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La Bible face à la critique historique

Joseph auprès des jeunes Jésus et Jacques. Document T.Lombry.

Les frères et soeurs de Jésus

La fraterie de Jésus est une énigme car les textes ne décrivent pas en détails la filiation des "frères" et "soeurs" de Jésus ou de manière évasive et prêtant à confusion. A partir des différents textes néo-testamentaires, plusieurs hypothèses se dégagent.

Première hypothèse : Luc qualifie Jésus de "fils premier-né de Marie" (Luc 2:7). Cela sous-entend que Jésus était l'aîné mais pas le fils unique de Marie (ou vierge Marie pour la différencier des autres Marie).

Selon Matthieu (v. 1.25), après la naissance de Jésus, Marie devint officiellement la femme de Joseph. Les habitants de Nazareth s'étonnèrent de la différence d'âge entre "le fils du charpentier" et ses frères et soeurs, précisément parce qu'ils étaient de la même famille (Matthieu 13:54-56). Vu la grande différence d'âge entre Joseph et Marie, on en déduit que la fraterie de Jésus est issue d'un mariage précédent entre Joseph et une certaine Escha ou Salomé. Certains de ces enfants (ceux qui ne sont pas de Marie) n'ont donc aucun lien de parenté avec Jésus si ce n'est que Marie les a tous éduqués.

Deuxième hypothèse : Plusieurs Évangélistes évoquent les "frères de Jésus" en précisant que Marie est leur mère (Matthieu 12:46, Marc 3:31, Luc 8:19, Jean 2:12, Actes 1:14), mais aucun auteur ne dit qu'ils n'étaient pas les enfants de Marie. Par conséquent, cela signifierait que Jésus serait né du second mariage de Joseph et serait, comme le précise Luc, le premier-né de Marie.

Outre Jésus, Marie aurait encore eu par la suite six enfants, dont quatre fils et deux filles, nés soit de Joseph soit de son frère Cléopas (qui signifie "remplacer" ou "changer") dont seul Jean évoque l'existence (Jean 19:25). Ces 6 ou 7 autres enfants de Marie seraient donc les demi-frères et demi-soeurs de Jésus.

Ce père adoptif est également appelé Alphée en grec et aurait assumé la fonction paternelle après la mort de son frère Joseph. En effet, la tradition du lévirat (propre au mariage avec un frère du défunt) voulait que le frère célibataire épouse sa cousine veuve (Marie) et adopte ses enfants, et si elle n'en avait pas il devait obligatoirement lui faire un enfant. Mais aucun auteur du Nouveau Testament ne cite explicitement cette tradition.

Troisième hypothèse : la fraterie de Jésus est née de l'union de Cléopas (Alphée) et de Marie, la soeur de la vierge Marie. Dans ce cas, ces enfants sont les cousins et cousines de Jésus. Mais les Évangélistes n'utilisent pas le mot "cousin(e)" à propos des frères et soeurs de Jésus. Or, Marc utilise le mot cousin quand il cite par exemple le cousin (anepsios) de Barabas. De même les apôtres n'utilisent pas le mot neveu (fils de la soeur) à propos des frères de Jésus alors qu'ils l'utilisent pour qualifier le neveu de Paul (Actes 23:16). Enfin, les Évangélistes et Paul utilisent le mot parent (et cousin) pour préciser l'ascendance de certaines personnes (Marc 6:4, Luc 1:36, Jean 18:26, Actes 10:24, Romains 9:3, etc.). De là on déduit que si aucun auteur n'utilise les mots frères et cousins à propos de la fraterie de Jésus, cela signifie que ces enfants ne sont pas réellement du même sang que Jésus. Il pourrait donc s'agir d'un enfant adopté, bien que cela contredise Luc (v 2.7).

Quatrième hypothèse : la conception miraculeuse de Jésus, un concept purement dogmatique.

Quelle hypothèse faut-il retenir ou quelle conclusion peut-on tirer de ces différentes hypothèses ?

Frère de sang et frère par alliance

On admet généralement que Jésus était le frère aîné de la famille et étant donné que Joseph disparut ensuite des Évangiles et n'est pas présent au bas de la croix, on suppose qu'il est décédé entre-temps, étant probablement assez âgé.

