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L'élimination des bactéries et virus

De la pandémie à la maladie endémique (I)

Malgré ce titre optimiste, il est faux de croire qu'on peut éradiquer les virus ou les pathogènes en général de la surface de la Terre. Le cas de la pandémie de Covid-19 que nous affrontons depuis fin 2019 va nous servir d'exemple pour comprendre la difficulté du problème.

Le cas de la pandémie de Covid-19

Si nous prenons l'exemple du SARS-CoV-2 qui propage la Covid-19, même si le taux de reproduction de base, le fameux "Ro" (cf. la modélisation des épidémies) tombe à zéro un jour ou l'autre, le virus pourrait ne jamais disparaître.

Dans les premiers jours de la pandémie en Occident en 2020, de nombreuses personnes espéraient que le Covid-19 disparaîtrait tout simplement. Constatant qu'il était toujours là quelques mois plus tard, certains ont imaginé que le virus ne résisterait pas à la chaleur estivale ou que l'immunité collective mettrait fin à la pandémie. Mais rien de tout cela n'est arrivé. Au contraire, la pandémie a ralenti dans certaines régions du monde mais continua sa progression ailleurs. Les mesures sanitaires insuffisantes ou inadaptées dans certains pays, le manque de sens civique de certains jeunes et des touristes, la vulnérabilité de certaines populations et la lenteur relative de fabrication des vaccins n'ont rien arrangé.

Le 26 septembre 2020, Richard Horton, le rédacteur en chef de la revue "The Lancet" considérait que la pandémie de Covid-19 avait plutôt les caractéristiques d'une syndémie du fait qu'elle combine plusieurs pathologies dont certaines chroniques : "L'interaction du Covid-19 avec la hausse mondiale continue ces trente dernières années des maladies chroniques et de leurs facteurs de risques, dont l'obésité, l'hyperglycémie et la pollution atmosphérique, a créé les conditions d'une tempête, alimentant le nombre de morts du Covid-19".

C'est l'anthropologue de la santé (ou anthropologue médical) américain Merrill Singer qui inventa le concept de "syndémie" en 1990 (cf. M Singer, 2009). Il avait constaté que depuis les années 1960 des pathologies chroniques non transmissibles se sont multipliées un peu partout dans le monde, dont les maladies dites de civilisation (obésité, diabète, les effets de l'alcoolisme et du tabagisme, etc) et les cancers dus aux innombrables pollutions d'origines humaines. C'est pour décrire cet "entrelacement de maladies en interactions et s'aggravant réciproquement" rendant presque impossible de les traiter séparément qu'il inventa ce néologisme (syndémie vient du grec "sýn" signifiant "avec" ou "ensemble" et "démos" signifiant le peuple").

Peut-on espérer éradiquer le Covid-19 ? Début 2022, dans certaines régions du monde la situation sanitaire n'était pas encore sous contrôle, en particulier dans les pays aux revenus les plus faibles où moins de 7% (et parfois 0%) de la population était totalement vaccinée (contre 94% dans certains pays comme les Emirats Arabes Unis et 72% en moyenne en Europe, cf. Our World in Data).

Dans ces pays dont beaucoup sont situés en Afrique, le SARS-CoV-2 peut donc toujours se propager, subir des mutations et former de nouveaux variants face auxquels les vaccins n'offrent pas toujours de protection. Ces nouveaux variants peuvent donc se propager à travers le monde et relancer la pandémie, en commençant par contaminer les personnes fragiles, affaiblies sur le plan immunitaire et celles présentant des facteurs de risque est donc important que les biostatisticiens prédisent ces mutations et que les laboratoires pharmaceutiques aient une longueur d'avance sur le virus.

Déjà le 13 mai 2020, après la première vague épidémique en Europe et l'arrivée d'une deuxième en Asie, lors d'un briefing de l'OMS, à la question de savoir "combien de temps faudra-t-il pour qu'un nombre suffisant de personnes soient infectées et que cette maladie s'installe dans une phase endémique", Mike Ryan, spécialiste des urgences sanitaires à l'OMS, répondit : "Nous ne pourrons jamais et je pense qu'il est important de mettre cela sur la table; ce virus peut devenir juste un autre virus endémique dans nos communautés et ce virus peut ne jamais partir".

