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La Bible face à la critique historique

La découverte de nouveaux manuscrits (I)

Pendant des siècles, les érudits juifs et chrétiens avaient principalement à leur disposition trois sources bibliques : la Bible dans ses différentes versions confessionnelles, le texte massorétique et la Septante. Le texte latin de la Bible s'avérant le plus tardif et donc théoriquement le moins authentique, les spécialistes ont longtemps dû se reporter sur les textes traditionnels massorétiques (nom provenant de "maser" signifiant "remettre" ou "transmettre") rédigés en hébreu entre les IXe-Xe siècle de notre ère. La Septante ou "Septuaginta" sur laquelle nous reviendrons est une version grecque de la Torah rédigée par les juifs d'Alexandrie au IIIe siècle avant notre ère, les autres livres de la Bible hébraïque ayant été traduits au cours du siècle suivant.

C'est principalement à partir du XIXe siècle que les experts se sont demandés quelle était la Bible "originale" et comment pouvait-on déterminer lequel parmi les textes les plus anciens faisait autorité.

La réponse resta en suspens car on ne disposait pas à l'époque de beaucoup de manuscrits historiques pouvant servir de base de comparaison ni de moyens d'analyses suffisamment précis et rapides pour trancher la question sur des bases scientifiques. Heureusement, la découverte des fameux "Rouleaux de la mer Morte" a finalement permis de résoudre cette question. C'est l'histoire de la découverte de ces manuscrits et de ce qu'ils contiennent que nous allons décrire.

La campagne d'Égypte de Napoléon

Tout commença au cours de la campagne d'Égypte du Général Napoléon Bonaparte entre 1798 et 1801. L'écrivain, peintre, sculpteur et diplomate français Vivant Denon explorait le temple Denderah ou Temple d'Hathor construit sous Pépi 1er (VIe dynastie, 2289-2255 avant notre ère) quand il trouva une petite pièce dédiée au dieu Osiris dans laquelle il découvrit au plafond un zodiaque qui allait remettre en question l'autorité de l'Église.

Denon en fit un dessin qu'il publia dans son livre "Voyage dans la Basse et la Haute Égypte" en 1802. Par la suite, avec l'autorisation du souverain égyptien Mohamed Ali Pacha, la dalle fut détachée sans ménagement à coup d'explosif par Claude Lelorrain et expédiée au Louvre en 1821. A la place on plaça une horrible copie moulée dans du plâtre bitumé.

Le "zodiaque de Denderah" présenté ci-dessous est un bas-relief en grès de 2.55 x 2.53 m comprenant une représentation du ciel étoilé avec les douze constellations. Grâce à l'aide d'astronomes, il fut tout d'abord daté de 15000 ans avant notre ère, donc bien antérieur à l'an 4004 avant notre ère calculé par l'évêque Ussher en se basant sur la généalogie biblique. Cette controverse décida l'égyptologue français Jean-François Champollion, athée et républicain notoire, à se pencher sur le sujet.

Le zodiaque de Denderah (gauche) exposé au musée du Louvre et sa reproduction (droite).

Champollion découvrit dans des hiéroglyphes gravés sur les murs de la même salle l'équivalent des mots grecs "autocrata seigneur absolu"; il remontait donc à l'époque romaine mais s'en remit à l'avis de l'archéologue Ennius Quirinus Visconti pour sa datation : le zodiaque remontait au IIe siècle de notre ère.

Un astrophysicien découvrit également que les cinq planètes connues à l'époque étaient représentées dans une configuration céleste particulière qui n'apparaît qu'une fois tous les mille ans qui permit de dater l'évènement entre le 15 juin et le 15 août 50 avant notre ère. Deux éclipses sont également représentées exactement à l'endroit du ciel où elles se sont produites : l'éclipse solaire du 7 mars 51 et l'éclipse lunaire du 25 septembre 52 avant notre ère.

Conclusion, bien que la sculpture reprenne des signes zodiacaux de la culture babylonienne, nous savons que ces symboles n'apparurent en Égypte que durant la période greco-romaine, ce que confirme la configuration céleste datant de l'an 50 avant notre ère, date à laquelle fut gravée cette sculpture.

