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Les quasars et autres galaxies à noyau actif

Les catalogues de quasars (II)

Pour identifier plus aisément les noyaux galactiques actifs ou AGN (Active Galactic Nucleus) qu'on appelle communément les galaxies à noyau actif et les radiogalaxies ou DRAGN (Double Radio source associated with a Galactic Nucleus) ainsi que les autres sources extragalactiques de même nature, à partir des années 1980 les radioastronomes ont compilé leurs propres catalogues de radiosources qui complètent le catalogue historique 3C.

Citons pour mémoire le catalogue Wall-Peacock (WP) qui reprend 233 sources extragalactiques plus brillantes que 2 Jy[8] à 2.7 GHz. Il complète l'atlas 3CR contenant 85 DRAGN car ce dernier est biaisé envers les quasars à indice spectral pentu (SSRQ), étant réalisé à plus basse fréquence (>10.9 Jy à 178 MHz); le catalogue Palomar Bright Quasar Survey qui reprend 144 objets parmi les plus proches, explorant le ciel en dehors des 30° du plan galactique jusqu’à la magnitude visuelle B = 16.16; le catalogue Véron-Cetty et Véron de l'ESO et enfin celui de Hewitt et Burbidge qui rassemble plus de 2000 quasars[9]. Citons également les catalogues complémentaires 4C de Cambridge, Parkes (PKS), Bologna (B2), Molonglo (MC), Westerbork (W) et celui de Barthel et Miley (BMSL).

La plupart des catalogues ne donnaient aucune indication sur le spectre des sources et ne présentaient qu’une seule mesure spectrale, la densité de flux à 408 ou 1420 MHz.

A consulter :

Quasars, Blazars et autres AGN - Nomenclature

M84 et M87.

A la même époque, à l’autre extrémité du spectre, l'astronomie X apporta également sa contribution à cette compilation de catalogues. Le ciel en "lumière" X est dominé par les quasars mais présente une densité de surface inférieure à ce qu’elle est en optique, avec environ un quasar par degré carré.

A lui seul Cygnus A, 3C 405, illumine les cieux et il est nécessaire de pointer leur intensité en valeur logarithmique pour éviter que cet AGN soit omniprésent.

A l'époque, le principal catalogue était le High Energy Astrophysical Observatory A-1 qui reprend 90% des radiosources (842 objets) au-dessus de 1.5 mJy à 5 keV.

Catalogues récents

Outre les 10 catalogues de Cambridge (1C de 1950 au 10C de 2013) très inégaux et disparates et dédiés à certains objets ou certaines fréquences, en 1993 les astrophysiciens avaient catalogué 7315 quasars (QSO). Depuis, ce nombre a explosé. Nous sommes passés à 25000 QSO dans le catalogue 2QZ publié en 2002 par l'Observatoire Australien AAO qui reprend les QSO jusqu'à la magnitude 21 et z = 3, à 48921 QSO dans le 10e catalogue Veron publié en 2003, à 133336 QSO dans le 13e catalogue VERONCAT publié en 2009 pour atteindre 312209 QSO et autant de spectres de quasars dans le catalogue SDSS III DR10 publié en 2013.

En 2017, le catalogue MILLIQUAS reprenait plus de 1.35 million de quasars. Il comprend 309407 QSO de type I, 21688 AGN (galaxies de Seyfert), 1578 BL Lac, 836628 quasars photométriques extraits des catalogues NBCKDE et BOSS du SDSS et 82703 candidats QSO radio et X auxquels se sont ajoutés près de 100000 autres candidats en l'espace de trois ans. On estime que la majorité de ces quasars abritent un trou noir, souvent supermassif. On y reviendra.

En parallèle, le catalogue des galaxies s'est également étoffé. En 1999, sur base des clichés pris par le Télescope Spatial Hubble, on estimait qu'il existait 125 milliards de galaxies dans l'univers visible. En 2002, on avait observé à peine 3000 galaxies en optique. Une récente simulation effectuée sur un superordinateur en Allemagne indiquerait que l'univers visible contiendrait 500 milliards de galaxies !

Les acteurs (II)

De gauche à droite, Maarten Schmidt, Geoffrey Burbidge (1966) et Cyril Hazard (2000). Documents Sonoma State University et Caltech, U.Californie à San Diego, C.Hazard.