Dans un article publié dans la revue "Science" le 14 octobre 2020, Jeffrey Shaman et Marta Galanti de l'École de Santé Publique de l'Université de Columbia confirment que même en disposant d'un vaccin ou d'un traitement efficace, le Covid-19 pourrait ne jamais disparaître. En effet, même en imaginant que le virus ne représenterait plus une menace immédiate pandémique, le Covid-19 peut encore devenir endémique, c'est-à-dire qu'il pourrait continuer à se propager lentement et durablement du fait qu'il se propage comme les maladies saisonnières. Le virus continuera à provoquer localement des épidémies, tout comme la grippe saisonnière ou les rhumes.

Document Floriabicher/Getty Images.

Dans une autre étude publiée dans la revue "Science" le 12 janvier 2021, Jennies S. Lavine de l'Université d'Atlanta et ses collègues ont étudié les données immunologiques et épidémiologiques des coronavirus humains endémiques et modélisé leur évolution. Ils sont arrivés à la conclusion "qu'une fois la phase endémique atteinte et que les enfants auront été précocement exposés, la Covid-19 ne serait pas plus virulente que le rhume". En revanche, ils prédisent "un résultat différent pour un coronavirus émergent qui provoque une maladie grave chez les enfants. Ces résultats renforcent l'importance de la vaccination pendant la phase pandémique tout en évaluant l'intérêt de la poursuivre durant la phase endémique".

Fin 2021, nous avons consataté que si la troisième dose "booster" du vaccin contre le Covid-19 a fortement augmenté la réponse immunitaire, elle n'a pas arrêté le variant Omicron. Les vaccins ayant des performances qui répondent aux variants actifs au moment de leur dévelopement, une course au vaccin est pour ainsi dire programmée. Ainsi, le 15 avril 2021, Albert Bourla, CEO de Pfizer, déclara sur la chaîne américaine CNBC : "il y aura une vaccination à nouveau chaque année, mais tout cela doit être confirmé".

L'immunité collective contre le Covid-19 serait-elle une utopie ? Pour plus d'un médecin et chercheur, atteindre l'immunité collective contre le Covid-19 au niveau mondial ou même régional, est un leurre. En effet, les variants du SARS-CoV-2 sont présents dans tous les groupes d'âge, dans toutes les populations, et tout le temps. Tant que toute la population ne sera pas immunisée et qu'il existera des foyers d'infection non identifiés, il sera pratiquement impossible d'éradiquer cette maladie. Mais ce n'est pas la première fois que cela arrive.

L'histoire des pandémies

L'histoire des pandémies résumée ci-joint regorge d'exemples aussi frustrants. Qu'ils soient bactériens, viraux ou parasitaires, pratiquement tous les agents pathogènes qui ont touché l'humanité au cours des derniers millénaires sont toujours présents parmi nous car il est presque impossible de les éradiquer totalement.

La seule maladie qui fut éradiquée est la variole en 1980... après 100 ans de vaccination ! Des réussites comme celle-ci sont donc exceptionnelles. La règle est plutôt le contraire : les maladies persistent.

C'est le cas par exemple de la malaria (le paludisme) qui fait encore beaucoup de victimes de nos jours : selon l'OMS en 2018 on dénombra environ 228 millions de cas et 405000 décès dans le monde. Malgré les efforts et l'utilisation systématique du DDT et de la chloroquine, la maladie est toujours endémique dans de nombreux pays tropicaux.

Même situation pour des maladies comme la tuberculose, la lèpre et la rougeole qui nous accompagnent depuis plusieurs millénaires. Leur éradication n'est toujours pas en vue.

Date

Infection

Décès

Remarque

-430

Peste d'Athènes

100000

Première pandémie trans-régionale identifiée

541

Peste de Justinien (Yersinia pestis)

30-50 millions

Pandémie, tua la moitié de la population mondiale

1347-1351

La Peste Noire (Yersinia pestis)

50-200 millions

Pandémie, tua >25% de la population mondiale

1494

Syphilis (Treponema pallidum)

> 50000

Pandémie américaine transmise aux Européens

c.1500

Tuberculose

Des millions

Devint pandémique au Moyen-Âge

1520

Hueyzahuatl (Variola major)

3.5-56 millions

Pandémie transmise au Nouveau Monde par les Européens

1600s

Les Grandes Pestes

3 millions

Épidémies répétées en Europe

1793-1798

Peste américaine

~150000

Fièvre jaune qui terrorisa les colonies américaines

1817-1923

Choléra

1 million

6 pandémies se propageant de l'Inde à l'Europe/Occident

1855

Peste

12 millions

3e pandémie de peste

1889-1890

Grippe russe (ou asiatique)

1 million

Récurrences entre 1891 et 1895

1918

Grippe espagnole

50 millions

Récurrences pandémiques en 1957, 1969 et 2009

1976-...

