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La Terre, une planète fragile Les conséquences à long terme : du chaud et du froid (III) L'Antarctique est un continent particulier. Réservé à la recherche scientifique au moins jusqu'en 2040 dans le cadre du Traité sur l'Antarctique, en hiver c'est un espace aussi vaste que l'Afrique et recouvert d'une calotte de glace de plus de 4.7 km d'épaisseur. En 1996, grâce à des mesures radars et sismiques on a également découvert sous la station scientifique Vostok un immense lac souterrain grand comme la Corse. A ce jour plus de 70 lacs ont été découverts sous l'Antarctique. Ils se sont probalement formés voici 35 millions d'années au cours de la glaciation de l'Antarctique et restent liquides suite à la chaleur dégagée par la Terre. Le lac Vostok devrait être exploré par une sonde Cryobot, la même que celle que la NASA envisage d'utiliser pour explorer les lunes de Jupiter ou de Saturne.
L'Antarctique : un laboratoire à ciel ouvert Depuis que le Belge Adrien de Gerlache démontra pour la première fois en 1897 que l'homme pouvait hiverner en Antarctique, l'homme a décidé d'y passer quelques mois chaque année pour y conduire des expériences scientifiques. On y fait même du tourisme à partir du Chili. Aujourd'hui, 53 parties (à peu de choses près autant de nations) ont signé le Traité sur l'Antarctique et sont présentes sur le continent blanc. Elles y effectuent des relevés météo, étudient l'évolution du climat, la géologie, la glaciologie, le champ géomagnétique, le milieu marin, la faune et la flore du continent blanc. Après l'avoir quitté durant plus d'un demi-siècle (en 1961), en 2007 la Belgique réouvrit la base Roi Baudoin et partage ses installations avec des scientifiques japonais. L'Antarctique intéresse particulièrement les scientifiques car il s'agit d'un laboratoire à ciel ouvert. Il est même plus intéressant que les sites de hautes altitudes a priori plus simples d'accès (une route puis un hélicoptère ou un téléphérique suffit pour atteindre le sommet des Alpes ou des Pyrénées par exemple) car les scientifiques travaillant en Antarctique ne souffrent pas d'hypoxie liée au manque d'oxygène comme leurs collègues travaillant par exemple à 5000 m d'altitude en Himalaya qui de plus doivent aujourd'hui supporter une très forte pollution de l'air. On y reviendra. Non seulement on y découvre des météorites et des bactéries extrêmophiles mais les bulles d'air prisonnières de la glace contiennent l'état de l'air de la Terre depuis 500000 ans ! En effet, sachant que les masses d'air chaud se déplacent vers les masses d'air froid, durant l'hiver austral, le pôle Sud aspire l'air de toutes les régions du monde, en particulier toute la pollution dégagée par les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie. L'air se refroidissant en s'approchant du pôle, il se densifie et retombe sur le sol Antarctique en créant localement des vents très violents (vents catabatiques jusqu'à 25 m/s). A lire : Les régions polaires
L'analyse de la glace a ainsi permis de découvrir que les explosions nucléaires réalisées dans l'atmosphère dans les années 1950 avaient laissé des traces de métaux lourds jusqu'en Antarctique; les volcans européens y ont également déposés leurs cendres. Pire encore, le plomb utilisé du temps des Romains et dont beaucoup d'habitants souffrirent de saturnisme se retrouve aujourd'hui en grande quantité en Antactique ! Ainsi comme avec un gant blanc, en passant sur la surface de l'Antarctique nous pouvons connaître l'état de la planète. Que nous apprend l'Antarctique sur les variations climatiques de la Terre ? Tout d'abord il y a la question du "trou d'ozone" sur lequel nous reviendrons. En 2003 par exemple, sa taille correspondait à la surface du continent Antarctique ! Son évolution suit le taux de concentration des gaz à effet de serre dont les fameux CFC (chloro-fluoro-carbone). Le chlore en particulier est très sensible à la baisse de température stratosphérique. En 2003, la température à hauteur de la couche d'ozone ayant été proche de -90°C, c'est à cette époque que le trou d'ozone connut son expansion maximale.
