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L'extinction de l'homme de Néandertal

Le crâne d'une femme de Néandertal découvert à Krapina, en Croatie, datant de 125000 ans BP. Document NGS.

Introduction

Malgré son adaptation, l'homme de Néandertal n'a pas survécu et son espèce disparut il y a environ 28000 ans. Comment peut-on expliquer l'extinction d'une espèce aussi résiliente ? Alors que les hommes de Néandertal ont cotoyé les Homo sapiens pendant 12000 à 50000 ans selon les endroits, pourquoi la première espèce disparut et pas la seconde ?

L'homme de Néandertal était un homme musclé, costaud et athlétique (1.60 m en moyenne pour 75 kg) à côté duquel l'Homo sapiens paraît fragile. On estime que les besoins en énergie des Néandertaliens vivant dans des conditions froides atteignaient 3500 à 5000 Kcal/jour (cf. A.Mateos et al., 2016), soit autant qu'un sportif contemporain de haut niveau en pleine activité. Les Néandertaliens n'avaient aucun soucis pour trouver de la nourriture carnée car le gibier (toutes les espèces d'animaux sauvages terrestres) était abondant, même pendant les périodes hivernales.

Par comparaison l'Homo sapiens se contentait de deux fois moins d'énergie et était moins costaux. A défaut de force, il utilisa son intelligence pour développer des armes plus efficaces pour l'aider à chasser sans devoir consommer trop d'énergie et sans prendre trop de risques : il remplaça de temps en temps la chasse à l'affût par des pièges et la lance par des armes de jets plus légers et plus rapides.

A priori, l'homme de Néandertal aurait pu survivre au détriment de l'Homo sapiens. Pourtant l'évolution en décida autrement. Etait-ce le fait du hasard ou la conséquence d'évènements précis, et lesquels ?

Il est difficile de répondre précisément à cette question car, comme souvent, la réponse n'est pas simple et binaire mais pourrait être multifactorielle.

En deux mots, la coexistence des premières populations humaines fut très importante dans l'histoire de nos origines. Mais malgré toute sa force et son intelligence, l'homme de Néandertal n'a pas eu de chance face à l'adaptation de l'Homo sapiens, sa ruse et son nombre d'individus.

Les scientifiques aiment critiquer les théories concurrentes de leurs confrères dès qu'ils y décèlent  un point faible. C'est ainsi que fonctionne la science. Et en matière de paléoanthropologie, puisque personne n'était sur place pour en témoigner, par nature les fossiles et autres artefacts sont très sensibles à la critique. Pas étonnant dans ces conditions que plusieurs théories ont été proposées pour expliquer l'extinction de l'homme de Néandertal.

Les théories de l'extinction

D'abord, la première question est de savoir si les Néandertaliens ont disparu subitement ou progressivement en l'espace de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d'années par petits groupes dispersés ci et là ?

On sait aujourd'hui que les Néandertaliens n'ont jamais été très nombreux. Sur base de données limitées et des modèles mathématiques (et donc très approximatifs), on estime que leur population totale a pu atteindre quelques centaines de milliers d'individus à son apogée il y environ 200000 ans, répartis entre l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie occidentale et l'Asie centrale. Il y a environ 40000 ans, on estime qu'il restait en 10000 et 70000 Néandertaliens dans toute l'Eurasie. D'autres études suggèrent une fourchette plus restreinte, de l'ordre de 20000 à 30000 individus dans toute l'Eurasie. Mais sachant que la population néandertalienne fluctua au cours du temps, il est possible qu'il y ait eu des périodes où leur nombre était beaucoup plus faible.

Vu l'étendue des terres vierges et la curiosité des hommes, il existait probablement beaucoup de petits clans et tribus relativement isolés les uns des autres. La population resta féconde car ce sont les femmes Néandertal qui quittaient leur famille pour aller vivre dans le clan de leur homme, ce qui évita la consanguinité. Si on considère uniquement ce fait, les Néandertaliens auraient donc pu survivre longtemps encore. On en déduit qu'au moins un autre facteur participa à leur extinction, et vraisemblablement plusieurs facteurs y contribuèrent.

