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Les rayons cosmiques

M1, la nébuleuse du Crabe située dans la constellation du Taureau à ~6500 années-lumière est un SNR, le rémanent d'une supernova qui explosa en 1054. Près de 1000 ans plus tard, c'est toujours une source de rayons cosmiques. Voici la vue générale. Le reste stellaire s'est transformé en pulsar. Document ESO/MPG.

A la recherche des rayons cosmiques (I)

Introduction

Il existe dans l'univers tout un éventail de rayonnements et de particules nucléaires qui traversent l'espace à des vitesses dites relativistes (> 40000 km/s). Certaines de ces particules transportent une énergie pouvant atteindre 100 millions de fois celle produite dans les accélérateurs de particules comme celui du CERN ou du Fermilab. Lorsqu'elles arrivent sur Terre, elles percutent les molécules présentes dans l'atmosphère et se décomposent en gerbes de particules moins massives et de moindre énergie. On y reviendra. Ces particules d'intense énergie sont les fameux rayons cosmiques.

En 1912, le physicien Victor Hess effectua des vols en ballon à haute altitude pour vérifier si l'atmosphère terrestre était ionisée par la radioactivité du sol. Il constata qu'elle ne l'était pas. En revanche, il découvrit une ionisation d'origine extraterrestre. Il avait découvert un effet des rayons cosmiques qui lui valut plus tard le prix Nobel.

Les rayons cosmiques furent découverts en 1963. Ils sont constitués de particules chargées provenant de l'espace et se propageant à une vitesse proche de celle de la lumière plutôt que celle du rayonnement. Cependant, le nom de "rayons cosmiques" survécu à ces découvertes. Depuis, ils ont fait l'objet de nombreuses études en astrophysique visant à mieux comprendre leur origine, leur accélération et leur propagation dans l'espace, supportées par des données satellitaires ou d'autres méthodes expérimentales.

Les rayons cosmiques sont des particules souvent chargées électriquement composées à 88% de protons et 9% d'hélions, le reste se partageant entre les électrons, les muons, les neutrinos et leurs antiparticules. Leur énergie de repos varie entre 0.511 MeV pour les électrons, ~3 GeV pour les particules alpha (hélions), ~15 GeV pour les électrons très énergétiques (particules bêta) pour atteindre en théorie plus de 107 TeV pour des noyaux de fer.

En 2019, Michihiro Amenomori de l'Université d'Hirosaki et ses collègues annoncèrent dans les "Physical Review Letters" (en PDF sur arXiv) avoir détecté grâce à l'observatoire ASgamma installé au Tibet, 24 rayons cosmiques de plus de 100 TeV dont un rayon cosmique de 450 TeV (4.5x1012 eV). Ces particules provenaient de la nébuleuse du Crabe, M1, alias Taurus A ou Taurus X-1 située à ~6500 années-lumière. Le précédent record était de 75 TeV (expérience HEGRA en 2004).

Mais il existe dans les rayons cosmiques des particules plus énergétiques encore. Les rayons cosmiques d'une énergie ultra élevée sont appelés UHECR (Ultra-High-Energy Cosmic Ray, E > 106 TeV ou > 1018 eV) et ceux d'une énergie extrême sont appelés EECR (Extreme-Energy Cosmic Ray, E > 5x107 TeV ou > 5x1019 eV).

En 1991, au cours de l'expérience "Fly's Eye" (l'oeil de mouche), les chercheurs de l'Université d'Utah détectèrent le rayon cosmique le plus puissant jamais détecté, le bien nommé la particule "Oh-My-God", qui atteignit environ 3.2x1020 eV (320 exa-electron volts ou 320 EeV) soit 51 Joules (cf. D.J. Bird et al., 1995). Avec une telle énergie, cette particule semble ne pas être affectée par les champs magnétiques galactiques et extragalactiques.

30 ans plus tard, le 27 mai 2021, utilisant une autre technique - qui prouve au passage que ces particules sont réelles -, le Telescope Array[1] détecta le deuxième rayon cosmique le plus puissant, d'une énergie de 2.4x1020 eV (244 EeV), soit environ 40 Joules (cf. Coll.Telescope Array et al., 2023; G.Conroy, 2023). La particule fut surnommée "Amaterasu" du nom de la déesse du Soleil dans la mythologie japonaise.

