Le problème OVNI

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La
version poche du
rapport Condon de 965 pages publié en 1969 chez Bantam. |
Le
sociologue face au phénomène OVNI (I)
Que
faut-il penser du phénomène OVNI, non seulement des rencontres
rapprochées mais également des abductions, ces soi-disant enlèvements
par des êtres extraterrestres ?
Si
les OVNI représentent aujourd'hui un véritable défi d'un point de
vue scientifique, peut-on rigoureusement croire les témoins et
imaginer que des êtres extraterrestres nous rendent régulièrement
visite ? La question est posée depuis plus d'un siècle et n’a toujours pas reçu
de réponse définitive. C'est toute cette problématique que nous
allons essayer d'éclaircir en analysant ce phénomène de société
du point de vue sociologique car il est révélateur de bien des
influences.
En
1966, à la demande de la Commission Condon, un sondage Gallup fut
effectué dans la population américaine à propos des OVNI et
son analyse fut inclue dans la section III chapitre 7 du rapport[1].
Largement ignorée en Europe, cette
analyse sociologique mérite une deuxième lecture car elle met en
évidence certains aspects de cette phénoménologie qui peuvent
encore s'appliquer de nos jours.
Ainsi, en page 212 du rapport Condon original, on apprend ceci :
-
96% des Américains ont entendu parlé des soucoupes volantes
-
34% des gens pensent que d’autres êtres nous ressemblant quelque
peu vivent ailleurs dans l’univers
-
5% de la population prétend avoir vu une soucoupe volante
-
48% environ de la population croit que les OVNI sont réels (43%
d’hommes et 52% de femmes)
-
Les gens ayant reçu une meilleure éducation ont plus de chances
d'avoir entendu parlé des soucoupes volantes
-
Les témoins d'OVNI ne diffèrent pas des autres personnes, tant du
point de vue de l'éducation, de la région du pays, de l'âge ou du
sexe.
Evolution
des sondages Gallup
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Une
analyse plus fine permet de découvrir que les révélations généralement
peu intéressantes faites dans le rapport Condon sont remplacées
par un principe général expliquant les observations d'OVNI en
termes sociologiques.
Si
cette conclusion n'expliquait pas toutes les observations, ce que
J.Allen Hynek, James McDonald et Peter A.Sturrock parmi d'autres
scientifiques ont reproché au Dr Condon et
à son équipe, elle explique en revanche certaines prétendues
observations d'OVNI voire même des cas d'enlèvements qui relèvent
de la psychiâtrie.
Dans
un article publié dans la revue "Science"
le 6 novembre 1970, le sociologue Donald I.Warren écrivit : "les observations d'OVNI, bien
que largement répandues autour du monde, peuvent être décrites à
partir du contexte social de chaque individu."
Pour
expliquer toutes ces manifestations en termes sociologiques, il faut
avant tout développer une théorie sociologique testable et
plausible. Il faut définir ce que Carl Jung appelait un "archétype
social", une tendance générale que l'on retrouve non
seulement dans la population prise dans sa globalité mais également
chez chaque individu de la société.
L'analyse vise ainsi à mettre
en évidence un lien entre trois variables :
(1)
une condition sociale de discontinuité du statut de l'individu qui donnerait
naissance à
(2)
un état psychologique de marginalité, d'où résulterait
(3) une forme d'aliénation individuelle qui s'exprimerait sous la
forme d'un rejet partiel de sa propre position sociale et d'un rejet
de l'évaluation faite par la société. Il incombe dès lors à
l'individu de rechercher ses marques et de définir lui-même sa
propre place dans le monde.
Sociologiquement,
les individus sont "classés" socialement dans la société.
Les critères sont multiples et quelques-uns gardent encore une dépendance
raciste. Ces critères représentent la stratification de la société
industrielle et sont basés sur une série de statuts "hiérarchiques"
ou d'"achèvements" de l'individu tels que les revenus, l'éducation,
le sexe, la race ou l'âge. La place de chacun au sein de ces différents
indicateurs détermine un statut dit en "porte-à-faux" d'une
classe sociale. Cette évaluation met en évidence une série
d'interactions entre ces différents critères qui peuvent
rapidement désorganiser les individus.
L'existence même de ce
statut peut-être analysée séparément des effets qu'il produit sur
les individus, dont les conséquences essentielles sont :
-
Le manque de réactions comportementales prédictibles de la part
des autres personnes avec lesquelles l'individu interagit
(l'individu étant habitué à reconnaître les réactions de sa
famille et de ses relations).