Passons en revue les différentes explications et voyons si elles sont plausibles (lire aussi P.Charlier et al., 2018).

Victime de son inadaptation : non

La première théorie qui fut évoquée pour expliquer la disparition des Néandertaliens est la plus intuitive. Avant les études du génome des Néandertaliens, on pensait que l'homme de Néandertal disparut du fait de son inadaptation au climat, sa spécialisation et son manque d'intelligence face aux facultés de notre ancêtre. Bref, le plus faible périt.

Sachant que les Néandertaliens ont tout de même vécu plus de 400000 ans et sous tous les climats, c'est difficile à croire.

Mais surtout, sur base de l'analyse de leurs squelettes, du tartre des dents et de leur ADN, on peut affirmer que durant la plus grande partie de leur existence, les Néandertaliens ne sont pas morts de sous-alimentation, de carence alimentaire ou en vitamines, et rarement de maladie; ils étaient en très bonne forme, y compris les enfants, ils connaissaient des remèdes et mangeaient également de la viande cuite.

Contrairement à ce que prétendent certains auteurs, les Néandertaliens présentaient durant la plus longue partie de leur existence une très grande diversité génétique. On sait aujourd'hui, qu'il existait trois et peut-être quatre sous-groupes ou populations différentes de Néandertaliens à travers l'Eurasie (cf. V.Fabre et al., 2009). On a également découvert que les Néandertaliens présentaient des antigènes capables de lutter contre des bactéries mortelles comme les vecteurs de la peste Yersinia pestis et de la tuberculose Mycobacterium tuberculosis (cf. L.Abi-Rached et al., 2016). Or les virologues estiment que ces deux bactéries sont devenues virulentes plus récemment. On en déduit que si les Néandertaliens ont développé une réponse immunitaire face à ces bactéries mortelles, ils devaient avoir atteint un niveau de diversité génétique similaire voire supérieur à celle des Homo sapiens de leur époque dans les 11 loci codant CMH II (le complexe majeur d'histocompatibilité de classe II), la molécule présente à la surface des cellules présentatrices d'antigènes (CPA) lors de la réponse immunitaire. On retrouve cette diversité chez les Dénisoviens (cf. D.Reher et al., 2018).

La vision d'une population Néandertalienne homogène isolée au sommet d'une frêle branche de l'arbre Darwinien doit être écartée. La branche des Néandertaliens d'il y a 200000 à 100000 ans était au moins aussi ramifiée que la nôtre à la même époque. Il faut plutôt la voir comme une grosse branche saine et toufue s'étendant sur la branche voisine toute aussi robuste et ramifiée des Homo sapiens pour en extraire la sève et finir par fusionner avec elle.

En revanche, le génome des Néandertaliens diffère légèrment de celui des Homo sapiens et nous possédons des mutations génétiques qu'il ne possède pas et qui nous procurent des avantages intellectuels (cf. FOXP2) qui ont des effets directs sur la structure du cerveau, le langage et notre style de vie. On y reviendra.

Mais même si quelques gènes de Néandertaliens nous ont apporté des avantages, la théorie de l'inadaptation n'explique pas l'extinction de Néandertal et fut abandonnée.

Victime des guerres tribales : non

Parmi d'autres théories, on proposa que des luttes tribales entre ennemis décimèrent les Néandertaliens. Des squelettes de Néandertaliens présentent des lésions traumatiques (cf. W.Nakahashi, 2017) attribuées à des actes de violence volontaire. Des crânes ont été perforés par une arme ou sont fracassés. Les paléoanthropologues ont de suite imaginé que les Homo sapiens avaient massacré les Néandertaliens, ce qui conduisit à leur extinction.