Une vieille rumeur remontant à l'aube du christianisme prétend que Jésus étant le fils de Dieu, il était enfant unique, un fils adopté que les juifs considéraient comme d'ascendance davidique. Mais il y a un passage dans les Évangiles qui cite clairement les frères de sang de Jésus, c'est-à-dire enfantés par Marie.

La famille supposée voire putative de Jésus après le décès de Joseph. Son frère aîné Cléopas et Marie sont entourés de leurs 7 ou 8 enfants dont 5 fils et 2 ou 3 filles. A gauche, Jésus a 10 ans et se tient à la droite de Marie (en voile blanc) qui a 25 ans. A droite, Jésus à 25 ans et est debout à la droite de Marie (en voile brun) qui a 40 ans. Documents T.Lombry.

Le Nouveau Testament évoque quatre hommes comme étant les "frères" de Jésus : le plus connu est Jacques dit le Juste qui fut le chef de l'Église de Jérusalem dans les années 50, puis Joseph (Joses), Simon et Jude : "N'est-ce pas le fils du charpentier ? N'est-ce pas Marie qui est sa mère ? Jacques, Joseph, Simon et Jude, ne sont-ils pas ses frères?" (Marc 6:3, Matthieu 13:55). Quant à ses éventuelles soeurs, les textes canoniques ne donnent pas leur nom et leur nombre varie d'une confession à l'autre.

Si nous faisons le total des enfants, étant donné que les Évangiles sous-entendent qu'ils étaient tous adultes à l'époque de Jésus, avant même que Marie eut 45 ans (15 ans maximum à son mariage + les 30 ans de Jésus), il est possible que sa famille comprenait 7 ou 8 enfants, cinq garçons dont Jésus et deux ou trois filles.

En conclusion tous les enfants à l'exception de Jésus seraient issus du mariage précédent de Joseph et seraient donc plus âgés que Jésus. Une alternative mais peu probable vu ce que dit Matthieu est que Marie donna naissance à tous les enfants, ce qui correspondrait à une naissance non géméllaire tous les 3.5 ans, ce qui est plausible. On reviendra en fin de page sur la fraterie de Jésus.

La question de la fraternité de Jésus fut bien entendu examinée par les différentes Églises. En résumé, si on exclut la dernière hypothèse de l'enfant conçut miraculeusement à laquelle s'arqueboute l'Église, étant donné les avis confus voire divergeants entre les différents auteurs néo-testamentaires, tous les cas de figure sont permis. En conclusion, du fait qu'il nous manque des informations précises, l'énigme de la fraterie de Jésus ne peut pas être résolue.

Jésus à 6 ans (gauche ), à 10 ans et aux yeux verts (centre) et à 12 ans (droite). Documents T.Lombry.

Ce n'est un secret pour personne que dans tout le Moyen-Orient et en Afrique, tout le monde est qualifié de "frère" sans qu'il y ait obligatoirement un lien de sang. En effet, dans le contexte de la doctrine cela ne change rien aux traductions de la Bible car dans la bible hébraïque, le mot "frère" (hâ) désigne également les relations éloignées comme les cousins.

De plus, dans certains passages, la Septante rédigée en grec utilise également le mot "frère" (adelphos), un terme d'autant plus accepté que les Évangiles furent directement rédigés en grec. On ne peut donc pas affirmer avec certitude que Jésus avait des frères ou des soeurs de sang, une idée qui de toute façon ternirait la doctrine de l'Église. C'est pour cette raison que l'Église catholique a estimé que les "frères" de Jésus étaient en fait des cousins tandis que l'Église protestante les considèrent comme des demi-frères de Jésus nés après sa naissance.

Sur le plan de la doctrine juive, la fraterie de Jésus ne pose aucun problème particulier. Que Jésus soit enfant unique ou qu'il ait eu des demi-frères et demi-soeurs est supporté par les résultats de l'analyse détaillée des deux branches de la famille royale de David décrites par les évangélistes Matthieu et Luc. En effet, la tribu d'Eléazar engendra Joseph à la quatrième génération et la tribu de Lévi engendra Marie à la quatrième génération. De plus, les textes considèrent que Joseph n'était "que" le père adoptif de Jésus. Il n'est donc pas nécessaire que l'Église catholique lui invente des cousins.

