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Les superéruptions solaires historiques

Illustration d'une superéruption solaire comparée à la taille de la Terre (en haut à gauche). Document T.Lombry.  

Introduction

Les éruptions solaires comme les CME et les éruptions chromosphériques de classe X1 ainsi que les tempêtes géomagnétiques qui les accompagnent sont déjà spectaculaires en temps normal et peuvent endommager les satellites et les infrastructures terrestres. Mais il est arrivé que le Soleil affiche une activité extrême et produise des éruptions chromosphériques et des CME d'intensités records qui eurent des effets majeurs sur notre planète. Elles ont généré des supertempêtes géomagnétiques qui furent à l'origine de perturbations électromagnétiques, d'incendies, d'aurores très brillantes, certaines tempêtes ayant même provoquées des effets sous la mer ! Ce sont ces quelques évènements extrêmes historiques que nous allons décrire.

La tempête de Carrington de 1859

A l'occasion, les CME peuvent occasionner indirectement des dégâts très importants sur Terre et même impacter d'autres planètes. L'évènement de Carrington survenu en 1859 au cours du Cycle solaire 10 nous a prouvé que parfois l'activité solaire pouvait gravement impacter nos installations et parfois notre vie.

Le 1er septembre 1859, l'astronome britannique Richard C. Carrington observait un grand groupe de taches solaires avec un télescope de 115 mm f/11.4 muni d'un filtre solaire gris neutre. A 11h18 GMT (locale pour Carrington), "deux taches intensément brillantes et de lumière blanche surgirent dans les positions indiquées dans le diagramme annexé par les lettres A et B et les formes laissées blanches [...]." Carrington crut d'abord qu'un rayon lumineux non filtré avait traversé un trou d'épingle dans son filtre jusqu'à ce qu'il déplace l'axe d'ascension droite du télescope et comprenne que "j'étais le témoin non préparé d'une affaire très différente. Sur ce, j'ai noté le temps au chronomètre et vit l'éruption rapidement faiblir, et étant quelque peu agité par la surprise, j'ai hâtivement appelé quelqu'un pour témoigner avec moi de l'évènement, et de retour dans les 60 secondes, je fus mortifié de constater que cela avait déjà beaucoup changé et s'était affaibli [...]. Les dernières traces furent en C et D, les taches [brillantes] s'étant considérablement déplacées depuis leur première position et s'évanouirent sous la forme de deux points de lumière blanche. L'instant de l'éruption était à 11h18h15 GMT et la disparition à 11h23. Dans cette période de 5 minutes, les deux taches de lumière ont traversé un espace d'environ 35000 miles (ou 56300 km)."

A gauche, évolution du groupe de taches solaires observées par l'astronome britannique Richard C. Carrington les jours précédents l'éruption solaire. A droite, le 1er septembre 1859 à 11h18, Carrington observa deux éruptions très lumineuses (marquées A et B puis s'évanouissant en C et D)  dans le principal groupe de taches sombres. Selon R.Hodgson qui l'observa également, ce groupe mesurait environ 96500 km de longueur. Quelques jours plus tard, on assista à une supertempête géomagnétique. Documents MNRAS.

Son observation fut confirmée par l'observateur britannique R.Hodgson : "En observant un groupe de taches solaires le 1er septembre 1859, je fus surpris par l'apparition d'une éruption lumineuse très brillante, beaucoup plus brillante que la surface du Soleil, éclairant les bords supérieurs des taches adjacentes et des stries [la pénombre des taches], un peu comme la bordure des nuages ​​au coucher du Soleil ; les rayons s'étendaient dans toutes les directions ; et le centre pourrait être comparé à l'éclat éblouissant de l'étoile brillante alpha Lyrae lorsqu'elle est vue dans un grand télescope à faible puissance. Cela dura environ cinq minutes, et disparut vers 11h25. L'instrument utilisé était une lunette astronomique de 150 mm de diamètre munie d'un mécanisme d'horlogerie, d'un oculaire grossissant 100x et d'un filtre solaire gris neutre. Le phénomène fut de trop courte durée pour réaliser un dessin micrométrique, mais un croquis oculaire a été réalisé. D'après une photographie prise à Kew la veille, la taille du groupe semble être d'environ 2 m 8 soit 60000 miles (ou 96500 km)."

Les deux observateurs envoyèrent immédiatement leur observation à la Royal Astronomical Society qui publia leurs commentaires dans l'édition de novembre 1859 des "MNRAS" (lire aussi l'article sur Cor2000).

En fait Carrington et Hodgson venaient d'observer une éruption chromosphérique majeure en lumière blanche qui engendra dans les jours suivants la plus puissante tempête géomagnétique connue à ce jour. C'est la première fois dans l'histoire de l'astronomie qu'on observa une éruption solaire au télescope.

Selon une étude de E.W. Cliver et L.Svalgaard publiée dans la revue "Solar Physics" en 2005 (voir aussi cet article en PDF de Hugh Hudson et al. publié en 2011), cette tempête solaire qualifiée de "supertempête" par les spécialistes, fut probablement le résultat d'une CME accompagnant deux éruptions chromosphériques majeures et successives dont la première fut d'une classe très supérieure à X10. Rappelons que les records sont une éruption chromosphérique de classe X28 survenue le 3 novembre 2003 suivie par une éruption de classe X45 le 4 novembre 2003.

