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La structure de l'Univers

Une galaxie individuelle peut être résolue à partir de la toile cosmique à grande échelle dans cette image extraite d'une simulation EAGLE de l'univers réalisée en 2015. Document The Virgo Consortium, Schaye et al.

Modélisation des grandes structures cosmiques (III)

Que dit la théorie à propos de ces gigantesques structures cosmiques ? Les modèles numériques prédisent l'existence de "toiles cosmiques" entre les objets extragalactiques. Ces structures trouvent leur origine dans les inhomogénéïtés de densité à très petites échelles de l'Univers primordial. Au rythme de l'expansion de l'Univers, les irrégularités se sont amplifiées et se sont regroupées en fonction de la variation du facteur d'échelle et des effets de la gravité. A grande échelle, cette structure ressemble à une toile composée de filaments reliés entre eux entourés de "bulles" vides de matière ou presque.

A un niveau plus granulaire, les modèles prédisent également que les galaxies peuvent se rassembler en amas et superamas qui s'organisent en filaments et finissent par tisser une toile sur des milliards d'années-lumière. Sa forme et sa densité dépendent de la force gravitationnelle.

Selon le modèle Standard, ces structures devraient présenter une taille maximale de 350 Mpc soit 1.1 milliard d'années-lumière. A cette échelle, l'Univers devrait être homogène et il ne devrait pas exister de structures plus grandes car, selon les calculs, l'Univers n'aurait pas eu le temps de les former. Or des découvertes récentes montrent qu'il existe des structures trois fois plus vastes comme le groupe de quasars LQG ou l'Arc Géant précité dont l'existence défie encore les astronomes.

Les amas de galaxies ont une taille avoisinant 100 Mpc ou ~326 millions tandis qu'aux échelles plus petites (et plus proches de nous), l’Univers est très inhomogène, présentant des amas compacts de galaxies comme des amas très étendus ainsi que des galaxies isolées de toutes tailles.

Si les effets de la gravité et l'analyse statistique confirment que les galaxies ont tendance à se regrouper, pour expliquer ces concentrations de matière à grande échelle (jusqu'à plus de 10 milliards d'années-lumière) ainsi que la forte hiérarchisation des structures cosmiques et le "défaut de masse" de l'Univers, nous devons malgré tout remettre en question les théories cosmologiques standards. En effet, si les calculs réalisés par Zel'dovitch en 1979 prédisent que l'espace doit être très grumeleux à grande échelle, les valeurs observées dépassent toutes ses prévisions.

Les astronomes furent dès lors forcés de considérer l'hypothèse que nous avons entrevue précédemment : après une phase initiale lisse et ordonnée, où l'expansion de l'Univers suivit les solutions des équations d'Einstein, ce sont les fluctuations survenues pendant la phase inflationnaire qui ont servi de "noyau de condensation" à la matière. Mais quelle est l'origine de ces fluctuations, sont-elles apparues ab initio, antérieurement au temps de Planck ou sont-elles apparues au cours de l’expansion ? Nous ne le saurons pas d'aussitôt mais les modèles fondés sur les théories actuelles permettent aux théoriciens d'explorer certaines pistes.

Rappelons que ces théories remontent aux années 1970, époque durant laquelle les théories de Grande Unification furent au premier plan avec la découverte de l'unification électrofaible qui marqua d’'une pierre blanche la carrière du physicien Steven Weinberg et de ses collègues Salam et Glashow. Si les chercheurs pouvaient unir les 4 interactions de la nature, rien n'empêcherait d'imaginer que cette simplicité naturelle ne se retrouvait pas dans l'univers des galaxies.

Les physiciens se tournèrent alors vers la théorie du Big Bang. Pour expliquer la structure de l'Univers, ils se demandèrent si des fluctuations de la densité d’énergie n’avaient pas pu modifier la densité baryonique, c’est-à-dire le rapport du nombre de photons sur le nombre de baryons, évalué à 1011:1. Si les physiciens pouvaient évaluer cette entropie par baryon ils pourraient avoir quelques indices leur permettant d’expliquer la structure actuelle de l'Univers. Pour y parvenir, ils proposèrent tout d'abord deux modèles d'organisation :

1. Le modèle "top-down" : les plus grandes structures, superamas et amas, se forment avant les galaxies.

2. Le modèle "bottom-up" : les petites structures se forment d'abord et fusionnent ensuite pour en former de plus grandes; c'est le modèle hiérarchique classique.

