aspect dans le rayonnement X de l'étrange structure baptisée MS 0735.6+7421 comparée à l'amas Perseus à la même échelle. Le trou noir se situe dans l'objet brillant central. Documents NASA/ESA/STScI, Tuorla Obs./U.Turku et Chandra/B.McNamara et al.

Ce nouveau candidat se situe pratiquement à 3 milliards d'années-lumière et brille aussi fort que l'amas de Perseus qui se situe dix fois plus près (250 millions a.l.) !

MS 0735.6+7421 est entouré d'une immense bulle de gaz. Ce gaz qui apparaît en rouge sur l'image de Chandra présente une température de plusieurs millions de degrés. Il provient d'une immense éruption X générée par le trou noir.

Comment explique-t-on ce phénomène ? Les deux cavités qui apparaissent de part et d'autre du trou noir central (caché dans l'objet brillant) ne contiennent pas beaucoup de gaz chaud. Elles représentent en fait deux immenses bulles magnétisées contenant des électrons de très haute énergie émettant des ondes radios.

La magnitude de l'éruption découverte par Chandra suggère qu'une grande quantité de gaz et de plasma sont en train de s'engouffrer vers le trou noir central. Ce phénomène génère des champs électromagnétiques très intenses qui ont éjecté une fraction du gaz sous forme de jets bipolaires contenant des particules de haute énergie. Ces deux jets expulsés dans des directions opposées ont repoussé le gaz chaud sur les côtés, ce qui a donné naissance à ces cavités.

Selon Brian McNamara de l'Université d'Ohio, depuis qu'il existe le trou noir aurait déplacé une masse de gaz d'environ mille milliards de masses solaires ! Les trois animations présentées ci-dessous illustrent ce phénomène.

A voir : Black Hole Comparison

Tailles respectives d'un trou noir de 1 M jusqu'à celui de 20 milliards de M

Simulation de l'activité de MS 0735.6+7421

A gauche, explication de la structure de l'objet (mpeg de 1.6 MB). Au centre, comparaison de sa taille avec l'amas Perseus (mpeg de 1.4 MB). A droite, explication de la formation des cavités (mpeg de 3.5 MB). Documents Chandra/B.McNamara.

Chandra a déjà découvert des cavités de rayonnement X dans d'autres galaxies, mais celles de MS 0735.6+7421 sont à ce jour les plus vastes et les plus énergétiques. Pour créer une telle éruption, McNamara estime que le trou noir supermassif central a dû engloutir sous forme de gaz l'équivalent de quelque 300 millions de masses solaires au cours des 100 derniers millions d'années, soit en moyenne entre 10 et 1000 étoiles de la masse du Soleil chaque année !

- le coeur du quasar J0100+2802 abriterait un trou noir supermassif de 12 milliards de masses solaires.

- le coeur de la galaxie elliptique NGC 1600 située dans la constellation d'Eridan à environ 208 millions d'années-lumière abriterait un trou noir supermassif de 17 milliards de masses solaires (cf. J.Runge et S.Walker, 2021; J.Thomas et al., 2021).

La galaxie elliptique géante NGC 4889 abrite un trou noir supermassif de 21 milliards de masses solaires et de 65 milliards de kilomètres de rayon ou 434 UA soit 11 fois la distance du Soleil à Pluton. Document NASA/ESA/STScI.

- le centre de l'amas de galaxies SPT-CLJ2344-424311 situé dans la constellation du Phoenix à z = 0.596 contiendrait un trou noir supermassif de 20 milliards de masses solaires. On estime qu'il engloutit l'équivalent de 60 millions de masses solaires chaque année.

- le QSO SMSS~J215728.21-360215.1 situé dans la constellation du Poisson Austral à 12 milliards d'années-lumière abrite un trou noir supermassif de 20 milliards de masses solaires. Il engloutit une masse solaire tous les deux jours.

