Dans ces conditions,
l'existence même des particules élémentaires est interdite sous leur
forme actuelle, avec pour conséquence anthropique l'inexistence de la vie
et de façon générale cet univers à dimension multitemporelle
remettrait en question l'évolution cosmique tel que nous la connaissons.
Les lois fondamentales de la
nature
Est-il possible d’expliquer
scientifiquement le principe anthropique ? S'il s'agit d'un principe et
non pas d'une loi, on peut déjà le rapprocher des postulats et il est
vain de chercher une explication rationnelle. Sa découverte est posée
comme l'une des conditions initiales. Plutôt que d’invoquer le hasard,
certains préfèrent considérer le concept probabiliste et parlent
d'univers parallèles, de voyages dans le temps, d'un Créateur atemporel
pour expliquer la réalité quantique. Les explications scientifiques
concernant les univers multiples de Hugh Everett ou les trous de ver de
John Wheeler sont des interprétations très hardies, appréciées par
certains physiciens qui tentent d'expliquer les premiers instants de
l'Univers, mais ces spéculations restent posées a posteriori.
N'oublions la réflexion de Karl Popper : "Une théorie
scientifique doit être réfutable". Car même s’il existe cent
milles exemples pour démontrer l’utilité du principe anthropique, un
contre-exemple suffit à le réfuter.

|
Notre
vision du monde dépend de la sensibilité spectrale de nos
récepteurs sensoriels. La Sûre
à Diekirch (L) photographiée en proche infrarouge à 665 nm.
Document T.Lombry. |
Rien dans le discours
scientifique permet de postuler que les arguments des adeptes du principe
anthropique peuvent être généralisés à tout l'Univers. Le principe
anthropique n’exclut pas la foison d’univers parallèles ou imbriqués.
Il dit seulement que si les constantes de la nature peuvent avoir
d’autres valeurs dans d’autres régions de l’univers, alors personne
n’existe pour les mesurer. Mais encore une fois cette présomption
n’impose aucun rôle particulier à la vie dans les lois fondamentales
de la nature. Seule contrainte, le fait que le Soleil ait une planète sur
laquelle la vie ait pu se développer implique que la vie a joué un rôle
dans l’origine du système solaire.
Comme le dit Weinberg, “si
l’on parvient à démontrer que les lois fondamentales décrivent la
distribution des valeurs des constantes de la nature dans toutes les régions
de l’univers, alors on pourra dire que la vie n’a joué aucun rôle
particulier dans l’élaboration de ces lois”.
Si cette extrapolation de nos
lois est mise en échec, dans ce cas il est évident que ce
"principe" devra être examiné d'un point de vue analytique. A
l'heure actuelle, l'introduction du principe anthropique dans la
cosmologie est ressentie par les chercheurs cartésiens comme une démarche
non scientifique voire dogmatique, une solution de facilité devant l'ordonnance de
l'Univers.
Comme l'a écrit Hubert Reeves
"L'Univers a les propriétés requises pour amener la matière à gravir les échelons
de la complexité". Les réactions chimiques menant à la vie ont
une capacité d'auto-organisation à l'instar de la réaction
auto-entretenue de Belousov Zhabotinsky. La vie a très bien pu naître,
non par hasard mais dans une séquence abiotique dominée par le respect
de certaines règles. Les constantes de la physique maintiennent en équilibre
des forces antagonistes sans lesquelles la matière n'existerait pas. Ces
constantes confèrent aux électrons, aux atomes, aux molécules
l'ensemble de leurs propriétés, du solide jusqu'au plasma.
On
peut ignorer le nombre de Eddington (~1080),
le rapport de la masse du proton à la masse de l'électron (1836) ou la
constante de structure fine (~1/137) et même envisager leur variation au
cours du temps. Toutefois ces équations sont incompatibles avec les
observations.
Entre
nécessité et contingence
Ce
titre reflète déjà un problème d'ordre métaphysique sur lequel
il est philosophiquement très dangereux de s'avancer au risque de
passer pour un défenseur dogmatique plutôt que d'un scientifique
sceptique et tout au mieux agnostique, qui s'interroge sur la
réalité d'un Créateur dont l'existence est loin d'être
démontrée.
Dans le cadre de la
physique moderne, on ne peut plus considérer l'Univers et ses
objets comme la représentation d'une force vitale ou d'un principe
métaphysique. L'Univers doit être considéré comme un objet
d'expérience fonctionnel plutôt que figurable, ce qui lui donne
toute sa réalité, en dehors de toute contrainte mécanique ou
présupposé métaphysique.