Toutefois, comme expliqué précédemment, si Jésus fut un enfant adopté et donc sans lien de sang avec Joseph, l'évangéliste Luc a tout de même trouvé un subterfuge pour valider la généalogie davidique de Jésus en la retraçant.... par Marie, faisant de cet enfant illégitime un membre à part entière de la famille royale !

Quelques enfants de la famille de Joseph (et de Cléopas) et Marie. Cf. la généalogie davifique de Jésus (traditionnelle). Documents T.Lombry.

Jacques le Juste

Pour Jésus, Jacques le Juste occupait une place à part et le surnommait le "bien-aimé" (à ne pas confondre avec "celui que Jésus aimait" donné à Jean ni avec les apôtres Jacques le Majeur et Jacques le Mineur).

Jacques le Juste était également très apprécié des apôtres pour sa droiture et sa sagesse, d'où son surnom. Néanmoins, comme eux il mit du temps pour croire en Jésus et on suppose qu'il n'eut vraiment la foi qu'après la Résurrection. Dans ses Épîtres, Paul de Tarse le présente comme le chef des chrétiens (1 Corinthiens 9:5). L'Évangile de Thomas découvert à Oxyrhynque (et une copie en copte à Nag Hammadi) et datant de 140-250 déclare dans son 12e logion ou parole à propos de Jésus : " 'Nous savons que tu nous quitteras. Qui sera notre guide alors ?' Jésus leur dit : 'Où que vous alliez, vous irez vers Jacques le Juste, pour qui le ciel et la terre ont été créés'". C'est la plus ancienne source que nous possédons confirmant que Jésus donna la direction de la communauté des apôtres à son frère Jacques. Rien d'anormal après tout que Jésus transfert le rôle de chef de famille à son frère cadet. On reviendra sur le rôle de Jacques le Juste lorsque nous décrirons le profil des apôtres et des disciples de Jésus.

Icône représentant l'apôtre Jacques, Iakovos, par l'Église orthodoxe. Comme son frère Jésus, il mourut en martyre. Document T.Lombry.

Jacques fut surnommé le Juste par l'écrivain Hégésippe en 115 et par le Père de l'Église Clément d'Alexandrie en 150. A cette époque, alors que toute référence à Jésus s'estompait au profit du symbole qu'il représentait, le qualificatif "Juste" et la référence au "ciel et la terre" sont une réminiscence de la tradition juive qui prétend que le monde n'existe et ne continuera d'exister que grâce à la vertu exceptionnelle de quelques êtres essentiels à l'équilibre du monde. Le lien de sang prévalant sur l'amitié, c'est probablement la raison pour laquelle Jésus choisit son frère de sang plutôt que Pierre ou quelqu'un d'autre pour poursuivre son oeuvre. De plus, selon les textes, son frère était plus calme et s'emportait moins vite que certains autres apôtres. Toutefois, nous verrons à propos de la querelle paulienne que la vision de Jacques et celle de Paul ont rapidemenrt divergé, au point que la Grande Église adopta la vision paulienne et écarta la plupart des textes de Jacques, jugés non oecuméniques et pro-juifs. On y reviendra.

Si les apôtres confirment que Jésus avait des frères, Marc et Matthieu rapportent que pour Jésus la fraternité avait un sens plus large : "Il y avait une foule assise autour de lui et on lui dit : 'Voilà que ta mère et tes frères et tes soeurs sont là dehors qui te cherchent.' Il leur répond : 'Qui est ma mère ? et mes frères ?' Et, promenant son regard sur ceux qui étaient assis en rond autour de lui, il dit : 'Voici ma mère et mes frères. Quiconque fai la volonté de Dieu, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère" (Marc 3:31-35, Matthieu 12:46-50).

Toute la difficulté est de corroborer ces affirmations avec des faits (par exemple des traces génétiques communes dans d'éventuels ossements de Marie, Joseph et leurs enfants) et avec le texte biblique qui prétend que Jésus fut engendré par la volonté divine. Car le problème est bien qu'il s'agit d'un récit sacré qui ne s'appuye que sur des prophéties de l'Ancien Testament (la tradition juive) et des miracles décrits dans le Nouveau Testament.