En 2014, le SDSS III reprenait près de 1 milliard de galaxies dont on a déjà pu obtenir près de 1.5 million de spectres et donc autant de caractéristiques. La version SDSS IV DR15 fut achevée en 2020. Un sondage panoptique spectroscopique SDSS V est prévu vers 2025. Il contiendra les spectres optiques et infrarouges de plus de 6 millions d'objets.

Toutes les données de ces catalogues ont été reprises dans la base extragalactique NED de la NASA ainsi que dans SIMBAD et sous forme d'images scannées des publications originales dans la base ADS de la NASA, toutes deux accessibles via le Centre de Données de l'Université de Strasbourg (CDS).

Quaia, le catalogue de quasars Gaia-unWISE

L'équipe de Kate Storey-Fisher alors postdoctorante au Département de Physique de l'Université de New York et ses collègues ont cartographié le plus grand volume d'univers contenant des quasars. Appelé "Quaia", ce catalogue ouvert au public répertorie l'emplacement et les paramètres de tous les quasars identifiés dans les catalogues Gaia DR3, WISE (Wide-Field Infrared Survey Explorer), unWise et SDSS 16 (Sloan Digital Sky Survey). En combinant ces ensembles de données, y compris les 6.6 millions de quasars candidats de Gaia DR3, les auteurs ont supprimé les contaminants comme les étoiles et les galaxies de l'ensemble des données originales de Gaia DR3 et ont identifié plus précisément les distances des quasars. Au total, le catalogue Quaia prend près de 1.3 million de quasars dont le plus éloigné évolue dans un univers âgé de 1.5 milliard d'années.

L'équipe a également créé une carte indiquant où la poussière, les étoiles et d'autres parasites bloquent notre vision de certains quasars, ce qui est essentiel pour l'interprétation de la carte des quasars. Le catalogue Quaia et les différentes cartes ont fait l'objet d'un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2024.

Selon David Hogg de l'Université de New York et coauteur de cet article et qui particpa à la création des cartes, "Ce catalogue de quasars est différent de tous les catalogues précédents dans le sens où il nous donne une carte tridimensionnelle du plus grand volume jamais enregistré dans l'univers. Ce n'est pas le catalogue avec le plus grand nombre de quasars, ni celui avec les mesures de quasars de la meilleure qualité, mais c'est le catalogue avec le plus grand volume total de l'univers cartographié."

Selon Storey-Fisher, "Nous avons pu effectuer des mesures sur la façon dont la matière s'agglomère dans l'univers primitif qui sont aussi précises que certaines de celles issues de grands projets de sondages internationaux - ce qui est tout à fait remarquable étant donné que nous avons obtenu nos données en tant que "bonus" [du sondage de] la Voie Lactée."

A consulter : Catalogue Quaia (.fits)

A gauche, répartition des quasars dans le catalogue Quaia en coordonnées galactiques et affichée en projection de Mollweide. Le panneau (a) montre les sources de magnitude G < 20.0 et (b) les sources jusqu'à la limite de magnitude G < 20.5. Au centre, le satellite Gaia de l'ESA lancé en 2013. A droite, le satellite WISE de la NASA. lancé en 2009. Tous deux ont contribué à la compilation des données du catalogue Quaia publié en 2024. Documents K.Storey-Fisher (2024) et T.Lombry.

A présent, le rôle des chercheurs consiste à compléter ces catalogues, notamment les données des candidats quasars, évaluer les indices spectraux manquants, la morphologie des sources et établir des corrélations entre AGN (AGN gamma et FSRQ par exemple, Mrk et BL Lac, etc.).

Il est probable que tous ces quasars sont alimentés par des trous noirs supermassifs. A mesure que l'attraction gravitationnelle du trou noir accrète le gaz environnant, le processus génère un disque d'accrétion extrêmement brillant et un jet bipolaire lumineux que les télescopes peuvent parfois observer. Les AGN abritant ces trous noirs sont entourés d'immenses halos de matière sombre. En étudiant ces quasars, les astronomes peuvent en apprendre davantage sur la matière sombre, notamment sur sa densité et sa distribution en fonction du temps.

Les astronomes peuvent également utiliser ce catalogue de quasars lointains et de leurs galaxies hôtes pour mieux comprendre l'expansion de l'univers. Par exemple, les scientifiques ont déjà comparé la nouvelle carte des quasars avec le fond diffus cosmologique. Ce rayonnement à 2.7 K est courbé par la même matière sombre que celle qui enveloppe les quasars. En comparant les deux, les scientifiques peuvent mesurer la force avec laquelle la matière sombre s'agglutine.