Il est vrai qu'a priori, en regardant comment survivent les dernières tribus vivant dans la jungle d'Amazonie ou de Bornéo, beaucoup n'hésitent pas à tuer leurs ennemis et à kidnapper leurs femmes. On pensait donc que l'homme de Néandertal se réfugia en Europe où il fut chassé par l'homme de Cro-Magnon comme un animal indésirable. Mais les études démographiques et du génome néandertalien ont forcé tous les chercheurs à revoir leur copie.

D'abord, si l'Homo sapiens est plus sage que son ancêtre dit primitif, il n'a pas de raison de l'attaquer sans motif. De plus, nous n'avons aucune preuve que les Homo sapiens aurait commis un génocide envers les Néandertaliens. Il est tout aussi spéculatif pour ne pas dire fantaisiste d'imaginer que les Homo sapiens auraient prémédité et organisé ce génocide à travers toute l'Europe.

Pour certains auteurs, les théories des luttes tribales et du génocide sont d'autant moins plausibles que les groupes de populations étaient relativement réduits (quelques dizaines de personnes par clan et des groupes d'une dizaine de clans), la nourriture abondante et les territoires à conquérir aussi vastes que la Terre entière. En voyant un groupe potentiellement dangereux, pour éviter tout heurt, il aurait été plus logique dans l'esprit des Homo sapiens de passer leur chemin et de s'installer ailleurs, quitte à devoir marcher quelques semaines ou quelques mois de plus.

Portraits de Néandertaliens d'Europe (gauche), de l'ouest de l'Asie (centre) et d'une femme de Neandertal (droite). Notez l'absence de menton, l'arcade sourcilière prononcée et le front fuyant. Documents T.Lombry.

Mais si cette explication paraît logique, elle manque aussi de preuves. Car comment expliquer que nous soyons la seule espèce humaine survivante alors que 10 autres espèces ont cohabité un certain temps avec nos ancêtres (cf. ce tableau) ? Comment également expliquer les preuves de guerres tribales entre populations et la présence d'objets sculptés par l'Homo sapiens chez les Néandertaliens ?

Il est concevable que dans ces deux cas, la situation inverse se soit produite plus souvent : victime des rapines et des larcins incessants des hommes de Néandertal, et peut-être également par peur de leurs ennemis, les hommes de Cro-Magnon ont fini par décimer leurs populations, mais cela se fit toujours à l'échelle locale et sans stratégie à long terme. Mais c'est de la spéculation qui ne repose sur aucune preuve. Quant à conclure que l'Homme sapiens extermina les Néandertaliens, on ne peut pas l'affirmer non plus et plus d'un spécialiste n'y croient pas pour d'autres raisons, notamment génétiques.

Victime d'une catastrophe environnementale : non

On a également évoqué l'hypothèse d'une disparition des Néandertaliens suite à une catastrophe climatique ou géologique. Ainsi, en 2010 la paléontologue Naomi Cleghorn de l'Université du Texas évoqua l'hypothèse que les éruptions volcaniques survenues en Europe il y a environ 40000 ans dans la région actuelle de l'Italie et du Caucase ont pu contribuer à l'extinction de groupes entiers de Néandertaliens dont les populations étaient déjà peu nombreuses. En effet, les retombées volcaniques rendirent localement les terres stériles, condamnant à mort les animaux herbivores et avec eux la source principale de nourriture des Néandertaliens d'Europe Centrale.

Mais cette théorie pêche par approximation car les volcanologues ignorent encore si ces éruptions ont duré quelques jours, quelques mois ou quelques années. Dans tous les cas, elles n'ont pas laissé de traces dans les autres pays et donc les Néandertaliens ne furent pas tous affectés par ces éruptions.

Baisse de la fécondité : en partie

Selon une étude publiée dans la revue "PLOS One" en 2019 par Anna Degioanni du CNRS/Aix-Marseille Université et ses collègues, sur base d'une approche purement mathématique, les auteurs proposent que les Néandertaliens se sont éteints en raison d'une baisse continue du taux de fertilité des jeunes femmes de moins de 4% pendant 10000 ans. La théorie est séduisante, mais comment peut-on la prouver ?