Il faut insister que le fait que parmi les quatre Évangélistes, seuls Matthieu et Luc décrivent les circonstances de la venue au monde de Jésus alors que Marc et Jean (la communauté johannique) commencent leur Évangile lorsque Jésus est déjà adulte. On peut en déduire que soit la naissance et l'enfance de Jésus n'avaient rien de particulier pour Marc et Jean soit que le sujet de leur évangile portait sur la parole du Christ et non sur la biographie de l'homme.

Mais il est curieux pour ne pas dire interpellant que les auteurs du texte le plus ancien et du plus récent n'évoquent pas la "conception virginale" du Christ alors que les deux autres Évangélistes considèrent cet évènement comme extraordinaire, ce qui indique déjà une divergence d'opinions entre les auteurs. Sachant que seule l'Église catholique insiste sur le terme "Saint-Esprit", une conclusion que nous avons déjà évoquée à propos du dogme se démarque parmi les autres : il n'y a jamais eu de "conception virginale", une notion gogmatique plus proche du mythe que de la réalité.

Le vitrail de la parabole du "Fils prodigue" des Évangiles (Luc 15) présenté dans le choeur de la cathédrale de Chartres. Cette parabole rappelle que le pêcheur ne doit jamais désespérer de recevoir un jour le pardon du Père, de Dieu. C'est la même raison qui fait dire à Jésus que tous les hommes et femmes ayant la foi sont ses frères et soeurs.

On retrouve ici la même idée que dans l'Ancien Testament évoqué précédemment et la plupart des récits mythologiques ou sacrés dans lesquels des souverains ou des surhommes sont nés de parents humains avec l'intercession d'un dieu. On retrouve cette idée avec la naissance légendaire de Romulus et Remus, fondateurs de Rome en 771 avant notre ère, dont la mère Rhéa Silvia est tombée enceinte des oeuvres divines de Mars.

Comme le rappelle Guéshé Kelsang Gyatso dans son "Introduction au Bouddhisme" (2004) c'est également le cas de Bouddha né en 624 avant notre ère. Sa mère, la reine Mayadévi rêva qu'un éléphant blanc descendit du Paradis et entra dans son ventre. L'enfant ainsi conçu était un être pur et puissant. A sa naissance, certains signes indiquèrent qu'il pouvait "devenir soit un roi [...] régnant sur le monde entier soit un bouddha pleinement illuminé".

Vu sous cet angle, l'histoire de la conception miraculeuse de Jésus est suffisamment extraordinaire pour être considérée comme une légende inventée pour embellir l'arrivée du Messie qui, sans ce contexte, serait trop banale dans l'esprit des fidèles, non conforme à la venue du "Fils de l'homme" prédit par les prophètes (on y reviendra) et qu'on imagine facilement entouré de sa Gloire (que l'Église a représenté par les Anges) comme le décrit la Bible. Et à l'inverse, fidèle à l'humilité de Jésus, sa naissance dans une grotte-étable présente suffisamment de réalisme pour répondre à ses détracteurs.

Bref, cette conception divine de Jésus fait partie de ce style littéraire théologique antique visant à accréditer le caractère extraordinaire du personnage et de sa destinée, une explication aujourd'hui acceptée par la plupart des spécialistes. Bien entendu l'Église refuse cette explication rationnelle tout en reconnaissant la nature sacrée des textes bibliques, la conception de Jésus par l'entremise du Saint-Esprit étant au coeur du dogme au même titre que la résurrection.