Malgré l'erreur sur la datation, cette découverte remit en cause l'authenticité de l'Ancien Testament.

Ce sont ensuite les travaux pionniers de Lord Curzon et de David Strauss qui remirent en question le Nouveau Testament.

Les découvertes de Lord Curzon et David Strauss

L'Histoire nous rappelle qu'à l'époque de Jésus, l'Égypte était un foyer culturel très actif et Alexandrie représentait un des centres intellectuels les plus importants du monde avec sa fameuse bibliothèque qui comptait 700000 ouvrages à l'époque de Jules César. Les chercheurs ont donc naturellement exploré toute l'Égypte à la recherche de textes bibliques authentiques.

Lord Robert Curzon vers 1845. Daguerréotype réalisé par Richard Beard. Document NPG.

En 1833, le baron Robert Curzon dit Lord Zouche (Lord Curzon) publia les "Visits to Monasteries in the Levant (Une visite dans les monastères du Levant). Grand voyageur et diplomate anglais, Curzon découvrit dans un monastère d'Égypte des textes apocryphes dont les "Actes de Pierre et Paul" du Pseudo-Marcellus (pour les différencier des Actes du canon). Ces manuscrits chrétiens relataient un récit différent des "Actes de Pierre" et des "Actes de Paul"; ils étaient moins mystiques, insistant plus sur l'humilité face aux paroles de Jésus.

En 1835, l'historien et théologien allemand David Strauss publia la "La vie de Jésus" (Das Leben Jesu). Pour la première fois un expert démontrait qu'il y avait des incohérences dans le Nouveau Testament, qualifiant les miracles bien trop nombreux de mythes et défendit même la nature terrestre et non pas divine de Jésus. Strauss appuya ses arguments sur le fait qu'il s'agissait d'écrits tardifs, écrits au moins trois siècles après la vie de Jésus et donc nécessairement moins précis et vraisemblablement différents pour ne pas dire embellis par rapport à la réalité historique.

A une époque où le dogme de l'Église ne souffrait aucune exception, son livre fit scandale au point que Strauss fut révoqué et termina sa carrière comme professeur de lycée dans son village natal. Entre-temps, il rédigea des livres plus "orthodoxes" tout en répondant à ses détracteurs dans plusieurs livres et pamphlets.

Les travaux de Lord Curzon et de Strauss incitèrent d'autres chercheurs à approfondir la question. En réaction, les défenseurs du dogme explorèrent également la Haute-Égypte et le Moyen-Orient à la recherche de preuves authentifiant les textes bibliques.

Le monastère de Sainte Cathérine et le Codex Sinaiticus

En 1844, Constantin von Tischendorf visita le monastère de Sainte Catherine situé à 450 km d'Alexandrie, en plein désert, à 1570 m d'altitude près du mont Sinaï. A l'époque c'était une forteresse et encore aujourd'hui son accès est pratiquement impossible sans l'assistance des moines.

Il s'avéra rapidement que ce site sacré du christianisme abritait la plus vieille bibliothèque du monde en activité et cachait des trésors bibliques inestimables. Encore de nos jours, pas plus tard qu'en 2011, des chercheurs ont découvert près de 130 palimpsestes ou anciens parchemins dont le texte fut effacé et le support réutilisé comprenant notamment des manuscrits écrits dans une langage obscure, l'albanien du Caucase, une langue morte parlée jadis par les chrétiens vivant dans l'actuel Azerbaïdjan. Aujourd'hui, selon Sarah Laskow du site "Atlas Obscura", on ne trouve les traces de cette langue que sur quelques pierres. D'autres textes sont écrits dans un dialecte dérivé de l'araméen de Palestine.