Ebola

15258

Un total de 30 épidémies régionales jusqu'en 2021. En cours

1968-1970

Grippe de Hong-Kong

1-4 millions

Sous-type H3N2 recombiné à partir du H2N2 de la grippe A

1969

Conjonctivité Aiguë Hémorragique

2

Pandémie en 1981

1981-...

VIH/SIDA

~37 millions

Pandémie en cours

2002

SARS

813

Quasi-pandémique

2009

Grippe porcine H1N1

284000

5e pandémie de grippe du siècle

2014

Chikungunya

203

Pandémie atypique transmise par le moustique

2015

Zika

1000? *

Pandémie transmise par le moustique

2019-...

SARS-CoV-2 (Covid-19)

> 6 millions

Pandémie en cours

Principales pandémies entre -430 et 2021. Dans la majorité des cas, les estimations de mortalité sont imprécises.

* La plupart des décès lié à Zika sont des foetus ou relatifs à des infections congénitales sévères.

Adapté de D.M. Mores et A.S. Fauci, Cell, 2020.

Ajoutons à ce cocktail des agents pathogènes relativement plus jeunes, tels que le VIH, Ebola, les Influenzavirus de la grippe et les coronavirus, notamment le SARS, le MERS et le SARS-CoV-2 et le tableau épidémiologique global devient clair.

Les recherches sur la charge mondiale de morbidité (cf. C.M. Michaud, 2009) montrent que la mortalité annuelle causée par les maladies infectieuses - dont la plupart surviennent dans les pays en développement - représente près d'un tiers de tous les décès dans le monde.

Aujourd'hui, à l'heure des voyages en avion, du changement climatique et des perturbations écologiques, nous sommes constamment exposés à la menace de maladies infectieuses émergentes tout en continuant de souffrir de maladies beaucoup plus anciennes qui restent bien actives. Ajoutées au répertoire des agents pathogènes qui affectent les sociétés humaines, la plupart des maladies infectieuses sont là pour rester.

La politique joue ici un rôle crucial : lorsque les programmes de vaccination sont affaiblis, les infections peuvent réapparaître. Il suffit de prendre l'exemple de la rougeole et de la polio qui réapparaissent dès que les efforts de vaccination échouent.

A gauche, les maladies infrectieuses, y compris émergentes, résultent d'interactions entre des agents infectieux, des hôtes et l'environnement. Au centre, les maladies infectieuses émergentes ou ré-émergentes entre 1981 et 2020. A droite, les pandémies historiques. Documents D.M. Mores et A.S. Fauci, (2020) et adapté de Visual Capitalist (2020). 

Compte tenu de ces précédents historiques et contemporains, l'humanité ne peut qu'espérer que le SARS-CoV-2 se révélera être un pathogène traitable et éradiquable. Mais l'histoire des pandémies nous porte à croire que cet espoir est quasi utopique. On en reparlera dans les prochaines années.

En attendant ce jour mémorable, voyons comment peut-on se débarrasser des virus à court ou moyen terme.

Elimination naturelle

Éliminer un virus pathogène n'est pas trop difficile s'il reste localisé dans un seul foyer, un village isolé par exemple. Soit le porteur est sain et son organisme va l'éliminer, soit le porteur devient malade et peut en mourir s'il n'est pas traité. En cas de décès du patient, la souche virale s'éteint à condition que le cas reste isolé et soit idéalement incinéré.

Le cas de la grippe

La phylogénie des virus de la grippe est complexe et une brève introduction est utile. La famille des Orthomyxoviridiae comprend 4 genres d'Influenzavirus et autant d'espèces (A, B, C et D). Seules la grippe A et la grippe B provoquent des maladies chez les humains. Deux sous-types sur les 29 existants du virus de la grippe A se transmettent entre humains, H1N1 et H3N2. Ces deux sous-types sont subdivisés en clades, les virus H3N2 étant plus diversifiés que H1N1. Notons qu'on parle de variant uniquement si le clade ou la mutation est présente chez la version humaine du virus.

Microphotographie TEM en fausses couleurs du virion ou virus de la grippe A (Influenza A). Document Frederick Murphy/CDC.

