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L'origine et l'avenir de l'Homme
L'homme de Néandertal : 430000 - 28000 ans (X) Les plus anciennes variétés de types pré-Néandertaliens existaient déjà il y a plus de 800000 ans. Ils descendent de l'Homo erectus et s'installèrent principalement dans la partie ouest de l'Asie. Ce n'est que plusieurs centaines de milliers d'années plus tard qu'on retrouve leurs descendants Néandertaliens en Europe centrale et de l'ouest. Le premier squelette d'Homo neanderthalensis fut découvert en 1830, à Engis en Belgique (voir plus bas) mais celui qui fut le plus médiatisé fut découvert en 1856 par des ouvriers d'une carrière dans la petite grotte de Feldhofer (cf. LVR) située dans une partie sous-exploitée de la Düssel dans la vallée de Néander, en Allemagne, près d'Erkrath et Mettmann, à une dizaine de kilomètres à l'est de Düsseldorf. Le squelette appelé "Feldhofer 1" ou "Neandertal 1" comprend 16 ossements dont une partie du crâne et fut originellement daté de 100000 ans mais une nouvelle datation au radiocarbone lui donne un âge de 39900 ±620 ans BP (cf. J.J. Hublin et al., 1996; Gerd-Christian Weniger in P. von Zabern, Neandertaler + Co., 2006). De nouvelles fouilles réalisées dans la grotte parvinrent à extraire des débris provenant de l'extraction de calcaire quelques outils en pierre, 20 os supplémentaires en 1997 et 40 dents humaines en 2000. Ils comprennent un morceau d'os temporal, un zygomatique et un éclat osseux du fémur gauche au niveau du genou appartenant à Neandertal 1. Le reste appartient à deux autres Néandertaliens dont un humérus appartenant à un individu appelé Neandertal 2 daté de 39240 ±670 ans BP soit du même âge que le premier spécimen et une dent de lait appartenant à un jeune entre 11 et 14 ans (cf. R.W. Schmitz et al., 2002; FAZ, 2002). Origine du nom Néandertal Le toponyme Néandertal s'appelait à l'origine "das Gesteins" (le Rocher) ou "das Hundklipp" (ou Hunnsklipp) ou simplement le "Klipp" (la falaise). Le nom fut ensuite changé en Néanderthal vers le milieu du XIXe siècle, en hommage au célèbre compositeur d'hymnes et pasteur protestant réformé allemand Joachim Neander (1650-1680) qui décrivit notamment cette vallée qu'il visitait régulièrement. Le mot "Neandertal" (Neu der thal) signifie "la nouvelle vallée". Par un heureux hasard, la racine du nom est aussi le patronyme de Joachim Neander. Selon la tradition protestante (cf. le livre de Erb Von Jörg sur les noms protestants), le grand-père de Joachim changea son nom Neumann qu'on traduisit en grec par Neo-anthropos et fut rebaptisé Neander signifiant "nouveau-né" ou "né de nouveau". L'orthographique de Néanderthal fut corrigée lors de la réforme de l'allemand en 1901 qui supprima les h superflus. Si pour les scientifiques on conserva le nom taxinomique Homo neanderthalensis, le nom commun est l'homme de Néandertal, la graphie française ayant été proposée par l'anthropologue et préhistorien français Henri-Victor Vallois en 1952. Mais le nom Néanderthal avec h , bien que démodé, est encore parfois utilisé car il dérive du nom latin (cf. CNRS, Smithsonian, Australian Museum, etc). Le nom Néandertal (initialement "Neanderthaler", le Néandertalien) est entré en usage au milieu du XIXe siècle. Découvert trois ans avant la publication de "L'Origine des espèces" de Charles Darwin, en 1856 certains paléontologues proposèrent que Néandertal était une nouvelle race sauvage proche du singe, tandis que d'autres experts n'y voyaient que le squelette d'un animal stupide sans relation avec l'humanité voire malgré tout d'un humain, un Homo sapiens, mais atteint de graves pathologies. En 1864, après des analyses morphologique et ostéologique et des études comparées, le géologue irlandais William King (1809-1886) déclara que "Peu de gens peuvent refuser d'admettre que la déficience rapproche davantage le fossile de Néandertal des singes anthropoïdes que de l'Homo sapiens" (cf. W.King, p90, 1864) et le considéra comme une espèce distincte. Mais à la toute fin de son article et après avoir étudié en détail tous les os de son squelette, malgré les différences morphologiques qu'il constata, il le classa tout de même dans le genre Homo. Il soumit son article en lecture au meeting de la British Association et ajouta en commentaire "j'ai appelé le fossile du nom de Homo Neanderthalensis; mais je me sens maintenant fortement enclin à croire qu'il est non seulement spécifiquement mais généralement distinct de l'Homme" (cf. W.King, p96, Note †, 1864). A voir : Neanderthal Museum
Préjugés et dogmatisme Dans l'esprit des plus dogmatiques, l'homme de Néandertal ne pouvait pas être un Homo sapiens, un privilège réservé à l'humanité. C'est la raison pour laquelle on inventa l'Homo sapiens sapiens de manière à différencier l'homme moderne de tous les autres Homo sapiens. Néandertal devenait ainsi une "sous-espèce" par rapport à l'Homme... Un siècle plus tôt, dans la dixième édition de son "Systema Naturae" (1758), le naturaliste et explorateur suédois Carl von Linné avait classé les êtres humains modernes en sous-espèces selon leur origine géographique ou leur morphologie : H. s. ferus, H. s. europaeus, H. s. asiaticus, H. s. americanus, H. s. afer et H. s. monstruosus (cf. p20-23). La classification de Linné fut abandonnée par la suite en raison de la reconnaissance des préjugés raciaux et des notions dépassées de supériorité européenne implicites dans sa taxinomie et parce qu'il découvrit que seules des différences superficielles existaient entre ces groupes. Dans la taxinomie moderne, la sous-espèce Homo sapiens sapiens n'est pas reprise car on n'a abandonné les a priori sur la qualité des espèces, on considère que toutes les créatures sont sur un même pied d'égalité, sans hiérarchie, sans accorder de préséance ou de privilège à l'une d'entre elles, autrement que sur le plan phylogénétique des relations ancestrales, n'en déplaisent aux personnes sectaires et aux suprémacistes. Malgré les faits qui valaient mieux que n'importe quel texte sacré ou doctrine, jusqu'au début du XXe siècle les préjugés influencèrent encore les scientifiques. Ainsi, comme en 1909, en 1960 on représentait encore l'homme de Néandertal comme une espèce de gorille velu au dos vouté et aux membres légèrement fléchis, une attitude plus proche du singe que de l'être humain. Le "racisme scientifique" transpirait dans ces représentations.
Malheureusement, encore aujourd'hui, certaines sectes religieuses chrétiennes (Témoins de Jéhovah, Hamish, Evangélistes, etc) prennent toujours la Bible au pied de la lettre et prétendent que ces autres espèces humaines ne sont que des animaux, une croyance également partagée par certains Juifs adeptes de la Torah ("Dieu créa l'homme à Son image, Il le créa à l'image de Dieu" (Genèse 1:27)) et Musulmans ("Nous avons certes créé l'homme dans la forme la plus parfaite" (Sourate At-Tîn, 95:4); "Dieu a créé Adam à Son image" (hadith)), une superstition dogmatique aux relents racistes et suprémacistes qui a du mal à s'éteindre. Mais comme le disait Pascal Picq au début de ses cours de paléoanthropologie au Collège de France, "Il s'est passé pas mal de choses avant la Création". Ce n'est qu'en 1871 que Darwin élargit sa théorie en incorporant la filiation de l'homme et de l'ancêtre du singe dans la théorie de l'évolution. Mais cette idée était trop avant-gardiste pour son temps. En effet, rien que d'imaginer que l'homme pouvait être apparenté au singe ou pire, "descendre du singe", comme le disaient en plaisantant les détracteurs de Darwin, créa un véritable scandale dans les clubs bien-pensants de l'époque et un schisme entre les défenseurs de la théorie de l'évolution et les doctrinaires enracinés dans les textes de la Bible (cf. l'évolution des systèmes vivants). Il faudra des dizaines d'années et la découverte d'autres squelettes de Néandertaliens puis d'Homo sapiens et notamment d'hommes de Cro-Magnon pour que les paléontologues se rendent à l'évidence : l'homme de Néandertal est bien l'un de nos ancêtres au même titre que l'Homo sapiens mais l'espèce s'est éteinte, ou plus exactement fut (ou aurait été) assimilée par les humains modernes. On reviendra sur l'extinction de l'homme de Néandertal. Des Néandertals contemporains des Homo sapiens Comme évoqué plus haut, d'autres fragments d'hommes de Néandertal tardifs furent découverts dans la vallée de la Meuse en Belgique, notamment à Engis en 1830 et dans la grotte de Spy, en 1886. Originellement datés entre ~31810 et ~23800 ans BP selon les fragments analysés (cf. Toussaint et Pirson, 2006) puis de ~36000 ans BP (cf. P.Semal et al., 2009), les échantillons de collagène étaient en fait contaminés par de l'ADN de bovins, suggérant que les os avaient été préservés avec une colle à base d'os de bovins. De nouvelles mesures de la concentration en radiocarbone de l'hydroxyproline (un acide aminé) du collagène purifié révéla que ces fossiles sont bien plus anciens et datent entre 44200 et 40600 ans BP (cf. T.Devièse et al., 2021).
On découvrit également des fossiles néandertaliens en France en 1908, dans la sépulture de l'Homme de la Chapelle-aux-Saints, en Corrèze (voir plus bas), qui remontent à environ 45000 ans BP. Voici le crâne du Néandertalien de la Chapelle-aux-Saints. Selon les spécialistes, il lui manquait tellement de dents qu'il est possible qu'il ait eu besoin de broyer sa nourriture avant de pouvoir la manger. D'autres Néandertaliens de son clan l'ont peut-être soutenu dans ses dernières années. Finalement, on découvrit des squelettes d'hommes de Néandertal et des artefacts de sa fabrication dans pratiquement toute l'Europe à l'exception des terres nordiques. Après l'Allemagne, la Belgique et la France, on a découvert des squelettes d'hommes de Néandertal au Portugal (Figueira Brava), en Espagne (grotte de l'Arbreda en Catalogne, gouffre de Sima de los Huesos, Zaarraya, Gibraltar, etc), dans le sud de l'Angleterre (grotte de Kent dans le Devon), en Italie (grotte de Guattari, Poggetti Vecchi, etc), en Croatie (grotte de Vindija), en Ouzbékistan (grotte de Teshik près de Boysun), en Israël (grottes de Kébara et de Misliya) et jusque dans l'Altaï sibérien (près de la grotte de Denisova), preuve que la longue marche des hommes vers de nouveaux territoires était déjà bien avancée. Ces découvertes démontrèrent que les Néandertaliens cotoyèrent les Homo sapiens en Europe, au Moyen-Orient et en Asie Centrale mais ils n'ont probablement pas atteint l'Extrême-Orient.