Ces deux modèles se différencient par la nature des fluctuations initiales qui peuvent exister de manière indépendante ou combinée sous deux modes :

1. Des fluctuations adiabatiques, c'est-à-dire sans transfert thermique (l'énergie est conservée), où le rayonnement (les photons) et la matière se dégradent ensembles : le rayonnement se refroidit et les plus petites structures baryoniques sont détruites de l'intérieur par les photons qu'ils renferment. Les fluctuations de densité correspondent à des variations du champ gravitationnel. On observe des variations de pression et de température afin de maintenir l'entropie constante. Au cours de ces fluctuations, le nombre de photons reste proportionnel au nombre de particules de matière. Seules les formations à grande échelle, tels les amas de galaxies peuvent se matérialiser. Dans ce modèle, la chaleur augmente lorsque la matière est comprimée. Seules les fluctuations adiabatiques sont sensibles à l'effet de la pression du rayonnement et à l'amortissement des ondes de pression. Notons que ces propriétés ont des conséquences sur l'interaction rayonnement-matière à l'époque du découplage (cf. la recombinaison), vers 380000 ans après le Big Bang. On reviendra sur l'impact de ces fluctuations dans l'introduction à la théorie du Big Bang.

Les acteurs

Yakov B. Zel'dovitch (ca.1950) et P.James Peebles (2007). Documents Prof. V.I. Goldanskii et IfA.

2. Des fluctuations isothermes, c'est-à-dire à température constante où le rayonnement (les photons) ne fluctue pas tandis que la matière subit des perturbations, devenant de moins en moins dense avec le temps. De gigantesques masses gazeuses peuvent ainsi survivre jusqu'à la phase gazeuse (ère stellaire). Notons que ce modèle fut proposé avant les mesures de l'anisotropie du rayon cosmologique à 2.7 K et s'est donc avéré incorrect.

Les physiciens représentatifs de ces deux écoles sont Yakov Zel'dovitch (1914-1987) pour la première, le père de la bombe H soviétique et P.James Peebles de l’Université de Princeton pour la seconde, l'un des physiciens les plus géniaux qui rata de peu la découverte du rayonnement cosmologique à 2.7 K.

1. Le modèle adiabatique

Le modèle adiabatique[5], également appelé modèle "top-down" ou modèle des "blinis" par référence à la fragmentation des grandes structures cosmiques, prévoit la formation des superamas (1015 M) avant celui des galaxies. Il est conforme aux théories de Grande Unification des forces. Mais il est en désaccord avec l'observation car l'amplitude des fluctuations de densités est trop faible pour expliquer l'hétérogénéité de l'Univers. En effet, nous savons que ces fluctuations ont varié au rythme de l'expansion de l'Univers et finirent par atteindre l'horizon cosmologique (ct ou la distance comobile χo=c/Ho). Aujourd'hui, le rayonnement est uniformément réparti dans l'Univers, ses fluctuations sont de l'ordre de l'unité et sur une échelle de quelques minutes d'arc sa température est constante jusqu'à une partie pour 50000. Au moment de la recombinaison, quelque 380000 ans après le Big Bang, le produit ct3 valait environ 10-4. Si la taille de l'Univers a grandi d'un facteur supérieur à 1100, de telles fluctuations étaient bien trop faibles pour expliquer l'aspect actuel des amas et des superamas de galaxies. Marc Davis, Margaret Geller, Robert Kirshner et leurs collègues ont démontré que les bulles vides de matière étaient beaucoup plus vastes que prévues. L'existence des "murs" et des "filaments" de galaxies (les "blinis" ou les "crêpes" dans le modèle) ne s'expliquent pas uniquement à travers cette théorie.