Qu'il y ait des coïncidences, on
se l'accorde, encore que certaines semblent adéquatement calculées
et particulières au modèle Standard de la physique (limitées à l'univers
visible, à la masse du proton, etc). Mais tout le monde ne partage pas les
idées à connotations métaphysiques des adeptes du principe anthropique qui
oscillent entre nécessité immanente et univers contingent sous l'emprise
plus ou moins libre de Dieu. En fait, depuis qu'ils sont libérés
du carcan imposé par l'Église, les chercheurs n'opposent
plus depuis longtemps la nécessité à la contigence, un débat qui
s'est finalement avéré stérile.

|
Les
rubans concentriques à la fois chaotiques et fractals d'une agate. Même sans
intervention divine, l'inerte peut faire preuve d'une grande
créativité et d'un sens artistique que ne démentirait pas un
peintre abstrait. |
En
fait, l'idée partagée par les athées et beaucoup d'agnostiques
est que si l'Homme fait effectivement partie de la création, il suit strictement la même
évolution que toutes les autres créatures, vivantes ou inertes, même
si la nôtre est temporairement illuminée par quelques lueurs
d'intelligence, d'amour et parfois de vanité. Mais comme les
animaux ou les étoiles, nous finissons tous en poussière et sommes
emportés par le vent dans le grand désordre cosmique qui nous
entoure sans espoir de survivre ou de renaître. Cette fin
inéluctable est la simple et cruelle conclusion de l'aboutissement
des lois de la thermodynamique qui président à l'évolution de
tout système organisé ou non, simple ou complexe. Ce processus
naturel ne requiert a priori aucune intervention divine particulière
ni finalité. En tous cas rien ne vient prouver le contraire si ce
n'est l'un ou l'autre texte sacré. On y reviendra dans le dossier
consacré à la Bible face à la
critique historique.
Jusqu'à
preuve du contraire, ceux qui ne partagent pas cette opinion
seraient bien en peine de démontrer la réalité du Créateur ou
des autres affirmations de la profession de Foi. Leur opinion ressort donc
d'une croyance qui n'a rien de rationnelle même si elle peut les
rassurer, c'est une idée métaphysique qui rejoint des concepts
tout aussi discutables que la fatalité, la prédestination,
l'incarnation, la résurrection
ou la vie
éternelle. Cette foi transcendante en un être
Supérieur que d'autres appelleront destin ou principe anthropique
aveugle les plus sectaires devant la réalité objective du monde
car il leur manque cette auto-critique qui permet à la saine
curiosité scientifique de s'épanouir et de mettre le doigt sur les
carences de leurs préjugés. Même René Descartes, chef de file
des cartésiens, croyait éluder la question en discutant de la liberté divine ou de
la contingence absolue alors qu'il ne faisait que renforcer l'idée
d'omniprésence de Dieu. En dépit de ses erreurs et ses échecs, la
physique cartésienne a toutefois permis aux scientifiques modernes
de mettre au point une méthode pour appréhender le réel de
manière plus simple et plus commode, sur base de représentations
à la fois théoriques et expérimentales.
Cette
méthode nous a particulièrement bien réussi. C'est ainsi que nous
avons découvert les coïncidences des grands nombres ou les valeurs
bien étranges des constantes de couplage. Elles émanent
de la théorie quantique et des modèles cosmologiques et nous avons vu
qu'elles s'appliquent, à des degrés variés, à tous les échelons de la
hiérarchie cosmique. L'impact de ces constantes de la
Nature sur la théorie "de Tout" nous dévoilera peut-être la
raison de notre existence. Avec le temps, les chercheurs déduiront peut-être
les raisons sine qua non de ces coïncidences.
Cette
intelligence qui nous caractérise parfois, nous permet d'inventer
de nouveaux cadres formels, de construire des représentations
toujours plus générales de la réalité, nous apportant le fol
espoir que nous pouvons nous libérer de la nécessité immanente,
de la contingence, du destin ou de l'ordre de la nature.
Et
si le principe anthropique n'était qu'une illusion
En
attendant de comprendre la nature profonde de l'Univers et ses lois,
le principe anthropique résiste aux idées véhiculées par la
science. Pour abandonner ce principe, nous devons démontrer
que dans le passé l'Univers eut le choix parmi différentes
configurations. Cela empêcherait les adeptes du principe
anthropique de prétendre que le Créateur aboutit à l'Homme par
une voie unique. L'idée même d'un Créateur serait alors sans
fondement, l'Univers s'édifiant seul[25].
C'est
justement dans ce contexte qu'en 2018 l'astrophysicien Evan Grohs de l'Université du Michigan et ses
collègues ont proposé dans un article publié dans la "Physical
Review D" (en PDF
sur arXiv) une théorie selon laquelle l'Univers pourrait être semblable à celui
que nous connaissons sans l'existence de l'interaction
faible et avec des neutrons stables.