Ensuite il y a l'immense collection de carottes de glace stockées dans les stations polaires et les universités. Des carottes de 3500 m remontant à environ 500000 ans ont été extraites du sous-sol de la station Vostok, considérée comme le "pôle du froid" (température moyenne de -55°C et record de -89.2°C !). Calibrées, datées et analysées, une simple analyse visuelle permet déjà d'observer l'évolution du climat. Ainsi, les couches alternativement claires et sombres d'une carotte glaciaire ainsi que leur transparence donnent une indication sur la rigueur et la quantité de neige tombées durant les hivers et les étés. Observé en lumière polarisée (en plaçant la coupe mince en sandwich entre deux filtres polarisants), la couleur indique l'orientation cristallographique de la glace. Enfin, on voit que la glace est de bonne qualité et a donc subit peu de déformations lorsque les cristaux sont uniformes et peu fragmentés. On en déduit que le climat a changé lentement et n'a pas subit de brusques variations de températures. En étudiant des milliers d'échantillons de cette manière, ces carottes de glace confirment le réchauffement actuel de l'atmosphère. Mais cela n'a rien d'artificiel. N'oublions pas que ce phénomène climatique est naturel et lié au cycle de Milankovitch : aujourd'hui, et depuis environ 10000 ans, nous sommes dans une période interglaciaire, ce qui signifie que la température globale du monde à tendance à augmenter puisque nous allons vers un radoucissement général du climat. La Terre a connu de nombreuses périodes glaciaires et interglaciaires et celle que nous connaissons aujourd'hui n'est que l'une d'entre elles. Cela dit, aujourd'hui l'impact de la consommation d'énergie de plus de 8 milliards d'individus (2020) et principalement des pays riches et émergeants ajoute une variable de poids à ce bilan, d'autant que la population augmente de manière exponentielle[6]. A
voir : Fonte
de la glace Arctique entre 1991 et 2016,
NASA
Dans les plus anciens échantillons de glace Antarctique on retrouve des traces d’air de la période chaude interglaciaire remontant à 120000 ans. En fait, la dernière déglaciation a libéré presque autant de gaz carbonique dans l’atmosphère que ce que nous avons produit durant l’ère industrielle. Le plus vieux pic apparaît soudainement, à l'instar d'un événement géologique. Il dura plusieurs milliers d'années puis décru lentement à mesure que les glaces prirent de l'extension. Avec le temps, les flocons de neige emprisonnèrent de moins en moins de gaz carbonique, jusqu'à ce qu'il réapparaisse il y a 20000 ans. On peut ainsi établir un lien entre la courbe de température de la neige polaire et la concentration du gaz carbonique. Le réchauffement s'est ensuite stabilisé durant 10000 ans, le manteau de glace s'est retiré en permettant aux espèces de se développer. Sous la pression humaine, le taux de CO2 gagna à nouveau 50% et retrouva son niveau interglaciaire, mais à une vitesse 100 fois plus rapide. Durant la dernière glaciation, la température moyenne ne baissa que de 4°C dans l'hémisphère nford. Puis on a pu démontrer qu'à partir de 1975, année où la population mondiale dépassa 4 milliards d'habitants, il y eut une corrélation évidente entre cette croissance et l'augmentation de l'effet de serre. Selon certains modèles, d'ici 2100 nous devrions assister en Europe de l'Ouest à une augmentation de la température comprise entre 1.5 et 6°C. Autrement dit, nous sommes en train d'assister au plus grave changement climatique que la Terre ait connu depuis 1 million d'années ! Toutefois, nous verrons page suivante que selon les modèles climatiques globaux et en tenant compte du ralentissement de l'activité solaire, entre 2020 et 2070 on pourrait subir un refroidissement comme on en connut au XVIIe siècle.
