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La Terre, une planète fragile

Les conséquences à long terme : du chaud et du froid (III)

L'Antarctique est un continent particulier. Réservé à la recherche scientifique au moins jusqu'en 2040 dans le cadre du Traité sur l'Antarctique, en hiver c'est un espace aussi vaste que l'Afrique et recouvert d'une calotte de glace de plus de 4.7 km d'épaisseur.

En 1996, grâce à des mesures radars et sismiques on a également découvert sous la station scientifique Vostok un immense lac souterrain grand comme la Corse. A ce jour plus de 70 lacs ont été découverts sous l'Antarctique. Ils se sont probalement formés voici 35 millions d'années au cours de la glaciation de l'Antarctique et restent liquides suite à la chaleur dégagée par la Terre. Le lac Vostok devrait être exploré par une sonde Cryobot, la même que celle que la NASA envisage d'utiliser pour explorer les lunes de Jupiter ou de Saturne.

A gauche, la variation de la concentration en gaz carbonique relevé dans une carotte de glace de 2200 m prélevée en Antarctique par une équipe de chercheurs franco-russes. A droite, une image reconstruite du continent Antarctique réalisée à partir des photographies prises en été par un satellite météo de la NOAA. La résolution est de 1 km. Imaginez que cette superficie représente presque l'étendue de l'Afrique ! Documents Météo-France et NOAA.

L'Antarctique : un laboratoire à ciel ouvert

Depuis que le Belge Adrien de Gerlache démontra pour la première fois en 1897 que l'homme pouvait hiverner en Antarctique, l'homme a décidé d'y passer quelques mois chaque année pour y conduire des expériences scientifiques. On y fait même du tourisme à partir du Chili.

Aujourd'hui, 53 parties (à peu de choses près autant de nations) ont signé le Traité sur l'Antarctique et sont présentes sur le continent blanc. Elles y effectuent des relevés météo, étudient l'évolution du climat, la géologie, la glaciologie, le champ géomagnétique, le milieu marin, la faune et la flore du continent blanc. Après l'avoir quitté durant plus d'un demi-siècle (en 1961), en 2007 la Belgique réouvrit la base Roi Baudoin et partage ses installations avec des scientifiques japonais.

L'Antarctique intéresse particulièrement les scientifiques car il s'agit d'un laboratoire à ciel ouvert. Il est même plus intéressant que les sites de hautes altitudes a priori plus simples d'accès (une route puis un hélicoptère ou un téléphérique suffit pour atteindre le sommet des Alpes ou des Pyrénées par exemple) car les scientifiques travaillant en Antarctique ne souffrent pas d'hypoxie liée au manque d'oxygène comme leurs collègues travaillant par exemple à 5000 m d'altitude en Himalaya qui de plus doivent aujourd'hui supporter une très forte pollution de l'air. On y reviendra.

Non seulement on y découvre des météorites et des bactéries extrêmophiles mais les bulles d'air prisonnières de la glace contiennent l'état de l'air de la Terre depuis 500000 ans ! En effet, sachant que les masses d'air chaud se déplacent vers les masses d'air froid, durant l'hiver austral, le pôle Sud aspire l'air de toutes les régions du monde, en particulier toute la pollution dégagée par les Etats-Unis, l'Europe et l'Asie. L'air se refroidissant en s'approchant du pôle, il se densifie et retombe sur le sol Antarctique en créant localement des vents très violents (vents catabatiques jusqu'à 25 m/s).

A lire : Les régions polaires

Carte 3D de l'Antarctique indiquant l'emplacement de quelques stations scientifiques connues et différentes images montrant l'extraction des carottes de glace dans le cadre des projets américains GISP2 (NICL) et européens GRIP (ESF). Ce travail de forage, de découpe et de préanalyse se réalise par des températures oscillant entre -55°C à Vostok et entre -15 et -35°C dans les chambres froides. Ces carottes présentent un diamètre de 10 ou 13 cm selon les standards et sont découpées à chaque mètre puis numérotées. Une équipe de 12  à 15 hommes peut ainsi traiter jusqu'à 50 mètres de carottage en une journée. Les carottes sont temporairement stockées sur place et préanalysées avant d'être expédiées vers les différents laboratoires dont celui du NICL à l'Université de New Hampshire qui abrite l'une des plus grandes collections. Documents NCDC/NOAA, British Antarctic Survey et Niels Bohr Institute.