C'est également  le quasar le plus lumineux avec une magnitude absolue proche de -30. Selon l'astrophysicien Christian Wolf de l'Université Nationale Australienne (ANU), s'il occupait le centre de la Voie Lactée, il brillerait 10 fois plus que la pleine Lune et rendrait toutes les autres étoiles très pâles.

- le coeur du quasar APM 08279+5255 situé à 12 milliards d'années-lumière abriterait un trou noir supermassif de 23 milliards de masses solaires.

- le coeur du quasar H1821+643 situé à 3.4 milliards d'années-lumière dans le Dragon abriterait un trou noir supermassif de 30 milliards de masses solaires.

- le coeur de l'objet SDSS J102325.31+514251.0 abriterait un trou noir supermassif de 33 milliards de masses solaires.

- le coeur du quasar S5 0014+813 alias 6C B0014+8120 situé à 12.1 milliards d'années-lumière (z = 3.366) dans Céphée abriterait un trou noir supermassif de 40 milliards de masses solaires (maximum).

Ce quasar ou plus exactement ce blazar FSRQ est une galaxie elliptique géante de magnitude apparente +24. Le rayon de Schwarzschild du trou noir mesure 118.35 milliards de kilomètres soit 791 UA ou 20 fois la distance moyenne du Soleil à Pluton ! Sa magnitude bolométrique (en tenant compte de l'ensemble du spectre) atteint -31.5 soit une luminosité 385 mille milliards (3.846x1014) de fois supérieure à celle du Soleil, équivalente à 25000 Voie Lactée ! Ce trou noir développe une puissance supérieure à 1041 W. Ce trou noir absorberait l'équivalent de 4000 masses solaires chaque année. Vu sa masse, on estime que ce trou noir survivra environ 101000 ans !

- Le coeur de la galaxie elliptique géante Holmberg 15A (Holm 15A) abriterait un trou noir supermassif de 40 milliards de masses solaires. L'estimation est basée sur des spectres en haute-résolution obtenus par l'instrument MUSE du VLT et des modèle de Schwarzschild asymétriques. On estime son rayon de Schwarzschild à ~118 milliards de kilomètres ou 790 UA soit plus de 6 fois le rayon de l'héliopause terrestre (~123 UA) et 20 fois la distance moyenne du Soleil à Pluton ! Un article consacré à ce trou noir supermassif fut publié dans "The Astrophysical Journal" en 2019 (en PDF sur arXiv).

Holm 15A est une galaxie elliptique géante située à ~740 millions d'années-lumière au coeur de l'amas de galaxies Abell 85 qui rassemble plus de 500 galaxies et est enveloppé dans un halo d'énergie sombre.

Les trous noirs supermassifs binaires (SMBHB)

Etant donné que les fusions de galaxies sont courantes, la présence de paires de trous noirs supermassifs doit également être assez courante, bien que nous n'avons observé qu'un seul à ce jour.

- La galaxie spirale barrée NGC 7727 présentée ci-dessous est située dans le Verseau à 89 millions d'années-lumière. Elle contient deux noyaux galactiques qui résultent de la collision de deux galaxies dont on voit les queues de marée. Grâce à l'instrument FORS2 (FOcal Reducer and low dispersion Spectrograph 2) du VLT de l'ESO, en 2021 les astronomes ont découvert que ces deux noyaux abritaient chacun un trou noir supermassif, l'un de 154 millions l'autre de 6.3 millions de masses solaires. Ils sont séparés de 1600 années-lumière et finiront par fusionner.

La galaxie NGC 7727 et ses deux noyaux (à droite) abritant chacun un trois noir supermassif. Documents ESO/VLT.

- La galaxie M81 située à 12.9 millions d'années lumière dans la Grande Ourse, posséderait non pas un seul trou noir supermassif de 70 millions de M, mais un trou noir supermassif binaire. S'il est confirmé, se serait l'un des rares SMBHB dans l'univers proche (cf. W.Jiang et al., 2023).

