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Les découvertes de Gaia

Le courant stellaire Nyx (II)

Une équipe d'astrophysiciens du Caltech a découvert à proximité du Soleil, le courant stellaire Nyx témoignant de l'absorption d'une galaxie naine par la Voie Lactée. Cette nouvelle découverte qui tira profit de l'IA et de nouvelles méthodes d'apprentissage automatique (deep learning), pourrait fournir la première indication qu'une galaxie naine fusionna avec le disque de la Voie Lactée.

Selon les chercheurs, le courant stellaire Nyx contenait à l'origine des amas globulaires ou des galaxies naines qui ont été étirées le long de son orbite par les forces de marée avant d'être complètement perturbé. Les résultats de cette étude réalisée par Lina Necib du Caltech et ses collègues furent publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2020.

Depuis 2014, les chercheurs ont développé des simulations très détaillées et hyperréalistes des galaxies dans le cadre du projet FIRE (Feedback In Realistic Environments). Ces simulations incluent toutes les lois que les scientifiques connaissent sur la façon dont les galaxies se forment et évoluent. Partant de l'équivalent virtuel du début des temps, les simulations produisent des galaxies qui ressemblent et agissent comme la Voie Lactée ou d'autres galaxies.

FIRE est capable de simuler l'aspect visuel d'une galaxie mais également dans différentes longueurs d'ondes : en rayons X pour afficher le gaz chaud, dans la raie du CO pour observer le gaz moléculaire, dans l'infrarouge pour observer la poussière, etc. Il peut également simuler la collision ou la fusion de galaxies aussi massives que la Voie Lactée ou celle d'Andromède, des jeunes amas d'étoiles, des amas globulaires ou l'obscurcissement dense de gaz et de poussière qu'on observe dans la Voie Lactée.

Parallèlement à FIRE, le satellite Gaia a fourni aux chercheurs les données sur les mouvements réels d'un milliard d'étoiles. Selon Necib, "Un sous-ensemble de celui-ci comprend 7 millions d'étoiles et leurs vitesses dans les trois axes, ce qui signifie que nous pouvons savoir exactement où se trouve une étoile et son mouvement. Nous sommes passés de très petits ensembles de données à des analyses massives que nous ne pouvions pas faire auparavant pour comprendre la structure de la Voie Lactée."

La découverte de Nyx impliqua la combinaison de ces deux grands projets d'astrophysique et leur analyse à l'aide de méthodes empruntées à l'intelligence artificielle.

A voir : Le déplacement de 2 millions d'étoiles au cours des 5 prochains millions d'années, ESA

Ci-dessus, les positions de 2 millions d'étoiles de la Voie Lactée obtenues par Gaia DR1 en 2016 et leur projection dans 5 millions d'années. Voir aussi l'animation ci-dessus. Ci-dessous, simulation de la Voie Lactée par FIRE telle qu'elle était quelques millions d'années après sa formation. Documents ESA/Gaia et Hopkins Research Group, Caltech/L.Necib et al. (2020).

Parmi les questions posées à la fois par les simulations et par le relevé du ciel, les chercheurs voulaient savoir comment la Voie Lactée est devenue ce qu'elle est aujourd'hui ? Les données tracent les fusions de galaxies mais elles sont difficiles à distinguer. En revanche, les simulations des chercheurs les rélèvent très hien, y compris les petites structures. Le problème est que l'oeil humain ne peut pas correctement analyser une image contenant un milliard d'étoiles. Selon Necib, "Avant, les astronomes devaient faire beaucoup de recherches et de tracés, et peut-être utiliser des algorithmes de clustering. Mais ce n'est plus vraiment possible. Nous ne pouvons pas regarder sept millions d'étoiles et comprendre ce qu'elles font. Ce que nous avons fait dans cette série de projets, c'est utiliser les catalogues virtuels de Gaia."

A partir du catalogue virtuel de Gaia développé par Robyn Sanderson de l'Université de Pennsylvanie, les chercheurs se sont demandés ce qu'ils verraient si les simulations FIRE correspondaient à la réalité et étaient observées par Gaia ?

