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Les quasars et autres galaxies à noyau actif

Controverse autour des ponts de matière (VII)

En 1983, un virulent débat opposa Halton Arp (1927-2013) de Caltech et plusieurs de ses collègues aux fervents défenseurs de l'interprétation cosmologique. Arp et ses collègues remirent en question la nature du décalage Doppler des galaxies, considéré généralement (hormis effets locaux) comme le résultat de l'expansion de l'Univers.

Parmi les objets de son Atlas of peculiar galaxies, Arp étudia certaines galaxies proches de la Voie lactée ainsi que des amas compacts de galaxies dont les membres semblaient en interactions avec des quasars distants d'au moins un milliard d'années-lumière ! Pour expliquer ce phénomène Halton Arp suggéra que les quasars étaient situés beaucoup plus près qu'on l'imaginait. Il stipulait en particulier : "Le fait central, inéluctable, représentant mon principal désaccord avec la théorie acceptée, est le fait que les redshifts des objets extragalactiques ne sont pas entièrement provoqués par la vitesse"[26].

D'autres astronomes partagèrent son opinion et trouvèrent les preuves nécessaires pour soutenir leurs revendications. Mais ce débat fut loin d'être une polémique stérile.

A lire : A propos des travaux d'Halton Arp

A gauche, Halton Arp dans les années 1970 alors qu'il était au Caltech examinant une photographie prise avec le télescope Hale de 5 m. A droite, Arp 279, alias NGC 1273 d'Eridani, deux galaxies en interaction dont les redshifts semblent anormaux. Documents NGS et IPAC traité par l'auteur.

Le couple extragalactique suscitant le plus de controverses est formé par la galaxie NGC 4319 et le quasar Mrk 205 présentés ci-dessous. La différence de vitesse atteint un facteur 12 mais le couple semble pourtant relié par un pont de matière. Halton Arp et Geoffrey Burbidge considéraient que ces deux objets étaient réellement connectés et citaient[27] d'autres systèmes dans lesquels nous trouvons également des associations physiques, quartettes, quintettes et autres amas compacts.

A posteriori il n'est pas improbable de trouver d'autres configurations de ce genre, la chance que nous en trouvions dans un couple de galaxies étant de (1/2)2, soit 25%. Mais il devient hautement improbable lorsqu'il concerne des amas plus nombreux, tel VV172 qui comporte 5 membres, dont l'un d'entre eux accuse un mouvement deux fois plus rapide que ses compagnons[28].

Mais ne plaçons pas la théorie avant les faits ! De deux choses l'une : soit nous confirmons que ces observations sont dues au hasard (en observant un échantillon plus vaste et des amas compacts caractéristiques) et l'interprétation de Arp est biaisée soit nous essayons d'élaborer une théorie cohérente.

Chacun reconnaît que si l'on pouvait démontrer que la vitesse augmentait le long du pont lumineux qui relie ces objets, les idées de Arp et Burbidge recevraient un réconfort officiel. Mais la brillance de ce filament est tellement faible, qu'à l'heure actuelle aucune analyse spectrale n'a été probante. Nous manquons en fait de moyens pour percer cet apparent mystère. On y reviendra.

A gauche, la galaxie spirale barrée NGC4319 du Dragon et son compagnon exotique la galaxie de Markarian Mrk 205. Document NASA/ESA/STScI. A droite dans l'encart, vue générale du couple NGC 4319 - Mrk 205 photographié par D.Strange avec un télescope de 500 mm f/5. Empilement de 3 images CCD exposées 80 secondes chacune. En dessous et à droite, l'image en fausses couleurs traitée avec le logiciel IRIS de Christian Buil montre clairement le pont lumineux qui semble relier les deux objets. Mais quoiqu'en disent Arp et Burbidge, il s'agit vraisemblablement d'un effet de perspective, le quasar étant beaucoup plus éloigné que la galaxie de Markarian. Document T.Lombry.

A côté du problème cosmologique, Halton Arp tenta également d'expliquer les anomalies constatées dans les mesures des décalages Doppler. Puisque la mesure des raies d'émission donnait systématiquement des décalages Doppler différents, tant pour les quasars que les AGNs, il y avait tout lieu de croire que ces objets étaient relativement proches et étaient entourés de nuages de gaz absorbants.

Le modèle unifié des AGNs explique ces effets Doppler par l'accrétion d'un disque composé de gaz et de poussière entourant l'objet. La présence de ces nuages affecterait le spectre du quasar, en particulier par une discontinuité spectrale à 91.2 nm. Or l'analyse ultraviolette n'a mis en évidence aucune discontinuité de ce type dans les 19 quasars examinés en 1990[29].