Finalement, les paléontologues devinrent plus objectifs devant la masse de fossiles appuyant de plus en plus la thèse de notre filiation avec l'homme de Néandertal. Les dessins et les premières reconstructions le représentèrent quasiment comme un homme moderne, simplement un peu plus "sauvage" et au style un peu plus fruste, mais donc toujours empreintes de préjugés comme si l'Homo sapiens avait toujours été ce bel homme ou cette belle femme à la peau claire et glabre... Heureusement, depuis grosso-modo les années 1980, cette vision est abandonnée et les rendus ainsi que les reconstructions sont plus réalistes. Mais il restait encore une énigme en suspens : malgré ses ressemblances avec l'Homo sapiens, Néandertal était-il une espèce d'homme à part ou une sous-espèce d'Homo sapiens ? Il faudra attendre plusieurs décennies et la mise au point de nouvelles techniques d'analyses génétiques pour répondre à cette question. Nous y reviendrons un peu plus loin.
Morphologie et adaptation Anatomiquement, l'homme de Néandertal adulte mesurait environ 1.47 m pour 60 kg mais certains individus mesuraient une bonne tête de plus (1.75 m). Il avait une corpulence massive, un corps trapu, un squelette robuste avec des os épais, des mains et des pieds larges (voir plus bas), un crâne allongé en forme de tonneau avec un faciès prognate, un nez large et une importante arcade sourcilière. Tellement inhabituel comparé à la gracilité des Homo sapiens, certains auteurs y virent un sujet pathologique atteint de la maladie de Paget qui provoque une croissance anormale de l'os (cf. P.Madison, 2016).
Les points d'attaches des muscles et des tendons sur ses os (par exemple sur les omoplates) sont différentes de celles de l'Homo sapiens et montrent sans équivoque que la musculature de l'homme de Néandertal était puissante, similaire à celle d'athlètes modernes. Sa boîte crânienne était 10% plus volumineuse que celle de l'homme moderne. L'homme de Néandertal fut le plus robuste des hommes et san doute le plus téméraire. Et il le fallait pour maîtriser des cervidés de plus de 200 kg armés de bois comme des poignards, des bisons dépassant 1 tonne ou des rhinocéros laineux de 3 tonnes capables de vous encorner, pour débusquer les fauves les plus féroces jusque dans leur tanière et oser s'attaquer aux ours des cavernes ou aux mammouths laineux. Véritables "homme des bois" à la carrure et la démarche imposantes, quoi qu'on en dise, les hommes de Néandertal étaient adaptés à leur environnement. Il ne faut pas oublier qu'ils vécurent plus de 400000 ans, deux fois plus longtemps que notre espèce. Ils vivaient essentiellement dans des conditions climatiques très difficiles, avec le soutient de leur système immunitaire et une bonne santé, subissant les effets du refroidissement de l'âge interglaciaire : humidité, vents glacés, neige et intempéries étaient leur menu quotidien. Grâce à la paléogénétique, on sait aujourd'hui que si on mettait côte-à-côte un Néandertalien d'il y a 50000 ans et un Homo sapiens d'Afrique (la génération qui allait migrer vers l'Europe), on pourrait se méprendre au premier regard. On verrait probablement deux hommes peu ou prou barbus et moustachus aux yeux sombres, légèrement vêtus d'une peau de bête tannée et portant une pierre taillée en guise d'arme. L'un est blanc quoique sa peau soit bronzée, l'autre à la peau sombre, typique des Africains. Qui est qui ? Un spécialiste ou un amateur averti reconnaitrait l'homme de Néandertal à sa taille trapue, son corps musclé, sa peau claire et éventuellement à son arcade sourcilière proéminente, son menton fuyant, son crâne plus allongé et ses yeux sombres. A côté de lui, l'Homo sapiens d'Afrique contraste par son allure plus svelte, il est mince, plus grand, sa peau est sombre et s'il est barbu ou fort poilu, il ressemblerait à un "homme des bois". Mais si leur anatomie est différente et se démarque dans le phénotype (l'expression des gènes), ces deux espèces ont quelque chose en commun : leur ADN est identique à ~98.5%. On y reviendra.
Pour l'anecdote, le portrait de Wilma présenté ci-dessus à gauche est celui d'une femme Néandertal basé sur les connaissances que nous avions en biologie moléculaire et en anatomie en 2008. Premier constat, même si ce n'est qu'une interprétation d'artiste, on ne reconnait pas la sauvage et la brute néandertalienne imaginée jadis... mais une humaine disons sauvageonne comme on peut le devenir si on tente de survivre seul dans un milieu sauvage pendant quelques semaines sans prendre soin de sa personne. On constate aussi que cette femme est rousse et à des yeux bruns (noisettes). Pourquoi n'a-t-elle pas les yeux bleus ? Selon le National Geographic, les recherches en paléogénétique suggèrent que l'iris bleu serait issu d'une mutation apparue il y a seulement 18000 ans chez l'Homo sapiens, donc longtemps après l'extinction des hommes de Néandertal. Notons que les artistes hollandais Alfons et Adrie Kennis ont également représenté Wilma avec les yeux bleus ce qui est une erreur scientifique. On reviendra sur l'évolution de la couleur des yeux et de la peau à l'époque de l'Homo sapiens (page 13). Au plus fort de la glaciation de Würm (entre 70000 et 11700 ans et d'origine astronomique), la température moyenne du globe chuta de 6° et les calottes polaires envahirent 30% de la surface du globe. Les forêts humides méditerranéennes se transformèrent en forêts de feuillus et en plaines, les grandes forêts de sapins cédant la place à des steppes désolées et l'Europe se couvrit d'une toundra.
C'est à cette époque que vécurent les mamouths laineux dont on a retrouvé les squelettes dans toute l'Eurasie (de l'Europe du Nord jusqu'en Espagne, en Europe centrale, en Sibérie et en Chine) et en Amérique du nord (de l'Alaska jusqu'au Mexique). Ce climat glacial força les hommes de Néandertal à faire du feu, à se couvrir et à rechercher des abris pour surmonter l'épreuve du froid. Leurs abris consistaient soit en des grottes soit des grandes huttes arrondies construites avec des os longs et des défenses de mamouths et recouvertes de peaux de bêtes comme on en a retrouvé de l'Europe jusqu'en Sibérie. Face à ce climat inhospitalier, plusieurs clans de Néandertaliens sont descendus vers le sud, en Italie, en Espagne et au Portugal. Mais l'espèce qui était née en Europe s'y est également éteinte. Nous retrouvons les dernières traces des Néandertaliens en France, à Saint-Césaire, il y a 36000 ans environ. Un seul groupe de Néandertaliens survécut dans la grotte de Vindija en Croatie il y a 28000 à 29000 ans (cf. T.Devièse et al., 2017) et un dernier groupe survécut dans les grottes de Gibraltar il y a seulement 28000 ans (cf. C.Finlayson et al., 2006). Ces derniers Néandertaliens ont survécu dans des refuges isolés bien après l'arrivée des hommes modernes en Europe. On reviendra sur les raisons de l'extinction l'homme de Néandertal. Même si les hommes de Néandertal ont disparu, il faut leur reconnaître une adaptation remarquable dans des conditions hivernales très rigoureuses. Cela revient à nous demander de vivre dans une grotte par 0°C habillé de peaux de bêtes et de chasser sous la pluie glacée ou la neige... Seuls quelques Russes vivant au Kamtchatka, des Inuits du Groenland et les Indiens de Patagonie pourraient éventuellement soutenir ce régime tout en restant en bonne santé (avant l'arrivée des colons, les Patagons et les Fuégiens n'avaient jamais souffert de rhume ou de grippe). L'homme de Néandertal est l'espèce humaine qui vécut le plus longtemps. Des empreintes de pas de Néandertaliens en Normandie En 2019, une équipe d'archéologues dirigée par Dominique Cliquet du CNRS/Université de Rennes 1 publia dans les "PNAS" les résultats de l'analyse de 257 empreintes de pas découvertes sur la côte de Rozel, en Normandie, où les archéologues avaient déjà découvert un abri sous roche et des traces d'habitat datant du Paléolithique moyen, il y a 80000 ans (cf. B. van Vliet-Lanoë et al., 2006 et D.Cliquet et al., 2018). Cette fois les chercheurs ont découvert des empreintes de pas appartenant à un groupe de 10 à 14 personnes, dont la plupart étaient des enfants, y compris un enfant de deux ans. Selon Jérémy Duveau du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris (MNHN) et coauteur de l'article, "c'était incroyable d'observer ces traces qui représentent des moments dans la vie d'individus, parfois très jeunes, qui vivaient il y a 80000 ans." Les empreintes de pas ont été faites dans une dune de sable située à l'époque à quelques kilomètres de la mer, environ 35000 ans avant que l'Homo sapiens ne s'installe dans la région. Sur le plan archéologique, découvrir des empreintes de pas aussi bien conservées est très rare. Dans le monde, les empreintes de pas faites par des humains anciens ou modernes n'ont été découvertes que dans 36 endroits, y compris en Australie. Mais les empreintes de Néandertaliens sont très rares. Jusqu'à cette découverte, il n'existait que neuf empreintes dans quatre sites différents. La découverte d'autant d'empreintes en un seul endroit est donc exceptionnelle et pourrait apporter beaucoup d'informations sur l'âge et la composition des groupes de Néandertaliens.Selon Duveau, "ces traces de pas ont été recouvertes très rapidement par le sable [et] ont probablement été réalisées par un seul groupe."
Comment savons-nous que ces empreintes sont celles de Néandertaliens ? Bien qu'aucun reste de squelette n'ait été retrouvé sur le site de Rozel, sur base d'autres fossiles trouvés dans d'autres sites, la forme des empreintes de pas correspond à ce que nous savons de l'anatomie des Néandertaliens. Selon Duveau : "[les empreintes de Néandertaliens] sont relativement plus larges, en particulier au milieu du pied que les empreintes des Homo sapiens, ce qui correspond à un pied plus robuste et à une voûte moins prononcée", comme on le voit ci-dessus. Des empreintes de pas ont également été découvertes à côté de nombreux outils en pierre taillées fabriqués dans le style distinctif du Moustérien associé aux Néandertaliens. Si les os fossilisés et les outils sont très utiles pour dater l'époque et le style d'industrie lithique, les empreintes de pas sont également très importantes. En effet, l'avantage des empreintes de pas fossilisées est de révéler concrètement le physique de la personne à travers ses muscles et sa posture.