Bryan Ostdiek, aujourd'hui à l'Université d'Harvard et coauteur de cet article, s'est basé sur son expérience pour transposer à l'astrophysique des méthodes d'analyses des Big Data qu'il utilisait lorsqu'il travaillait au LHC du CERN, ouvrant la porte à une nouvelle façon d'explorer l'univers : "les galaxies de FIRE fournissent un environnement merveilleux pour former nos modèles, mais elles ne sont pas la Voie Lactée. Nous avons dû apprendre non seulement ce qui pourrait nous aider à identifier les étoiles intéressantes dans la simulation, mais aussi comment les généraliser à notre vraie Galaxie."

L'équipe a développé une méthode pour suivre les mouvements de chaque étoile dans les galaxies virtuelles et étiqueter les étoiles nées dans la galaxie hôte ou accrétées comme produits de fusions de galaxies. Les deux types d'étoiles ont des signatures différentes, bien que les différences soient souvent subtiles. Ces étiquettes ont été utilisées pour instruire le modèle d'apprentissage automatique, qui fut ensuite testé sur d'autres simulations de FIRE.

Après avoir construit le catalogue virtuel, Ostiek l'a appliqué aux données de Gaia en demandant au réseau neuronal sur base de ce qu'il avait appris, s'il pouvait indiquer si le nombre d'étoiles avait ou non augmenté ? Le modèle a évalué dans quelle mesure il était probable qu'une étoile soit née en dehors de la Voie Lactée sur une plage de 0 à 1. L'équipe a créé un seuil avec une marge d'erreur et analysa les résultats.

Cette approche appelée l'apprentissage par transfert contenait de nombreux défis qu'ont dû résoudre les chercheurs comme celui de s'assurer que le système découvre quelque chose dans les véritables données et non dans les données de la simulation. Les chercheurs ont d'abord vérifié si la simulation pouvait identifier les caractéristiques connues de la Voie Lactée comme la "Saucisse de Gaia" découvertes récemment (voir page suivante). La Saucisse de Gaia était là, tout comme le halo stellaire et les "Courants d'Helmi" (voir page suivante), une autre galaxie naine découverte en 1999 qui fusionna avec la Voie Lactée dans un lointain passé.

C'est alors que le modèle identifia une nouvelle structure : un amas de 250 étoiles tournant avec le disque de la Voie Lactée, mais allant également vers le centre de la Galaxie.

Le courant stellaire Nyx découvert dans les données de Gaia grâce à l'apprentissage automatique. Document L.Necib et al. (2020).

Après quelques hésitations, pensant d'abord qu'il s'agissait d'un bug, Necib mit trois semaines pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une erreur ou que l'amas n'avait pas déjà été découvert. Finalement, il se rendit à l'évidence : "ce n'était pas un bug, c'est en fait réel et c'est nouveau. J'ai donc pu le nommer, ce qui est la chose la plus excitante en astrophysique. Je l'ai appelé Nyx, la déesse grecque de la nuit. Cette structure particulière est très intéressante car elle aurait été très difficile à voir sans l'apprentissage automatique."

Le projet a nécessité une informatique très avancée à de nombreuses étapes. Les simulations FIRE et FIRE-2 mises à jour sont parmi les plus grands modèles informatiques de galaxies jamais réalisés. Chacune des neuf simulations principales - trois formations de galaxies distinctes, chacune avec un point de départ légèrement différent pour le Soleil - a requis des mois de calculs sur les superordinateurs les plus puissants du monde. Il s'agit notamment du Blue Waters du National Center for Supercomputing Applications (NCSA), des installations informatiques Pleiades de la NASA et, plus récemment, de Stampede2 du Texas Advanced Computing Center (TACC). Les chercheurs ont également utilisé les clusters d'ordinateurs de l'Université d'Oregon pour former le modèle d'apprentissage automatique et pour l'appliquer à l'ensemble des données de Gaia.

Pour poursuivre ce travail, en 2020 les chercheurs ont utilisé le système Frontera du TACC, le 8e système le plus rapide du monde qui comprend près de 448500 coeurs de processeurs de 2.7 GHz et atteignant une performance (pic) de 4 PFLOPS (cf. TOP500). Par comparaison, le fameux système Pleiades de la NASA est classé en 39e place.