- La galaxie de Seyfert UGC 4211 est située dans la constellation du Cancer à ~330 millions d'années-lumière et se rapproche de la Voie Lactée à 10234 km/s. Elle abrite un trou noir supermassif binaire dont les composantes pèsent respectivement 125 et 199 millions de masses solaires et qui sont séparées de 750 années-lumière (cf. M.J. Koss et al., 2023).

- le coeur du quasar Mrk 231, alias UGC 8058, qui est une galaxie de Seyfert de Type 1 située à 600 millions d'années-lumière abriterait un trou noir binaire supermassif de 12 milliards de masses solaires.

- la source primaire de l'objet BL Lacertae OJ 287 de magnitude apparente +14.83 situé à 3.5 milliards d'années-lumière abriterait un trou noir binaire supermassif de 17 milliards de masses solaires autour duquel graviterait un "petit" trou noir de 100 millions de masses solaires. Le rayon du trou noir principal serait de 52 milliards de kilomètres ou 347 UA soit près de 9 fois la distance du Soleil à Pluton (dont le demi-grand axe vaut 39.4 UA)

- La radiogalaxie géante B2 0402+379 alias 4C +37.11 située dans la constellation de Persée à 750 millions d'années-lumière abrite un trou noir supermassif binaire pesant l'équivalent de 28 milliards de masses solaires qui sont séparés de seulement 24 années-lumière. C'est le record. A ce jour, c'est le seul qui fut directement observé.

Notons que le précédent record de rapprochement était officieusement détenu par OJ 287 qui abritrerait un trou noir supermassif binaire d'une période orbitale de 12 ans mais qui n'a toujours pas été observé directement.

Un modèle qui fait des émules

Avec autant d'observations, on ne peut plus évoquer des erreurs de mesures ou une propention à "voir des trous noirs partout", et moins encore quand on observe à chaque fois les mêmes phénomènes associés, des émissions X et gamma, des jets de matière, des lobes radios gigantesques et un disque d'accrétion.

Reste une question qui fache, tous ces phénomènes violents sont-ils réellement associés à des trous noirs ?

Jusqu'à la fin du XXe siècle, d’autres théories pouvaient encore récupérer ces indices à leur avantage et considérer qu’il n’existait pas de trou noir au centre des galaxies ni de trous noirs à l'échelle stellaire. Par son aspect conjectural, le trou noir est longtemps resté une entité théorique qui ne plaisait pas à tous les astrophysiciens, bien que les opposants étaient tous les jours moins nombreux.

A voir sur ce site : Illustrations

Représentations artistiques de trous noirs et autres objets célestes

A gauche, le centre de la galaxie NGC 4438 située à 50 millions d'années-lumière dans l'amas de la Vierge. La bulle brillante au centre s'étend sur 800 années-lumière. Ce jet très suspect ne peut être émis que par un processus violent, différent de la nucléosynthèse et non thermique, typique de l'activité d'un trou noir supermassif comme le confirmèrent les astronomes en 2000. A droite, image optique de la petite galaxie Perseus-A, alias NGC 1275, contenant dix fois moins d'étoiles que la Voie Lactée. Le satellite Chandra a découvert qu'il s'agissait d'une puissante source de rayonnement X émis par des étoiles s'effondrant probablement sur un trou noir. Elle se situe à 320 millions d'années-lumière. Documents NSSDC/HST et Chandra/CXC.

Le rayonnement des galaxies à noyau actif et des autres objets y ressemblant peut s'expliquer par des processus naturels ne faisant pas appel aux trous noirs. Toutefois, à mesure que les observations s'accumulent, vu les énergies, les masses et l'ampleur des effets observés, il devient difficile de faire intervenir d'autres mécanismes que ceux associés à un trou noir. Les théories avec trous noirs sont en faveur, et jusqu'à l'imagerie des trous noirs supermassifs M87* et Sgr A* en 2017, il n'existait aucune preuve directe.