Selon Storey-Fisher, "C'était très excitant de voir ce catalogue susciter autant de nouvelles sciences. Les chercheurs du monde entier utilisent la carte des quasars pour tout mesurer, depuis les fluctuations initiales de densité qui ont ensemencement la toile cosmique jusqu'à la répartition des vides cosmiques et le mouvement de notre système solaire à travers l'univers."

Selon Hoggs, "Ce catalogue de quasars est un excellent exemple de la productivité des projets astronomiques. Gaia a été conçu pour mesurer les étoiles de notre propre Galaxie, mais il a également découvert des millions de quasars en même temps, ce qui nous donne une carte de l'univers entier."

L’évolution des quasars

Les études de Schmidt ont permis de préciser que 70% des quasars ont un redshift compris entre 1.8 ≥ z ≤ 2.5. Ces quasars sont situés entre 10 et 11 milliards d'années-lumière et sont séparés l'un de l'autre d'environ 400 millions d'années-lumière. Dans le catalogue Quaia, les quasars présentent un redshift médian z = 1.47 jusqu'à la magnitude G < 20 mais 10% des quasars soit 132417 objets jusqu'à la magnitude G < 20.5 ont un reshift z > 2.5.

Ces observations confirment l'homogénéité de l'univers à grande échelle. Mais ceci ne signifie pas que les quasars sont les objets les plus anciens de l'univers où qu'ils se sont formés en masse il y a environ 10 milliards d'années. Ces découvertes ne sont qu'une étape dans notre compréhension de la cosmologie.

Pour essayer de comprendre l’évolution des quasars, deux méthodes sont à notre disposition:

- Déterminer l’évolution de la relation taille-décalage spectral des radiosources

- Déterminer l’évolution de la densité de flux en fonction de la distance des radiosources.

Chacune dépend des constantes cosmologiques et d’effets encore inconnus liés à une remontée dans le temps. Précisons donc bien qu’il est encore difficile d’étalonner ces mesures et de différencier tous les effets.

La relation taille-décalage spectral

Dans le modèle standard FRW, la dimension "d" d'une source extragalactique projetée sous un angle Θ dépend de trois facteurs, Ho, qo et z :

La première idée qui vient à l’esprit est de considérer que la dimension des objets est constante. Cela nous permettrait de déterminer la constante de Hubble Ho en mesurant l'éloignement des sources, Θ(z). Mais tributaire de paramètres cosmologiques, cette valeur peut parfaitement évoluer dans le temps, à mesure que z augmente.

Les radiosources étant souvent associées à des quasars, il est relativement aisé de calculer leur décalage spectral. Malheureusement on constate qu’à z constant, les valeurs Θ sont dispersées et seule une taille maximale peut-être déduite. Paradoxalement, cette taille maximale varie comme l'inverse de z ce qui est en contradiction avec notre relation, Θ z. Deux arguments peuvent expliquer ce phénomène :

- Plus la dimension des radiosources est petite plus elles sont lumineuses : à mesure que z augmente, seules les radiosources brillantes sont détectables et leur taille apparaît plus faible

- La taille des radiosources varie dans le temps et elle était plus faible dans le passé.

La première explication est insuffisante pour expliquer la relation inversée Θ µ z-1. Reste donc la seconde, qui prédit une évolution physique des radiosources au cours du temps. Cette explication est d'autant plus vraisemblable qu'au-delà de z = 2.5 les radiosources étendues deviennent très rares, ainsi que nous allons le voir.

Evolution de la densité de flux en fonction de la distance

A la fin des années 1970, Malcolm S. Longair du Clare Hall de l'Université de Cambridge et ses collègues ont fait le décompte de toutes les radiosources et de la puissance de leurs émissions électromagnétiques en fonction de la fréquence, ce qu'on appelle la densité de flux. Leurs analyses[10] ont permis d'évaluer la pertinence des théories d'alors, lois établies en l'absence d'évolution des radiosources au cours du temps.