Un réchauffement global Dans les années 1990, certains scientifiques pensaient encore que l'argument de l'effet de serre perdait de sa force : le signal du réchauffement global était masqué par un abondant bruit naturel voire même neutralisé par des refroidissements locaux. Pour dissiper les doutes il fallait donc identifier tous les processus participant au réchauffement ou au refroidissement du climat dans chaque région du monde jusqu'à une échelle de 100 km environ, mesurer ensuite en permanence le bilan thermique de la Terre à chacun de ces endroits et de manière plus générale veiller en permanence sur les océans et les terres et surveiller le métabolisme des animaux et des végétaux, y compris l'effet des activités humaines du niveau de la mer au sommet de l'Himalaya. Comme l'ont écrit T.Crowley et G.North en concluant leur rapport sur l’état du climat en 1991, "l'augmentation de l'effet de serre est un évènement majeur dans l'histoire du climat mais il présente suffisamment de périodes creuses pour que l'on prenne conscience de ses faiblesses, avant de considérer que nos modèles climatiques sont adaptés à la prédiction des changements globaux". Avec le temps cependant et l'accumulation de toujours plus de données allant dans le même sens, tous les chercheurs ont bien dû se rendre à l'évidence, le gaz carbonique perturbe le climat, y compris en des endroits inattendus comme les sites de haute altitude. On y reviendra. Aujourd'hui, la question est de savoir quelles seront les conséquences sur le climat d'une aggravation de l’effet de serre ? On peut répondre à cette question, mais les climatologues et les biochimistes avouent qu'il très difficile d'estimer l'influence des océans et de la couverture nuageuse et de les quantifier dans un modèle numérique. Toutefois la plupart des modèles prennent en compte aujourd'hui des données supplémentaires comme les effets des aérosols, des résidus secs, de l'albedo des surfaces ou encore de la couverture de neige et de glace, des facteurs qui étaient totalement ignorés à la fin du XXe siècle car difficiles à mesurer sans l'aide des satellites ou de sondes installées au sol. Globalement les modèles prévoient d'ici à 2100 un réchauffement global compris entre 0.8°C et 3.5ºC si les émissions de soufre s'accentuent ou entre 0.8°C et 4.5ºC si ces émissions sont stabilisées à leur niveau actuel. Pour l'IPCC (GIECC en français), les estimations oscillent entre 2ºC et 2.4ºC respectivement. Cette croissance s'effectue à un rythme constant compris entre 0.12ºC et 0.26ºC par décennie, un rythme plus rapide que tout ce qu'on a pu observer depuis 10000 ans. La tendance de ces courbes indique que la température moyenne du globe en 2100 serait plus élevée que tout ce qu'il a connu depuis 125000 ans. Si nous n'agissons pas immédiatement pour réduire l'effet de serre y compris la quantité de polluants que nous déversons dans l'atmosphère, l'augmentation moyenne de la température du globe pourrait même dépasser 10°C vers 2200 ou 2400 comme on le voit ci-dessous à droite. Aidez les scientifiques à améliorer les prévisions climatiques