De toute façon, comme le remarqua humoristiquement le radioastronome François Biraud du CNRS dans une lettre qu'il m'adressa quinez ans avant l'imagerie de M87*, "inutile de bouleverser la physique !!", partageant par cette boutade l’interprétation de la majorité des astronomes. Nous avons un concept et des théories, certes incomplètes, mais elles expliquent assez bien les propriétés des AGN. Aucun autre modèle ne peut aujourd’hui prétendre expliquer l’ensemble de ces phénomènes de manière aussi simple qu'en faisant appel aux trous noirs.

Mais depuis l'observation directe de ces deux trous noirs supermassifs, le doute n'est plus permis : les trous noirs sont une réalité et valident ainsi la théorie.

Les records

Le trou noir le plus massif

Le coeur du quasar TON 618 situé à 10.4 milliards d'années-lumière (z = 2.219) dans les Chiens de Chasse abriterait un trou noir supermassif de 66 milliards de masses solaires ! Il détient le record de masse, de taille et de luminosité !

Illustration du trou noir supermassif de 66 milliards de masses solaires tapis dans le quasar TON 618. A cette échelle, le système solaire n'est pas plus grand qu'un pixel. Document T.Lombry.

Le rayon de ce trou noir supermassif est estimé à 1300 UA, soit plus du double de la distance entre le Soleil et la limite extérieure de la Ceinture de Kuiper (~500 UA) !

TON 618 fut découvert lors d'un sondage consacré aux étoiles bleues très pâles (les naines blanches) au moyen de la chambre Schmidt de 70 cm de l'observatoire de Tonantzintla au Mexique et fut incorporé au catalogue Tonantzintla en 1957 mais à l'époque on ignorait encore la nature de cet astre.

Ce n'est qu'en 1970 que G.Colla et ses collègues détectèrent ses émissions radioélectriques et le classifièrent parmi les quasars. Puis, en 1976 Marie-Helene Ulrich de l'Université du Texas à Austin découvrit qu'il présentait des raies d'émissions qui permirent de déduire sa distance.

TON 618 est une galaxie présentant un noyau actif (AGN). L'AGN présente une magnitude visuelle de 15.9 (V) et une magnitude absolue de -30.7. Il brille avec une luminosité de 4x1044 W soit autant que 140 trillions de Soleil, en faisant l'objet le plus brillant du ciel !

Selon une étude spectroscopique portant sur 29 AGN à haut redshift dont les résultats furent publiés en 2004 (cf. Ohad Shemmer et al.), les spectres de TON 618 présentent des raies d'émissions de nuages d'hydrogène relativement froids qui encerclent le trou noir central et se déplacent à 7000 km/s, ce qui a pour effet d'élargir les raies. C'est à partir de ces caractéristiques (dimension de la région émettant les raies larges et la vitesse du gaz froid) que l'équipe de Shemmer parvint à estimer la masse du trou noir supermassif.

Le trou noir le plus lointain

Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Akos Bogdan du Centre d'Astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) de Cambridge, Mass., annonça dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2023 (en PDF sur arXiv), la découverte d'un trou noir supermassif  à z ~ 10.1. Ce trou noir supermassif est en pleine croissance et évolue dans un univers âgé de ~413 millions d'années soit seulement 3% de son âge actuel.

Un second article sur le même sujet fut publié dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2023 par l'équipe de Andy Goulding de l'Université de Princeton et membre de l'équipe UNCOVER (Ultradeep Nirspec et NIRCam ObserVations before the Epoch of Reionization) et coauteur du premier article.