A voir : Palimpsestes du monastère de Sainte Catherine, EMEL

Au XIXe siècle, Von Tischendorf découvrit dans une corbeille du monastère de Sainte Cathérine une centaine de très vieux feuillets écrits en grec dont certains étaient à moitié moisis. Il emporta certains manuscrits pour analyse. Malheureusement les feuillets qu'il avait laissé au monastère disparurent à son retour. Mais un moine lui remit un vieux codex sur vélin contenant une très ancienne Bible contenant les 27 livres du Nouveau Testament ainsi que l'Ancien Testament. Ils formèrent le Codex Sinaiticus, un ouvrage en deux volumes qui est exposé à la British Library du British Museum dont une page est présentée ci dessous et dont voici une vue générale.

A gauche, le monastère de Sainte Cathérine érigé dans le sud du Sinaï à 1570 m d'altitude. A droite, la page Quire 77, folio 4 verso du Codex Sinaiticus de l'Évangile selon Marc (vv.15:17-41 relatifs à la crucifixion de Jésus) en grec ancien (koiné) daté du IVe siècle. Documents Berthold Werner/Wikimedia commons et British Museum.

Ce codex date de la moitié du IVe siècle (325-360). Comme la majorité des textes apostoliques de cette période, il est écrit dans une forme dérivée du dialecte grec ancien appelé koiné (vulgaire) et en onciale (une combinaison des écritures majuscules et cursive plus facile à écrire). Notons qu'encore aujourd'hui les linguistes appellent koiné toute forme de langue autonome dérivée d'un dialecte. Ce langage vernaculaire était pratiqué entre le IXe siècle avant notre ère et le VIe siècle de notre ère où sa forme byzantine, le grec moderne prit son essor. Ce codex fut rédigé après la deuxième révision de la Septante (dont voici un extrait des manuscrits). Il fut donc copié juste avant le Codex Vaticanus (voir plus bas).

Le codex Sinaiticus comprend des corrections pratiquement à toutes les pages, soit environ 35000 corrections au total. Le texte original fut visiblement corrigé au VIIe siècle par divers correcteurs. Ainsi, les mots de Jésus "Père, pardonne-leur parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23:34) sont notés comme douteux par un correcteur puis rétablis par un autre correcteur.

La fin de l'Évangile selon Marc décrit la mise au tombeau ainsi que l'apparition d'un ange après la disparition du corps de Jésus. Le texte précise que les femmes prises de peur se sont enfouies et ne dirent rien à personne. Le texte s'arrête là comme si la fin était tronquée. Or un texte de Marc rédigé un peu plus tard, au IVe siècle, comprend une finale plus longue : les femmes en ont parlé à d'autres disciples qui ont transmis la Bonne Nouvelle de la résurrection du Christ. Le Sinaiticus étant le plus ancien, cela signifie que le texte actuel de Marc a été complété par la suite avec ce qu'on a appelé la finale longue.

En 1880, le texte grec sur lequel s'appuye la traduction a été totalement remanié pour refléter le Codex Sinaiticus. De nombreux passages ont été mis en marge. On dénombre 30000 changements par rapport à la Bible classique dont la célèbre phrase "Père, pardonne-leur parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font".

Le Codex Sinaiticus Syriacus

Le palimpseste Sinaiticus Syriacus écrit en Syriaque sur vélin découvert par les soeurs Smith en 1892 et exposé au Musée moderne de Sainte Cathérine. Il s'agit d'une copie des Évangiles canoniques datant du IVe siècle. Document Mark Schrope/Washington Post.

Les découvertes de Tischendorf incitèrent d'autres chercheurs à étudier les textes, dont Agnès et Margareth Smith, deux soeurs jumelles écossaises presbytériennes (protestantes). Elles se rendirent en Égypte, au monastère de Sainte Cathérine avec un appareil photo et apprirent même la langue syriaque, une sorte de dialecte de l'araméen parlé par Jésus.