La grippe B n'a pas de sous-types, mais ses virus se divisent en deux souches : B/Victoria/2/87 et B/Yamagata/16/88. Il y a encore quelques années un seul des virus B était inclus dans les vaccins contre la grippe saisonnière, mais vu la prolifération des sous-types et variants la plupart des nouveaux vaccins sont quadrivalents; ce sont des vaccins "quatre en un" qui incluent une version de chacun des virus H1N1 et H3N2 et les deux virus B.

Les Influenzavirus sont des virus à ARN monocaténaire (simple brin) comme le Covid-19, à la différence que les premiers sont à polarité négative (antisens). Cela signifie que la séquence génétique de l'ARN viral est complémentaire de celle des ARNm susceptibles d'être traduits en protéines. Les séquences doivent donc d'abord être transcrites en ARNm (par une ARN polymérase) qui seront ensuite traduites en protéines. Le virus Ebola fonctionne de la même manière.

Comme les autres virus, ceux de la grippe A subissent continuellement des mutations. Mais depuis 2012, le sous-type H3N2 a commencé à se comporter différemment. Des clades de virus se sont progressivement éloignés du sous-type H3N2 utilisé dans les vaccins antigrippaux, affectant leur efficacité. Ainsi on constata durant la saison grippale 2017-2018 que le vaccin antigrippe n'avait réussi à protégé que les trois quarts de la population américaine contre la souche H3N2 en circulation. En Europe, l'efficacité globale du vaccin ne fut que de 15 à 46% avec un pic précoce durant la 52e semaine de l'année suivi d'une chute rapide mais l'épidémie persista jusqu'en juin 2018 (cf. Flu News Europe).

Mais un effet avantageux inattendu de la pandémie de Covid-19 a peut-être résolu ce problème ou du moins rendu la diversité des virus grippaux plus gérable. En effet, pour tenter d'éliminer le Covid-19, on nous a imposé des mesures de confinement, le port du masque facial, la distanciation sociale et les restrictions de voyage, entraînant une chute du taux de transmission du Covid-19 mais également de celui de la grippe saisonnière qui est tombé à des niveaux historiquement bas dans le monde (cf. OMS; CDC, 2020).

Il semble que l'un des clades H3N2 soit même éteint. Le même phénomène se serait également produit avec l'une des deux nouvelles souches du virus de la grippe B connue sous le nom de B/Yamagata/16/88.

Ni l'un ni l'autre n'a été détecté depuis plus d'un an. En fait, c'est en mars 2020 que des séquences virales de B/Yamagata et du clade H3N2 connu sous le nom du variant 3c3.A ont été mises à jour dans les bases de données internationales de surveillance de l'Influenzavirus.

Cela ne veut pas dire qu'ils sont définitivement éteints. En effet, la seconde souche B/Victoria/2/87 avait disparu en 1991 mais elle réapparut en Amérique du Nord en 2000-2001 puis en 2002-2003.

Aujourd'hui, si le pool mondial des virus de la grippe a vraiment diminué, ce serait une très bonne nouvelle pour les spécialistes car leur extinction faciliterait grandement la sélection saisonnière des souches virales à inclure dans les futurs vaccins antigrippaux. Selon Ben J. Cowling, spécialiste de la grippe à l'Université de Hong Kong, on pourrait se contenter d'un vaccin trivalent.

Aperçu de la diversité génétique des virus de la grippe. A ce jour, plus de 20000 séquences génétiques ont été identifiées dont 1675 pour H3N2 depuis 2013 et seulement 396 en 2020. Document GISAID.

Mais Cowling fait partie des sceptiques quant à la question de savoir si B/Yamagata est réellement éteint. En fait, la plupart des épidémiologistes restent prudents car souvent ces virus continuent de circuler à des niveaux très faibles dans des endroits non protégés de la planète (là où il n'y a ni vaccin ni gestes barrières).

Selon Cowling, les variants du virus B/Yamagata n'ont pas disparu, rappelant que les souches virales de la grippe B sont parfois absents durant quelques années puis réapparaissent.

Les mesures utilisées pour ralentir la propagation du Covid-19 eurent un impact très important sur la transmission d'un certain nombre de virus respiratoires. D'abord l'Influenzavirus puis sur le virus respiratoire syncytial (RSV) et de nombreux autres maladies transmises par les insectes qui nous affligent pendant la saison du rhume et de la grippe qui furent totalement absents pendant la pandémie de Covid-19.

