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L'origine et l'avenir de l'Homme

Reconstruction d'un homme de Néandertal de La Chapelle-aux-Saints datant de ~60000 BP par l'Atelier Daynès.

L'homme de Néandertal : 430000 - 26000 ans (X)

Les plus anciennes variétés de types pré-Néandertaliens existaient déjà il y a plus de 800000 ans. Ils descendent de l'Homo erectus et s'installèrent principalement dans la partie ouest de l'Asie. Ce n'est que plusieurs centaines de milliers d'années plus tard qu'on retrouve leurs descendants Néandertaliens en Europe centrale et de l'ouest.

Le premier squelette d'Homo neanderthalensis fut découvert par des ouvriers d'une carrière dans la vallée de Néander en Allemagne en 1856. Le squelette est daté de 100000 ans.

Découvert trois ans avant la publication de "L'Origine des espèces" de Charles Darwin, certains paléontologues proposèrent qu'il s'agissait d'une nouvelle race sauvage proche du singe, tandis que d'autres experts n'y voyaient que le squelette d'un animal stupide sans relation avec l'humanité voire malgré tout d'un humain mais atteint de graves pathologies.

Ce n'est qu'en 1871 que Darwin élargit sa théorie en incorporant la filiation de l'homme et de l'ancêtre du singe dans la théorie de l'évolution. Mais cette idée était trop avant-gardiste pour son temps. En effet, rien que d'imaginer que l'homme pouvait être apparenté au singe ou pire, descendre du singe, comme le disaient en plaisantant les détracteurs de Darwin, créa un véritable scandale dans les clubs bien-pensants de l'époque et un schisme entre les défenseurs de la théorie de l'évolution et les doctrinaires enracinés dans les textes de la Bible.

Il faudra des dizaines d'années et la découverte d'autres squelettes de Néandertaliens puis d'Homo sapiens et notamment d'hommes de Cro-Magnon pour que les paléontologues se rendent à l'évidence : l'homme de Néandertal est bien l'un de nos ancêtres au même titre que l'Homo sapiens. On y reviendra à propos de la théorie de l'Evolution de Darwin.

D'autres fragments d'hommes de Néandertal tardifs furent découverts dans la vallée de la Meuse en Belgique, notamment à Engis en 1830 et dans la grotte de Spy, en 1886. Originellement datés entre ~31810 et ~23800 ans BP selon les fragments analysés (cf. Toussaint et Pirson, 2006) puis de ~36000 ans BP (cf. P.Semal et al., 2009), les échantillons de collagène étaient en fait contaminés par de l'ADN de bovins, suggérant que les os avaient été préservés avec une colle à base d'os de bovins. De nouvelles mesures de la concentration en radiocarbone de l'hydroxyproline (un acide aminé) du collagène purifié révéla que ces fossiles sont bien plus anciens et datent entre 44200 et 40600 ans BP (cf. T.Devièse et al., 2021).

A gauche, le crâne de l'Homme de Spy 1 (une femme). Au centre, le maxillaire et la mandibule de l'Homme de Spy 2 (un jeune homme). A droite, les fossiles des Hommes de Spy 1 et 2. Ils remontent entre 44200 et 40600 ans BP (cf. T.Devièse et al., 2021). En 2010, le squelette d'un enfant de Néandertal de 18 mois (Spy 3) fut également excavé. Parmi les rares outils découverts dans la grotte, il y avait un nucleus et un éclat. Documents P.Semal/IRSNB.

On découvrit également des fossiles néandertaliens en France en 1908, dans la sépulture de l'Homme de la Chapelle-aux-Saints, en Corrèze, qui remontent à environ 60000 ans BP. Voici le crâne du Néandertalien de la Chapelle-aux-Saints. Selon les spécialistes, il lui manquait tellement de dents qu'il est possible qu'il ait eu besoin de broyer sa nourriture avant de pouvoir la manger. D'autres Néandertaliens de son clan l'ont peut-être soutenu dans ses dernières années.

Malgré les faits qui valaient mieux que n'importe quel texte sacré, jusqu'au début du XXe siècle les préjugés influencèrent encore les scientifiques. Ainsi, en 1911 on représentait encore l'homme de Néandertal comme une espèce de gorille au dos vouté et aux membres légèrement fléchis, une attitude plus proche du singe que de l'homme.

Par la suite les paléontologues devinrent plus objectifs devant la masse de fossiles appuyant de plus en plus la thèse de notre filiation avec l'homme de Néandertal. Les dessins et les premières reconstructions le représentèrent quasiment comme un homme moderne, simplement un peu plus "sauvage" et au style un peu plus fruste.

La grotte de Spy, en Belgique. A gauche, vue générale de la terrasse. L'entrée est dans l'échancrure sombre à droite du centre. Au centre, l'entrée de la salle principale de la grotte de Spy avec un pilier sur la droite. Une galerie secondaire se trouve à droite du pilier (hors photo). A droite, vue sur l'extérieur depuis la galerie secondaire de la grotte de Spy avec le pilier au centre de l'image. Documents T.Lombry.

Mais il restait encore une énigme en suspens : malgré ses ressemblances avec l'Homo sapiens, était-il une espèce d'homme à part ou une sous-espèce d'Homo sapiens ? Il faudra attendre plusieurs décennies et de nouvelles techniques d'analyses génétiques pour répondre à cette question. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Finalement, on découvrit des squelettes d'hommes de Néandertal dans pratiquement toute l'Europe à l'exception des terres nordiques. Après l'Allemagne, la Belgique et la France, on a découvert des hommes de Néandertal au Portugal (Figueira Brava), en Espagne (grotte de l'Arbreda en Catalogne, gouffre de Sima de los Huesos, Zaarraya, Gibraltar, etc), dans le sud de l'Angleterre (grotte de Kent dans le Devon), en Italie (grotte de Guattari, Poggetti Vecchi, etc), en Croatie (grotte de Vindija), en Ouzbékistan (grotte de Teshik près de Boysun) et jusque dans l'Altaï sibérien (près de la grotte de Denisova), preuve que la longue marche des hommes vers de nouveaux territoires était déjà bien avancée.

Des abris sous roche dans lesquels les paléoanthropologues ont découvert des fragments de squelettes de Néandertaliens. A gauche, la grotte de Hohlenstein Stadel à Lonetal, dans le sud de l'Allemagne. A droite, la grotte de Vindija, en Croatie. Documents Wolfgang Adler/Museum Ulm et D.R.

Morphologie et adaptation

Anatomiquement, l'homme de Néandertal adulte mesurait environ 1.47 m pour 60 kg mais certains individus mesuraient une bonne tête de plus (1.75 m). Il était trapu avec des os épais, des mains et des pieds larges (voir plus bas), un crâne allongé en forme de tonneau avec un faciès prognate, un nez large et une importante arcade sourcilière. Sa musculature était puissante, similaire à celles d'athlètes modernes. Sa boîte crânienne était 10% plus volumineuse que celle de l'homme moderne. L'homme de Néandertal fut le plus robuste des hommes et san doute le plus téméraire. Et il le fallait pour maîtriser des cervidés de plus de 200 kg armés de bois comme des poignards, des bisons dépassant 1 tonne ou des rhinocéros laineux de 3 tonnes capables de vous encorner, pour débusquer les fauves les plus féroces jusque dans leur tanière et oser s'attaquer aux ours des cavernes ou aux mammouths laineux.

Véritables "homme des bois" à la carrure et la démarche imposantes, quoi qu'on en dise, les hommes de Néandertal étaient adaptés à leur environnement. Il ne faut pas oublier qu'ils vécurent plus de 400000 ans, deux fois plus longtemps que notre espèce. Ils vivaient essentiellement dans des conditions climatiques très difficiles, avec le soutient de leur système immunitaire et une bonne santé, subissant les effets du refroidissement de l'âge interglaciaire : humidité, vents glacés, neige et intempéries étaient leur menu quotidien.

A gauche, reconstruction d'une femme de Néandertal surnommée "Wilma". Nous possédons en moyenne 2.5% de son génome. Cette reconstruction fut réalisée en 2008 par Kennis & Kennis, photo par Joe McNally/NGS. Au centre, distribution géographique des hommes de Néandertal. Document Wikiedia/Commons. A droite, reconstruction d'un enfant de Néandertal découvert à Gibraltar et exposé au Musée d'Anthropologie de Zurich.

Pour l'anecdote, le portrait de Wilma présenté ci-dessus à gauche est basé sur les dernières connaissances que nous avons en biologie moléculaire et en anatomie. On constate notamment que cette femme est rousse et à des yeux bruns (noisettes). Pourquoi n'a-t-elle pas les yeux bleus ? Selon le National Geographic, les dernières recherches en paléogénétique suggèrent que l'iris bleu serait issu d'une mutation apparue il y a seulement 18000 ans chez l'Homo sapiens, donc longtemps après l'extinction des hommes de Néandertal. Notons que les artistes hollandais Alfons et Adrie Kennis l'ont également représentée avec les yeux bleus ce qui est une erreur scientifique. On reviendra sur la couleur des yeux de la peau à l'époque de l'Homo sapiens (page 13).

Au plus fort de la glaciation de Würm (entre 70000 et 11700 ans et d'origine astronomique), la température moyenne du globe chuta de 6° et les calottes polaires envahirent 30% de la surface du globe. Les forêts humides méditerranéennes se transformèrent en forêts de feuillus et en plaines, les grandes forêts de sapins cédant la place à des steppes désolées et l'Europe se couvrit d'une toundra.

C'est à cette époque que vécurent les mamouths laineux dont on a retrouvé les squelettes dans toute l'Eurasie (de l'Europe du Nord jusqu'en Espagne, en Europe centrale, en Sibérie et en Chine) et en Amérique du nord (de l'Alaska jusqu'au Mexique). Ce climat glacial força les hommes de Néandertal à faire du feu, à se couvrir et à rechercher des abris pour surmonter l'épreuve du froid. Leurs abris consistaient soit en des grottes soit des grandes huttes arrondies construites avec des os longs et des défenses de mamouths et recouvertes de peaux de bêtes comme on en a retrouvé de l'Europe jusqu'en Sibérie. Face à ce climat inhospitalier, plusieurs clans de Néandertaliens sont descendus vers le sud, en Italie, en Espagne et au Portugal.

L'homme de Néandertal vécut à une époque où le climat commença sérieusement à se refroidir. A gauche, l'extension maximale de la calotte polaire boréale durant le dernier maximum glaciaire de Würm il y a ~22000 ans, c'est-à-dire peu après la disparition des Néandertaliens (la dernière période glaciaire commença il y a ~2.6 millions d'années et se termina il y a ~11700 ans). La couverture des Alpes a été corrigée par l'auteur ainsi que l'étendue des zones sylvestres et des lacs d'Afrique. Document adapté de Ittiz et de Thomas J. Crowley, "Global Biogeochemical Cycles" (vol. 9, 1995, pp.377-389).