En 1892, les soeurs Smith découvrirent un codex comprenant sous le texte chrétien un autre texte plus ancien en syriaque avec les mots "selon Luc" et "selon Matthieu". C'était un palimpseste. A l'époque, quand les moines étaient à cours de parchemins, ils grattaient les pages des anciens manuscrits pour y écrire un texte plus récent. Les soeurs Smith découvrirent qu'en traitant le support au moyen d'hydrosulfure d'aluminium, l'ancien texte réapparaissait. Les photographies révélèrent qu'il s'agissait d'un nouveau texte caché des quatre Évangiles du Nouveau Testament. Ces manuscrits seront appelés le Codex Sinaiticus Syriacus. Il date également du IVe siècle.

Ce codex comprend lui aussi la finale courte de Marc. Il ne fait aucune mention de l'apparition de Jésus à ses disciples après la résurrection. Cela signifie que la finale courte est authentique. Il n'y a pas de résurrection. Les apparitions de Jésus ont donc été ajoutées plusieurs siècles après la rédaction des deux codex. Cependant, la foi est encore sauvée car la résurrection apparaît dans les autres Évangiles et les Épîtres de Paul.

Akhmîm, Amarna et Oxyrhynque

En 1886, on découvrit à Akhmîm une autre version de l'Évangile selon Pierre concernant la crucifixion de Jésus. Ces manuscrits remontent au IIe siècle.

Parmi les textes appuyant le récit biblique il y a les "Lettres d'Amarna" découvertes par une femme égyptienne et ensuite par William Matthew Flinders Petrie entre 1891-92. Il s'agit d'une collection de 382 tablettes d'argile qui corrobent le récit de l'Exode de l'Ancien Testament.

En recherchant d'autres textes apocryphes, en 1896 deux jeunes archéologues, Bernard P. Grenfell et Arthur S. Hunt découvrirent dans des remblais dans la cité greco-romaine d'Oxyrhynque, en Égypte, des "torrents de papyrus" comme le racontèrent les reporters. Au total, ils découvrirent 50000 fragments de papyri écrits en grec ancien (koinè) parmi lesquels des pages entières du Nouveau Testament datant entre le IIe et le Ve siècle (par exemple les manuscrits P51, P69, P70, P71, P77, P90, etc. qui sont exposés au Musée Ashmoléen à Oxford). On y reviendra. D'autres fragments furent découverts au cours du XXe siècle et les fouilles se poursuivent aujourd'hui.

A consulter : Les papyri d'Oxyrhynque

Version numérisée des manuscrits, CSNTM

POxy papyrus web, CSAD/U.Oxford

Quatre papyri découverts à Oxyrhynque parmi 50000 autres fragments. A gauche, le papyrus Oxyrhynque 1, 654 et 655 reprenant l'Évangile de Thomas (en fait un recueil de 114 logia ou paroles) daté de l'an 140 dont une autre copie fut découverte à Nag Hammadi. A sa droite, le papyrus P1 (réf. E 2746) de l'Évangile selon Matthieu (versets 1:1-9 et de l'autre côté 1:14-20) daté du IIIe siècle. Il est conservé au Musée de l'Université de Pennsylvanie. A droite du centre, le papyrus P2 (réf. 7134) reprenant le texte de l'Évangile selon Jean (12:12-15) en grec et de l'Évangile selon Luc (7:22-26.50) en copte datant du VIe siècle. Il est conservé au Musée archéologique national de Florence. A droite, le papyrus 6993 d'Oxyrhynque datant de la fin du Ve siècle traitant du paiment de deux récipients de vin. Il est exposé au Musée de l'Université de Pennsylvanie. Les trois premiers papyri sont écrits en grec ancien et en onciale (majuscule) mais l'Évangile de Thomas contient aussi des passages en araméen tandis que le quatrième est écrit en grec ancien cursif (style d'écriture bien plus rapide à transcrire qui apparut au IIIe.s.).

Parmi les milliers de fragments d'Oxyrhynque analysés par les experts de l'Université d'Oxford, le texte le plus important est le "papyrus P1" présenté ci-dessus à gauche du centre relatif à l'Évangile selon Matthieu (1:1-9; 1:12 et 1:14-20) daté du IIIe siècle (200-300) qui est écrit en grec ancien (koinè) et onciale (majuscule).