L'analyse de la glace a ainsi permis de découvrir que les explosions nucléaires réalisées dans l'atmosphère dans les années 1950 avaient laissé des traces de métaux lourds jusqu'en Antarctique; les volcans européens y ont également déposés leurs cendres. Pire encore, le plomb utilisé du temps des Romains et dont beaucoup d'habitants souffrirent de saturnisme se retrouve aujourd'hui en grande quantité en Antactique ! Ainsi comme avec un gant blanc, en passant sur la surface de l'Antarctique nous pouvons connaître l'état de la planète.

Que nous apprend l'Antarctique sur les variations climatiques de la Terre ? Tout d'abord il y a la question du "trou d'ozone" sur lequel nous reviendrons. En 2003 par exemple, sa taille correspondait à la surface du continent Antarctique ! Son évolution suit le taux de concentration des gaz à effet de serre dont les fameux CFC (chloro-fluoro-carbone). Le chlore en particulier est très sensible à la baisse de température stratosphérique. En 2003, la température à hauteur de la couche d'ozone ayant été proche de -90°C, c'est à cette époque que le trou d'ozone connut son expansion maximale.

A gauche, la station Vostok (78°S et 107°E). Il y fait en moyenne -55°C ! On reconnait à gauche le puits de forage permettant d'extraire des carottes de glace de 3500m remontant à plus de 500000 ans. Au centre, la collection de prélèvements de glace stockés au National Ice Core Laboratory (NICL) à l'Université de New Hampshire. Tous les échantillons de glace extraits au cours des projets GISP sont stockés dans cette chambre froide ultra-moderne. A droite, un échantillon de glace mince prélevé à 333m de profondeur observé au microscope optique en lumière polarisée. On distingue de toutes petites inclusions d'air au centre des cristaux, notamment au centre du fragment orange situé près du centre de l'image agrandie. Microphotographie réalisée par Anthony Gow de l'US Army Corps of Engineers, Cold Regions Research and Engineering Lab. Documents NCDC/NOAA.

Ensuite il y a l'immense collection de carottes de glace stockées dans les stations polaires et les universités. Des carottes de 3500 m remontant à environ 500000 ans ont été extraites du sous-sol de la station Vostok, considérée comme le "pôle du froid" (température moyenne de -55°C et record de -89.2°C !).

Calibrées, datées et analysées, une simple analyse visuelle permet déjà d'observer l'évolution du climat. Ainsi, les couches alternativement claires et sombres d'une carotte glaciaire ainsi que leur transparence donnent une indication sur la rigueur et la quantité de neige tombées durant les hivers et les étés. Observé en lumière polarisée (en plaçant la coupe mince en sandwich entre deux filtres polarisants), la couleur indique l'orientation cristallographique de la glace. Enfin, on voit que la glace est de bonne qualité et a donc subit peu de déformations lorsque les cristaux sont uniformes et peu fragmentés. On en déduit que le climat a changé lentement et n'a pas subit de brusques variations de températures.

En étudiant des milliers d'échantillons de cette manière, ces carottes de glace confirment le réchauffement actuel de l'atmosphère. Mais cela n'a rien d'artificiel. N'oublions pas que ce phénomène climatique est naturel et lié au cycle de Milankovitch : aujourd'hui, et depuis environ 10000 ans, nous sommes dans une période interglaciaire, ce qui signifie que la température globale du monde à tendance à augmenter puisque nous allons vers un radoucissement général du climat. La Terre a connu de nombreuses périodes glaciaires et interglaciaires et celle que nous connaissons aujourd'hui n'est que l'une d'entre elles. Cela dit, aujourd'hui l'impact de la consommation d'énergie de plus de 8 milliards d'individus (2020) et principalement des pays riches et émergeants ajoute une variable de poids à ce bilan, d'autant que la population augmente de manière exponentielle[6].