-
Un stress psychologique à devoir anticiper les normes associées
aux différents statuts.
Votre
place dans l'échelle sociale
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Représentation
schématique de la théorie du "porte-à-faux". Les places
occupées par chaque individu sont comparées dans la dimension
verticale du statut social en fonction de leurs configurations
horizontales. Lorsque la position sociale de l'individu n'est pas
identique dans les trois colonnes, celui-ci se trouve dans une
situation de porte-à-faux (l'ouvrier qualifié est étiqueté de
"marginal" dans l'exemple de droite). Adapté de Science.
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Le
concept de marginalité représente la place sociopsychologique du
statut de l'individu. Ainsi, il faut avouer que trop souvent encore
une femme ingénieur possède simultanément deux statuts sociaux
incompatibles : être femme et disposer du statut d'expert
technique. Le résultat est une ségrégation qui l'exclut
partiellement des deux mondes. Un problème similaire se produit
chez l'homme ou la femme célibataire, marginalisé par le fait
qu'il ou elle n'a pas fondé de foyer, chez les travailleurs noirs
engagés dans des multinationales implantées en d'Afrique du sud ou
dans toute une série de professions dominées
par un groupe d’individus différents de la moyenne de la
population (hommes noirs parmi les blancs, main d'oeuvre
étrangère, emploi temporaire, etc). Ces individus marginalisés ne possèdent pas le même
statut d'achèvement que la moyenne de la population. Les conséquences
psychologiques de cette marginalité conduisent à ce qu'on appelle
une "dissonance cognitive".
L'individu
ne se comportant pas comme on s'attend à ce qu'une personne se
comporte dans cette situation, une pression s'exerce sur lui afin
qu'il redéfinisse ses marques. L'alternative consiste, soit à
modifier l'information qu'il donne aux autres de sa personne ou altérer
le système d'évaluation qui présente ce dilemme. La deuxième
solution est dominante, l'individu préférant modifier légèrement
le système social à son avantage.
Si cette théorie s’appliquait en 1966, on constate qu’aujourd’hui elle est
toujours valable et s’applique à toutes les classes sociales,
du cadre supérieur féminin au chômeur perdant espoir de trouver un
emploi.
Ce
porte-à-faux produit une série d'aliénations sociales qui se reflètent
dans les sensations qu'éprouve l'individu : manque de dynamisme,
inadaptation, comportement anormal, isolement, culpabilité,
sentiment d'infériorité (sous-estimation de soi), etc. Chaque
facette de cette aliénation sociale peut se développer jusqu'à
différents degrés, mais il est important de constater que ces
sensations ne sont pas liées au hasard.
Appliqué au phénomène OVNI, on constate qu’il s’établit une relation
entre la condition sociale d'aliénation et son
expression individuelle. Non seulement l'individu peut rejeter à ce
sujet des conventions acceptées par la société, mais l'ambiguïté
du phénomène permet de le considérer comme une expression
personnelle du statut de l'individu.
Le
Dr D.Warren suggère ainsi que "les observations d'OVNI sont liées
au statut de frustration et, tout spécialement, au statut de
privation relatif à la place de chacun sur l'échelle
sociale." Dans les meilleurs cas, ce sentiment peut déboucher
sur l'apparition de nouvelles "expériences", offrant à
l'individu de nouveaux moyens de communications qui lui permettront
d'asseoir sa place dans la société. Mais en général le porte-à-faux
conduit à un sentiment défaitiste, de retrait et d'isolement vis-à-vis
des changements de la société. C'est en ce sens que les OVNI sont
considérés comme l'une des échappatoires possibles vers des
situations non réalisées et peut-être irréalisables.
L'une
des expressions de ce mécanisme d'évasion est la possibilité
qu'il puisse exister d'autres êtres semblables ou différents de
nous, ailleurs dans l'univers.
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Si
l'être humain a pu se développer sur la Terre, en
théorie rien n'empêche l'existence d'autres formes de
vie ailleurs dans l'univers. En revanche, leur présence
sur Terre à travers les OVNI, les extraterrestres et des actes
comme les enlèvements sont très peu réalistes
car il faudrait que ces créatures aient acquis des
connaissances et des technologie très avancées,
rendant leur visite encore plus improbable. L'avenir nous
en dira sans doute plus. Documents T.Lombry. |
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Le sondage Gallup de 1966
permit justement de tester empiriquement ces idées. L'échantillon représentait
3392 adultes de 21 ans et plus appartenant à différentes catégories
sociales. L'idée était de découvrir si les 5% de personnes ayant
vu des OVNI, soit 6 millions d'américains à cette époque, avaient
plus de chance de confirmer la théorie du porte-à-faux que les
autres personnes.