Les auteurs ont fondé leur étude sur la population des fossiles néandertaliens, les flux migratoires des sous-populations néandertaliennes en Europe, la dynamique de différentes populations animales et bien sûr des modélisations, des statistiques, mais bien entendu sans référence à des données concrètes sur le taux de fertilité réel de Néandertaliens. Forcément, les résultats sont théoriques et hautement spéculatifs mais pas inintéressants.

La baisse de la fécondité est liée à l'infertilité. Elle peut toucher soit les hommes soit les femmes soit les deux. Elle peut-être d'origine génétique et peut dépendre de l'âge. A l'époque des Néandertaliens, c'étaient les seuls facteurs existants (de nos jours il faut ajouter les effets du tabac, des drogues, des polluants, des perturbateurs endocriniens, etc., bref notre style de vie, cf. Ameli).

S'il y eut une baisse de la fécondité, il faudrait d'abord que toute la population et donc tous les groupes, toutes les tribus et tous les clans soient touchés par ce problème. Vu la diversité de la population et son étendue, cela n'a pas pu se produire à n'importe quelle époque.

S'il s'agit d'une dégénérescence ou d'une malformation d'origine génétique, la baisse de la fécondité pourrait survenir soit progressivement et s'étaler sur des millénaires soit apparaître soudainement et tardivement. Mais comment pourrait-elle se propager dans toute la population ? Elle aurait dû soit apparaître très tôt, quand la population de Néandertaliens était réduite soit très tard, quand il ne resta que quelques clans. La première possibilité est contredite par les faits; les Néandertaliens furent présents durant des centaines de milliers d'années dans toute l'Europe et au-delà.

En revanche, si on imagine que la baisse de la fécondité fut rapide, elle a pu apparaître très tardivement, au plus tôt il y a 50000 ou 40000 ans. Dans ce cas, cela revient à dire que les Néandertaliens furent victimes soit d'une dégénérescence ou d'une malformation génétique soit d'une maladie infectieuse qui affecta leur taux de reproduction, touchant les hommes d'infertilité ou le système reproducteur des femmes. Plusieurs phénomènes peuvent l'expliquer dont une pandémie virale historique et globale. Mais les fossiles de Néandertaliens et leur génome n'ont jamais révélé de telles maladies.

Si une stérilité naturelle est envisageable à l'échelle de toute une population, cela implique qu'il restait très peu d'adultes en âge de se reproduire. Nous verrons que grâce à l'étude des gènes déterminant le rhésus sanguin, on a découvert que les Néandertaliens des dernières générations présentaient une faible diversité génétique et des anomalies génétiques qui affectèrent leur taux de reproduction.

Victime de maladies virales et à prions : en partie

On a proposé que les Néandertaliens se sont éteints suite à l'émergence d'un ou plusieurs virus (cf. H.Wolff et al., 2010) contre lesquels ils n'étaient pas immunisés. L'hécatombe les força à se reproduire de plus en plus souvent avec un membre plus ou moins proche de leur famille, ce qu'on appelle l'endogamie, provoquant un appauvrissement génétique et un problème de consanguinité pouvant entraîner des malformations (cardiaques, cérébrales, etc.) et des handicaps (mentaux, visuels, stérilité, etc.) en quelques générations (dès la 4e génération soit environ un siècle). Lorsque la diversité génétique s'est réduite et que le seuil de viabilité fut franchi, cette consanguinité conduisit à l'extinction de l'espèce[1].

Comme les conquérants européens à l'époque de la découverte du Nouveau Monde ou les soldats américains en Asie qui transmirent des maladies aux populations qu'ils découvraient ou fréquentaient, il est fort possible que les Homo sapiens contaminèrent les Néandertaliens. En effet, les Homo sapiens portaient probablement des virus d'origine africaine et ont transmis de nouvelles maladies aux Néandertaliens contre lesquelles leur système immunitaire n'était pas armé ou était peut-être déjà affaibli par la consanguinité, précipitant leur extinction. Un changement de style de vie auprès des Homo sapiens a également pu affaiblir leur système immunitaire comme les Amérindiens de Patagonie ont souffert de maladies dès qu'ils ont vécu dans des habitations modernes à l'abri du froid mais mal aérées.