Rappelons que
l'interaction faible est indispensable pour réaliser certaines réactions nucléaires.
Elle explique notamment la décroissance des particules, elle permet la fusion
de deux protons en un deutéron et l'interaction électromagnétique permet sa fusion avec
un proton libre pour former un hélion (noyau 3He) dans le coeur
des étoiles. Enfin, elle est également responsable de l'abondance de l'eau
dans l'Univers. En effet, comme nous le verrons à propos de la théorie du Big
Bang, au cours des premières minutes qui suivirent la formation de
l'Univers, c'est l'interaction faible qui provoqua la décroissance des neutrons
libres en protons. Pratiquement tout l'hydrogène qui existe aujourd'hui est le
résultat de ces interactions faibles. Par conséquent, si l'hydrogène ne s'était
pas combiné à l'oxygène, il n'y aurait pas eu d'eau et au bout de la chaîne, il
n'y aurait peut-être pas eu de vie sur Terre.
En
l'absence d'interaction faible, tous les neutrons libres et les protons
auraient fusionné pour former de l'hélium dans les premières minutes qui
suivirent la naissance de l'Univers et pour nous, l'histoire se serait
probablement arrêtée là. Bref, sans l'interaction faible beaucoup de
réactions chimiques ne pourraient pas se produire.
Mais
selon Grohs et ses collègues physiciens, il est possible d'envisager un
Univers sans interaction faible tout en préservant les conditions
nécessaires à l'émergence de la vie.
Selon
les résultats de leur étude, tout d'abord l'Univers devrait contenir
beaucoup plus de rayonnement (de photons) que de matière; il faudrait
réduire le rapport primordial entre matière et rayonnement d'un facteur
d'au moins 100 comparé à notre l'Univers. A partir de cette énergie contenant une
faible quantité de matière (tout étant relatif), les chercheurs ont
calculé qu'un mélange de protons, de neutrons libres, de deutérium (2H)
et d'hélium (4He)
émergerait, similaire à celui de notre Univers.
Ensuite,
comme ce fut le cas lors de la formation de notre Univers, il suffirait
d'attendre que le froid s'installe pour que les réactions se déclenchent.
L'interaction faible agissant sur des échelles microscopiques
(< 10-15
cm ou 10-3
Fermi), elle n'affecte que le comportement des particules élémentaires. Ainsi, dans cet autre
Univers, en comptant uniquement sur les interactions gravitationnelle et
électromagnétique dont l'effet resterait inchangé à leurs échelles
respectives, les nuages primordiaux de gaz formeraient
également des disques galactiques où se condenseraient les étoiles et
ensuite les éventuelles planètes. Selon les chercheurs, il y aurait quelques différences,
la plus importante étant une abondance inhabituelle de deutérium résultant de tous ces protons
et neutrons libres errant dans l'espace. Cependant, rien ne bouleverserait la structure de base de
l'Univers.
Enfin, quand
les premières étoiles s'illumineront, en l'absence d'interaction faible,
les noyaux d'hydrogène ne fusionneront pas pour former de l'hélium. En
revanche, il y aurait beaucoup plus de deutérium qui est tout aussi
capable d'éclairer les ténèbres à sa manière. En effet, grâce à
l'interaction forte, la collision d'un proton libre avec du deutérium
va lier les deux particules dans un éclair d'énergie, laissant
de côté l'isotope lourd de l'hélium-3. La fusion du deutérium
produit une réaction thermonucléaire dont le rendement est beaucoup plus
faible que la nucléosynthèse stellaire
classique qui fait briller le Soleil à partir d'hydrogène et faisant
intervenir l'interaction faible. La plupart des étoiles deviendraient des sortes
de géantes rouges à la fois très volumineuses et peu brillantes dans
l'absolu qui dispaîtront assez rapidement du ciel. Toutefois, certaines étoiles
brilleront plus longtemps, certaines pendant des milliards d'années. Et cette
particularité est évidemment essentielle au processus très lent du développement de la vie.
Bien
que nous ne connaissions que l'expérience de la Terre, nous savons que la
vie a pris près d'un milliard d'année pour apparaître et encore
sous une forme élémentaire.
A priori, il n'y a aucune raison de supposer que
ce processus prendrait plus (ou moins) de temps sur une autre planète,
même en l'absence d'interaction faible. Par conséquent, pour qu'une
forme de vie évoluée apparaisse dans un tel univers, il faudrait probablement
que les étoiles survivent au moins 5 milliards d'années dont une bonne
partie sur la Séquence principale comme c'est le cas du Soleil.