Mais l'espèce qui était née en Europe était sans doute trop spécialisée et survécut jusqu'il y a 36000 ans environ, époque vers laquelle nous retrouvons ses dernières traces en France, à Saint-Césaire. Un seul groupe survécut dans l'ex-Tchécoslovaquie jusqu'il y a 26000 ans durant l'âge du paléolithique inférieur, à l'époque du Pléistocène. L'homme de Néandertal disparut probablement sous la pression de l'Homo sapiens et son représentant européen, l'homme de Cro-Magnon, mais également dilué dans les hybridations puisque nous possédons en nous quelques pourcents d'ADN néandertaliens. On y reviendra.

Même si les hommes de Néandertal ont disparu, il faut leur reconnaître une adaptation remarquable dans des conditions hivernales très rigoureuses. Cela revient à nous demander de vivre sous la tente par 0°C habillé de peaux de bêtes et de chasser sous la pluie glacée ou la neige... Seuls quelques Russes vivant au Kamtchatka, des Inuits du Groenland et les Indiens de Patagonie pourraient éventuellement soutenir ce régime tout en restant en bonne santé (avant l'arrivée des colons, les Patagons et les Fuégiens n'avaient jamais souffert de rhume ou de grippe). L'homme de Néandertal est l'espèce humaine qui vécut le plus longtemps.

Des empreintes de pas de Néandertaliens en Normandie

En 2019, une équipe d'archéologues dirigée par Dominique Cliquet du CNRS/Université de Rennes 1 publia dans les "PNAS" les résultats de l'analyse de 257 empreintes de pas découvertes sur la côte de Rozel, en Normandie, où les archéologues avaient déjà découvert un abri sous roche et des traces d'habitat datant du Paléolithique moyen, il y a 80000 ans (cf. B. van Vliet-Lanoë et al., 2006 et D.Cliquet et al., 2018).

Cette fois les chercheurs ont découvert des empreintes de pas appartenant à un groupe de 10 à 14 personnes, dont la plupart étaient des enfants, y compris un enfant de deux ans. Selon Jérémy Duveau du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris (MNHN) et coauteur de l'article, "c'était incroyable d'observer ces traces qui représentent des moments dans la vie d'individus, parfois très jeunes, qui vivaient il y a 80000 ans."

Les empreintes de pas ont été faites dans une dune de sable située à l'époque à quelques kilomètres de la mer, environ 35000 ans avant que l'Homo sapiens ne s'installe dans la région.

Sur le plan archéologique, découvrir des empreintes de pas aussi bien conservées est très rare. Dans le monde, les empreintes de pas faites par des humains anciens ou modernes n'ont été découvertes que dans 36 endroits, y compris en Australie. Mais les empreintes de Néandertaliens sont très rares. Jusqu'à cette découverte, il n'existait que neuf empreintes dans quatre sites différents. La découverte d'autant d'empreintes en un seul endroit est donc exceptionnelle et pourrait apporter beaucoup d'informations sur l'âge et la composition des groupes de Néandertaliens.Selon Duveau, "ces traces de pas ont été recouvertes très rapidement par le sable [et] ont probablement été réalisées par un seul groupe."

A gauche, l'une des 257 empreintes de pas découverte à Rozel en Normandie. A droite, la large partie médiane du pied et de la voûte plantaire correspondent bien à ce que nous savons de l'anatomie des Néandertaliens. Documents D. Cliquet et al., (2019).

Comment savons-nous que ces empreintes sont celles de Néandertaliens ? Bien qu'aucun reste de squelette n'ait été retrouvé sur le site de Rozel, sur base d'autres fossiles trouvés dans d'autres sites, la forme des empreintes de pas correspond à ce que nous savons de l'anatomie des Néandertaliens. Selon Duveau : "[les empreintes de Néandertaliens] sont relativement plus larges, en particulier au milieu du pied que les empreintes des Homo sapiens, ce qui correspond à un pied plus robuste et à une voûte moins prononcée", comme on le voit ci-dessus.

Des empreintes de pas ont également été découvertes à côté de nombreux outils en pierre taillées fabriqués dans le style distinctif du Moustérien associé aux Néandertaliens.

Si les os fossilisés et les outils sont très utiles pour dater l'époque et le style d'industrie lithique, les empreintes de pas sont également très importantes. En effet, l'avantage des empreintes de pas fossilisées est de révéler concrètement le physique de la personne à travers ses muscles et sa posture.

Pour déterminer si ces individus faisaient partie d'un même groupe, les chercheurs ont mesuré les empreintes les mieux préservées, déterminé le rapport taille/hauteur et mesuré la profondeur des empreintes. Ils ont ensuite comparé les empreintes aux modèles tridimensionnels d'empreintes humaines anciennes et modernes d'autres sites, ainsi qu'aux données recueillies au cours d'une expérience réalisée avec des habitants de différents âges marchant pieds nus sur le sable.

Le gisement de Rozel en Normandie où l'équipe de Dominique Cliquet découvrit 257 empreintes de pas fossilisées.

Selon les chercheurs, les traces révèlent que la plupart de ces Néandertaliens mesuraient moins de 1.30 m mais un individu mesurait 1.75 m, ce qui est très grand pour un Néandertalien. Les empreintes de pas confirment que s'agit de personnes trapues et très puissantes.

Jusqu'à présent, les informations les plus détaillées que nous possédons sur les Néandertaliens dans les archives fossiles proviennent des squelettes de 13 personnes décédées ensemble il y a 49000 ans dans la grotte de El Sidron en Espagne (cf. M.Basti et al., 2010; A.Estalrrich et al., 2017 et T.L.Kivell et al., 2018).

Si la moitié de la famille des Néandertaliens d'El Sidron était composée d'adultes, environ 90% des membres du groupe de Rozel est composée d'enfants. Cela suggère que ce groupe était en plein essor même aux limites septentrionales de son territoire. On ne peut donc pas accepter l'idée que les Néandertaliens exploraient à peine les étendues glacées d'Europe. Au contraire, bien que ce peuple tentait de survivre dans un environnement hostile, il trouva le temps de séjourner sur une plage.

Pour les paléoanthropologues qui étudient les sociétés de chasseurs-cueilleurs et les enfants de ce lointain passé, il n'est pas étonnant de trouver des traces de groupes d'humains comptant 40 à 50% d'enfants. En revanche, il est très rare de trouver ce genre d'information sur un site vieux de 80000 ans. Il est donc possible que les empreintes des adultes du groupe n'aient pas été fossilisées, raison pour laquelle le gisement fait toujours l'objet de recherches depuis 2012.

Pour les paléontologues il est très intéressant d'avoir des empreintes de pas d'enfants car on ne sait pas grand-chose du rôle des enfants et des adolescents dans la société néandertalienne. On ignore par exemple à quel âge les filles et les garçons étaient considérés comme des adultes. On suppose que les Néandertaliens étaient matures à l'âge de 15 ans.

Enfin, bien que les empreintes de pas aient été découvertes à côté des empreintes de mains, des outils de pierre, des restes d'animaux et des empreintes de pattes, on ne sait pas exactement ce que le groupe faisait à cet endroit. L'avenir nous en dira peut-être plus.

A lire : Cartoon Cavepeople, sur le blog de Cave People and Stuff

(pour le plaisir, anatomie des hommes des cavernes dans les dessins animés)

Trois crânes d'homme de Néandertal. A gauche, un crâne découvert sur le site de La Ferrassie en France daté entre 70-50000 ans. A sa droite, le crâne de Néandertal découvert à Amud, en Israël, et daté de 41000 ans. A droite du centre, le crâne de Shanidar I (Nady) daté entre 45-35000 ans découvert en Irak et sa reconstruction par John Gurge. Notez l'imposante arcade sourcilière ainsi que l'absence de menton. Documents Modern Human Origins.

L'enfant de Néandertal

La vallée de la Meuse révéla un nouveau squelette en 1993. Des fragments de la mandibule et du maxillaire d'un enfant contenant encore quelques dents furent mis à jour dans la grotte de Scladina à Sclayin, près de Namur. Celui qu'on appela "l'enfant de Néandertal" était mort il y a environ 100000 ans.

Analysé par les paléoanthropologues de l'Institut Max Planck d'Anthropologie Évolutionnaire (MPG/EVA) en Allemagne, sur base des modèles actuels les dents de l'enfant de Néandertal indiquent qu'il serait âgé de 11 ou 12 ans mais l'analyse de sa dentine démontra qu'il mourut à 8 ans, ce qui suggère un développement plus lent qu'à notre époque.

Sur base de toutes les connaissances acquises depuis plus d'un siècle et surtout grâce au développement de nouvelles techniques de morphologie, de reconstructions tridimensionnelles et d'analyses génétiques, nous avons aujourd'hui une image assez précise de la nature morphologique et génétique de l'homme de Néandertal.

Les moulage de son crâne  indiquent que son cerveau n'était pas différent du nôtre. Sa partie frontale est très similaire à celle de l'homme moderne. La différence est que le crâne de l'homme de Néandertal est plus bas et allongé. Ses lobes temporaux et pariétaux (qui interviennent dans le langage avec l'aire de Broca et le repérage dans l'espace notamment) sont de ce fait plus petits que les nôtres.

Concernant sa façon de vivre, l'analyse de la dentition de l'enfant de Néandertal montre qu'il vivait dans les bois et les grottes de la vallée de la Meuse et consommait de la viande d'herbivore (notamment d'auroch, l'ancêtre de nos bovidés) vivant en milieu ouvert; il était carnivore.

Où qu'ils aient vécus, en Belgique, en France, en Espagne, en Croatie ou dans l'Altaï, tous les Néandertaliens étaient presque exclusivement carnivores et ne mangeaient pratiquement pas de poisson ni de végétaux. Ils chassaient de gros gibiers grâce à une technologie déjà très performante leur permettant de fabriquer des pierres taillées au profil parfois très élaboré comme on le voit ci-dessous. Les Néandertaliens ont également réalisé des copies conformes de racloirs et grattoirs Homo sapiens, preuve qu'ils savaient s'adapter et améliorer leur savoir.

A lire : Des pointes bifaciales sculptées il y a 75000 ans (sur le blog, 2010)

A voir : Ginellames, tailleur de silex

Lithic Casting Lab

A gauche, des répliques des outils de l'Acheuléen (500000-300000) et deux lames du Moustérien (extrême droite, 300000-30000 ans). A droite, des outils du Moustérien (300000-30000) : bifaces, pointes de flèches, racloirs et grattoirs fabriqués par l'homme de Néandertal. Ci-dessous à gauche, une lame de biface très mince en forme de ménisque. A droite, des outils en obsidienne et en silex datant d'environ 94000 ans découverts sur les pentes du mont Eburru, au nord-ouest du lac Naivasha, au Kenya par Stan Ambrose et son équipe. Documents Skulls Unlimited, Préhisto et P.A. Slater.