Les effets de la consanguinité.

On sait également que certaines populations de Néandertaliens pratiquaient occasionnellement le cannibalisme, peut-être à l'occasion de rites funéraires (on a par exemple retrouvé des crânes portant sur le front des incisions en forme géométrique). Or on sait que cette pratique développe des maladies à prions qui sont des agents pathogènes responsables de maladies du système nerveux comme la maladie de Kuru (encéphalopathie spongiforme) ou celle de Creutzfeldt-Jakob. 

Mais on n'a jamais démontré que les Néandertaliens sont morts de maladies infectieuses. De plus, les Néandertaliens morts par prions vivaient il y a environ 180000 ans et non à l'époque de leur extinction et les cas sont distribués à travers toute l'Europe. Ces maladies ne sont donc pas à l'origine de leur extinction.

Les études du biologiste et anthropologue Simon Underdown de l'Université d'Oxford Brookes confirment également que les Néandertaliens d'Eurasie se sont adaptés aux nouveaux virus et ont vaincu de nouvelles maladies sans succomber aux épidémies. D'ailleurs, beaucoup de personnes ont hérité des Néandertaliens un aplotype (un groupe de gènes variables ou allèles de différents loci situés consécutivement sur un même chromosome) qui les protège contre une forme grave de la Covid-19 en réduisant de ~22% le risque de développer une forme sévère de la maladie. Malheureusement, d'autres gènes hérités des Néandertaliens font parfois plus de mal que de bien, y compris si on contracte la Covid-19. On y reviendra.

L'origine virale de l'extinction des Néandertaliens n'a jamais été confirmée. Les seules traces observées dans les squelettes de Néandertaliens sont celles de rachitisme, d'ostéoporose, d'ostéosarcomes (cancer des os) et de phytothérapie (des écorce de saule) contre des douleurs dentaires notamment. Les os fracturés d'autres spécimens se sont même reconstruits, preuve qu'ils prenaient soins de leurs semblables. S'ils furent contaminés par des virus, ces derniers provenaient nécessairement soit d'animaux infectés soit d'espèces virales libérées après la fonte des glaces ou transmises par d'autres populations d'homininés vivant à proximité.

En admettant que l'extinction des Néandertaliens serait d'origine infectieuse, il faut envisager des infections sexuellement transmissibles (cf. V.N. Pimenoff et al., 2017; Z.Chen et al., 2017). L'analyse phylogénétique du génome des papillomavirus humains 16 et 58 (HPV16 et HPV58, de nos jours potentiellement impliqués dans le cancer du col de l'utérus) a montré une séparation des variants viraux à l'époque des métissages entre les Néandertaliens et les humains archaïques, vraisemblablement résultant de sélections et de mutations au cours de relations sexuelles inter-espèces.

Mais si les Néandertaliens ont côtoyé les Homo sapiens durant des milliers d'années, c'est une trop longue période pour succomber à une seule épidémie ou même une pandémie qui dure généralement entre 2 ans et 2 siècles (cf. l'histoire des pandémies). Si les Néandertaliens furent contaminés, la transmission des agents infectieux a dû se réaliser dans des populations beaucoup plus petites qu'on a imaginé jusqu'à présent (cf. L.Fogarty et al., 2017), causant une extinction progressive, par vagues successives se propageant de clans en clans à travers l'Europe et le Proche-Orient.

On en déduit qu'un transfert d'agents pathogènes entre les populations d'homininés (y compris de pathogènes provenant d'Afrique) joua vraisemblablement un rôle important dans l'extinction des Néandertaliens. Mais pas seulement.