Nous verrons page suivante qu'un fragment de quelques lignes du premier chapitre de l'Évangile selon Marc fut également découvert à Oxyrhynque en 1903. Il s'agit du texte 5345 qui ne fut rendu public qu'en 2018. Il date de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle et compte parmi les plus anciens fragments de manuscrits néotestamentaires découverts à ce jour. On y reviendra.

Dans le tout premier volume compilant ces manuscrits intitulé "Oxyrhynchus Papyri" publié en 1898, Greenfell et Hunt révélaient le premier fragment d'une collection inconnue d'apocryphes connue aujourd'hui sous le nom de l'Évangile de Thomas (et non selon Thomas) comprenant 114 logia ou paroles de Jésus dont beaucoup étaient inédites. Elles furent recueillies par Didyme Jude Thomas. "Didymos" signifiant "jumeau" en grec, on peut y voir la signature d'un frère ou d'un ami qui se reconnaissait dans le disciple de Jésus. Mais le texte est peu verbeux et se compose de petites phrases au sens souvent obscur à l'image des koans japonais. Il existe deux versions, celle d'Oxyrhynque en koinè et une copie découverte à Nag Hammadi en copte (voir plus bas). Ce texte fut rédigé entre 140 et 250 car il y a des références gnostiques typiques de l'ésotérisme du IIe siècle mais il contient également des versets plus frustres datant du Ier siècle.

Ce livre est très important pour comprendre l'Histoire du christianisme car comme le texte hypothétique de la source "Q" repris par Matthieu et Luc, l'Évangile de Thomas n'évoque pas la Passion ni la résurrection du Christ qui sont au fondement du christianisme. Ces deux textes confirment que pendant plus d'un siècle après la mort de Jésus, parallèlement aux écrits apostoliques, il existait des écrits enseignant le message transmis par Jésus dans les Béatitudes, c'est-à-dire l'idée que les pauvres détachés des biens terrestres accéderont au royaume de Dieu et nullement le message contenu dans la profession de Foi de Paul puis de l'Église centré autour de la résurrection du Christ et du Salut. On y reviendra à propos de la constitution des livres canoniques et du Crédo.

Encouragés par ces découvertes, depuis les archéologues n'ont cessé de chercher des manuscrits ne figurant pas dans les Évangiles canoniques.

Le Papyrus Nash

En 1903, Stanley A. Cook découvrit en Égypte des fragments de manuscrits en hébreu archaïque remontant au début du IIIe siècle avant notre ère voire plus tôt. Il s'agissait des plus anciens manuscrits bibliques jusqu'à la découverte des Rouleaux de la mer Morte à Qumrân en 1947. Ces manuscrits furent achetés par W.L.Nash en 1904.

Le papyrus de Nash.

Long de 24 lignes dont quelques caractères manquent aux extrémités, ce papyrus contient un extrait du texte massorétique biblique, en particulier les Dix Commandements et la prière Shema Israël.

L'ordre des commandements transcrits sur le papyrus de Nash (adultère, meurtre et vol plutôt que meurtre, adultère, vol) diffère de celui de la bible hébraïque et de celui de la Septante, ce qui implique qu'il aurait été rédigé avant 282 ou 270 avant notre ère (la datation de la Septante dépend des historiens), probablement entre 304 et 279 avant notre ère. Ce manuscrit fut probablement recopié à des fins liturgiques.

L'ordre des commandements dans le papyrus est le même que celui du Nouveau Testament qu'on retrouve dans l'Évangile selon Marc (Marc 10:19), l'Évangile selon Luc, l'Épître aux Romains et l'Épître de Jacques mais il est différent de l'Évangile selon Matthieu (aimer le Seigneur, aimer ton prochain, Matthieu 22:37-29).

Comme la Septante, le texte des Dix Commandements du papyrus de Nash intègre des extraits de l'Exode et du Deutéronome. En revanche, l'expression "maison de servitude" qui désigne l'Égypte est manquante, ce que certains biblistes considèrent comme indicatif de la provenance du manuscrit.