A voir : Fonte de la glace Arctique entre 1991 et 2016, NASA

Etendue de la couverte de glace du pôle Nord voici 21000 ans (à gauche) comparée à aujourd'hui. Selon les données recueillies par le satellite QuikScat, entre 2004 et 2007, l'Arctique a perdu 24% de sa surface. Depuis 2008, plus de la moitié de la glace Arctique à moins de 3 ans. Document UCL/ASTR.

Dans les plus anciens échantillons de glace Antarctique on retrouve des traces d’air de la période chaude interglaciaire remontant à 120000 ans. En fait, la dernière déglaciation a libéré presque autant de gaz carbonique dans l’atmosphère que ce que nous avons produit durant l’ère industrielle. Le plus vieux pic apparaît soudainement, à l'instar d'un événement géologique. Il dura plusieurs milliers d'années puis décru lentement à mesure que les glaces prirent de l'extension. Avec le temps, les flocons de neige emprisonnèrent de moins en moins de gaz carbonique, jusqu'à ce qu'il réapparaisse il y a 20000 ans. On peut ainsi établir un lien entre la courbe de température de la neige polaire et la concentration du gaz carbonique.

Le réchauffement s'est ensuite stabilisé durant 10000 ans, le manteau de glace s'est retiré en permettant aux espèces de se développer. Sous la pression humaine, le taux de CO2 gagna à nouveau 50% et retrouva son niveau interglaciaire, mais à une vitesse 100 fois plus rapide. Durant la dernière glaciation, la température moyenne ne baissa que de 4°C dans l'hémisphère nford. Puis on a pu démontrer qu'à partir de 1975, année où la population mondiale dépassa 4 milliards d'habitants, il y eut une corrélation évidente entre cette croissance et l'augmentation de l'effet de serre. Selon certains modèles, d'ici 2100 nous devrions assister en Europe de l'Ouest à une augmentation de la température comprise entre 1.5 et 6°C. Autrement dit, nous sommes en train d'assister au plus grave changement climatique que la Terre ait connu depuis 1 million d'années ! Toutefois, nous verrons page suivante que selon les modèles climatiques globaux et en tenant compte du ralentissement de l'activité solaire, entre 2020 et 2070 on pourrait subir un refroidissement comme on en connut au XVIIe siècle.

Fluctuations de la température globale de la Terre durant les deux derniers millions d'années. Selon les modèles climatiques, ce que nous sommes en train de vivre aujourd'hui pourrait bientôt atteindre une amplitude de 6°C.

Un réchauffement global

Dans les années 1990, certains scientifiques pensaient encore que l'argument de l'effet de serre perdait de sa force : le signal du réchauffement global était masqué par un abondant bruit naturel voire même neutralisé par des refroidissements locaux. Pour dissiper les doutes il fallait donc identifier tous les processus participant au réchauffement ou au refroidissement du climat dans chaque région du monde jusqu'à une échelle de 100 km environ, mesurer ensuite en permanence le bilan thermique de la Terre à chacun de ces endroits et de manière plus générale veiller en permanence sur les océans et les terres et surveiller le métabolisme des animaux et des végétaux, y compris l'effet des activités humaines du niveau de la mer au sommet de l'Himalaya.

Comme l'ont écrit T.Crowley et G.North en concluant leur rapport sur l’état du climat en 1991, "l'augmentation de l'effet de serre est un évènement majeur dans l'histoire du climat mais il présente suffisamment de périodes creuses pour que l'on prenne conscience de ses faiblesses, avant de considérer que nos modèles climatiques sont adaptés à la prédiction des changements globaux". Avec le temps cependant et l'accumulation de toujours plus de données allant dans le même sens, tous les chercheurs ont bien dû se rendre à l'évidence, le gaz carbonique perturbe le climat, y compris en des endroits inattendus comme les sites de haute altitude. On y reviendra.

