Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Les quasars et autres galaxies à noyau actif

Image optique de Centaurus A, NGC 5128, un AGN de la catégorie des radiogalaxies. Document ESO.

Les radiogalaxies (V)

Comme les galaxies de Seyfert, les radiogalaxies sont une classe particulières d'objets présentant de gigantesques lobes radios alimentés par le trou noir supermassif actif situé au leur centre. Ces lobes sont souvent accompagnés d'un jet (il est bipolaire mais qu'on ne voit pas toujours des deux côtés de l'AGN pour des raisons de perspective et des conditions du milieu).

Associées à des radiosources compactes, il s'agit de galaxies géantes dont le noyau très lumineux ne permet pas de distinguer l'enveloppe visuellement. Ce noyau est le siège de diverses émissions très ponctuelles et très puissantes. Leurs spectres présentent également de larges raies spectrales en émission, un continuum (un spectre progressif continu) en rayons X et bien entendu un décalage Doppler ou redshift important.

Les radiogalaxies géantes ou GRG (Giant Radio Galaxy) sont différentes des radiogalaxies ordinaires. Les GRG sont définies comme des radiogalaxies dont la longueur linéaire globale projetée dépasse au moins 2.3 millions d'années-lumière, bien supérieure au diamètre de leur galaxie hôte. A ce jour, les astronomes ont détecté environ un millier de radiogalaxies géantes dont seulement dix se situent à plus de 10 millions d'années-lumière dont Alcyoneus découverte en 2022 (voir plus bas).

Notons que la qualification de radiogalaxie géante prête à confusion car la structure du jet d'une radiogalaxie ne fait pas formellement partie de la galaxie proprement dite (par exemple dans le cas d'Alcyoneus, la galaxie hote est J081421.68+522410.0).

De nombreuses GRG sont des radiogalaxies bilobées, c'est-à-dire des radiosources doubles associées à des AGN ou des DRAGN (Double Radio Source Associated with a Galactic Nucleus). Elles peuvent être difficiles à identifier lors des sondages radios car les lobes peuvent être détectés comme des sources multiples. Par conséquent, de nombreuses GRG détectées peuvent rester non identifiées. Le sondage FIRST (Faint Images of the Radio Sky at Twenty Centimeters) du VLA, en raison de sa basse fréquence et de sa bonne sensibilité aux sources étendues, a le potentiel de révéler la présence de nombreuses nouvelles GRG. Ainsi, en 2023 des astronomes ont découvert 63 nouvelles radiogalaxies géantes (cf. S.Ramdhanie et al., 2023).

Les nouvelles GRG ont été découvertes à des redshifts z compris entre 0.51 et 1.32 soit entre respectivement 5.2 et 8.91 milliards d'années-lumière. La GRG ayant ayant le redshift le plus élevé est DELS J225125.27-025451.8. La plus grande GRG de cette étude est DELS J093016.68+114241.4 située à z = 1.14 qui présente une taille linéaire projetée de près de 4 millions d'années-lumière. La plus petite, DELS J234027.85+003057.4 se situe à z = 1.01 et présente une taille linéaire projetée de 2.3 millions d'années-lumière. L'étude a également révélé que les nouvelles GRG ont des luminosités à 1.4 GHz allant de 25.34 à 27.09 W/Hz. La densité de flux de ces galaxies est dispersée et varie entre 7.14 et 337.85 mJy. Des études plus approfondies sont nécessaires afin de mieux comprendre leurs propriétés.

Parmi les radiogalaxies remarquables, il y a NGC 5128 (Centaurus A) et M87 (Virgo A) qui appartiennent à la famille des DRAGN et Alcyoneus, la plus grande radiogalaxie géante découverte à ce jour. Décrivons ces trois radiogalaxies emblématiques.

NGC 5128

Centaurus A est la radiosource associée à la galaxie NGC 5128 présentée à droite et ci-dessous. C'est la seule radiogalaxie et blazar (et BL Lacertide) relativement proche à environ 12 millions d'années-lumière. Centaurus A fut étudiée dès 1986 par James Bailey[25] et ses collègues. Sa taille apparente de 25.7' x 20' et sa magnitude apparente de +6.84 - des valeurs proches de celles des amas globulaires - en font un sujet de prédilection pour étudier le rayonnement des quasars.

A gauche, vue générale de la radiogalaxie NGC 5128, alias Centaurus A (en haut) située à proximité de l'amas globulaire Oméga Centaure. Alors que l'amas globulaire se situe à quelque 10000 années-lumière dans le halo de la Voie Lactée, le quasar se situe à ~12 millions d'années-lumière. Au centre, une photo amateur prise par Marco Lorenzi exposée 23 heures sous 5 filtres différents au foyer d'un astrographe Takahashi CCA-250 de 250 mm f/3.6 révélant les coquilles multiples suite à la fusion de deux galaxies. A droite, l'analyse de cette photographie prise dans le cadre du sondage Skymapper de l'ANU révèle 16 galaxies naines satellites. Documents Night Flight, M.Lorenzi et Skymapper SSS/ANU.

Ce quasar à l'aspect contorsionné résulte de la fusion de deux galaxies comme le confirment ses coquilles multiples. Des photographies à longues poses montrent également que cette radiosource contient au moins 16 galaxies naines satellites.

Comme on le voit ci-dessus, visuellement NGC 5128 présente un aspect un peu diffus comme toutes les galaxies elliptiques mais surtout, elle présente dans sa région équatoriale une bande sombre de poussière qui nous cache la vision de son noyau et de son trou noir supermassif.

Plus étonnant, cet AGN présente un immense jet de plasma détectable en rayons X. Scruté au radiotélescope, il révèle aussi la présence d'immenses lobes radioélectriques projetés depuis sa région centrale. Comme le confirma la Collaboration H.E.S.S. en 2020, NGC 5128 est également une source de rayons gamma de très haute énergie (VHE), ce qui en fait un AGN actif jusqu'aux rayons gamma mais de faible luminosité. Ce rayonnement est alimenté par un trou noir supermassif actif de 55 millions de masses solaires (bien que l'ESO lui donne ~100 millions de masses solaires).

La découverte d'un jet gamma VHE peut avoir des implications cosmologiques. En effet, cette découverte suggère que de nombreuses radiogalaxies à jets étendus accélèrent les électrons à des énergies extrêmes et pourraient émettre des rayons gamma, expliquant peut-être en partie l'origine du rayonnement de fond gamma extragalactique diffus.

A gauche, une image composite de la radiogalaxie NGC 5128, Centaurus A, prise en 2009 en optique (RGB), IR proche à 870 nm (orange), radio submillimétrique (lobes extérieurs oranges) et X (bleu et halo central). On voit clairement les immenses lobes radioélectriques et les points chauds. Au centre, un gros-plan sur la bande sombre de pousssière obstruant la vision du coeur de NGC 5128 photographiée par le Télescope Spatial Hubble. Cette bande de poussière s'étend sur plus de 10' soit plus 35000 années-lumière. A droite, un agrandissement. Documents ESO/NASA/CXC et Skymapper SSS/ANU.

En 2021, pour la première fois, grâce à l'observatoire infrarouge embarqué SOFIA de la NASA, des scientifiques ont cartographié les champs magnétiques de Centaurus A comme on le voit ci-dessous à droite (cf. E.Lopez-Rodriguez, 2021).

Les champs magnétiques s'étendent sur 1600 années-lumière et sont parallèles à la bande de poussière visible en optique et à d'autres longueurs d'ondes. Mais ils sont tordus et déformés près du centre. La torsion est un vestige du champ magnétique en forme de spirale de l'une des galaxies originales, tandis que celui du trou noir supermassif actif s'ajoute aux distorsions.

On reviendra sur l'origine et la structure du jet bipolaire des trous noirs.

A gauche, une image composite en couleurs arbitraires de NGC 5128 prise en rayons X par le satellite Chandra (rouge= rayons X mous, vert = rayons X moyens et bleu = rayons X durs). Au centre, une image en rayons X de NGC 5128 révélant la base du jet de plasma émis par le trou noir supermassif caché au centre de l'AGN. Le champ mesure 10'x6'. A droite, la carte du champ magnétique superposée aux images optique, X et radio de NGC 5128. Documents CXC, CXC et SOFIA/NASA.

L'analyse des champs magnétiques de NGC 5128 montre que la fusion des deux galaxies originales a créé une nouvelle galaxie qui non seulement a combiné les champs magnétiques des deux galaxies, mais a amplifié leurs intensités.

Ces observations confirment l'importance des champs magnétiques lors des fusions galactiques et la structuration des galaxies.

M87 Virgo A

La galaxie elliptique géante M87 alias Virgo A ou 3C 274 est située à ~55 millions d'années-lumière. C'est une galaxie massive, l'une des principales de l'amas de la Vierge. Elle renferme au moins trois mille milliards d'étoiles ! Dans son halo, on dénombre 10000 amas globulaires (autant que dans M104) !

Notons que la magnitude de M87 décrut de 2.5 magnitudes entre 1956 et 1980 mais toutes les galaxies de cette famille n'émettent pas dans le spectre visible.