Dans un article publié la revue "Space Weather" en 2012, Pete Riley de la société Predictive Science estima qu'il y avait 12% de probabilité qu'un phénomène similaire se produise dans la décennie suivante (ce qui ne veut pas dire tous les 10 ans). On reviendra sur cette probabilité. Comme on le voit ci-dessous à gauche, la seule supertempête solaire présentant des conditions proches de celles de Carrington ne s'est manifestée que le 15 juillet 2012 mais heureusement elle ne percuta pas la Terre et c'est à peine si les médias en parlèrent.

A consulter : The Big CME that Missed Earth (juillet 2012), NASA

A gauche, la supertempête solaire du 15 juillet 2012 comme la qualifia la NASA mais qui heureusement ne toucha pas la Terre. C'était la plus importante depuis celle de Carrington en 1859. Imaginez que celle de Carrington fut probablement similaire. A droite, un magnétogramme enregistré à l'Observatoire de Greenwich à Londres, le 1 septembre 1857, le jour où l'évènement de Carrington arriva sur Terre. Il fut ressenti jusqu'au 5 septembre 1857. Les quelques 250000 magnétogrammes du British Geological Survey sont disponibles en ligne.

Selon les scientifiques, sous la pression du vent solaire, le front de la magnétosheat terrestre recula de 60000 km et se serait réduit à une fine couche turbulente de seulement quelques centaines à quelques milliers de kilomètres d'épaisseur, affaiblissant la protection offerte par le champ magnétique terrestre.

Sous l'effet de ce plasma très chaud (50 millions de K sur le site d'émission), rapide et d'intense énergie, 5% de la couche d'ozone stratosphérique furent détruits, mettant des années pour se construire, tandis que les protons rapides ont fortement interagi avec les atomes et les molécules d'azote et d'oxygène présents dans la haute atmosphère. Ceux-ci ont libéré des neutrons qui formèrent de grandes quantités de nitrates qui retombèrent sur Terre et dont on retrouva les traces au Groenland comme en Antarctique. On estima qu'il tomba en quelques semaines autant de nitrates qu'en 40 ans d'activité du vent solaire !

Comme on le voit ci-dessus à gauche, l'évènement de Carrington fut enregistré à l'Observatoire de Greenwich à Londres. Sur ce magnétogramme du 1 septembre 1857, la déclinaison magnétique (la direction de la boussole, D) est indiquée par le tracé inférieur et la force horizontale (H) par le tracé supérieur. Le temps universel est le temps enregistré à Greenwich plus 12 heures par rapport à D et précède H d'environ 12 heures. L'effet de la superéruption solaire commença le 31 août 1857 à 23h15 enregistrée soit le 1er septembre 1857 à 11h15 TU. L'intensité magnétique enregistrée était de 110 nT en H et 0.283° en D.

Comme on le voit sur la carte présentée ci-dessous à droite, cette éruption exceptionnelle donna lieu à des aurores boréales qui, le 2 septembre 1859, furent visibles jusqu'en Amérique centrale, au Vénézuela (6°N) et aux Açores (38°N, 28°O) alors que généralement elles se cantonnent à l'Alaska et au Canada et ne descendent qu'exceptionnellement jusqu'en Floride (cf. H. Hayakawa et al., 2018).

Les aurores furent tellement brillantes qu'elles ont réveillé des mineurs chercheurs d'or dans les montagnes Rocheuses qui se sont crus au petit matin (cf. l'article publié en 2008 dans "Scientific American" consacré à l'impact de l'activité solaire).

Les notifications d'aurores polaires pendant la tempête de Carrington la nuit du 2 septembre 1859.

Cette éruption propagea également des courants électriques dans le sol près des sites chargés d'électricité qui affectèrent les réseaux électriques et télégraphiques. On observa des blackouts jusqu'à des latitudes très basses et on rapporte que certains transformateurs de haute tension furent saturés et ont explosé, il y eut des décharges électriques et des surtensions dans les lignes télégraphiques qui firent fondre certains câbles électriques et déclenchèrent localement des incendies.

On estime que la superéruption solaire à l'origine de l'évènement de Carrington développa une puissance supérieure à 5000 milliards de GW soit une énergie de l'ordre de 1032 ergs équivalente à l'explosion d'environ 8 milliards de mégatonnes de TNT ! Cette énergie équivaut à ~1013 GWh d'électricité consommée ! Par comparaison, la Belgique consomma à peine 8.4x104 GWh (84 TWh) en 2019.

Si on compare cette énergie à celle libérée par d'autres étoiles de même taille ou plus petites, on constate que cette superéruption fut encore 10 fois inférieure à celle qu'on peut observer sur certaines naines brunes.

En 2008, l'astrophysicien solaire David Hathaway du centre spatial Marschall (MSFC) de la NASA déclara que "Parmi les 160 années d'enregistrements des tempêtes géomagnétiques, l'évènement de Carrington est le plus important."