Aujourd'hui, la question est de savoir quelles seront les conséquences sur le climat d'une aggravation de l’effet de serre ? On peut répondre à cette question, mais les climatologues et les biochimistes avouent qu'il très difficile d'estimer l'influence des océans et de la couverture nuageuse et de les quantifier dans un modèle numérique. Toutefois la plupart des modèles prennent en compte aujourd'hui des données supplémentaires comme les effets des aérosols, des résidus secs, de l'albedo des surfaces ou encore de la couverture de neige et de glace, des facteurs qui étaient totalement ignorés à la fin du XXe siècle car difficiles à mesurer sans l'aide des satellites ou de sondes installées au sol.

Globalement les modèles prévoient d'ici à 2100 un réchauffement global compris entre 0.8°C et 3.5ºC si les émissions de soufre s'accentuent ou entre 0.8°C et 4.5ºC si ces émissions sont stabilisées à leur niveau actuel. Pour l'IPCC (GIECC en français), les estimations oscillent entre 2ºC et 2.4ºC respectivement. Cette croissance s'effectue à un rythme constant compris entre 0.12ºC et 0.26ºC par décennie, un rythme plus rapide que tout ce qu'on a pu observer depuis 10000 ans.

La tendance de ces courbes indique que la température moyenne du globe en 2100 serait plus élevée que tout ce qu'il a connu depuis 125000 ans. Si nous n'agissons pas immédiatement pour réduire l'effet de serre y compris la quantité de polluants que nous déversons dans l'atmosphère, l'augmentation moyenne de la température du globe pourrait même dépasser 10°C vers 2200 ou 2400 comme on le voit ci-dessous à droite.

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ClimatePrediction.Net

A gauche, réchauffement moyen attendu pour 2100. A droite, projection de l'évolution de la concentration de CO2 d'ici 2500. Si rien ne change, sa concentration dépassera 3000 ppm vers 2200 ou 2400 selon la consommation de nos descendants; l'air sera nauséabond et la température aura augmenté en moyenne de plus 10°C. Notons que le seuil mortel est de 4% soit 40000 ppm de CO2 dans l'air avec une certaine tolérance jusque 8%. A partir de 10% de CO2, c'est la mort en 10 minutes. Documents NOAA et Gavin L. Foster et al. (2017).

L'augmentation de l'effet de serre aura pour conséquence de diminuer la température hivernale en haute-altitude et de renforcer de quelques centimètres la déjà trop abondante pluviosité annuelle sous les Tropiques. Plus il y aura de vapeur d'eau dans l'atmosphère plus le phénomène sera important. Il s'emballera si bien que nous assisterons à un changement climatique sans précédent.

Ce réchauffement provoquera également une fonte des glaciers qui perdraient environ 2% de leur masse, fonte qui libèrera plus de vapeur d'eau dans l'atmosphère, ce qui donnera plus de précipitations, etc.

Déjà actuellement beaucoup de glaciers canadiens et même européens ont reculé d'au moins 1 km par rapport à 1950, et nous n'en sommes qu'au début... car comme le trou d'ozone au-dessus de l'Antarctique, nous subissons aujourd'hui les conséquences des actes que nos grands-parents ont amorcés il y a plus de 50 ans !

Suite à ce déséquilibre thermodynamique, l'eau et l'air se réchaufferont mais les calottes polaires ne pourront pas supporter ce régime. Si la calotte du pôle Nord disparaît, il n'y aura aucune conséquence car elle est constituée d'eau de mer gelée qui retournera à la mer. Comme actuellement le volume de glace occupe un certain volume d'eau (cf. Archimède), sa fonte va simplement réoccuper le volume actuel.

