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L'astronomie des Dogon

Marcel Griaule s'entretenant avec un Dogon en 1931. C'est son assistant Michel Leiris, étudiant en ethnologie, qui réalisa la photographie.

Aux origines d'une fabulation (II)

1. Les études ethnographiques de Griaule et Dieterlen

Du point de vue scientifique, purement anthropologique pour l'instant, on peut dire que tout commença en 1931. Dans le cadre de l'expédition Dakar-Djibouti, l'ethnologue français Marcel Griaule commença à étudier le peuple dogon en compagnie de Michel Leiris, un étudiant en ethnologie. Ils seront rejoints en 1937 par leur collègue Germaine Dieterlen qui s'intéressait également aux Dogon et à la religion des Bambaras, l'une des plus grandes ethnies du Mali.

Griaule et Dieterlen travaillèrent indépendamment l'un de l'autre mais ils se réunirent à certaines occasions pour mener à bien des projets communs et publièrent le résultat de leurs recherches dans les magazines scientifiques français.

Contrairement à ce qu'on peut imaginer, leur travail ne consista pas essentiellement à prendre des notes ethnographiques ou à effectuer une analyse sociologique du peuple Dogon. Ils s'intéressèrent avant tout à la cosmogonie dogon et ce fut par le plus grand des hasards.

En effet, ainsi ce que nous le verrons, si Griaule s'intéressait un peu à l'astronomie, il semble que Dieterlen n'éprouvait pas les mêmes intérêts. Selon une note publiée par Eric Guerrier dans son essai  sur la cosmogonie des Dogon (voir plus bas) : "Ni Mme Dieterlen ni Marcel Griaule n'ajoutèrent la moindre foi aux dires astronomiques des Dogon, tant était grande leur ignorance en ce domaine, jusqu'au moment ou un astronome (Théodore Monod, je crois) leur signala l'intérêt de cette partie de la cosmogonie."

C'est sans doute suite à cette prise de conscience que leur projet de recherche visa finalement surtout à faire connaître au monde la cosmogonie dogon.

Définitions

L'ethnographie est l'outil de l'ethnologie qui fait partie de l'anthropologie. Autrement dit, l'anthropologie est une science qui encadre deux disciplines, l'ethnologie qui théorise les descriptions ethnographiques.

De manière générale, les francophones utilisent le terme générique d'ethnologie là où les anglophones lui préfèrent le terme d'anthropologie. Pour le public les deux termes sont donc devenus des synonymes.

En 1936, suite à des entretiens avec un chef religieux dogon appelé Ogotommêli sur lequel nous nous attarderons longuement, Marcel Griaule publia un premier livre sur "La Cosmogonie des Dogon", puis un second sur les "Masques Dogon"[1] en 1938.

A son tour, Germaine Dieterlen publia "Les âmes des dogons" aux éditions de l'Institut d'Ethnologie en 1941.

En 1948, Griaule publia à nouveau ses entretiens et les compléta dans "Le Dieu d'eau : Entretiens avec Ogotommêli" qui sera traduit dans la presse anglo-saxonne.

En 1950, Marcel Griaule et de Germaine Dieterlen publient un article intitulé "Un système soudanais de Sirius" dans le Journal des Africanistes[3], magazine auquel Griaule participait régulièrement depuis 1931. Très spécialisé, cet article n'a été diffusé que dans les cercles fermés de l'Intelligencia; le texte était assez difficile à comprendre pour un néophyte et ne parvint pratiquement jamais à la connaissance du grand public.

Ce sont les trois ouvrages de Griaule et en particulier "Le Dieu d'eau" qui feront connaître les Dogon à travers le monde et lanceront toute la polémique autour de leur cosmogonie.

Griaule et Dieterlen étudieront les Dogon ensemble jusqu'en 1956 au point de passer plusieurs années sur place et d'être intégrés à leur société. Ils marqueront sensiblement la tribu de leur empreinte et leurs études constituent encore aujourd'hui l'une des rares sources exhaustives sur la cosmogonie du peuple dogon.

