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La théorie de la Relativité Le cadre historique De la statique à la dynamique (II) Jusqu’au tournant du XVIIe siècle, bien que l'homme ait déjà éprouvé la vitesse en voyageant en galère, à cheval ou en calèche à près de 50 km/h, les savants étaient incapables d’expliquer le mouvement en termes de dynamique. Ils ne maîtrisaient que l’état statique et ne considéraient que les corps en équilibre. Nous ne pouvons pas leur jeter la pierre car la notion de vitesse requiert l'utilisation d'instruments capables de mesurer l’écoulement du temps avec précision. En 1583, Galilée découvre le pendule et comprend que cette horloge rudimentaire lui permet de relever les changements de positions au cours du temps, de calculer des vitesses et des accélérations.
Passionné par la cinématique et adepte de la philosophie naturelle, ses premiers travaux datent de 1604. Galilée était avant tout un théoricien et il fut professeur de mathématiques à l'Université de Padoue, probablement l'université la plus réputée d'Italie à cette époque. Il a hérité sa philosophie d'Aristote, dont il se revendique, dans laquelle la "science" était synonyme de principes évidents, démontrables avec simplicité et régie par une doctrine expérimentale. Mais les progrès techniques et les découvertes mathématiques l'aideront à dépasser cette philosophie antique “désaccordée”[9] à ses yeux. Bien qu'il ne fut pas un expérimentateur, il avait semble-t-il déjà prouvé[10] que tous les corps “graves” tombaient d'un même mouvement. Ainsi vers 1610 il posait sa première loi : "En un même lieu et pour tous les corps, l'accroissement de la vitesse en fonction du temps est constant ". Quelque temps plus tard, en laissant rouler des boules en bronze sur un plan incliné il découvre que "les espaces parcourus sont proportionnels aux carrés des temps et les espaces parcourus en chute libre pendant des temps égaux sont comme les nombres impairs à partir de l'unité"[11]. Mais son explication n’est pas complète et ce n’est que vers 1615 probablement qu’il formula correctement cette loi du “mouvement continûment et uniformément accéléré”, en comprenant que c’est à un instant donné d’une chute que l’accélération est proportionnelle au temps écoulé depuis le début de celle-ci.
Dans sa constatation, Galilée découvrait l'accélération. Il sera 10 ans en avance sur les théories de Francis Bacon[12]. Il est important de souligner cette découverte car jusqu'alors - et pour bon nombre d'entre nous également - le bon sens indiquait que le mouvement accéléré était proportionnel à l'espace parcouru plutôt qu'au temps. Dans son principe, cette loi n'était pourtant pas une découverte. Vers -50 avant Jésus-Christ, le poète latin Lucrèce tenait déjà pour sienne la théorie atomiste exposée par les Grecs. Dans De Natura Rerum, il écrivit notamment à propos de la chute des corps : "L'espace vide, lui, ne peut offrir aucune résistance. Il s'ensuit que dans le vide parfait, les corps se déplacent à des vitesses égales, même si le poids qui les entraîne varie de l'un à l'autre". L'expérience de Galilée fut refaite maintes fois et plus étonnement encore en 1971, lorsque l'astronaute américain David Scott séjourna sur la Lune (Apollo 15). Devant les caméras il prit en main une plume et un marteau, se demandant si la loi de Galilée sur la chute des corps serait vérifiée. Prêt à faire l'expérience, il écarta les bras et dit : "Je vais les laisser tomber tous les deux et, je l'espère, ils toucheront le sol en même temps..." Il lâcha les deux objets... qui touchèrent effectivement le sol au même instant, et conclut : "Que dites-vous de ça ! Ce qui prouve que Mr. Galilée avait trouvé les bons résultats !" A voir : L'expérience de Galilée reproduite sur la Lune Suivant toujours la praxis d’Aristote, Galilée étudie ensuite ce qu'il appelle les “mouvements violents” des corps élastiques puis il étudie les oscillations des pendules. Ingénieux et très astucieux, Galilée trouve un moyen pour retarder la chute des corps en faisant glisser les objets sur des plans plus ou moins inclinés. Grâce à ce passage à la limite, il découvre que ces mouvements sont uniformes, non accélérés et peuvent se poursuivre indéfiniment. Galilée découvre le principe d’inertie.
