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Survivre dans le permafrost

Erosion du permafrost côtier d'Arctique. Il est constitué de glace, de roche et de terre, recouvert de végétation en surface. Document NETL.

L'animation suspendue

Au cours des conférences qui se sont tenues en 2002 suite à la mission Mars Odyssey, l'exobiologiste Gene D. McDonald de l'Université du Texas et ses collègues du JPL se sont interrogés sur les possibilités de vie sur Mars dans les conditions actuelles. Ils démontrèrent que certains acides aminés comme l'acide aspartique pouvait servir d'horloge biologique et aider les scientifiques à déterminer si la vie a existé sur Mars, et même si elle survit encore dans le permafrost (pergélisol). McDonald réintroduisit l'idée d'animation suspendue, un concept connut depuis longtemps des auteurs de science-fiction. De quoi s'agit-il ?

McDonald et ses collègues tentent d'apporter la preuve que des organismes unicellulaires comme les bactéries, les archaéens ou les champignons (fungi) sont capables de réparer les dommages cellulaires durant des dizaines de milliers d'années et peut être plus longtemps encore, après avoir été congelés et qu'ils soient devenus aussi durs que de l'acier.

Si cette découverte est confirmée elle étend les biotopes froids susceptibles d'abriter des formes de vie bien au-delà des espérances les plus optimistes. Non seulement la vie serait possible sur les exoplanètes froides mais également dans le sous-sol des régions polaires ou des cratères glacés qui ne voient jamais la lumière du jour.

Le permafrost représente la couche de terre ou de roche superficielle qui ne dégèle jamais. Il peut contenir jusqu'à 30% de glace ou pas de glace du tout. Le permafrost est surtout étudié dans le cadre du réchauffement global de la planète. On en trouve généralement à partir de 60° de latitude, dans toutes les régions polaires, dans les montagnes de Suède, en Norvège, dans toute la Sibérie, au nord du Canada, en Alaska et bien sûr en Arctique et en Antarctique.

Situé en général assez profondément sous la couche de neige fraîche et de glace, en général les premiers 15 m du sous-sol dégèlent en été. En-dessous se trouve la couche de permafrost permanent qui peut dépasser 1000 m d'épaisseur en Yakoutie et présente généralement une température comprise entre -10° et -16°C.

Avec le réchauffement du climat, cette couche glacée qui commençait auparavant à 20 ou 40 cm de profondeur sous la couche de terre, se trouve aujourd'hui à plus de 60 cm de profondeur ou a totalement disparu, transformant des étendues de toundra glacée en marais, étangs ou lacs. La fonte du permafrost provoque des effondrements de terrain et la formation de cratères suite à la libération de méthane.

A gauche, cette coupe verticale dans le permafrost fait apparaître une couche de glace indétectable de la surface. Ce coin de glace (ice wedge) peut localement plonger profondément sous la terre et s'étendre à travers le paysage. Ces blocs de glace se développent en quelques centaines d'années, l'eau pénétrant dans les failles et les fissures et gèle à quelques mètres de profondeur. Au centre, le permafrost de Scandinavie photographié vers 2010. A droite, la fonte du permafrost à Drew Point en Alaska en 2019 témoigne du réchauffement du climat. Documents Good Planet, UWSP et Benjamin Jones/USGS.

Du fait que la glace est imperméable, des zones humides anoxiques et des tourbières se font formées au-dessus du permafrost dans lesquelles se développent des micro-organismes méthanogènes.

Dans les régions degelées comme à Belaya Gora située au nord de la province de Yakoutie en Sibérie, des chercheurs ont découvert des fossiles de mamouths laineux, de rhinocéros laineux, de boeufs musqués, d'ours, de chevaux, de rennes, de lionceaux des cavernes, (datés de 46000 ans), d'un loup des steppes et autres grands mammifères quelquefois en excellent état de conservation, avec leurs dents, leurs chairs, leur fourrure, et parfois même avec de l'ADN exploitable.