Sachant qu'il existe une correspondance entre le flux radioélectrique et la distance, ils constatèrent que pour les sources dont le flux était supérieur à 1 Jansky il y avait, contrairement aux prédictions, une décroissance évidente à mesure que l'on avançait dans les profondeurs de l'espace : la distribution chutait d'un facteur 5 entre 1 et 100 Jy. Cela signifiait que les radiosources n'étaient pas uniformément réparties dans l'espace. La question était alors de savoir si toutes les radiosources avaient évolué de la même façon et à quelle époque elles étaient apparues[11].

A gauche, Malcom Longair de l'Université de Cambridge (vers 2005). Au centre, la distribution du nombre de quasars en fonction du redshift. Notez la coupure au-delà de z = 2.4. Mais il existe encore de nombreux quasars et autres AGN jusqu'au-delà de z = 3.7 ou 12 millliards d'années-lumière. A droite, la distribution de plus de 20000 quasars jusqu'à z = 3. Documents A.Hewitt et G. Burbidge (1993) et AAT/2QZTeam adaptés par l'auteur.

Dans les années 1980, on connaissait très peu de radiosources dont le décalage vers le rouge (redshift) était supérieur à 3. Le redshift des quasars OQ172 et 1351-018 oscille entre z = 3.4 et 3.71. Ces deux objets sont situés à environ 12 milliards d'années-lumière.

En 1986, Cyril Hazard[12] et son équipe découvrirent un quasar à z = 3.8 soit 12 milliards d'années-lumière mais vu leur petit nombre à de si grandes distances, on considérait qu'il n'existait pratiquement plus de quasars au-delà de cette valeur.

Or, durant les quinze années qui suivirent les équipes dirigées par Schmidt, Gunn et Spinrad découvrirent plus de dix quasars à z > 4 dont SDSS 1044-0125 découvert en mars 2000 à z = 5.82 soit 12.7 milliards d'années-lumière.

Le 15 avril 1999, l'équipe de Hsiao-Wen Chen de l’Université d’Etat de New York annonça dans la revue "Nature" la découverte au moyen du Télescope Spatial Hubble d'une galaxie de 28e magnitude dans la Grande Ourse cataloguée STIS123627+621755. Dans son spectre, les raies ultraviolettes sont décalées dans le proche infrarouge ! Son redshift d'abord estimé à z = 6.68 fut réestimé par David Stern du JPL et ses collègues à z < 6. Cet objet se situe à plus de 12 milliards d'années-lumière.

Les astronomes estiment qu’il y avait beaucoup plus de quasars dans l'univers primitif et que c'est leur rayonnement intégré qui réionisa l'Univers (cf. la théorie du Big Bang). Mais le nombre de quasars observés à ce jour montre que leur nombre est insuffisant pour expliquer la réionisation. La réionisation a donc été provoquée par une autre source d'énergie, très probablement par de nombreuses galaxies qui ont commencé à se former dans le jeune univers. On y reviendra.

Avec les moyens techniques actuels, au-delà de z ≥ 7.4 soit plus de 13 milliards d'années-lumière, les quasars sont difficiles à distinguer du bruit électronique des capteurs photosensibles (certains sont à peine plus brillants que le fond du ciel ou se confondent avec des pixels et seule une analyse spectrale et des photographies prises dans différents rayonnements permettent de les identifier), d'où l'intérêt de construire de nouveaux très grands télescopes optiques ou infrarouge, y compris spatiaux, ou d'exploiter des radiotélescopes de nouvelle génération comme le projet européen LOFAR

Cette distribution des quasars renforce la théorie. La densité des quasars augmente rapidement à mesure qu'on remonte le temps (que z augmente). On constate cependant qu'au-delà de z = 2.5 les radiosources étendues, à spectre pentu, disparaissent complètement. Mais quelle que soit la source, qu'elle soit compacte ou étendue, il existe une coupure vers z = 4 soit 12.1 milliards d'années-lumière ou ~1.5 milliard d'années après le Big Bang qui est indépendante des conditions qui règnent dans le milieu ambiant[13].

Bien que la densité d'énergie ait été bien plus élevée dans le passé (les collisions entre le rayonnement du corps noir et le rayonnement des radiosources furent plus nombreuses), tous les quasars et radiosources semblent se nourrir à la même enseigne. Leur rayonnement n'est pas lié au milieu agressif extérieur mais plutôt aux processus qu'ils entretiennent avec un objet très énergétique caché dans leur noyau.