Il est même possible de remonter encore plus loin dans le temps en examinant la glace arctique qui peut emprisonner des particules énergétiques solaires laissant des traces de nitrates dans les carottes de glace. Selon Hathaway, "Ici encore, l'évènement de Carrington s'impose comme le plus important depuis 500 ans et presque deux fois plus important que le finaliste [de 1972]" (voir plus bas).

Si l'évènement de Carrington s'était produit aujourd'hui, il ferait bien plus de dégâts car nous sommes devenus très dépendants du réseau électrique (quasi inexistant à l'époque). En effet, aujourd'hui pratiquement tout est alimenté par le réseau électrique, en commençant par les appareils domestiques, les instruments scientifiques, les appareils de monitoring médicaux, les ordinateurs, les terminaux bancaires, les feux de signalisation, l'éclairage routier, les pompes à carburants, les pompes à eau, les avions, les trains, les métros, les barrages, les systèmes de sécurité, les portes automatiques, les alarmes, les bornes d'accès, les radars, sans oublier les entreprises, bref tout ce qui facilite la vie dans un endroit un tant soi peu civilisé. De plus, les infrastructures sont bien plus nombreuses qu'en 1859 et beaucoup de systèmes sont automatisés. En résumé, si une panne importante touche notre réseau électrique à l'échelle régionale ou continentale, c'est toute l'activité socio-économique et financière de pays entiers qui serait à l'arrêt, impactant gravement la survie de centaines de millions de personnes.

Une telle éruption aurait endommagé voire détruit nos réseaux globaux de communications avec des blackouts régionaux durant plusieurs jours ou semaines avec des pannes définitives de nombreux satellites. Elle aurait endommagé les lignes aériennes (lignes à haute tension, téléphone, etc.) ou les structures métalliques (gazoducs, pipelines) sur de très longues distances, provoquant localement des incendies d'origine électrique et très difficiles à maîtriser. Cette énergie aurait pu détruire les transformateurs électriques ou les pipelines dans les régions nordiques. Déjà de nos jours, de tels évènements provoquent des dommages se chiffrant en milliards de dollars chaque année. Si une telle CME percutait la Terre, elle pourrait cette fois détruire les transformateurs les plus puissants, ceux que les rares fabricants mettent parfois 2 ans à construire (à ce jour il n'existe que deux fabricants, l'un en Allemagne l'autre en Corée) et qu'il n'est pratiquement plus possible de transporter par la route en raison de leurs dimensions et de leur poids. En résumé, il y aurait peu de différences entre l'impact d'une telle CME et l'effet d'une petite bombe EMP.

Mais qu'on se rassure, il faudrait une CME peut-être 10000 fois plus intense que celle de Carrington pour plonger la Terre entière dans le noir et provoquer un chaos mondial.

Dans le système solaire, étant dépourvue de champ magnétique global, Mars subit également de plein fouet les CME qui sont capables d'arracher des ions d'hydrogène ou hydron (H+) de son atmosphère et probablement d'assécher la planète. Ainsi, comme l'expliqua Majd Mayyasi de l'Université de Boston et ses collègues en 2018 dans le journal "Geophysical Research", en septembre 2017 la sonde spatiale MAVEN en orbite autour de Mars détecta indirectement en étudiant le profil de la raie Lyman α de l'hydrogène, une chute de l'abondance de l'hydrogène dans la haute atmosphère de Mars. Les spectres UV ont montré que l'abondance de l'hydrogène chuta de 25% durant ce mois soit un taux de perte qui augmenta d'un facteur 5 par rapport à la normale. Les observations ont montré que Mars avait été percutée par une CME, le profil du CO2 indiquant que la température de la haute atmosphère martienne passa de 206 à 282 K pendant le passage du nuage de plasma, facilitant la libération de l'hydrogène dans l'espace, formant une plume polaire orientée dans la direction du vent solaire (cf. ce graphique).

Par le passé, à l'époque de la prime jeunesse du Soleil, il est probable que de telles phases éruptives se répétèrent régulièrement avec des intensités bien plus fortes, ayant pour effet à long terme d'arracher une grande partie de l'atmosphère de Mars qui était déjà fragilisée par la faible masse de la planète. La perte d'hydrogène a également probablement accéléré la déperdition d'eau à la surface de Mars.

La tempête géomagnétique de février 1872

Une équipe internationale multidisciplinaire de 22 chercheurs dirigée par Hisashi Hayakawa de l'Université de Nagoya a découvert qu'une éruption solaire extrême inconnue jusqu'alors, appelée la tempête de Chapman-Silverman, est survenue en février 1872. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023.

Selon les auteurs, à l'époque, la tempête géomagnétique fut suffisamment importante pour affecter les infrastructures technologiques jusqu'aux Tropiques. Les communications télégraphiques sur le câble sous-marin dans l'océan Indien entre Bombay (Mumbai) et Aden furent interrompues durant des heures. Des perturbations similaires furent signalées sur la ligne terrestre entre Le Caire et Khartoum.