Pour déterminer si ces individus faisaient partie d'un même groupe, les chercheurs ont mesuré les empreintes les mieux préservées, déterminé le rapport taille/hauteur et mesuré la profondeur des empreintes. Ils ont ensuite comparé les empreintes aux modèles tridimensionnels d'empreintes humaines anciennes et modernes d'autres sites, ainsi qu'aux données recueillies au cours d'une expérience réalisée avec des habitants de différents âges marchant pieds nus sur le sable. Selon les chercheurs, les traces révèlent que la plupart de ces Néandertaliens mesuraient moins de 1.30 m mais un individu mesurait 1.75 m, ce qui est très grand pour un Néandertalien. Les empreintes de pas confirment que s'agit de personnes trapues et très puissantes. Jusqu'à présent, les informations les plus détaillées que nous possédons sur les Néandertaliens dans les archives fossiles proviennent des squelettes de 13 personnes décédées ensemble il y a 49000 ans dans la grotte de El Sidron en Espagne (cf. M.Basti et al., 2010; A.Rosas et al., 2012; A.Estalrrich et al., 2017 et T.L.Kivell et al., 2018). Si la moitié de la famille des Néandertaliens d'El Sidron était composée d'adultes, environ 90% des membres du groupe de Rozel est composée d'enfants. Cela suggère que ce groupe était en plein essor même aux limites septentrionales de son territoire. On ne peut donc pas accepter l'idée que les Néandertaliens exploraient à peine les étendues glacées d'Europe. Au contraire, bien que ce peuple tentait de survivre dans un environnement hostile, il trouva le temps de séjourner sur une plage. Pour les paléoanthropologues qui étudient les sociétés de chasseurs-cueilleurs et les enfants de ce lointain passé, il n'est pas étonnant de trouver des traces de groupes d'humains comptant 40 à 50% d'enfants. En revanche, il est très rare de trouver ce genre d'information sur un site vieux de 80000 ans. Il est donc possible que les empreintes des adultes du groupe n'aient pas été fossilisées, raison pour laquelle le gisement fait toujours l'objet de recherches depuis 2012. Pour les paléoanthropologues, il est très intéressant d'avoir des empreintes de pas d'enfants car on ne sait pas grand-chose du rôle des enfants et des adolescents dans la société néandertalienne. On ignore par exemple à quel âge les filles et les garçons étaient considérés comme des adultes. On suppose que les Néandertaliens étaient matures à l'âge de 15 ans. Enfin, bien que les empreintes de pas aient été découvertes à côté des empreintes de mains, des outils de pierre, des restes d'animaux et des empreintes de pattes, on ne sait pas exactement ce que le groupe faisait à cet endroit. L'avenir nous en dira peut-être plus. A lire : Cartoon Cavepeople, sur le blog de Cave People and Stuff (pour le plaisir, anatomie des hommes des cavernes dans les dessins animés)
L'enfant de Néandertal La vallée de la Meuse révéla un nouveau squelette en 1993. Des fragments de la mandibule et du maxillaire d'un enfant contenant encore quelques dents furent mis à jour dans la grotte de Scladina à Sclayin, près de Namur. Celui qu'on appela "l'enfant de Néandertal" était mort il y a environ 100000 ans. Analysé par les paléoanthropologues de l'Institut Max Planck d'Anthropologie Évolutionnaire (MPG/EVA) en Allemagne, sur base des modèles actuels les dents de l'enfant de Néandertal indiquent qu'il serait âgé de 11 ou 12 ans mais l'analyse de sa dentine démontra qu'il mourut à 8 ans, ce qui suggère un développement plus lent qu'à notre époque. Sur base de toutes les connaissances acquises depuis plus d'un siècle et surtout grâce au développement de nouvelles techniques de morphologie, de reconstructions tridimensionnelles et d'analyses génétiques, nous avons aujourd'hui une image assez précise de la nature morphologique et génétique de l'homme de Néandertal. Les moulage de son crâne indiquent que son cerveau n'était pas différent du nôtre. Sa partie frontale est très similaire à celle de l'homme moderne. La différence est que le crâne de l'homme de Néandertal est plus bas et allongé. Ses lobes temporaux et pariétaux (qui interviennent dans le langage avec l'aire de Broca et le repérage dans l'espace notamment) sont de ce fait plus petits que les nôtres. Concernant sa façon de vivre, l'analyse de la dentition de l'enfant de Néandertal montre qu'il vivait dans les bois et les grottes de la vallée de la Meuse et consommait de la viande d'herbivore (notamment d'auroch, l'ancêtre de nos bovidés) vivant en milieu ouvert; il était carnivore. Où qu'ils aient vécus, en Belgique, en France, en Espagne, en Croatie ou dans l'Altaï, tous les Néandertaliens étaient presque exclusivement carnivores et ne mangeaient pratiquement pas de poisson ni de végétaux. Ils chassaient de gros gibiers grâce à une technologie déjà très performante leur permettant de fabriquer des pierres taillées au profil parfois très élaboré comme on le voit ci-dessous. Les Néandertaliens ont également réalisé des copies conformes de racloirs et grattoirs Homo sapiens, preuve qu'ils savaient s'adapter et améliorer leur savoir. A lire : Des pointes bifaciales sculptées il y a 75000 ans (sur le blog, 2010) A voir : Ginellames, tailleur de silex
Les premières espèces de Néandertaliens ne connaissaient pas la lance et n'utilisaient que des armes en pierre. Ils devaient donc s'approcher de très près de leurs proies. Certains squelettes témoignent d'ailleurs de nombreuses blessures parfois mortelles, y compris des trous crâniens provoqués par les crocs de grands carnivores. Ce n'est qu'en cotoyant les Homo sapiens que les derniers hommes de Néandertal apprirent à manipuler des lances munies d'une pointe en pierre taillée. Le plus ancien ADN de Néandertal En 1993, des spéléologues du CARS (Centro Altamurano Ricerche Speleologiche) découvrirent à 10 mètres de profondeur dans la grotte calcaire de Lamalunga située près d'Altamura, dans la province de Bari, dans le sud de l'Italie (cf. Puglia), le squelette quasiment intact d'un adulte de 1.60 m calcifié au milieu des stalactites et des stalagmites. Plus de vingt ans plus tard, le paléontologue Giorgio Manzi de l'Université Sapienza de Rome et ses collègues parvinrent à réaliser une analyse morphométrique et datèrent le squelette dont les résultats furent publiés dans le "Journal of Human Evolution" en 2015.
L'homme d'Altamura représente le squelette le plus complet d'un être humain non moderne trouvé à ce jour. Presque tous les éléments osseux sont préservés et intacts, au détail près qu'ils sont couverts de calcite. Le squelette porte un certain nombre de traits néandertaliens, en particulier au niveau du visage et de l'arrière du crâne. Cependant, il possède également des caractéristiques qu'on ne voit généralement pas chez les Néandertaliens. Comme on le voit sur la photo présentée à droite, ses arcades sourcilières par exemple sont encore plus massives que celles des Néandertaliens. A l'époque, ces différences faisaient qu'il était difficile de dire à quelle lignée humaine il appartenait. De plus, le squelette reste partiellement enchâssé dans la roche, rendant son analyse difficile. En 2015, grâce à l'analyse de l'ADN extrait d'un morceau de l'omoplate droite du squelette, Manzi et ses collègues ont pu démontrer que le fossile d'Altamura était celui d'un Néandertalien. La forme de ce fragment d'os ressemble également à celle des Néandertaliens. Les chercheurs ont daté le squelette entre environ 130000 et 170000 ans. Cela en fait le plus ancien néandertalien dont l'ADN fut extrait. Les os sont trop anciens et l'ADN est trop dégradé pour que les chercheurs puissent séquencer le génome du fossile, du moins avec la technologie actuelle. Cependant, ils ont noté que les technologies de séquençage d'ADN de nouvelle génération pourraient y parvenir. Selon le paléontologue moléculaire David Caramelli de l'Université de Florence et coauteur de cette étude, cela "pourrait fournir des résultats importants sur le génome de Néandertal". En effet, alors que les quelques fossiles précédemment découverts de différents Néandertaliens ont permis de dresser un profil partiel de leur vie, le squelette d'Altamura pourrait permettre de dresser un portrait plus complet des Néandertaliens. Il pourrait par exemple révéler plus de détails sur la génétique, l'anatomie, l'écologie et le mode de vie des Néandertaliens. Selon le paléoanthropologue Fabio Di Vincenzo de l'Université de Florence et coauteur de cette étude, "Nous avons un squelette fossile humain presque complet à décrire et à étudier en détail. C'est un rêve. Sa morphologie offre un rare aperçu de la première phase de l'histoire évolutive des Néandertaliens et de l'un des évènements les plus cruciaux de l'évolution humaine. Il peut nous aider à mieux comprendre quand - et, en particulier, comment - les Néandertaliens ont évolué". Des outils façonnés par écaillage par percussion il y a 400000 ans Dans un article publié dans la revue "PLOS One" en 2021, l'équipe de l'archéologue Paolo Villa de l'Université du Colorado et de l'Institut Italien de Paléontologie Humaine de Rome, annonça la découverte à Castel di Guido, à l'ouest de Rome et à 7 km de la mer Méditerranée, d'un gisement d'outils paléolithiques datant de 400000 ans. Sur une surface d'environ 1450 m2, les chercheurs ont excavé 98 artefacts en os d'éléphant à défenses droites (Palaeoloxodon antiquus), une espèce aujourd'hui disparue, ainsi qu'en os de bovins dont d'aurochs (Bos primigenius).