A l'avenir Necib et ses collègues prévoient d'explorer Nyx à l'aide des plus grands télescopes terrestres dont les Keck de 10 m de diamètre installés à Hawaï qui sont justement gérés par le Caltech et la NASA. Cela fournira des informations sur la composition chimique du courant stellaire et d'autres détails qui les aideront à dater l'arrivée de Nyx dans la Voie Lactée et éventuellement de fournir des indices sur son origine.

Necib est très enthousiasmé par les performances de l'outil qu'il a développé : "Lorsque la mission Gaia a commencé, les astronomes savaient que c'était l'un des plus grands ensembles de données qu'ils allaient obtenir, et avaient beaucoup de raisons d'être excités. Mais nous devions faire évoluer nos techniques pour nous adapter à l'ensemble de données. Si nous ne modifiions ni ne mettions à jour nos méthodes, nous manquerions la physique qui se cache dans notre ensemble de données."

Les succès de l'approche de l'équipe du Caltech pourraient avoir un impact encore plus important. Selon Necib, "Nous développons des outils informatiques qui seront disponibles pour de nombreux domaines de recherche et pour des sujets non liés à la recherche. C'est ainsi que nous repoussons la frontière technologique en général."

La plupart des galaxies naines compagnes de la Voie Lactée sont de nouvelles venues

Selon les données de la 3e distribution intermédiaire de Gaia (EDR3), les galaxies compagnes de la Voie Lactée se révèlent être pour la plupart des nouvelles venues dans notre environnement galactique. Telle est la conclusion d'une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2021 par l'équipe de François Hammer de l'Observatoire de Paris.

Les chercheurs ont utilisé les données de Gaia pour calculer les mouvements de 40 galaxies naines gravitant autour de la Voie Lactée à partir de leurs vitesses tridimensionnelles, puis les ont utilisées pour calculer l'énergie orbitale et le moment angulaire (de rotation) de chacune d'elles. Ils ont découvert que ces galaxies se déplacent beaucoup plus rapidement que les étoiles géantes et les amas stellaires orbitant autour de la Voie Lactée. Leur déplacement est si rapide qu'elles ne peuvent pas encore être satellisées autour de la Voie Lactée, où les interactions avec notre Galaxie et son contenu auraient épuisé leur énergie orbitale et leur moment angulaire. Dire que ces galaxies naines sont des satellites de la Voie Lactée est donc un abus de langage. Il y en a mais ce n'est pas la majorité.

Quelques-unes des galaxies naines les plus brillantes compagnes de la Voie Lactée. Document ESA.

Avec sa masse imposante, cela fait des éons que notre Galaxie cannibalise des galaxies naines. Ainsi, il y a 8 à 10 milliards d'années, la galaxie naine Gaia-Encélade fut absorbée par la Voie Lactée. Ses étoiles peuvent encore être identifiées dans les données de Gaia en raison des orbites excentriques et de la gamme d'énergies qu'elles possèdent.

Plus récemment, il y a 4 à 5 milliards d'années, la galaxie naine du Sagittaire (SagDEG) fut capturée par la Voie Lactée et est actuellement en train d'être mise en pièces et assimilée. L'énergie de ses étoiles est plus élevée que celles de Gaia-Encélade, indiquant qu'elles ont subi moins longtemps l'influence de la Voie Lactée.

Dans le cas des galaxies naines analysées dans le cadre de la nouvelle étude, leurs énergies sont encore plus élevées. Cela suggère fortement qu'elles sont arrivées "récemment" près de la Voie Lactée, c'est-à-dire au cours des derniers milliards d'années.

Cette découverte complète celle faite dans le Grand Nuage de Magellan (LMC) situé dans l'hémisphère sud. Le LMC était également considéré comme une galaxie satellite de la Voie Lactée jusqu'aux années 2000, lorsque les astronomes ont mesuré sa vitesse et ont découvert qu'il se déplaçait trop vite pour être lié gravitationnellement à la Voie Lactée. Le LMC n'est pas encore satellisé et nous visite pour la première fois. En revanche, il subit l'influence de la Voie Lactée. Il en va de même pour la plupart des galaxies naines proches.