Dans les endroits où le permafrost est permanent et ne dégèle pas en été, pratiquement aucun organisme ne peut survivre sous un tel régime. Mais bien que les conditions de survie soient extrêmes, elles n'empêchent pas une certaine activité biologique. Les créatures que l'on rencontre en ces lieux sont pour la plupart des colonies d'unicellulaires, des bactéries que le froid ne rebute pas.

Nous savons depuis environ un siècle que les organismes peuvent survivre dans le permafrost de Sibérie. On ignore exactement comment ils survivent mais il apparaît que même dans le permafrost, leurs facultés métaboliques ne sont pas totalement suspendues (cf. la faculté d'adaptation au froid).

Dans ce milieu, si tous les processus vivants semblent s'être arrêtés, figés par le froid, certains organismes restent animés d'un léger souffle de vie. On a découvert que des organismes prisonniers de la terre gelée continuaient à être bombardés de rayonnement émis par des éléments présents dans la terre elle-même et y survivaient. On parle d'animation suspendue plutôt que de stase, car dans le premier cas toutes les fonctions biologiques ne sont pas interrompues contrairement à la stase chère à nos écrivains de science-fiction.

A gauche, le permafrost sur l'île d'Herschel située à 2 km au nord du Territoire du Nord, en Alaska. Au centre, fonte du permafrost en Alaska. A droite, vue d'avion d'une région de permafrost sur le plateau de Peat dans le Manitoba au Canada. Documents Boris Radosavljevic, NPC Climate Change Response et SOCC.

Nous savons par ailleurs qu'au-dessus de la température du 0° absolu (-273.15°C), toutes les molécules vibrent légèrement. Ainsi, les molécules d'ADN et toutes les autres macromolécules essentielles à la vie continuent à s'animer et de supporter une faible activité afin de conserver l'intégrité de la cellule. En effet, si les organismes veulent survivre durant de longues périodes de temps, ils doivent trouver un moyen pour maintenir un minimum d'activité cellulaire afin d'entretenir la cellule et éviter qu'elle ne périsse en raison d'un manque d'entretien.

McDonald pense qu'il existe dans le permafrost sibérien des organismes qui ont été enterrés puis congelés voici des dizaines ou des centaines de milliers d'années et dont l'activité métabolique est jugée inactive. Dans ce contexte, il s'est alors demandé comment réagirait la cellule face aux dommages occasionnés par le rayonnement ? Ces cellules seraient-elles encore capables d'éliminer leurs déchets, de réparer les brins d'ADN ou une paroi cellulaire endommagée par exemple ? Quelle quantité de radiation une cellule congelée peut-être encore supporter ?

Pour répondre à ces questions, il faut trouver un marqueur biologique temporel capable d'identifier le taux auquel se manifeste un changement moléculaire.

Nous savons par exemple que les acides aminés sont des molécules asymétriques, elles sont soit lévogyres (L) soit dextrogyres (D). Au-dessus d'un certain seuil de température, toute molécule d'acide aminé peut spontanément passer d'une forme dextrogyre en lévogyre et vice versa au cours d'un processus appelé la racémisation. Quelle que soit la concentration initiale d'un acide aminé donné dans un milieu, au bout d'un certain temps, un équilibre va s'établir et on découvrira que le milieu contient un nombre approximativement égal des deux espèces d'acides aminés.

La vitesse de ce processus varie en fonction des acides aminés, de la température ainsi que d'autres paramètres environnementaux. Pratiquement, cette vitesse varie de quelques heures dans une eau acide bouillonnante à plusieurs milliards d'années dans une couche sédimentaire sèche et froide.

A gauche, évolution du cratère Batagaika entre 1999 et 2013 suite à la fonte du permafrost en Yakoutie, dans le nord-est de la Sibérie. A droite, le cratère vu à basse altitude. Cette formation surnommée "la porte de l'enfer" (Vorota v ad, Ворота в ад) mesure près de 1 km de longueur et sa profondeur atteint ~100 m. Documents NASA Earth Observatory, Landsat/USGS traités par Jesse Allen et Denis Baïmatov.