Pour débusquer ce trou noir, les astronomes ont utilisé les données infrarouge du JWST de la NASA combinées aux données rayons X du satellite Chandra de la NASA. Dans le cadre du sondage UNCOVER, ils ont exploré l'amas de galaxies de Pandore, Abell 2744, situé dans la constellation du Sculpteur à 3.5 milliards d'années-lumière du Soleil (cf. la première image composite optique (HST) + X (Chandra) prise en 2011).

Pour rappel, Pandora couvre visuellement un champ inférieur à 2' (15 fois plus petit que le disque apparent de la Lune) comprenant ~100 galaxies "brillantes" (Mph. de 28.6 à >30) et plus de 3000 galaxies pâles situées à plus de 12 milliards d'années-lumière. C'est dans cet amas et parmi ces 3000 galaxies pâles que les auteurs ont identifié la signature révélatrice d'un trou noir supermassif dans un quasar catalogué UHZ1 situé entre ~10.07 < z < 10.3 (cf. A.D. Goulding et al., 2023), très loin derrière Pandora.

Selon Bogdan, "Nous avions besoin du Webb pour trouver cette galaxie remarquablement lointaine et de Chandra pour trouver son trou noir supermassif. Nous avons également profité d'une loupe cosmique qui augmenta la quantité de lumière que nous avons détectée." L'effet de lentille gravitationnelle augmenta la quantité de lumière de la galaxie et les rayons X émis par le gaz entourant le trou noir d'un facteur d'environ quatre, améliorant le signal infrarouge détecté par le JWST et permettant à Chandra de détecter la faible source de rayons X.

A voir : Quick Look: NASA Telescopes Discover Record-Breaking Black Hole, CXC, 2023

A gauche, image composite rayons X (Chandra) et optique (JWST) de l'amas de Pandore, Abell 2744, identifiant le quasar UHZ1 à z ~ 10.1 soit une distance propre d'environ 13.24 milliards d'années-lumière. A droite, agrandissement de l'image rayons X du quasar UHZ1 enregistrée par Chandra. Cette galaxie à noyau actif abrite un trou noir supermassif probablement formé par effondrement direct dont le disque d'accrétion chaud émet d'intenses rayons X entre 2 et 7 keV. Documents NASA/CXC/A.Bogdan et al. (2023).

Selon les auteurs, le quasar UHZ1 est fortement obscurci et présente une luminosité bolométrique (intégrale) de ~5x1045 erg/s ou ~5x1037 watts (c'est 10 fois plus que la Voie Lactée avec 5x1036 watts). Il abrite un trou noir supermassif de ~107 à 108 M en supposant une accrétion à la limite d'Eddington (la luminosité au-delà de laquelle la pression du rayonnement l'emporte sur la gravité). Cette masse est comparable à la masse stellaire déduite de sa galaxie hôte, contrairement à ce qu'on trouve dans l'univers local où la masse d'un trou noir représente environ 0.1% de la masse stellaire de la galaxie hôte. La combinaison d'un trou noir d'une masse aussi élevée et d'un rapport de masse stellaire BH/galaxie élevé à peine 470 millions d'années après le Big Bang concordent avec les prédictions théoriques faites en 2017 par Priyamvada Natarajan de l'Université de Yale et coauteur de cet article qu'il s'agit d'un trou noir DCBH qui s'est formé à partir d'une "graine lourde" par l'effondrement direct d'un nuage de gaz massif (cf. ce schéma).

Cette découverte est importante pour comprendre comment certains trous noirs supermassifs peuvent atteindre des masses colossales peu après le Big Bang. Actuellement, on ignore encore s'ils se forment par effondrement direct, créant des trous noirs de 10000 à 100000 M ou s'ils se forment à partir des supernovae formées par des étoiles de première génération (Population III) arrivées en fin de vie qui forment initalement des trous noirs pesant seulement entre environ 10 et 100 M. Ce qu'il faudrait aux astronomes serait de découvir à hauts redshifts d'autres trous noirs formés peu après le Big Bang par effondrement direct ou par effondrement d'une étoile de première ou deuxième génération. Mais cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin avec un voile sur les yeux, tellement les objets sont petits et flous à ces distances.