Au total, à ce jour le Telescope Array a détecté plus de 30 rayons cosmiques à ultra haute énergie.

Les particules "Oh-My-Gog" et "Amaterasu" proviennent de l'espace extragalactique. Mais si on connait leurs coordonnées d'origine à quelques minutes d'arc près, les moyens actuels ne permettent pas de localiser la source avec précision et par conséquent on ignore de quel astre précis et de quel phénomène elles proviennent. Mais cela devrait changer car une nouvelle mise à niveau du Telescope Array qui le fera passer d'une superficie de 700 km2 à 2900 km2 le rendra 4 fois plus sensible et plus précis qu'auparavant. Cela permettra aux chercheurs de capturer davantage de ces rares rayons cosmiques d'ultra haute énergie et de retracer plus précisément leurs origines.

A voir : The Mystery of High-Energy Cosmic Ray, NASA

Highest energy gamma rays discovered by Tibet ASgamma Experiment, New China TV, 2019

A gauche, illustration d'un flot de rayons cosmiques pénétrant en gerbes dans l'atmosphère terrestre. A droite, décomposition (partielle) de la cascade de particules secondaires produites par les rayons cosmiques pénétrant dans l'atmosphère. Il y a des pions, des muons, des électrons, des neutrinos et leur antiparticule ainsi que des cascades d'hadrons (protons et neutrons). Seuls les neutrinos et les muons atteignent le sol, ces derniers pouvant altérer l'ADN de tout ce qui vit sur Terre jusqu'à ~10 m sous les eaux. Voici une version simplifiée de ce schéma. Documents Observatoire Pierre Auger et CERN adapté par l'auteur.

Les astronomes et les physiciens ont longtemps ignoré d'où provenaient les rayons cosmiques et quel processus gargantuesque pouvait produire de telles énergies et la question n'est pas encore totalement résolue. Car si le Soleil émet également des rayons cosmiques (protons), leur énergie dépasse rarement 100 MeV/nucléon (cf. les classes d'éruptions solaires et les défaillances des satellites), à peine ce que développe l'impact d'un gravier tombé d'une table. Or la particule Amaterasu contient l'énergie d'une brique tombant d'une table. De toute évidence ce n'est pas un processus astrophysique comme la nucléosynthèse qui peut générer des énergies de l'ordre du TeV et supérieures.

En fonction de leur masse de repos et compte tenu de l'existence du rayonnement cosmologique à 2.7 K qui baigne tout l'univers, on savait déjà estimer à quelle distance maximale se situait la source d'émission, c'est la limite GZK (GZK cutoff) qui est d'environ 50 Mpc soit 163 millions d'années-lumière pour une particule de ~1020 eV. Cela signifie que des particules ionisantes plus légères peuvent donc pratiquement provenir des confins de l'univers. Cela laisse un vaste choix de candidats mais seuls ceux manifestant une activité explosive ou des jets de plasma nous intéressent.

Identification des sources

La première source est évidemment le Soleil à travers ses éruptions chromosphériques et les éjections de masses coronales (CME) mais dont les rayonnements restent par définition locaux et d'une intensité relativement faible (entre quelques dizaines de keV à quelques GeV) par rapport à d'autres sources cosmiques. Nous verrons que le cycle solaire module le flux de rayons cosmiques galactiques et les CME peuvent même bloquer temporairement les rayons cosmiques (cf. l'effet Forbush).

Parmi les autres candidats ayant une portée bien plus considérable et donc bien plus puissants, il y a les étoiles AGB situées sur la branche asymptotique des géantes. Elles émettent un vent stellaire très énergétique et très puissant, riche en éléments lourds, y compris en radionucléides à courte vie. Elle sont presque aussi dangereuses que les supernovae.

Les autres candidats sont les supernovae, les GRB (Gamma-Ray Bursts), les quasars et autres AGN ainsi que les trous noirs actifs (émettant un jet de plasma).