Jusqu'aux années 1980, en l'absence de théories cohérentes et complètes des AGN et des trous noirs, peu d'astrophysiciens évoquaient le trou noir supermassif, un concept encore flou à l'époque qui mit du temps pour maturer. On y reviendra (cf. page 6).

Les découvertes récentes

Découverte de 83 quasars lointains abritant des trous noirs supermassifs

Une équipe internationale d'astronomes découvrit 83 quasars abritant des trous noirs supermassifs dans l'univers lointain, dont 41 quasars situés entre 5.7 ≤ z ≤ 6.9 et un quasar à z > 7 correspondant à une époque où l'Univers était âgé de ~800000 ans. Cette découverte augmente considérablement le nombre de trous noirs connus à cette époque et révèle pour la première fois à quel point ils étaient fréquents au début de l’histoire de l'Univers. Cette découverte fournit en outre de nouvelles informations sur l’effet des trous noirs sur l'état physique du gaz à cette époque reculée. Les résultats de cette étude qui représente 300 nuits d'observations réparties sur 5 ans ont fait l'objet de cinq articles publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2018 et 2019 (ApJ1, ApJ2, ApJ3, ApJ4, ApJ5).

Pour parvenir à ce résultat, l'équipe de chercheurs utilisa des données recueillies par la caméra HSC (Hyper Suprime-Cam) de 870 mégapixels montée sur le télescope Subaru de 8.20 m de la NAOJ installé au sommet du Mauna Kea à Hawaï. Cette caméra dispose d'un champ de 1.77° soit sept fois la surface apparente de la pleine Lune. Elle mesure 3 m de longueur, la première lentille mesure 82 cm de diamètre pour un poids total d'environ 3 tonnes !

A gauche, l'image de l’un des quasars les plus lointains abritant un trou noir supermassif situé à 13.05 milliards d’années lumière du système solaire. L’image a été obtenue par l’Hyper Suprime-Cam (HSC) installée sur le télescope Subaru. A droite, les 100 quasars identifiés à partir des données de la HSC à z > 7. Les sept rangées du haut représentent les 83 quasars nouvellement découverts, tandis que les deux rangées du bas représentent 17 quasars précédemment connus dans la zone d’étude. Ils apparaissent extrêmement rouges en raison de l’expansion de l'Univers et de l’absorption de la lumière dans l’espace intergalactique. Documents NAOJ.

L'un des quasars étudié est J124353.93+010038. Il présente un ordre de grandeur inférieur à la luminosité des autres quasars connus à z > 7. Sa magnitude absolue en UV (au repos) est de M1460 = -24.13 ±0.08 pour une luminosité bolométrique (intégrale) de 1.4x1046 erg/s. Son spectre de l'optique au proche infrarouge montre de fortes raies d'émission et la preuve d'un écoulement rapide du gaz (la raie du C IV est décalée vers le bleu et son spectre présente de larges raies d'absorption).

La masse du trou noir supermassif basée sur la raie Mg II est évaluée à ~330 millions de masses solaires avec un taux d'accrétion modéré (rapport d'Eddington λEdd = 0.34).

J0529-4351, un quasar record

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2024, l'équipe de l'astrophysicien Christian Wolf de la Research School of Astronomy and Astrophysics de l'Université Nationale Australienne (ANU) rapporte la découverte grâce au VLT de l'ESO du quasar le plus brillant, appelé J0529-4351, situé à plus de 12 milliards d'années-lumière. C'est également l'objet le plus lumineux jamais observé avec une énergie rayonnante (ou radiative) de 2x1041 W (contre 3.87x1026 W pour le Soleil). Ce quasar doit sa luminosité record au fait qu'il abrite un trou noir supermassif de 17 milliards de masses solaires. Si sa masse est confirmée, il serait dans le Top 5 des trous noirs les plus massifs. C'est aussi le trou noir supermassif qui croît le plus rapidement en absorbant l'équivalent d'une masse solaire chaque jour.

La luminosité record de ce trou noir s'explique par la présence d'un disque d'accrétion gigantesque de 7 années-lumière de diamètre soit environ 15000 fois la distance du Soleil à Neptune qui émet tellement d'énergie qu'il est 500000 milliards de fois plus lumineux que le Soleil ! Selon Samuel Lai, doctorant à l'ANU et coauteur de cet article, "il doit s'agir du plus grand disque d'accrétion de l'Univers."