Le modèle adiabatique de l'Univers selon Y.Zel'dovitch. Ce modèle n'est pas tout à fait conforme aux observations car nous n'avons jamais détecté de matière chaude et soit les structures s'effondrent trop rapidement (HDM) soit trop lentement (CDM). Si ce modèle paraît intuitivement plus logique qu'une évolution "down-top", il doit malgré tout être adapté pour correspondre aux observations. Il fut donc modifié en adjoignant de la matière sombre et froide dans le modèle ΛCDM. Document T.Lombry.

2. Le modèle isotherme

Proposé avant la mission COBE qui révéla des fluctuations de température primordiale, le modèle isotherme[6] prévoit la formation des petits amas d'étoiles, des amas globulaires de 106 M avant leur regroupement dans des amas de galaxies et des superamas. C'est un modèle "Down-top" dans lequel interviennent des particules exotiques qui deviennent les germes des protogalaxies.

Statistiquement les étoiles, les galaxies et les amas ont effectivement plus de chances d'être proches les uns des autres qu'isolés à la périphérie d’un groupe. Mais rien n'indique en réalité que l'Univers s'est construit de cette façon.

Ce modèle reste intéressant dans la mesure où les fluctuations se produisent à toutes les échelles et les plus petites structures ne sont pas entravées par l'énergie des photons. Il est également plus souple dans la mesure où les physiciens peuvent choisir librement les conditions initiales de température pour obtenir les faibles fluctuations thermiques que nous observons dans le rayonnement à 2.7 K.

Le modèle isotherme de l'Univers selon P.J. Peebles. Les germes de formation des protogalaxies n'ont jamais été observés et il ne tient pas compte de certaines conditions des théories de Grande Unification. Confronté aux observations, ce modèle s'est avéré faux. Document T.Lombry.

Mais ce modèle a un inconvénient car il est lié aux développements des théories de Grande Unification. Celles-ci prédisent en effet que le rapport du nombre de photons sur le nombre de baryons reste constant tout au long de l'évolution de l'Univers. Or par définition, le modèle isotherme entraîne une variation de ce rapport. Le modèle isotherme nous éloigne donc de la solution et depuis son invention les observations ont prouvé qu'il était faux.

L'effet de la matière sombre

Autour du cosmologiste Carlos Frenk de l'Université de Durham, les physiciens ont alors apporté des corrections à cette théorie des "blinis" de façon à pouvoir expliquer les fluctuations de moins de 0.01% du rayonnement cosmologique à 2.7 K. Il ont appelé cette variante, le modèle de la "matière sombre" ou "Dark Matter", également appelé modèle de la "matière noire".

Il s'agit d'un modèle adiabatique chaud (HDM) ou froid (CDM) en fonction de la vitesse moyenne des particules au moment du découplage, où photons, baryons et matière sont en équilibre. L'essentiel de la matière n'est pas visible et est constituée de particules massives. Lesquelles ? Les candidats le plus souvent cités sont les neutrinos massifs car ils se sont découplés très tôt dans l'histoire de l'Univers, avant les photons, et présentent une vitesse relativiste. On peut aussi envisager d'autres particules (mais inconnues) et des corps invisibles. Son avantage est d'aboutir à une densité égale à 1 sans qu'interviennent les baryons (qui donnent environ 27% de la densité de l'Univers).

Carlos S. Frenk en 2012. Document Gruber Foundation.

Le modèle adiabatique "top-down" associé à de la matière sombre expliquerait également la forme des structures cosmiques. Avant la recombinaison, les électrons libres exerçaient une pression isotrope sur les fluctuations de densité. Les seules entités qui auraient pu se former devaient être sphériques. Après la recombinaison, la plupart des électrons libres ont été capturés par les noyaux. Dès cet instant il n'y eut plus de pressions isotropes sur la matière et la gravité put agir librement.

Toutefois, tous les astrophysiciens s'accordent à dire qu'un objet irrégulier a très peu de chance de s'effondrer symétriquement (avec la même amplitude) dans les trois directions au même moment (on le constate avec les galaxies elliptiques qui sont souvent triaxiales). Ceci explique comment la gravité créa facilement la structure en mousse de l'univers : aux intersections d'immenses bulles contenant essentiellement du vide et des rayonnements, des formes allongées (les "blinis" ou les "crêpes") ou des filaments de matière se sont formés et donnèrent naissance aux superamas de galaxies.