Marcel Griaule mourut à Paris en 1956 et les Dogon lui firent des funérailles traditionnelles dont la presse française se fit l'écho[2].

En 1965, à titre posthume, l'Institut d'Ethnologie publia un nouveau livre sur les Dogon à la mémoire de Griaule intitulé "Le renard pâle" (le dieux Dogon de la révolte) qui sera traduit en anglais en 1986. Il sera réédité en français en 1991. 

Malheureusement pour l'éditeur et Dieterlen, en 1994 Peter James et Nick Thorpe dénoncèrent les théories farfelues des deux Français et de beaucoup d'autres fabulateurs dans leur livre "Ancient Mysteries".

Germaine Dieterlen nous quitta en 1999, à l'âge respectable de 96 ans après avoir passé l'essentiel de sa vie avec les Dogon. Elle refusa avec humour l’étiquette d’ethnologue. Elle se disait ethnographe, c'est-à-dire une chercheuse étudiant les peuples sur le terrain. En son hommage, les édition L'Harmattan publièrent son livre "Les dogon - Notion de personne et mythe de la création" en 1999.

Le cinéaste et ethnologue français Jean Rouch qui travailla parfois aux côtés des deux chercheurs demanda qu'on lui fasse également des funérailles dogons traditionnelles à la hauteur de son oeuvre.

Notons que les deux ouvrages "Le Dieu d'eau" et "Le renard pâle" donnent deux versions distinctes, et contradictoires, de la cosmogonie dogon. Pour le lecteur qui souhaite approfondir la question, le "renard pâle" est bien plus complet, en particulier sur tous les aspects proprement "astronomiques". Nous ferons donc référence à ce livre lorsque nous discuterons du texte relatif au système de Sirius notamment.

Dans les années qui suivirent la question de l'astronomie dogon resta au second plan et ne fut connue que des seuls spécialistes jusqu'au jour où, de manière tout à fait indépendantes, deux illustres inconnus s'emparèrent du sujet, Eric Guerrier en France et Robert Temple en Angleterre.

2. Le livre d'Eric Guerrier

En France, la relation entre les Dogon, l'astronomie et les extraterrestres trouve son origine en 1975 avec la publication par Eric Guerrier du livre "La cosmogonie des Dogon: L'Arche du Nommo".

Eric Guerrier est un professeur d'architecture émérite passionné d'ethnologie notamment. Dans un courrier privé qu'il m'adressa en réponse à ma critique publiée en 2007, il confirme avoir publié cet essai après avoir lu "Le renard pâle" (1965) de Griaule dans le cadre de ses recherches universitaires.

Un esprit critique peut déjà se demander quel rapport y a-t-il entre l'architecture et la cosmogonie ou l'ethnologie ? On peut supposer qu'il s'agit de l'époque où l'auteur proposait un cours d'anthropologie de l’espace architectural et urbain. Selon mes souvenirs, ce cours très peu enseigné porte sur les origines de l'expérience spatiale et de l'humanisation de l'espace. Ses thèmes de recherches traitent des "formes architecturales et espaces urbanistiques d'un point de vue anthropologique, jusqu'à certains aspects philosophiques", d'où on peut y voir une certaine relation avec la cosmogonie Dogon.

Eric Guerrier prétend que "certains détails de la cosmogonie Dogon sont inexplicables au regard des moyens de connaissance de l’époque où ces mythes se sont constitués." Voilà une conclusion hâtive pour le moins étonnante pour un soi-disant scientifique qui revendique son esprit critique !

Malheureusement pourrait-on dire, son ouvrage fut publié durant la vague ufologique française, à peine un an après la publication du livre "La nouvelle vague des soucoupes volantes" de Jean-Claude Bourret. Ce concours malheureux de circonstances provoqua dans l'esprit des lecteurs - et sans doute de l'éditeur - un amalgame entre la théorie extraordinaire évoquée par Guerrier et l'hypothèse extraterrestre de Bourret.