Cette collection d'outils prouve que les homininés n'ont pas simplement jetés les os des animaux mais mirent en place une ligne de production primitive avec des méthodes innovantes. Selon Villa, "Bien que des outils en os remontant à cette période lointaine aient été découverts sur d'autres sites, il n'y a pas cette variété de formes bien définies. À Castel di Guido, les humains brisaient les os longs des éléphants et produisaient des ébauches standardisées pour fabriquer différents types d'outils en os. Ce type d'aptitude n'est devenu courant que bien plus tard". Si on compare cette collection aux artefacts recueillis sur d'autres sites, on constate que les premiers humains se contentaient généralement d'utiliser les fragments d'os disponibles, sans les adapter et les raffiner, mais à Castel di Guido, c'est différent. Selon Villa et ses collègues, la technique utilisée est connue sous le nom d'écaillage par percussion; ou découpe de fragments d'os avec un outil séparé pour fabriquer des outils spécifiques. Les outils en pierre auraient été façonnés de manière similaire mais ils étaient beaucoup plus courants à cette époque, ce qui rend la découverte des 98 outils en os très surprenante. On retrouve cette technologie acheuléenne mais sur des outils de pierre en Afrique de l'Est, notamment au Kenya (cf. G.L. Isaac et B.Isaac, 1977; J.D. Clark, 2001) mais c'est la première fois qu'on en découvre en Europe datant de l'Acheuléen. Selon les chercheurs, cela ne veut pas dire que les anciens humains de Castel di Guido étaient particulièrement "intelligents". L'explication pourrait simplement être qu'ils avaient à leur disposition beaucoup plus d'os d'éléphants que les autres groupes, et peu de gros silex naturels pour fabriquer des outils en pierre. Les outils qu'ils ont produits comprenaient ceux pouvant servir à trancher la viande ainsi que des coins qui auraient pu être utilisés pour créer un effet de levier pour fendre les gros os comme les fémurs d'éléphant. Comme l'explique Villa, "D'abord, vous créez une rainure dans laquelle vous pouvez insérer ces pièces lourdes qui ont un tranchant. Ensuite, vous la martelez, et à un moment donné, l'os se brisera". L'un des outils les plus intéressants découverts sur le site est ce qu'on appelle un lissoir : un os long et lisse à une extrémité, qui aurait été utilisé pour traiter le cuir. Ce type d'outil ne sera couramment utilisé qu'il y a environ 300000 ans. A
voir : Making a Neanderthal flint stone tool,
NHM
Compte tenu de la diversité des types d'outils découverts sur ce site et des techniques utilisées pour les créer, les archéologues estiment qu'ils furent fabriqués par des hommes de Néandertal il y environ 400000 ans. Sur base de cette découverte les paléoanthropologues vont devoir recalibrer les époques et les délais du développement initial de ces outils et de leurs méthodes de production. Toutefois, pour l'instant cela semble être une poussée isolée de la technologie de production en matière osseuse. Selon Villa, "Il y a environ 400000 ans, on commence à voir l'utilisation habituelle du feu, et c'est le début de la lignée néandertalienne. C'est une période très importante pour Castel di Guido". Des Néandertaliens en Amérique il y a 130000 ans ? Selon une étude récente, des Néandertaliens auraient atteint le continent américain plus tôt que prévu. En effet, en 2017 une équipe d'archéologues dirigée par le paléontologue Steven R. Holen du Musée d'Histoire Naturelle de San Diego, publia dans la revue "Nature" les résultats de l'analyse d'un squelette de mastodonte découvert en 1992 le long de la route 54 sur le site paléontologique de Cerutti dans le comté de San Diego, en Californie. Selon une datation à l'uranium/thorium faite en 2002, ces fossiles datent de 130000 ans et comprennent des fragments d'os et de molaires qui semblent avoir été brisés et écrasés. Les os, les défenses et les dents du mastodonte étaient enlisés dans du limon, aux côtés de roches érodées et brisées. Pour cette raison le paléontologue Thomas Deméré coauteur de l'article a toujours pensé que cette usure était artificielle et que les roches n'avaient pas été déposées par le cours d'eau proche. Comme on le voit ci-dessous à droite, les archéologues ont également découvert une masse ronde en pierre qui ressemble très fort à un percuteur primitif comme ceux utilisés par les Néandertaliens pour fabriquer leurs outils lithiques (voir plus bas). A
voir : CMS Bone Breakage Experiment The first Americans: Clues to an ancient migration
Comme on le voit dans la première vidéo ci-dessus, les chercheurs ont essayé de reproduire les marques visibles sur les os en brisant des os de squelettes d'éléphants en Tanzanie au moyen d'une masse et sont arrivés à la conclusion que les os brisés découverts à San Diego et les marques qu'ils présentent sont l'oeuvre d'humains. Selon Kathleen Holen, également coauteur de l'article, les marques ressemblent à celle d'un os qui aurait avait été posé sur une roche "enclume" et percuté avec une roche "marteau", un percuteur. Le problème est qu'à ce jour, aucune espèce humaine n'était censée se trouver à cet endroit à cette époque. Rappelons que les premiers humains ayant foulé le sol américain sont des Homo sapiens vers -20000, une période assez récente car les premiers migrants furent stoppés par les glaciers et durent attendre leur fonte avant de conquérir le Nouveau Monde. On y reviendra (voir page 13, Peuplement de l'Amérique). L'hypothèse qu'une espèce humaine aurait été présente en Amérique du Nord il y a 130000 ans ne repose sur aucun squelette d'humain mais uniquement sur de maigres indices indirects. Cette théorie est donc controversée. De plus, on ignore s'il s'agirait de Néandertaliens ou d'une autre espèce humaine. Selon la paléogénéticienne Beth Shapiro de l'Université de California à Santa Cruz, il est possible que des Dénisoviens ou des Néandertaliens aient migré d'Asie vers l'Amérique du Nord. Peu avant cette découverte, en 2017 Beth Shapiro et ses collègues avaient justement publié un article dans les "PNAS" montrant que les bisons s'étaient répandus en Amérique du Nord à partir de la bande de terre du Béringie qui reliait l'Asie et l’Amérique du Nord voici 135000 ans à l'endroit où se trouve aujourd'hui le bras de mer du détroit de Béring. Il est possible que des humains aient suivi ces troupeaux à la même époque. Mais sans fossiles humains datant de cette époque, ce ne sont que des spéculations. Les recherches continuent. Ceci dit, la plus grande population de Néandertaliens vécut en Europe avant de migrer vers l'intérieur du continent et vers l'Asie. Néandertal, le premier artiste ? L'air de rien cette question est provocatrice car dans l'esprit des paléontologues traditionnalistes et grosso-modo des générations antérieures à 1950, seul l'Homo sapiens et ses fameuses peintures rupestres peut être qualifié d'artiste. Pour des raisons subjectives voire doctrinales et par manque de preuves appuyant cette théorie, les paléontologues considéraient a priori que l'homme de Néandertal était un être fruste, primitif et sauvage, à peine différent d'un grand singe. S'ils avaient bien découvert des outils lithiques débités par la méthode Levallois comme des bifaces et des éclats, ils n'imaginaient pas que cet homme préhistorique pouvait concevoir des idées abstraites et encore moins les graver ou les peindre sur les parois des grottes ou des cavernes. Mais tout changea à partir des années 1970 et la découverte d'oeuvres abstraites et de peinture rupestres remontant à l'époque des Néandertaliens. De nouvelles découvertes apportent en effet des preuves montrant que les capacités intellectuelles des Néandertaliens ont été sous-estimées. Des preuves suggèrent que Néandertal enterrait ses morts (cf. W.Rendu et al., 2013), se parait de plumes (cf. R.Blasco et al., 2012), se peignait le corps de pigments noirs (cf. J.Zilhão et al., 2010) et rouges (cf. W.Roebroeks et al., 2012), et avait un régime alimentaire (cf. R.Blasco et al., 2014) plus varié qu'on ne le pensait jusqu'alors. Nous avons déjà découvert de l'art rupestre néandertalien, notamment des motifs dans la grotte de Nerja en Espagne, des ornements ont peut-être été découverts dans la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure, en France (cf. F.d'Errico et al., 1998), et des Néandertaliens seraient à l'origine d'une flûte en os découverte en 1995 à Divje Babe, en Slovénie. Décrivons quelques unes de ces découvertes. Tracés dans la grotte de Gorham, à Gibraltar La grotte de Gorham située sur le rocher de Gibraltar et à environ 20 m au-dessus du niveau de la mer, fut découverte par un officier britannique d'où elle titre son nom en 1907. Elle fut fouillée à partir de 1948 mais ce n'est qu'en 2014 qu'on découvrit caché sous les sédiments recouvrant le sol des traces croisées gravées dans la roche calcaire. Dans une étude publiée dans la revue "PNAS" en 2014, l'équipe de Clive Finlayson, écologiste évolutionniste et directeur du Musée de Gibraltar, annonça la découverte de tracés intentionnels dans la grotte de Gorham. Selon Finlayson, cette découverte "rapproche encore une fois les Néandertaliens de nous." L'archéologue Francesco d'Errico, directeur de recherche au CNRS à Bordeaux et coauteur de cet article, explique que la roche se trouvait à un endroit très visible de la grotte et que la gravure aurait été remarquée par n'importe quel visiteur. Afin de comprendre comment les traces furent réalisées, des tests comparatifs furent réalisés. Des rainures expérimentales ont été réalisées à l'aide de différents outils et actions de coupe sur des blocs de dolomite similaires aux roches de la grotte de Gorham. La méthode qui correspondait le mieux à la gravure était celle dans laquelle un outil pointu ou un tranchant était soigneusement et à plusieurs reprises inséré dans une rainure existante et frottée dans la même direction. Selon les auteurs, cela semble exclure une origine accidentelle du dessin, comme la découpe de viande ou de fourrure sur la surface de la roche. A
voir : Groundbreaking discovery at Gorham's Cave: Neanderthal engravings found,
GBC News, 2014
D'Errico supervisa ces expériences. Il confirme que "[la dolomite] est une roche très dure, il faut donc beaucoup d'efforts pour produire les lignes. [...] Si vous le faisiez en une seule séance, vous vous blesseriez très probablement la main, à moins de couvrir votre outil avec un morceau de peau." Il estime que la gravure complète aurait nécessité 200 à 300 coups avec un outil de taille en pierre, ce qui prend au moins une heure pour le créer. Selon d'Errico, "Cela ne signifie pas nécessairement qu'elle est symbolique - dans le sens où elle représente autre chose - mais elle a été faite exprès." Finlayson insiste sur le fait que les membres de l'équipe avaient délibérément évité toute spéculation dans leur article scientifique, car ils souhaitaient que celui-ci soit une description objective de leur découverte. Mais, comme il l'explique, "un aspect intriguant est que la gravure se trouve à l'endroit de la grotte où son orientation change de 90 degrés. Cela ressemble presque à Clapham Junction, comme si cela indiquait une intersection. Je spécule, mais suggère que cela a quelque chose à voir avec la cartographie, ou cela pourrait signifier "tu te trouves ici"". Selon Errico, "C'est à un endroit fixe, donc, par exemple, cela pourrait indiquer à d'autres Néandertaliens visitant la grotte que quelqu'un l'utilisait déjà, ou qu'un groupe possédait cette grotte". Les chercheurs ont également effectué une analyse de la position probable de la personne lorsqu'elle réalisa la gravure, et si elle avait été faite par un gaucher ou un droitier, mais ces résultats n'ont pas été publiés. Les sédiments recouvrant la gravure ont déjà livré des outils en pierre de style moustérien, considérés comme des signes distinctifs des Néandertaliens. Cependant, d'autres chercheurs notent que de tels artefacts furent également découverts en Afrique du Nord, où il n'y a aucune trace de Néandertaliens. Ils ont déjà estimé que si Homo sapiens avait fabriqué les outils moustériens en Afrique, ils pourraient également être les auteurs de ceux de Gibraltar.