Nous avons expliqué dans un autre article consacré à la chiralité, que ce processus qui se produit de manière tout à fait ordinaire en chimie est incompatible avec la biologie. En effet, les protéines qui bâtissent les organismes vivants sont incapables de construire quoi que ce soit si elles sont constituées d'acides aminés dextrogyres, la forme D. Toutefois, les réactions chimiques produisent continuellement et sans discernement les deux énantiomères. La nature a donc fait en sorte que les organismes disposent d'enzymes capables de différencier les deux formes d'acides aminés et débarrassent la cellule des formes dextrogyres qui pourraient lui être fatale (sauf pour certaines fonctions bien spécifiques comme l'hélice de l'ADN ou la paroi cellulaire qui a conservé des acides aminés dextrogyres).

Ces enzymes sont si efficaces que dans un organisme vivant, la quantité d'acides aminés dextrogyres est pratiquement nulle et ce rapport L/D se maintient de manière stable.

L'acide aspartique D (asp d), de formule C4H7NO4.

Ce processus peut donc servir d'horloge biologique pour dater l'âge de la mort des cellules présentant une activité moléculaire suspendue suite à la congélation. Dès l'instant où le processus de réparation cellulaire s'interrompt, l'horloge se met en route et la quantité d'acides aminés dextrogyres commence à augmenter. C'est cette méthode qu'a utilisé McDonald et son équipe pour étudier la racémisation des acides aminés présents dans les organismes prisonniers du permafrost Sibérien.

Ainsi, si nous connaissons la température du milieu et si on peut mesurer le taux de racémisation de l'acide aminé le plus rapide, l'acide aspartique par exemple, cet élément devient un marqueur biologique très efficace. Son horloge peut facilement être calibrée avec du carbone-14 dont le taux de radioactivité décroît de manière bien déterminée dès la mort de l'individu concerné.

Actuellement, grâce à cette horloge d'acide aminé on a découvert que les échantillons avaient été continuellement refroidit à une température de -19°C. Or la température actuelle du permafrost sibérien est de -13 à -11°C seulement. Exprimés en température, ces 6 à 8 degrés d'écart signifient que le permafrost contenait jadis moins d'acide aspartique dextrogyre qu'aujourd'hui. Comment expliquer ce changement ?

S'il y a moins d'acide aspartique dextrogyre que prévu en l'absence d'activité biologique, la seule explication logique est que les organismes se sont débarrassés de ces acides aminés dextrogyres. Soit les enzymes ont converti les acides aminés D en L soit ils les ont brisés pour les recycler dans d'autres molécules.

Cette sorte de "maintenance" moléculaire peut s'entretenir de deux manières. Première possibilité, le permafrost s'est réchauffé périodiquement, décongelant les organismes gelés. Mais des recherches indépendantes ont montré que les échantillons de permafrost ne présentaient qu'une très faible activité moléculaire. Deuxième possibilité, les organismes ont continué à éliminer l'acide aspartique dextrogyre, même aux températures du permafrost. Ce processus aurait été ralenti mais il est stable. En corollaire, si les organismes ont été capables d'assurer ce travail pour l'acide aspartique, McDonald suggère qu'ils auraient tout aussi bien pu assurer ce travail pour l'ADN et d'autres biomolécules essentielles. Toutefois cela reste à démontrer. McDonald estime que les organismes vivants dans le permafrost peuvent assurer cet entretien moléculaire durant plus de 30000 ans. Bien qu'il ne puisse encore le prouver, il pense que durant cette période il n'y a pour ainsi dire pas de division cellulaire et pratiquement aucun déchet du métabolisme. La population de cellules est donc fondamentalement la même que celle qui fut piégée à l'époque où le permafrost s'est formé.