En revanche, le pôle Sud est constitué d'un immense glacier d'eau douce. Sa fonte viendra alimenter les océans. Par voie de conséquence, selon l'IPCC en 2100 le niveau des mers s'élèverait non pas de 59 ou 69 cm si les émissions des aérosols augmentent mais de 1.10 m selon les prévisions revues en 2019 sur base des tendances des dernières décennies où on constata une accélération de la fonte des pôles et des glaciers. Des terres basses tel le Bengladesh perdrait 20% de son territoire. Des dizaines de millions de personnes devraient alors être évacuées des îles à fleur d'eau et des deltas plats avec toutes les conséquences socioéconomiques qu'on peut imaginer.

A consulter en ligne:

The Ocean and Cryosphere in a Changing Climate, IPCC, 2019

Dartmouth Flood Observatory

Résultats cumulés et arrêtés en 2005 des inondations en Amérique du Nord, Europe et Asie du Sud-Est. Si nous ne réduisons pas notre impact sur le climat, ce sont des centaines de kilomètres carrés de zones constructibles et de terres arables qui disparaitront à jamais sous les eaux. Cette catastrophe annoncée s'est amorcée dans les années 1980 sous les Tropiques et commence aujourd'hui  à éroder les côtes d'Europe et des Etats-Unis parmi d'autres pays impactés par le réchauffement du climat. Documents Dartmouth Flood Observatory.

Même en Occident on constate déjà par endroit les effets de cette montée du niveau de la mer. Depuis le début des années 2000, les résidents de certaines villes côtières de France ou des Etats-Unis par exemple sont obligés de se protéger de la montée des eaux en érigeant un muret autour de leur maison ou de leur commerce pour éviter qu'il ne soit inondé à chaque marée haute. D'autres moins chanceux furent contraints d'abandonner leur habitation car la disparition progressive du sable la rendait instable. Les personnes pensionnées qui croyaient ainsi passer leur retraite au calme en investissant leurs économies dans un bungalow situé en bordure de mer sont aujourd'hui ruinées.

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2019, Scott A. Kulp de l'Université de Princeton et Benjamin H. Strauss ont calculé qu'en 2050, dans le monde quelque 170 millions de personnes seront déplacées car leurs terres risquent d'être inondées. Ce nombre pourrait atteindre 200 millions d'habitants d’ici 2100.

Topographie des zones bordant la mer du Nord risquant d'être inondées lors des grandes marées attendues d'ici 2050 selon Climate Central. En 2100, les zones inondées s'étendront encore plus loin dans les terres.

Pour réaliser cette étude, les auteurs ont corrigé les élévations de terrain. En effet, les bases de données de la topographie des terres émergées utilisent des données obtenues par satellite. Or les algorithmes utilisés ont confondu la hauteur de la cime des arbres ou du toit des bâtiments avec celle du sol pour déterminer la hauteur des terres et donc des villes et villages. En corrigeant cette erreur, le niveau des terres émergées fut rabaissé en moyenne d'environ 2 mètres. Pour être plus précis, les auteurs ont également ajouté la hausse des mers provoquée par des grandes marées annuelles. En complément, les auteurs se sont appuyés sur des simulations de l'élévation du niveau des mers plus importante mais moins probable que celle avancée dans d'autres études, c’est-à-dire 2 mètres d"élévation plutôt que 1 mètre.

Selon les chercheurs, en 2019 quelque 300 millions de personnes vivent dans des endroits risquant d'être inondés au moins une fois par an lors des grandes marées qui surviendront d'ici 2050. D'ici 2100, les chercheurs estiment qu'entre 420 et 630 millions de personnes selon le niveau de la mer à cette époque, pourraient être exposées à des inondations annuelles. Comme on le voit sur la carte des côtes de la mer du Nord présentée à droite, lors des grandes marées, en 2050 les eaux envahiront l'intérieur des terres localement sur plusieurs dizaines de kilomètres, inondant des zones habitables, touristiques et agricoles. Par conséquent, toujours plus de personnes se concentreront dans un espace limité ou seront contraintes de quitter leur ville ou leur pays natal pour des endroits plus sûrs ou moins peuplés.