Géographiquement, environ 28 km de mer séparent Gibraltar de la côte de l'Afrique du Nord. En regardant vers le sud depuis le rocher par temps clair, on voit clairement le Djebel Musa, une partie des montagnes du Rif marocain comme le montre la photo présentée à gauche. Cependant, Finlayson affirme qu'il n'y a aucune preuve que les Homo sapiens aient traversé la mer à cet endroit, si ce n'est bien plus tard. En outre, souligne-t-il, des outils moustériens sont associés aux restes de deux Néandertaliens dont des fragments du crâne d'un enfant découverts sur le site de Devil's Tower, à Gibraltar (cf. NHM et C.Stringer et al., 2019). Une autre possibilité est que les Néandertaliens imitaient le comportement de leurs concurrents sapiens avec lesquels ils étaient entrés en contact. Bien que l'Homo sapiens ait été présent en Europe il y a environ 45000 ans, Finlayson affirme que les hommes modernes ont atteint le sud de la péninsule Ibérique plus tard que d'autres régions, ce qui jette le doute sur l'idée d'une copie. Mais Matt Pope, archéologue paléolithique à l'University College de Londres, qui n'a pas participé à cette étude, en est moins convaincu. Selon Pope, "les gravures semblent intentionnelles et il est difficile d'envisager facilement une explication purement fonctionnelle. Par conséquent, il est utile de considérer ces rayures structurées comme découlant d'une pensée abstraite ou symbolique. Mais il est plus difficile de les relier directement aux populations néandertaliennes ou de prouver que les Néandertaliens les ont réalisées sans aucun contact avec les humains modernes. Les dates présentées ici sont indirectes, se référant à des matériaux provenant de sédiments recouvrant les gravures et non aux marques elles-mêmes. Étant donné que les dates couvrent également une période où nous savons que les humains modernes ont atteint l'Europe, une période où nous disposons de preuves archéologiques "transitionnelles" non résolues difficiles à attribuer à l'une ou l'autre population, je serais prudent en acceptant la paternité néandertalienne." Il ajoute : "Il est certain que l'équipe de Gibraltar a fourni un autre élément de preuve convaincant et important qui aidera à mettre cette période en lumière et à l'examiner de plus près." Mais nous verrons que ces gravures ne sont pas les seules traces graphiques qu'auraient laissé les Néandertaliens en Espagne ou même dans le sud de la France. Notons qu'après 9 ans de recherches, en 2021 Finlayson et ses collègues découvrirent une salle cachée de 13 m2 au fond de la grotte de Gorham. Elle contenait des os de quelques animaux (une patte de lynx, les vertèbres d'une hyène tachetée, l'humérus d'un vautour fauve, etc) mais aucun ossement humain ni gravure. Les analyses confirment qu'elle était fermée au monde depuis au moins 40000 ans. Rappelons que le complexe des quatre grottes de Gorham qui comprend la grotte de Bennett, de Gorham, de Vanguard et de Hyaena est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2016. Les plus anciennes peintures rupestres néandertaliennes Les spécialistes de l'art pariétal ont longtemps cru que les premières peintures rupestres furent l'oeuvre des Homo sapiens et notamment des hommes de Cro-Magnon du fait qu'on n'avait pas découvert de peinture rupestre antérieure au Paléolithique supérieur (30000-12000 ans). Les plus anciennes peintures rupestres découvertes en Afrique remontent à 26000 ans (grotte Apollo 11 en Namibie), celle d'Asie à 20000-30000 ans (Damaidi en Chine) et celles d'Europe à 36000 ans (Chauvet-Pont-d'Arc en Ardèche). Aussi quand un chercheur annonce la découverte de peintures rupestres remontant au Paléolithique moyen, la découverte fait sensation. En 1970, des archéologues découvrirent des peintures rupestres dans la grotte de Nerja située à 45 km à l'est de Malaga, en Espagne. La grotte fut découverte en 1959. Elle contient des concrétions monumentales et on y découvrit également le squelette d'un Néandertalien ainsi que des charbons de bois au pied des peintures. Selon les analyses au radiocarbone faites en 2012 par le laboratoire américain Beta Analytics, les peintures rupestres datent entre 43500 et 42300 ans et sont donc antérieures à celles de la grotte Chauvet. Toutefois, certains auteurs comme le français Jean Clottes doute de cette datation car ce n'est pas l'ocre qui a été daté (elle ne contient pas de matière organique) mais les charbons de bois. Quoiqu'il en soit, des hommes préhistoriques ont fait du feu et peint dans cette grotte. Selon l'achéologue José Luis Sanchidrián de l'Université de Córdoba, étant donné que l'Homo sapiens n'avait apparemment pas encore atteint l'Espagne à cette époque, ces dessins furent probablement réalisés par des hommes de Néandertal. A
voir : Neanderthal Origin of Iberian Cave Art
(La Pasiega)
Puis en 2018, Dirk L. Hoffman de l'Institut Max Planck d'Anthropologie Évolutionnaire et ses collègues ont annoncé dans la revue "Science" avoir daté des peintures rupestres découvertes dans la grotte de La Pasiega en Espagne d'au moins 64800 ans. Les résultats furent publiés trois ans après la découverte afin que les chercheurs aient le temps d'analyser de multiples échantillons et de procéder à une étude qualitative digne de ce nom. La datation fut réalisée par la méthode de l'uranium-thorium sur des résidus de carbonate de calcium récoltés par l'équipe d'Alistair Pike de l'Université de Southampton et coauteur de cette étude. Ce minéral s'est déposé dans toute la grotte après le passage de l'eau. Pike et son équipe ont daté trois couches distinctes (externe, intermédiaire et interne). Comme ils s'y attendaient, les échantillons de la couche interne qui sont les plus proches des peintures ont donné les dates les plus anciennes tandis que les échantillons de la couche externe sont plus jeunes du fait qu'ils représentent des couches précipitées plus récemment. Toutefois, l'archéologue Roberto Ontañón Peredo du Musée de Préhistoire et d'Archéologie de Cantabrie à Santander doute de cette datation car le carbonate de calcium a pu se dissoudre et se recristalliser plus récemment, libérant un peu d'uranium, rendant la datation plus ancienne qu'elle n'est en réalité. Mais Pike et ses collègues estiment qu'aucun processus de recristallisation de la calcite pourrait préserver l'ordre stratigraphique. A ce jour, les peintures rupestres de la grotte de La Pasiega sont les plus anciennes au monde crées par les Néandertaliens. Elles sont antérieures d'environ 20000 ans à celles peintes par les Homo sapiens découvertes aux Célèbes (Sulawesi) et en France. Comme on le voit ci-dessus au centre et à droite, ces peintures colorées en rouge et en noir comprennent de nombreux animaux, des traces linéaires, des formes géométriques, des pochoirs à la main et des empreintes de mains. Selon les chercheurs, "les hommes de Néandertal présentaient une culture symbolique beaucoup plus riche qu'on le pensait auparavant." Selon Pike, on ignore encore ce que représentent ces symboles mais on en trouve de similaires dans trois sites en Espagne. Il ne s'agit donc pas d'une simple décoration de l'espace mais ces "gens faisaient un voyage dans l'obscurité". Extrapoler d'autres intentions serait purement spéculatif. Avec tous ces éléments, nous avons suffisamment de preuves attestant que l'homme de Néandertal présentait les mêmes facultés d'abstraction et de symbolisme que l'Homo sapiens d'Indonésie d'il y a 45500 ans ou de l'homme de Cro-Magnon européen d'il y a 36000 ans. Selon Hoffman et ses collègues, "il est donc possible que les racines de la culture symbolique se retrouvent chez un ancêtre commun aux Néandertaliens et aux Homo sapiens il y a plus d'un demi-million d'années." Les plus anciennes gravures et les plus anciens pigments Le plus ancien dessin abstrait fut découvert par l'équipe de Francesco d'Errico du CNRS sur un fragment de roche siliceuse (silcrète) dans des couches archéologiques dans la grotte de Blombos située à 300 km à l'est de la ville du Cap, en Afrique du Sud, et remontent à 73000 ans. La grotte fut découverte en 1991 et continue à livrer des artefacts. Comme on le voit ci-dessous à gauche, le fragment porte sur une de ses faces neuf traits qui ont été volontairement tracés avec un crayon d’ocre pourvu d'une pointe. Ce tracé précède d'au moins 30000 ans les plus anciens dessins abstraits et figuratifs connus jusqu'à présent réalisés avec la même technique (cf. la grotte de Chauvet). Les résultats de cette découverte furent publiés dans la revue "Nature" en 2018.
Selon d'Errico, "retrouver à Blombos de nouveaux croisillons, sur un autre support et résultant d’une autre technique, suggère que dans l’esprit des habitants de cette grotte, ces symboles signifiaient quelque chose". Le chercheur compare cette gravure avec la croix chrétienne qui est aussi un " signe incorporé dans divers supports matériels." Mais comme le rappelle d'Errico dans un autre article, ce n'est pas la première fois qu'on découvre ce genre d'artefact car des zigzags faits par un Homo erectus furent découverts sur un coquillage à Trinil, situé sur les rives du fleuve Solo, sur l'île de Java, et remontent à ~500000 ans (entre 540000-430000 ans). Ils furent attribués à un Homo erectus. Ces traits furent considérés comme artistiques et non utilitaires. Enfin, on a découvert des coquillages marins percés contenant des pigments jaunes et rouges présentés ci-dessous datés de 115000 ans dans la grotte de "Cueva de los Aviones (la grotte des Avions) située dans le port de la ville de Cartagène (Murcie), dans le sud-est de l'Espagne. Cette découverte fut décrite par Dirk L. Hoffmann et son équipe dans la revue "Science Advances" en 2018.