Concrètement, au cours d'une année typique, les séquences génétiques d'environ 20000 virus de la grippe sont enregistrés dans la base GISAID. Or au cours de l'année 2020, seulement 396 génomes ont été téléchargés dont ceux du clade 3c3A (par comparaison, depuis son identification le 21 décembre 2019, la base Nextstrain a répertorié 4001 séquences génétiques du SARS-CoV-2 dont 2899 séquences depuis le 1er janvier 2021. Le Covid-19 est loin d'être éteint !).

Toutefois il faut nuancer les données de GISAID et se ralier à l'avis de Cowling. La chute drastique du nombre de mutations du virus de la grippe est probablement dû en partie au fait que les laboratoires qui effectuent le séquençage viral donnent la priorité aux études sur le SARS-CoV-2. Malgré tout, on constate qu'il y a beaucoup moins de transmissions de la grippe dans le monde; le pool de virus de la grippe humaine s'est effondré. En effet, jusqu'en 2020 il y avait cinq ou six clades H3N2 en circulation et depuis 2021 il n'en reste deux ou trois.

Bien qu'il y ait eu peu de cas de grippe dans le monde en 2020-2021, il reste des endroits qui ont connu des épidémies de grippe pendant la pandémie de Covid-19. La grippe B (souche B/Victoria) a touché la Chine tandis que l'Afrique de l'Ouest, le Bangladesh et le Cambodge furent touchés par le sous-type H3N2.

Selon Richard Webby, directeur du centre de l'OMS pour les études sur l'écologie de la grippe chez les animaux et les oiseaux, il y a toutefois un biais dans les données de GISAID sur la grippe. Seule une partie des virus de la grippe ont été séquencés, de sorte que les prédictions sur leur propagation ou leur extinction sont basées uniquement sur ce qui est disponible dans la base de données. Malgré cette incertitude, Webby pense qu'il y a eu une grande réduction de la diversité des virus actifs de la grippe. Nous verrons si cela se maintiendra dans les années à venir.

Si cela ce confirme, ce sera une bonne chose car H3N2 est surnommé "le virus des maux de tête" pour reprendre l'expression de Webby. Même si sa contagiosité (Ro entre 0.9 et 2.1) est plus faible que celle du Covid-19 et du rhume, qu'il perdre un peu de sa diversité arrangerait tout le monde !

Les défenses du système immunitaire

Pour se défendre face à un pathogène viral, les défenses du système immunitaire du patient, c'est-à-dire les différents types de globules blancs notamment que l'organisme peut produire, vont initier une série de réactions pour tenter d'éliminer le virus. Ces défenses propres à chaque individu sont complétées chez les vertébrés par une immunité qui peut être soit innée (acquises à la naissance) et activée localement, au sein même des cellules infectées, soit adaptative et spécifique, initiée à grande échelle et capable de fournir une réponse adaptée à l'intrus.

Les globules blancs sont les armes de défense de notre système immunitaire. Document Bruce Blaus adaptés par l'auteur.

Certaines bactéries étant pathogènes et à l'origine de maladies, la nature a développé  plusieurs mécanismes pour les éliminer :

Les globules blancs ou leucocytes sont des macrocellules dont la taille varie entre 6 et 20 microns (contre 7 microns pour un globule rouge et dix fois moins pour les virus) mais elle peut atteindre 200 microns soit 0.2 mm. Les plus connus sont les lymphocytes T qui arrivent à maturité dans le thymus (d'où le T). Ces cellules luttent contre les bactéries et tous les agents infectieux, y compris les greffons étrangers.

Différents types de leucocytes s'attaquent aux bactéries : il y a les cellules sanguines circulantes comme les neutrophiles (les plus nombreux) ou les monocytes et les cellules résidentes tissulaires comme les macrophages. Ces derniers peuvent vivre dans l'organisme plusieurs mois et même des années. Ces leucocytes sont capables de répondre de manière adaptative à la présence de tout entité étrangère, notamment les agents pathogènes et autres débris présents dans le sang.

Pour éliminer les bactéries et autres intrus, les macrophages et autres neutrophiles procèdent par phagocytose. Comme un prédateur suit la piste odorante de sa proie, les macrophages recherchent les protéines libérées dans le milieu par les bactéries jusqu'à les localiser. Ensuite, s'engage une réelle course poursuite car tous les intrus ne se laissent pas toujours attraper. Lorsque la bactérie est cernée par le macrophage, grâce à des cellules spécialisées présentes sur la surface du macrophage, chaque bactérie est engluée et isolée à l'intérieur d'une structure appelée le phagosome où des enzymes digestives détruisent la bactérie. Les résidus de cette décomposition sont inoffensifs et sont soit utilisés par la cellule soit éliminés de l'organisme avec l'urée.