Comme on le voit sur la photo présentée ci-dessous à gauche, cette galaxie géante présente un petit noyau quasi elliptique et un halo diffus dépourvu de poussière, d'où son appartenance aux galaxies de type cD (core Dustless). Elle fut observée par l'astronome Hebert D. Curtis de l'Observatoire de Lick en 1918 qui découvrit que cette galaxie lançait dans l'espace un jet brillant de matière sur environ 30" ou 4900 années-lumière qu'il qualifia de "curieux rayon droit… apparemment connecté au noyau par une fine ligne de matière."

A gauche, le jet caractéristique de M87 qui s'étend sur 30" ou 4900 années-lumière. A droite, une illustration artistique de son trou noir supermassif très actif à l'origine de ce jet spectaculaire. Documents NASA/ESA/STScI et ESO/M.Kornmesser.

Ce jet très spectaculaire visible en lumière blanche est délié et se divise en plusieurs condensations ou noeuds, séparées par des intervalles réguliers de 600 années-lumière. Ce jet est animé d'une vitesse supérieure à 20000 km/s et est produit par un objet compact dont la période est de 6600 ans. On sait aujourd'hui qu'il s'agit d'un trou noir supermassif. Le rayonnement du jet est accompagné d'un important effet Doppler relativiste. On reviendra sur l'origine et la structure du jet bipolaire des trous noirs.

En comparant les observations du jet à des modélisations de trous noirs, les chercheurs estiment que le jet est incliné de 30° par rapport à l'axe polaire (ou 60° par rapport au plan du disque d'accrétion).

Premières images du trou noir supermassif et de l'anneau de photons

Le coeur de M87 abrite un trou noir supermassif nommé M87* qui est vraisemblablement à l'origine de ses émissions intenses et de son jet caractéristique. L'astérisque est utilisée par les spécialistes pour signaler les états excités des atomes (cette convention fut reprise par Robert L. Brown du NRAO en 1982 pour nommer la source Sgr A* entourée de gaz ionisé).

Jusqu'à présent, l'existence des trous noirs était une hypothèse car personne n'en avait observé. En 2017, les 168 membres de la Collaboration EHT tentèrent d'imager M87* grâce à un réseau VLBI à l'échelle planétaire équivalent à un radiotélescope de 10000 km de diamètre. Après deux années de travail pour reconstruire une image, aidé par un algorithme de traitement d'image développé par Katie Bouman du MIT, en 2019 la Collaboration EHT publia la toute première image de M87* présentée ci-dessous à gauche.

Cette forme annulaire avec un fort contraste de brillance est la meilleure solution parmi un éventail d'autres possibilités. C'est un document historique. La résolution de l'image atteint 0.00002" ou 0.02 mas (20 μas). Elle équivaut à distinguer la longueur d'un donut ou d'une carte de crédit sur la Lune. A la distance de M87, cette résolution représente une distance de 127 UA soit 3 fois la distance moyenne du Soleil à Pluton. La taille de M87* est littéralement astronomique !

A voir : Zoom Out of the Black Hole M87*, EHT, 2021

Breakthrough discovery in astronomy: first ever image of a black hole, 2019

NSF/EHT Press Conference Revealing First Image of Black Hole, 2019

The Wobbling Shadow of the M87* Black Hole, EHT

A gauche et au centre, les premières images du trou noir supermassif M87* situé au coeur de la galaxie M87 (Virgo A) située à ~55 millions d'années-lumière réalisée par l'EHT à 230 GHz ou 1.3 mm le 11 avril 2017 (mais seulement publiée en 2019). La résolution atteint 20 μas soit 127 UA. C'est un document historique réalisé grâce à un algorithme de traitement d'image développé par Katie Bouman du MIT. L'objet réel est compatible avec le rayonnement émis par le disque d'accrétion situé près de l'horizon des évènements d'un trou noir de Kerr de ~5.4 milliards de masses solaires. Avec un rayon d'environ 19 milliards de km, il est ~27000 fois plus grand que le Soleil et 3 millions de fois plus grand que la Terre ! A droite, l'image de M87* améliorée par NoirLab en 2023 grâce à une nouvelle technique d'apprentissage automatique, un outil d'IA appelé PRIMO. Sur cette nouvelle image on distingue encore mieux toute l'étendue de la région centrale sombre de l'objet et l'anneau extérieur étonnamment étroit. L'image fut créée à partir des données de l'EHT de 2017. Documents Collaboration EHT/ESO et EHT/NoirLab.

L'image représente 5 pétabytes de données distribuées sur 8 racks de disques durs de 64 TB chacun comme le montre cette photo prise au MIT et cette autre photo des disques durs. L'image est floue en raison de la méthode d'acquisition et de l'effet de la diffusion interstellaire, des effets perturbateurs qu'il sera difficile d'éliminer. Le croissant brillant dans sa partie sud est provoqué par l'effet relativiste sur la lumière et la courbure des rayons suite à l'intense champ gravitationnel. Il présente deux zones brillantes qui sont des poches de gaz très chaud. A comparer avec la première image de Sgr A* publiée en 2022.

Grâce à une nouvelle technique d'apprentissage automatique, un outil d'IA appelé PRIMO, les scientifiques de NoirLab ont amélioré l'image de M87* obtenue par l'EHT en 2017. Comme le montre l'image présentée ci-dessus à droite publiée en 2023, la région centrale sombre du trou noir supermassif est très étendue et l'anneau extérieur est étonnamment étroit. Cette nouvelle image combinée à des modélisations permettra aux astronomes de calculer avec plus de précision le diamètre du trou noir et d'estimer indirectement sa masse.

Selon les modélisations, la galaxie M87 est très asymétrique. L'axe le plus court représente environ les trois-quarts (72.2%) de son grand axe, tandis que l'axe intermédiaire est plus court de 15.5% que le grand axe. Sur base de ces nouvelles données, les astronomes de l'Université de Californie à Berkeley ont calculé que la masse du trou noir supermassif M87* représente 5.37 milliards de masses solaires (contre ~7 milliards de masses solaires auparavant, cf. E.R. Liepold et al., 2023; UCB, 2023).

A voir : 3D Model of M87

Entre-temps, en août 2022, une équipe internationale de 50 chercheurs dirigée par Avery E. Broderick du Perimeter Institute retraita les signaux obtenus en 2017 par l'EHT et réussit à construire une image montrant l'anneau de photons (qui en 3D est appelée la sphère de photons) formé par les photons qui font un demi-tour autour du trou noir - une trajectoire en U - avant de se diriger vers la Terre.

En plus d'observer l'anneau de photons, les chercheurs ont trouvé des preuves de la rotation du jet de matière par le trou noir. Cette dernière observation confirme la prédiction théorique selon laquelle la rotation du trou noir engendre une puissante éjection de matière. Cette analyse combinée aux observations précédentes donnaient à M87* une masse de 7.13 ±0.39 milliards de masses solaires. Mais de nouvelles modélisations de la galaxie elliptique hôte fixent dorénavant la masse de M87* à 5.37 milliards de masses solaires (cf. E.R. Liepold et al., 2023; UCB, 2023).

Enfin, la théorie de la relativité prédit qu'il devrait exister plus d'un anneau de photons autour de M87*, chacun correspondant à des photons situés sur des orbites différentes autour du trou noir. Les chercheurs pensent qu'en affinant leur analyse ils pourraient observer au moins un deuxième anneau de photons.

A gauche, l'image de l'anneau de photons de M87* publiée en août 2022 à partir d'un retraitement des données de 2017. Il s'agit des photos ayant fait un demi-tour autour du trou noir et qui se dirigent ensuite vers la Terre. Les lignes de contours bleues représentent l'image primaire diffuse produite par les photons dirigés vers la Terre. A droite, une modélisation obtenue à partir de la première image calculée en 2017 mettant en évidence l'anneau de photons (l'anneau jaune). Documents A.E. Broderick et al. (2022) et Collaboration EHT.

M87 est associée à la radiosource Virgo A (3C 274). Par sa proximité et sa taille (7.6' et Mv 9.6), c'est le quasar le plus brillant et le plus accessible après NGC 5128. M87 est une source qui émet à travers tout le spectre : des ondes radios, infrarouges, visibles, UV, XUV, des rayons X durs de plus de 10 keV (cf. S. de Jong et al., 2015) et même des rayons gamma supérieurs à 250 GeV (cf. Pierre Colin et al., 2008). En raison de cette activité, M87 est répertoriée dans plus de 110 catalogues : en tant que NGC 4486 mais également dans les catalogues 1Jy, 2EUVE, 2MASX, 3C, 4C, CTA, IRAS, PKS, QSO, X, etc. Bref, son activité multispectrale fait toujours l'objet de nombreuses études.

L'image d'un anneau fait débat

Une analyse indépendante des données radios de M87* par des astronomes de la NAOJ a donné des images différentes de celles obtenues par l'équipe de l'EHT.

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2022 (en PDFsur arXiv), Makoto Miyoshi, professeur adjoint au NAOJ et ses collègues ont réanalysé les données du trou noir supermassif de M87 et sont arrivés à la conclusion que la structure en anneau observée par l'EHT n'existe pas. Comme illustré ci-dessous, les nouvelles images montrent un "noyau" au centre de la galaxie, en plus du jet s'étendant du noyau.