L'analyse
statistique démontra qu'il existait effectivement une relation
entre le niveau social de l'individu et les observations d'OVNI.
Ainsi 11.1% des témoins d'OVNI appartenaient à une catégorie
sociale dans laquelle deux critères parmi les trois analysés
(revenus, éducation et profession) étaient égaux, mais dont le
troisième était au plus bas de l'échelle sociale, alors qu'il n'y
avait que 2.3% de notifications d'OVNI chez les personnes "non
marginalisées".
En fait ces
11.1% avaient des revenus très inférieurs à ce qu'ils attendaient sur base de
leur niveau d'éducation et de leur profession. 20% des personnes
ayant des revenus modérés (entre $5000 et $9999) et ayant reçu
une très bonne éducation avaient également observé des OVNI
alors que 1.2% des personnes "non marginales" de cette catégorie
en avaient vu. Les personnes de races blanches, peu éduquées mais
ayant les mêmes revenus observaient 5 fois moins d'OVNI.
La différence
est encore plus prononcée chez les hommes ayant entamé des études
supérieures disposant de revenus modérés. 22.6% d'entre eux
avaient été témoins d'OVNI contre 3.2% chez les personnes
"non marginales" : "En d'autres mots conclut Warren,
ce n'est pas le faible revenu seul, mais le revenu associé à une
éducation ou un statut professionnel moyen ou élevé qui provoque
les notifications d'OVNI."
Il
est toutefois apparu au cours de l'enquête que l'attitude des
femmes apportait un facteur de biais dont il fallait tenir compte.
Ainsi, les enquêteurs découvrirent que les femmes au foyer considéraient
les revenus et la profession de leur époux, alors que les femmes
travaillant considéraient évidemment uniquement leurs propres
revenus et position sociale.
La question était donc de savoir si
toutes les femmes avaient évalué leur statut de la même manière.
En fait, lorsque les femmes et les noirs furent inclus dans
l'analyse, à la question "Avez-vous observé quelque chose que
vous pensiez être un OVNI ?", il y avait plus de témoins chez
les individus "non marginalisés" que chez les autres (5.9%
contre 5.4%), ce qui était en désaccord avec la théorie de
Warren. Sans avoir pu approfondir la question, Warren considère
toutefois que les femmes, en tant que groupe, se situent dans une
position marginale, séparée du statut économique de leur mari.
Les
valeurs, les normes culturelles et les demandes fortement qualifiées
de la société industrielle ont donné naissance à des ambiguïtés
et des anomalies dans le rôle des femmes que Warren définit comme
étant "une marginalité par excellence".
L'analyse
révéla également que quel que soit le statut social, deux fois
plus de femmes que d'hommes observaient des OVNI. Nous avons vu précédemment
que selon Ruppelt 66% des observations d'OVNI étaient notifiées
par des femmes mais que 10% seulement subsistaient après enquête.
L'analyse de Warren révéla également l'influence de la race sur
l'observation des OVNI.
Ainsi
les noirs présentaient à toute évidence un statut de marginalité
dans la société américaine, à dominante blanche et raciste. Sur
50 hommes blancs interrogés, à la question de savoir : "Que
sont les soucoupes volantes?", plus d'un quart (28.6%) des témoins
fortement en porte-à-faux et 17.4% des témoins l'étant modérément
pensaient qu'il s'agissait de véhicules extraterrestres. Aucun des
témoins "non marginalisés" ne proposa cette réponse.
Tous groupes confondus, 84% des témoins pensaient qu'il s'agissait
de ballons, d'avions expérimentaux, de mirage, de météores, etc,
et rejetaient l'hypothèse extraterrestre.
Il s’avère enfin que
les personnes âgées croient moins que les jeunes que les OVNI
proviennent d’une autre planète. Les jeunes croient également
plus que les adultes au fait qu’il y a une désinformation.
Warren
conclut objectivement : "L'utilité de la sociologie comme base
pouvant expliquer ces phénomènes, présumés du ressort des
sciences physiques, a été démontrée. Aucune donnée ne rejette
la possibilité que quelques individus ont, en fait, observés des
objets issus d'un autre système
solaire ou que toutes les observations soient des phénomènes
terrestres mal interprétés. La science empirique, la sociologie en
particulier, ne se considère pas comme l'ultime vérité."
Prochain chapitre
Un
phénomène sous influences
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