A gauche, une photo de la région du ciel où se trouve le quasar J0529-4351 agrandit à droite, qui bat tous les records. Grâce au VLT, ce quasar s'est révélé être l'objet le plus lumineux connu à ce jour. Il se situe à plus de 12 milliards d'années-lumière et abrite un trou noir supermassif de 17 milliards de masses solaires (à confirmer). Document ESO/DSS2/DES.

Etonnamment, ce quasar record n'avait jamais été étudié. Selon l'astrophysicien Christopher Onken de l'ANU et coauteur de cet article, cet objet apparaissait déjà sur des images du sondage Schmidt Southern Sky Survey de l'ESO datant de 1980, mais il ne fut reconnu comme un quasar que des décennies plus tard.

Pour expliquer son absence des programmes d'études, il faut savoir que la recherche des quasars nécessite des données d'observation précises sur de vastes zones du ciel. Cela représente des ensembles de données très volumineux, des Big Data, que les chercheurs analysent au moyen d'outils d'intelligence artificielle (des modèles d'apprentissage automatique) pour distinguer les quasars des autres objets célestes. Toutefois, ces modèles sont formés sur les bases de données existantes, ce qui limite les candidats potentiels à des objets similaires à ceux déjà connus. Si un nouveau quasar est plus lumineux que tous les autres observés précédemment, le programme pourrait le rejeter et le classer plutôt comme une étoile pas trop éloignée de la Terre. Et c'est ce qui s'est passé avec ce quasar.

Une analyse automatisée des données du satellite Gaia de l'ESA avait écarté J0529-4351 en raison de sa trop grande luminosité pour être un quasar, suggérant plutôt qu'il s'agissait d'une étoile. Les chercheurs l'ont seulement identifié comme un quasar lointain en 2023 en utilisant les observations du télescope de 2.30 m de l'Observatoire de Siding Spring en Australie. Mais pour affirmer qu'il s'agissait du quasar le plus lumineux jamais observé, il fallait toutefois disposer d'un télescope plus grand et des mesures effectuées par un instrument plus précis. Le spectrographe X-shooter du VLT de l'ESO a fourni les données cruciales.

Le trou noir de J0529-4351 sera également une cible parfaite pour la mise à jour de l'instrument GRAVITY+ de l'interféromètre du VLT (VLTI) qui est conçu pour mesurer avec précision la masse des trous noirs, y compris ceux qui sont très éloignés de la Terre. En outre, le futur télescope ELT (Extremely Large Telescope) de l'ESO de 39 m en construction dans le désert chilien d'Atacama, permettra d'identifier et de caractériser ces objets insaisissables avec plus de facilité.

La découverte et l'étude de trous noirs supermassifs lointains pourraient permettre d'élucider certains des mystères de l'univers primitif, notamment sur la façon dont ces trous noirs et les galaxies qui les abritent se sont formés et ont évolué.

Mais les quasars ne sont pas les objets les plus lointains découverts dans l'univers. Nous verrons à propos des galaxies les plus lointaines que certaines se situent à z > 11 soit plus de 13.4 milliards d'années-lumière, et il ne fait aucun doute qu'il en existe encore beaucoup bien au-delà.

Prochain chapitre

L'embrasement d'une galaxie

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[8] La densité de flux s'exprime en W.m-2.Hz-1 (SI) ou en Jansky (CGS). 1 Jansky = 10-26 W/m²/Hz. Notons qu'il existe une unité spécifique au rayonnement solaire, le SFU ou Solar Flux Unit : 1 SFU = 10-22 W/m2/Hz, soit 10000 Jy.

[9] J.Wall et J.Peacock, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 216, 1985, p173; M.Schmidt et al., Astrophysical Journal, 305, 1986, p57; K.S.Wood et al., Astrophysical Journal Supplement Series, 56, 1984, p507; M-P.Véron-Cetty et P.Véron, ESO Science Report No.4, 1985.

[10] M.Longair in "Observational Cosmology", Ed.Maeder-Martinet et Tamman, 1978.

[11] Concernant l'évolution des quasars lire, C.Hazard, Nature, 314, 1985, p238 - P.Véron-Cetty et L.Waoltjer, Astrophysical Journal, 236, 1990, p69.

[12] C.Hazard et al., Nature, 322, 1986, p38 - J.Dunlop et al., Nature, 319, 1986, p564.

[13] M.Rees, Science, 247, 1990, p817.


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