A gauche, les images radios obtenues à partir de la réanalyse des données de l'EHT du trou noir supermassif situé au coeur de la galaxie elliptique M87. L'encart montre la région du trou noir. On distingue un "noyau" (la tache ronde rouge sous le centre) et des "nœuds" (taches allongées à droite du centre et en bas à droite). L'image grand champ montre le jet s'étendant en diagonale vers le coin supérieur droit. La tache rouge sur le bord droit est un artefact créé par la méthode d'imagerie. A droite, les images résultantes des ensembles de données simulées. Le cas 2-A (à gauche) montre la forme de l'anneau créée à partir d'un ensemble de données ponctuelles avec un rapport signal/bruit S/R infini (pas de bruit), après application de la solution par auto-étalonnage en utilisant l'anneau EHTC comme image maquette. Le cas 2-B (à droite) est une image à deux points créée en appliquant la solution par auto-étalonnage avec deux points comme modèles d'image à des données à un seul point (sans données de bruit) avec un S/R infini. Les deux croix rouges indiquent les positions des points dans l'image du modèle utilisé dans l'auto-étalonnage. Documents M.Miyoshi et al. (2022).

Miyoshi et ses collègues pensent que c'est la base du jet que leur analyse a résolu. Les chercheurs soulignent que la structure en anneau de 0.04 mas de diamètre détectée par l'EHT est probablement le résultat d'un manque de données suffisantes pour résoudre les structures de 40 mas, en raison du nombre réduit de radiotélescopes impliqués dans les observations en 2017.

Cette étude démontre l'importance du processus de contrôle dans la méthode scientifique où des équipes indépendantes de chercheurs examinent les données d'observation et les méthodes d'analyses.

Face à cette controverse, une nouvelle analyse des données ainsi qu'un réexamen de la méthode et des observations de suivi ont été planifiés afin de fournir des informations plus fiables sur ce trou noir et de la structure de son jet.

Le jet et les lobes radioélectriques

Analysée au radiotélescope, M87 présente non seulement un jet collimaté mais également deux immenses lobes radios à la structure turbulente qui s'étendent sur plus de 100000 années-lumière à partir de son noyau. Ils représentent l'une des caractéristiques les plus mystérieuses et les plus énergétiques de cette radiogalaxie. Comment expliquer ce phénomène ?

Image composite multispectrale de M87 obtenue en avril 2017 par la Collaboration EHT qui nécessita 19 instruments différents au sol et dans l'espace. Document EHT/J.C. Algaba.

Il faut revenir à l'activité du trou noir supermassif caché au coeur de ce quasar. Ce trou noir de 40 UA de diamètre a la taille du système solaire et dispose d'un disque d'accrétion encore plus étendu comme le révéla la photo prise par l'EHT en 2019. La plus grande partie de la matière proche du bord interne du disque d'accrétion tombe dans le trou noir, mais une petite fraction s'échappe avant d'être capturée et est projetée loin dans l'espace sous la forme d'un jet directif et de lobes bipolaires comme on le voit ci-dessous. Actuellement, il n'est pas possible de calculer la quantité de matière accrétée par le trou noir, une donnée qui aurait permis de valider certains modèles MHD.

Dans une étude sur le jet de M87 publiée en préimpression sur "arXiv" en 2019, Matteo Lucchini de l'Université d'Amsterdam et ses collègues ont découvert que le site d'accélération des particules se situe très près du trou noir, beaucoup plus près du moteur central que la distance d'accélération normale. Les images d'interférométrie VLBI en haute résolution du jet montrent un "pincement" du flux sortant autour de cette distance. Selon les chercheurs, cela suggère que cette région de pincement pourrait influer sur l'injection initiale et l'accélération des particules dans le jet.

Mais quel mécanisme serait capable d'accélérer de la matière jusqu'à des vitesses relativistes parfois en moins de 24 heures et sur des distances astronomiques ? Une seule force a ce potentiel : un puissant champ magnétique entretenu. De plus, à travers les lignes de son champ de force, il peut canaliser le flux émis. En effet, on peut expliquer beaucoup de phénomènes observés autour d'un trou noir si on tient compte des interactions du trou noir avec un champ magnétique généré par le plasma environnant. Il faut donc trouver la preuve que le trou noir supermassif de M87 possède un disque d'accrétion, nous l'avons eue en 2019, et qu'il est capable de générer un champ magnétique grâce l'ionisation de la matière.

Pour comprendre ce phénomène, les astronomes se sont appuyés sur différents modèles de comportement de la matière près du trou noir. Malgré les simulations, jusqu'à présent ils ne savaient pas exactement comment un jet plus grand qu'une galaxie pouvait être lancé depuis une région située en son centre, d'une taille comparable à celle du système solaire.

Pour observer la région très compacte située au cœur de M87 d'où émane le jet et les lobes radios, une équipe internationale de plus de 300 chercheurs de différentes universités et organisations à travers le monde rassemblés dans la Collaboration EHT fit de nouveau appel à l'installation VLBI de l'EHT et son impressionnante résolution de 20 μas.

A consulter : Frankfurt Quasar Monitoring

Atlas des radiogalaxies et des objets assimilés (DRAGN)

M87 projette un jet collimaté sur environ 4900 années-lumière et deux lobes radios à près de 200000 années-lumière de distance. A gauche, l'image à grande échelle, au centre l'agrandissement et à droite, sa modélisation. Chaque lobe (en bleu) est associé à un jet de plasma canalisé par un champ magnétique intense qui s'échappe à partir de la magnétosphère du trou noir supermassif depuis la région interne du disque d'accrétion (en orange). Documents du VLA/NRAO enregistrés à 91 cm de longeur d'onde et dessin du STScI.

Comme les pulsars et beaucoup de quasars (Seyfert, blazars, etc), on a découvert que M87 émet notamment un rayonnement synchrotron, c'est-à-dire un rayonnement émis par des particules chargées de haute énergie (pas seulement des électrons) sous l'emprise d'un puissant champ magnétique. Le rayonnement synchrotron de M87 peut même être observé en infrarouge comme le confirma l'étude de Maarten Baes de l'Université de Gand bien que sa luminosité soit plus faible. Ce rayonnement est polarisé et peut être mesuré.

Champ magnétique

En approfondissant les données enregistrées en 2017, les chercheurs de la Collaboration EHT découvrirent que les ondes radios provenant du disque d'accrétion de M87* étaient polarisées. En analysant cette composante, comme on le voit à droite, en 2021 la Collaboration EHT publia la première carte du champ magnétique de la partie interne du disque d'accrétion de M87*, celle située à proximité immédiate du trou noir supermassif.

La première image publiée par l'EHT en 2021 de la polarisation des ondes radios dans la partie interne du disque d'accrétion du trou noir supermassif de M87. Elle montre clairement les lignes orientées du champ magnétique à proximité immédiate du trou noir. Document Collaboration EHT.

Cette nouvelle image montre clairement que le disque est magnétisé. Si l'image optique permet de connaître l'orientation et la dimension du trou noir et de son disque d'accrétion, connaître la force du champ magnétique et sa structure près de l'horizon des évènements sont essentiels pour comprendre comment la matière échappe à la gravité du trou noir et comment le jet est émis. Pour la première fois, les astronomes ont donc la preuve qu'il existe effectivement un mécanisme à grande échelle capable de projeter le jet qu'on observe.

La présence de ce champ magnétique est aussi un indice de plus supportant le phénomène de disque d'accrétion arrêté magnétiquement ou MAD (cf. le champ magnétique autour d'un trou noir).

Enfin, en analysant le trou noir supermassif de M87 à différentes fréquences (100 GHz ou 3 mm de longueur d'onde et 230 GHz ou 1.3 mm de longueur d'onde), Ciriaco Goddi et ses collègues ont découvert une rotation de Faraday qui change en amplitude et en direction en l'espace d'une année, passant de -1.2 à 0.3 x 105 rad m-2 à 100 GHz et de -4.1 à 1.5 x 105 rad m-2 à 230 GHz (le signe indique le changement de direction). Elle prouve que l'intensité du champ magnétique fluctue de manière importante. Selon les chercheurs, le disque d'accrétion est composé d'une région interne compacte très variable et d'une région étendue statique.

Les résultats de ces études ont fait l'objet de trois articles publiés dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021 (cf. C.Goddi et al., Coll. EHT/K.Akiyama et al., Coll. EHT/K.Akiyama et al.).

A partir de toutes ces données et celles provenant de l'étude d'autres quasars, les astronomes ont adapté la forme et la dynamique du jet de leur modèle à celles déduites de l'imagerie directe du flux sortant obtenu par le VLBI. Cela leur a permis de constater que la principale contribution au flux limité de rayons gamma du noyau de M87 est due à la diffusion Compton inverse de la lumière des étoiles de la galaxie hôte plutôt qu'à une diffusion synchrotron Compton auto-induite (SSC). En outre, les études ont montré que dans le cas de M87, les leptons émis devaient être accélérés à des facteurs de Lorentz très élevés afin d'étendre le spectre synchrotron jusqu'à la bande des rayons X. Ces études ont également révélé que la distribution des particules dans le jet est compatible avec un flux isotherme, même au-delà de la région de dissipation.