Notons que si l'agent infectieux est trop puissant ou s'il s'agit d'une lésion (même sur l'épiderme), les mécanismes de défense de l'organisme réagissent immédiatement pour détruire les substances étrangères mais souvent de manière excessive en produisant une inflammation (allant de la rougeur à l'oedème purulent ou à l'ulcère) que l'organisme va essayer de combattre seul mais avec du temps et parfois sans succès soit grâce à des désinfectants ou des médicaments anti-inflammatoires.

Les virus bactériophages

Il s'agit de virus bactériens qui infectent les bactéries en insérant leur matériel génétique dans l’ADN de leur hôte afin de détruire la cellule au cours de la réplication. La plupart des virus sont bactériophages.

Dans l'éventualité où le système immunitaire de la personne contaminée est affaibli, les agents antibactériens sont incapables de contenir une infection et la maladie s'installe. Aussi, la piste des virus bactériophages reste une solution performante très prometteuse (cf. F.Ravat et al., 2015).

Comment agit un bactériophage ? Son ADN qui contient souvent des fragments génétiques d'autres bactéries précédemment infectées, s'intègre à celui de la bactérie pathogène qu’il a pris pour cible et se réplique avec elle, entraînant la mort de son hôte. L'avantage est que le bactériophage est inoffensif pour l'humain et chaque variété n'attaque qu'une seule espèce de bactérie.

En présence de bactéries ultra résistantes, on peut également recourir à la phagothérapie, une technique née dans les années 1920 : on injecte des phages dans l'organisme pour lutter contre l'infection (cf. A.Dublanchet et E.Fruciano, 2008; N.Dufour et L.Debarbieux, 2017). Les bactéries pseudomonas par exemple empêchent la guérison de certaines plaies ou envahissent des prothèses. Les staphylocoques dorés sont responsables d'infections ORL ou osseuses. Dans les deux cas, l'infection peut devenir chronique et le patient risque l'amputation.

A voir : Macrophage détruisant des bactéries par phagocytose, TLV

Bactéries phagocytées par des neutrophiles, TLV

Lymphocytes NK détruisant une cellule cancéreuse, TLV

A gauche, des bactériophages T4 attaquant une bactérie E.Coli. A droite, cycle de vie d'un T4. Documents Eye of Science/Science Source et Gopixpic adaptés par l'auteur.

Aujourd'hui la phagothérapie peut guérir ces patients grâce à l'injection intraveineuse, l'ingestion orale ou l'application directe sur la plaie ou la muqueuse d'une solution concentrée de bactériophages spécifiques à la bactérie pathogène, parfois en alternance avec un traitement par antibiotique. La phagothérapie est porteuse de beaucoup d'espoirs et est proposée depuis quelques années par certains hôpitaux pilotes en France, en Belgique et en Suisse dans le cadre du programme européen Phagoburn (la Géorgie la propose aussi mais sans garantie et donc à vos risques, même si jusqu'à présent les patients sont satisfaits).

Actuellement le traitement par phages est toujours en phase expérimentale et n'est prescrit qu'à des patients gravement atteints pour lesquels les antiobiotiques n'ont presque plus d'effet et comme solution de dernier recours. L'injection intraveineuse fait également l'objet d'un contrôle très strict car le patient risque de faire un choc pouvant lui être fatal.

Bonne nouvelle, les agences nationales des médicaments soutiennent ces projets et des médicaments à base de phages sont déjà au stade des essais cliniques. Ils sont prescrits à ces patients mais coûtent cher. Malheureusement, les Big Pharma ne s'intéressent pas à ce marché qu'ils jugent trop étroit et trop personnalisé et donc peu rentable.

 Ceci dit, certains chercheurs considèrent que la phagothérapie n'est pas un remède "miracle" face à la résistance d'un nombre toujours plus élevé de bactéries ou pouvant remplacer les antibiotiques. Mais il faut souligner que la phagothérapie peut s'adapter à chaque bactérie pathogène et à l'avantage de guérir des patients là ou les antiobiotiques perdent leur pouvoir.