Autre point commun avec la Septante, le préambule du Shema Israël est placé avant le Deutéronome. Sinon, on trouve également des variantes par rapport au texte hébreu traditionnel de la Massorah (qui fixe l'orthographe et la prononciation des mots des textes bibliques).

Le Codex Washingtonianus et le Logion de Freer

En 1906, Charles Lang Freer fit don au Smithsonian du codex des quatre Évangiles qu'il avait découvert et appelé le Codex Washingtonianus (ou Codex Washingtonensis). Il date du début du Ve siècle. Ce codex qui est le troisième plus ancien manuscrit, comprend l'Évangile selon Marc (dont voici la première page vv.1:1-7) mais avec la finale longue (Marc 16:9-20) et un passage inédit, le "Logion de Freer" ("logion" signifie "parole" en grec) qui s'insert sur 15 lignes entre Marc 16:14 et 16:15 comme on le voit ci-dessous à gauche.

Dans ce paragraphe, le Christ ressuscité apparaît aux disciples et leur reproche de ne pas avoir cru en sa résurrection. Les disciples répondent qu'ils étaient "sous l'emprise de Satan". Jésus leur répondit que c'était "la fin de Satan mais que d'autres temps sombres arriveront", commentaire qu'on retrouve uniquement dans Matthieu 16:14 et partiellement dans Jérome (cf. Nestle-Aland, "Novum Testamentum Graece", 26e édition, p.148, Deutsche Bibelgesellschaft, 1979).

A consulter : Liste des papyri du Nouveau Testament (et version UK plus complète)

A gauche, le "Logion de Freer" extrait du Codex Washingtonianus daté du début du Ve siècle. La version longue de Marc commence à la ligne 9 et se termine à la ligne 23. Au centre, quelques-uns des codices en cuir de Nag Hammadi. A droite, la fin de l'Évangile apocryphe de Jean et le début de l'Évangile de Thomas (Codex II, folio 323) des codices découverts à Nag Hammadi.

Des traces de cire ainsi qu'une nouvelle reliure montrent que le codex Washingtonianus et le texte furent corrigés deux siècles plus tard, au VIIe siècle. A partir de cette époque, le codex devint un ouvrage sacré et fut préservé comme une relique par les moines.

Le Codex de Nag Hammadi

Parmi les découvertes ultérieures importantes, en 1945 deux jeunes frères égyptiens découvrirent par hasard en cherchant des fertilisants dans le désert proche de Louxor, une amphore en terre cuite contenant les "13 codices de Nag Hammadi". Après être passés entre de nombreuses mains, les manuscrits furent vendus au Musée copte du Caire.

Ces manuscrits se présentent sous la forme de 13 codices ou livrets reliés totalisant 1156 pages dont près de 800 sont intactes et renfermant 54 oeuvres différentes écrites par des copistes en dialecte copte de Haute-Égypte. Ils comprennent notamment 114 logia ou paroles de Jésus dont les huit découvertes auparavant à Oxyrhynque. Cette fois l'un des auteurs est identifié, il s'agit de Thomas. Si physiquement son Évangile date du IIIe siècle, selon les études d'April D. DeConinck, certains passages reprennent des textes en araméen datant des tout premiers temps de l'Église chrétienne, vers 140 de notre ère.

L'Évangile de Thomas commence par cette phrase : "Voici les paroles cachées que Jésus le vivant a dites et qu'a transcrites le Jumeau, Jude Thomas". Et plus loin il est écrit : "Celui qui trouvera l'interprétation de ces paroles n'expérimentera pas la mort" (Logion 1). Par comparaison, dans le canon des Évangiles, celui de Thomas a disparu tandis que dans l'Évangile selon Luc, Jésus dit : "tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu au grand jour" (Luc 12:2). La différence entre ces deux lignes montre que la Grande Église s'opposait clairement aux gnostiques. On y reviendra page suivante.

Le folio 32 de l'Évangile de Thomas du Codex II de Nag Hammadi.