L'augmentation de l'effet de serre aura pour conséquence de diminuer la température hivernale en haute-altitude et de renforcer de quelques centimètres la déjà trop abondante pluviosité annuelle sous les Tropiques. Plus il y aura de vapeur d'eau dans l'atmosphère plus le phénomène sera important. Il s'emballera si bien que nous assisterons à un changement climatique sans précédent. Ce réchauffement provoquera également une fonte des glaciers qui perdraient environ 2% de leur masse, fonte qui libèrera plus de vapeur d'eau dans l'atmosphère, ce qui donnera plus de précipitations, etc. Déjà actuellement beaucoup de glaciers canadiens et même européens ont reculé d'au moins 1 km par rapport à 1950, et nous n'en sommes qu'au début... car comme le trou d'ozone au-dessus de l'Antarctique, nous subissons aujourd'hui les conséquences des actes que nos grands-parents ont amorcés il y a plus de 50 ans ! Suite à ce déséquilibre thermodynamique, l'eau et l'air se réchaufferont mais les calottes polaires ne pourront pas supporter ce régime. Si la calotte du pôle Nord disparaît, il n'y aura aucune conséquence car elle est constituée d'eau de mer gelée qui retournera à la mer. Comme actuellement le volume de glace occupe un certain volume d'eau (cf. Archimède), sa fonte va simplement réoccuper le volume actuel. En revanche, le pôle Sud est constitué d'un immense glacier d'eau douce. Sa fonte viendra alimenter les océans. Par voie de conséquence, selon l'IPCC en 2100 le niveau des mers s'élèverait non pas de 59 ou 69 cm si les émissions des aérosols augmentent mais de 1.10 m selon les prévisions revues en 2019 sur base des tendances des dernières décennies où on constata une accélération de la fonte des pôles et des glaciers. Des terres basses tel le Bengladesh perdrait 20% de son territoire. Des dizaines de millions de personnes devraient alors être évacuées des îles à fleur d'eau et des deltas plats avec toutes les conséquences socioéconomiques qu'on peut imaginer. A consulter en ligne: The Ocean and Cryosphere in a Changing Climate, IPCC, 2019
Même en Occident on constate déjà par endroit les effets de cette montée du niveau de la mer. Depuis le début des années 2000, les résidents de certaines villes côtières de France ou des Etats-Unis par exemple sont obligés de se protéger de la montée des eaux en érigeant un muret autour de leur maison ou de leur commerce pour éviter qu'il ne soit inondé à chaque marée haute. D'autres moins chanceux furent contraints d'abandonner leur habitation car la disparition progressive du sable la rendait instable. Les personnes pensionnées qui croyaient ainsi passer leur retraite au calme en investissant leurs économies dans un bungalow situé en bordure de mer sont aujourd'hui ruinées. Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2019, Scott A. Kulp de l'Université de Princeton et Benjamin H. Strauss ont calculé qu'en 2050, dans le monde quelque 170 millions de personnes seront déplacées car leurs terres risquent d'être inondées. Ce nombre pourrait atteindre 200 millions d'habitants d’ici 2100. Pour réaliser cette étude, les auteurs ont corrigé les élévations de terrain. En effet, les bases de données de la topographie des terres émergées utilisent des données obtenues par satellite. Or les algorithmes utilisés ont confondu la hauteur de la cime des arbres ou du toit des bâtiments avec celle du sol pour déterminer la hauteur des terres et donc des villes et villages. En corrigeant cette erreur, le niveau des terres émergées fut rabaissé en moyenne d'environ 2 mètres. Pour être plus précis, les auteurs ont également ajouté la hausse des mers provoquée par des grandes marées annuelles. En complément, les auteurs se sont appuyés sur des simulations de l'élévation du niveau des mers plus importante mais moins probable que celle avancée dans d'autres études, c’est-à-dire 2 mètres d"élévation plutôt que 1 mètre.