Les simulations numériques réalisées par Frenk et P.Shapiro indiquent que ces structures de tailles originellement astronomiques se fragmentent en éléments de 108 M soit mille fois moins massives que la Voie Lactée, jusqu'à disparaître au profit de concentrations irrégulières de matière. Notre Univers étant en expansion pour quelques dizaines de milliards d'années encore, les zones vides de galaxies que nous observons actuellement seraient l'une des étapes préliminaires de cette dilution progressive.

Seul inconvénient, des particules chaudes comme les neutrinos massifs du modèle HDM empêchent les fluctuations de matière à petite échelle et bien qu'elles n'intergissent pas avec la matière, se propageant aussi loin que les photons, elles exercent une pression à petite échelle qui stabilise la matière. Par conséquent, seules les stuctures à grande échelle peut s'effondrer sous l'effet de leur propre gravité. Mais cet effondrement se produit trop vite et forme un univers trop structuré.

Quant au modèle CDM, il crée un univers trop peu structuré. Ces modèles ne sont donc pas conformes aux observations. Toutefois, en injectant de l'énergie sombre dans le modèle CDM comme l'a proposé Frenk et ses collègues (modèle ΛCDM), il se rapproche de la réalité.

Le modèle ΛCDM

A priori le modèle CDM se rapproche plus de la réalité dans la mesure où nous savons que depuis le Big Bang l'Univers n'a cessé de se refroidir et de se diluer. Nous savons aussi qu'une matière invisible maintient la cohésion des galaxies et qu'il existe des courants cosmiques altérant la course aléatoire des amas de galaxies et dont l'évolution ne s'explique pas en faisant uniquement intervenir la matière visible.

De plus, à ce jour nous n'avons détecté aucune trace de matière "chaude" (modèle HDM) entre les galaxies ou les superamas qui aurait pu contrôler leur formation ou les déplacements de la matière en leur sein. En revanche, il existe bien du gaz chaud interamas.

A voir : Cruising the Cosmic Web, V2, HST, 2018

Millenium Simulation, MPI - Simulation Bolshoï, UCSC, 2011

Constrained Local Universe Simulations CLUES, 2012

Evolution des grandes structures cosmiques (haut) et des galaxies (bas) dans le modèle ΛCDM. Aujourd'hui, les cosmologistes ne peuvent pas s'expliquer la structure filmentaire de l'Univers à grande échelle sans faire appel à de la matière sombre et froide. Voir également les simulations Bolshoï et CLUES ci-dessus. Document Centrer for Cosmological Physics.

Ainsi que nous le détaillerons à propos des problèmes du modèle Standard, en tenant compte d'une constante cosmologique Λ non nulle, celle-là même qui permit à Einstein de concevoir un Univers statique mais jouant cette fois un tout autre rôle, celui de l'énergie sombre Λ, et en injectant des éléments froids comme de la matière sombre non-baryonique (CDM) dans le modèle "top-down", on obtient le modèle ΛCDM.

Dans ce modèle, la constante Λ contribue à ~70% du bilan énergétique de l'univers observable tandis que ~27% du bilan se présentent sous forme de matière exotique, c'est-à-dire différente de la matière ordinaire faite de baryons. Les simulations montrent que ce modèle permet d'aboutir à la structure filamentaire de l'Univers telle que nous l'observons, même si les mesures du satellite Planck prédisent 2.5 fois plus d'amas que ce que les astronomes observent. Les simulations ci-dessus illustrent cette évolution.

Équilibre entre baryons, gaz chaud et matière sombre dans les amas des galaxies

Pour la première fois en 2019, des chercheurs ont utilisé les données du sondage LoCuSS (Local Cluster Substructure Survey) pour mesurer les relations entre les trois principales composantes massiques des amas de galaxies : la matière sombre, le gaz chaud et les étoiles. En résumé, les mesures des quantités de matière dans les amas de galaxies a montré un équilibre entre les trois composantes et valident les prédictions du modèle ΛCDM.