Les premières espèces de Néandertaliens ne connaissaient pas la lance et n'utilisaient que des armes en pierre. Ils devaient donc s'approcher de très près de leurs proies. Certains squelettes témoignent d'ailleurs de nombreuses blessures parfois mortelles, y compris des trous crâniens provoqués par les crocs de grands carnivores. Ce n'est qu'en cotoyant les Homo sapiens que les derniers hommes de Néandertal apprirent à manipuler des lances munies d'une pointe en pierre taillée.

Les plus anciennes peintures rupestres néandertaliennes

Les spécialistes de l'art pariétal ont longtemps cru que les premières peintures rupestres furent l'oeuvre des Homo sapiens et notamment des hommes de Cro-Magnon du fait qu'on n'avait pas découvert de peinture rupestre antérieure au Paléolithique supérieur (30000-12000 ans). Les plus anciennes peintures rupestres découvertes en Afrique remontent à 26000 ans (grotte Apollo 11 en Namibie), celle d'Asie à 20000-30000 ans (Damaidi en Chine) et celles d'Europe à 36000 ans (Chauvet-Pont-d'Arc en Ardèche). Aussi quand un chercheur annonce la découverte de peintures rupestres remontant au Paléolithique moyen, la découverte fait sensation.

En 1970, des archéologues découvrirent des peintures rupestres dans la grotte de Nerja située à 45 km à l'est de Malaga, en Espagne. La grotte fut découverte en 1959. Elle contient des concrétions monumentales et on y découvrit également le squelette d'un Néandertalien ainsi que des charbons de bois au pied des peintures. Selon les analyses au radiocarbone faites en 2012 par le laboratoire américain Beta Analytics, les peintures rupestres datent entre 43500 et 42300 ans et sont donc antérieures à celles de la grotte Chauvet. Toutefois, certains auteurs comme le français Jean Clottes doute de cette datation car ce n'est pas l'ocre qui a été daté (elle ne contient pas de matière organique) mais les charbons de bois. Quoiqu'il en soit, des hommes préhistoriques ont fait du feu et peint dans cette grotte. Selon l'achéologue José Luis Sanchidrián de l'Université de Córdoba, étant donné que l'Homo sapiens n'avait apparemment pas encore atteint l'Espagne à cette époque, ces dessins furent probablement réalisés par des hommes de Néandertal.

A voir : Neanderthal Origin of Iberian Cave Art (La Pasiega)

A gauche, les peintures rupestres (des phoques et non des poissons) remontant à 43500-42300 ans découvertes dans la grotte de Nerja (entre Malaga et Motril) en Espagne. Au centre et à droite, les peintures rupestres découvertes à La Pasiega en Espagne datées de plus de 64800 ans, un record. Documents EPA/Diario Córdoba et Dirk L. Hoffmann/P.Saura et al.

Puis en 2018, Dirk L. Hoffman de l'Institut Max Planck d'Anthropologie Évolutionnaire et ses collègues ont annoncé dans la revue "Science" avoir daté des peintures rupestres découvertes dans la grotte de La Pasiega en Espagne d'au moins 64800 ans. Les résultats furent publiés trois ans après la découverte afin que les chercheurs aient le temps d'analyser de multiples échantillons et de procéder à une étude qualitative digne de ce nom.

La datation fut réalisée par la méthode de l'uranium-thorium sur des résidus de carbonate de calcium récoltés par l'équipe d'Alistair Pike de l'Université de Southampton et coauteur de cette étude. Ce minéral s'est déposé dans toute la grotte après le passage de l'eau. Pike et son équipe ont daté trois couches distinctes (externe, intermédiaire et interne). Comme ils s'y attendaient, les échantillons de la couche interne qui sont les plus proches des peintures ont donné les dates les plus anciennes tandis que les échantillons de la couche externe sont plus jeunes du fait qu'ils représentent des couches précipitées plus récemment.

Toutefois, l'archéologue Roberto Ontañón Peredo du Musée de Préhistoire et d'Archéologie de Cantabrie à Santander doute de cette datation car le carbonate de calcium a pu se dissoudre et se recristalliser plus récemment, libérant un peu d'uranium, rendant la datation plus ancienne qu'elle n'est en réalité. Mais Pike et ses collègues estiment qu'aucun processus de recristallisation de la calcite pourrait préserver l'ordre stratigraphique.

A ce jour, les peintures rupestres de la grotte de La Pasiega sont les plus anciennes au monde crées par les Néandertaliens. Elles sont antérieures d'environ 20000 ans à celles peintes par les Homo sapiens découvertes aux Célèbes (Sulawesi) et en France.

Comme on le voit ci-dessus au centre et à droite, ces peintures colorées en rouge et en noir comprennent de nombreux animaux, des traces linéaires, des formes géométriques, des pochoirs à la main et des empreintes de mains. Selon les chercheurs, "les hommes de Néandertal présentaient une culture symbolique beaucoup plus riche qu'on le pensait auparavant." Selon Pike, on ignore encore ce que représentent ces symboles mais on en trouve de similaires dans trois sites en Espagne. Il ne s'agit donc pas d'une simple décoration de l'espace mais ces "gens faisaient un voyage dans l'obscurité". Extrapoler d'autres intentions serait purement spéculatif.

Avec tous ces éléments, nous avons suffisamment de preuves attestant que l'homme de Néandertal présentait les mêmes facultés d'abstraction et de symbolisme que l'Homo sapiens d'Indonésie d'il y a 45500 ans ou de l'homme de Cro-Magnon européen d'il y a 36000 ans. Selon Hoffman et ses collègues, "il est donc possible que les racines de la culture symbolique se retrouvent chez un ancêtre commun aux Néandertaliens et aux Homo sapiens il y a plus d'un demi-million d'années".

Le plus ancien ADN de Néandertal

En 1993, des spéléologues du CARS (Centro Altamurano Ricerche Speleologiche) découvrirent à 10 mètres de profondeur dans la grotte calcaire de Lamalunga située près d'Altamura, dans la province de Bari, dans le sud de l'Italie (cf. Puglia), le squelette quasiment intact d'un adulte de 1.60 m calcifié au milieu des stalactites et des stalagmites. Plus de vingt ans plus tard, le paléontologue Giorgio Manzi de l'Université Sapienza de Rome et ses collègues parvinrent à réaliser une analyse morphométrique et datèrent le squelette dont les résultats firent l'objet d'un article publié dans le "Journal of Human Evolution" en 2015.

L'analyse de l'ADN trouvé dans l'omoplate de "l'homme d'Altamura" calcifié est celui d'un Néandertalien qui vécut il y a 130000 à 170000 ans. Document Ministère de la Culture, surintendant de l'archéologie des Pouilles.

L'homme d'Altamura représente le squelette le plus complet d'un être humain non moderne trouvé à ce jour. Presque tous les éléments osseux sont préservés et intacts, au détail près qu'ils sont couverts de calcite.

Le squelette porte un certain nombre de traits néandertaliens, en particulier au niveau du visage et de l'arrière du crâne. Cependant, il possède également des caractéristiques qu'on ne voit généralement pas chez les Néandertaliens. Comme on le voit sur la photo présentée à droite, ses arcades sourcilières par exemple sont encore plus massives que celles des Néandertaliens. A l'époque, ces différences faisaient qu'il était difficile de dire à quelle lignée humaine il appartenait. De plus, le squelette reste partiellement enchâssé dans la roche, rendant son analyse difficile.

En 2015, grâce à l'analyse de l'ADN extrait d'un morceau de l'omoplate droite du squelette, Manzi et ses collègues ont pu démontrer que le fossile d'Altamura était celui d'un Néandertalien. La forme de ce fragment d'os ressemble également à celle des Néandertaliens.

Les chercheurs ont daté le squelette entre environ 130000 et 170000 ans. Cela en fait le plus ancien néandertalien dont l'ADN fut extrait.

Les os sont trop anciens et l'ADN est trop dégradé pour que les chercheurs puissent séquencer le génome du fossile, du moins avec la technologie actuelle. Cependant, ils ont noté que les technologies de séquençage d'ADN de nouvelle génération pourraient y parvenir.

Selon le paléontologue moléculaire David Caramelli de l'Université de Florence et coauteur de cette étude, cela "pourrait fournir des résultats importants sur le génome de Néandertal". En effet, alors que les quelques fossiles précédemment découverts de différents Néandertaliens ont permis de dresser un profil partiel de leur vie, le squelette d'Altamura pourrait permettre de dresser un portrait plus complet des Néandertaliens. Il pourrait par exemple révéler plus de détails sur la génétique, l'anatomie, l'écologie et le mode de vie des Néandertaliens.

Selon le paléoanthropologue Fabio Di Vincenzo de l'Université de Florence et coauteur de cette étude, "Nous avons un squelette fossile humain presque complet à décrire et à étudier en détail. C'est un rêve. Sa morphologie offre un rare aperçu de la première phase de l'histoire évolutive des Néandertaliens et de l'un des évènements les plus cruciaux de l'évolution humaine. Il peut nous aider à mieux comprendre quand - et, en particulier, comment - les Néandertaliens ont évolué".

Les plus anciennes gravures et les plus anciens pigments

Le plus ancien dessin abstrait fut découvert par l'équipe de Francesco D'Errico du CNRS sur un fragment de roche siliceuse (silcrète) dans des couches archéologiques dans la grotte de Blombos située à 300 km à l'est de la ville du Cap, en Afrique du Sud, et remontent à 73000 ans. La grotte fut découverte en 1991 et continue à livrer des artefacts.

Comme on le voit ci-dessous à gauche, le fragment porte sur une de ses faces neuf traits qui ont été volontairement tracés avec un crayon d’ocre pourvu d'une pointe. Ce tracé précède d'au moins 30000 ans les plus anciens dessins abstraits et figuratifs connus jusqu'à présent réalisés avec la même technique (cf. la grotte de Chauvet). Les résultats de cette découverte furent publiés dans la revue "Nature" en 2018.

A gauche, des traits tracés avec un crayon d'ocre sur une roche polie (silcrète) découverte dans la grotte de Blombos, en Afrique du Sud. La couche archéologique fut datée d'environ 73000 ans. A droite, bloc d'ocre gravé d’un motif abstrait trouvé dans la même couche archéologique. Documents C.S.Henshilwood et al. (2018).

Selon D'Errico, "retrouver à Blombos de nouveaux croisillons, sur un autre support et résultant d’une autre technique, suggère que dans l’esprit des habitants de cette grotte, ces symboles signifiaient quelque chose". Le chercheur compare cette gravure avec la croix chrétienne qui est aussi un " signe incorporé dans divers supports matériels."