Notons que l'équipe de Francesco d'Errico avait déjà découvert des coquillages percés et contenant des pigments colorés en Afrique du Nord datés d'environ 82500 ans soit au moins 35000 ans plus anciens que les ornements similaires découverts en Europe. Leur découverte fut décrite dans les "PNAS" en 2009. Les gravures de la grotte de Roche-Cotard Les secondes plus anciennes gravures furent découvertes dans la grotte de Roche-Cotard (ou grotte d'Achon) située dans un bois de l'Indre-et-Loire, en France, mise à jour en 1846 lors de la construction d'une voie ferrée mais qui resta inexplorée pendant des décennies car l'entrée était obstruée par des sédiments. En effet, la grotte se trouvant à 500 m au nord de la berge actuelle de la Loire, à flanc de coteau, ses innombrables crues ont rempli la cavité de sédiments (limon et sable), d'éboulis de tuffeau et de pierres (chert, calcaire, etc) et l'ouverture finit par être colmatée par des dépôts il y a environ 57000 ans. En 1912, l'entrée fut dégagée par François d'Achon, le propriétaire du terrain, qui découvrit une grotte d'environ 60 m de longueur contenant 4 salles en enfilade. Il découvrit des ossements d'animaux et une centaine de pierres taillées en silex (racloirs, lames, pointes, etc) et plusieurs niveaux d'occupation. Il publia un article sur ce sujet dans les "Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris". Ces artefacts furent ensuite confiés à la Société Archéologique de Touraine qui, lors de son déménagement, perdit la collection de d'Achon (sans volée par un collectionneur) à l'exception des os d'animaux. Ce n'est qu'à partir de 1975 que le site fut fouillé systématiquement et révéla son secret (cf. J.-C. Marquet et al., 1975). Le gisement est divisé en trois sites, la grotte proprement dite Roche-Cotard I, le site Roche-Cotard II situé en contrebas de la grotte et Roche-Cotard III situé quelques mètres plus à l'est. L'équipe de Jean-Claude Marquet du Laboratoire Archéologie et Territoires de l'Université de Tours a découvert sur les parois de cette grotte 10 ensembles de tracés qui se succèdent à un même niveau à l'entrée de la salle des piliers. Ce sont des gravures abstraites vraisemblablement faites au doigt dans du tuffeau, du calcaire tendre extrêmement friable. Quelques tracés mais minoritaires auraient été réalisés avec un objet dur. Selon Marquet, il s'agit de tracés en forme d'ogive ou de triangles, singuliers par la structuration et l'application avec laquelle ils furent réalisés, qui semblent démontrer une évidente intentionnalité de la part de son auteur.
Des études pluridisciplinaires des parois (relevés, études taphonomiques et expérimentation, analyses statistiques et photogrammétrie) ont pu écarter l'hypothèse que ces tracés aient été produits par un évènement naturel, un accident ou encore un animal (bien qu'un des tracés composé de motifs croisés résulte des griffures faites par un ours). En explorant le site, les chercheurs ont également découvert des ossements d'animaux et des pierres taillées en silex. Les os furent découverts près de l'entrée principale de la grotte et appartiennent à plusieurs espèces de mammifères (bisons, ours, chevaux, hyènes, rhinocéros, marmottes et divers cervidés). Une centaine de silex fut découverts vers le fond du premier couloir dont des coups de poing et des haches de type acheuléen, des couteaux, des racloirs et des pointes de type moustérien.
Un sondage réalisé dans les couches sédimentaires a permis de découvrir un niveau d'occupation dans la couche 7 datant du Moustérien. Elle comprend une cuvette de ~40 cm de diamètre et 15 cm d'épaisseur creusée dans le sable jaune et correspond à l'emplacement d'un foyer. La cuvette contenait une côte d'un grand herbivore qui fut datée au C14 d'au moins 32100 ans. Des racloirs et quelques éclats furent découverts autour de cette cuvette. Il s'agit de lames façonnées par la méthode Levallois. Pour rappel, cette méthode de débitage des silex fut inventée en Afrique il y a plus de 400000 ans. On la retrouve en Inde (Madras) il y a ~385000 ans et en Chine il y a au moins 170000 ans. Elle est typique de l'industrie lithique du Moustérien (350000 à 35000 ans). Plus étonnant, en grattant le sol juste à l'entrée de la grotte (site Roche-Cotard II), on découvrit un bloc de silex appelé "le masque" présenté à gauche. Il mesure 105.5 x 93 mm pour une épaisseur variant entre 31.0 et 40.5 mm et pèse 199 g. Les analyses montrent que l'objet fut fabriqué. Il pérsente deux arêtes symétriques, les marques d'une douzaine de percutions pour en retirer des éclats dont ce qui ressemble à des yeux et peut-être le front. L'arche située entre les deux cavités fut percée et une esquille osseuse de 74.4 x 14.0 mm fut inséré pour symboliser les yeux et fut maintenue en place avec de très petits graviers. Sachant que la grotte fut fermée il y a 57000 ans, les gravures ont donc été réalisées avant cette époque. Les datations au C14 des os appartenant à la même couche sédimentaire que celle du masque indiquent un âge supérieur à 40000 ans. La datation OSL (luminescence stimulée optiquement) réalisée par l'Institut géologique et géophysique de Hongrie des sédiments de la couche contenant le masque indique un âge de 75600 ±5800 ans (cf. J.-C.Marquet et al., 2016). Quant aux parois portant les tracés digitaux, elles furent datées entre 75000 et 57000 ans. En résumé, la première occupation humaine de la grotte remonte à 75000 ans. Sachant que l'Homo sapiens est arrivé en Europe occidentale il y a environ 45000 ans, ces tracés et ce masque ne peuvent être que l'oeuvre de l'homme de Néandertal. Il s'agit des plus anciens tracés graphiques faits par Néandertal découverts en France à ce jour. Les tracés digitaux de la grotte de Roche-Cotard sont-ils des représentations graphiques symboliques, de l'art ou de simples figures tracées sans intention ? Il est très difficile de répondre et aucun spécialiste n'est en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'une forme d'art. Pour tous les préhistoriens qui ont étudié ces figures (dont Jean-Claude Marquet précité, Jacques Jaubert de l'Université de Bordeaux-I et Eric Robert du MNHN), il ne s'agit pas encore d'art, un terme qui les gêne car porteur de trop de sens, mais de représentations graphiques. En effet, on ignore si l'auteur des tracés a voulu représenter une oeuvre abstraite voire même inspirée de son environnement ou a simplement tracé des lignes parallèles et des courbes sans intention particulière. Comme le dit Eric Robert, spécialiste de l'art rupestre préhistorique et maître de conférence au MNHN, "Est-ce que finalement c'est le tracé ou l'image qui va compter ou, parfois, ce ne serait pas aussi tout simplement le geste ?" Comme le souligne Marquet, "il ne s'agit pas encore de représentations du monde, les premières peinture rupestres remontant à environ 40000 ans" (la grotte de Nerja précitée). Quoiqu'il en soit, cette découverte prouve une fois de plus que l'image du Néandertalien sauvage, brutal et incapable de penser et de créer est totalement fausse. Au contraire, l'homme de Néandertal pouvait être créatif. On sait également qu'il éprouvait de la compassion et enterrait ses morts. Néandertal est aujourd'hui encore un peu plus réhabilité. L'émergence des sentiments humains Heureusement, malgré les avatars du climat, il y a environ 45000 ans, à la fin de la période de la glaciation de Würm, l'homme sortit à proprement parlé d'une lente hibernation. Il ne vivait plus comme à l'époque ancestrale où il était isolé et où seul les plus forts survivaient. Vivant dans des tribus aux rites codifiés, les hommes de Néandertal apprirent à s'unir pour survivre ce qui leur permit de s'épanouir et de traverser les difficultés de la vie. Contrairement à l'idée traditionnelle d'un homme dur, brutal et sauvage, l'homme de Néandertal cache un "bon fond". Grâce à la découverte d'une mandibule de Néandertalien dans le sud de la France, on sait par exemple qu'il éprouvait de la compassion, au point de subvenir aux besoins d'un vieillard perclus d'arthrite déformante et ayant perdu pratiquement toutes ses dents. Etant donné qu'il vécut plusieurs années dans cet état, on en déduit que plutôt que de rejeter un chasseur devenu inutile à la collectivité, ils l'ont protégé, lui donnant les produits de leur chasse et mastiquant ou attendrissant les aliments pour lui.
Ils protégèrent également les membres handicapés du clan, aidant par exemple dans la vie quotidienne un chasseur amputé d'un bras ou les vieillards à qui on réservait le soin de tanner les peaux de bêtes. A une autre époque, du temps de Lucy ou de l'Homo erectus ils l'aurait laissé mourir de faim. Les contraintes de la survie sans pratiquement d'armes dans un monde peuplé de mammifères de grande taille (ours des cavernes, félins, bisons, mammouths,...) n'auraient pas permis de prendre en charge les infirmes et risquer la survie de la tribu. A présent que les humains savaient chasser et maîtrisaient mieux leur environnement, les comportements s'étaient littéralement humanisés. On se doute aussi que l'homme de Néandertal était curieux et chapardeur, et n'hésitait pas à l'occasion à faire des excursions chez son ennemi, l'homme de Cro-Magnon, histoire de lui voler de la nourriture, quelques calebasses ou des vêtements plus beaux que ceux qu'il portait. Mais c'était oublier que Cro-magnon était mieux armé que lui et savait utiliser la sagai et le propulseur mieux que personne. Plus d'une tribu de Néandertal sont revenues de leur tentative de pillage avec un frère ou un cousin blessé ou mort au combat. Malgré les incantations du sorcier, son corps était là, inerte, et rien pouvait lui redonner vie. Son souffle avait disparu et chacun éprouvait une même douleur, comme si quelque chose leur avait été arraché du fond du coeur. On appela ce sentiment la peine de coeur, le chagrin, la tristesse. Il fallait se résigner à l'enterrer. Mais l'homme de Néandertal croyait-il déjà à l'au-delà ? Arrêtons-nous un instant sur les rites et les cultures. On a beaucoup écrit et spéculé sur l'intellect, les concepts et les croyances des "hommes des cavernes". Une chose est certaine. Si la jeunesse se préoccupe peu de l'au-delà, et avec raison, arrivé au crépuscule de sa vie, l'homme, qu'il soit moderne ou primitif, croyant ou athée, accepte difficilement le fait qu'il va mourir. Il en arrive parfois à remettre en question jusqu'à la raison même de son existence et de l'univers qui l'entoure. Incapable d'appréhender cette situation, quelle que soit sa condition sociale et son caractère, l'homme subit cet évènement avec plus ou moins de craintes, d'interrogations ou de sérénité, mais jamais dans l'indifférence. Aussi invente-t-il des mythes qui, très tôt dans son histoire, ont défini la topographie du monde inconnu dans lequel il allait évoluer après la mort. Monde irrationnel, mais à l'image du monde terrestre, certains peuplèrent ce monde de "bons" et de "méchants", des ancêtres, d'élus, de sages, de rois, de danseurs ou de fous, asexués ou non, épris d'une compassion infinie, où la musique était divine, les parfums subtils et la nourriture abondante, où parfois les esprits étaient placés en fonction de leur rang terrestre et les damnés jetés en Enfer.