Contrairement à ce que certains critiques ont écrit à propos du livre de Guerrier, à aucun moment l'auteur ne dit que le Nommo peut être associé à un vaisseau spatial. "Mon travail a consisté, non pas à défendre une thèse, mais à faire un état du contenu de cette cosmogonie et de le comparer à l’état de nos connaissances [...] Je lis dans le mythe que le Nommo conduit l’arche. Il est décrit comme un panier, sorte d’Arche de Noë [amené] sur Terre [...], je lis comment cette arche a atterri...", écrit Guerrier dans la lettre qu'il m'adressa.

In fine, Eric Guerrier pose la question principale de savoir comment les Dogon ont pu constituer leur savoir. Sans considérer le mythe du Nommo comme des "affabulations délibérées de Griaule, je le compare à nos propres mythes modernes, dont certains sont ufologiques [...], sans pour autant y adhérer", précise-t-il aujourd'hui.

Devant les commentaires tenus par Eric Guerrier, l'éditeur Robert Laffont a tout de même pris la sage précaution de publier ce livre dans sa fameuse collection ésotérique "Les portes de l'étrange" plutôt que dans une de ses collections réservées à la vulgarisation scientifique ! Guerrier s'y est opposé, étant, écrit-il "allergique à la forme de pensée ésotérique" (sic!), mais en vain. 

Notons que cet ouvrage s'est vendu à moins de 1000 exemplaires. Guerrier explique ces faibles ventes par le fait que "les amateurs d'ésotérisme ne s'y sont pas trompés..." A quoi on peut lui répondre qu'il ne faut pas prendre les lecteurs pour des idiots. Ils sont tout à fait capables de reconnaître un bon livre et de le faire savoir autour d'eux !

En fait, Eric Guerrier met aujourd'hui beaucoup de précautions à se défendre d'être un "ufomaniaque" ou de s'être trompé d'interprétation, mettant en avant ses titres académiques et se considérant comme un "enseignant ayant appris la discipline de la recherche universitaire", donc a priori un scientifique ayant "horreur de la métaphysique, sans parler de l’ésotérisme".

En revanche, il semble peu enclin à accepter la critique scientifique de spécialistes quand il déclare à propos des recherches de l'ethnologue Van Beek (Beck, Cfr page 4) et son équipe, que les "allégations de Beck sont guère soutenables, sauf à apporter une vraie probation à Griaule. [...] Penser que les Dogon ont pu informer Beck comme il le prétend en deux séjours relativement courts, confine à l’escroquerie intellectuelle. Car, au moins depuis les travaux de Levi-Strauss, la naïveté n’est plus permise". Face à de tels arguments noyés parmi d'autres du même acabit dont je vous fait grâce, nous avons établi un juste portrait de l'auteur auquel je laisse assumer ses propos.

Cela se serait probablement passé autrement si l'auteur avait fait preuve de plus de rigueur, s'il avait d'emblée étudié le sujet sur le terrain en collaboration avec des experts ainsi que sur le plan historique des influences culturelles évidentes, et surtout pas en réalisant son "devoir d'enquête" en chambre en se basant uniquement sur les travaux d'autrui ! Cela, Eric Guerrier refuse de le reconnaître.

Mais même en allant étudier le sujet sur le terrain, cela ne garantit pas l'objectivité de l'auteur, et Robert Temple peut en témoigner.

3. La rencontre entre Robert Temple et Arthur Young

En 1952, un certain Arthur M.Young prétendit avoir été l'un des neufs témoins en contact avec l'un des représentants du "Conseil des Neuf", les dieux créateurs de l'Egypte antique venus de... Sirius ! Nous voici donc déjà prévenus de la crédibilité qu'il faut accorder à cet auteur.

Robert Temple et Uri Geller venu célébrer le 60e anniversaire de son ami le 25 janvier 2005. Document Robert Temple.