Polarisation de la lumière

L'étude de la polarisation de la lumière près d'un trou noir est intéressante car elle permet de cartographier les lignes de champ magnétique et apporte de précieux renseignements sur la physique derrière les images enregistrées par l'EHT près de l'horizon des évènements. Mais à la distance et vu la taille apparente de M87*, cette polarisation est de très faible intensité et c'est un défi de l'enregistrer, même avec une installation VLBI planétaire comme l'EHT.

Selon deux études publiées en 2023, l'une par l'équipe du postdoctorant Freek Roelofs du SAO, la seconde par la Collaboration EHT, les chercheurs ont découvert une asymétrie dans l'image de M87* qui révèle une polarisation circulaire (un rayonnement en spiral) qui pourrait fournir des informations sur les caractéristiques des champs magnétiques et du plasma à proximité du trou noir. Mais pour cela, ils doivent obtenir de nouvelles données de meilleure qualité.

Selon Andrew Chael, coordinateur du projet de polarisation de l'EHT à l'Université de Princeton, "la polarisation circulaire est le signal final que nous avons recherché lors des premières observations du trou noir M87 par l'EHT, et c'était de loin le plus difficile à analyser." Le signal en polarisation circulaire est 100 fois plus faible que les données non polarisées utilisées pour réaliser la première image du trou noir. Selon Ioannis Myserlis, radioastronome à l'IRAM (Institut de Radioastronomie Millimétrique) dont la parabole de 30 m est intégrée au VLBI de l'EHT, "trouver ce signal faible dans les données, c'était comme essayer d'écouter une conversation à côté d'un marteau-piqueur. Nous avons dû tester soigneusement nos méthodes pour déterminer à quoi nous pouvions vraiment faire confiance."

A gauche, résultats d’imagerie du trou noir de M87 réalisée par l'EHT sur des données de 2017. La rangée du haut montre les résultats de trois méthodes sur un ensemble de données combinant les observations des 5 et 6 avril, bandes basse et haute. La rangée du bas montre les résultats correspondants de la combinaison des observations des 10 et 11 avril dans les mêmes bandes. A droite, une sélection aléatoire d'instantanés extraits de 184796 images générées par 10 simulations GRMHD du trou noir de M87. Les trois rangées du haut sont présentées à une résolution native. Les trois rangées du bas représentent le résultat des équations pour un fluide de Stokes après floutage à la résolution de l'EHT (20 μas). Documents Collaboration EHT (2023).

Ces observations permettent de tester différentes théories sur le mouvement du plasma et le champ magnétique autour du trou noir, y compris les simulations GRMHD. Selon les chercheurs, ces observations de la polarisation circulaire renforcent l'idée que les champs magnétiques à proximité de M87* sont si puissants qu'ils peuvent repousser le gaz chaud et l'aider à résister à la force de gravité (seul le gaz qui passe à travers le champ magnétique peut franchir l'horizon des évènements) et aident à lancer les jets à des vitesses relativistes.

En comparant les simulations à ces observations, on découvre l'existence d'un environnement chaotique et violent juste à l'extérieur de l'horizon des évènements de M87*, où les champs magnétiques, la gravité et le plasma chaud interagissent fortement les uns avec les autres.

Finalement, les chercheurs suggèrent qu'il est possible que M87 soit en réalité un blazar de faible énergie vu sous un angle inhabituel.

La radiogalaxie géante Alcyoneus

Une équipe d'astronomes européens dirigée par Martijn Oei de l'Université de Leyden aux Pays-Bas, annonça dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2022 la découverte d'une nouvelle radiogalaxie géante (GRG) dans le cadre du sondage "LOFAR Two-meter Sky Survey" (LoTSS). Elle fut nommée Alcyoneus par référence à l'un des géants de la mythologie grecque qui combattit Hercule. Alcyoneus se trouve dans la constellation du Lynx (A.D.: 8h 14m 23s, Décl.: 52° 40.3'), près de la Grande Ourse, à environ 3 milliards d'années-lumière de la Terre.

Alcyoneus présente une structure radio à trois composantes comprenant un jet central et deux lobes externes dont la longueur totale projetée est de ~16.3 millions d'années-lumière et la longueur totale réelle (non projetée) est de 16.43 millions d'années-lumière ! Elle est ~163 fois plus grande que la Voie Lactée et quatre fois plus grande que la galaxie elliptique géante IC 1101.

A gauche, image composite radio-optique de la radiogalaxie géante Alcyoneus avec ses lobes radios imagés par le radiotélescope LOFAR (en orange). A droite, composite radio-optique d'Alcyoneus montrant la paire de lobes radios alimentés par des jets centraux. Les lignes de contours sont de 6" à 5, 10, 20, 40 et 80σ. Document M.S.Oei et al. (2022).

Alcyoneus fut détectée en analysant les données de la deuxième distribution (DR2) de LoTSS basée sur des enregistrements réalisés par LOFAR à 144 MHz, un réseau interférentiel reliant environ 20000 radiotélescopes répartis sur 52 sites à travers l'Europe. Les chercheurs ont retraité les données en soustrayant les sources angulairement compactes et les images à relativement basse résolution (60'' et 90') et c'est par hazard qu'ils ont découvert Alcyoneus.

Selon les chercheurs, Alcyoneus a une densité lumineuse totale d'environ 80 YW/Hz à 144 MHz, typique des radiogalaxies géantes. L'hôte de cette GRG est la galaxie elliptique J081421.68+522410.0 qui présente une masse stellaire d'environ 240 milliards de masses solaires et abrite trou noir supermassif actif d'environ 400 millions de masses solaires qui explique l'origine de ces lobes radios gigantesques.

Selon les chercheurs, "Au-delà de la géométrie, Alcyoneus et son hôte sont étrangement ordinaires : la densité totale de luminosité à basse fréquence, la masse stellaire et la masse du trou noir supermassif sont toutes inférieures, bien que similaires, à celles des radiogalaxies géantes médianes. Ainsi, des galaxies très massives ou des trous noirs centraux ne sont pas nécessaires pour former des géantes, et, si l'état observé est représentatif de la source sur sa durée de vie, une puissance radio élevée ne l'est pas non plus."

Pour l'instant, les astronomes sont perplexes sur l'origine d'une telle galaxie, mais ils ont déjà quelques explications potentielles. Une possibilité est que l'environnement de la radiogalaxie géante ait une densité plus faible que d'habitude, permettant à ses jets de s'étendre sur des distances sans précédent. Une autre explication possible est qu'Alcyoneus évolue à l'intérieur d'un filament de la toile cosmique, une structure vaste composée de gaz et de matière sombre qui relie les galaxies.

Selon les chercheurs, "Les images résultantes nous permettent d'explorer un nouveau régime de sensibilité pour les galaxies à lobes radios, et représentent donc des données prometteuses pour rechercher des GRG inconnus de grande longueur angulaire."

La deuxième plus grande GRG est J1420-0545 qui mesure ~16 millions d'années-lumière (cf. J.Machalski et al., 2008). On en déduit que les GRG de la taille du mégaparsec sont les plus grands phénomènes générés par une seule galaxie.

Les GRG sont importantes car elles permettent aux astronomes d'étudier la formation et l'évolution des radiosources. Comprendre les processus qui ont fait grandir à ce point Alcyoneus sera utile pour comprendre comment les autres galaxies se développent. Selon les chercheurs, "S'il existe des caractéristiques de galaxies hôtes à l'origine sont une cause importante de la croissance des radiogalaxies géantes, alors les hôtes des plus grandes radiogalaxies géantes sont susceptibles de les posséder. De même, s'il existe des environnements particuliers à grande échelle qui sont très propices à la croissance des radiogalaxies géantes, alors les plus grandes radiogalaxies géantes sont susceptibles d'y résider."

Les blazars

Les radiogalaxies comprennent la famille des blazars qui est divisée en deux catégories :

- les objets BL Lacertae ou BL Lacertides (BL Lac)

- les Flat Spectrum Radio Quasars (FSRQ).

Les blazars représentent environ 1% de la population des QSO. En 2019, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Raffaele D'Abrusco du CfA Harvard & Smithsonian publia les deux premiers catalogues de blazars sur base de sondages en infrarouge (WISE) et radio (VLA). Ces catalogues comprennent 15120 candidats blazars dont 9541 BL Lac et FSRQ.

Sur les photographies à longues poses, on découvre qu'il s'agit de galaxies elliptiques (ou parfois lenticulaires) géantes qui présentent généralement un petit noyau mais rayonnant avec éclat. Proches des galaxies de Seyfert, elles sont toutefois plus pâles que ces dernières.

Comme on le voit dans le diagramme présenté ci-dessous à gauche de la densité de flux des blazars (q22 = log (S22μm/Sradio)) en fonction du décalage Doppler (z), ces radiogalaxies sont les plus nombreuses entre 0.5 ≤ z ≤ 3, soit entre 4 et 10 milliards d'années-lumière. Leur analyse multispectrale, notamment dans les domaines radio et X révèle deux catégories d'objets : les "blazars rouges" et les "blazars bleus" selon que l'intensité maximale de leur énergie se situe respectivement dans le domaine IR/optique ou UV/rayons X, ce qui suggère déjà une activité et des mode de production de ces rayonnements différents. Les autres critères caractéristiques des blazars sont des éruptions très intenses et un rayonnement fluctuant. On y reviendra.