Nous savons que les supernovae libèrent des rayons cosmiques d'une énergie 10 millions de fois plus intense que ceux du Soleil (1000 TeV) et un milliard de fois plus intense dans le cas des pulsars (105 TeV). Or les physiciens ont détecté des rayons cosmiques d'une énergie 10 à 1000 milliards de fois plus intense (106 à 108 TeV) que ceux émis par le Soleil ! Seules des galaxies à noyau actif (des AGN comme les quasars dont le noyau présente une activité élecromagnétique particulièrement intense), les sources GRB ou des astres très compacts comme les trous noirs actifs peuvent générer de telles énergies parfois focalisées dans un faisceau étroit mais il fallait le prouver en découvrant l'astre à l'origine de cette intense émission.

Niveaux d'énergie des différentes composantes des rayons cosmiques et les instruments au sol capables de les détecter. Document IceCube.

Dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2007, une équipe constituée de 370 chercheurs et ingénieurs de 17 pays rassemblés dans la "Collaboration Pierre Auger" annonça qu'elle avait trouvé la réponse à cette énigme : il s'agit des trous noirs supermassifs actifs qui se développent dans le coeur des galaxies, disloquant et avalant des étoiles entières et rejettant des jets de rayonnements (UV, X, gamma, etc.) et des particules nucléaires (protons, nucléi, etc.) dans l'espace intergalactique (cf. ce schéma).

Grâce au détecteur de rayons cosmiques de l'Observatoire Pierre Auger situé près de Malargüe, dans la pampa Argentine, les chercheurs ont tracé quelques rayons cosmiques jusqu'au voisinage de leur source d'émission et ont découvert... des AGN ! Chacun des rayons cosmiques étudié présentait une énergie dépassant 5.7x106 TeV, l'équivalent de l'énergie libérée par l'impact d'une balle de tennis bien frappée. Par comparaison, le collisionneur LHC du CERN atteint à peine 14 TeV dans le centre de masse (et 1150 TeV par collision).

De telles énergies sont si extrêmes qu'elles peuvent seulement se manifester dans les endroits les plus violents de l'univers. Du fait que ces AGN tracent la distribution générale de la matière dans l'univers local (moins de 10 millions d'années-lumière environ soit 100 fois le diamètre de la Voie Lactée), même si les rayons cosmiques peuvent provenir d'autres objets, les trous noirs sont les premiers suspects en raison de leur propention pour la violence. En effet, ces astres effondrés présentent un comportement chaotique extrême à tout point de vue, tant dans l'intensité et les variations des rayonnements que dans les effets gravitométriques.

C'est la première fois que des chercheurs montrèrent que ce rayonnement de haute énergie ne provenait pas uniformément de toutes les directions du ciel (ce qui avait déjà été noté en 2006). Jusqu'à présent, les rayons cosmiques de faible ou moyenne énergie semblent provenir de toutes les directions. Plusieurs causes sont à l'origine de cette dispersion apparente. Il y a d'une part les champs magnétiques solaire et terrestres qui incurvent les trajectoires des particules chargées émises par le Soleil ou par les supernovae. D'autre part, elles se déplacent également sous l'influence des champs magnétiques galactiques et intergalactiques avant de frapper l'atmosphère terrestre. Ensemble, ces déviations effacent la direction d'origine des rayons cosmiques qui semblent provenir de n'importe où.

Mais les rayons cosmiques les plus intenses portent tellement d'énergie qu'ils sont presque insensibles aux champs magnétiques. La galaxie qui les abrite ne peut pas les retenir ou les dévier. Par conséquent, quand ils frappent la Terre, à quelques degrés près, comme une balle fusil, ils indiquent directement leur point d'origine et donc la source du rayonnement.

Jusqu'à présent, l'étude des rayons cosmiques était gênée par le fait qu'ils sont très rares; on estime qu'à peine une "pluie" par siècle tombe sur chaque km2 de la Terre. L'Observatoire Pierre Augier commença à collecter ses données en 2004 et enregistra un million de rayons cosmiques en 3 ans, y compris 80 UHECR. Depuis, l'étude s'est étendue à l'hémisphère nord grâce à la construction d'un détecteur similaire dans le Colorado. Aujourd'hui l'Observatoire Pierre Augier dispose de 5 détecteurs de rayons cosmiques.