Selon les chercheurs, en 2019 quelque 300 millions de personnes vivent dans des endroits risquant d'être inondés au moins une fois par an lors des grandes marées qui surviendront d'ici 2050. D'ici 2100, les chercheurs estiment qu'entre 420 et 630 millions de personnes selon le niveau de la mer à cette époque, pourraient être exposées à des inondations annuelles. Comme on le voit sur la carte des côtes de la mer du Nord présentée à droite, lors des grandes marées, en 2050 les eaux envahiront l'intérieur des terres localement sur plusieurs dizaines de kilomètres, inondant des zones habitables, touristiques et agricoles. Par conséquent, toujours plus de personnes se concentreront dans un espace limité ou seront contraintes de quitter leur ville ou leur pays natal pour des endroits plus sûrs ou moins peuplés. Citons à part les Hollandais qui ont volontairement voulu conquérir des terres inondées et se sont donnés les moyens pour les assécher (cf. le Zuiderzee) ou les protéger de la mer à grand renfort de digues. Mais même à ce prix, beaucoup de polders restent des zones humides (les racines des herbes baignent dans l'eau de mer) et la situation ne va pas s'améliorer à l'avenir si on en juge par l'élévation continue du niveau de la mer. En 2050, les Hollandais risquent de voir plus de 50% de leur pays inondé au moins une fois par an ! Mais ces simulations aux résultats catastrophiques signifient surtout que personne n'est préparé aux inondations qui pourraient survenir vers 2050 (sans même parler des tempêtes, des hivers localement rigoureux et des étés caniculaires que nous connaitrons entre-temps). De Venise à Waterworld Les téléspectateurs furent certainement étonnnés de découvrir toute une ville submergée par la mer dans le film "Waterworld" de Kevin Reynolds (1995) ou les dernières séquences du film "A.I." de Steven Spielberg (2001). Heureusement, il n'y a que les cinéastes qui peuvent se permettre de créer de tels effets spéciaux pour notre plus grand plaisir. Ceci dit, nous savons qu'il y a 35000 à 18000 ans, en raison de la glaciation le niveau de la mer baissa jusqu'à 135 mètres par rapport au niveau actuel. A partir de ces fictions, sachant que la montée des eaux est inexorable, on peut se demander si les villes côtières du futur (New York, Londres, Oxford, Calais, Ostende, Amsterdam, etc), ne vont pas ressembler à Venise vers 2100 ou à des cités englouties ? Si 135 mètres d'eau représentent la hauteur d'un building de 45 étages, sauf catastrophe planétaire, le niveau actuel des mers ne peut pas encore monter de 135 mètres et donc les hôtels installés en bordure de mer ne risquent pas d'être submergés. En revanche, déjà vers 2050 lors des grandes marées, le long de la mer du Nord le niveau de l'eau risque de monter de 2 mètres. Dans ces conditions, comme le montre la carte ci-dessus tous les bâtiments des villes côtières auront leur sous-sol et le rez-de-chaussée inondés pratiquement jusqu'au plafond. Pourrait-on transformer ces villes inondées en autant de "Venise du nord" et continuer à y vivre ? A priori c'est peu probable car tout le réseau électrique et bien d'autres câbles et conduits ont été enterrés, sans même parler des égoûts, des tunnels et du métro. Si la zone est inondée, en cas de maintenance ces lieux ne seront plus accessibles. Même problème pour les rails du chemin de fer ou les pistes des aéroports. De plus, les habitations, les buildings et les bâtiments publics n'ont pas été conçus pour avoir les parkings souterrains et le rez-de-chaussée inondés. Les rues ne sont pas non plus adaptées au trafic maritime de barques ou de bâteaux. Enfin, le sous-sol ou le rez-de-chaussée des quartiers d'affaires abrite souvent les infrastructures informatiques. Bref, le jour où ces villes seront inondées, elles devront être abandonnées, y compris les éventuels data centers, les usines et autres centrales nucléaires. Les terres agricoles seront recouvertes d'eau salée et polluées. On les visitera peut-être en bâteau-mouche comme on visite Venise ou les temples engloutis sur le Nil. Seul avantage de cette situation dramatique, un nouveau genre de tourisme prospère verra peut-être le jour, la visite des cités fantômes, signes de l'inconscience et de l'égoïsme des chefs d'Etats des XXe et XXIe siècle ! La fonte de la glace Antarctique Que se passerait-il si la glace Antarctique disparaissait totalement ? Bien sûr, c'est une fiction digne des films catastrophes et une vue de l'esprit toute théorique, car une fonte totale de l'Antarctique nécessiterait des milliers d'années dans un scénario de réchauffement extrême. Mais si cela devait arriver, la situation serait dramatique pour les générations futures car les conséquences climatiques et économiques seraient catastrophiques à l'échelle mondiale pour plusieurs raisons.
