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L'astronautique

Buran et l'ATV (V)

Côté soviétique, la navette spatiale Buran (Bourane) connut un triste sort. Les Soviétiques y pensaient depuis les années 1950 à des fins militaires. "Tempête de neige", telle est son nom, est à l'image de la navette spatiale américaine dont les secrets de fabrication seront subtilement détournés par Internet alors qu'il n'était encore qu'un petit réseau de communications accessible aux chercheurs... et aux espions.

Buran fut construite par la société MiG qui sous-traita le projet à la firme Molniya créée pour l'occasion. Sa construction débuta en 1976, les autorités se donnant pour objectif de l'inaugurer en 1984. Le mot d'ordre était clair : faire mieux que les Américains.

Buran fut construite en trois exemplaires opérationnels et cinq autres destinés aux tests. Mais si elle pouvait voler en dehors de l'atmosphère encore fallait-il trouver un moyen de l'y envoyer. Les ingénieurs soviétiques proposèrent de construire une nouvelle fusée "Energia" qui porterait l'Orbiter et qui est pratiquement équivalente au tank externe américain, mais en mieux.

Deux projets soviétiques, deux échecs. A gauche, Buran, un vol plané parfait mais dure sera la réception. Aujourd'hui Buran est exposée dans le parc d'attraction Gorki à Moscou et se visite pour quelques roubles. A droite, le prototype (concept) Kliper soviétique abandonné en 2006. Documents NASA/MSFC/RSA et RSA.

Capable de soulever une charge plus lourde que le modèle américain, Energia utilisa également du fuel liquide qui est de loin plus sécurisant tout en permettant d'économiser de la place pour le frêt, mais il est beaucoup plus cher. Rappelons que si la NASA n'avait pas eu de contraintes budgétaires, les deux équipages des navettes spatiales Challenger et Columbia n'auraient jamais été perdus.

En 1986, Buran avait déjà trois ans de retard sur le planning lorsque ses ailes arrivèrent au site de lancement et d'assemblage de Baikonour. Après la résolution des problèmes d'assemblages, de perte d'hélium et autres malfonctions il fallait encore tester la fusée Energia en charge. Les ingénieurs espéraient clore le projet pour 1987. Trois équipes d'ingénieurs se succèderont et finalement le premier vol d'essai fut réalisé en 1988.

Toute auréolée de sa gloire, Buran fut présentée au Salon du Bourget en 1989 sur le dos d'un Antonov An-225 (cf. cette vidéo).

La navette Buran OK-TVA exposée au centre d'exposition VDNH de Moscou.

Malheureusement, son nom était prémonitoire. Prise dans la tempête politique qui allait secouer et démembrer l'Union Soviétique, Buran ne put échapper à la crise et fut abandonnée faute d'argent.

Sur les huit navettes de test et de production ayant été construites, deux voire trois navettes furent détruites mais cinq autres ont été conservées. Deux sont entreposées à l'usine Energiya (OK-ML destinée aux tests statiques et OK-KS destinée aux tests d'intégrations) et une à Baïkonour (OK-MT, une maquette d'ingénierie) tandis qu'une quatrième (OK-TVA destinée aux tests statiques) présentée à gauche fut exposée au parc Gorki de Moscou avant d'être restaurée et présentée au centre d'exposition VDNH de Moscou où elle reçoit un peu plus d'attention.

La cinquième navette (OK-GLI), la seule qui vola, après avoir été abandonnée par un acheteur australien dont l'entreprise tomba en faillite, fut rachetée en 2004 par le Technik Museum Speyer d'Allemagne où elle fut restaurée et est exposée depuis 2008.

Moralité de l'histoire, si l'espionnage industriel peut épargner des années de recherches et beaucoup d'argent à son commenditaire, bien mal acquis ne profite jamais.

La Russie imagina ensuite construire une petite navette appelée Kliper, initialement prévue pour remplacer les modules Soyouz. Mais suite à la décision des Etats-Unis d'annuler le programme des navettes spatiales et d'investir dans le projet "Crew Exploration Vehicle" (CEV), l'agence Roskosmos (RSA) annonça en juillet 2006 l'annulation du programme Kliper.

En fait, il semble que la Russie souhaite de plus en plus coopérer avec l'ESA en participant notamment au programme "Advanced Crew Transportation System", ACTS, également appelé "Euro-Soyouz" destiné aux missions vers la station ISS. Le projet fut à l'étude jusqu'en 2008. A l'époque, on envisageait la participation du Japon mais il ne réalisa qu'une mission en 2009. Consultez cet article de la Planetary Society ainsi que ce fichier PDF (7 MB) de Belspo pour plus de détails.