Mais cette théologie eut des conséquences parfois dramatiques sur la vie des chrétiens. Il y eut d'abord le Crédo dont tout écart était synonyme de blasphème voire d'hérésie puis l'obligation de respecter tout au long de l'année et à la lettre le calendrier des fêtes liturgiques et leurs contraintes. Mais pire encore pour un esprit libre de tout carcan doctrinaire, il y a la question de la sexualité de Jésus et de ses parents. Pour l'Église, étant donné que Jésus est le Fils de Dieu né des oeuvres du Saint-Esprit, toute une série de conséquences doivent (c'est toujours d'actualité) logiquement en découler. Depuis les premiers conciles, les papes ont essayé de convaincre les fidèles que les parents du Christ, Marie et Joseph devaient obligatoirement être aussi purs et dignes que leur fils et Seigneur, des saints personnifiés ignorant jusqu'au sens même du mot sexe, un sujet que l'Église classa rapidement parmi les tabous. Par conséquent, on ne sera pas étonné d'apprendre que la sexualité a toujours été considérée comme "l'oeuvre de Satan" par le clergé, un "mal" juste nécessaire pour assurer la descendance du nom du père (comme c'est d'usage dans de nombreuses traditions). Cela fut toujours le cas, au point qu'encore au milieu du XXe siècle les petites filles des écoles catholiques étaient réprimandées si elles jouaient avec des poupées n'ayant pas de culotte, dans certains milieux chrétiens très conservateurs le culte exige qu'hommes et femmes soient séparés, et jusqu'aux années 1980 dans les écoles catholiques garçons et filles ne pouvaient pas étudier sur les mêmes bancs ! Si ce ne sont pas des idées sectaires réglementées par une doctrine et de l'obscurantisme avec une négation même de ce qu'est la vie, cela y ressemble.

L'ossuaire de Jacques le Juste (ossuaire de Silwan)

Le fait que Jésus aurait eut une fraterie, même par alliance, reste au conditionnel car le Nouveau Testament n'est pas explicite et donc les experts sont partagés sur la question. Des écrits apocryphes présentent Joseph comme étant veuf au moment où il épousa Marie. Selon certains auteurs, Joseph et sa famille étant nazôréens, ils respectaient les règles du naziréa, dont l'une est le vœu de chasteté. Dans ce cas, ils n'eurent pas d'autres enfants. Mais sur base ne fut-ce que des Évangiles précités (Marc 6:3, Matthieu 13:55), d'autres experts ne partagent pas cette théorie.

Une découverte va dans le sens que Marie et Joseph auraient eu une grande famille, ce qui invalide aussi le troisième dogme de la virginité perpétuelle de Marie. Comme évoqué précédemment, en 1980 des archéologues découvrirent la tombe de Talpiot à Jérusalem sur laquelle nous reviendrons. La tombe contenait dix ossuaires dont un est aujourd'hui manquant dont six comportent les inscriptions correspondant à Joseph, Marie, Matthieu, Jésus fils de Joseph, Judas fils de Jésus et Marie-Madeleine/Marthe (corrigé aujourd'hui en Marie et Marthe). On fit immédiatement le rapprochement avec la famille de Jésus puis l'affaire en est restée là faute de disposer de tous les éléments historiques et génétiques pour confirmer l'authenticité des objets et tous les liens ou non liens de parenté entre les personnes.

Puis, en 2000 l'archéologue James D. Tabor de l'Université de Caroline du Nord à Charlotte et son équipe découvrirent dans la vallée d'Hinnom, près du village de Silwan (Siloé) situé à 1 km au nord de la vieille ville de Jérusalem connu pour abriter des tombes antiques, les fragments de vingt ossuaires dont certains contenaient encore des squelettes. Dans l'un des caveaux, dans une niche (loculus) se trouvait un squelette encore recouvert de son linceul (un fait rare) qui n'avait pas été déplacé dans son ossuaire comme le veut la coutume (après la décomposition du corps, environ un an après la mise au tombeau, les os du défaut étaient déposés dans un coffre taillé dans le calcaire d'environ 50x30x30 cm (de la longueur d'un tibia et aussi large qu'un crâne). Trois des ossuaires comportaient des inscriptions dont le prénom de Marie en araméen mais sous sa forme latinisée "Maria" et peut-être celui de "Salomé" (qui selon la Bible est la soeur de Marie). Ces objets furent datés du Ier siècle de notre ère. Ce type de sépulture fut en usage à Jérusalem entre l'an 10 et l'an 70 de notre ère.