A consulter : Detect cosmic rays with your iPhone

Découverte d'une source "super PeVatron" dans Cygnus OB2

Bien que certaines études suggèrent que les rayons cosmiques les plus puissants proviennent de l'extérieur de la Voie Lactée, les scientifiques recherchent également depuis des années des sources de haute énergie au sein de notre propre Galaxie.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2024 (lire aussi "China Daily"), des astronomes chinois ont annoncé la découverte d'une "bulle" géante émettant des rayons cosmiques et gamma issus vraisemblablement de l'association Cygnus OB2 située à 5118 années-lumière dans la constellation du Cygne. Cette source fut détectée grâce au LHAASO (Large High Altitude Air Shower Observatory) installé à 4410 m d'altitude sur le Mont Haizi près de Daocheng, dans le sud-ouest de la province du Sichuan, en Chine. Cet observatoire est opérationnel depuis 2019 mais complet depuis 2021.

A gauche, l'installation chinoise du LHAASO vers 2022. L'observatoire comprend plusieurs instruments : un réseau de 5216 détecteurs de particules électromagnétiques et 1188 détecteurs de muons, un réseau de détecteurs Cherenkov de 78000 mètres carrés et 18 télescopes Cherenkov grand angle ultra-sensibles. Il constitue le système de détection des rayons gamma de haute énergie actuellement le plus sensible dans le monde. A droite, l'association Cygnus OB2 qui rassemble plus de 2700 étoiles représentant une masse totale d'environ 10000 masses solaires. Il s'agit d'une image composite optique (H-alpha et IR) et rayons X. Documents Getty Images via SCMP et NASA.

L'association Cygnus OB2 est une région massive et très lumineuse de formation stellaire contenant des étoiles jeunes et chaudes - quelque 2600 étoiles de type OB et environ 100 étoiles de type O dont la température effective varie entre 15000 et 35000 K, représentant une masse totale d'environ 10000 M - émettant de puissants vents stellaires soufflant jusqu'à 3000 km/s, créant des conditions idéales pour accélérer des particules jusqu'à des niveaux très élevés d'énergie. A l'intérieur de la bulle, les chercheurs ont trouvé plusieurs sources dont l'énergie dépasse 1 PeV, la plus élevée atteignant 2.5 PeV. Selon les chercheurs, cela indique "la présence d'un super accélérateur de rayons cosmiques à l'intérieur de la bulle, qui accélère en continu des particules de rayons cosmiques de haute énergie jusqu'à 20 PeV et les injecte dans l'espace interstellaire". Les chercheurs ont surnommé cet accélérateur galactique, le "super PeVatron".

Ces rayons gamma transportent 10% de l'énergie des rayons cosmiques et se propagent en ligne droite, ce qui facilite la localisation des sources potentielles de rayons cosmiques. Selon les auteurs, ces rayons gamma seraient produits lorsque des rayons cosmiques entrent en collision avec du gaz interstellaire.

Cette découverte suggère que les rayons cosmiques provenant de la Voie Lactée peuvent devenir beaucoup plus puissants qu'on ne le pensait auparavant, ce qui pourrait potentiellement expliquer les émissions diffuses de rayons gamma précédemment détectées. Cette découverte aura probablement des implications sur la description du transport des rayons cosmiques à travers la Galaxie.

Décroissance des rayons cosmiques

Comme interagissent les rayons cosmiques arrivant sur Terre ? Les rayons cosmiques étant constitués de particules instables ayant une masse parfois très importante, leur vie est éphémère et se désintègrent en d'autres particules plus stables et plus légères. Cette réaction est facilité par les collisions qu'ils subissent. Lorsque les rayons cosmiques dits primaires entrent dans l'atmosphère terrestre, ils réagissent avec les particules contenues dans l'air (avec les molécules d'azote, d'oxygène, etc.) et se brisent sous le choc dans une cascade de réactions formant ce qu'on appelle les rayons cosmiques secondaires. Ces réactions transforment les pions contenus dans les noyaux (ils assurent la cohésion des nucléons) en muons qui sont similaires aux électrons mais ~200 fois plus énergétiques et plus lourds (105 MeV contre 0.511 MeV), devenant de véritables rayons mortels invisibles. Des neutrinos sont également produits au cours de cette réaction.