Mais comment ces créatures résistent-elles au froid quand on sait qu'au moment de la congélation, l'eau quitte la cellule par osmose, les traces éventuelles se glacent, augmentent de volume et détruisent par conséquent l'organisme ? De plus, pour les animaux supérieurs, sans respiration et sans flux sanguin, la mort est la seule issue envisageable. Pourtant nous avons vu à propos de la faculté d'adaptation que divers organismes, y compris des reptiles sans même parler du tardigrade survivent aux grands froids.

A gauche, un rotifère bdelloide encysté quelques minutes après avoir été réhydraté. Il reprend lentement sa forme allongée. A droite, cette grenouille des bois d'Amérique du Nord peut survivre après avoir été gelée. Ses tissus contiennent de grandes concentrations de sucres simples (glucose et trehalose) qui préservent ses cellules. Documents Microscopy UK et U.Cambridge.

Plusieurs méthodes existent en effet pour éviter que l'organisme ne dépérisse. La plus simple est d'évacuer toute l'eau et les fluides contenus dans la cellule avant la congélation. L'organisme peut accumuler des sucres puis se déshydrate avant de passer dans une sorte d'état d'hibernation ou de stase qui durera autant de temps que nécessaire, parfois des milliers d'années. Mais durant cette période l'animal est quasiment inerte et son métabolisme est réduit au stricte minimum; seul le cerveau présente encore une activité électrique. Quand il s'agit d'une bactérie on peut la juger inerte. C'est cette méthode que les scientifiques utilisent en cryogénie, lorsqu'ils veulent conserver des organismes par -40°C sans affecter leur fonctions vitales.

Si l'organisme veut rester actif, il peut également se protéger du froid en accumulant du sucre (glycol, saccharose) ou des protéines antigel pour abaisser le seuil de congélation. Cette méthode est la plus utilisée et permet aux organismes, y compris à de petits vertébrés, de résister aux températures du permafrost, les liquides cellulaires restant fluides jusqu'à -8 ou -16°C.

De manière générale on constate donc qu'il existe des créatures capables de survivre sous les rigueurs du permafrost et qu'il s'agit d'un milieu loin d'être privé de vie malgré les apparences.

Le réveil des micro-organismes congelés

Si le permafrost empêche les émanations de gaz et notamment du méthane dont l'effet de serre est bien connu et "gèle" l'évolution de la plupart des bactéries et autre virus, sa fonte peut avoir des effets inattendus.

En 1992, des chercheurs ont découvert un pandoravirus parasitant une amibe vivant dans l'eau d'une tour de refroidissement de Bradford, en Angleterre (cf. B.La Scola et al., 2003). Il mesurait 400 nm de diamètre et présentait une capside icosaédrique (à 20 faces); il s'agissait d'un virus géant proche du mimivirus (cf. D.Raoult et al., 2003; D.Raoult et al., 2004). Depuis, de nombreux variants du mimivirus ont été identifiés dans différentes régions du monde, y compris dans le permafrost sibérien.

Le réveil du Pithovirus

En 2014, en fouillant les steppes glacées de la région autonome de Chukotka située au nord-est de la Sibérie, des chercheurs du CNRS ont découvert un nouveau virus géant qui avait été piégé dans le sol gelé il y a plus de 30000 ans. Ce virus appartient à la nouvelle famille des Pithovirus. Il mesure 1.5 micron de long et 0.5 micron de diamètre (cf. J.-M. Claverie et al., 2014). Il est 15 fois plus grand que le virus de la grippe, 10 fois plus grand que le SARS-CoV-2 et 3 fois plus grand que le Mimivirus (cf. ce schéma). C'est le plus ancien virus eucaryote découvert à ce jour.

Le chercheurs ont ramené le virus dans leur laboratoire et ont tenté de le ramener "à la vie". Ils l'ont placé à température ambiante et en présence d'un hôte représenté par une amibe. Malgré les 30000 ans de congélation, dégelé et remis de son stress, le virus s'est réveillé de sa dormance et s'est empressé de l'infecter.