Mais comme le rappelle D'Errico dans un autre article, ce n'est pas la première fois qu'on découvre ce genre d'artefact car des zigzags faits par un Homo erectus furent découverts sur un coquillage à Trinil, situé sur les rives du fleuve Solo, sur l'île de Java, et remontent à ~500000 ans (entre 540000-430000 ans). Ils furent attribués à un Homo erectus. Ces traits furent considérés comme artistiques et non utilitaires.

Enfin, on a découvert des coquillages marins percés contenant des pigments jaunes et rouges présentés ci-dessous datés de 115000 ans dans la grotte de "Cueva de los Aviones (la grotte des Avions) située dans le port de la ville de Cartagène (Murcie), dans le sud-est de l'Espagne. Cette découverte fut décrite par Dirk L. Hoffmann et son équipe dans la revue "Science Advances" en 2018.

Des coquillages marins datés de 115000 ans découverts dans la grotte de "Cueva de los Aviones" dans le sud-est de l'Espagne. A gauche, des bivalves Acanthocardia et Glycymeris contenant sur leur face interne des résidus d'hématite rouge (notamment sur la plus grande Glycymeris. A droite, un fragment de spondyle contenant des traces de pigments (dans la zone encadrée) composés d'inclusions d'hématite et de pyrite dans une base de lépidocrocite (un polymorphe d'oxyde de fer contenant du manganèse généralement orangé). Documents Dirk L. Hofamnn et al. (2018).

Notons que l'équipe de Francesco D'Errico avait déjà découvert des coquillages percés et contenant des pigments colorés en Afrique du Nord datés d'environ 82500 ans soit au moins 35000 ans plus anciens que les ornements similaires découverts en Europe. Leur découverte fut décrite dans les "PNAS" en 2009.

Des outils façonnés par écaillage par percussion il y a 400000 ans

Dans un article publié dans la revue "PLOS One" en 2021, l'équipe de l'archéologue Paolo Villa de l'Université du Colorado et de l'Institut Italien de Paléontologie Humaine de Rome, annonça la découverte à Castel di Guido, à l'ouest de Rome et à 7 km de la mer Méditerranée, d'un gisement d'outils paléolithiques datant de 400000 ans. Sur une surface d'environ 1450 m2, les chercheurs ont excavé 98 artefacts en os d'éléphant à défenses droites (Palaeoloxodon antiquus), une espèce aujourd'hui disparue, ainsi qu'en os de bovins dont d'aurochs (Bos primigenius).

Le gisement de Castel di Guido, près de Rome, où furent excavé 98 artefacts en os d'éléphants fabriqués il y a 400000 ans par des Néandertaliens. Documents P.Villa et al. (2021).

Cette collection d'outils prouve que les homininés n'ont pas simplement jetés les os des animaux mais mirent en place une ligne de production primitive avec des méthodes innovantes.

Selon Villa, "Bien que des outils en os remontant à cette période lointaine aient été découverts sur d'autres sites, il n'y a pas cette variété de formes bien définies. À Castel di Guido, les humains brisaient les os longs des éléphants et produisaient des ébauches standardisées pour fabriquer différents types d'outils en os. Ce type d'aptitude n'est devenu courant que bien plus tard".

Si on compare cette collection aux artefacts recueillis sur d'autres sites, on constate que les premiers humains se contentaient généralement d'utiliser les fragments d'os disponibles, sans les adapter et les raffiner, mais à Castel di Guido, c'est différent.

Selon Villa et ses collègues, la technique utilisée est connue sous le nom d'écaillage par percussion; ou découpe de fragments d'os avec un outil séparé pour fabriquer des outils spécifiques. Les outils en pierre auraient été façonnés de manière similaire mais ils étaient beaucoup plus courants à cette époque, ce qui rend la découverte des 98 outils en os très surprenante.

On retrouve cette technologie acheuléenne mais sur des outils de pierre en Afrique de l'Est, notamment au Kenya (cf. G.L. Isaac et B.Isaac, 1977; J.D. Clark, 2001) mais c'est la première fois qu'on en découvre en Europe datant de l'Acheuléen.

Selon les chercheurs, cela ne veut pas dire que les anciens humains de Castel di Guido étaient particulièrement "intelligents". L'explication pourrait simplement être qu'ils avaient à leur disposition beaucoup plus d'os d'éléphants que les autres groupes, et peu de gros silex naturels pour fabriquer des outils en pierre.

Les outils qu'ils ont produits comprenaient ceux pouvant servir à trancher la viande ainsi que des coins qui auraient pu être utilisés pour créer un effet de levier pour fendre les gros os comme les fémurs d'éléphant. Comme l'explique Villa, "D'abord, vous créez une rainure dans laquelle vous pouvez insérer ces pièces lourdes qui ont un tranchant. Ensuite, vous la martelez, et à un moment donné, l'os se brisera".

L'un des outils les plus intéressants découverts sur le site est ce qu'on appelle un lissoir : un os long et lisse à une extrémité, qui aurait été utilisé pour traiter le cuir. Ce type d'outil ne sera couramment utilisé qu'il y a environ 300000 ans.

Quelques outils excavés à Castel di Guido, près de Rome. A gauche, des bifaces fabriqués à partir de fragments de diaphyse (le tronc moyen d'un os long) d'éléphants. Les artefacts A et F ne sont que légèrement abrasés, B-E sont abrasés et présentent des éclats frais sur la même face, suggérant qu'ils furent réutilisés. Au centre, des outils pointus abrasés ou légèrement abrasés. B et C peuvent être classés comme des coins pointus. A droite, un lissoir fabriqué à partir du radius droit d'un auroch (Bos primigenius). Ces outils furent fabriqués par écaillage par percussion par des Néandertaliens il y a environ 400000 ans. Documents P.Villa et al. (2021).

Compte tenu de la diversité des types d'outils découverts sur ce site et des techniques utilisées pour les créer, les archéologues estiment qu'ils furent fabriqués par des hommes de Néandertal il y environ 400000 ans. Sur base de cette découverte les paléoanthropologues vont devoir recalibrer les époques et les délais du développement initial de ces outils et de leurs méthodes de production.

Toutefois, pour l'instant cela semble être une poussée isolée de la technologie de production en matière osseuse. Selon Villa, "Il y a environ 400000 ans, on commence à voir l'utilisation habituelle du feu, et c'est le début de la lignée néandertalienne. C'est une période très importante pour Castel di Guido".

Des Néandertaliens en Amérique il y a 130000 ans ?

Selon une étude récente, des Néandertaliens auraient atteint le continent américain plus tôt que prévu. En effet, en 2017 une équipe d'archéologues dirigée par le paléontologue Steven R. Holen du Musée d'Histoire Naturelle de San Diego, publia dans la revue "Nature" les résultats de l'analyse d'un squelette de mastodonte découvert en 1992 le long de la route 54 sur le site paléontologique de Cerutti dans le comté de San Diego, en Californie. Selon une datation à l'uranium/thorium faite en 2002, ces fossiles datent de 130000 ans et comprennent des fragments d'os et de molaires qui semblent avoir été brisés et écrasés.

Les os, les défenses et les dents du mastodonte étaient enlisés dans du limon, aux côtés de roches érodées et brisées. Pour cette raison le paléontologue Thomas Deméré coauteur de l'article a toujours pensé que cette usure était artificielle et que les roches n'avaient pas été déposées par le cours d'eau proche.

Comme on le voit ci-dessous à droite, les archéologues ont également découvert une masse ronde en pierre qui ressemble très fort à un percuteur primitif comme ceux utilisés par les Néandertaliens pour fabriquer leurs outils lithiques (voir plus bas).

A voir : CMS Bone Breakage Experiment

The first Americans: Clues to an ancient migration

A gauche, un fragment de molaire de mastodonte découvert en 1992 sur le site de "Cerutti" à San Diego, en Californie. A droite, ce qui ressemble à un percuteur découvert sur le même site. Ces artefacts se trouvent parmi des fragments d'os de mastodonte datant de 130000 ans. Documents Tom Deméré et al. (2017).

Comme on le voit dans la première vidéo ci-dessus, les chercheurs ont essayé de reproduire les marques visibles sur les os en brisant des os de squelettes d'éléphants en Tanzanie au moyen d'une masse et sont arrivés à la conclusion que les os brisés découverts à San Diego et les marques qu'ils présentent sont l'oeuvre d'humains. Selon Kathleen Holen, également coauteur de l'article, les marques ressemblent à celle d'un os qui aurait avait été posé sur une roche "enclume" et percuté avec une roche "marteau", un percuteur.

Le problème est qu'à ce jour, aucune espèce humaine n'était  censée se trouver à cet endroit à cette époque. Rappelons que les premiers humains ayant foulé le sol américain sont des Homo sapiens vers -20000, une période assez récente car les premiers migrants furent stoppés par les glaciers et durent attendre leur fonte avant de conquérir le Nouveau Monde. On y reviendra (voir page 13, Peuplement de l'Amérique).

L'hypothèse qu'une espèce humaine aurait été présente en Amérique du Nord il y a 130000 ans ne repose sur aucun squelette d'humain mais uniquement sur de maigres indices indirects. Cette théorie est donc controversée. De plus, on ignore s'il s'agirait de Néandertaliens ou d'une autre espèce humaine.

Selon la paléogénéticienne Beth Shapiro de l'Université de California à Santa Cruz, il est possible que des Dénisoviens ou des Néandertaliens aient migré d'Asie vers l'Amérique du Nord. Peu avant cette découverte, en 2017 Beth Shapiro et ses collègues avaient justement publié un article dans les "PNAS" montrant que les bisons s'étaient répandus en Amérique du Nord à partir de la bande de terre du Béringie qui reliait l'Asie et l’Amérique du Nord voici 135000 ans à l'endroit où se trouve aujourd'hui le bras de mer du détroit de Béring. Il est possible que des humains aient suivi ces troupeaux à la même époque. Mais sans fossiles humains datant de cette époque, ce ne sont que des spéculations. Les recherches continuent.

Ceci dit, la plus grande population de Néandertaliens vécut en Europe avant de migrer vers l'intérieur du continent et vers l'Asie.

L'émergence des sentiments humains

Heureusement, malgré les avatars du climat, il y a environ 45000 ans, à la fin de la période de la glaciation de Würm, l'homme sortit à proprement parlé d'une lente hibernation. Il ne vivait plus comme à l'époque ancestrale où il était isolé et où seul les plus forts survivaient. Vivant dans des tribus aux rites codifiés, les hommes de Néandertal apprirent à s'unir pour survivre ce qui leur permit de s'épanouir et de traverser les difficultés de la vie.