Selon les propriétés électriques du milieu et des particules incidentes, certaines réactions sont privilégiées (collision nucléaire ou Bremsstrahlung). Comme on le voit sur le schéma ci-dessus, à partir d'un proton se forment des pions et des muons qui décroissent en différentes particules comprenant des électrons, des neutrinos et leur antiparticules. D'autres muons et pions sont créés s'ils entrent en collisions avec des nucléi. Le Bremsstrahlung (radiation de freinage) produit des rayons gamma mous qui vont créer des paires d'électron-positron dans une réaction appelée l'averse électromagnétique. Les protons produisent également des antiprotons, des antineutrons, des neutrons, des kaons (mésons lourds, K) et des hypérions (Y). La plupart sont absorbés par l'atmosphère ou se désintègrent avant d'arriver sol. Au total, si on prend un cas d'école, on peut dire qu'un seul proton produit 21 réactions en cascade qui produisent finalement 59 particules mais elles peuvent être beaucoup plus nombreuses si l'ion ou le nucléi initial est plus lourd. C'est une véritable gerbe de particules qui est ainsi produite, terme qui fut retenu par les physiciens pour qualifier ce phénomène.

Composition des éléments primaires des rayons cosmiques

Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2023, les membres de la Collaboration Alpha Magnetic Spectrometer (AMS), un grand groupe de recherche analysant les données recueillies par un spectromètre magnétique placé à bord de la station spatiale ISS, annoncèrent qu'ils avaient recueilli de nouvelles informations sur les propriétés et la composition de rayons cosmiques spécifiques : le carbone primaire, le néon et le magnésium, ainsi que la composition et les propriétés du soufre des rayons cosmiques.

L'AMS a mesuré la charge Z de tous les noyaux des rayons cosmiques jusqu'au nickel. Document Collaboration AMS.

Selon Samuel Ting, porte-parole de la Collaboration AMS, "Les expériences pionnières étudiant les rayons cosmiques ont généralement une marge d'erreur de 30 à 50% et principalement aux énergies cinétiques inférieures à 50 GeV par nucléon. Ces marges d'erreurs fournissent des informations importantes qui concordent avec de nombreux modèles théoriques. L'expérience AMS fournit des mesures précises des proportions des particules élémentaires (électrons, positrons, protons et antiprotons) et de tous les éléments du tableau périodique jusqu'à une énergie cinétique dépassant 1 TeV."

Certaines des mesures récentes recueillies par le détecteur AMS ont été difficiles à expliquer à l'aide des modèles de physique théorique existants. Par exemple, en mesurant la rigidité (c'est-à-dire la quantité de mouvement/charge) de toutes les particules chargées dans les rayons cosmiques, le détecteur AMS a recueilli des données apportant un nouvel éclairage sur les propriétés de deux types différents de rayons cosmiques chargés surnommés les rayons primaires et secondaires.

Ting nous rappelle que "Les rayons cosmiques primaires (par exemple He, C, O, Ne, Mg, Si, S, Fe, ...) sont synthétisés dans les étoiles et accélérés par des sources astrophysiques comme les supernovae, tandis que les rayons cosmiques secondaires (par exemple Li, Be, B , F, ...) sont produits dans les interactions des rayons cosmiques primaires avec le milieu interstellaire."

Précédemment, la Collaboration AMS avait montré que les flux de rayons cosmiques primaires contenant du Ne, Mg et Si avaient une dépendance à la rigidité identique au-dessus de 86.5 GeV, ce qui différait considérablement de la dépendance à la rigidité des rayons cosmiques primaires contenant He, C, O et des noyaux de fer. Cela suggère que les rayons cosmiques primaires peuvent être divisés en au moins deux sous-classes, que l'équipe dénomma Ne-Mg-Si et He-C-O-Fe.