A gauche, dessin de taches solaires réalisé par l'astronome français Gustave Louis Bernaerts les 2 et 3 février 1872. Document RAS, v.3, ff.25-26. Au centre, visibilité des aurores les 4 et 6 février 1872. Chaque point rouge indique un endroit pour lequel une aurorale fut signalée. Les courbes de niveau indiquent la latitude du champ géomagnétique (MLAT) avec un intervalle de 10° basées sur les pôles magnétiques de 1872 déterminés par le modèle GUFM1. A droite, une estampe japonaise de Junkyo Eshi illustrant l'aurore vue à Okazaki (37°54 N, 137°10 E, 24°.4 MLAT) lors de la tempête du 4 février 1872. Ce document est conservé dans le Temple de Shounji. Documents H.Hayakawa et al. (2023).

Les chercheurs ont utilisé des documents historiques et des techniques modernes pour évaluer la tempête de Chapman-Silverman depuis son origine solaire jusqu'à ses impacts terrestres. Pour l'origine solaire, les chercheurs se sont tournés vers des enregistrements des taches solaires largement oubliés provenant d'archives historiques, notamment belges et italiennes. Pour les impacts terrestres, ils ont utilisé des mesures du champ géomagnétique enregistrées dans des endroits aussi divers que Bombay (Mumbai), Tiflis (Tbilissi) et Greenwich pour évaluer l'évolution temporelle et l'intensité de la tempête. Ils ont également examiné des centaines de compte-rendus d'aurores provoquées par la tempête rédigés dans différentes langues.

L'un des aspects les plus intéressants de la tempête de 1872 était qu'elle provenait probablement d'un groupe de taches solaires de taille moyenne mais complexe situé près du centre du disque solaire, comme le confirment les analyses des relevés solaires archivés en Belgique et en Italie. Ces résultats suggèrent que même un groupe de taches solaires de taille moyenne déclencha l'une des tempêtes géomagnétiques les plus extrêmes de l'histoire.

Hayakawa et ses collègues ont étendu leurs recherches sur les aurores historiques en parcourant les archives des bibliothèques et des observatoires du monde entier. Ils ont identifié plus de 700 enregistrements d'aurores indiquant que le ciel nocturne était éclairé par de magnifiques aurores depuis les régions polaires jusqu'aux Tropiques (jusqu'à ~20° de latitude dans les deux hémisphères).

Variations temporelles des intensités du champ magnétique terrestre relevées à Greenwich divisées en ses composantes horizontale (H) et verticale (Z) lors des perturbations magnétiques survenues les 4 et 5 février 1872. L'inversion géomagnétique (Z en orange) au passage de l'onde de choc du vent solaire est bien visible après 18h TU suivie d'une deuxième après 21h TU. Documents H. Hayakawa et al. (2023).

Selon Hayakawa, "Nos découvertes confirment la tempête Chapman-Silverman de février 1872 comme étant l'une des tempêtes géomagnétiques les plus extrêmes de l'histoire récente. Sa taille rivalisait avec celle de la tempête de Carrington de septembre 1859 et celle du New York Railroad en mai 1921 (voir plus bas). Cela signifie que nous savons désormais que le monde a connu au moins trois supertempêtes géomagnétiques au cours des deux derniers siècles. Les évènements météorologiques spatiaux qui pourraient avoir un impact aussi important représentent un risque qui ne peut être écarté."

Hayakawa se veut réalise : "De tels évènements extrêmes sont rares. D'une part, nous avons la chance d'avoir échappé à de telles supertempêtes à l'époque moderne. D'un autre côté, l'apparition de trois supertempêtes de ce type en six décennies montre que la menace qui pèse sur la société moderne est réelle. Par conséquent, la préservation et l'analyse des documents historiques sont importantes pour évaluer, comprendre et atténuer l'impact de tels évènements."

La tempête géomagnétique de mai 1921

Le 15 mai 1921 à 7h04 locale, l'ensemble du système de signalisation et de commutation du réseau ferroviaire de New York, alias the New York Central Railroad, en dessous de la 125e rue fut mis hors service. L'incident fut suivi d'un incendie dans la tour de contrôle de la 57e rue et de Park Avenue qui détruisit la gare du Central New England Railroad.

Les responsables des chemins de fer ont officiellement attribué l'origine de l'incendie aux aurores boréales. L'opérateur télégraphique Hatch déclara qu'il s'était écarté de son appareil télégraphique car une flamme avait enveloppé son standard et enflammé tout le bâtiment. Les dégâts furent estimés à 6000$ de l'époque soit plus de 100000$ actualisés (en 2023).

Au-dessus de la mer, en Suède, une station téléphonique fut "incendiée" et la tempête perturba les trafics téléphonique, télégraphique et câblé dans la majeure partie de l'Europe. Les aurores étaient visibles dans l'est des États-Unis, avec des rapports jusqu'à Pasadena, en Californie, où les aurores ont atteint le zénith.

Dans un article publié dans la revue "Space Weather" en 2019, Jeffrey J. Love, Hisashi Hayakawa précité et Edward W. Cliver ont analysé les magnétogrammes de la tempête géomagnétique de mai 1921 enregistrés par des magnétomètres placés au sol à quatre endroits situés à basse latitude (Watheroo en Australie (WAT, 30.32°S, 115.88°E), Apia dans les Samoa occidentales (API, 13.81°S, 188.22°E), San Fernando en Espagne (SFS, 36.46°N, 353.79°E) et Vassouras au Brésil (VSS, 22.40°S, 316.35°E)).