Entre-temps, le Japon abandonna en 2003 son projet de navette spatiale "Hope-X" longue de 14 mètres pour se concentrer sur les satellites et l'exploration spatiale.

La fusée Ariane et ses concurrentes

De son côté le projet de navette spatiale européenne "Hermès" fut abandonné en 1992 au bénéfice d'un programme humanitaire. L'Agence Spatiale Européenne a malgré tout gagné son pari; Ariane est plus forte que jamais. Elle est capable de jouer la carte de la concurrence avec ses rivaux Américains, Russes ou Japonais et son carnet de vol est réservé à plusieurs années d'avance.

L'avenir se joue déjà aujourd'hui avec le programme Ariane 6 dans lequel l'Europe a investi 8 milliards d'euros sur 10 ans. C'est le concurrent direct du programme américain COTS (acronyme de Commercial Orbital Transportation Services) actuellement développé par la NASA en collaboration avec le secteur privé dont l'entreprise Space X d'Elon Musk et son lanceur Falcon 9 complété par le module cargo Dragon. Mais selon le rapport des auditeurs de la Cour des Comptes de France publié en 2019, le programme Ariane 6 ne peut pas concurrencer le secteur privé américain. En fait, l'ESA maintient son programme spatial uniquement pour garantir son indépendance vis-à-vis des États-Unis et de la Russie.

Aux dernières nouvelles, les fusées Vega C et Ariane 6 seront prêtes vers la mi-2024. Quant aux autres projets (navette, etc), en 2024 ils étaient toujours au stade du développement. Mais à force de ne rien proposer et d'être l'outsider, à terme l'Europe risque de perdre de gros contrats, notamment concernant toutes les missions lunaires que s'accaparent actuellement ses concurrents (USA, Japon, Inde, etc).

A lire : Le rapport d'audit 2019 à propos d'Ariane 6, Cour des Comptes

A voir : Ariane 6 - Les chiffres clés (Infographie du CNES)

A gauche, la fusée Ariane 5 (3e vol d'essai D503 en 1998) : fer de lance de l'Europe spatiale, elle a acquis du poids et de la maturité. C'est aujourd'hui le premier lanceur mondial avec une moyenne d'un lancement tous les 2 mois. Juste à sa droite, une configuration possible de la fusée Ariane 6 dont le premier vol commercial devrait avoir lieu mi-2024. Voici la vue éclatée d'Ariane 6. Au centre et à droite, ses concurrents : la fusée américaine Titan 4B (en 2004, emportant le satellite DSP-22), la fusée russe Proton K (en 2000, emportant le module Zvezda vers la station ISS) et la fusée Falcon Heavy de Space X (vol inaugural du 6 février 2018). Documents ESA, ESA, Pat Corkery/Lockheed Martin, NASA et Brady Kenninston/Spaceflight.com.

Comparé à un lancement depuis le cosmodrome de Baïkonour, la Guyane a l'avantage de se situer à seulement 5° au nord de l'équateur où la vitesse de rotation de la Terre est la plus élevée. Ainsi, à Baïkonour la vitesse de rotation de la Terre est de 1160 km/h alors qu'elle atteint 1670 km/h à Kourou. Cette configuration permet à l'ESA de placer des charges en orbite en utilisant deux fois moins d'énergie que depuis le site de lancement russe. Autrement dit, un Soyouz qui serait lancé depuis Kourou pourrait emporter une charge de 3 tonnes en orbite géostationnaire contre seulement 1.7 tonne à Baïkonour, rendant le site de Kourou très intéressant pour de nombreux clients.

L'ATV "Jules Verne"

Pour conserver son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis ou de la Russie et en prévision du déclassement des navettes spatiales, le 9 mars 2008, la fusée européenne Ariane 5 lança avec succès son Véhicule Automatique de Transfert ou ATV baptisé « Jules Verne », le premier vaisseau ravitailleur européen destiné à la station ISS.

Ce vaisseau-cargo est le premier vaisseau non habité capable de s'amarrer automatiquement à la station ISS sans aucune intervention humaine grâce à un téléguidage par GPS et laser.