Pour cette étude les chercheurs ont étudié 41 amas de galaxies parmi les plus lumineux en rayons X situés à des décalages Doppler de 0.15 < z < 0.3. Les chercheurs ont choisi d'étudier des amas de galaxies en partant du postulat que l'Univers n'est pas majoritairement composé de matière. Leur argument s'appuie sur l'hypothèse que la fraction moyenne des baryons au sein des amas (rapport de la masse baryonique sur la masse totale) reflète avec précision la fraction moyenne des baryons dans l'Univers. Une conséquence naturelle de cette hypothèse est que les fractions chaudes et froides des baryons des amas devraient être anticorrélées; à masse totale constante, les amas ayant plus de baryons froids devraient contenir moins de baryons chauds et vice versa. Bien que ce modèle ne définisse pas la manière dont les baryons sont distribués dans ces phases, la constance de la somme implique qu'un système particulier contenant plus de gaz chaud que la moyenne doit présenter une masse stellaire inférieure à la moyenne et vice versa.

L'amas de galaxies Abell 0209 analysé dans différents rayonnements dans le cadre du sondage LoCuSS.

Cependant ce modèle simple ignore d'importants effets comme les fusions hiérarchiques mais on peut tout de même confirmer que les amas sont susceptibles d'être des boîtes de baryons fermées, des réservoirs non biaisés de la fraction de baryon cosmique.

Les résultats de cette étude entrepris par le doctorant Arya Farahi de l'Université du Michigan et ses collègues furent publiés dans la revue "Nature Communications" en 2019. Ce sont les premiers à utiliser des données observationnelles pour mesurer cet équilibre théorisé en 1999 qui permettra de mieux comprendre la relation entre la matière baryonique et la matière sombre ainsi que le phénomène d'expansion.

Halos sombres et protogalaxies

S'il y a un consensus dans la communauté des astrophysiciens et des cosmologistes autour de la théorie du Big Bang et du modèle inflationnaire allié à celui de la matière sombre et froide ΛCDM, il reste encore de nombreuses questions à résoudre pour comprendre comment l'Univers est devenu ce qu'il est.

L'une des questions en suspens est de savoir comment les premières galaxies se sont formées à partir du modèle hiérachique "top-down" ?

Le modèle faisant consensus considère que de la matière sombre (ou noire) non-baryonique (CDM) fut nécessaire pour générer les puits gravitationnels avant la recombinaison. Cette matière représente la masse invisible dont on peut révéler l'existence à travers les effets des lentilles gravitationnelles et la dynamique des amas de galaxies.

Ce modèle explique très bien les grandes structures cosmiques et leur spectre de puissance ainsi que leur structure filamentaire mais il ne s'accordent pas avec la formation des petites structures comme les galaxies où elle génère des pics de densité trop élevés et trop petits au coeur des galaxies où nous observons plutôt un plateau de densité et qui génère également des disques galactiques trop petits comparé aux observations.

Simulation de la formation d'un amas de galaxies dans le modèle ΛCDM à l'aide de la simulation Illustris. A droite, on constate que les composantes invisibles faites de matière et d'énergie sombres (en bleu et rose) sont prédominantes.

D'une manière ou d'une autre, les baryons piégés dans ces immenses nuages de matière sombre et froide doivent transférer leur moment cinétique au milieu, au disque et au halo par le mécanisme classique de la friction dynamique (cf. l'évolution des galaxies).

La solution consiste à considérer que cette matière sombre non-baryonique interagit très faiblement avec la matière, ce qu'on a appelé l'auto-interaction de la matière sombre ou SIDM (Self-Interaction Dark Matter). Lors de collisions, ces particules pourraient disperser la matière radialement. Etant chauffée par ces chocs mais ne dissipant pas leur énergie, la matière ne pourrait pas se concentrer et participerait à la formation des halos sombres, y compris à leur forme aplatie.

Bien qu'il reste des ajustements à faire pour que le modèle SIDM arrive aux mêmes prédictions que le modèle CDM (par ex. l'aplatissement des halos sombres), il fonctionne assez bien mais l'équilibre est rompu dès que les baryons parviennent à déclencher l'effondrement dans le halo sombre. Les chercheurs doivent donc mieux comprendre les phénomènes énergétiques affectant les baryons (dont les supervents, les éjections de matière et la dynamique des galaxies y compris des AGNs) et absolument identifier cette matière non-baryonique.