A lire : Indices et autres échelles (sur ce site)

Deux séries chronologiques des perturbations géomagnétiques enregistrées entre le 13 mai 1921 à 00h30 GMT et le 17 mai 1921 à 02h30 GMT pondérées en fonction de la latitude des observatoires de Watheroo (WAT, gris), Apia (API, jaune), Vassouras (VSS, vert) et San Fernando (SFS, violet) et série chronologique DstWAVS (noir). (a) l'indice Dst qui évalue l'intensité des tempêtes géomagnétiques avec une inversion record proche de -900 nT. (b) l'indice géomagnétique blobal aa (dérivé de l'indice K) qui explose entre les 40e et 50e heures, signe de manifestion d'aurores. Document J.J. Love et al. (2019).

Les auteurs concluent : "Par déduction, la tempête fut provoquée par une série de CME (des éjections de masse coronale) issues d'une région active du Soleil, dont l'une a produit une pression maximale sur la magnétopause d'environ 64.5 nPa, suffisant pour comprimer le rayon de la magnétopause subsolaire à ~5.3 rayons terrestres. Au cours de la tempête, les perturbations géomagnétiques aux basses latitudes ont présenté une asymétrie extrême du temps local (longitude) qui peut être attribuée aux perturbations des sous-tempêtes s'étendant aux basses latitudes. La tempête atteignit un maximum estimé −Dst le 15 mai de 907 ±132 nT, une intensité comparable à celle de l'évènement de Carrington de 1859. La tempête de mai 1921 provoqua des aurores spectaculaires dans le ciel nocturne. Elle a également interféré et endommagé les systèmes téléphoniques et télégraphiques associés aux systèmes ferroviaires de la ville et de l'État de New York. Ces effets ultérieurs étaient dus à une combinaison de trois facteurs : les détails localisés de la perturbation géomagnétique vectorielle, l'expression géographique du tenseur d'impédance de la surface de la Terre et les configurations et paramètres physiques des réseaux électriques de l'époque."

L'éruption de classe X20 de 1972

Tout aussi étonnant et inattendu, l'activité solaire perturba le déroulement des opérations de l'US Navy durant la guerre du Vietnam (1964-1975). Dans le cadre de l'Opération Pocket Money visant à faire le blocus des ports nord-vietnamiens, entre mai 1972 et janvier 1973, l'armée américaine largua par avion plus de 11000 mines magnétiques Mk36 dans les eaux du golfe de Tonkin situé au sud de la ville de Haiphong, au nord du Vietnam. Ces mines sont en fait des bombes terrestres contenant 464.5 kg de TNT équipées d'un empennage conique et d'ailettes.

llustration de mines marines. Ces mines sphériques furent remplacées après 1945 par des modèles cylindriques ou profilés. Document inspiré de iStock/Shutterstock.

Le 4 avril 1972, des pilotes américains volant près du port de Haiphong assistèrent à l'explosion de plusieurs dizaines de mines marines en l'espace de quelques minutes. Des inspections aériennes révélèrent par la suite que d'autres explosions eurent lieu au même moment ailleurs le long de la côte. Dans ses mémoires publiées en 2015, l'officier de marine Michael Gonzales évoque plus de 4000 détonations spontanées dans la région. A première vue, les capteurs des mines furent perturbés par un intense champ magnétique qui déclencha leur explosion.

Les autorités navales ont d'abord soupçonné la présence d'un sous-marin. Mais aucun rapport ne mentionna sa présence en ces lieux. De plus, il y avait beaucoup trop d'explosions dans un court laps de temps pour que ce soit un sous-marin. Puis on imagina l'intervention d'hommes-grenouilles nord-vietnamiens voire même l'utilisation d'une nouvelle contre-mesure ennemie. Mais aucune information ne confirma ces hypothèses. Finalement, 49 ans après l'évènement, des chercheurs ont percé le mystère de ces détonations.

Dans un article publié dans la revue "Space Weather" en 2018, l'équipe de Delores Kipp du CCAR (Colorado Center for Astrodynamics Research) de l'Université du Colorado suggéra qu'une tempête solaire anormalement intense était suffisamment puissante pour déclencher les capteurs magnétiques des mines marines qui sont configurés pour se déclencher en réponse à la signature magnétique, acoustique ou de pression émise par les navires passant à proximité.

Ainsi, une mine marine peut être programmée pour se déclencher lorsque son magnétomètre détecte par exemple une perturbation de 10 teslas sur l'un de ses trois axes. Si cette perturbation est généralement provoquée par un objet métallique massif comme un navire, tout objet émettant un champ magnétique intense et notamment un avion ou un drône, peut aussi déclencher l'explosion de la mine.

Jusqu'à présent, on avait toujours cru que le rayonnement solaire et autres impulsions magnétiques étaient absorbées par quelques mètres d'eau et n'auraient aucun effet dans le milieu marin ni sur des mines magnétiques. Mais une CME d'une densité de 1016 g/cm3 emportant des milliards de tonnes de particules hautement chargées à 2000-2500 km/s sur des centaines de millions de kilomètres, conserve encore tout son pouvoir destructeur après avoir traversé plusieurs centaines de mètres d'eau. Même les câbles blindés sous-marins assurant l'essentiel des communications par Internet peuvent être endommagés !