Selon Chantal Abergel, coauteure de cette étude, "Le permafrost se prête en effet bien à la conservation de micro-organismes. Le pH du sol est relativement neutre, et la structure du sol recouvert de tourbe en fait un milieu très pauvre en oxygène et bien protégé de l'action destructrice des rayons UV". Néanmoins, malgré cette adaptation extraordinaire, cette découverte est exceptionnelle.

D'abord, le Pithovirus dont l'espèce était a priori éteinte a préservé l'intégrité de sa charge virale et donc de son pouvoir pathogène est reste intact et entier malgré la congélation. Ensuite, l'analyse de ses protéines montre qu'il n'a pas grand chose en commun avec le Pandoravirus. En effet, sur les 467 protéines découvertes dans ce spécimen ancestral quasiment ressucité, seules cinq protéines sont communes avec le Pandoravirus qui peut exprimer plus de 2500 protéines.

A gauche, microphotographie MET colorisée du Pithovirus sibericum découvert en 2014. Il mesure 1.5 micron de long pour 0.5 micron de diamètre. A droite, microphotographie MET du Mollivirus découvert en 2015. Tous deux furent découverts dans le permafrost de Sibérie où ils sont restés congelés pendant plus de 30000 ans. Ils furent décongelés en laboratoire et on a constaté qu'ils ont conservé leur pouvoir infectieux. Documents Julia Bartoli, Chantal Abergel, IGS, CNRS/AMU et J.-M. Claverie et al. (2015).

Le réveil du Mollivirus

En 2015, les mêmes chercheurs ont ramené du permafrost de Sibérie contenant de nombreuses petites sphères de 500 à 600 nm de diamètre identifiées comme étant un nouveau type de virus géants qu'ils ont nommé Mollivirus. Ils ont ensuite étudié son cycle de réplication en suivant sa propagation dans une culture d'amibes Acanthamoeba castellanii. Le virus pénétra le cytoplasme de la cellule cible et libéra son ADN qui migra jusque dans le noyau de son hôte (cf. J.-M. Claverie et al. 2015).

Ici également, l'analyse génétique montra que le mécanisme d'infection du Mollivirus est très différent de celui du Pithovirus. En effet, lorsque le Pithovirus infecte une amibe, il se multiplie dans le cytoplasme de son hôte - comme le fait le virus de la variole - et n'exploite donc que la machinerie cellulaire nécessaire à la synthèse des protéines.

En revanche, Mollivirus, a non seulement besoin de la machinerie cellulaire mais il doit aussi se rapprocher du noyau de la cellule, dont il détourne les fonctions à son profit pour produire de nouvelles particules virales ou virions. Les chercheurs ont constaté qu'entre 200 et 300 particules virales sont synthétisées en périphérie du noyau puis libérées hors de l'amibe infectée. Tout le métabolisme de ce virus, tant sa morphologie, son mode de reproduction à proximité du noyau que le contenu du génome confirment que Mollivirus n’appartient pas à la famille du Pithovirus mais qu'il serait soit un parent éloigné de Pandoravirus, soit plus probablement, qu'il a échangé quelques dizaines de gènes avec lui.

Découverte de 28 anciens virus dans un glacier du Tibet

Entre 1992 et 2015, une équipe de chercheurs américains et chinois se rendit sur la calotte glacière du plateau de Guliya au Tibet pour recueillir des échantillons de glace vieux de près de ~15000 ans. L'équipe fora 50 mètres à deux endroits du glacier (au coeur du plateau et au coeur sommital) et récupéra deux carottes de glace. Après avoir retiré la couche superficielle contaminée sur 1 cm de profondeur et décontaminé les 0.5 cm suivants, ils ont fondu la glace non contaminée qui fut analysée.

Grâce à des techniques de microbiologie, les chercheurs ont identifié 33 genres de virus bactériophages parmi lesquels dominaient les genres Janthinobacterium, Polaromonas, Herminiimonas, Flavobacterium, Sphingomonas et Methylobacterium dont 28 nouveaux genres de virus (cf. L.G. Thompson et al., 2020).