D'après le modèle adiabatique ΛCDM, on estime aujourd'hui que les galaxies se sont formées à partir de gigantesques nuages de gaz diffus composés principalement de matière sombre non-baryonique et froide et d'hydrogène d'environ 1012 M, soit aussi massifs qu'une grande galaxie. Contenant des puits gravitationnels de matière sombre, lorsque certains seuils de densité d'énergie, de matière et de température furent franchis, ces gigantesques nuages primordiaux se sont fragmentés et localement effondrés pour former les protogalaxies. En leur sein, à une plus petite échelle, des nuages de gaz relativement froids et denses se sont à nouveau fragmentés et effondrés, formant les protoétoiles, de gigantesques étoiles de Population III, très massives et très lumineuses et, par nature, ne contenant pas encore d'éléments lourds. On reviendra sur les détails lorsque nous décrirons la théorie du Big Bang.

Dans ce scénario qui fait consensus, il n'existe donc pas de "germes" de protogalaxies. Ce sont les étoiles de la première génération qui en explosant en supernovae ont créé les éléments loueds et éjectés leurs gaz, participant à la métallicité des protogalaxies et du halo qui les entoure.

Si les étoiles se forment à un taux plus lent que l'effondrement du gaz, la protogalaxie reste à l'état gazeux. Le gaz perd de l'énergie et sous l'effet ou non des champs magnétiques ainsi que des forces de gravitation du halo des galaxies voisines, il se met en rotation, s'aplatit et prend la forme d'un disque. A terme, il développe des bras à partir du noyau; une galaxie spirale est née.

En revanche, si les étoiles se forment avant l'effondrement du gaz, la distribution des étoiles empêchera la galaxie de s'aplatir fortement (rapport 3:1 maximum). Si elle avait une forme elliptique au départ, elle conservera cette forme.

Cette évolution est bien sûr altérée par les effets des collisions et des fusions galactiques et les effets de la matière et de l'énergie sombres sur la distribution des masses à grande échelle.

Evolution de l'Univers schématisée de deux manières différentes. A gauche, depuis le Big Bang, à droite depuis l'ère de la recombinaison. Dans ces deux versions, les protoétoiles se forment avant les protogalaxies. Cette hypothèse plus intuitive que les autres doit encore être validée par les observations. Documents NASA/CXC/M.Weiss adapté par l'auteur et Chris Blake/Sam Moorfield/BOSS collaboration.

En résumé, l'Univers se serait donc construit bloc par bloc en fonction du taux de formation des protoétoiles au sein des protogalaxies. Tout le processus a été renforcé par l'influence de la matière et de l'énergie sombres dès l'apparition des fluctuations de densité engendrées par la gravitation.

Après un début calme où les propriétés de l'Univers sont restées identiques à 0.01% près une fraction de seconde, l'Univers se "cristallisa" durant les premières centaines de milliers d'années et devint grumeleux. On ignore par quel processus la tapisserie sidérale apparut. On suppose que c'est l'attraction progressive de la matière sombre entraînant avec elle les premiers atomes qui condensa la matière, mais dont les détails restent à élucider. L'état actuel de l'Univers semble confirmer le scénario du modèle ΛCDM à quelques détails près qui justifient de poursuivre les recherches.

Aujourd’hui, pour comprendre comment se sont formées les grandes structures cosmiques, les physiciens doivent réunir la physique des particules élémentaires et la théorie de la gravitation en tenant compte du rôle clé de la matière sombre et de l'inflation. Malheureusement nous sommes encore loin de la solution malgré les avancées dans les théories des cordes et la gravité quantique à boucles. Une chose est certaine : l’Univers nous cache la clé de son destin[7].

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[5] J.Silk, Astrophysical Journal, 151, 1968, p459 - J.Bond et al., Nature, 380, 1996, p603.

[6] P.Peebles et R.Dicke, Astrophysical Journal, 154, 1968, p891.

[7] J.Silk, Physics Today, april 1987, p28.


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