Bien que rustre et parfois un peu "tête brûlée" quand on l'énerve, l'homme de Néandertal cache malgré tout un "bon fond". Grâce à la découverte d'une mandibule de Néandertalien dans le sud de la France, on sait par exemple qu'il éprouvait de la compassion, au point de subvenir aux besoins d'un vieillard perclus d'arthrite déformante et ayant perdu pratiquement toutes ses dents. Plutôt que de rejeter un chasseur devenu inutile à la collectivité, ils l'ont protégé, lui donnant les produits de leur chasse et mastiquant ou attendrissant les aliments pour lui.

La vie des Néandertaliens et l'émergence des sentiments. A droite, mise en scène dans un musée de Krapina, en Croatie en 2010. Document ExploraTV et Reuters/Nikola Solic.

Ils protégèrent également les membres handicapés du clan, aidant par exemple dans la vie quotidienne un chasseur amputé d’un bras ou les vieillards à qui on réservait le soin de tanner les peaux de bêtes. A une autre époque, du temps de Lucy ou de l'Homo erectus ils l'aurait laissé mourir de faim. Les contraintes de la survie dans un monde peuplé de mammifères de grande taille (ours des cavernes, félins, bisons, mammouths,...) n'auraient pas permis de prendre en charge les infirmes et risquer la survie de la tribu. A présent les comportements s'étaient littéralement humanisés.

On se doute aussi que l'homme de Néandertal était curieux et chapardeur, et n'hésitait pas à l'occasion à faire des excursions chez son ennemi, l'homme de Cro-Magnon, histoire de lui voler de la nourriture, quelques calebasses ou des vêtements plus beaux que ceux qu'il portait.

Mais c'était oublier que Cro-magnon était mieux armé que lui et savait utiliser la sagai et le propulseur mieux que personne. Plus d'une tribu de Néandertal sont revenues de leur tentative de pillage avec un frère ou un cousin blessé ou mort au combat. Malgré les incantations du sorcier, son corps était là, inerte, et rien pouvait lui redonner vie. Son souffle avait disparu et chacun éprouvait une même douleur, comme si quelque chose leur avait été arraché du fond du coeur. On appela ce sentiment la peine de coeur, le chagrin, la tristesse. Il fallait se résigner à l'enterrer. Mais l’homme de Néandertal croyait-il déjà à l’au-delà ?

Rites et cultures

 Arrêtons-nous un instant sur les rites et les cultures. On a beaucoup écrit et spéculé sur l’intellect, les concepts et les croyances des "hommes des cavernes". Une chose est certaine. Si la jeunesse se préoccupe peu de l'au-delà, et avec raison, arrivé au crépuscule de sa vie, l’homme, qu’il soit moderne ou primitif, croyant ou athée, accepte difficilement le fait qu’il va mourir. Il en arrive parfois à remettre en question jusqu'à la raison même de son existence et de l'univers qui l'entoure.

Incapable d'appréhender cette situation, quelle que soit sa condition sociale et son caractère, l'homme subit cet évènement avec plus ou moins de craintes, d'interrogations ou de sérénité, mais jamais dans l'indifférence.

Aussi invente-t-il des mythes qui, très tôt dans son histoire, ont défini la topographie du monde inconnu dans lequel il allait évoluer après la mort. Monde irrationnel, mais à l’image du monde terrestre, certains peuplèrent ce monde de “bons” et de “méchants”, d’élus, de sages, de rois, de danseurs ou de fous, asexués ou non, épris d’une compassion infinie, où la musique était divine, les parfums subtils et la nourriture abondante, où parfois les esprits étaient placés en fonction de leur rang terrestre et les damnés jetés en Enfer.

Homme de Néandertal de la Chapelle-aux-Saints exhumé dans la grotte de La Bouffia Bonneval située dans la vallée de la Sourdoire (Corrèze, F) en 1908. Daté d'environ 45000 ans, l'homme était âgé entre 50 et 60 ans et souffrait de différents maladies de vieillesse (mâchoires édentées, arthrite aux cervicales, hanche gauche déformée et un genou abîmé). Document Ferrassie-TV.

Ces hypothétiques lieux où l’on “vit” après la mort se situent tantôt au milieu du Paradis, au milieu de l’océan, au ciel ou dans un “autre monde”, quand la personne ne se réincarne pas. Cette métaphysique se complique lorsque vient se greffer sur ces croyances, les préceptes ou les lois religieuses, les principes éthiques et les doctrines sociales. Les peuples en viennent à tuer par idéologie (croisade, djihad) alors que celui qui tue devrait être condamné à l'Enfer.

Nous avons expliqué précédemment que l'Homo naledi avait développé un culte des morts au moins 100000 an avant les Néandertaliens.

Plus récemment, dans les gisements de La Ferrassie en France, où vécut l'homme de Néandertal, l’équipe de S.Gideon découvrit en 1965 une pierre tombale (à présent au musée des Eyzies) dans laquelle était gravée une dizaine de cupules, peut-être les signes d’une constellation ou des repères temporels. L'objet remonte au Paléolithique moyen.

Entre 100000 et 40000 ans, principalement durant la culture Moustérienne, en Eurasie mais également en Afrique de l'Est, l’homme de Néandertal laissa derrière lui les traces d’une culture philosophique et les preuves d'une attirance pour les pratiques irrationnelles. Il pratiquait des rites magiques, hallucinatoires, le culte des morts et croyait à leur survie.

Cela n'est pas étonnant dans la mesure où, rassemblé autour du feu, chacun devait songer à son expérience vécue, aux émotions qu'il ressentait après avoir observé un phénomène extraordinaire ou après avoir perdu son protecteur ou un ami, mais aussi aux sentiments étranges qu'il devait éprouver lors de cérémonies rituelles et occultes.

On retrouve ainsi des collections d'ossements d’ours, de mammouths ou de loups, des marques symboliques sur les objets, mais surtout des grottes funéraires datées de 50 à 60000 ans en Europe (en France, grottes de La Ferrassie, Au Moustier, La Chapelle-aux-Saints), au Proche-Orient (en Israël, la grotte de Skhul du Mont Carmel), en Asie Centrale (Teshik-Tash) ou en Crimée (Kiik-Koba).

Ces sépultures contiennent non seulement des squelettes de plusieurs Néandertaliens, mais également des trousseaux funèbres : de la nourriture, des objets quotidiens ou des armes étaient posées auprès des corps, en prévision du voyage et des éventuels combats qu’ils devaient livrer dans l’au-delà.

On peut donc en conclure que le défunt restait animé d'une mystérieuse force vitale qui conduisit les vivants à en prendre soin et à célébrer son souvenir, attitude qui révèle les prémices du culte des morts. Les mêmes traditions se retrouveront plus tard en Australie du Sud (Roonka, 18800 ans) lorsque l’Homo sapiens parvint aux antipodes. Entre-temps, la pensée religieuse se structura et les premières grottes-sanctuaires firent leur apparition il y a plus de 30000 ans.

Ailleurs, des animaux ont été enterrés et recouverts d'ocre, collectionnés tels des trophées de chasse ou placés dans des niches naturelles de grottes : une antilope au Liban, un ours en Dordogne (F), des restes de feux entourés de crânes de mammouths en Ukraine, etc. Ces rites, que l’on retrouve encore aujourd'hui chez certaines tribus de chasseurs de Sibérie ou d'Amazonie, sont le signe d'une vénération envers les animaux mythiques ou dangereux. Ces ossements devaient servir à des fins divinatoires, mais également comme instrument de magie (gri-gri, talisman) ou simplement fonctionnels, simples parures ou signes de puissance.

Il ressort de tout ce que les archéologues et paléoanthropologues ont découvert que l'homme primitif du Moustérien se posait déjà d'innombrables questions qu'il tentait de résoudre dans les modestes limites de ses capacités. En enterrant ses morts ou en portant des ossements en trophée, il modifia son comportement intellectuel, développa une nouvelle conception du monde en recherchant une symbiose avec la nature et le monde de l'au-delà. Ces phénomènes forgèrent leurs propres rituels, le sens artistique des "initiés" et la pensée religieuse.

Pendant 100000 ans, l’homme n"a cessé d"exprimer sa peur du lendemain, sa relation à autrui, sa joie de vivre, sa soif de savoir, au point de transformer son bagage intellectuel en un acquis spécifique qui contribue à lui donner des caractéristiques génétiques et culturelles que nulle autre espèce ne possède : la parole articulée et la faculté de se projeter dans l'avenir.

Le pouce de Néandertal

Comment l'Homo Sapiens a-t-il pu asseoir sa domination sur son cousin Néandertalien ? Des chercheurs ont découvert qu'une simple innovation morphologique modifiant l'anatomie de ses pouces aurait pu jouer un rôle majeur.

Dans un article publié dans la revue "Nature Scientific Reports" en 2020, Améline Bardo de l'Université du Kent et ses collègues ont vérifié si les deux espèces d'homininés se distinguent par leur façon de prendre en main et manipuler des outils.

Pour ce faire, les chercheurs ont analysé et mesuré les articulations entre les os du pouce de 5 fossiles de Néandertaliens grâce une méthodologie 3D. Trois squelettes furent découverts en France, un en Israël, et un en Irak. Les chercheurs ont ensuite comparé les mesures du pouce des Néandertaliens à celles obtenues sur 5 Homo sapiens fossiles et 40 humains adultes modernes au niveau du même complexe trapézio-métacarpien, c'est-à-dire les os situés à la base du pouce.

Selon Bardo, "Les résultats montrent un modèle distinct de covariation de forme chez les Néandertaliens, cohérent avec des postures du pouce plus étendues et en adduction qui peuvent refléter l'utilisation habituelle des poignées couramment utilisées pour les outils à manches. Tant les Néandertaliens que les humains récents démontrent une variation intraspécifique élevée dans la covariation de forme. Cette variation intraspécifique est probablement le résultat de différences génétiques et/ou de développement, mais peut également refléter, en partie, des exigences fonctionnelles différentes imposées par l'utilisation d'ensembles d'outils variés. Ces résultats soulignent l'importance de l'analyse holistique de la forme des articulations pour comprendre les capacités fonctionnelles et l'évolution du pouce humain moderne".

A gauche, reconstitution de la saisie manuelle d'un Néandertalien : le pouce est tendu le long du manche et dirige la force. A droite, comparaison de la forme de l'articulation du premier métacarpien Mc1 (première rangée supérieure, vue palmaire; deuxième rangée supérieure, vue proximale) et du trapèze (rangée médiane, vue palmaire; première rangée à partir du bas, vue proximale; 2e rangée à partir du bas, vue distale) chez l'homme moderne (2e à partir de la gauche) et 5 Homo sapiens fossiles (3e au 7e à partir de la gauche) et 5 Néandertaliens (1er au 5e à droite). Couleurs principales: jaune, joint trapézoïdal-Mc1; bleu, 2e articulation métacarpienne; articulation trapézoïdale verte; joint scaphoïde rouge. La première colonne (à gauche) représente les modèles de repère utilisés dans nos analyses pour quantifier la covariation de forme. NB. L'illustration n'est pas mise à l'échelle et les os du côté gauche (Le Régourdou 1, Kebara 2, Shanidar 4, Abri Pataud P1, Abri Pataud P3, Dame du Cavillon) sont mis en miroir pour une comparaison équitable. Documents A.Bardo et al., (2020).