Selon les peuples et les croyances, ces hypothétiques lieux où l'on "vit" après la mort se situent tantôt dans la nature, au milieu de l'océan, dans le ciel, au Paradis ou dans un "autre monde", quand la personne ne se réincarne pas. Cette métaphysique se complique lorsque vient se greffer sur ces croyances, les préceptes ou les lois religieuses, les principes éthiques et les doctrines sociales. Les peuples en viennent à tuer par idéologie (croisade, djihad) alors que celui qui tue devrait être rejeté de la tribu ou condamné à l'Enfer. Nous avons expliqué précédemment que l'Homo naledi avait développé un culte des morts au moins 100000 ans avant les Néandertaliens. Plus récemment, dans les gisements de La Ferrassie, en Dordogne, où vécut l'homme de Néandertal, à partir de 1909 on découvrit plusieurs sépultures (6 au total jusqu'en 1921) contenant chacune un squelette (un vieillard, un femme ou un enfant). Notons qu'à l'époque, les dogmatiques ne croyaient pas qu'il s'agissait d'une sépulture, ne pouvant pas imaginer que des hommes préhistoriques avaient développé un tel culte, qu'ils réservaient aux hommes modernes... En 1965, Gideon découvrit une pierre tombale (conservée au Musée des Eyzies aujourd'hui Musée National de Préhistoire de Eyzies-de-Tayac, en Dordogne) dans laquelle était gravée une dizaine de cupules, peut-être les signes d'une constellation ou des repères temporels. L'objet remonte au Paléolithique moyen. Entre 100000 et 40000 ans, principalement durant la culture Moustérienne, en Eurasie mais également en Afrique de l'Est, l’homme de Néandertal laissa derrière lui les traces d’une culture philosophique et les preuves d'une attirance pour les pratiques irrationnelles. Il pratiquait des rites magiques, hallucinatoires, le culte des morts et croyait à leur survie. Cela n'est pas étonnant dans la mesure où, rassemblé autour du feu, chacun devait songer à son expérience vécue, aux émotions qu'il ressentait après avoir observé un phénomène extraordinaire ou après avoir perdu son protecteur ou un ami, mais aussi aux sentiments étranges qu'il devait éprouver lors de cérémonies rituelles et occultes. On retrouve ainsi des collections d'ossements d'ours, de mammouths ou de loups, des marques symboliques sur les objets, mais surtout des grottes funéraires datées de 50000 à 60000 ans en Europe (en France, grottes de La Ferrassie, Au Moustier, La Chapelle-aux-Saints), au Proche-Orient (en Israël, la grotte de Skhul du Mont Carmel), en Asie Centrale (Teshik-Tash) ou en Crimée (Kiik-Koba). Ces sépultures contiennent non seulement des squelettes de plusieurs Néandertaliens, mais également des trousseaux funèbres : de la nourriture, des objets quotidiens ou des armes étaient posées auprès des corps, en prévision du voyage et des éventuels combats qu’ils devaient livrer dans l’au-delà. On peut donc en conclure que le défunt restait animé d'une mystérieuse force vitale qui conduisit les vivants à en prendre soin et à célébrer son souvenir, attitude qui révèle les prémices du culte des morts. Les mêmes traditions se retrouveront plus tard en Australie du Sud (Roonka, 18800 ans) lorsque l’Homo sapiens parvint aux antipodes. Entre-temps, la pensée religieuse se structura et les premières grottes-sanctuaires firent leur apparition il y a plus de 30000 ans. Ailleurs, des animaux ont été enterrés et recouverts d'ocre, collectionnés tels des trophées de chasse ou placés dans des niches naturelles de grottes : une antilope au Liban, un ours en Dordogne (F), des restes de feux entourés de crânes de mammouths en Ukraine, etc. Ces rites, que l'on retrouve encore aujourd'hui chez certaines tribus de chasseurs de Sibérie ou d'Amazonie, sont le signe d'une vénération envers les animaux mythiques ou dangereux. Ces ossements devaient servir à des fins divinatoires, mais également comme instrument de magie (gri-gri, talisman) ou simplement fonctionnels, simples parures ou signes de puissance. Il ressort de tout ce que les archéologues et paléoanthropologues ont découvert que l'homme primitif du Moustérien se posait déjà d'innombrables questions qu'il tentait de résoudre dans les modestes limites de ses capacités. En enterrant ses morts ou en portant des ossements en trophée, il modifia son comportement intellectuel, développa une nouvelle conception du monde en recherchant une symbiose avec la nature et le monde de l'au-delà. Ces phénomènes forgèrent leurs propres rituels, le sens artistique des "initiés" et la pensée religieuse. Pendant 100000 ans, l'homme n'a cessé d'exprimer sa peur du lendemain, sa relation à autrui, sa joie de vivre, sa soif de savoir, au point de transformer son bagage intellectuel en un acquis spécifique qui contribue à lui donner des caractéristiques génétiques et culturelles que nulle autre espèce ne possède : la parole articulée et la faculté de se projeter dans l'avenir. Le pouce de Néandertal Comment l'Homo Sapiens a-t-il pu asseoir sa domination sur son cousin Néandertalien ? Des chercheurs ont découvert qu'une simple innovation morphologique modifiant l'anatomie de ses pouces aurait pu jouer un rôle majeur. Dans un article publié dans la revue "Nature Scientific Reports" en 2020, Améline Bardo de l'Université du Kent et ses collègues ont vérifié si les deux espèces d'homininés se distinguent par leur façon de prendre en main et manipuler des outils. Pour ce faire, les chercheurs ont analysé et mesuré les articulations entre les os du pouce de 5 fossiles de Néandertaliens grâce une méthodologie 3D. Trois squelettes furent découverts en France, un en Israël, et un en Irak. Les chercheurs ont ensuite comparé les mesures du pouce des Néandertaliens à celles obtenues sur 5 Homo sapiens fossiles et 40 humains adultes modernes au niveau du même complexe trapézio-métacarpien, c'est-à-dire les os situés à la base du pouce. Selon Bardo, "Les résultats montrent un modèle distinct de covariation de forme chez les Néandertaliens, cohérent avec des postures du pouce plus étendues et en adduction qui peuvent refléter l'utilisation habituelle des poignées couramment utilisées pour les outils à manches. Tant les Néandertaliens que les humains récents démontrent une variation intraspécifique élevée dans la covariation de forme. Cette variation intraspécifique est probablement le résultat de différences génétiques et/ou de développement, mais peut également refléter, en partie, des exigences fonctionnelles différentes imposées par l'utilisation d'ensembles d'outils variés. Ces résultats soulignent l'importance de l'analyse holistique de la forme des articulations pour comprendre les capacités fonctionnelles et l'évolution du pouce humain moderne".
Le résultat valide l'intuition des scientifiques : il existe bien une différence majeure entre les pouces des deux espèces. Chez les Néandertaliens, l'articulation du doigt s'avère plus plate, lui conférant moins de degrés de liberté que le nôtre. Si les Néandertaliens étaient capables de tenir puissamment un objet comme un marteau avec le pouce étendu le long du manche comme illustré ci-dessus à gauche, ils devaient être beaucoup plus maladroits pour des saisies de précision comme la préhension d'un objet entre le pouce et l'index. A l'inverse, chez l'homme moderne, les surfaces articulaires des pouces, plus grandes et plus incurvées, semblent parfaites pour accomplir de tels gestes. Selon Bardo, "Si Néandertal restait capable d'un tel doigté, cela devait lui demander bien plus d'efforts. De plus, la prise devait être moins puissante et la pression appliquée inférieure à ce que sont capables de faire les Homo sapiens." Cette différence dans la manière de saisir les objets dut avoir un impact considérable sur l'histoire des premiers humains, en favorisant certains, à savoir nos ancêtres, au détriment d'autres. Cette caractéristique anatomique inédite aurait alors permis à nos ancêtres de concevoir de meilleurs armes et objets, leur conférant un avantage évolutif indéniable sur les autres homininés avec lesquels ils se disputaient les territoires et les ressources. Cependant, une question demeure : ce bouleversement anatomique est-il apparu chez Homo sapiens ou les prémices en seraient-ils déjà perceptibles chez ses ancêtres ? Pour le savoir, Ameline Bardo compte poursuivre son étude en se penchant sur les pouces de certains d'entre eux, notamment l'Homo naledi et de plus anciens spécimens comme l'Homo habilis. Autre interrogation : cette nouvelle caractéristique anatomique a-t-elle pu avoir des conséquences sur l'intégralité de l'anatomie de l'Homo sapiens et modifier sa posture générale ? Marchait-il mieux, courait-il mieux, grâce à cette habileté manuelle ? Puisque cette question touche à la posture du corps, ce spécialiste des mains préhistoriques a sollicité la collaboration d'un spécialiste ... des pieds. Affaire à suivre. L'extinction de Néandertal Malgré son adaptation l'homme de Néandertal n'a pas survécu et son espèce disparut il y a environ 28000 ans. Comment peut-on expliquer l'extinction d'une espèce aussi résiliente ? Alors que les hommes de Néandertal ont cotoyé les Homo sapiens pendant 12000 à 50000 ans selon les endroits, pourquoi la première espèce disparut et pas la seconde ? A priori, l'homme de Néandertal aurait pu survivre au détriment de l'Homo sapiens. Pourtant l'évolution en décida autrement. Etait-ce le fait du hasard ou la conséquence d'évènements précis, et lesquels ? Comme souvent, la réponse n'est pas simple et binaire mais pourrait être multifactorielle (réduction des populations, baisse du taux de reproduction, maladies virales, assimilation...). Le sujet étant complexe, on reviendra en détail sur l'extinction de l'homme de Néandertal. L'espèce Homo neanderthalensis s'est éteinte en Europe quelques milliers d'années après la venue de l'Homo sapiens. C'est très court et on ne peut pas éviter d'établir un lien de cause à effet. On y reviendra dans l'article L'Homo sapiens a-t-il tué les autres espèces humaines ?. En résumé, l'Homo sapiens dont l'homme de Cro-Magnon en Europe doit sans doute son expansion à une évolution génétique plus complète certainement, incorporant des gènes de Néandertal et parfois de Dénisovien, plus souple aussi, rendant son adaptation plus facile sous différents climats. Ce patrimoine génétique aujourd'hui intégré dans toutes nos cellules et plus ou moins exprimé selon les populations nous permet d'être plus intelligents, plus sociables et mieux armés pour lutter contre les microbes, le froid, l'humidité et le manque d'oxygène en altitude notamment. Cet héritage est inestimable. Apparition du langage articulé : 200000 ans En étudiant l'anatomie des premiers hommes, on estime que le langage parlé apparut probablement il y a environ 200000 ans, à l'époque de l'Homo sapiens. Des études récentes de la cavité orale et notamment de l'os hyoïde de l'homme de Néandertal (voir plus bas) qui vivait à la même époque ont démontré qu'il partageait également cette faculté.