Malgré ses moyens rudimentaires, Galilée que l'on surnomme à juste titre le "père de la physique moderne" démontre l'existence d'une masse pesante et d'une masse inerte. Aujourd'hui nous dirions que la masse pesante (le poids ou masse gravitationnelle) varie en fonction de la force de gravité, alors que la masse inerte (la masse ou quantité de matière) est une constante (nous verrons plus loin qu'Einstein modifiera ce point de vue en posant la loi de conservation de l'énergie, E=mc2). Concrètement, si le poids d'un corps est six fois plus léger sur la Lune que sur la Terre, la force d'accélération nécessaire pour vaincre l'inertie de ce corps sera la même ici bas que là haut car elle ne représente qu'un effet de la résistance à l'accélération. Du coup, le mouvement n'est plus la conséquence d'un changement d'état de la matière comme le pensaient Platon et ses émules; le mouvement existe au même titre que le repos. Dans ses célèbres Discours de 1638, qui constitue la forme achevée de ses études sur la mécanique et est considéré aujourd’hui comme étant le premier ouvrage consacré à ce sujet, Galilée définit le mouvement comme une relation qui n'existe qu'en présence de deux corps : "Le mouvement n'agit que sur la relation que ces mobiles entretiennent avec d'autres qui en sont privés. Le repos est un mouvement rendu nul parce qu'il est partagé". Pour Galilée, le mouvement et le repos ne sont qu'une question de point de vue, de relativité. Mais il croit encore à la doctrine d'Aristote : si la cause cesse, l'effet disparaît. De prime abord, nous sommes de son avis. Mais réfléchissons un instant à cette causalité. Galilée - comme bon nombre d'entre nous - ne peut expliquer le mouvement partagé, le vol relatif des papillons par exemple. Dans son Dialogue Galilée relate une "expérience de pensée" qui révèle cette contradiction. "Dans la cabine d'un navire (à quai) dit-il, se trouve des papillons et d'autres animaux volants. Faites se déplacer le navire à une vitesse aussi grande que vous voudrez; pourvu que le mouvement soit uniforme et ne fluctue pas [...] les papillons continueront à voler indifféremment dans toutes les directions. [...] on ne les verra jamais s'épuiser à suivre le navire dans sa course rapide". En 1585, Giordano Bruno[13] avait déjà suggéré "[qu'un objet] placé à bord d'un navire en course [...] est doté de la vertu du moteur qui se meut avec le navire". Mais il ne veut pas s'étendre sur ses réflexions. Galilée à son tour constate que dans ce cas il n'y a pas de "premier moteur", or il y a bien un effet : les papillons sont entraînés à la vitesse du navire. Quel "moteur" a donc bien pu mettre les papillons en mouvement ? Tiraillé entre deux conceptions philosophiques de la nature, Galilée essaye malgré tout de comprendre ce qu'il observe à partir d'expériences. Il pousse son raisonnement plus loin, expérimente sur des plans en rotation pour finalement proposer le théorème de la composition des vitesses. Il stipule : "la vitesse apparente d'un mobile est égale à la somme des vitesses du mobile et de son référentiel s'ils sont tous deux animés d'un mouvement rectiligne uniforme". Selon le point de vue où l'on se place, le mouvement est "comme nul ". Pour un observateur sur la côte, le navire et les papillons avancent sur les flots, tandis qu'aux yeux des papillons embarqués, le navire n'est pas en mouvement. Cette définition constitue le "principe de relativité" proprement dit, appelé aujourd'hui le "principe d'invariance". Galilée en conclut que la cause qui transporte les papillons n'a rien à voir avec la vitesse du bateau en mouvement. Il considère que le mouvement du bateau est "imprégné de manière indélébile" dans les papillons. En 1602, il imagine ce qui deviendra la loi de l'inertie de Newton : "Quel que soit le degré de vitesse d'un corps mobile, celui-ci est naturellement imprimé de manière indélébile si toutes les causes externes d'accélération sont absentes, ce qui se produit seulement sur un plan horizontal ". Mais pourquoi le mouvement est-il ainsi "imprégné" dans les corps ? Galilée ne peut formaliser son observation et doit concevoir une surface plane pour conserver la vitesse des corps. Il faudra attendre l'explication de Newton concernant l'inertie.
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