Toutefois, Young n'était pas n'importe qui. Fils d'Eliza Cox et du célèbre peintre paysagiste Charles Morris Young, il était mathématicien de l'Université de Princeton et travailla chez Bell Aircraft sur la conception des hélicoptères, notamment du célèbre modèle Bell 47. Il avait donc de sérieuses qualifications.

Mais on rapporte que juste après la Seconde guerre mondiale et après avoir vu les explosions nucléaires, il eut un tel choc qu'il s'orienta définitivement vers la philosophie et la spiritualité. En 1952, Young créa la "Fondation pour l'Etude de la Conscience" à Philadelphie et ouvrit une fondation identique à Berkeley en Californie en 1973.

Young et Temple étaient passionnés par les mêmes sujets ésotériques. En 1965, Young lui donna l'article sur les Dogon écrit en 1950 par Griaule et Dieterlen ("Un système soudanais de Sirius"). Avec le recul on peut estimer que cet article impressionna le jeune Temple au point qu'il l'utilisera dix ans plus tard pour constituer la trame de son livre.

En 1966, à l'âge de 21 ans seulement, Temple fut engagé comme secrétaire dans la fondation créée par Young.

En 1976, Young publia un livre sur "la théorie du processus cosmologique" au titre tout aussi hermétique "The Reflexive Universe: Evolution of Consciousness" consacré au schisme entre l'esprit et la matière. Young nous quitta en 1995.

4. Le livre de Robert Temple

En 1967, Robert Temple commença la rédaction de son projet de livre sur "Le Mystère de Sirius". Vers 1970, il fera une courte visite chez les Dogon pour s'imprégner de leur culture et vérifier sans doute si ce qu'il disait à propos de leur cosmogonie était exact, et surtout pour pouvoir dire à ses détracteurs qu'il avait été sur place et connaissait le sujet. En fait, il ne revisitera plus jamais ce pays par la suite, ce qui en dit long sur son (dés)intérêt.

L'ouvrage de Robert K.Temple consacré aux mythologies dogon et d'autres civilisations soi-disant inspirées... des extraterrestres ! Un livre peu informatif, imprécis et incohérent, à réserver aux amateurs du genre.

"The Sirius Mystery" fut publié en 1976 et réédité jusqu'en 1999. C'est un épais volume de 703 pages dont voici des extraits en anglais. Ils sont révélateurs du sens critique et des préjugés de l'auteur.

Il va sans dire que les arguments évoqués par Temple sont pour la plupart inspirés de ses lectures disparates, en particulier par l'article de Griaule et Dieterlen et les ouvrages sur l'ufologie publiés par Erich von Däniken, Zecharia Sitchin et Arthur Young qui étaient convaincus que la Terre avait été visitée par des extraterrestres.

Temple y ajoute son interprétation personnelle et tout à fait erronée de la mythologie de l'Egypte antique, de Sumer et des Dogon pour développer à son tour la théorie des "anciens astronautes" et prétendre que ces civilisations avaient côtoyé des extraterrestres !

En effet, dès l'introduction du livre, le lecteur apprend que Temple prétend détenir la preuve de la présence d'extraterrestres en Egypte voici plus de 5000 ans et que des créatures aquatiques vivant sur Sirius furent à l'origine de nos civilisations ! A se demander à quoi ont servi plus de deux siècles de recherches en astronomie, en biologie, en archéologie, en ethnologie et dans bien d'autres disciplines !

Pour rassurer le lecteur de sa bonne foi, en 1980 Temple ajouta 140 pages à son livre dans lesquelles il discute de soi-disant conspirations orchestrées par le KGB, la CIA et la NASA à son encontre, prétendant qu'il était vraiment "persécuté" par la CIA suite à ses "révélations".