Knipp servit 22 ans dans l'US Air Force et a toujours eu une "passion pour fouiller dans des archives sombres et poussiéreuses", déclara-t-elle dans un communiqué de presse. Son intérêt pour l'évènement de 1972 suscita sa curiosité lorsqu'un collègue du Space Weather Prediction Center de la NOAA lui dit avoir vu des représentants de l'US Navy et d'autres personnes en costumes sombres rendre visite à son patron.

Knipp retrouva un rapport de 143 pages de la Navy déclassifié en 1990 qui détaille la détonation sporadique et spontanée de dizaines de mines marines au Nord-Vietnam. Ce à quoi elle ne s'attendait pas, c'est que le rapport des autorités navales lia ces détonations à l'activité solaire.

Selon Knipp et ses collègues, entre le 2 et le 4 août 1972, un groupe de taches solaires cataloguée McMath Region 11976 produisit une série d'éruptions très intenses, avec des éjections de particules en direction de la Terre. Les premières éruptions provoquèrent des perturbations dans le champ géomagnétique et "nettoyèrent" l'espace interplanétaire, ouvrant la voie à une éruption encore plus puissante. Le 4 août 1972, une éruption solaire de classe X20 (estimation de 1974) fut observée vers 6h30 TU. Un peu moins de 15 heures plus tard, son souffle de particules frappa la Terre si intensément que l'onde magnétique pénétra dans l'eau du golfe de Tonkin et perturba les mines magnétiques au point de les faire exploser !

A voir : Naval mines: a closer look, Concerning Reality

A gauche, le destroyer lance-missiles USS McCormick essuyant des tirs de batteries côtières nord-vietnamiennes alors qu'il patrouille dans le golfe de Tonkin le 10 décembre 1967. Au centre, document déclassifié des spécifications des 11000 mines magnétiques Mk36 larguées par avion dans le golfe de Tonkin durant la guerre du Vietnam. A droite, a) spectrohéliogramme dans la raie du Ca II de la région solaire active McMath 11976 le 3 août 1972 (KPNO). b) spectrohéliogramme en Hα de la même région active enregistré le 4 août 1972 à 6h48 TU (BASS2000/Obs.Paris). c) vitesse moyenne horaire du vent solaire du 4 au 11 août 1972 (Zastenker et al., 1978). d) mesures magnétiques de la magnétogaine entre 21h20 et 22h30 TU prise par le satellite ATS 5 en orbite géosynchrone (Cahill & Skillman, 1977). e) la composante magnétique X relevée depuis l'Observatoire de Manille. Documents Underwood Archives/Getty Images, archives de l'US Navy et D.Kipp et al. (2018).

Knipp compara l'éruption de 1972 à l'évènement de Carrington de 1859 mais ce dernier fut deux fois plus intense. La NASA considère la tempête solaire de 1972 comme "légendaire" car par chance, elle s'est produite entre les missions Apollo 16 et 17.

Selon Knipp, les explosions de mines marines doivent servir d'avertissement à notre société. La population étant beaucoup plus dépendante des satellites pour assurer les communications et la navigation, les grandes tempêtes solaires pourraient potentiellement provoquer des catastrophes majeures soit directement si un satellite se trouvait sur la trajectoire d'une CME et tomberait définitivement en panne (en pratique, plusieurs satellites sont mis hors d'usage chaque année) soit indirectement à travers les effets électromagnétiques qu'elles provoqueraient sur les infrastructures, y compris les serveurs et les réseaux informatiques.

Les superéruptions de 993 et 774 AD, et 660 ACN

Antérieurement, nous avons également des documents attestant que le Soleil connut au moins trois superéruptions de classe X en l'an 993–994 et 774-775 de notre ère ainsi qu'aux alentours de l'an 660 avant notre ère (soit en -659).

Concentration des radioéléments et taux de production du C-14 sur Terre aux environs de 660 avant notre ère. Document P.O'Hare et al. (2019) adapté par l'auteur.

Dans une étude publiée dans la revue "Solar Physics" en 2017 (en PDF sur arXiv) l'équipe de Hisashi Hayakawa, spécialiste de la physique solaire et de la météo spatiale à l'Institut de l'Environnement Géospatial de l'Université de Nagoya, découvrit des pics de concentration d'isotope radioactif de C-14 dans les cernes des arbres à travers le monde datant de l'année 993-994 de notre ère. Il pourrait s'agir des effets des rayons cosmiques issus du Soleil frappant la haute atmosphère et convertissant l'azote-14 en carbone-14. D'anciens manuscrits indiquent en effet huit observations d'aurores en Saxe, dans le nord de l'Irlande et dans la péninsule coréenne entre octobre 992 et janvier 993. Toutefois, cette éruption ne fut probablement pas aussi intense que celle de 1859.

Dans le cas de l'année 774-775, selon une étude publiée dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2013 par l'équipe de Ilya G. Usoskin de l'Université d'Oula en Finlande et membre de l'UAI, la concentration en carbone-14 est ~20 fois plus élevée que la normale en 775. La concentration de béryllium-10 est également anormalement élevée dans la glace Antarctique datant de cette époque. Cette anomalie isotopique globale est probablement également d'origine solaire, liée à une superéruption ayant libéré une énergie estimée > 30 MeV/nucléon. Il s'agirait de la plus forte éruption solaire enregistrée à ce jour.