Selon Goulding,"il existe des limites physiques à la rapidité avec laquelle les trous noirs peuvent se développer une fois formés, mais ceux qui naissent plus massifs ont une longueur d’avance. C’est comme planter un jeune arbre, qui prend moins de temps pour devenir un arbre adulte que si vous commenciez avec seulement une graine."

Selon Natarajan, "Nous pensons qu'il sagit de la première détection d'un trou noir DCBH et de la meilleure preuve jusqu'à présent que certains trous noirs se forment à partir d'énormes nuages de gaz. Pour la première fois, nous assistons à une brève étape au cours de laquelle un trou noir supermassif pèse à peu près autant que les étoiles de sa galaxie, avant de prendre du retard."

Les chercheurs prévoient d'utiliser ces résultats ainsi que d'autres données provenant du JWST et d'autres télescopes pour dresser un tableau plus large de l'univers primitif.

Le trou noir croissant le plus rapidement

En 2022, une équipe internationale d'astronomes annonça la découverte du quasar le plus lumineux existant depuis 9 milliards d'années. Il s'agit du quasar SMSS J114447.77-430859.3 (en abrégé J1144) situé dans la constellation du Centaure à z ~ 0.83 soit une distance propre de 7 milliards d'années-lumière. Il fut découvert grâce à sa contrepartie optique au cours du sondage SMSS (SkyMapper Southern Survey) de l'Université Nationale Australienne (ANU) lors de la recherche d'étoiles binaires symbiotiques.

Atteignant la magnitude apparente +14.5 (en vert), J1144 est 8 fois plus lumineux que 3C 273 et 7000 fois plus lumineux que la Voie Lactée avec une luminosité bolométrique de ~4.7 x 1047 erg/s. Le trou noir supermassif associé à J1144 présente une masse équivalente à environ 3.5 milliards de masses solaires et présente un taux d'accrétion équivalent à l'absorption de la masse de la Terre chaque seconde (cf. C.A. Onken et al., 2022).

A gauche, l'image du quasar SMSS J114447.77-430859.3 (en bleu) à z ~ 0.83 et de magnitude 14.5 obtenue grâce au télescope de 1.3 m de Coonabarabran dans le cadre du sondage SkyMapper Southern Sky Survey de l'ANU. Au centre, localisation du quasar sur une carte du ciel austral. Documents C.A. Onken et al. (2022) et UAI/S&T.

Selon Christopher A. Onken de l'ANU, la raison de la luminosité inhabituelle de J1144 n'est pas encore claire : "Peut-être que deux grandes galaxies sont entrées en collision et ont acheminé beaucoup de gaz vers le trou noir."

Onken précise que "le fait que quelque chose d'aussi brillant ait échappé aux très nombreuses recherches menées au fil des ans est tout à fait remarquable." Il pense que cela est en partie dû à sa position dans le ciel : "Historiquement, les astronomes ont évité de regarder très près du plan de la Voie Lactée parce qu'il y a tellement d'étoiles et de contaminants qu'il serait très difficile de trouver quelque chose de plus éloigné. Il y a des programmes d'études mais ils évitent la bande de 20 ou 25° autour du plan galactique. Or cette source se trouve à 18° de latitude sud."

Avec une magnitude apparente de +14.5, le quasar J1144 est suffisamment brillant pour être visible dans un télescope amateur d'au moins 250 mm de diamètre.

Ce record fut finalement battu en 2024 par le trou noir supermassif du quasar J0529-4351 dont une photo est présentée ci-dessus à droite situé à plus de 12 milliards d'années-lumière. Ce quasar est non seulement le plus brillant de sa catégorie mais également l'objet le plus lumineux du ciel découvert à ce jour. La masse de son trou noir supermassif représente l'équivalent de 17 milliards de masses solaires et il absorbe l'équivalent d'une masse solaire chaque jour ! Son disque d'accrétion mesure 7 années-lumière de diamètre, autant de records !