Disparu par assimilation : vraisemblablement

Jusqu'à présent ces théories n'expliquent pas pourquoi nous avons de l'ADN néandertalien en nous. Une autre théorie basée sur des études paléogénétiques considère qu'étant sur le déclin, les Néandertaliens ont probablement disparu du fait de leur hybridation avec les Homo sapiens notamment; nous les avons assimilés.

Sous l'effet de la pression démographique des Cro-Magnons, il y a moins de 40000 ans, les Néandertaliens aurait subi un "goulot d'étranglement" de leur population (cf. P.Madison, 2016). La taille des clans étant déjà réduite et localement consanguins, on assista à la disparition progressive de certains phénotypes, suivie par l'appauvrissement génétique de l'espèce, puis son extinction pure et simple (cf. I.Juric et al., 2016).

Mais cela ne signifie pas que les Néandertaliens ont disparu sans laisser d'héritage. Nous verrons à propos du métissage entre les premiers humains que nos gènes ont gardé des traces d'hybridations avec les Néandertaliens mais aussi avec des humains archaïques qui nous ont transmis des anomalies dites archaïques pouvant affecter notre santé mais également des gènes qui nous offrent des avantages, améliorent notre adaptation ou renforcent notre système immunitaire.

Notre ADN montre qu'il n'y a aucune contribution génétique des Néandertaliens à l'ADNmt (l'ADN qui se trouve dans les mitochondries) des Homo sapiens modernes. Pour expliquer l'absence d'ADN néandertalien dans notre ADN mitochondrial ainsi que dans notre ADN nucléaire (le matériel génétique situé dans le noyau des cellules sous forme de chromosomes), plusieurs explications ont été proposées.

Il est possible qu'à un moment donné, des humains modernes aient possédé de l'ADN mitochondrial néandertalien, mais que leurs lignées se soient éteintes. Il est également très possible que les Néandertaliens n'aient pas contribué au génome mitochondrial en raison de l'incompatibilité du métissage entre les deux espèces.

Bien que tous les non-Africains possèdent de l'ADN néandertalien, nous n'avons aucun moyen de savoir quels furent les contextes sociaux ou culturels ayant favorisé ce métissage.

A lire : Le métissage entre les premiers humains

Document T.Lombry

Tout ce qu'on peut dire c'est que l'ADNmt étant transmis exclusivement de la mère à sa descendance, si les hommes de Néandertal étaient les seuls à contribuer au génome humain, leur contribution ne serait pas présente dans la lignée de l'ADNmt. Il est également possible que si le métissage entre les hommes de Néandertal et les femmes humaines produisit une descendance fertile, l'inverse échoua; le métissage entre les femmes de Néandertal et les hommes humains modernes aurait abouti à une fausse couche (cf. plus bas l'incompatibilité fœto-maternelle) ou n'aurait pas produit de descendance fertile, ce qui signifie que l'ADNmt néandertalien n'aurait pas pu être transmis.

Mais il reste une possibilité qui n'a pas encore été explorée faute de données (cf. C.-C.Wang et al., 2013). Il est possible que les humains modernes soient porteurs d'au moins une lignée d'ADNmt de Néandertaliens, mais que nous n'ayons pas encore séquencé cette lignée, ni chez les humains modernes ni chez les Néandertaliens. La première de ces raisons est la taille de l'échantillon : à ce jour, seule une douzaine de séquences d'ADN mitochondrial néandertalien ont été échantillonnées. Étant donné que la taille de l'échantillon actuel d'ADNmt néandertalien est peu représentative, il est possible que les chercheurs n'aient tout simplement pas encore trouvé l'ADNmt des Néandertaliens qui corresponde à celui de l'homme moderne.

Toutes ces théories pourraient expliquer l'absence d'ADNmt néandertalien dans les populations humaines modernes.