Enfin, rappelons pour mémoire que si les annales chinoises "Xin Tangshu" mentionnent une lueur dans le ciel "le douzième mois [lunaire], [jour] Bingzi", soit  le 12 janvier 776 de notre ère, cela s'est produit plus d'un et demi après la superéruption solaire qui, selon les dernières études des traces de C-14 relevées dans les cernes des arbres serait survenue durant l'été 774 (cf. J.Uusitalo et al., 2018; U.Büntgen et al., 2018). On y reviendra à propos des aurores.

Enfin, dans une étude publiée par l'équipe du géologue Paschal O’Hare de l'Université de Lund dans les "PNAS" en 2019, une autre éruption solaire majeure se serait produite vers l'an 660 avant notre ère (c. -659). En effet, les chercheurs ont découvert des preuves de cet évènement dans une surabondance de carbone-14 dans les cernes d'arbres et dans des carottes de glace extraites du Groenland riches en béryllium-10 et chlore-36 remontant aux alentours de 2610 ans soit vers 660 avant notre ère. Selon les chercheurs, les résultats indiquent que cet évènement fut de même ampleur que la superéruption solaire de 774.

La supertempête solaire de 7176 ACN

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2022, l'équipe du géologue Raimund Muscheler de l'Université de Lund et spécialiste du changement climatique a découvert des preuves suggérant qu'un flux massif de particules à haute énergie ou de rayons gamma frappa Terre en l'an 7176 avant notre ère.

Les chercheurs ont examiné les carottes de glace extraites au cours de plusieurs missions au Groenland et en Antarctique. Leur analyse montrent que trois superéruptions solaires se sont produits en 993 ou 994 de notre ère, en 774 ou 775 de notre ère et en 660 avant notre ère comme expliqué ci-dessus.

Ils ont également trouvé des preuves qu'une supertempête solaire non enregistrée jusqu'à présent s'est produite vers 7176 avant notre ère soit il y a environ 9200 ans. L'évènement forma des isotopes distinctifs de carbone-14, de béryllium-10 et de chlore-36 principalement dans la stratosphère qui sont ensuite tombés sur le sol avec les chutes de neige saisonnières annuelles et furent préservés dans les anciennes couches de glace. Ces particules proviennent quasi certainement d'une éruption majeure de particules énergétiques solaires ou SEP comprenant des flux de protons, d'électrons et d'ions. Toutefois, des radionucléides cosmogéniques produisent les mêmes isotopes lorsque des rayons cosmiques galactiques ou le rayonnement d'une supernova proche interagit avec la haute atmosphère, laissant une signature chimique similaire dans la glace. Cet évènement fut probablement accompagné d'aurores polaires.

A gauche, concentrations des isotopes Be-10 extraits des carottes de glace du Groenland (NGRIP) et d'Antarctique (EDML) à gauche, et concentration des isotopes Be-10 au Groenland (GRIP et EGRIP) et taux de production de C-14 à droite, autour de l'année -9125 (7176 avant notre ère). La concentration moyenne des radionucléides est représentée par une ligne en pointillés. A droite, a) mêmes données du Be-10 du Groenland (NGRIP et EGRIP) comparées au taux de production annuel normalisé de Be-10 modélisé pour la période 1963-2008 (ligne noire). Le panneau supérieur montre le nombre de groupes de taches solaires correspondant à la période. b) La même comparaison pour les données moyennes de Be-10 extraits des carottes de glace du Groenland (NEEM S1, NGRIP et Tunu) et de l'Antarctique (WAIS) pour les années 770-800 de notre ère (ligne bleue) et moyenne pour la période 1961-1991 (ligne noire). La ligne rouge indique le début estimé de l'évènement. Document R.Muscheler et al. (2022).

Selon les auteurs, l'évènement fut si intense que si une supertempête solaire d'une intensité similaire se produisait aujourd'hui, elle pourrait avoir des conséquences catastrophiques, notamment en provoquant des pannes sur les satellites en orbite, en perturbant les réseaux de communication et en provoquant des coupures sur les réseaux électriques.

Selon Muschelmer, "Les évènements connus des 70 dernières années, pour lesquels nous disposons de données instrumentales, étaient tous beaucoup plus faibles. Ces évènements anciens étaient environ 10 fois plus importants."

Les auteurs estiment que la supertempête solaire de 7176 avant notre ère s'est produite pendant la phase supposée "calme" de minimum du cycle solaire, lorsque les tempêtes solaires sont généralement peu probables. Toutefois, cette conclusion a été contestée.

L'astrophysicien solaire Dean Pesnell du centre Goddard de la NASA et du SDO, qui n'a pas participé à l'étude, a calculé que la supertempête de 7176 avant notre ère ne s'est pas produite pendant un minimum solaire, mais au début d'un nouveau cycle solaire. Selon Pesnell, les tempêtes solaires peuvent également se produire à la fin d'une phase de déclin du cycle solaire. "Elles ne sont pas typiques, mais elles ne sont pas non plus inattendues."