Profils microbiens relevés dans deux carottes de glace prélevées au Tibet. A gauche, les profils sont illustrés en pourcentage des séquences totales d'amplicons du gène ARNr 16S. La clé indique les genres, précédés de la famille, ou l'ordre dans les cas où la famille n'est pas attribuée. Les genres étiquetés "Autre" représentent des séquences avec une taxonomie au niveau du genre inconnue, c'est-à-dire distinctes des genres attribués taxonomiquement dans la base de données de référence. Les 26 genres les plus abondants, définis comme ceux comprenant au moins 1% des séquences dans au moins un échantillon de glace, représentaient collectivement >95.1 % de chaque communauté. A droite, la PCA (Principal Component Analysis) montrant le regroupement des échantillons en fonction des communautés microbiennes. Les échantillons d'une même carotte de glace sont marqués de la même couleur. On distingue clairement deux populations microbiennes. Les noms des échantillons sont indiqués à côté de chaque symbole. Documents L.G. Thompson et al. (2020) adaptés par l'auteur.

Selon les chercheurs, parmi ces 28 nouvelles espèces de virus, pas une seule partage l'un des 225 viromes - c'est-à-dire l'ensemble des virus infectant une espèce - présents dans l'environnement actuel. De plus, 42.4% d'entre elles étaient des espèces de phages tempérées, ce qui est significativement plus élevé que la proportion des viromes intestinaux, du sol et marins.  Ils ont également constaté que les espèces récoltées dans les deux carottes étaient différentes, suggérant qu'elles étaient probablement adaptées à des conditions climatiques très différentes au moment où elles furent gelées. Ils concluent que les phages tempérés étaient peut-être favorisés dans les environnements glaciaires.

Les prédictions informatique indiquent que 18 espèces virales sont liées à des bactéries (Methylobacterium, Sphingomonas et Janthinobacterium), d'où on déduit que ces phages ont infecté des groupes bactériens abondants dans la glace avant d'être congelés il y a ~14 400 ans (un autre échantillon de glace abritant des virus date de seulement ~355 ans).

L'analyse de leur génome indique que quatre gènes métaboliques auxiliaires sont codés par les virus, en particulier deux gènes de motilité (du mouvement), suggérant que les virus facilitent potentiellement l'acquisition de nutriments pour leurs hôtes. Ces virus pourraient provenir du sol ou des plantes.

Les chercheurs concluent également que le changement climatique pourrait libérer d'anciens virus phatogènes des glaciers.

Le réveil du bacille de l'Anthrax

Le dégel du permafrost peut avoir des effets catastrophiques sur le plan sanitaire. En août 2016, l'état d'alerte fut décrété dans certaines régions du Grand Nord de la Russie habitées par les Yamalo-Nenets suite au dégel du permafrost. En raison de l'élévation de la température (on est passé de 17°C à plus de 35°C), non seulement le méthane mais également l'Anthrax à l'origine de la "Maladie du Charbon" (elle provoque des escarres extrêmement graves mais qui se guérissent) s'est libéré du permafrost. Elles résidaient dans des carcasses de rennes congelés âgées de plusieurs dizaines d'années. Ces bactéries Bacillus anthracis peuvent survivre des décennies voire des siècles dans la glace en état de stase. Mais sous les grosses chaleurs, elles se sont libérées de leur gange protectrice et ont proliféré. Elles ont tué 2500 rennes en quelques jours, contaminé au moins 110 personnes et tué un enfant de 12 ans qui avait mangé de la viande contaminée.

A voir : Underground methane bubbles (Russia)

A gauche, fonte du permafrost dans la toundra arctique en Sibérie. A droite, le cratère C17 en Sibérie formé suite à la fonte du permafrost. Comme la "Porte de l'enfer", ce cratère se serait formé suite à la remontée de bulles de gaz, principalement du méthane, emprisonnées dans le sol gelé et formant parfois des monticules que l'on peut identifier. Avec le dégel, le gaz s'échapperait en créant les cratères au cours d'une sorte d'éruption parfois explosive. On rapporte qu'en 2013 une de ces explosions a été entendue jusqu'à 100 km dans la péninsule de Taïmyr et un témoin dit avoir vu une "lueur dans le ciel". Documents Alexander/Adobe Stock et Skolkovo Institute of Science and Technology.