Le résultat valide l'intuition des scientifiques : il existe bien une différence majeure entre les pouces des deux espèces. Chez les Néandertaliens, l'articulation du doigt s'avère plus plate, lui conférant moins de degrés de liberté que le nôtre. Si les Néandertaliens étaient capables de tenir puissamment un objet comme un marteau avec le pouce étendu le long du manche comme illustré ci-dessus à gauche, ils devaient être beaucoup plus maladroits pour des saisies de précision comme la préhension d'un objet entre le pouce et l'index. A l'inverse, chez l'homme moderne, les surfaces articulaires des pouces, plus grandes et plus incurvées, semblent parfaites pour accomplir de tels gestes.

Selon Bardo, "Si Néandertal restait capable d'un tel doigté, cela devait lui demander bien plus d'efforts. De plus, la prise devait être moins puissante et la pression appliquée inférieure à ce que sont capables de faire les Homo sapiens."

Cette différence dans la manière de saisir les objets dut avoir un impact considérable sur l'histoire des premiers humains, en favorisant certains, à savoir nos ancêtres, au détriment d'autres. Cette caractéristique anatomique inédite aurait alors permis à nos ancêtres de concevoir de meilleurs armes et objets, leur conférant un avantage évolutif indéniable sur les autres homininés avec lesquels ils se disputaient les territoires et les ressources.

Cependant, une question demeure : ce bouleversement anatomique est-il apparu chez Homo sapiens ou les prémices en seraient-ils déjà perceptibles chez ses ancêtres ? Pour le savoir, Ameline Bardo compte poursuivre son étude en se penchant sur les pouces de certains d'entre eux, notamment l'Homo naledi  et de plus anciens spécimens comme l'Homo habilis.

Autre interrogation : cette nouvelle caractéristique anatomique a-t-elle pu avoir des conséquences sur l'intégralité de l'anatomie de l'Homo sapiens et modifier sa posture générale ? Marchait-il mieux, courait-il mieux, grâce à cette habileté manuelle ? Puisque cette question touche à la posture du corps, ce spécialiste des mains préhistoriques a sollicité la collaboration d'un spécialiste ... des pieds. Affaire à suivre.

L'extinction de Néandertal

Malgré son adaptation l'homme de Néandertal n'a pas survécu et son espèce disparut il y a 26000 ans. Comment peut-on expliquer l'extinction d'une espèce aussi robuste ? Alors que les hommes de Néandertal ont cotoyé les Homo sapiens pendant au moins 50000 ans, pourquoi la première espèce disparut et pas la seconde ?

Le crâne d'une femme de Néandertal découvert à Krapina, en Croatie, datant de 125000 ans BP. Document NGS.

En deux mots, la coexistence des premières populations humaines fut très importante dans l'histoire de nos origines. Mais malgré toute sa force et son intelligence, l'homme de Néandertal n'a pas eu de chance face à la ruse et l'adaptation de l'Homo sapiens.

L'homme de Néandertal était un homme costaud et athlétique (1.60 m en moyenne pour 75 kg). On estime que ses besoins en énergie atteignaient 6000 à 6500 Kcal./jour, soit autant qu'un sportif contemporain de haut niveau en pleine activité. Les Néandertaliens n'avaient aucun soucis pour trouver de la nourriture carnée car le gibier (toutes les espèces d'animaux sauvages terrestres) était abondant, même pendant les périodes hivernales.

Par comparaison l'Homo sapiens se contentait de deux fois moins d'énergie. A défaut de force, il utilisa son intelligence pour développer des armes plus efficaces pour l'aider à chasser sans devoir consommer trop d'énergie et sans prendre trop de risques : il remplaça de temps en temps la chasse à l'affût par des pièges et la lance par des armes de jets plus légers et plus rapides.

Quand on découvrit les premiers fossiles de Néandertaliens, les paléoanthropologues constatèrent que les crânes avaient été soit perforés par une arme soit fracassés. Ils ont de suite imaginé que les Homo sapiens avaient massacré les Néandertaliens, ce qui conduisit à leur extinction. Mais l'étude récente du génome Néandertalien a forcé tous les chercheurs à revoir leur copie.

En fait, plusieurs théories concourent sans s'exclure pour expliquer l'extinction des Néandertaliens au profit de l'homme de Cro-Magnon.

D'abord, sur base de l'analyse de leurs squelettes, du tartre des dents et de leur ADN, on peut déjà affirmer que durant la plus grande partie de leur existence, les Néandertaliens ne sont pas morts de sous-alimentation, de carence alimentaire ou en vitamines, et rarement de maladie; ils étaient en très bonne forme, y compris les enfants, ils connaissaient des remèdes et mangeaient également de la viande cuite. En revanche, leur extinction a pu être précipitée suite à un changement de leur style de vie (migrations vers des territoires inconnus, fragmentation des clans, consanguinité, sensibilité aux nouvelles maladies, etc). On y reviendra.

La première théorie évoquée pour expliquer leur disparition considère les luttes tribales. Comme des animaux indésirables, l'homme de Néandertal s'est réfugié en Europe où il fut chassé par l'homme de Cro-Magnon. Mais si l'Homo sapiens est plus sage que son ancêtre dit primitif, il n'a pas de raison de l'attaquer sans motif. De plus, nous n'avons aucune preuve que les Homo sapiens aurait commis un génocide envers les Néandertaliens.

Pour certains auteurs, les théories des luttes tribales et du génocide qui auraient provoqué l'extinction des Néandertaliens sont d'autant moins plausibles que les groupes de populations étaient relativement réduits (quelques dizaines de personnes par clan et des groupes d'une dizaine de clans), la nourriture abondante et les territoires à conquérir aussi vastes que la Terre entière. En voyant un groupe potentiellement dangereux, pour éviter tout heurt, il aurait été plus logique dans l'esprit des Homo sapiens de passer leur chemin et de s'installer ailleurs, quitte à devoir marcher quelques semaines ou quelques mois de plus.

Les effets de la consanguinité.

Mais si cette explication paraît logique, elle est surtout intuitive et manque de preuves. Car comment expliquer que nous soyons la seule espèce humaine survivante alors que 10 autres espèces ont cotoyé un certain temps nos ancêtres ? Comment également expliquer les preuves de guerres tribales entre populations et la présence d'objets sculptés par l'Homo sapiens chez les Néandertaliens ? Dans ces deux cas, la situation inverse s'est certainement produite plus souvent : victime des rapines et des larcins incessants des hommes de Néandertal, et peut-être également par peur de leurs ennemis, les hommes de Cro-Magnon ont vraisemblablement fini par décimer leurs populations, mais cela se fit toujours à l'échelle locale et sans stratégie à long terme. Quant à conclure que l'Homme sapiens extermina les Néandertaliens, on ne peut pas l'affirmer et plus d'un spécialiste n'y croient pas.

Deuxième théorie, avant l'étude génétique des Néandertaliens, on pensait que l'homme de Néandertal disparut également du fait de son inadaptation au climat, sa spécialisation, et son manque d'intelligence face aux facultés de notre ancêtre. Aujourd'hui cette théorie est abandonnée faute de preuves.

Mais l'hypothèse d'une disparition des Néandertaliens suite à une catastrophe climatique ou géologique n'est pas abandonnée. Ainsi, en 2010 la paléontologue Naomi Cleghorn de l'Université du Texas a évoqué l'hypothèse que les éruptions volcaniques survenues en Europe il y a environ 40000 ans dans la région actuelle de l'Italie et du Caucase ont pu contribuer à l'extinction de groupes entiers de Néandertaliens dont les populations étaient encore peu nombreuses. En effet, les retombées volcaniques ont localement rendu les terres stériles, condamnant à mort les animaux herbivores et avec eux la source principale de nourriture des Néandertaliens d'Europe Centrale. Mais cette théorie pêche par approximation car les volcanologues ignorent encore si ces éruptions ont duré quelques jours, quelques mois ou quelques années.

Selon une troisième théorie, les Néandertaliens se sont éteints suite à une réduction drastique de leur population. Les raisons sont diverses : l'effet de catastrophes naturelles, l'émergence d'un ou plusieurs virus contre lesquels ils n'étaient pas immunisés ou la division et la réduction de la taille des clans. L'hécatombe les força à se reproduire de plus en plus souvent avec un membre plus ou moins proche de leur famille, ce qu'on appelle l'endogamie, provoquant un appauvrissement génétique et un problème de consanguinité pouvant entraîner des malformations (cardiaques, cérébrales, etc.) et des handicaps (mentaux, visuels, stérilité, etc.) en quelques générations (dès la 4e génération soit environ un siècle). Lorsque la diversité génétique s'est réduite et que le seuil de viabilité fut franchi, cette consanguinité conduisit à l'extinction de l'espèce[5]

On sait également que certaines populations de Néandertaliens pratiquaient occasionnellement le cannibalisme, peut-être à l'occasion de rites funéraires (on a par exemple retrouvé des crânes portant sur le front des incisions en forme géométrique). Or on sait que cette pratique développe des maladies à prions qui sont des agents pathogènes responsables de maladies du système nerveux comme la maladie de Kuru (encéphalopathie spongiforme) ou celle de Creutzfeldt-Jakob. Mais on n'a jamais démontré que les Néandertaliens sont morts de maladies infectieuses. De plus, les Néandertaliens morts par prions vivaient il y a environ 180000 ans et non à l'époque de leur extinction et les cas sont distribués à travers toute l'Europe. Ces maladies ne sont donc pas à l'origine de leur extinction.

Les études du biologiste et anthropologue Simon Underdown de l'Université d'Oxford Brookes confirment également que les Néandertaliens d'Eurasie se sont adaptés aux nouveaux virus et ont vaincu de nouvelles maladies sans succomber aux épidémies.

L'origine virale de l'extinction des Néandertaliens n'a jamais été confirmée. Les seules traces observées dans les squelettes de Néandertaliens sont celles de rachitisme, d'ostéoporose, d'ostéosarcomes (cancer des os) et de phytothérapie (des écorce de saule) contre des douleurs dentaires notamment. Les os fracturés d'autres spécimens se sont même reconstruits, preuve qu'ils prenaient soins de leurs semblables. S'ils furent contaminés par des virus, ces derniers provenaient nécessairement soit d'animaux infectés soit d'espèces virales libérées après la fonte des glaces ou transmises par des Homo sapiens vivant à proximité. Cette dernière hypothèse peut être reliée à une autre théorie.

Portraits de Néandertaliens (à gauche de l'Altai sibérien) par Tom Björklund.