Dans des conditions qui leur sont favorables (environnement, pH, température, pression, potentiel d'oxydo-réduction), ainsi que nous l'avons dit la population des bactéries double toutes les 20 ou 30 minutes en moyenne. Ainsi, en l'espace de 1 heure une bactérie pour donner naissance à plus de 1 million d'individus. Lors d'une infection urinaire par exemple, on dénombre 10000 bactéries/ml de sang (leur décompte se fait sur gélose en unité formant colonie par millilitre ou gramme, UFC/ml ou UFC/g). Cette prolifération d'agents pathogènes explique pourquoi une plaie non soignée et aussi petite soit-elle exposée à l'air subit rapidement une inflammation. En revanche, si le processus de cicatrisation a commencé, on observe une réduction de l'inflammation.

Une maladie contagieuse suit un processus différent. Après avoir contaminé son hôte, des milliards de bactéries pathogènes (et bien plus) sont en incubation dans l'organisme du patient. Si la maladie n'est pas encore déclarée (avec des symptômes apparents), le patient peut voyager à travers le monde et contaminer les personnes qu'il croise. En 24 heures, ce sont des millions de milliards de vecteurs potentiels de maladie qui peuvent se disséminer dans la nature. C'est l'infection générale, l'épidémie.

Ce n'est donc pas sans raison que les pandémies sont des situations d'urgence, parfois catastrophiques quand elles entraînent la mort, et qu'on demande à chacun de se laver tous les jours et de se laver les mains plusieurs fois par jour. Nous verrons plus loin que la situation est encore plus dangereuse avec les virus.

Des protozoaires virophages

Dame Nature est une maître d'oeuvre géniale qui a inventé les virus mais également les moyens pour les éliminer ! "Manger ou être mangé" est bien une expression de Dame Nature qui a tissé partout sur la planète des liens entre toutes les communautés et les a réunies dans un réseau tentaculaire de chasseurs et de proies, de producteurs, de consommateurs, de détritivores et de charognards. Même les virus avec leurs stratégies de reproduction très sophistiquées ont été pris en compte dans ce grand dessein de la nature.

Jusqu'à présent, il n'y avait aucune preuve solide qu'un organisme pouvait se nourrir de virus pour en extraire l'énergie ou leurs nutriments élémentaires dont il avait besoin. En effet, les virus sont riches en phosphore et azote et pourrait potentiellement être un bon complément à une alimentation riche en carbone qui pourrait inclure des proies cellulaires ou des colloïdes marins riches en carbone.

En 2020, des chercheurs ont découvert dans les eaux de surface du Golfe du Maine au large des côtes de l'Amérique du Nord et en Méditerranée au large de la Catalogne, en Espagne, les premiers exemples d'organismes unicellulaires se nourrissant de virus. Les chercheurs ont rassemblé près de 1700 spécimens de protozoaires (ou protistes) appartenant à plus de 10 phyla (ou clades sur le plan systémique). Leur organisme contenait des séquences de virus à ADN et des virions de bactériophages T4 - des agents pathogènes qui envahissent et se répliquent à l'intérieur des cellules bactériennes -, qui ne seraient pas là pour les infecter mais qui leur ont servi de nourriture ! La fraction de cellules contenant l'ADN viral variait entre les phyla mais la proportion atteignait 100% chez les choanozoaires et les picozoaires. Ce sont les premiers vrais virophages connus de la Science (cf. J.M. Brown et al., 2020).

Selon les auteurs, 49% des spécimens analysés à partir de l'échantillon méditerranéen contenaient des séquences associées à des bactéries susceptibles d'avoir été consommées par le plancton. 51% des spécimens contenaient des extraits de gènes d'au moins 50 virus différents. Pour les échantillons prélevés dans le Golfe du Maine, cette proportion était proche de 19%. Les séquences virales étaient un peu plus courantes. La plupart des séquences virales semblaient provenir de bactériophages.

A gauche, un Picomonas judraskeda, le premier membre du phylum des Picozoaires (Picozoa) formant le plancton découvert en 2007. A droite, illustration de bactériophages (en rouge) infectant une bactérie. Documents R.Seenivasan et al. (2013) et Design Cells/Getty Images.

Les biologistes marins savent que les bactéries sont une source de nourriture courante pour les protozoaires marins, mais la découverte de virophages chez les protozoaires est surprenante. Dans de nombreux cas, dans les spécimens analysés il n'y avait pas un seul fragment d'ADN bactérien. Sans aucun signe de "repas bactérien", il est difficile de savoir comment les gènes des bactériophages ont pu se retrouver à l'intérieur de cellules planctoniques. De plus, les deux groupes de protozaires qui sont complètement différents partageaient des séquences virales presque identiques, ce qui rend difficile de prétendre qu'une infection en était responsable.