Culturellement et politiquement, l'Egypte antique ayant toujours été un sujet très apprécié du public depuis la compagne d'Egypte de Bonaparte (1798-1801), la "conspiration Stargate" était née. Notons que même aujourd'hui elle garde un certain succès au box office !

Commentaires

Le lecteur avisé, et je l'espère la majorité des lecteurs, se rendront vite compte du caractère pseudo-scientifique de cet ouvrage qui ne mérite qu'une lecture superficielle tellement les informations sont disparates, imprécises voire erronées et finalement incohérentes, sans parler de la conclusion farfelue à laquelle aboutit Robert Temple.

Si certains veulent lui trouver une excuse, à la décharge de Temple et de ses lecteurs crédules, on pourrait invoquer qu'à l'époque de la publication de son livre, l'homme venait juste de marcher sur la Lune (1969-1972) et le temps semblait venu où nous allions enfin explorer les étoiles... Mais Temple était déjà à des années-lumière de ces projets. Agé de 31 ans, il n'était intéressé que par la question extraterrestre. Il n'a donc aucune excuse pour expliquer la digression d'un jeune scientifique vers le folklore extraterrestre, excuse qu'il ne cherche même pas puisqu'en 1997 il revendiquait plus que jamais sa thèse.

Selon plus d'un critique, il paraît évident que Temple voulut faire plaisir à son mentor en écrivant cet ouvrage. Quant à la crédibilité scientifique de sa théorie, elle repose uniquement sur la confiance du lecteur en son titre académique.

Robert K. Temple assis sur une réputation bien fragile.

Sous le couvert d'un doctorat en Archéologie (R.Temple est "Royal Archeological Fellow" et affilié à divers instituts d'archéologie et d'histoire), Temple a conduit ses propres recherches à travers les textes sacrés et les mythologies des principales civilisations.

Pour asseoir sa théorie, Temple effectua des rapprochements ad hoc entre des similitudes prises dans diverses civilisations florissant à des époques et des lieux différents. Or une similitude n'a jamais constitué une preuve sans quoi les tribunaux seraient bien encombrés par tous les sosies revendiquant des droits d'auteurs ou de successions imaginaires ! Restait pour Temple à enjoliver ces informations, les argumenter dans un discours dense afin qu'elles cadrent avec le but qu'il poursuivait. A sa manière mais dans un style fort différent et moins profond, Guerrier fit de même de son côté.

Bref, en s'entourant d'une "ceinture de protection" comme le disait Imré Lakatos pour défendre sa thèse, Temple (comme Guerrier) ne fit plus oeuvre scientifique mais sortit délibérément du champ de la science pour plonger comme ses amphibiens venus de Sirius dans celui des pseudo-sciences si facilement accessibles aux esprits "illuminés" et peu critiques.

Aussi étonnant que cela soit, le message de Temple a été accepté pour acquis par de nombreux lecteurs qui semblaient peu affectés par son discours pseudo-scientifique, sans doute convaincus par ses titres académiques et ses affiliations.

Mais ne nous y trompons pas. Pour appuyer la bonne réputation de l'auteur, certains ufologues ont écrit que "Robert Temple est un astronome respecté, membre de la Royal Astronomical Society anglaise". D'abord ils ne connaissent pas leur sujet car Temple n'est pas astronome, et ils devraient ensuite savoir que cette société d'astronomie n'est pas réservée aux astronomes et ouvre ses portes à un public averti. En tant que membre de la RAS, je peux vous confirmer que si vous pouvez prétendre à un titre académique, êtes étudiant en science de la terre ou en astronomie ou si vous êtes un astronome amateur averti, tel que stipulé sur leur site Internet, si vous êtes parrainé, vous pouvez également poser votre candidature et devenir Fellow (membre ou sociétaire, à ne pas confondre avec le titre académique du même nom) de cette respectable "society" moyennant quelques livres sterlings. Cette adhésion ne vous attribue pas pour autant la science infuse ou un sens critique au-dessus de tout soupçon, et Robert Temple en sait quelque chose !