A voir : Alphabets phénicien, grec, araméen et hébreu - Vieil alphabet araméen

L'"ossuaire de Jacques" ou "ossuaire de Silwan" découvert en 2002 et datant du Ier siècle. Il mesure 50.5 cm de longueur, 25 cm de large et 30.5 cm de haut. Il porte l'inscription en vieil araméen "Ya'akiv bar Yosef akhui di Yeshua", c'est-à-dire "Jacques, fils de Joseph frère de Jésus" dont voici l'agrandissement et la transcription à droite établie par Ada Yardeni de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Après dix ans d'expertises, son authenticité ou la contrefaçon n'a pas pu être établie au grand désarroi des experts. Cet ossuaire contient des ossements ainsi que celui portant l'inscription "Marie". L'analyse ADN de ces ossements n'a jamais été autorisée sous prétexte que l'ossuaire était un faux. En revanche, les ossements trouvés dans les ossuaires attribués à Jésus fils de Joseph et à Marie-Madeleine/Marthe (ou plutôt Marie et Marthe) furent analysés. Les résultats montrent qu'ils n'ont pas de lien de parenté génétique. Mais cela ne prouve pas grand chose. Documents Biblical Archaeologic Society adaptés par l'auteur.

Les archéologues n'ayant pas eu le temps de fouiller toute la tombe et contraints de revenir lors d'une autre compagne de fouilles, dans les mois qui suivirent des fragments d'ossuaires sont apparus clandestinement (car punissable par la loi) sur le marché des antiquités de Jérusalem. Parmi ceux-ci, en 2002 la "Biblical Archeological Review" annonça la découverte d'un ossuaire en calcaire présenté ci-dessus datant du Ier siècle. L'épigraphiste André Lemaire de l'EHESS déjà cité y reconnut l'inscription en vieil araméen : "Ya'akiv bar Yosef akhui di Yeshua", c'est-à-dire "Jacques fils de Joseph frère de Jésus". Après enquête, on annonça que "l'ossuaire de Silwan" provenait de la même tombe que celle découverte par Tabor et son équipe.

En 2015, le géoarchéologue Aryeh Shimron confirma grâce à des tests géochimiques que l'ossuaire de Jacques provenait de la tombe de Talpiot. Toutefois, certains indices comme les dimensions et l'aspect de l'ossuaire sont en contradiction avec les données du catalogue de Levi Rahmani ou avec l'état des autres ossuaires de la tombe de Talpiot bien mieux conservés. On y reviendra.

Selon les analyses de l'épigraphiste Alain Lemaire, la graphie de l'inscription correspond à celle en usage durant les deux premiers tiers du Ier siècle, et plus précisément la forme cursive du aleph, dalet et yod constituent un indice en faveur d'une datation plus proche de l'an 70 que du début de notre ère.

En soi, ces noms pris individuellement ne veulent rien dire car à l'époque du Christ et dans cette région, "Marie" était le prénom féminin le plus commun et "Joseph" était le second prénom masculin le plus commun après "Siméon". Quant à "Jésus", c'était également un prénom commun. La coïncidence avec le Nouveau Testament et la famille de Jésus était toutefois troublante, d'autant que c'était la première fois qu'on découvrait une pièce d'archéologie mentionnant le prénom de Jésus.

Critique de l'interprétation

Cette découverte fit évidemment la manchette de tous les journaux mais son authentificité fut remise en question, notamment la seconde partie de l'inscription "frère de Jésus" qui pour certains experts paraissait plus brute et plus récente et donc considérée comme l'oeuvre d'un faussaire. Celui-ci fut rapidement identifié comme étant a priori le collectionneur et marchand d'art Oled Golan qui avait mis l'ossuaire de Silwan en vente. Après des années d'enquêtes et de contre-expertises, un procès en contrefaçon s'est ouvert en 2012. Malgré toute la science mise en oeuvre pour tenter de prouver que l'ossuaire était authentique ou l'oeuvre d'un faussaire, après 116 audiences, les témoignages de 113 témoins et la constitution d'un dossier de 12000 pages, le verdict du juge conclut que "rien ne prouve qu'il s'agit d'un faux et rien ne prouve qu'il soit forcément authentique" et Oled Golan fut acquitté.

L'ossuaire de Jacques présenté durant l'exposition organisée en 2002 par le Musée Royal d'Ontario. Document Brian Boyle/ROM.