Selon Ting, "Jusqu'à présent, on sait peu de choses sur les propriétés des rayons cosmiques soufrés. Des études précises axées sur les propriétés du soufre cosmique, telles que nos nouveaux travaux, pourraient fournir de nouvelles informations sur les rayons cosmiques primaires, nous aidant à dévoiler le nombre de classes de rayons cosmiques primaires existantes."

Dans un autre travail antérieur, Ting et ses collaborateurs ont trouvé des preuves suggérant que les rayons cosmiques N, Na et Al sont des combinaisons de rayons cosmiques primaires et secondaires. Ils ont ensuite mesuré avec précision les flux de ces rayons cosmiques sur une large plage de rigidité (c'est-à-dire de quelques GeV à quelques TeV) et analysé leurs propriétés spectrales, afin de déterminer leurs composants primaires et secondaires spécifiques. Selon Ting,"Par exemple, les rapports d'abondance Na/Si et Al/Si à la source ont été mesurés directement à 0.036 ±0.003 et 0.103 ±0.004, respectivement. Ces mesures sont indépendantes des modèles de rayons cosmiques. Dans notre publication actuelle, nous avons étendu cette méthode pour mesurer les compositions primaires et secondaires de C, Ne, Mg et S, qui sont traditionnellement supposée être des rayons cosmiques primaires. De manière inattendue, nous avons constaté que ces éléments ont tous des contributions secondaires importantes provenant de la collision de rayons cosmiques plus lourds avec le milieu interstellaire."

Tableau illustrant les résultats de la mesure directe des rapports d'abondance à la source de sept éléments des rayons cosmiques. Document Collaboration AMS.

L'analyse des données reposa sur 10 années de mesures de 200 milliards de rayons cosmiques ayant traversé les six détecteurs diférents de l'AMS, une tâche longue et ardue. Finalement l'exactitude des données fut vérifiée et recoupée par quatre équipes de recherche indépendantes situées en Italie, en Suisse, en Chine et aux États-Unis.

Selon Ting, "Nous avons également constaté que les rayons cosmiques primaires traditionnels S, Ne, Mg et C ont tous des composants secondaires importants. Le soufre, ainsi que les noyaux cosmiques C, Ne et Mg peuvent tous être présentés comme une somme de composants primaires (avant leur propagation dans la Voie Lactée) et composante secondaire (pendant et après la propagation)." Le rapport d'abondance à la source de rayons cosmiques étudiés est indiqué à gauche.

La Collaboration AMS fut la première à mesurer avec précision le flux du soufre dans l'univers entre quelques GeV et TeV. Leurs découvertes contribuent grandement à la compréhension des rayons cosmiques, de leur composition et de leurs caractéristiques.

Les analyses réalisées par la Collaboration AMS suggèrent que les contributions primaire et secondaire des flux primaires de S, C, Ne et Mg de rayons cosmiques sont nettement différentes de celles des flux de N, Na et Al. Leurs découvertes, dont aucune n'a été prédite par les modèles de rayons cosmiques existants, pourraient collectivement aider à mieux comprendre la nucléosynthèse dans les étoiles ainsi que l'origine et la propagation des rayons cosmiques.

D'ici 2030, l'AMS va poursuivre l'étude des rayons cosmiques en explorant notamment les propriétés des autres éléments lourds des rayons cosmique et améliorer sensiblement la précision des détecteurs. Selon Ting, "Cela percera les mystères des rayons cosmiques, tels que où et comment ils sont créés ou comment ils nous parviennent. Dans nos prochains travaux, nous envisageons d'étudier l'origine de la matière sombre par des mesures de précision des électrons, des positrons, des antiprotons et des antideutérons. D'ici 2030, notre étude des spectres des positons, des électrons, des antiprotons et des antideutons ainsi que l'étude de l'anisotropie des positrons, fourniront une explication des résultats non encore élucidés obtenus par l'AMS."