Quelle leçon peut-on tirer de ces phénomènes ? Le fait que des virus ancestraux très différents puissent survivre après une congélation de plus de 30000 ans suggère que d'autres virus inconnus et peut-être très dangereux pour les humains et les animaux sont encore figés dans le permafrost. Au vu du réchauffement climatique et du dégel du permafrost, on peut sérieusement s'inquiéter des conséquences sanitaires de leur réveil quand on voit les dégâts que font des virus comme l'Anthrax ou des virus a priori éradiqués de la planète qui resurgissent ci et là dans des milieux stressés ou par manque d'hygiène (cf. les zoonoses).

Sachant cela, on peut craindre que dans les décennies à venir de nouvelles maladies virales apparaissent dans une exploitation minière située dans les régions polaires et se propage ensuite sur toute la planète faute d'avoir été identifiée et éteinte à la source. Il est important que ce risque soit évalué et pris en compte dans les modèles épidémiques actuels.

Bonne nouvelle, des généticiens et des biostatisticiens notamment se penchent sur ce problème depuis la découverte des virus congelés en réalisant des étude métagénomiques du permafrost.

Nous verrons à propos de la faculté d'adaptation que des rotifères et des nématodes peuvent également survivre à la congélation durant plusieurs dizaines de milliers d'années. Des bactéries pourraient même survivre des millions d'années, mais ces dernières études sont controversées.

Le permafrost martien

A l'heure actuelle, très peu d'articles ont été écrits sur la relation entre le permafrost et ses conséquences exobiologiques pourtant évidentes. Les seules et rares études concernant ces questions furent entreprises par Imre Friedmann (†2007), écologiste microbien et astrobiologiste qui travailla notamment au centre Ames de la NASA. Complété par les découvertes de Gene McDonald, ces travaux permettront un jour aux explorateurs qui poseront le pied sur Mars de mettre en pratique une méthode leur permettant de tracer l'activité microbienne dans le permafrost martien, comme par exemple sous les grandes étendues de pack aujourd'hui recouvertes de sable découvertes près du site de Elysium Planitia en 2005.

Selon Friedmann, l'horloge d'acide aminé pourrait permettre de déterminer si la vie a existé sur Mars ou même si des organismes vivants survivent encore de nos jours dans le permafrost martien.

Seule difficulté, nous ne connaîtrons pas le résultat d'ici demain. Pour cela, nous devons aller sur Mars, forer la surface pour atteindre le permafrost et ramener un échantillon pour analyse. Il ne s'agit donc pas d'un projet que l'on pourrait planifier pour l'année prochaine. Techniquement parlant, la préparation d'une telle mission peut durer dix ans et devrait tirer avantage des toutes dernières découvertes de l'exploration de Mars.

Forer le sol de Mars serait une grande première car jusqu'à présent les robots Viking par exemple se sont contentés de ramasser un peu de sable et de polir quelques roches à la recherche d'activité organique de surface ou de traces fossilisées. Heureusement, les nouveaux rovers tels Curiosity ont aussi réalisés des forages. C'est une nouvelle étape d'autant plus intéressante que sous la pression atmosphérique actuelle, Mars ne peut pas conserver d'eau sous forme liquide en surface. En revanche, à grande profondeur sous la surface, nous pourrions rencontrer des conditions environnementales propices au développement d'une vie rudimentaire. Bien sûr c'est un pari incertain, mais il est défendable sur le plan scientifique et mérite de faire l'objet d'une future mission spatiale vers la planète Rouge.