Comme l'a résumé Tabor : "il ne fait guère de doute que l'urne avait jadis contenu les restes d'"un certain Jacques", fils d'"un certain Joseph" et frère d'"un certain Jésus", décédé et enterré au Ier siècle de notre ère". Même si statistiquement il y a peu de chance qu'on retrouve ensemble dans la même tombe datant du Ier siècle les ossements de Jacques auprès des prénoms de Jacques, Marie, Joseph et Jésus, on ne peut pas affirmer sans autre preuve qu'il s'agit des restes de Jacques, frère de Jésus de Nazareth et ceux de sa mère, Marie. Pour cela il faudrait analyser leurs ossements, s'assurer qu'ils n'appartiennent pas à plusieurs défunts et comparer leur ADN. A ce jour, nous possédons quelques fragments d'os trouvés dans les ossuaires attribués à Jacques, Marie, Marie-Madeleine (Marie et Marthe) et Jésus fils de Joseph.

En 2003, les archéologues James Tabor et Shimon Gibson avaient demandé l'autorisation d'effectuer une analyse génétique des fragments d'os attribué à Jacques et ceux attribués à Marie. A l'époque, le directeur des Antiquités israélienne avait interdit cette analyse sous prétexte que l'ossuaire était un faux. Toutefois, en 2006 une analyse de l'ADN mitochondrial  (celui uniquement hérité de la mère) fut autorisée sur les ossements attribués à Jésus fils de Joseph et à Marie-Madeleine/Marthe. Les analyses furent réalisées par l'anthropologue et expert en paléo-ADN Carney Matheson de l'Université de Lakehead au Canada. Selon les propres mots de Matheson, les résultats montrent que "ces deux personnes n’avaient pas de lien maternel". Un mauvais enquêteur qui bâclerait son analyse dirait que celle qu'on appelle la "deuxième Marie" n'est donc pas la mère ni la soeur de Jésus. En revanche, vu qu'il existe des textes évoquant la descendance de Jésus dont l'inscription "Judas fils de Jésus", on peut penser que la présence de Marie-Madeleine/Marthe dans la tombe familiale est le résultat d'une alliance matrimoniale. Mais nous verrons à propos de la tombe de Talpiot (voir la guerre des experts) que cette conclusion était hâtive et ne respectait pas la démarche scientifique bien plus prudente et sceptique.

Malgré les critiques, suite à ces découvertes, l'idée se renforça dans l'esprit de Tabor et les partisans de sa théorie que la tombe de Talpiot était probablement le caveau familial de Jésus de Nazareth et par la même occasion que Jésus et Jacques étaient probablement frères ou plus exactement demi-frères et que Judas était bien le fils de Jésus.

Mais même si l'hypothèse d'un lien de parenté entre Jacques et Jésus est vraisemblable, nous verrons à propos que l'existence des ossements de Jacques dans un ossuaire n'est pas possible car son corps fut inhumé soit dans une fosse marquée par une pierre soit en pleine terre à Jérusalem après sa lapidation en l'an 62 (ou précipité de la tour du Temple en 66 selon une autre tradition) et aucun texte ne précise que ses ossements furent déterrés et placés dans un ossuaire. De plus, cela ne se pratiquait jamais à l'époque comme aujourd'hui on ne déterre jamais un défunt pour l'incinérer et le mettre dans une urne; ça ne sert à rien et cela occasionne des frais inutiles. C'était déjà le cas à l'époque de Jésus. L'existence des ossements de Jacques dans un ossuaire pose donc plus de questions qu'elle n'en résout quoiqu'en dise Tabor. On y reviendra.

Après la présentation de la famille de Jésus, nous allons décrire dans le prochain chapitre ce que l'on sait sur la jeunesse de Jésus. Nous allons voir que cela se résume à pas grand chose de concret et beaucoup de rumeurs.

Judas, fils putatif de Jésus et de Marie-Madeleine

Comme nous l'avons expliqué, plusieurs textes suggèrent que Jésus et Marie-Madeleine avaient une relation intime et auraient eu un enfant appelé Judas (Yehudah bar Yeshua) dont on retrouve le nom sur l'un des ossuaires de la tombe de Talpiot. Aujourd'hui, toutes ces théories restent controversées et le resteront tant que les archéologues et paléogénéticiens ne découvriront pas d'autres pièces historiques à verser au dossier et en particulier des preuves génétiques. De toute évidence, ces indices sont perdus et le dossier de la fraterie de Jésus risque d'être à jamais classé sans suite sans avoir résolu cette énigme.

A lire : La jeunesse de Jésus et les années perdues

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