En fait, les lecteurs de Robert Temple ne cherchaient pas précisément à connaître la vérité à travers ce livre mais un message, une inspiration, une nouvelle philosophie que semblaient leur apporter les théories de Robert Temple.

Sa théorie fut néanmoins renforcée en 1976 lorsque la revue "Nature" jugea bon d'y faire référence dans sa rubrique "Comments and Opinion" sous la signature de l'astrophysicien anglais Michael W. Ovenden (1926-1987). Dans une revue de deux pages intitulée "Mustard seed of mystery" (graine de moutarde de mystère), l'auteur faisait même un jeu de mot avec son nom : "Un livre fascinant parce que la pépite du Temple du mystère a été extraite d'une veine pure et l'a poli [...] Le mystère de Sirius devrait être pris au sérieux".

Sous la signature de Ronald Story, le 2 août 1976 le magazine "Time" ira dans le même sens sans pour autant valoriser l'ouvrage, citant simplement le "torrent d'informations et de recoupements" compilés par Temple.

Certes nous vivons en démocratie, mais il est hallucinant que de tels éditeurs tout de même réputés pour leur sérieux cautionnent un tel livre ! Mais quand on sait que la majorité des Américains et surtout les Évangélistes protestants rejettent la théorie de l'évolution et que beaucoup croient encore que la Terre est au centre du monde, on ne s'étonne pas du peu de sens critique de leurs émules !

 Il n'en fallait pas plus pour que Temple accède immédiatement à une célébrité relative et que son livre devienne un best-seller. Il en vendit 10000 exemplaires durant les deux premiers mois suivant sa sortie en Angleterre. Depuis, Temple a écrit une bonne dizaine d'ouvrages et de nombreux articles, et pas seulement sur l'archéologie.

Temple sera réconforté dans sa démarche en recevant même des encouragements de célébrités scientifiques tel le visionnaire Arthur C. Clarke, qui changea toutefois d'opinion en 1982, préférant l'hypothèse de "l'influence moderne" à celle des extraterrestres.

A son tour, l'écrivain Isaac Asimov dira : "je ne pourrais trouver aucune erreur dans ce livre. C'est en soi extraordinaire". Toutefois en 1978, dans son roman "Quasar, Quasar Burning Bright", Asimov avoua qu'"il était embarrassé par sa stupidité de ne pas avoir précisé qu'il avait fait ce commentaire pour s'en débarrasser [de Temple] poliment".

Enfin il y eut la publicité du "The Telegraph" puis du "Sunday Time" de Londres qui titra "L'esprit rechigne [...] Robert Temple est prudent. Il [a utilisé son] intégrité intellectuelle [pour effectuer] un énorme [travail de] recherche sur les mythologies antiques de nombreuses civilisations et les cultures. On peut seulement les considérer avec crainte". Ce commentaire comme celui du magazine "Nature" n'a jamais été démenti et encore aujourd'hui, le site américain d'Amazon les reprend comme publicité pour l'ouvrage et bien entendu Temple y fait référence sur son site Internet.

Ainsi durant quelques années des auteurs célèbres de formation scientifique certaine et une bonne partie du public intéressé par le sujet se sont laissés berner par les arguments prétendument scientifiques de Robert Temple, avant de se rétracter les uns après les autres.

5. Les premières critiques

Heureusement, la communauté scientifique ne sera pas dupe très longtemps. Car mettre en couverture de son livre qu'on dispose de "nouvelles preuves scientifiques de l'existence d'extraterrestres sur Terre voici 5000 ans" et discuter de créatures aquatiques vivant sur Sirius laisse planer comme un doute sur l'état mental de Temple, son sens de l'analyse et le but de sa publication; la science est mal à l'aise à cautionner un tel ouvrage qu'aucune preuve ne vient étayer.

Pour un astronome ou un archéologue sérieux rien que le sous-titre réduit à néant toute la crédibilité de ce livre. Quant à trouver des êtres vivants dans le système de Sirius, c'est assez improbable, à moins que nous n'ayons pas la même définition de la vie.