A gauche, diagramme de la densité de flux des blazars en fonction du redshift z. A droite, reconstruction de l'image radio obtenue par le VLBA à 1.5 GHz du blazar PSO J0309+27 situé à environ z = 6.10 soit 12.8 milliards d'années-lumière. C'est le blazar radio le plus brillant. Son unique jet mesure plus de 1600 années-lumière. Documents R.D'Abrusco et al. (2019) et C.Spingola et al. (2020).

Selon une étude publiée en 2020 par des radioastronomes de l'ESO et de la NRAO, le blazar radio le plus brillant est PSO J0309+27 présenté ci-dessus. Il est situé à environ z = 6.10 soit 12.8 milliards d'années-lumière. Il est également le deuxième plus brillant blazar dans le domaine X. La projection de son unique jet mesure ~500 pc soit plus de 1600 années-lumière.

En principe, conformément au modèle unifié des AGN (voir page suivante), on considère qu'un blazar est un QSO dont le jet relativiste pointe dans notre direction (même si sur les schémas il s'étend dans le plan, par exemple verticalement ou horizontalement) alors que pour un quasar (AGN ou une Seyfert), le jet est observé sous une inclinaison beaucoup plus grande.

La variabilité des blazars

Une équipe internationale de chercheurs dirigée par Silke Britzen de l'Institut Max Planck de Radioastronomie (MPIfR) a étudié les blazars et apporta la preuve que c'est en fait la précession de la source du jet qui est responsable de la variabilité observée. Leur découverte fit l'objet d'un article publié dans "The l'Astrophysical Journal" en 2023.

Les résultats de plusieurs décennies d'observations des AGN et notamment des blazars ont montré que leur activité éruptive est associée à l'éjection soit des composants du jet soit du noyau vers le jet, conduisant à une émission soudaine et intense (cf. l'origine et la structure du jet bipolaire des trous noirs).

Les jets des blazars sont souvent courbés et pas aussi droits qu'on pourrait s'y attendre. Jusqu'à présent, on supposait que les structures des jets sinueux étaient liées aux éjections de composants du coeur de l'AGN. Les jets sinueux ainsi que les éruptions de l'AGN devraient tous deux être d'origine stochastique – en fonction de l'alimentation du trou noir supermassif central Cependant, au fil des années, les données d'observations de plus en plus détaillés ont mis en doute cette relation causale peut-être trop simple.

Selon Silke Britzen, auteur principal de cet article, "Nous présentons des preuves et discutons de la possibilité qu'il s'agisse en fait de la précession de la source du jet, soit provoquée par un trou noir binaire supermassif à la base du jet, soit - moins probable - par un disque d'accrétion déformé autour d'un seul trou noir. C'est ce qui est responsable de la variabilité observée." Lorsque les jets tourbillonnent en raison de la précession, cette rotation introduit également des changements périodiques d'intensité, dus à l'effet Doppler sur le rayonnement, comme illustré ci-dessous. Cela a été détecté sur un certain nombre de jets d'AGN depuis de nombreuses années.

Schémas simplifiés expliquant la variabilité des blazars en raison de la précession du jet et de l'effet Doppler sur le rayonnement. Document MPIfR (2023).

Dans le cas du blazar OJ 287 - le meilleur candidat à l'époque pouvant héberger un trou noir supermassif binaire mais qui n'a toujours pas été directement observé (contrairement à B2 0402+379) - Silke Britzen et son équipe avaient établi l'origine de la précession des fortes variations de luminosité et de la courbure du jet dès 2018. Les prédictions de leurs travaux furent confirmées par l'équipe de Komossa en 2023.

Les auteurs ont alors appliqué le même modèle à d'autres blazars. Pour un échantillon de 12 AGN importants, leurs résultats démontrent comment la variabilité de la luminosité et de la courbure du jet peut effectivement s'expliquer par la modulation de la précession.

Les auteurs ne remettent pas en question le fait que la physique sous-jacente et complexe du jet peut également être causée par des interactions internes dans le jet, notamment par ce que l'on appelle le modèle de choc dans le jet, par des instabilités dans le faisceau du jet ou par des perturbations énergétiques liées à des reconnexions magnétiques. Cependant, ils proposent que l'apparence de ces jets est fortement modulée et altérée par la précession. En effet, ces jets n'apparaîtraient pas aussi courbés et aussi brillants s'ils n'étaient pas renforcés par l'effet de précession.

Selon Britzen, "La variabilité du blazar dans de nombreuses galaxies pourrait être principalement de nature non pas stochastique, mais déterministe. Il est fascinant de décoder le fonctionnement interne de cette machinerie de trou noir à l'aide d'études de variabilité."

L'une des implications les plus importantes de cette étude est que la courbure du jet est probablement une signature révélatrice de l'existence de trous noirs binaires au centre de ces galaxies à noyau actif. Ainsi, le jet est contraint de dévier en raison de l'influence gravitationnelle d'un deuxième trou noir sur le trou noir principal émetteur du jet. De plus, l'équipe a réussi à détecter des traces d'un mouvement de nutation de plus petite amplitude dans les courbes de lumière radio ainsi que dans la cinématique des composants du jet - un effet de second ordre et une preuve supplémentaire de précession.

Selon Michal Zajaček de l'Université Masaryk de Brno en République tchèque et coauteur de cet article, "La physique des disques d'accrétion et des jets est plutôt complexe, mais leur cinématique globale peut être comparée à de simples gyroscopes : si vous exercez un couple externe sur un disque d'accrétion, par exemple par un trou noir secondaire en orbite, il précéssera et nutera le jet, semblable à l'axe de rotation de la Terre qui est affecté par la Lune et le Soleil."

La recherche de ces trous noirs binaires supermassifs se poursuit depuis des décennies et représente véritablement un travail de fourmi qui équivaut à trouver une aiguille dans une botte de foin. Malgré l'utilisation de systèmes radioastronomiques interférométriques à très longue base (VLBI) comprenant l'EHT nous avons atteint les limites de la résolution à l'échelle planétaire. Si cette technologie de pointe a permis d'imager les trous noirs supermassifs M87* et Sgr A*, ce n'est pas encore suffisant pour étudier les jets.

Britzen conclut : "Nous n'avons toujours pas la résolution suffisante pour sonder directement l'existence de trous noirs binaires supermassifs. Mais la précession des jets semble fournir la meilleure signature de ces objets, dont l'existence est attendue non seulement par la communauté des trous noirs/AGN, mais aussi par la communauté des ondes gravitationnelles/pulsars qui a récemment publié des preuves de l'existence d'un fond gravitationnel cosmique en raison des ondes gravitationnelles émises par les fusions de trous noirs massifs au cours de l'histoire cosmique."

HESS J1943+213 : un EHBL

Parmi les blazars, HESS J1943+213 occupe une place à part. En effet, cette source gamma et rayons X fut découverte en 2010 grâce à l'expérience H.E.S.S. installée en Namibie qui exploite l'effet Cherenkov (ou Cerenkov), phénomène qui produit un cône de lumière bleue quand une particule se déplace à travers un milieu plus rapidement que la vitesse de la lumière dans ce milieu. Il s'agit généralement de muons ou d'électrons résultant de l'interaction de rayons cosmiques ou de neutrinos de haute énergie avec la matière (voir plus bas).

Comme le montre sa cartographie ci-dessous à gauche, HESS J1943+213 est une source quasi ponctuelle (elle mesure quelques millisecondes d'arc) située entre 0.14 < z < 0.21 soit entre 1.8 et 2.5 milliards d'années-lumière. Comme la plupart des quasars, elle présente des contreparties radio, infrarouge, X et même gamma et un flux d'énergie remarquablement stable. Comme l'ont confirmé les chercheurs de la collaboration VERITAS dans un article publié en 2018, la signature radio du coeur de son jet ainsi que son niveau de polarisation confirment qu'il s'agit bien d'un blazar extrême émettant des rayons gamma dont le niveau d'énergie atteint 470 GeV. Il a donc été classé parmi les sources ponctuelles gamma de très haute énergie (> 100 GeV) ou VHE.

Carte spectrale de la contrepartie radio du blazar HESS J1943+213 construite à partir des données en bande II du VLBA à 4.3 GHz (rouge) et 7.6 GHz (bleu). Document coll. VERITAS (2018).

Du fait que cet objet présente de très intenses émissions de rayons X durs supérieures à 1 keV (cf. L.Costamante et al., 2001) accompagnées de rayonnement synchrotron, il a été classé dans une nouvelle sous-classe des BL Lacertae les plus énergétiques, les EHBL (Extreme High synchrotron peak BL Lacs) à laquelle appartiennent déjà quatre sources gamma : 1ES 0229+200 (580 GeV), RGB J0710+591 (300 GeV), 1ES 0347-121 (250 GeV) et 1ES 1101-232 (100 GeV) comme le confirme le catalogue TeVCat.