D'abord cela signifie que les Etats n'ont pas respecté le Protocole de Kyoto et ont continué à émettre des gaz à effet de serre sans se soucier du lendemain et des générations futures. Ils ont ignoré toutes les alertes et franchi un point de basculement où le réchauffement climatique atteint 6 à 10°C par rapport au niveau préindustriel et affecte durablement la totalité de la planète. Par réaction, l'Antarctique qui était jusqu'ici relativement épargnée de la folie des hommes, nous renvoie l'irresponsabilité de nos dirigeants telle un boomerang en pleine figure ! Toute l'humanité en ressent à présent la blessure dans ses chairs, une blessure durable elle aussi. Dans le détail, la calotte glaciaire de l'Est Antarctique, qui est la plus vaste et stable, nécessite des augmentations plus élevées de température pour fondre complètement, car elle est située à des altitudes élevées et dans des régions extrêmement froides. Selon le GIEC, la calotte de l'Ouest Antarctique et les plateformes glaciaires périphériques (notamment les glaciers Thwaites et Pine Island) sont beaucoup plus sensibles et pourraient fondre avec des augmentations de température plus modestes, de l'ordre de 2 à 3°C. Des températures mondiales augmentant de 8-10°C par rapport au niveau préindustriel sur des millénaires pourraient entraîner une perte totale des glaces polaires, Antarctique et Groenland compris (cf. R.Winkelmann et al., 2020). La conséquence la plus importante et la plus visible de la disparition de la glace Antarctique sera une augmentation du niveau des mers d'environ 58 mètres (cf. P.Fretwell et al., 2013; Changement climatique 2021, GIEC). Pourquoi 58 mètres ? Car la fonte de 360 gigatonnes de glace correspond à une hausse d'environ 1 mm du niveau global des mers. Avec environ 26.5 millions de gigatonnes de glace stockées en Antarctique (en 2013), cela équivaut à une élévation globale d'environ 58 mètres. Une telle fonte globale inonderait des zones côtières où vivent des centaines de millions de personnes, submergeant des villes comme New York, Mumbai et Shanghai. Ailleurs dans le monde, y compris en Europe, la plupart des villes côtières et beaucoup de capitales seraient noyées sous plusieurs mètres d'eau jusqu'à des dizaines ou des centaines de kilomètres à l'intérieur des terres, selon les pays. Concrètement, avec une élévation de 58 m du niveau de la mer, Londres serait noyé sous 30 m d'eau, le nord de la Belgique et Bruxelles seraient noyés sous 45 m d'eau, la Grand-Place de Bruxelles serait à fleur d'eau et seule l'alltitude 100 (dans la commune de Foret) émergerait encore des eaux; la Bretagne serait une île et Paris serait un archipel; Venise serait noyée sous 47 m d'eau ! Heureusement, ce n'est pas pour demain. La fonte de la glace Antarctique déverserait d'énormes quantités d'eau douce dans l'océan, perturbant la circulation thermohaline avec le risque d'un arrêt de l'AMOC et du Gulf Stream. Les conséquences climatiques zt économiques seraient inimaginables. S'en suivra une réduction de l'albedo (le pouvoir réfléchissant des surfaces) qui normalement aide à maintenir la Terre fraîche. Une chute de l'albedo aura pour conséquence que les surfaces sombres comme l'eau de mer ou le sol rocheux absorbera davantage de chaleur du Soleil, entraînant un réchauffement accéléré. A
voir : The Hysteresis of the Antarctic Ice Sheet,
PIC, 2021