A moins aussi que l'auteur ait trouvé son inspiration dans le roman "Micromégas" de Voltaire publié en 1752 dont le premier chapitre est intitulé "Voyage d'un habitant du monde de l'étoile Sirius dans la planète de Saturne" et qui précise dans le premier paragraphe que cet habitant vit "Dans une de ces planètes qui tournent autour de l'étoile nommée Sirius".

Mais trêve de plaisanteries. L'idée des amphibiens extraterrestres ou des êtres mi-hommes mi-poissons n'est pas nouvelle. Temple y fait référence pour asseoir sa théorie selon laquelle ces êtres seraient à l'origine de l'émergence de nombreuses civilisations (terrestres). Pour ce faire, il rappelle qu'on y fait référence dans les textes sanskrits hindous (les Védas parlent des "Tritons" associés à la déesse Aptia), dans la mythologie chinoise (les fameux Fuxi et Nu Gua) et dans les mythologies arabes et indo-européennes qui foisonnent de créatures aquatiques (Poséidon en Grèce, Neith en Egypte, Ea à Babylone, ...). Pour finir il en arrive aux Dogon où il prétend que leur civilisation a été fondée par des êtres ressemblant à des poissons appelés Nommos (les dieux ou génies de l'eau).

Bref, à travers ce sous-titre racoleur, Temple attira surtout l'attention des ufologues et de tous les passionnés de pataphysique, ce qui était sans doute le but premier poursuivit par Temple lorsqu'il commença la rédaction de son livre alors qu'il n'était encore qu'étudiant.

The Skeptical Inquirer, ed. Fall 1978, publia la critique par l'astronome Ian Ridpath du livre de "The Sirius Mystery".

Robert K.Temple rejoint ainsi le grand club ésotérique des fabulateurs dont Louis Pauwels et Jacques Bergier ("Le matin des magiciens",1960) ainsi que T.Lopsang Rampa ("La caverne des Anciens", 1963) furent longtemps parmi les plus célèbres représentants. On en reparlera dans un autre article.

Si on écarte toutes les informations non fondées publiées dans le livre de Temple et qu'on analyse les seules données sur la cosmogonie dogon, les scientifiques ne pouvaient toujours pas cautionner cet ouvrage. Ainsi l'astronome et écrivain Ian Ridpath rappela en 1978 dans le magazine "Skeptical Inquirer" que "toute la légende Dogon à propos de Sirius et ses compagnons est criblée d'ambiguïtés, de contradictions et d'erreurs grossières, du moins si nous essayons de l'interpréter littéralement". Ridpath souligna également que "si l'astronomie des Dogon a probablement été inspirée par les Européens à propos de Sirius, les connaissances présumées des Dogon à propos des planètes sont très éloignées des faits".

A son tour, en 1979, dans son livre "Broca's Brain" (sous-titré "réflexions sur la science romancée"), le très médiatique astronome Carl Sagan critiqua ouvertement l'enthousiasme que Temple mettait à défendre sa théorie et ses idées parfois extravagantes que rien ne venait confirmer. Il lui rappela notamment que les Dogon ignoraient superbement qu'une deuxième planète au-delà de Saturne disposait d'un anneau; c'était normal puisque les anneaux d'Uranus ne furent découverts qu'en... 1977 ! (et ceux de Jupiter en 1979, ceux de Neptune en 1988).

Ainsi la théorie édifiée par l'archéologue à coup d'arguments pseudo-scientifiques s'écroulait comme un château de cartes devant les observations astronomiques, et ce n'était qu'un début.

Cette façon de mélanger la science et la fiction sans mettre en garde le lecteur finit pas agacer les scientifiques qui sonnèrent le glas de la bonne réputation de Robert Temple mais cela ne l'affecta point, trop passionné sans doute et l'esprit trop embrumé par sa façon de voir le monde.