Rien ne prouve que ces deux sites, Utopia Planitia et Elysium Planitia contiennent du permafrost, mais vu les conditions météo régnant à la surface de Mars et l'aspect de leur surface, l'idée est tout à fait plausible. A gauche on distingue des traces de givre carbonique au petit matin, à droite ce qui ressemble à un pack morcellé recouvert de sable. Selon Gene McDonald et Imre Friedmann il n'est pas impossible que des micro-organismes survivent dans ce milieu hostile. Seul un forage permettrait d'en apporter la preuve. Documents NASA/NSSDC et ESA/Mars Express.

Friedmann considère que le permafrost martien constitue l'endroit idéal pour trouver une forme de vie sur Mars. Seul inconvénient, pour que la vie ait survécu, même dans un état d'animation suspendue, les organismes ont dû survivre beaucoup plus longtemps sur Mars que sur Terre. Et cela ajoute une contrainte très négative à notre équation.

En Sibérie par exemple, le permafrost existe depuis trois millions d'années environ. Sur Mars, la vie, si jamais elle exista, s'est figée il y a plus de trois milliards d'années. On parle ici de milliards d'années ! Cela fait une énorme différence entre les conditions terrestres et les conditions martiennes. Cela dit, il n'est pas impossible de trouver une forme de vie bactérienne, peut-être pas en surface, mais plutôt dans les profondeurs de Mars.

Mais s'agira-t-il d'une forme de vie extraterrestre ou de bactéries apportées par les robots d'exploration ? En effet, depuis 1971, Mars a été contaminée par des microbes apportés par les robots. Pour rappel, aujourd'hui un robot conçu pour détecter des traces de vie ne doit pas comporter plus de 30 spores/m2, la tolérance est de 300 spores/m2 pour un robot mobile et de 300000 spores/m2 pour un simple robot statique. Si par hasard ces bacilles trouvaient une flaque d'eau ils pourraient se multiplier et devenir un vrai problème pour les scientifiques.

Projets à venir

A l'heure actuelle Gene McDonald s'intéresse au permafrost d'Alaska et espère explorer plus profondément le permafrost de Sibérie. Avec son équipe, il développe également divers instruments qui permettront de mesurer les rapports des acides aminés D/L sur Mars, à partir d'un lander ou d'une rover.

Document NASA/JPL, http://mars.jpl.nasa.gov/

A côté de la mission InSight proposée par la NASA en collaboration avec ESA qui étudie la structure interne et la météorologie de Mars depuis 2018, il y aura bientôt la mission Mars Sample Return qui devrait ramener pour la première fois des échantillons sur Terre, probablement dans les années 2030. C'est une grosse mission et onéreuse de surcroît car le retour d'un vaisseau implique une logistique grosso modo deux fois plus importante qu'un "simple" amarsissage avec des risques beaucoup plus élevés que doivent anticiper les ingénieurs.

Sur le plan théorique, aux températures du permafrost il reste beaucoup de choses à comprendre comme le fait de savoir comment les organismes maintiennent un taux constant de rapport d'acides aminés, comment fonctionnent les enzymes qui attirent l'oxygène et ceux qui ne s'en servent pas pour assurer les réparations cellulaires, etc. Actuellement, on ignore précisément quels sont les enzymes concernés par ce processus. Il peut s'agir du même enzyme que celui qui est utilisé à plus haute température, comme il peut s'agir d'un enzyme différent, qui a évolué au cours du temps pour s'adapter à son environnement. Il y a là tout une Terra Incognita très intéressante à explorer. En corollaire, si nous comprenons les mécanismes qui permettent à ces organismes de survivre au gel, les scientifiques pourront mieux préserver les transplants humains. Pour les exobiologistes, cela étend la zone habitable vers les contrées glacées.

Pour plus d'informations

Pour tout savoir sur le pergélisol et le gélisol, NRCan

Permafrost and Frozen Ground, NSIDC

Permafrost and boreal environment, U.Colorado

Bdelloid rotifer cysts, Microscopy UK

NASA/JPL (missions à venir).

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