Concrètement, qu'a-t-il pu se produire lors de l'extinction des Néandertaliens ? Vivant dans de très petits clans souvent isolés, le risque de pas avoir de descendance augmenta tout comme le risque de consanguinité qui dut déjà affecter certains clans. Pour éviter que leur lignée disparaisse, les hommes de Néandertal ont rencontré des femmes humaines modernes (qui quittèrent volontairement leur clan ou qui furent kidnappées, bien que cette seconde possibilité aurait entraîné des représailles au détriment des Néandertaliens) et eurent une descendance féconde. En théorie et jusqu'à preuve du contraire, en parallèle on ne peut pas exclure la situation opposée où des hommes modernes eurent des enfants féconds avec des femmes de Néandertal qui quittèrent leur clan. Sur le plan sociologique, c'est le concept de patriarcat et la règle de filiation patrilinéaire où l'autorité et héritée de père en fils.

Pour rappel, les Néandertaliens et les hommes modernes partagent 98.5% de leur ADN. Il y a 40000 ans, le génome des Homo sapiens possédait jusqu'à 6 à 9% d'ADN néandertalien (cf. Q.Fu et al., 2015), taux qui diminua de nos jours entre 2 et 4%. Sachant que les deux espèces se sont côtoyées durant des dizaines de milliers d'années, il est raisonnable de penser que l'homme de Néandertal disparut du fait qu'il fut assimilé par l'Homo sapiens. Néandertal n'a donc pas totalement disparu puisque notre génome garde des traces de son existence, ce qui rapproche encore un peu plus Néandertal des humains modernes.

Une autre étude confirma ce métissage et cette assimulation progressive des Néandertaliens par les humains modernes.

Les signes annonciateurs d'une extinction

Au cours du IXe Symposium International sur l'Archéologie Biomoléculaire (ISBA9) qui s'est tenu en juin 2021, une équipe de chercheurs comprenant le paléogénéticien Svante Pääbo de l'Institut Max Planck présenta les résultats de nouvelles analyses génétiques de 14 Néandertaliens découverts dans les grottes de Chagyrskaya et d'Okladnikov dans l'Altaï Sibérien. Cette petite population vécut entre 51000 et 45000 ans à seulement 50 et 130 km de la célèbre grotte de Denisova où habitaient leurs proches cousins, les Dénisoviens (entre 270000 et 50000 ans).

L'analyse de l'ADN nucléaire montra qu'ils étaient plus proches des derniers Néandertaliens découverts en Espagne que des premiers Dénisoviens vivant à proximité, suggérant qu'il s'agit de migrants dont la population comptait seulement quelques centaines d'hommes et leur famille. En revanche, contrairement au chromosome Y et à l'ADN nucléaire, l'ADNmt de ces hommes et femmes néandertaliens était relativement diversifié, ce qui implique que plus de membres féminins ont contribué à la survie de cette population que les hommes. Toutefois, les analyses ADN ont montré des signes inquiétants d'une faible diversité génétique. Selon le biologiste et informaticien Laurits Skov, coauteur de cette étude, "Si vous deviez imaginer cette population de Néandertal de nos jours, ce serait une population en voie de disparition".

Répartition des individus Néandertaliens et du Dénisovien, de leur groupe sanguin (système ABO) et facteur rhésus. Document S.Condemi et al. (2021).

En complément, dans une étude publiée dans la revue "PLOS One" en 2021, l'équipe de Silvana Condemi du CNRS/Aix-Marseille Université analysa le génome de trois Néandertaliens et d'un Dénisovien ayant vécu il y a ~130000 à 45000 ans afin de déterminer leurs groupes sanguins, en se concentrant sur les systèmes ABO déterminant les groupes A, B, AB et O et le facteur rhésus.

Alors qu'on a longtemps cru que les Néandertaliens étaient tous du groupe O (comme les chimpanzés sont tous du groupe A et les gorilles du groupe B), l'analyse montra des combinaisons cohérentes avec l'origine africaine des deux anciennes espèces humaines.