Quant
à savoir comment se comporterait les lois de la mécanique céleste dans un
univers sans interaction faible, selon les chercheurs, il n'y aurait probablement
pas autant de structures solides. En effet, dans un tel univers il n'y aurait pas
les éléments lourds qui existent aujourd'hui sur Terre et qu'on retrouve dans le Soleil.
Sans interaction faible, les étoiles seraient uniquement des usines chimiques.
C'est-à-dire qu'à mesure que les étoiles vieilliront, elles transformeront
de plus en plus de protons en particules plus
lourdes. Dans notre univers, le cycle
CNO a permis de créer énormément d'oxygène et de carbone. Ensuite
comme l'ont expliqué Fred Hoyle et ses collègues dans leur fameux
article B2FH,
la fusion de deux hélions (particules α) avec chaque noyau les
transmutent en atomes plus lourds jusqu'au fer mais des éléments plus lourds que le fer et
stables sont également constitués dans la réaction en chaîne, y compris une
quantité importante d'éléments radioactifs superlourds comme l'uranium.
Mais dans
un univers sans interaction faible, sans la désintégration des neutrons, la fusion
liée à l'interaction forte s'essoufflerait avec la formation du nickel
(Z=28) contenant seulement 28 protons. Les atomes plus lourds comme le fer
(Z=26) et tous les autres de poids supérieur pourraient encore se former, mais en quantités beaucoup plus
faibles. L'humanité risquerait donc de manquer d'argent (Z=47), d'or
(Z=79) ou d'autres métaux issus des processus r et s. En revanche, les
éléments chimiques plus légers, comme l'oxygène et le carbone seraient beaucoup plus abondants.
Enfin,
dans un univers sans interaction faible où la vie serait apparue sur une planète, la zone
habitable serait plus proche de l'étoile qui serait beaucoup plus grande
que nos étoiles de type solaire mais dont l'éclat du disque beaucoup plus
étendu que celui du Soleil serait inhabituellement faible.
En
guise de conclusion
Bien
sûr les chercheurs reconnaissent que tout ceci est théorique et spéculatif
car il n'existe aucune preuve suggérant qu'il existe d'autres univers au-delà des
distances que peuvent sonder nos télescopes.
Quoi
qu'il en soit, cette étude est utile car à la question de savoir si la
vie peut émerger dans un autre Univers qui disposerait d'eau et
d'étoiles durables, la liste exhaustive des facteurs nécessaires à
l'émergence de la vie telle qu'on l'applique sur Terre pourrait s'avérer
incomplète voire totalement inapplicable dans un autre Univers. Il semble
en tout cas plausible que notre Univers peut très bien fonctionner et
porter la vie sans interaction faible.
Dans ce cas, l'Univers n'est peut-être pas aussi spécial que certains
voudraient nous le faire croire... A ce titre, l'étude de Grohs et de
ses collègues a jetté un pavé dans la marre en soulevant
une question essentielle que les adeptes du principe anthropique ont
oublié dans leur argumentation, à savoir : les constantes physiques de notre
univers représentent-elles réellement des conditions indissociables au
développement de la vie ? Cette question qui reste ouverte soulève la possibilité réelle que notre perception
du monde ne soit tout simplement pas au centre de toute chose, n'en
déplaise aux croyants.
Pour
plus d'informations
Sur
Internet
CODATA (valeur des constantes universelles, 2014)
Les
constantes de couplage, sciences.ch
Interactions
fondamentales et particules élémentaires (PDF), Luc Louys, ULB
Introduction
à la physique des particules (PDF), L.Marleau, U.Laval, Canada
Coupling
constant, Wikiversity
Universes without the Weak Force: Astrophysical Processes with Stable Neutrons
(PDF), Evan Grohs et al., 2018
Livres
Le
principe anthropique, J.Demaret et D.Lambert, Armand Colin, 1994; Dunod, 1994
L'heure
de s'enivrer, H.Reeves, le Seuil, 1986/2000
Les
dérangeurs de l'univers, F.Dyson, Payot, 1987 (voir aussi la vidéo
en anglais)
The
Constants of Nature. From Alpha to Omega, J.Barrow, Pantheon Books, 2003
The
Anthropic Cosmological Principle, J.Barrow, F.Tipler et D.John, Clarendon Press, 1986; Oxford University Press, 1988
The
nature of the physical world, A.Eddington, McMillan, 1929; Cambridge University Press, 1929/2012; Andesite Press, 2015
Confrontation
of cosmological theories with observational data, B.Carter, Symposium IAU, 63, M.Longair, Ed.Reidel, 1974.
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