Quant aux nouvelles galaxies naines compagnes de la Voie Lactée, leur avenir est incertain. Selon Hammer certaines d'entre elles seront capturées par la Voie Lactée et deviendront des satellites avant d'être absorbées. Mais dire exactement lesquelles sont concernées est encore difficile à déterminer car cela dépend de la masse exacte de la Voie Lactée. Or de nos jours les estimations varient encore d'un facteur deux.

Si la plupart des galaxies naines proches ne sont pas encore satellisées, elles ressentent déjà l'attraction gravitationnelle de la Voie Lactée à travers les forces de marée. Selon Hammer, "La Voie Lactée est une grande galaxie, donc sa force de marée est tout simplement gigantesque et il est très facile de détruire une galaxie naine après peut-être un ou deux passages."

En d'autres termes, devenir un compagnon de la Voie Lactée revient à une condamnation à mort pour les galaxies naines. La seule chose qui pourrait résister à l'emprise destructrice de notre Galaxie est que la galaxie naine contienne une quantité importante de matière sombre. Sa gravité supplémentaire est capable de maintenir la cohésion interne des galaxies individuelles. Mais à courte distance, la masse de la Voie Lactée l'emportera toujours sur un compagnon plus léger.

Par conséquent, dans la vision traditionnelle selon laquelle les galaxies naines de la Voie Lactée étaient des galaxies satellites en orbite depuis plusieurs milliards d'années, on supposait qu'elles devaient être dominées par la matière sombre pour équilibrer la force de marée de la Voie Lactée et les garder intactes. Or grâce à Gaia, les astronomes ont découvert que la plupart des galaxies naines gravitent autour de la Voie Lactée pour la première fois. Cela signifie qu'elles n'ont pas nécessairement besoin de contenir de matière sombre du tout (mais beaucoup en possèdent vu la grande différence entre leur masse visible et leur masse virielle), ce qui force désormais les astronomes à réévaluer si ces systèmes sont en équilibre ou plutôt en voie de dislocation et de fusion.

Selon Timo Prusti, scientifique responsable du projet Gaia à l'ESA, "Grâce en grande partie à Gaia, il est maintenant évident que l'histoire de la Voie Lactée est bien plus riche en histoires que les astronomes ne l'avaient compris auparavant. En enquêtant sur ces indices alléchants, nous espérons découvrir davantage les chapitres fascinants du passé de notre Galaxie."

Des galaxies naines de la Voie Lactée hors équilibre

En complément de l'étude précédente, dans un article publié dans les "MNRAS" en 2023 (en PDF sur arXiv), François Hammer précité et ses collègues ont démontré que les galaxies naines n'auraient pas atteint l'état d'équilibre gravitationnel. Mais cette hypothèse ouvre des questions importantes sur le modèle cosmologique Standard, notamment sur la prévalence de la matière sombre dans notre banlieue galactique proche.

On a longtemps supposé que les galaxies naines proche de la Voie Lactée avaient été capturées il y a près de 10 milliards d'années. En corollaire, elles devaient contenir d'énormes quantités de matière sombre pour maintenir leur cohésion malgré les effets de marée dus à l'attraction gravitationnelle de notre Galaxie. On a supposé que cette matière sombre était à l'origine de la grande dispersion des vitesses des étoiles observées de ces galaxies naines. Mais selon les résultats de simulations, l'explication serait ailleurs.

Les données de Gaia ont révélé une vision complètement différente des propriétés de ces galaxies naines. Les auteurs ont réussi à dater l'histoire de la Voie Lactée grâce à la relation qui lie l'énergie orbitale d'un objet à l'époque de son entrée dans le halo, au moment où il fut capturé pour la première fois par le champ gravitationnel de la Voie Lactée. En effet, plus un objet est tombé tôt dans notre Galaxie, plus il a perdu de l'énergie durant ses rencontres et collisions avec d'autres objets. Ainsi les énergies orbitales de la plupart des galaxies naines sont trois fois plus grandes que celle de la galaxie naine du Sagittaire (SagDEG) qui est entrée dans le halo il y a 5 à 6 milliards d’années. Les auteurs en déduisent que la plupart des galaxies naines sont arrivées beaucoup plus récemment, il y a moins de trois milliards d'années.