Citons à part les Hollandais qui ont volontairement voulu conquérir des terres inondées et se sont donnés les moyens pour les assécher (cf. le Zuiderzee) ou les protéger de la mer à grand renfort de digues. Mais même à ce prix, beaucoup de polders restent des zones humides (les racines des herbes baignent dans l'eau de mer) et la situation ne va pas s'améliorer à l'avenir si on en juge par l'élévation continue du niveau de la mer. En 2050, les Hollandais risquent de voir plus de 50% de leur pays inondé au moins une fois par an !

De Venise à Waterworld

Les téléspectateurs furent certainement étonnnés de découvrir toute une ville submergée par la mer dans le film "Waterworld" de Kevin Reynolds (1995) ou "A.I." de Steven Spielberg (2001). Heureusement, il n'y a que les cinéastes qui peuvent se permettre de créer de tels effets spéciaux pour notre plus grand plaisir. Ceci dit, nous savons qu'il y a 35000 à 18000 ans, en raison de la glaciation le niveau de la mer baissa jusqu'à 135 mètres par rapport au niveau actuel.

A partir de ces fictions, sachant que la montée des eaux est inexorable, on peut se demander si les villes côtières du futur (New York, Londres, Oxford, Calais, Ostende, Amsterdam, etc), ne vont pas ressembler à Venise vers 2100 ou à des cités englouties ?

Si 135 mètres d'eau représentent la hauteur d'un building de 45 étages, sauf catastrophe planétaire, le niveau actuel des mers ne peut pas encore monter de 135 mètres et donc les hôtels installés en bordure de mer ne risquent pas d'être submergés. En revanche, déjà vers 2050 lors des grandes marées, le long de la mer du Nord le niveau de l'eau risque de monter de 2 mètres. Dans ces conditions, comme le montre la carte ci-dessus tous les bâtiments des villes côtières auront leur sous-sol et le rez-de-chaussée inondés pratiquement jusqu'au plafond.

Pourrait-on transformer ces villes inondées en autant de "Venise du nord" et continuer à y vivre ? A priori c'est peu probable car tout le réseau électrique et bien d'autres câbles et conduits ont été enterrés, sans même parler des égoûts, des tunnels et du métro. Si la zone est inondée, en cas de maintenance ces lieux ne seront plus accessibles. Même problème pour les rails du chemin de fer ou les pistes des aéroports. De plus, les habitations, les buildings et les bâtiments publics n'ont pas été conçu pour avoir les parkings souterrains et le rez-de-chaussée inondés. Les rues ne sont pas non plus adaptées au trafic maritime de barques ou de bâteaux. Enfin, le sous-sol ou le rez-de-chaussée des quartiers d'affaires abrite souvent les infrastructures informatiques. Bref, le jour où ces villes seront inondées, elles devront être abandonnées, y compris les éventuels data centers, les usines et autres centrales nucléaires. Les terres agricoles seront recouvertes d'eau salée et polluées. On les visitera peut-être en bâteau-mouche comme on visite Venise ou les temples engloutis sur le Nil. Seul avantage de cette situation dramatique, un nouveau genre de tourisme prospère verra peut-être le jour, la visite des cités fantômes, signes de l'inconscience et de l'égoïsme des politiciens des XXe et XXIe siècle !

La disparition des nuages bas

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2019, Tapio Schneider du Climate Dynamics Group du Caltech etses collègues ont étudié les conséquences de l'effet de serre sur les nuages bas, en particulier les stratocumulus qui sont censés nous protéger de la chaleur du Soleil. Ils sont arrivés à la conclusion que ces nuages risquent de se dissiper d'ici une bonne centaine d'années et de disparaître d'ici 500 ans.