Le trou noir le plus âgé

Nous avons évoqué plus haut le trou noir supermassif caché au coeur du quasar ULAS J112001.48+064124.3 qui est l'un des rares objets connus situé à z > 7 soit une distance propre supétrieure à 12.9 milliards d'années-lumière. Il est resté indétrôné jusqu'en 2017.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2017, Eduardo Bañados des Observatoires de la Carnegie Institution des Sciences (OCIS) et son équipe déjà cités à propos de leurs études des quasars dans l'Univers primordial, ont annoncé la découverte d'un trou noir supermassif au coeur du quasar ULAS J1342+0928 situé dans la constellation du Bouvier. Analysé avec les plus grands télescopes (Magellan, VLT, LBT, Gemini), ce trou noir présente une masse équivalente à 800 millions de masses solaires et se situe à z = 7.54 soit plus de 13.0 milliards d'années-lumière. Il existait déjà lorsque l'Univers avait seulement 690 millions d'années soit 5% de son âge actuel.

Bien que les simulations ne soient pas toutes concordantes, ce trou noir évoluerait à l'époque de la réionisation bien que les raies d'émission Lyman alpha du quasar montrent que l'hydrogène présent dans le milieu interstellaire était déjà significativement neutre. Ce trou noir est le plus âgé découvert à ce jour.

Il existe beaucoup d'autres trous noirs supermassifs dont beaucoup se sont formés très tôt dans l'histoire de l'Univers, certains à une époque où les fusions entre galaxies étaient beaucoup plus courantes, d'autres a priori sans lien avec une fusion galactique. Se pose alors la question de savoir qui se forma le premier : les trous noirs ou les galaxies ? Nous anayserons cette question dans l'article consacré aux trous noirs supermassifs.

Dernier chapitre

Les trous noirs primordiaux

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[18] Concernant les trous noirs extragalactiques lire, J.Henry, Astrophysical Journal Letters, 285, 1984, L27 - J.Kormendy, Astrophysical Journal, 325, 1988, p128 - A.Dressler et al., Astrophysical Journal, 353, 1990, p118 - M.Rees, Scientific American, Nov.1990, p26 - M.Miyoshi et al., Nature, 373, 1995, p127. Concernant Cygnus X-1 lire, T.Belloni et G.Hasinger, Astronomy and Astrophysics, 227, 1990, pL33 - K.Yoshida, PASJ, 45, 1993, p605 - B.Harmon et al., AIP Conf. Proc. 280, 1993 “First Compton GammaRay Observatory Symposium - F. van der Hooft et al., Astrophysical Journal, 458, 1996, pL75 - D.Crary et al., Astrophysical Journal, 462, 1996, pL71-L74. Consultez également l'actualité sur les sites de Chandra, XMM-Newton et NuSTAR parmi d'autres.

[19] Avant les années 2010, sur base de la mesure très difficile de sa parallaxe - même avec un réseau de radiotélescopes fonctionnant en interférométrie - , on situait Cygnus X-1 à environ 10000 années-lumière et la masse du trou noir déduite de sa période orbitale (cf. la 3e loi de Kepler) entre 7 et 10 M (cf. Mirabel et Rodrigues, 2003) mais ces valeurs furent revues en 2011 grâce au VLBA. La parallaxe de Cygnus X-1 vaut ‎0.539 ±0.033 mas ou ~0.000539". Le système se trouve à 1.86 kpc ou 6064 années-lumière. La masse du trou noir était estimée à 14.8 M (cf. Chandra, M.J.Reid et al., 2011; L.Gou et al., 2011; J.A.Orosz, 2011) puis à 20 M (cf. ICRAR, 2021) et à ~21.2 M (cf. J.C. Miller-Jones et al., 2022).


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