Selon la majorité des chercheurs, aucune contrainte anatomique n'empêche l'homme de Néandertal ni les premiers Homo sapiens de parler. Leur appareil vocal et notamment le larynx est placé suffisamment bas dans le cou pour leur permettre d'articuler des sons tout en libérant le système respiratoire supérieur. Quant à savoir si les Néandertaliens parlaient comme nous, probablement pas avec notre aisance mais personne ne peut le démontrer. Nous pouvons juste établir des comparaisons anatomiques et faire certaines hypothèses. Si nous comparons par exemple la position du larynx chez les Australopithèques et chez les nouveaux-nés humains ou les jeunes enfants, on constate qu'il est localisé en haut du cou, en face des 1ere et 3e vertèbres cervicales. Placé de la sorte, le bébé ne peut pas articuler et peut juste pousser des gésiments et des cris. De plus on constate que la façon de respirer, d'avaler et de vocaliser des bébés est très similaire à celles des singes. Pourtant quelques années plus tard, les enfants humains savent parler mais pas les singes. Que s'est-il passé ? C'est au cours de la croissance qu'une modification anatomique aux conséquences spectaculaires se produit chez le jeune enfant. En effet, c'est vers l'âge de 2 ans que le larynx commence à descendre dans le cou et va modifier radicalement la manière dont le jeune enfant parle, respire, avale et émet les sons. Rappelons que la langue du bébé est proportionnellement très grosse par rapport à sa petite cavité buccale et il ne possède pas encore de dents. Par conséquent, le bébé humain ne peut physiquement pas parler distinctement d'où les onomatopées qu'ils prononcent. En revanche, quelques jours après sa naissance, il distingue déjà les nuances des différents mots qu'il entend. Entre 12 et 16 mois, il fait la différence entre "train" et "crain", même s'il n'arrive pas encore à les prononcer correctement. Il prononce '"crain" dans les deux cas mais sait très bien qu'il veut "train" et pas autre chose et peut associer le son du mot à l'image d'un train. Avant l'âge de 2 ans, l'épiglotte du larynx (la partie cartillagineuse située au fond de la langue) du bébé atteint le voile du palais et peut basculer dans le fond de la cavité nasale pour séparer les voies digestives des voies respiratoires. A partir de 2 ans, les voies digestives et respiratoires se croisent au-dessus du larynx. C'est donc à cet âge que la "boîte vocale" de l'enfant est fonctionnelle et capable d'articuler des sons. Le jeune enfant peut prononcer ses premiers mots : maman, papa, train, crain... Il parle ! Paradoxalement, après l'âge de 2 ans environ, un humain ne peut pas boire et respirer en même temps au risque "d'avaler de travers", une réaction provoquée par le croisement des voies digestives et respiratoires. S'il s'agit en soi d'une erreur anatomique, l'évolution a pourtant conservé cette caractéristique alors qu'elle aurait pu la corriger. Elle a donc dû y trouver un "avantage".
De fait, en compensation la descente du larynx fut extrêmement positive pour l'être humain : au cours de sa jeunesse, l'expansion du pharynx (la chambre pharyngale) de l'enfant se développe très fortement au dessus des cordes vocales. La hauteur pharyngale qui est inférieure à 30 mm chez un bébé de moins de 1 an, mesure 35 mm vers 2 ans, 45 mm vers 15 ans pour se stabiliser vers 80 mm de hauteur à l'âge de 25 ans. Cette modification est plus importante chez l'homme que chez la femme et est l'un des signes réminiscents du dimorphisme sexuel. Grâce à cette "caisse de résonnance", les sons émis par le larynx et les cordes vocales situées à son sommet peuvent être modulés bien plus facilement que chez le nouveau-né humain ou les autres mammifères. Notons que si la hauteur pharyngale a fortement augmenté chez l'être humain, en contrepartie la longueur du conduit vocal a fortement diminué au cours des 100000 dernières années, et en particulier la longueur de la cavité orale qui est passée d'environ 208 mm à 180 mm de longueur. Ce changement anatomique s'explique par la décroissance de la face et est en corrélation avec l'augmentation de la hauteur du pharynx. En fait, ce n'est pas seulement le larynx et la hauteur du pharynx qui se sont modifiés, mais c'est la structure complète du crâne, de la colonne vertébrale et du conduit vocal qui se sont modifiés chez Néandertal et l'Homo sapiens comme chez l'homme moderne entre l'enfance et l'âge adulte, offrant à l'humanité toute la richesse du langage articulé. On reviendra sur l'intelligence et les autres formes de langage. Le rôle des gènes accélérateur et FOXP2 En plus de prédispositions anatomiques, les humains parlent car nous disposons dans notre ADN d'un gène particulier appelé FOXP2 sur le chromosome 7 (cf. ce résumé de la découverte en anglais). Une mutation du gène FOXP2 induit une déficience héréditaire du langage. Vu que FOXP2 intervient dans le langage, son rôle est essentiel dès l'embryogenèse. Le gène FOXP2 (pour "forkhead box P2") pèse ou contient environ 280 kbp et code pour la protéine FOXP2 qui assure différentes fonctions au sein des cellules. Ce gène appartient à la famille FOX qui sont des facteurs de transcription; ils produisent des protéines capables de réguler l'expression de plusieurs autres gènes. Localisation du gène FOXP2 dans le chromosome 7. Document A.P. Monaco et al. (2002) adapté par l'auteur. La protéine FOXP2 située au locus 7q31 comprend 715 acides aminés. Elle contient notamment une région ou domaine nommé Forkhead (ou tête fourchue) aux positions des acides aminés 508 à 584 qui, grâce à sa forme fourchue, lui permet de se lier à l'ADN afin de contrôler d'autres gènes. Elle comprend aussi trois autres domaines facilitant les interactions entre protéines. Mais les reptiles, les amphibiens et les mammifères jusqu'aux singes et toutes les espèces humaines disposent également du gène FOXP2. Alors en quoi nous, les Homo sapiens, sommes-nous différents des Néandertaliens ? Les généticiens ont fait plusieurs découvertes. La première, au cours de l'évolution de l'embryon humain moderne, 56 gènes assurent le développement du cerveau. Parmi ces gènes, il y en a deux ayant un impact majeur sur la structure du cerveau, en particulier sur le néocortex, la partie superficielle des hémisphères cérébraux : le gène accélérateur dont l'expression permet le développement des cellules neurales en multipliant les divisions cellulaires et le gène suppresseur qui stoppe leur prolifération. Chez les animaux ayant un gène suppresseur activé, le cerveau est de taille réduite par rapport au corps, même chez les superprédateurs qu'étaient les dinosaures carnivores. En revanche, chez toutes les espèces de mammifères dont les humains, le gène suppresseur est inactivé pour une raison inconnue. Par conséquent, l'expression du gène accélérateur n'est pas modérée, ce qui a permis à la lignée humaine de développer son néocortex jusqu'à atteindre sa complexité actuelle (cf. le système nerveux). Quel évènement est à l'origine de cette mutation génétique ? La question reste ouverte mais les généticiens estiment qu'à un moment donné de l'évolution des mammifères, la molécule d'ADN subit une légère mutation. La protéine FOXG1 produite par les cellules et qui jusqu'alors n'était pas utilisée, s'est fixée sur le gène suppresseur et le désactiva. Il s'en suivit une prolifération des cellules neurales, à l'origine de l'expansion du néocortex (cf. C.Hanashima et al., 2020). Le gène FOXP2 existe chez les Néandertaliens et les Homo sapiens mais il est incompatible. Le paléogénéticien Tomislav Maricic qui travaille avec Svante Pääbo a découvert que chez l'Homo sapiens, en particulier chez 98% de nos contemporains, à un endroit précis de l'intron 8 (la partie de la séquence génétique qui est transcrite en ARN, cf. l'épissage alternatif) du facteur de transcription POU3F2 se trouve une base nucléique T (thymine) alors que chez toutes les autres espèces de reptiles et de mammifères, y compris chez les Néandertaliens et Dénisoviens se trouve une base nucléique A (adénine) (cf. T.Maricic et al., 2012). La protéine POU3F2 est impliquée dans le développement du néocortex et augmente la vitesse de traitement de l'information. Son déréglement provoque un trouble bipolaire.
Se pose alors la question de savoir ce qu'apporta cette petite différence génétique à l'Homo sapiens ? Les généticiens ont étudié les effets de notre gène FOXP2, celui des Homo sapiens, en l'implantant chez des souris de laboratoire. Ils ont constaté que les souris génétiquement modifiées produisaient des vocalises ultrasoniques plus longues que les souris ordinaires. Ils en ont déduit qu'elles s'expriment de manière plus complexe que les souris ordinaires (cf. S.Pääbo et al., 2009). Dans une autre étude, l'équipe de Carina Hanashima et de Takashi Momoi montra que lors de séances d'apprentissage (la recherche de lait au chocolat dans un labyrinthe), les souris génétiquement modifiées bénéficiant du gène FOXP2 sapiens apprenaient un exercice en 7 jours contre 11 jours pour les souris ordinaires. Les scanners de ces souris mutantes montrèrent que sur le plan anatomique, leur cortex était plus dense, les connexions neuronales plus complexes que celles des souris ordinaires. On déduit de ces études que la mutation du gène FOXP2 chez les Homo sapiens eut un impact sur la structure et la complexité de son cerveau et donc sur sa faculté d'apprentissage. Cette évolution génétique et anatomique nous a conféré la faculté d'avoir un langage complexe et des facultés intellectuelles plus développées qui nous donnèrent un avantage décisif sur toutes les autres espèces, en particulier la faculté de partager des informations verbales et écrites entre individus et de génération en génération. La meilleure preuve se trouve dans les artefacts archéologiques. Pendant des centaines de milliers d'années, les Néandertaliens ont fabriqué des outils élaborés mais toujours du même style. Ils n'ont jamais été aussi diversifiés et sophistiqués que ceux des Homo sapiens et autres Cro-Magnon qui inventèrent des outils spécifiques pour chaque usage. Ainsi, au cours de l'industrie lithique du Châtelperronien (42000-32000 BP), les Néandertaliens ont fabriqué des outils sophistiqués au point que les paléontologues estiment qu'ils empruntèrent la technique en cotoyant des Homo sapiens. Même différence dans l'art pariétal et la décoration qui restent très sommaire chez les Néandertaliens. Le patrimoine génétique des Néandertaliens ne leur a pas permis de s'adapter et d'évoluer intellectuellement aussi bien que les Homo sapiens. Prochain chapitre
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