Selon une étude publiée dans la revue "PLOS One" en 2019 par Anna Degioanni du CNRS/Aix-Marseille Université et ses collègues, sur base d'une approche purement mathématique, les auteurs proposent que les Néandertaliens se sont éteints en raison d’une baisse de la fécondité des jeunes femmes. La théorie est séduisante, mais comment peut-on la prouver ?

Jusqu'à présent, ces théories n'expliquent pas pourquoi nous avons de l'ADN de Néandertal en nous. Une autre théorie basée sur des études paléogénétiques considère qu'étant sur le déclin, les Néandertaliens ont probablement disparu du fait de leur hybridation avec les Homo sapiens. C'est tout à fait possible sachant que les deux espèces partagent 98.5% de leur ADN et se sont cotoyées durant quelque 50000 ans dont 5000 ans sur le territoire européen.

Les signes annonciateurs d'une extinction

Au cours du IXe Symposium International sur l'Archéologie Biomoléculaire (ISBA9) qui s'est tenu en juin 2021, une équipe de chercheurs comprenant le paléogénéticien Svante Pääbo de l'Institut Max Planck a présenté les résultats de nouvelles analyses génétiques de 14 Néandertaliens découverts dans les grottes de Chagyrskaya et d'Okladnikov dans l'Altaï Sibérien. Cette petite population vécut entre 51000 et 45000 ans à seulement 50 et 130 km de la célèbre grotte de Denisova où habitaient leurs proches cousins, les Dénisoviens (entre 270000 et 50000 ans).

L'analyse de l'ADN nucléaire montra qu'ils étaient plus proches des derniers Néandertaliens découverts en Espagne que des premiers Dénisoviens vivant à proximité, suggérant qu'il s'agit de migrants dont la population comptait seulement quelques centaines d'hommes et leur famille. En revanche, contrairement au chromosome Y et à l'ADN nucléaire, l'ADNmt de ces hommes et femmes néandertaliens était relativement diversifié, ce qui implique que plus de membres féminins ont contribué à la survie de cette population que les hommes. Toutefois, les analyses ADN ont montré des signes inquiétants d'une faible diversité génétique. Selon le biologiste et informaticien Laurits Skov, coauteur de cette étude, "Si vous deviez imaginer cette population de Néandertal de nos jours, ce serait une population en voie de disparition".

Répartition des individus Néandertaliens et du Dénisovien, de leur groupe sanguin (système ABO) et facteur rhésus. Document S.Condemi et al. (2021).

En complément, dans une étude publiée dans la revue "PLOS One" en 2021, l'équipe de Silvana Condemi du CNRS/Aix-Marseille Université analysa le génome de trois Néandertaliens et d'un Dénisovien ayant vécu il y a ~130000 à 45000 ans afin de déterminer leurs groupes sanguins, en se concentrant sur les systèmes ABO déterminant les groupes A, B, AB et O et le facteur rhésus.

Alors qu'on a longtemps cru que les Néandertaliens étaient tous du groupe O (comme les chimpanzés sont tous du groupe A et les gorilles du groupe B), l'analyse montra des combinaisons cohérentes avec l'origine africaine des deux anciennes espèces humaines.

Les Néandertaliens de Chagyrskaya (51000-45000 ans) et de l'Altaï (130000-90000 ans) sont du groupe sanguin A+ (bien que le rhésus soit partiellement déterminé), ceux de Vindija (65000-50000 ans) sont du groupe B+ (partiel) tandis que le Dénisovien (76000-52000 ans) est du groupe O+.

Plus étonnant, pour l'un des gènes déterminant le rhésus, les Néandertaliens présentent une combinaison unique qui n'a jamais été rencontrée chez les humains modernes... sauf chez un Aborigène et un Papou. On en déduit que ces deux individus sont les lointains descendants d'un métissage entre Néandertaliens et des humains modernes pouvant peut-être remonter avant la migration de ces derniers vers l'Asie du Sud-Est.

Enfin, les analyses montrent également la très faible diversité génétique des Néandertaliens et met en évidence l'éventuelle présence d'une maladie hémolytique du nouveau-né, notamment lorsque la mère néandertalienne porta le fœtus d'un Homo sapiens ou d'un Dénisovien. L'anomalie est provoquée par une incompatibilité génétique liée au rhésus connue sous le nom d'incompatibilité fœto-maternelle.

Même de nos jours, chez les humains modernes, cette maladie hémolythique du nouveau-né peut entraîner une élévation du taux de bilirubine dans le sang (hyperbilirubinémie), une baisse du nombre de globules rouges (anémie) et, très rarement et dans les cas les plus graves, au décès.

Ces indices consolident l'hypothèse selon laquelle cet appauvrissement du pool génétique combiné à un faible taux reproductif furent les signes annonciateurs de l'extinction des Néandertaliens 5000 à 10000 ans plus tard (cf. Science).

Ironie du sort, si les Néandertaliens sont morts de dégénérescences ou de maladies génétiques, nous savons qu'il y eut des métissages avec des Homo sapiens car nous avons hérité des Néandertaliens des gènes qui ont renforcé notre immunisation face à certaines maladies ou pour mieux supporter des conditions climatiques extrêmes. Mais parfois ces gènes nous déservent; c'est notamment le cas de certains patients sévèrement touchés par le Covid-19.

Mais d'autres facteurs ont peut-être également précipité la disparition des Néandertaliens. Comme les conquérants européens à l'époque de la découverte du Nouveau Monde ou les soldats américains en Asie transmirent des maladies aux populations qu'ils découvraient ou fréquentaient, il est fort possible que les Homo sapiens contaminèrent les Néandertaliens. En effet, les Homo sapiens portaient probablement des virus d'origine africaine et ont transmis de nouvelles maladies aux Néandertaliens contre lesquelles leur système immunitaire n'était pas armé ou était peut-être déjà affaibli par la consanguinité, précipitant leur extinction. Un changement de style de vie auprès des Homo sapiens a également pu affaiblir leur système immunitaire comme les Amérindiens de Patagonie ont souffert de maladies dès qu'ils ont vécu dans des habitations modernes à l'abri du froid mais mal aérées.

A lire : Le métissage entre les premiers humains

Document T.Lombry

L'espèce Homo neanderthalensis s'est éteinte en Europe quelques milliers d'années après la venue de l'Homo sapiens. C'est très court et on ne peut pas éviter d'établir un lien de cause à effet. Mais on reviendra sur les raisons de l'extinction des Néandertaliens et des autres espèces humaines dans l'article L'Homo sapiens a-t-il tué les autres espèces humaines ? Cette hécatombe serait la première extinction provoquée par l'activité des hommes. Dans tous les cas, cela ne s'arrêtera plus.

L'homme moderne, jugé pourtant plus intelligent et plus sage encore, n'a pas agi différemment envers les populations autochtones et pourtant souvent amicales qu'il découvrait au cours de ses voyages à travers le monde. La défense de notre territoire (et parfois de nos idées), si elle est en soi légitime, conduit à la guerre et fait malheureusement partie de notre bagage génétique au même titre que l'amour et l'instinct de survie.

En résumé, l'Homo sapiens dont l'homme de Cro-Magnon en Europe doit sans doute son expansion à une évolution génétique plus complète certainement, incorporant des gènes de Néandertal, plus souple aussi, rendant son adaptation plus facile sous différents climats. Ce patrimoine génétique aujourd'hui intégré dans toutes nos cellules et plus ou moins exprimé selon les populations nous permet d'être mieux armés pour lutter contre les microbes, le froid, l'humidité et le manque d'oxygène en altitude notamment. Cet héritage est inestimable.

Apparition du langage articulé : 200000 ans

En étudiant l'anatomie des premiers hommes, on estime que le langage parlé apparut probablement il y a environ 200000 ans, à l'époque de l'Homo sapiens. Des études récentes de la cavité orale et notamment de l'os hyoïde de l'homme de Néandertal (voir plus bas) qui vivait à la même époque ont démontré qu'il partageait également cette faculté.

L'éducation chez les Néandertaliens passa vraisemblablement par le langage. Document ExploraTV

Selon la majorité des chercheurs, aucune contrainte anatomique n'empêche l'homme de Néandertal et l'Homo sapiens de parler. Leur appareil vocal et notamment le larynx est placé suffisamment bas dans le cou pour leur permettre d'articuler des sons tout en libérant le système respiratoire supérieur.

Quant à savoir si les Néandertaliens parlaient comme nous, probablement pas avec notre aisance mais personne ne peut le démontrer. Nous pouvons juste établir des comparaisons anatomiques et faire certaines hypothèses.

Si nous comparons par exemple la position du larynx chez les Australopithèques et chez les nouveaux-nés humains ou les jeunes enfants, on constate qu'il est localisé en haut du cou, en face des 1ere et 3e vertèbres cervicales. Placé de la sorte, le bébé ne peut pas articuler et peut juste pousser des gésiments et des cris.

De plus on constate que la façon de respirer, d'avaler et de vocaliser des bébés est très similaire à celles des singes. Pourtant quelques années plus tard, les enfants humains savent parler mais pas les singes. Que s'est-il passé ?

C'est au cours de la croissance qu'une modification anatomique aux conséquences spectaculaires se produit chez le jeune enfant. En effet, c'est vers l'âge de 2 ans que le larynx commence à descendre dans le cou et va modifier radicalement la manière dont le jeune enfant respire, avale et émet les sons.

Avant l'âge de 2 ans, l'épiglotte du larynx (la partie cartillagineuse située au fond de la langue) atteint le voile du palais et peut basculer dans le fond de la cavité nasale pour séparer les voies digestives des voies respiratoires. A partir de 2 ans, les voies digestives et respiratoires se croisent au-dessus du larynx.

C'est donc à cet âge que la "boîte vocale" de l'enfant est fonctionnelle et capable d'articuler des sons. Le jeune enfant peut prononcer ses premiers mots : maman, papa... Il parle !

Paradoxalement, après l'âge de 2 ans environ, un humain ne peut pas boire et respirer en même temps au risque "d'avaler de travers", une réaction provoquée par le croisement des voies digestives et respiratoires. S'il s'agit en soi d'une erreur anatomique, l'évolution a pourtant conservé cette caractéristique alors qu'elle aurait pu la corriger. Elle a donc dû y trouver un "avantage".

De fait, en compensation la descente du larynx fut extrêmement positive pour l'homme : au cours de sa jeunesse, l'expansion du pharynx (la chambre pharyngale) de l'enfant se développe très fortement au dessus des cordes vocales. La hauteur pharyngale qui est inférieure à 30 mm chez un bébé de moins de 1 an, mesure 35 mm vers 2 ans, 45 mm vers 15 ans pour se stabiliser vers 80 mm de hauteur à l'âge de 25 ans. Cette modification est plus importante chez l'homme que chez la femme et est l'un des signes réminiscents du dimorphisme sexuel.