Selon les chercheurs de la collaboration VERITAS, la luminosité du jet des EHBL est inversement proportionnelle à l'effet Doppler : les EHBL les moins lumineux en gamma et X présenteraient l'effet Doppler le plus élevé, ce qui en fait l'un des "accélérateurs de particules" les plus efficaces et les plus extrêmes de l'Univers. Mais vu le nombre réduit de EHBL, aucune conclusion ne peut être déduite et leurs modes d'émissions restent en partie mystérieux.

Jusqu'à présent on pensait que ces émissions très énergétiques s'expliquaient par des émissions leptoniques (principalement des électrons et des mésons). Mais contrairement aux autres blazars, les EHBL ne semblent pas présenter de variabilité rapide contrairement à ce que prédisent les modèles leptoniques avec de fortes variations de flux sur de courtes échelles de temps. Le pic de fréquence synchrotron est également plus élevé que prévu tandis que les émissions les moins énergétiques sont plus régulières dans les rayons X peu pénétrants et en infrarouge. Ce manque de variabilité rapide du flux et les spectres de haute énergie suggèrent que l'émission des EHBL s'accomode mieux avec des modèles d'émissions hadroniques (baryons et mésons). On y reviendra.

Pour confirmer les modèles et mieux comprendre la nature de cet objet, les émissions de HESS J1943+213 dans la bande X seront probablement affinées grâce au satellite NuSTAR qui devrait permettre de caractériser à la fois le profil spectral et la variabilité de l'émission produite par les particules de très haute énergie afin d'identifier la source et son mode d'émission. En outre, une mesure précise de sa distance est nécessaire pour déterminer ses propriétés physiques. Bref, face à autant d'inconnues et de projets, les blazars EHBL restent d'excellents sujets d'études.

A consulter : TeVCat - Boston University Blazar Group

TXS 0506+056 : source de neutrinos cosmiques et de rayons gamma

Le blazar TXS 0506+056 est situé à z = 0.34 soit ~3.7 milliards d'années-lumière dans la constellation d'Orion à 4° à l'ouest de l'étoile Bellatrix. On peut l'observer dans un télescope amateur de 350 à 400 mm de diamètre telle une étoile dont la magnitude varie entre 14.2 et 16.1.

Cet astre apparemment stellaire est en réalité un quasar variable qu'on observe pratiquement de face, dans la direction du jet. Et c'est heureux qu'il soit si éloigné sinon nous serions déjà passé de vie à trépas. En effet, TXS 0506+056 est la première source connue de rayons cosmiques et de neutrinos de haute énergie.

Historique des émissions neutrino et gamma

Depuis les premières mesures spectroscopiques réalisées en 2007, TXS 0506+056 alias MG 0509+0541 est répertorié dans plus de 48 catalogues d'astronomie dont le QSO, Gaia, GeV, TeV, etc. Plus récemment, il fut ajouté au catalogue 3FH et fit l'objet d'une étude lors du sondage 2HWC réalisé en 2015. On sait donc depuis quelques années qu'il s'agit d'un blazar extrêmement énergétique.

Image optique du blazar TXS 0506+056 extraite des données du sondage DSS2. Sa magnitude varie entre 14.2 et 16.1. Le champ couvre 14' x 14'.

Le 22 septembre 2017 à 20h54m30s TU, les scientifiques utilisant le détecteur de neutrinos IceCube installé à la station Amundsen au pôle Sud et géré par l'Université du Wisconsin à Madison ont enregistré un signal très puissant d'une énergie d'environ 2.9x1014 eV soit 290 TeV, un niveau 44 fois supérieur au plus puissant faisceau généré par le LHC du CERN (6.5 TeV) ! Un neutrino - et un seul - avait interagi avec l'un des quarks d'un proton de l'eau glacée du détecteur IceCube installé à plus de 2000 m de profondeur et généra un méson mu ou muon. Se déplaçant plus rapidement que la lumière dans ce milieu, le muon créa un anneau de Cherenkov bleuté sur une distance d'environ 250 m qui fut détecté par quelques-uns des photomultiplicateurs (PMT) placés dans les 5160 sphères (DOM) suspendues dans la glace. Son analyse permit de reconstruire la dynamique de l'évènement comme on le voit ci-dessous à gauche.

Cet évènement neutrino astrophysique d'extrême haute énergie fut catalogué EHE-170922A et représente le 5e plus puissant évènement EHE (Extreme High Energy) détecté à ce jour. Il fit immédiatement l'objet d'un avis d'alerte GCN 50579430 qui fut transmis 43 secondes plus tard à la communauté des astronomes afin qu'ils vérifient l'évènement et tentent le cas échéant de localiser la source. A cet instant le pic d'émission atteignait ~119.98 TeV. Les coordonnées de la source étaient données avec 50% de confiance soit une erreur de 14.99'. Elles furent revisées 4 heures plus tard dans l'avis GCN 21916 envoyé par Erik Blaufuss de la collaboration IceCube à l'Université du Maryland (UMD), précisant que la source se situait aux coordonnées équatoriales de 77.43° d'ascension droite (soit 5h 9.4m) et 5.72° de déclinaison avec 90% de confiance (écart-type de 3σ).

Pendant trois jours, aucun observatoire ne confirma l'éruption (avis négatifs d'Antares, HAWC, Swift, H.E.S.S.). C'est seulement le 26 septembre 2017 que le satellite Swift détecta une émission gamma provenant de la même région du ciel. Puis, le 28 septembre le satellite Fermi-LAT la confirma dans cet avis. Le 29 septembre l'éruption gamma fut également confirmée par le détecteur AGILE tandis que le 4 octobre, la parabole du télescope MAGIC (Major Atmospheric Gamma Imaging Cherenkov Telescope) installée dans les îles Canaries rapporta la détection des sursauts gamma atteignant 400 GeV. Ensuite, le 12 octobre le satellite NuSTAR détecta une éruption de rayons X très intense provenant de la même source (cf. cet article) et finalement le 17 octobre le VLA confirma l'émission d'un jet compact depuis le coeur de ce blazar.

Dans le spectre visible, c'est le réseau ASAS-SN (All Sky Automated Survey for SuperNovae) qui fut le premier à découvrir le sursaut de lumière du blazar TXS 0506+056 le 28 septembre 2017. Puis le 7 octobre, grâce au télescope SALT (Southern African Large Telescope) de 11 m de diamètre, les astronomes détectèrent un sursaut lumineux d'un peu plus d'une magnitude qui fut confirmé le 25 octobre grâce au télescope Subaru de 8.2 m indiquant que TXS 0506+056 était soudainement devenu 3 fois plus brillant.

Après recoupement de toutes ces données, les astronomes découvrirent que ces émissions très énergétiques et multispectrales provenaient du même blazar connut pour abriter un trou noir supermassif. Cette découverte fut annoncée dans la revue "Science" le 12 juillet 2018 et fut notamment reprise sur le site de la NASA.

A voir : IceCube Explained

A gauche, reconstruction de l'évènement neutrino 170922A détecté le 22 septembre 2017 par l'IceCube installé en Antarctique. Chaque sphère grise représente l'un des 5160 détecteurs (DOM) de forme sphérique. Les sphères colorées indiquent un signal lumineux détecté par les photomultiplicateurs (PMT) et produit par l'anneau de Cherenkov au passage d'un muon (résultat de l'interaction d'un neutrino avec un proton). Plus la sphère est grande, plus il y a de lumière. Le code de couleur exprimé en nanosecondes indique l'époque de passage de l'évènement, ce qui permet de retracer la direction d'origine du neutrino. A droite, localisation du blazar TXS 0506+056 dans la constellation d'Orion à l'origine de cette émission simultanée de neutrinos cosmiques, de rayons gamma et X en 2017. La zone d'émission est définie à partir des traces PMT dans l'IceCube et les éruptions gamma enregistrées par le satellite Fermi-LAT ainsi que l'antenne parabolique MAGIC. Documents IceCube coll. et al. (2018).

Après cette observation déjà exceptionnelle et historique, les chercheurs ont voulu vérifier si ce blazar était éventuellement à l'origine d'autres émissions neutrinos détectées par l'IceCube. En effet, en temps normal l'IceCube détecte environ 8 évènement neutrinos par an dépassant le seuil critière d'alerte. Comme le confirme la collaboration IceCube dans un article publié le même jour dans la même revue "Science", les astronomes eurent la joie de découvrir des évènements particulièrement intéressants survenus pendant six mois entre septembre 2014 et mars 2015, où les détecteurs enregistrèrent un signal ou excès significatif présentant une dispersion de 3.5σ jugée suffisante pour valider l'observation. Elle correspondait à environ 13 évènements neutrinos d'une intensité supérieure à celle du bruit naturel. L'émission provenait également de la direction de TXS 0506+056. Enfin, en vérifiant les archives d'ASAS-SN, on constata que l'éruption dans le spectre visible observée en 2017 était la plus brillante depuis 2012.

Conclusion, il s'avère que ce blazar agit comme un puissant accélérateur de particules jusqu'à des niveaux d'énergie de plusieurs PeV ! De manière générale, certains blazars pourraient compter parmi les principales sources de rayons cosmiques de très haute énergie et de neutrinos cosmiques, résolvant ainsi une question ouverte depuis plusieurs décennies.