Les Néandertaliens de Chagyrskaya (51000-45000 ans) et de l'Altaï (130000-90000 ans) sont du groupe sanguin A+ (bien que le rhésus soit partiellement déterminé), ceux de Vindija (65000-50000 ans) sont du groupe B+ (partiel) tandis que le Dénisovien (76000-52000 ans) est du groupe O+.

Plus étonnant, pour l'un des gènes déterminant le rhésus, les Néandertaliens présentent une combinaison unique qui n'a jamais été rencontrée chez les humains modernes... sauf chez un Aborigène et un Papou. On en déduit que ces deux individus sont les lointains descendants d'un métissage entre Néandertaliens et des humains modernes pouvant peut-être remonter avant la migration de ces derniers vers l'Asie du Sud-Est.

Enfin, les analyses montrent également la très faible diversité génétique des Néandertaliens et met en évidence l'éventuelle présence d'une maladie hémolytique du nouveau-né, notamment lorsque la mère néandertalienne porta le fœtus d'un Homo sapiens ou d'un Dénisovien. L'anomalie est provoquée par une incompatibilité génétique liée au rhésus connue sous le nom d'incompatibilité fœto-maternelle.

Même de nos jours, chez les humains modernes, cette maladie hémolythique du nouveau-né peut entraîner une élévation du taux de bilirubine dans le sang (hyperbilirubinémie), une baisse du nombre de globules rouges (anémie) et, très rarement et dans les cas les plus graves, un décès.

Ces indices consolident l'hypothèse selon laquelle cet appauvrissement du pool génétique combiné à un faible taux reproductif furent les signes annonciateurs de l'extinction des Néandertaliens 5000 à 10000 ans plus tard (cf. Science, 2021).

L'espèce Homo neanderthalensis s'est éteinte en Europe quelques milliers d'années après la venue de l'Homo sapiens. C'est très court et on ne peut pas éviter d'établir un lien de cause à effet. On y reviendra dans l'article L'Homo sapiens a-t-il tué les autres espèces humaines ?

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[1] Les effets de la consanguinité apparaissent rapidement chez les sujets concernés avec une affaiblissement des défenses immunitaires et des déformations physiques, notamment sur le visage, des handicaps et des stérilités en l'espace de quelques générations. Rappelons que le taux de consanguinité d'un mariage entre frère et soeur atteint 25%, entre mère et fils ou père et fille de 25%, entre grand-père et petite-fille de 12.5%, entre grand-mère et petit-fils de 12.5%, entre oncle et nièce de 12.5% et entre cousin et cousine de 6.25%. En 2014, en moyenne dans le monde 15% des mariages étaient consanguins avec un triste record de 40 à 49% en Tunisie (cf. Anwar et al., European Journal of Public Health, 2014) ! Aujourd'hui, dans certains départements français des Hauts-de-France ou le long de la côte d'Azur, le taux de consanguinité dépasse 30%. En 1998, il atteignit 29% au Maroc et même 38% dans la population belgo-marocaine (cf. G.Reniers, 1998). On rapporte des taux similaires dans certains régions du Québec, dans des populations musulmanes et chez les juifs Ashkénaze. Il fut même une époque au Luxembourg où le ministère de la santé conseilla à ses citoyens de chercher son alter-ego hors frontière. Le taux de consanguinité n'avait pas été publié mais fut certainement très supérieur à la moyenne européenne. Pour éviter tout risque, dans la plupart des pays la loi interdit certains mariages en famille jusqu'au troisième degré (cf. l'inceste). De nos jours, cette consanguinité très élevée dans certaines populations a deux explications. La première, en raison de la petite taille du pays ou du groupe ethnique, de la pression démographique étrangère et de la solidarité entre citoyens partageant la même culture (ou religion) et la même langue, ceux-ci préfèrent se marier entre eux plutôt qu'avec des étrangers, même des pays limitrophes. Deuxième raison, les politiques de regroupement familial inciteraient les jeunes migrants à faire preuve de solidarité, les conduisant à se marier avec un membre de leur famille afin de lui permettre d'acquérir la nationalité du pays.


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