En outre, comme c'est déjà le cas dans les régions polaires (Sibérie et Canada), sous certaines parties de l'Antarctique, des dépôts de méthane (un puissant gaz à effet de serre) pourraient être libérés, accentuant davantage le réchauffement global. Ensuite, la disparition de la glace changerait les habitats pour de nombreuses espèces, notamment celles qui dépendent de la banquise, comme les manchots empereurs. En cascade, cela pourrait perturber des chaînes alimentaires entières, affectant aussi les ressources marines dont dépendent les humains. Enfin, la disparition des glaces polaires renforcerait les rétroactions positives climatiques, comme la libération de dioxyde de carbone par des sols auparavent gelés (permafrost), amplifiant le réchauffement global déjà en cours. La disparition des nuages bas Dans une étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2019, Tapio Schneider du Climate Dynamics Group du Caltech et ses collègues ont étudié les conséquences de l'effet de serre sur les nuages bas, en particulier les stratocumulus qui sont censés nous protéger de la chaleur du Soleil. Ils sont arrivés à la conclusion que ces nuages risquent de se dissiper d'ici une bonne centaine d'années et de disparaître d'ici 500 ans. Les nuages jouent un rôle clé dans la régulation de la température sur Terre. En raison de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, la disparition des nuages bas provoquerait une augmentation brutale de la température, avec des conséquences désastreuses sur toute la planète. Les stratocumulus évoluent entre 500 et 3000 m d'altitude. Ils couvrent 20% des océans dans les zones tempérées du globe et notamment dans la zone subtropicale. Ils refroidissent la surface de la Terre en portant de l'ombre sur de vastes étendues et en réfléchissant le rayonnement solaire incident vers l'espace. Ces nuages sont constitués de gouttelettes d’eau en suspension. Contrairement aux nuages élevés (alto et cirrus), les nuages bas ont un faible effet de serre car ils sont situés au-dessus des océans qui présentant un aspect sombre. La présence de ces nuages offre donc un pouvoir réflectif important.
Les chercheurs ont réalisé des simulations en tenant compte d'une concentration en particules fines de 1200 ppm, trois fois supérieure aux valeurs de 2019, seuil à partir duquel les nuages deviennent instables et se décomposent. Selon les chercheurs on atteindrait ce record en 2104 mais d'autres simulations ne le prévoient que vers 2300. Pour y arriver en moins de 100 ans, il faudrait brûler encore plus rapidement plus de carbone. Or, on peut espérer que les conférences de l'après-Kyoto et de la COP auront servi à quelque chose et que les mentalités auront changées d’ici un siècle. En réalité les bancs de stratocumulus ne vont pas tout d'un coup disparaître. Ils vont commencer par être moins épais et localement se dissiper sous la chaleur mais ils pourront toujours se reformer lorsque la température baissera ou que la concentration en gaz carbonique tombera en dessous de leur seuil d'instabilité. La disparition des nuages bas aura des conséquences directes, la première et la plus spectaculaire étant la hausse des températures. Selon Schneider, "l'augmentation des températures serait d'environ 8°C globalement et de 10°C dans les régions subtropticales, qui s’ajouterait au réchauffement climatique provoqué par la hausse de la concentration des gaz à effet de serre. Nos résultats montrent qu’il existe des seuils de changement climatique dangereux dont nous n'avions pas conscience jusqu’alors". Autrement dit, depuis le début de l'ère industrielle, la température moyenne risque d'augmenter de 14°C ! Cette augmentation importante de la température entraînera des effets dont les signes avant-coureurs sont déjà visibles aujourd'hui comme la fonte accélérée des calottes polaires et une montée des océans qui atteindrait plusieurs dizaines de mètres, bien au-delà des capacités humaines d'adaptation. On y reviendra. Le point essentiel à retenir de cette étude est qu'il existe des points de basculement. Cela confirme que l'évolution du climat peut avoir des effets non linéaires en passant d'un état stable à un autre. Et ce n'est que le début des effets du réchauffement du climat car depuis quelques années on parle même de "réfugiés de l'environnement" face à l'ampleur de la catastrophe qui se déroule sous nos yeux mais qui touche inégalement les pays. C'est l'objet du prochain chapitre. Prochain chapitre Les réfugiés de l'environnement
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