A lire : IC170922A opens up a new window to cosmos! (PDF), IceHAP

Localisation du blazar TXS 0506+056 dans la constellation d'Orion. A gauche, l'enregistrement obtenu par le satellite gamma Fermi-LAT en 2017. A droite, illustration de ce que les astronomes ont réellement observé : l'éruption d'un jet émanant du disque interne d'un trou noir supermassif. Le jet comprend des rayons cosmiques, des neutrinos ainsi que des rayons X et gamma. Documents NASA/DOE/coll.Fermi-LAT et IceCube/NASA.

Notons qu'un autre flux diffus de 28 neutrinos de plus de 30 TeV fut également enregistré par l'IceCube en 2013. Les données furent par la suite affinées, portant l'énergie maximale de ces neutrinos à 7.8 PeV ! C'était la première source extragalactique connue de neutrinos supérieure à 1 PeV. Bien que la source n'ait pas été identifiée avec précision, elle était probablement d'origine astrophysique mais située à quelques degrés des sources gamma connues (cf. coll. IceCube, "ApJ", 2017). Sa déclinaison étant de +11.5° N pour une ascension droite de 110.4°, a posteriori elle ne correspond pas au blazard TXS. Mais un autre évènement (event 10) se situait près de la source gamma HESS J1857+026, une source TeV étendue émise par une PWN (nébuleuse de vent de pulsar).

Notons qu'en 2007 les chercheurs avaient déjà découvert une source de rayons cosmiques record supérieure à 5.7x1018 eV (5700 PeV ou 5.7 EeV) dans un AGN situé à ~245 millions d'années-lumière (cf. "Science", 2007), sans oublier les émissions neutrinos de la supernova SN 1987A (7-40 MeV) et bien sûr celles du Soleil (1-10 MeV), renforçant l'intérêt de l'astronomie neutrino.

Les Lacertides

L'étoile BL du Lézard (BL Lacertae) photographiée ci-dessous à gauche fut classée pendant presque la moitié du siècle dans la catégorie des étoiles variables. Il fallut l'analyser en détail pour yreconnaître un objet extragalactique très compact, très intense, radiosource de surcroît qui émettait un rayonnement synchrotron similaire à celui des quasars et des AGN. Il s'agit en fait d'une sous-famille des blazars.

BL Lacertae. Document SDSS/Simbad.

Le rayonnement visible des BL Lacertides peut fluctuer d'un facteur 4 en deux jours ou s'amplifier d'un facteur 100 ! Ils sont donc similaires aux QSO très variables, les OVV (Optically Violent Variable). Comme les blazars et les autres radiogalaxies, les BL Lacertides subissent des variations de flux dont la période est inférieure à l'année. Ces variations sont soudaines et violentes et sont répercutées sur l'ensemble du spectre. Le déclin se fait de façon plus lente, à la vitesse de l'expansion du milieu ambiant. L'origine la plus probable est l'injection d'électrons relativistes dans le plasma. Plusieurs dizaines de BL Lacertides ont été cataloguées mais nous ne savons pas grand chose de plus sur ces objets.

Leur spectre UV est pentu et leur taux de polarisation atteint environ 5%. Leur luminosité est équivalente à 100 fois celle de notre Galaxie. Les objets de ce type sont animés d'une vitesse comprise entre 15000 km/s (AP Librae) et plus de 254000 km/s (AO 0235+164), tous étant situés au-delà du milliard d'années-lumière, franchissant parfois même le seuil des 10 milliards d'années-lumière. Leur spectre ne présente pas de raies d'émission (sauf les BL Lac pâles); il est typique des galaxies elliptiques. Cela suggère que ces objets ne contiennent pas de gaz et seraient probablement des radiogalaxies elliptiques lointaines dont le noyau abriterait un trou noir superrmassif actif produisant des effets relativistes sur tout un spectre de rayonnements.

Les BL Lac sont classées en sources synchrotron faibles, intermédiaires et fortes (ou élevées) : respectivement BL Lac LBL, IBL et HBL selon le classement de l'équipe de P.Giommi du SSDC établi en 1995. La distinction entre LBL et HBL dépend du rapport d'énergie à deux fréquences repères : αrx ≡ log (F5 GHz / F1 keV) / 7.68 est respectivement supérieur ou inférieur à 0.75.

Les HBL sont les blazars les plus fréquemment détectés dans le rayonnement gamma de très haute énergie ou VHE (47 des 64 blazars VHE). Nous avons vu plus haut qu'une sous-classe de HBL a été proposée, les EHBL pour les sources dont l'énergie des rayons X durs est supérieure à 1 keV.

Parmi les HBL citons le blazar PKS 0301-243 découvert grâce à l'expérience H.E.S.S. en 2012. Situé à z = 0.266, il est classé parmi les sources TeV. Comme la plupart des AGN, cette source gamma subit des éruptions importantes avec des flux très variables qui peuvent atteindre 14 fois son activité normale et dépasser 100 GeV comme ce fut le cas en 2010 (cf. A. Neronov et al., 2011). Son seuil d'énergie est de 200 GeV. Les études basées sur les données du satellite Swift ont montré une corrélation entre les émissions en optique et en rayons X conforme au modèle d'émission synchrotron comme le rappela le doctorant Denis Wouters en 2014 dans sa thèse doctorale de physique.

Aujourd'hui, les théories sont encore prises en défaut car les théoriciens manquent de modèles pour expliquer le comportement des BL Lac. Bien qu'elles s'intègrent dans le modèle des blazars, elles comptent encore parmi les objets les plus mystérieux du ciel.

Les FSRQ

Comme on le voit sur le diagramme présenté ci-dessous à gauche, la différence entre un FSRQ (Flat Spectrum Radio Quasars) et un BL Lac est le niveau d'énergie atteint par les rayonnements synchrotron et Compton qui est plus important dans un FSRQ. De plus, alors que les HBL présentent des pics d'énergie synchrotron à haute fréquence (entre les EUV et les rayons X), les FSRQ et LBL ont des pics d'émissions dans le domaine radio et infrarouge submillimétrique. Suite à l'effet Compton, ils présentent aussi un second pic dans les rayons X durs au niveau MeV-GeV. Les FSRQ et LBL présentent des pics synchrotron vers 1013-1014 Hz et des pics Compton vers 1022-1023 Hz. En revanche, les pics Compton sont beaucoup plus élevés (TeV) dans les HBL/EHBL.

En général, les FSRQ et LBL sont plus lumineux que les HBL de sorte que la longueur d'onde du pic de rayonnement ou puissance de crête correspond à leur luminosité. Le continuum des FSRQ est aussi très similaire à celui des LBL comme le montra l'équipe de Rita Sambruna en 1996.

A gauche, distribution de l'énergie spectrale pour trois types de blazars avec la mise en évidence de deux composantes, une de basse fréquence et une de haute fréquence. Au centre, le modèle leptonique/hadronique répondant au profil de l'éruption de la source GX 339-4 alias V821 Arae survenue en 1997 avec des oscillations QPO. La source émet également un puissant jet variable relativiste. Il s'agit d'un système binaire LMXB comprenant un trou noir stellaire d'au moins 5.8 masses solaires. Les contributions des différents processus sont indiqués ainsi que le spectre de sensibilité des instruments (Fermi, H.E.S.S. et CTA). On s'attend à observer une contribution importante des protons aux hautes énergies (rayons X et γ). A partir de ces calculs, on peut déduire l'intensité moyenne du champ magnétique ainsi que la distribution des électrons et des protons. A droite, le modèle d'un blazar comparé à celui d'un quasar avec indication des sources de rayonnements. Documents T.Lombry, Asaf Pe'er (2013) et Boston University Blazard Group adapté par l'auteur.

De manière générale, on observe deux composantes. La première composante émet dans les basses fréquences. Dans les blazars rouges, on observe une crête ou pic d'énergie entre le spectre infrarouge et optique, y compris pour les radiogalaxies à spectre plat classique (FSRQ) et les BL Lac à faible énergie, tandis que pour les blazars bleus, cette composante s'étend jusqu'aux UV/EUV et aux rayons X, y compris pour les BL Lac à haute énergie (HBL). Cette composante est polarisée et rapidement variable.

La seconde composante s'étend jusqu'aux rayons gamma, atteignant un pic aux énergies GeV dans les blazars rouges et aux énergies TeV dans les blazars bleus, mais son origine est plus mystérieuse. L'un des modèles les plus supportés montre que ce rayonnement provient de la diffusion Compton inverse des photons (la diffusion des particules chargées de haute énergie sur les photons de basse énergie) près d'un trou noir (cf. Piran et Shaham, 1977 mais à l'époque leur modèle ne tenait pas compte du champ magnétique).

Toutefois, l'origine de ces photons X et gamma n'est pas établie et pourrait être différente dans les blazars rouges et bleus. On a suggéré que ces photons très énergétiques évoluent en dehors du jet de particules chargées. Dans les blazars rouges, il peut s'agir d'une émission thermique du disque interne entourant le trou noir, des nuages de gaz situés dans la région interne à large raie (BLR) ou encore du tore de poussière plus distant tandis que dans les blazars bleus, l'émission serait interne au jet (Synchrotron-Self Compton ou SSC). Bref, le mystère demeure et l'explication exige de faire appel à toute une série de théories très complexes vu le large éventail des émissions et leur puissance.