Ultra-sophistiqué, l'ATV (Automated Transport Vehicle) contient des réserves d'eau, des vivres, du carburant et du matériel scientifique pour la station ISS, à laquelle il reste attaché pendant six mois. Selon l'ESA, l'ATV est le "véhicule le plus lourd et le plus complexe jamais réalisé par l'Europe [...] L'arrimage d'une charge de 20 tonnes avec un complexe orbital de la taille de l'ISS, cela ne s'est encore jamais fait ! ", a déclaré Jean-Jacques Dordain, le directeur général de l'ESA.

Développé depuis 1995 par le groupe européen EADS-Astrium Space Transportation, l'ATV est un cylindre métallique de 10 m de long et de 4.50 m de diamètre, suffisamment vaste pour contenir un bus londonien à deux étages ! Près de la moitié de son poids soit 9.5 tonnes sont consacrées au fret, ce qui représente trois fois plus que les actuels cargos russes Progress. L'ATV a coûté 1.3 milliard d'euros.

Illustrations artistiques de l'ATV "Jules Verne" de l'ESA sous différents angles. Il est entré en service le 9 mars 2008. Documents CNES et ESA.

Pour assurer ce vol, la fusée Ariane 5 a été spécialement équipée d'un moteur qui s'alluma deux fois pour placer le vaisseau sur l'orbite adéquate à environ 300 km d'altitude.

L'ATV est propulsé par quatre moteurs lui permettant de rejoindre la station ISS en moins de 6 heures (depuis 2012). Une fois amarré au module russe Zvezda situé à l'arrière de la station ISS, l'ATV fait partie intégrante de la station orbitale. Outre la fonction de ravitaillement, grâce à ses moteurs, il peut rehausser l'altitude de la station ISS qui a tendance à décroître avec le temps. Comme l'ancien module russe Progress, au bout de six mois, rempli de tonnes de déchets, l'ATV est largué et se désintègre au-dessus du Pacifique. L'ESA lança quatre autres ATV jusqu'en 2015.

En 2013, un accord fut signé entre l'ESA et la NASA concernant la collaboration de l'agence spatiale européenne au dévelopement du vaisseau Orion qui devrait également assurer les missions de l'AVT et transporter des astronautes vers la station ISS à partir de 2017.

SpaceX inaugure le vol spatial commercial

En 2005, la société SpaceX d'Elon Musk remporta un contrat avec le NASA pour lui fournir un lanceur cargo et 12 capsules spatiales. SpaceX s'engagea également à placer sur orbite de petites charges utiles.

Alors que devant la presse Elon Musk se donnait 1% de chance de réussir, en réalité le businessman il a toujours été persuadé d'atteindre son objectif. Et de fait, SpaceX a rempli tous ses engagements. Le 30 mai 2020, SpaceX réussit même à lancer une fusée Falcon 9 équipée de la capsule habitée Crew Dragon vers la station ISS, lançant l'ère du vol spatial commercial. On y reviendra à propos des vaisseaux spatiaux Falcon, SLS, Dragon et Orion.

A voir : Crew Demo-2, SpaceX, 30 mai 2020

Le lancement de la Fusée Falcon 9 au sommet de laquelle est fixée la capsule habitée Dragon Endeavour embarquant les astronautes Robert Behnken et Douglas Hurley le 30 mai 2020 depuis le pas de tir 39A du KSC pour un vol automatique vers la station ISS. A droite, la capsule s'approchant du dispositif d'amarrage de la station ISS. Documents SpaceX et NASA/ISS/SpaceX.

Les projets "X" et les petites navettes de ravitaillement

Si nous voulons que l'exploration de l'espace devienne un jour de la routine et soit aussi simple et fiable que prendre un avion, les ingénieurs ont encore de gros progrès à accomplir.

Nous verrons plus loin que les astronautes ont payé très cher leur soif de conquérir le ciel. La cause de ces accidents tragiques s'explique par la manière dont l'homme explore l'espace : elle est encore très inefficace et très risquée. Non seulement, la méthode de lancement est encore basée sur la force brute avec l'utilisation de pergols très dangereux car explosifs, mais le retour sur Terre en capsule spatiale exploite une technologie primitive. Se greffe sur ces défauts de jeunesse, le coût exhorbitant des missions spatiales du fait que pratiquement aucun lanceur n'est récupérable.

Pour éliminer ou contourner ces risques et ces problèmes, nos experts doivent inventer des systèmes plus fiables, plus rentables et donc plus faciles à construire. A terme, le gros avantage sera de pouvoir fabriquer des lanceurs fiables en grande série, la seule façon de démocratiser l'accès à l'espace.