C'est notamment dans le Logion 12 de l'Évangile de Thomas qu'on apprend que Jésus désigne nommément "Jacques le Juste", son frère, comme guide spirituel de la communauté des apôtres nazaréens (la future Église de Jérusalem) afin de poursuivre son oeuvre après sa disparition annoncée. On y reviendra à propos de la mort de Jésus.

 L'Évangile de Thomas comprend également des commentaires inédits sur Jésus comme le suivant : "Jésus a dit : Je me suis tenu au milieu du monde et je me suis manifesté à eux dans la chair. Je les ai tous trouvés ivres, je n’ai trouvé personne parmi eux qui eût soif, et mon âme a été affligée pour les fils des hommes parce qu’ils sont aveugles dans leur cœur et ils ne voient pas. Car vides ils sont venus au monde, vides aussi ils cherchent à sortir du monde. Cependant maintenant ils sont ivres ; quand ils auront évacué leur vin, alors ils se repentiront" (Logion 28). 

L'ensemble des codices reprend des versions apocryphes des Évangiles de Thomas, Philippe et Marie ainsi que l'Apocalypse de Jacques et d'autre textes. Si les textes grecs originaux remontent au IIe siècle, un indice sur les couvertures a permis de dater la reliure du Codex VII contenant des documents administratifs : ils remontent entre 333 et 348.

Mais d'où provenaient ces manuscrits ? Dans les années 1970, James Robinson, un historien des sciences religieuses enquêta sur leur découverte et trouva l'explication. Les manuscrits avaient été découverts dans des jarres en terre cuite cachées sous des rochers au pied de la falaise du Gebel el-Tarif, près de l'ancien monastère fondé par Pacôme (aujourd'hui Faou Guibli), situé dans le village de Qsar El-Sayyad (l'antique Khenoboskion) dépendant de Nag Hammadi, à 60 km au nord-ouest de Louxor.

Pourquoi ces textes avaient-ils été cachés ? Il y a deux explications. D'abord, entre l'an 303 et 305, l'empereur Dioclétien persécuta les chrétiens et ordonna de faire disparaître tous les livres chrétiens ce qui conduisit ceux-ci à les cacher dans des endroits sûrs. Ce n'est qu'avec l'investiture de l'empereur chrétien Constantin en 306 et la publication de l'édit de Milan en 313 qui établit la liberté de culte que cette chasse aux sorcières prit fin.

Ensuite, comme nous l'avons expliqué, il y a l'attitude intransigeante du puissant évêque Athanase d'Alexandrie (fl.296-373) de l'Église copte orthodoxe qui pour compiler le canon du Nouveau Testament ordonna de cacher ou détruire les textes gnostiques. Pourquoi ? Dans son esprit comme celui des évêques des conciles antérieurs, les textes gnostiques donnaient non seulement une interprétation métaphysique et ésotérique aux messages du Christ mais également une vision pessimiste et sombre du monde. Ces textes disent par exemple que Jésus a dit : "Ne fais pas savoir à ta main gauche ce que fait ta main droite" ou "je dis mes mystères à ceux qui sont dignes de mes mystères". Ailleurs, Jésus évoque un côté matériel et négatif du monde : "Celui qui a connu le monde a trouvé un cadavre et le monde n'est pas digne de celui qui a trouvé un cadavre". D'autres récits dont l'Évangile de Philippe évoquent la relation de Marie-Madeleine avec Jésus. Ces textes gnostiques jugés scandaleux, déplacés, hors propos ou trop tardifs par la Grande Église expliquent la disparition des anciens manuscrits très tôt dans l'Histoire du christianisme. Comme nous l'avons expliqué, le canon du Nouveau Testament que nous lisons aujourd'hui est le résultat d'une "censure" orchestrée par les Pères de l'Église au cours des premiers siècles pour préserver la Foi et ne pas dénaturer la parole du Christ. On reviendra sur l'impact du canon quand nous détaillerons la naissance de Jésus.

Intéressons-nous à présent à l'un des joyaux de l'archéologique biblique, la découverte des célèbres "Rouleaux de la mer Morte" et de manuscrits sacrés plus récents.

Deuxième partie

Les Rouleaux de la mer Morte

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