Les nuages jouent un rôle clé dans la régulation de la température sur Terre. En raison de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, la disparition des nuages bas provoquerait une augmentation brutale de la température, avec des conséquences désastreuses sur toute la planète.

Les stratocumulus évoluent entre 500 et 3000 m d'altitude. Ils couvrent 20% des océans dans les zones tempérées du globe et notamment dans la zone subtropicale. Ils refroidissent la surface de la Terre en portant de l'ombre sur de vastes étendues et en réfléchissant le rayonnement solaire incident vers l'espace. Ces nuages sont constitués de gouttelettes d’eau en suspension. Contrairement aux nuages élevés (alto et cirrus), les nuages bas ont un faible effet de serre car ils sont situés au-dessus des océans qui présentant un aspect sombre. La présence de ces nuages offre donc un pouvoir réflectif important.

Des nuages cumuliformes se développant au-dessus de la mer. A droite, une photo prise depuis les Philippines au-dessus de la mer de Chine lors d'un vol en Airbus A300-600. Documents Michael Turek/Gallery Stock et Flickr/Jaws300.

Les chercheurs ont réalisé des simulations en tenant compte d'une concentration en particules fines de 1200 ppm, trois fois supérieure aux valeurs de 2019, seuil à partir duquel les nuages deviennent instables et se décomposent. Selon les chercheurs on atteindrait ce record en 2104 mais d'autres simulations ne le prévoient que vers 2300. Pour y arriver en moins de 100 ans, il faudrait brûler encore plus rapidement plus de carbone. Or, on peut espérer que les conférences de l'après-Kyoto et de la COP auront servi à quelque chose et que les mentalités auront changées d’ici un siècle.

En réalité les bancs de stratocumulus ne vont pas tout d'un coup disparaître. Ils vont commencer par être moins épais et localement se dissiper sous la chaleur mais ils pourront toujours se reformer lorsque la température baissera ou que la concentration en gaz carbonique tombera en dessous de leur seuil d'instabilité.

La disparition des nuages bas aura des conséquences directes, la première et la plus spectaculaire étant la hausse des températures. Selon Schneider, "l'augmentation des températures serait d'environ 8°C globalement et de 10°C dans les régions subtropticales, qui s’ajouterait au réchauffement climatique provoqué par la hausse de la concentration des gaz à effet de serre. Nos résultats montrent qu’il existe des seuils de changement climatique dangereux dont nous n'avions pas conscience jusqu’alors". Autrement dit, depuis le début de l'ère industrielle, la température moyenne risque d'augmenter de 14°C ! Cette augmentation importante de la température entraînera des effets dont les signes avant-coureurs sont déjà visibles aujourd'hui comme la fonte accélérée des calottes polaires et une montée des océans qui atteindrait plusieurs dizaines de mètres, bien au-delà des capacités humaines d'adaptation. On y reviendra.

Le point essentiel à retenir de cette étude est qu'il existe des points de basculement. Cela confirme que l'évolution du climat peut avoir des effets non linéaires en passant d'un état stable à un autre.

Et ce n'est que le début des effets du réchauffement du climat car depuis quelques années on parle même de "réfugiés de l'environnement" face à l'ampleur de la catastrophe qui se déroule sous nos yeux mais qui touche inégalement les pays. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

Les réfugiés de l'environnement

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[6] La croissance de la population obéit à la relation N = N'e(rt), avec N la population de départ, e le logarithme népérien (2.71828...), r le taux de croissance naturel et t l'interval de temps considéré. La solution est une courbe exponentielle. A l'époque du Christ il y avait 150 millions d'habitants sur Terre, 300 millions en 1350, 600 millions en 1700, 1 milliard vers 1830, 2 milliards en 1940, 4 milliards en 1975, 6.1 milliards en 2000, il y en aura 8 milliards en 2020 et 10 milliards vers 2035 ! Pour connaître l'évolution de la population par pays consulter la base internationale du bureau américain Census.


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