L'industrie aérospatiale développe autant des avions furtifs que des chasseurs de nouvelle génération, des satellites ou des transporteurs hypersoniques parmi d'autres projets, souvent tenus secret parfois durant plus de dix ans pour des raisons stratégiques ou commerciales.

Parmi les projets d'avions spatiaux, il faut bien entendu citer la défunte navette spatiale américaine. Plus récemment, d'autres projets ont vu le jour autour des avions-fusées mais très peu ont dépassé le stade de la maquette ou des tests pour des raisons à la fois liées au coût et aux difficultées rencontrées. Citons le projet britannique HOTOL (HOrizontal TakeOff and Landing) inventé dans les années 1980 et abandonné dans les années 1990, l'avion spatial Skylon à moteur à réaction SABRE (Synergetic Air-Breathing Rocket Engine) inspiré de l'HOTOL, le projet européen LAPCAT, le projet DC-X Clippergram de McDonnel Douglas abandonné en 1997 ainsi que les fameux projets "X" sur lesquels l'aéronautique comme l'astronautique fondent beaucoup d'espoirs. Décrivons quelques-uns d'entre eux.

A gauche, le X-43A Scramjet hypersonique de la NASA qui réussit son premier vol d'essai en mars 2004, atteignant Mach 9.6 (11250 km/h). A droite, illustration du X-59 dont voici une autre photo. Documents NASA.

Idéalement, l'avion spatial est un transporteur hypersonique pouvant atteindre 80 km d'altitude (contre 22 km pour le X-15) et capable d’effectuer le tour de la Terre en 45 minutes. Projet très ambitieux, très coûteux mais aussi très difficile à mettre en oeuvre compte tenu des problèmes liés à un vol en atmosphère raréfiée, les problèmes aérodynamiques d’un vol hypersonique à plus de Mach 6 et des problèmes liés aux bombardements corpusculaires.

Pour l'heure, le seul projet en développement est l'avion hypersonique de Boeing sur lequel l'avioneur américain travaille depuis les années 2010 avec son prototype d'avion X-51 qui vola pour la première fois en 2010. Mais Boeing étant une entreprise privée et les problèmes complexes, la durée de développement d'un tel projet s'étend sur plusieurs décennies. Boeing ne prévoit pas de vol commercial hypersonique avant 2040 ou 2050.

A ce jour, les projets "X" comme le X-34, le X-59 et autres véhicules réutilisables légers (LRV) se succèdent chez Lockheed Martin Skunk Works, McDonnell Douglas, Boeing, Northrop Grummann et autre Rockwell mais aucune décision n'a encore été arrêtée. Seuls succès, le X-43A alias "Hyper X" a réussi son premier vol d'essai en mars 2004 et en 2006 Lockheed Martin remporta le contrat préliminaire pour la construction du vaisseau Orion.

A lire : Un avion peut-il voler dans toute l'atmosphère ?

A gauche, illustration de la navette X-33 de Lockheed Martin. Au centre, illustration du Dream Chaser que l'entreprise Sierra Nevada Corp. proposa à la NASA pour assurer le transport des astronautes et du frêt vers la station ISS. Cette navette utilise les moteurs Vortex d'Orbitec qui fonctionnent au propane et au protoxyde d'azote. Lancer par une fusée, elle s'envolera vers la station ISS probalement en 2024. Documents NASA-DFRC, NASA/KSC et Space.com.

En fait, la NASA a tiré les leçons des tragédies de la navette spatiale et est temporairement revenue à son lanceur classique : une fusée chapeautée soit par une petite une navette (par ex. le Dream Chaser de Sierra Nevada qui assurera des missions vers la station ISS en principe à partir de 2024 (avec 3 ans de retard sur le planning) soit par une capsule autonome, le CEV Orion, un module de commande hybride. Cette solution tire avantage de la polyvalence de la navette spatiale et de la sécurité de la capsule Apollo, rendant le système beaucoup plus fiable et robuste qu'une navette spatiale tout en étant plus économique.

L'ère des avions-fusées est donc reportée à une date indéterminée et probablement postposée de plusieurs générations. Nous aurons de la chance si nos petits-enfants pourront en profiter vers 2050 ou 2100. On y reviendra à propos du tourisme spatial.

Dernier chapitre

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