Notons que lors de l'analyse des données, Ting et ses collaborateurs ont également observé plusieurs particules qui pourraient être des candidates viables à l'antimatière lourde, y compris l'antihélium. Ils prévoient donc de poursuivre également la recherche d'un plus grand nombre de ces particules, en particulier l'anticarbone et l'antioxygène. Parallèlement, ils analysent les variations quotidiennes du flux de tous les rayons cosmiques dans l'héliosphère sur des cycles solaires de 11 et 22 ans, ce qui pourrait donner lieu à d'autres découvertes intéressantes.

L'instabilité du plasma

L'équipe de Mohamad Shalaby de l'Institut Leibniz d'Astrophysique (AIP) de Potsdam, en Allemagne, annonça dans le "Journal of Plasma Physics" en 2023 (en PDF sur arXiv) la découverte d'une nouvelle instabilité du plasma qui pourrait révolutionner notre compréhension de l'origine des rayons cosmiques et leur impact sur la dynamique des galaxies.

Les auteurs ont effectué des simulations numériques pour suivre les trajectoires de nombreuses particules de rayons cosmiques et étudier comment celles-ci interagissent avec le plasma environnant constitué d'électrons et de protons. Ils ont découvert un nouveau phénomène qui excite les ondes électromagnétiques dans le plasma de fond. Ces ondes exercent une force sur les rayons cosmiques, qui modifie leurs trajectoires erratiques.

A gauche, simulation de rayons cosmiques s'opposant à un plasma de fond et excitant une instabilité du plasma. La distribution des particules de fond répondant au flux de rayons cosmiques est représentée dans l'espace des phases avec la position des particules sur l'axe horizontal et la vitesse sur l'axe vertical. Les couleurs visualisent la densité numérique. Les espaces sombres dans l'espace des phases sont les zones hautement dynamiques de l'instabilité qui se dissipe de manière ordonnée en mouvements aléatoires. A droite, distribution de l'impulsion des protons (lignes pointillées) et des électrons (lignes pleines). L'image montre l'émergence de la queue d'électrons à haute énergie lors d'un choc plus lent (en rouge). C'est le résultat des interactions avec les ondes électromagnétiques exercées par l'instabilité du plasma nouvellement découverte, qui sont absentes lors d'un choc plus rapide (en noir). Documents M.Shalaby et al. (2023).

Ce nouveau phénomène peut être mieux compris si l'on considère que les rayons cosmiques n'agissent pas comme des particules individuelles mais plutôt comme supportant une onde électromagnétique collective. Comme cette onde interagit avec les ondes fondamentales en arrière-plan, celles-ci sont fortement amplifiées et un transfert d'énergie a lieu.

Selon Christoph Pfrommer, responsable de la section Cosmologie et astrophysique des hautes énergies à l'AIP, "Cette idée nous permet de considérer les rayons cosmiques comme des rayonnements et non comme des particules individuelles, tout comme Victor Hess le pensait à l'origine." Une bonne analogie de ce comportement est celui des molécules d'eau individuelles qui forment collectivement une vague qui se brise sur le rivage.

Selon Shalaby, "Ces progrès ne furent possibles qu'en considérant des échelles plus petites, jusqu'alors négligées, qui remettent en question l'utilisation de théories hydrodynamiques efficaces dans l'étude des processus plasmatiques."

Cette découverte révolutionnaire a de nombreuses applications, notamment une première explication de la manière dont les électrons du plasma thermique interstellaire peuvent être accélérés jusqu'à des énergies élevées dans les rémanents (SNR) de supernovae. Selon Shalaby, "Cette instabilité du plasma représente un progrès significatif dans notre compréhension du processus d'accélération et explique enfin pourquoi ces rémanents de supernovae brillent dans les ondes radio et gamma." De plus, cette découverte apporte une compréhension plus approfondie des processus fondamentaux du transport des rayons cosmiques dans les galaxies, qui représentent le plus grand mystère dans notre compréhension des processus qui façonnent ces grandes structures cosmiques.

Deuxième partie

Effets des rayons cosmiques sur la biosphère

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[1] Le Telescope Array est un instrument de détection des rayons cosmiques utilsant des centaines de scintillateurs (au lieu d'eau pure). Il est installé en Utah et est opérationnel depuis 2007. Cinq pays participent à ce projet : les Etats-Unis, le Japon, la Corée, la Belgique et la Russie.


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