L'ingénieur en aéronautique et aérospatiale Jan Janssens de l'Observatoire Royal de Belgique et du service SIDC au STCE (Solar-Terrestrial Centre of Excellence) de Bruxelles, le centre qui coordonne les études internationales sur le Soleil, partage l'avis de Pesnell sur le fait que les tempêtes solaires peuvent survenir au tout début ou à la toute fin d'un cycle solaire : "C'est possible. De toute évidence, cela n'arrive pas trop souvent, et certainement pas pendant un cycle solaire minimum, mais cela arrive apparemment de temps en temps."

Selon Mary Hudson, professeur de physique et d'astronomie au Dartmouth College et qui étudie les tempêtes solaires, si la supertempête de 7176 avant notre ère s'est produite près d'un minimum solaire, elle aurait pu être plus violente que d'ordinaire. A l'inverse, les tempêtes solaires proches d'un maximum solaire peuvent être moins intenses que d'ordinaire mais sont plus fréquentes. Toutefois, ce mécanisme est mal compris et on ne peut pas tirer de conclusions générales, certains chercheurs doutant même que cette relation existe (cf. M.J. Owens et al., 2021).

Quel est le risque d'une nouvelle superéruption solaire ?

Bien que tout indique que ces superéruptions se manifestent très rarement, nous avons assisté à quelques éruptions majeures ces dernières décennies et chaque année les éruptions solaires mettent hors fonction plusieurs satellites. On peut donc légitimement se demander quel est le risque d'assister à une nouvelle superéruption dans les prochaines années ?

Le mathématicien David Moriña de l'Université Autonome de Barcelone et ses collègues ont publié en 2019 dans la revue "Nature Scientific Reports" une estimation de la probabilité qu'un évènement potentiellement catastrophique pour les télécommunications terrestres survienne au cours de la prochaine décennie. Les auteurs obtiennent une valeur comprise entre 0.46 et 1.88%, soit dix fois inférieure aux pourcentages estimés par leurs collègues (12% selon Pete Riley en 2012 et entre 1.6 et 12% selon Sangeetha A. Jyothi en 2021). Selon Moriña, "notre modèle est plus flexible que les précédents et il inclut également le modèle utilisé pour les estimations précédentes en tant que cas spécifique."

L'activité spectaculaire du Soleil le 28 mai 2015 photographiée en UV par SDO. Nous étions peu après le maximum du cycle solaire 24.

Rappelons que l'intensité des perturbations de la surface solaire telles que les éruptions et les CME affectant la magnétosphère terrestre est mesurée depuis 1957 à l'aide de l'indice "Dst" qui centralise les valeurs collectées toutes les heures dans des stations réparties autour du monde. Normalement, la valeur de ce paramètre varie de -20 à +20 nT. On estime que l'indice Dst associé à l'évènement de Carrington avait une valeur d'environ -850 nT.

Les tempêtes géomagnétiques sont responsables des aurores polaires qui en fonction de leur intensité peuvent interférer de manière radicale avec différents aspects des activités humaines. Les interruptions des systèmes électriques et de navigation ainsi que les communications par satellite, sont des exemples de perturbations graves survenues au cours des dernières décennies. Selon Isabel Serra, coautrice de l'article, "à l'époque de Carrington, la seule infrastructure concernée était le réseau téléphonique mondial. [...] Une tempête d'une telle intensité pourrait avoir des effets catastrophiques sur notre société."

Selon une étude réalisée en 2013 par la compagnie d'assurance Lloyd's of London et l'Atmospheric and Environmental Research, la durée de ces effets pourrait durer plus d'un an et les coûts pourraient atteindre 2.5 milliards de dollars. "C’est un chiffre qui devrait nous faire réfléchir" ajouta Serra. En effet, une probabilité proche de 2% ne devrait pas être négligée si nous prenons en compte les conséquences d'un tel évènement.

Selon Pere Puig, coauteur de cet article, "les gouvernements devraient disposer de protocoles d'action pour réagir à de telles catastrophes afin d'informer et de calmer la population laissée sans énergie électrique ni moyen de communiquer. Nous ne pouvons pas oublier qu'il y aura très peu de temps de réaction avant l'arrivée imprévue de ce type d'orage." En effet, si une telle superéruption survenait et se dirigeait vers la Terre, nous ne le saurions qu'entre 15 heures et 3 jours avant son impact sur notre planète et ne pourrions au mieux qu'essayer de nous protéger de ses effets.

Ceci dit, pas de panique et relativisons la situation. Une probabilité de ~2% reste faible comparée à d'autres menaces qui peuvent nous toucher de beaucoup plus près (accident de voiture, inondation, noyade, etc). Quoiqu'en disent les chercheurs, ces superéruptions sont très rares et plus une éruption est rare plus elle tombe dans l'aléatoire et l'imprévisible. Si on peut prédire statistiquement le cycle solaire et estimer la probabilité de formation d'une superéruption, il ne s'agit que de moyennes statistiques. Prédire l'activité des éruptions solaires au jour le jour est actuellement impossible et ne le sera probablement pas d'aussitôt. Il est donc très difficile de prédirer l'apparition d'une CME ou d'une superéruption pour une semaine précise. Aujourd'hui c'est un voeu pieux. Autrement dit, nous sommes toujours impuissants face aux colères du Soleil.

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