Bien que les preuves que ces protozoaires se sont nourris de virus puissent être circonstancielles, les traces d'ADN viral sont des indices significatifs comme le seraient les miettes qu'on aurait sur les doigts en refusant d'admettre qu'on a mangé des chips !

Mais ces protozoaires n'ont-ils pas absorbé des cellules infectées ? Dans un article publié dans la revue "PLOS One" en 2007, des chercheurs ont affirmé que l'appareil digestif des Picozoa est trop petit pour absorber des bactéries, mais suffisamment grand pour engloutir des particules de moins de 150 nm, qui pourraient inclure des virus (pour rappel au niveau de la tête, les bactériophages mesurent entre 24 et 200 nm mais il en existe mesurant jusqu'à 300 nm, donc plus grands que certaines bactéries).

Selon les chercheurs, "étant donné que les deux types de protozoaires sont des "membres cosmopolites de communautés protistes marines", un régime bactériophage pourrait avoir des conséquences profondes sur la façon dont nous modélisons le flux de nutriments à travers un écosystème". En effet, Stepanauskas rappelle que les micro-organismes marins représente une biomasse très importante : "La combinaison des protistes marins aux virus marins représente une biomasse bien plus élevée que toutes les baleines réunies".

Les spécialistes, zoologues et bioinformaticiens, s'attendent à ce que les nutriments contenus dans les bactéries et les protozoaires progressent vers le haut dans une chaîne alimentaire à mesure que les petits animaux sont mangés par les plus gros. Mais il existe un obstacle dans ce processus appelé le " shunt viral" : infectées par des virus, les cellules s'autodétruisent avant d'être consommées, dispersant un nuage de matière organique dans la mer. Au fond de l'océan, ce shunt s'accélère, les virus se propageant avidement à travers les procaryotes, empêchant divers réseaux alimentaires de s'établir dans l'obscurité froide.

Sachant que les rôles ont changé et que les procaryotes sont en train de se défendre, les chercheurs estiment qu'il pourrait être nécessaire d'affiner les chiffres décrivant la façon dont ce processus se déroule. Selon Brown, "L'élimination des virus de l'eau peut réduire le nombre de virus disponibles pour contaminer d'autres organismes, tout en transportant également le carbone organique dans les particules virales situées plus haut dans la chaîne alimentaire".

La mort cellulaire

Lorsque les cellules captent le signal de l'infection, parallèlement à la réponse immunitaire des phages mais dont le résultat n'est pas garanti, elles ont la possibilité de déclencher leur autodestruction, ce qu'on appelle l'apoptose (cf. la mort cellulaire) dont on voit un bel exemple à droite. Le but de cette action suicide est d'éviter la propagation du virus dans l'intérêt du plus grand nombre, la survie de l'organisme.

Ce phénomène est génétiquement programmé, ce qui signifie que si la cellule propose, ce sont les gènes qui finalement décident si la cellule doit survivre ou mourir grâce à des gènes de survie et de mort cellulaire exprimant des protéines spécifiques.

Microphotographie électronique à balayage colorisée d'une cellule (verte) attaquée massivement par des Covid-19 (jaune). En réponse à l'attaque virale, la cellule a reçu l'ordre de passer en apoptose, c'est-à-dire de s'autodétruire pour tenter d'interrompre la propagation de l'infection virale. A droite, une microphotographie électronique à balayage colorisée d'une cellule apoptique (bleue) fortement infectée par des Covid-19 (jaune). Documents Handout/Reuters et Flickr/NIH/NIAID.

Ces mécanismes immunitaires ne sont pas des armes absolues et leur pouvoir est limité. Quand l'organisme est incapable de neutraliser une attaque virale, il ne peut que subir la loi du plus fort et succomber, c'est la mort.

On peut heureusement souvent éviter cette fatalité grâce aux médicaments y compris les rayonnements et les vaccins.

Voyons quels sont les procédés, produits chimiques, rayonnements, traitements et vaccins que nous avons mis au point pour détruire ou éliminer les virus, ceux qu'on retrouve sur notre peau et sur les objets et qui nous contaminent parfois.

Deuxième partie

Elimination artificielle

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