Les quasars les plus distants

De façon générale, les astronomes estiment que la densité des quasars reste importante jusqu'à z ≥ 3.7 soit jusqu'au-delà de 12 milliards d'années-lumière. En 2018, les astronomes découvrirent ~100 quasars à z > 6.0 soit plus de 12.78 milliards d'années-lumière (cf. E.Pons et al. 2018). Ils abritent tous un trou noir supermassif d'au moins 300 millions de masses solaires (cf. R.Decarli et al., 2018).

Grâce aux télescopes VISTA, Pan-STARRS et WISE sensibles au proche infrarouge, en 2018 Estelle Pons de l'Université de Cambridge et ses collègues annoncèrent la découverte du quasar VHS J0411-0907 présenté ci-dessous à gauche (2e ligne) situé à z = 6.82 soit 12.9 milliards d'années-lumière. C'est le quasar le plus brillant en proche IR (bande J) découvert à cette distance (Mph = 20.0 en bande J, une énergie de 1.89 x 1079 Joules/s soit 189 quattuordécillions d'erg/s, une luminosité d'Eddington de 1.3 x 1038 et un rapport d'Eddington λEdd = 2.37, autant de records). Ce quasar abrite un trou noir supermassif d'environ 600 millions de masses solaires, mais peu massif considérant l'époque à laquelle il s'est formé. C'est donc un sujet très intéressant à étudier pour comprendre leur génèse. Depuis des quasars encore plus éloignés furent découverts.

Calculette cosmologique : CosmoCalc, UCLA

Les quasars les plus distants

SDSS 1044-0125

z = 5.82, 12.7 Mds a.l.

QSO 6.2

z = 6.2, 12.8 Mds a.l.

VHS J0411-0907

z = 6.82, 12.9 Mds a.l.

ULAS J1342+0928

z = 7.54, 13.0 Mds a.l.

Entre-temps, en 2017 E.Bañados et ses collègues annoncèrent la découverte du quasar QSO J1342+0928 alias ULAS J1342+0928 présenté ci-dessus à droite (2e ligne) dans la constellation du Bouvier à z = 7.54 soit ~13.02 milliards d'années-lumière. Il abriterait un trou noir supermassif de 800 millions de masses solaires. Ce quasar s'est formé durant l'ère de réionisation, lorsque l'Univers avait seulement ~699 millions d'années. En 2022, des astronomes auraient découvert dans ce quasar les traces des premières étoiles de Population III (cf. les découvertes récentes).

Actuellement le record de distance des quasars est détenu par QSO J0313-1806 situé dans la constellation d'Eridan à z = 7.642 soit plus de 13 milliards d'années-lumière. Il s'est formé alors que l'Univers n'avait que ~670 millions d'années (cf. F.Wang et al., 2021, en PDF sur arXiv), durant l'ère de réionisation.

ALMA a détecté un milieu riche en poussières et l'émission de [CII] qui a permis notamment de calculer le décalage Doppler, la luminosité et la masse de ce quasar. J0313-1806 affiche une luminosité bolométrique de 3.6 x 1013 L. Son spectre présente de larges raies d'absorption (BAL) du C IV et du Si IV, le classant parmi les BAL QSO. Il affiche également les raies d'émission du Mg II et du Fe II.

La galaxie hôte présente un taux de formation stellaire d'environ 200 M par an (~69 fois plus rapidement que la Voie Lactée) et une masse de poussière estimée à 70 millions de masses solaires (soit ~5 fois plus que la Voie Lactée).

Les caractéristiques relativistes de ce BAL QSO combinées à la raie d'émission du C IV fortement décalée vers le bleu, indiquent également que son coeur présente un noyau actif ; c'est un AGN. Ce quasar est en fait une galaxie qui abrite un trou noir supermassif d'environ 1.6 milliard de masses solaires. La luminosité de ce quasar indique que le trou noir supermassif engloutit l'équivalent de 25 M par an. L'énergie libérée produit probablement un puissant flux de gaz ionisé qui semble s'échapper dans l'espace à une vitesse relativiste estimée à environ 0.2c soit à près de 60000 km/s.

Ci-dessus, les images optiques du quasar J0313-1806 situé à 13 milliards d'années-lumière prises par DESI (z), VISTA VHS (J et Ks) et WISE (W1). Ci-dessous à gauche, la cartographie du quasar établie par ALMA de l'émission de la poussière et dans la raie interdite du [CII]. A droite, agrandissement du spectre autour de la raie [CII] qui permit aux astrophysiciens de calculer le décalage Doppler, la luminosité et la masse du quasar. Documents F.Wang et al. (2021).

Selon les chercheurs, "L'existence d'un trou noir supermassif à peine ~670 millions d'années après le Big Bang remet en question de manière significative les modèles théoriques expliquant leur croissance." Des observations régulières de ce BAL QSO de l'ère de la réionisation fourniront aux chercheurs un moyen d'étudier les effets de la rétroaction des AGN sur la croissance des premières galaxies massives.

En 2011, Daniel J. Mortlock de l'Imperial Collège de Londres et ses collègues découvrirent le quasar ULAS J1120+0641 dans la constellation du Lion à z = 7.085 soit plus de 13 milliards d'années-lumière de la Voie Lactée. Il abrite un trou noir supermassif d'environ 1.6 million de masses solaires qui absorbe l'équivalent de 25 M chaque année.

Notons également que le quasar le plus lointain détecté grâce à l'effet d'une lentille gravitationnelle est J043947.08+163415.7 alias UHS J043947.08+163415.7 situé à z = 6.51 soit 12.87 milliards d'années-lumière. C'est aussi le quasar le plus brillant détecté par cette méthode à z > 5 (cf. X.Fan et al., 2019). Voici une des rares images de ce quasar prise par le HST et publiée en 2019. Grâce à cette lentille gravitationnelle représentée par une galaxie pâle située à z ~ 0.7, la luminosité de ce quasar divisé en trois images a été amplifiée ~50 fois soit de 4 magnitudes.

La radiogalaxie la plus lointaine est TGSS1530 située à z = 5.72 soit environ 12.7 milliards d'années-lumière, non loin de la fin présumée de l'ère de la réionisation de l'Univers. Elle fait partie des radiogalaxies à haut redshift (HzRG) les plus massives à cette distance (cf. A.Saxena et al., 2018).

A gauche, cartographie de la radiogalaxie TGSS1530 située à z = 5.72 réalisée au cours du sondage UKIDSS (en bandes y, J, H, K) superposée à la carte de contours du VLA à 1.4 GHz. A droite, images de TGSS1530 enregistrées par le télescope Gemini North de 8.1 m de diamètre d'Hawaï. Documents A.Saxena et al. (2018) adaptés par l'auteur.

Comme les autres membres de cette famille, elle contient de grande quantité de poussière et de gaz et se situe au centre d'un amas de galaxies voire de proto-galaxies qui peut renseigner les astronomes sur l'assembage et l'évolution des structures à grande échelle dans le jeune univers juste à l'époque où le gaz emplissant l'univers passa de l'état neutre à ionisé. Sa distance fut confirmée par les données spectrographiques enregistrées grâce aux télescopes Gemini North et LBT.

TGSS1530 mesure environ 11400 années-lumière de diamètre, une valeur typique pour ces galaxies HzRG et comparable à celle des autres radiogalaxies situées à z > 4. Analysée au radiotélescope, sa luminosité est de 29.1 W/Hz à 150 MHz, ce qui la place parmi les plus lumineuses à cette époque.

Les Petits Points Rouges

Avant le lancement du télescope spatial James Webb (JWST) opérationnel depuis mi-2022 et sensible à l'infrarouge proche et moyen, il était difficile de sonder l'univers lointain au-delà de z ~ 7.7 soit plus de 13 milliards d'années-lumière. En effet, au-delà de cette distance propre le rayonnement des astres est décalé vers l'infrarouge en raison de l'important effet Doppler, rendant les télescopes optiques moins efficaces voire aveugles à moins qu'ils ne soient de très grand diamètre comme le futur ELT de 39 m de l'ESO qui devrait être capable de distinguer des objets jusqu'à z ~ 30.

Mais depuis que le JWST est capable de sonder le ciel ultra profond en infrarouge moyen, après seulement deux années d'activité ce sont des centaines de "Petits Points Rouges" (Little Red Dots) qui furent découverts entre 3 < z < 13.3 soit entre 11.5 et 13.4 milliards d'années-lumière, vraisemblablement des quasars et des galaxies massives poussiérieuses abritant déjà des trous noirs massifs ou supermassifs. Leur présence si tôt après le Big Bang remet en question les théories sur l'évolution des galaxies et le modèle ΛCDM. On y reviendra en détails.

On estime que de nouveaux records seront établis à l'avenir par d'autres quasars et AGN évoluant entre 15 < z < 30 qui seront probablement découverts grâce aux sondages LoTSS et DESI notamment ainsi que par le JWST, sans oublier le support d'ALMA, de l'ELT et éventuellement des instruments sensibles aux rayons X comme Chandra si ces objets abritent un trou noir entouré d'un disque très chaud rayonnant dans la bande X.

Prochain chapitre

Le modèle unifié des noyaux actifs de galaxies

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 -



Back to:

HOME

Copyright & FAQ