D'autres chercheurs[30] ont découvert que certains quasars présentaient un creux à la place de la célèbre forêt Lyman-alpha, et ce à différentes longueurs d'ondes. C'est la raison pour laquelle Arp suggéra que le modèle Standard des quasars était faux. Arp et ses collègues[31] reconnaissaient que ces décalages restaient inexpliqués mais ils suggérèrent qu'ils pourraient être provoqués par des masses de gaz éjectées ou attirées par un objet inconnu. Ils soulignaient toutefois que l'évocation des trous noirs était prématurée, d'autant qu'il s'agissait d'une théorie dérivée d'une extrapolation à partir d'une formule mathématique qui restait loin d'être confirmée par l'observation. Ils sous-entendaient qu'il vaudrait mieux amender la théorie plutôt que de croire qu'il existe des singularités dans la nature. Et de conclure, ce n'est pas parce qu'une théorie prédit leur existence et parce que cette théorie est familière, qu'il n'existe pas d'autres alternatives. Le monde d'Aristote subsista près de 2000 ans pourtant il était faux...

A l'époque des observations de Arp, le spectre des quelques milliers de quasars que l'on possédait alors présentait malheureusement suffisamment d'anomalies pour conforter les idées de tous les chercheurs. Aujourd'hui, grâce aux sondages SDSS et ses successeurs, nous avons dressé un inventaire bien plus vaste de l'univers qu'il y a une génération. En 1985, à l'époque des travaux d'Halton Arp on dénombrait à peine 2000 quasars. En 2017, on avait identifié plus de 1.3 million de quasars et on peut les représenter dans l'espace, en 3D. Rien ne confirme la théorie d'Halton Arp qui malheureusement est décédé en 2013 à 86 ans sans pouvoir répondre à ses détracteurs.

Aujourd'hui la majorité des chercheurs se ralient au modèle cosmologique Standard et considèrent que nous interprétons correctement l'effet Doppler. Le lecteur qui souhaite étudier cette polémique pourra lire l'article A propos des travaux d'Halton Arp où nous analyserons en détails ses prétendues découvertes.

Pour plus d'informations

Sur ce site

Tableau comparatif des quasars, blazars et autres AGNs

Les trous noirs supermassifs

Sur Internet

Hubble legacy Archive (base de données d'images brutes)

Hubble site gallery

Celestial atlas, C.Seligman

Les quasars (PDF), Françoise Combes

Les sources superluminiques (PDF), Françoise Combes

Galaxies à noyau actif (PDF), Mémoire de Didier Gilbert s/dir Florence Durret, 2008 (qui référencie le site Luxorion)

The Role of AGN Feedback in Galaxy Formation (PDF), thèse de Rebekka Bieri, 2016

Quelques livres (cf. détails dans ma bibliothèque, rubrique Astronomie)

En français

Des quasars aux trous noirs, Suzy Collin-Zahn, EDP Sciences, 2009

Galaxies et Cosmologie, Françoise Combes et Misha Haywood, Ellipses, 1991/2009

Les Balises de l'Univers : Quasars, supernovae et sursauts gamma, Daniel Kunth, Le Pommier, 2008

Chronique de l’espace-temps, Yannick Mellier, Masson, 1994/1999

Les quasars, Daniel Kunth, Flammarion-Dominos, 1998

Les noyaux actifs de galaxies : Galaxies de Seyfert, QSO, quasars, lacertides et radiogalaxies, Max Camenzing, Verlag, 1997

Astrophysique - Galaxies et Cosmologie, Françoise Combes et al., InterEditions/Editions du CNRS, 1991

En anglais

Black Holes, Quasars, and the Universe, Harry L. Shipman, Hougton Mifflin, 1976; Dover Publications, 2013

Active Galactic Nuclei, Volker Beckmann et Chris Shrader, Wilkey VCH, 2012

Fifty Years of Quasars, s/dir Mauro D'Onofrio et al., Springer-Verlag et Heidelberg GmbH, 2012

Active Galactic Nuclei: Webster's Timeline History 1941-2007, ICON Group International, Inc., 2009

Quasars and Active Galactic Nuclei, Ajit K.Kemhabi et Jaynat V.Narkilar, Cambridge University Press, 1999/2008

Quasar Astronomy, D.W.Weedman, Cambridge University Press, 1986/1988

Quasars: Proceedings of IAU Symposium, 119, Reidel, 1986

Active Galactic Nuclei, Cyril Hazard et Simon Mitton, Cambridge University Press, 1979.

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[26] H.Arp, "Quasars, Redshifts and Controversies", Interstellar Media, 1987, p179.

[27] H.Arp, "Quasars, Redshifts and Controversies", op.cit, p45.

[28] J.Sulentic et Lorre, Astronomy and Astrophysics, 120, 1983, p36.

[29] A.Koratar, A.Kinney et R.Bohlin, Bulletin of the American Astronomical Society, 1990, 22, p1194.

[30] A.Dobrzycki et J.Bechtold, Astrophysical Journal Letters, 377, 1991, L69.

[31] D.Tyler et X.Fan, Astrophysical Journal Supplement, 79, 1992, p1.


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