Nous allons voir dans le prochain chapitre comment les enquêtes ultérieures ont fini par démystifier ses théories pseudo-scientifiques. Leur effet porta si bien ses fruits qu'étant plus jeune j'avais eu l'intention d'acheter son livre mais suite aux critiques j'ai fini par abandonner cette idée pour m'occuper de questions plus sérieuses. On peut supposer que cette "descente en flamme" de son ouvrage lui a porté préjudice ainsi qu'à son éditeur car ce livre n'a plus été réédité depuis 1999 et est en revanche disponible en de nombreux exemplaires d'occasion; bref plus personne n'en veut dans sa bibliothèque et n'y fait référence si ce n'est pour le critiquer négativement.

6. La thèse extraterrestre

Comment les ufologues ont-ils abouti à l'étrange conclusion que le mythe du Nommo était en relation avec les extraterrestres ? Les experts noteront que certains auteurs font référence à l'article de Paul Baize publié dans "L'astronomie" en 1931 et consacré au compagnon de Sirius, d'autres aux premières interprétations de Griaule et Dieterlen, notamment leur article de 1950 et leur livre de 1965.

Les ethnologues ont toujours traduit le terme "Nommo" par le "génie de l'eau" ou le "dieu-eau" et encore aujourd'hui cette traduction fait consensus parmi les experts et est d'actualité; je l'ai d'ailleurs utilisée dans le dossier sur l'écologie consacré à l'eau.

La mythologie dogon dit que c'est la vapeur d'eau qui créa le monde et l'union de deux eaux qui créa la vie. Nommo, le dieu-eau gère ainsi l'univers.

Mais pour les ufologues favorables à la thèse extraterrestre, il en est tout autrement. Le "Nommo conduit l'arche", le "vaisseau extraterrestre" ou encore le "chef du vaisseau" selon le contexte. L'arche était soi-disant descendu du ciel dans un nuage de poussière et brillant d'une lumière rouge puis y retourna... Pour les ufologues déjà trop enclins à interpréter le texte, il s'agit ni plus ni moins du compte-rendu de l'observation d'un vaisseau spatial !

D'autres descriptions assez ambiguës et prêtant à confusion ont renforcé l'idée des ufologues selon laquelle les Dogon avaient été visités par des extraterrestres dans un lointain passé.

Généralement plus séduits par les théories extravagantes que par les explications ordinaires, c'est finalement cette version que le grand public a retenu au grand dam des scientifiques.

A force de transposer chaque terme en un autre, à interpréter le texte plutôt qu'à le traduire ou simplement le lire, beaucoup d'auteurs ont évidemment finit par transformer totalement le sens de la cosmogonie dogon. Mais pire que cela, ils ont voulu y trouver une origine extraordinaire sans chercher la solution la plus simple. C'est ce qu'on appelle de la pseudo-science.

Enfin, ces auteurs soi-disant "experts" en leur domaine ne peuvent généralement pas prétendre à un titre d'ethnologue et la majorité d'entre eux n'ont aucune connaissance du folklore et des styles littéraires (paraboles, analogies, sens sacré, etc) utilisés dans les traditions africaines ni même d'ailleurs sans doute. Ajoutez à cela une prédisposition de Temple pour les extraterrestres, et vous avez la matière première de leur essai, de la véritable science-fiction New-Age !

Entrons à présent dans le coeur du sujet et démystifions ce conte pseudo-scientifique.

Prochain chapitre

L'interprétation de Marcel Griaule

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[1] Marcel Griaule, "Masques Dogons", Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie, Paris, t.XXXIII, 1938, p896, in-8°. Consulter également le site richement illustré de Huib Blom.

[2] "Europe Magazine" du 24 juin 1956. Le magazine publié par la fondation Journalistes en Europe a cessé ses activités en 2002.

[3] Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, "Un système soudanais de Sirius", Journal des Africanistes, 1950, tome XX, 2, p273-294.


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