A gauche, augmentation de la hauteur de la cavité orale (bleu) et de la chambre pharyngale (rouge) en fonction de l'âge. La hauteur de la cavité et de la chambre sont un peu plus faibles chez la femme. A droite, transformation morphologique complète du crâne humain entre l'enfance et l'âge adulte. Notez le déplacement de la paroi pharyngale et du pharynx. Documents Louis-Jean Boë et al./Gipsa-lab.

Grâce à cette "caisse de résonnance", les sons émis par le larynx et les cordes vocales situées à son sommet peuvent être modulés bien plus facilement que chez le nouveau-né humain ou les autres mammifères.

Notons que si la hauteur pharyngale a fortement augmenté chez l'homme, en contrepartie la longueur du conduit vocal a fortement diminué au cours des 100000 dernières années, et en particulier la longueur de la cavité orale qui est passée d'environ 208 mm à 180 mm de longueur. Ce changement anatomique s'explique par la décroissance de la face et est en corrélation avec l'augmentation de la hauteur du pharynx.

En fait, ce n'est pas seulement le larynx et la hauteur du pharynx qui se sont modifiés, mais c'est la structure complète du crâne, de la colonne vertébrale et du conduit vocal qui se sont modifiés chez Néandertal et l'Homo sapiens comme chez l'homme moderne entre l'enfance et l'âge adulte, offrant à l'humanité toute la richesse du langage articulé. On reviendra sur l'intelligence et les autres formes de langage.

Le rôle des gènes accélérateur et FOXP2

En plus de prédispositions anatomiques, les humains parlent car nous disposons dans notre ADN d'un gène particulier appelé FOXP2 sur le chromosome 7 (cf. ce résumé de la découverte en anglais). Une mutation du gène FOXP2 induit une déficience héréditaire du langage. Vu que FOXP2 intervient dans le langage, son rôle est essentiel dès l'embryogenèse.

Le gène FOXP2 (pour "forkhead box P2") pèse ou contient environ 280 kbp et code pour la protéine FOXP2 qui assure différentes fonctions au sein des cellules. Ce gène appartient à la famille FOX qui sont des facteurs de transcription; ils produisent des protéines capables de réguler l'expression de plusieurs autres gènes.

Localisation du gène FOXP2 dans le chromosome 7. Document A.P. Monaco et al. (2002) adapté par l'auteur.

La protéine FOXP2 située au locus 7q31 comprend 715 acides aminés. Elle contient notamment une région ou domaine nommé Forkhead (ou tête fourchue) aux positions des acides aminés 508 à 584 qui, grâce à sa forme fourchue, lui permet de se lier à l'ADN afin de contrôler d'autres gènes. Elle comprend aussi trois autres domaines facilitant les interactions entre protéines.

Mais les reptiles, les amphibiens et les mammifères jusqu'aux singes et toutes les espèces humaines disposent également du gène FOXP2. Alors en quoi nous, les Homo sapiens, sommes-nous différents des Néandertaliens ?

Les généticiens ont fait plusieurs découvertes. La première, au cours de l'évolution de l'embryon humain moderne, 56 gènes assurent le développement du cerveau. Parmi ces gènes, il y en a deux ayant un impact majeur sur la structure du cerveau, en particulier sur le néocortex, la partie superficielle des hémisphères cérébraux : le gène accélérateur dont l'expression permet le développement des cellules neurales en multipliant les divisions cellulaires et le gène suppresseur qui stoppe leur prolifération. Chez les animaux ayant un gène suppresseur activé, le cerveau est de taille réduite par rapport au corps, même chez les superprédateurs qu'étaient les dinosaures carnivores.

En revanche, chez toutes les espèces de mammifères dont les humains, le gène suppresseur est inactivé pour une raison inconnue. Par conséquent, l'expression du gène accélérateur n'est pas modérée, ce qui a permis à la lignée humaine de développer son néocortex jusqu'à atteindre sa complexité actuelle (cf. le système nerveux).

Quel évènement est à l'origine de cette mutation génétique ? La question reste ouverte mais les généticiens estiment qu'à un moment donné de l'évolution des mammifères, la molécule d'ADN subit une légère mutation. La protéine FOXG1 produite par les cellules et qui jusqu'alors n'était pas utilisée, s'est fixée sur le gène suppresseur et le désactiva. Il s'en suivit une prolifération des cellules neurales, à l'origine de l'expansion du néocortex (cf. C.Hanashima et al., 2020).

Le gène FOXP2 existe chez les Néandertaliens et les Homo sapiens mais il est incompatible. Le paléogénéticien Tomislav Maricic qui travaille avec Svante Pääbo a découvert que chez l'Homo sapiens, en particulier chez 98% de nos contemporains, à un endroit précis de l'intron 8 (la partie de la séquence génétique qui est transcrite en ARN, cf. l'épissage alternatif) du facteur de transcription POU3F2 se trouve une base nucléique T (thymine) alors que chez toutes les autres espèces de reptiles et de mammifères, y compris chez les Néandertaliens et Dénisoviens se trouve une base nucléique A (adénine) (cf. T.Maricic et al., 2012).

La protéine POU3F2 est impliquée dans le développement du néocortex et augmente la vitesse de traitement de l'information. Son déréglement provoque un trouble bipolaire.

A gauche, les substitutions récentes qui sont fixes ou très fréquentes chez l'homme moderne. Le cladogramme illustre schématiquement les substitutions chez l'homme (en rouge) mais ancestrales chez les espèces humaines archaïques et les singes. En dessous figurent la région FOXP2 du chromosome 7 centrée sur la transcription de FOXP2 (en bleu). Les lignes verticales dans la transcription indiquent les exons (l'exon 7 est en vert). Parmi les 46 substitutions récentes, celles qui se chevauchent avec les régions conservées et/ou les régions fonctionnelles annotées sont indiquées par les chiffres rouges. En 3) figure le site POU3F2 conservé. Voir l'article scientifique pour plus de détails. A droite, la forte conservation évolutive du site de liaison POU3F2. Sa position est indiquée par le cadre rouge, la colonne en jaune indique la conservation de la base nucléique A chez de nombreuses espèces d'animaux alors qu'elle fut subsituée par une base nucléique T chez la grande majorité (98%) des hommes modernes. Les points indiquent les bases identiques à celles des hommes modernes, les tirets l'absence de bases dans l'alignement. Documents T.Maricic et al. (2012).

Se pose alors la question de savoir ce qu'apporta cette petite différence génétique à l'Homo sapiens ? Les généticiens ont étudié les effets de notre gène FOXP2, celui des Homo sapiens, en l'implantant chez des souris de laboratoire. Ils ont constaté que les souris génétiquement modifiées produisaient des vocalises ultrasoniques plus longues que les souris ordinaires. Ils en ont déduit qu'elles s'expriment de manière plus complexe que les souris ordinaires (cf. S.Pääbo et al., 2009).

Dans une autre étude, l'équipe de Carina Hanashima et de Takashi Momoi montra que lors de séances d'apprentissage (la recherche de lait au chocolat dans un labyrinthe), les souris génétiquement modifiées bénéficiant du gène FOXP2 sapiens apprenaient un exercice en 7 jours contre 11 jours pour les souris ordinaires.

Les scanners de ces souris mutantes montrèrent que sur le plan anatomique, leur cortex était plus dense, les connexions neuronales plus complexes que celles des souris ordinaires.

On déduit de ces études que la mutation du gène FOXP2 chez les Homo sapiens eut un impact sur la structure et la complexité de son cerveau et donc sur sa faculté d'apprentissage. Cette évolution génétique et anatomique nous a conféré la faculté d'avoir un langage complexe et des facultés intellectuelles plus développées qui nous donnèrent un avantage décisif sur toutes les autres espèces, en particulier la faculté de partager des informations verbales et écrites entre individus et de génération en génération.

La meilleure preuve se trouve dans les artefacts archéologiques. Pendant des centaines de milliers d'années, les Néandertaliens ont fabriqué des outils élaborés (voir plus bas) mais toujours du même style. Ils n'ont jamais été aussi diversifiés et sophistiqués que ceux des Homo sapiens et autres Cro-Magnon qui inventèrent des outils spécifiques pour chaque usage. Ainis, au cours de l'industrie lithique du Châtelperronien (42000-32000 BP), les Néandertaliens vivant ont fabriqué des outils sophistiqués au point que les paléoanthropologues estiment qu'ils empruntèrent la technique en cotoyant des Homo sapiens. Même différence dans l'art pariétal et la décoration qui restent très sommaire chez les Néandertaliens. Le patrimoine génétique des Néandertaliens ne leur a pas permis de s'adapter et d'évoluer intellectuellement aussi bien que les Homo sapiens.

Prochain chapitre

L'Homo sapiens

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[5] Les effets de la consanguinité apparaissent rapidement chez les sujets concernés avec une affaiblissement des défenses immunitaires et des déformations physiques, notamment sur le visage, des handicaps et des stérilités en l'espace de quelques générations. Rappelons que le taux de consanguinité d'un mariage entre frère et soeur atteint 25%, entre mère et fils ou père et fille de 25%, entre grand-père et petite-fille de 12.5%, entre grand-mère et petit-fils de 12.5%, entre oncle et nièce de 12.5% et entre cousin et cousine de 6.25%. En 2014, en moyenne dans le monde 15% des mariages étaient consanguins avec un triste record de 40 à 49% en Tunisie (cf. Anwar et al., European Journal of Public Health, 2014) ! Aujourd'hui, dans certains départements français des Hauts-de-France ou le long de la côte d'Azur, le taux de consanguinité dépasse 30%. En 1998, il atteignit 29% au Maroc et même 38% dans la population belgo-marocaine (cf. G.Reniers, 1998). On rapporte des taux similaires dans certains régions du Québec, dans des populations musulmanes et chez les juifs Ashkénaze. Il fut même une époque au Luxembourg où le ministère de la santé conseilla à ses citoyens de chercher son alter-ego hors frontière. Le taux de consanguinité n'avait pas été publié mais fut certainement très supérieur à la moyenne européenne. Pour éviter tout risque, dans la plupart des pays la loi interdit certains mariages en famille jusqu'au troisième degré (cf. l'inceste). De nos jours, cette consanguinité très élevée dans certaines populations a deux explications. La première, en raison de la petite taille du pays ou du groupe ethnique, de la pression démographique étrangère et de la solidarité entre citoyens partageant la même culture (ou religion) et la même langue, ceux-ci préfèrent se marier entre eux plutôt qu'avec des étrangers, même des pays limitrophes. Deuxième raison, les politiques de regroupement familial inciteraient les jeunes migrants à faire preuve de solidarité, les conduisant à se marier avec un membre de leur famille afin de lui permettre d'acquérir la nationalité du pays.


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