Une arrivée aussi récente implique que les galaxies naines proches proviennent de l'extérieur du halo, où presque toutes les galaxies naines contiennent d'énormes réservoirs de gaz neutre. Les galaxies riches en gaz ont perdu leur gaz lorsqu'elles sont entrées en collision avec le gaz chaud du halo galactique. La violence des chocs et les turbulences ont complètement modifié ces galaxies naines. Alors que les galaxies naines originellement riches en gaz étaient dominées par la rotation du gaz et des étoiles, lorsqu'elles se transforment en systèmes dépourvus de gaz, leur gravité est équilibrée par les mouvements aléatoires de leurs étoiles restantes.

A voir : Transformation of a gas-rich and rotation-dominated galaxy

into a spherical dwarf galaxy, Obs. Paris, 2023

Simulation de la transformation d'une galaxie riche en gaz et dominée par la rotation en une galaxie naine sphérique, ici un analogue de la galaxie naine du Sculpteur. Les étoiles sont représentées en orange et le gaz en cyan. Voir la vidéo ci-dessus. La simulation est conforme aux observations sans tenir compte de la matière sombre. Documents J.Wang et al. (2023).Lire aussi F.Hammer et al. (2023).

Les galaxies naines perdent leur gaz dans un processus si violent qu'il les met hors de l'état d'équilibre, ce qui signifie que la vitesse de déplacement de leurs étoiles n'est plus en équilibre avec leur accélération gravitationnelle. Les effets combinés de la perte de gaz et des chocs gravitationnels dus à la plongée dans la Galaxie expliquent la grande dispersion des vitesses des étoiles au sein des restes des galaxies naines.

L'une des curiosités de cette étude est le rôle de la matière sombre. Tout d'abord, l'absence d'équilibre empêche toute estimation de la masse dynamique des galaxies naines de la Voie Lactée et de leur contenu en matière sombre. Ensuite, alors que dans le scénario précédent, la matière sombre protégeait la supposée stabilité des galaxies naines, invoquer la matière sombre devient plutôt gênant pour les objets hors d'état d'équilibre. En fait, si la galaxie naine avait déjà contenu beaucoup de matière sombre, elle aurait stabilisé son disque rotatif initial d'étoiles, empêchant ainsi la transformation de la naine en une galaxie aux mouvements stellaires aléatoires, comme observé.

La chute récente de nombreuses galaxies naines et leurs transformations dans le halo expliquent de nombreuses propriétés observées de ces systèmes, en particulier pourquoi ces galaxies contiennent des étoiles très éloignées de leur centre. Leurs propriétés semblent compatibles avec une absence de matière sombre, alors qu'elles sont généralement considérées comme des objets contenant le plus de matière sombre.

Mais de nouvelles questions se posent désormais : où se trouvent les nombreuses galaxies naines dominées par la matière sombre que le modèle cosmologique Standard prévoit autour de la Voie Lactée ? Comment pouvons-nous déduire le contenu en matière sombre d'une galaxie naine si l'équilibre ne peut être supposé ? Quelles autres observations pourraient faire la distinction entre les galaxies naines hors équilibre proposées et l'image classique des galaxies naines dominées par la matière sombre ?

La coquille Persée-Taureau

Des astronomes du Centre d'Astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) de Cambridge, Mass., ont découvert dans les données de Gaia sur la Voie Lactée, une énorme bulle vide de matière entre les constellations de Persée et du Taureau qu'ils ont nommée la bulle ou coquille Persée-Taureau (Tau-Per shell). La cavité est quasi sphérique et mesure ~156 pc soit plus 500 années-lumière de diamètre. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021 par Shmuel Bialy et ses collègues comprenant notamment Catherine Zucker déjà connue pour son analyse de la Bulle Locale. Cette bulle Per-Tau se trouve juste à côté de la Bulle Locale.

Selon les chercheurs, cette bulle ou cette cavité aurait été créée suite à l'explosion d'une supernova survenue il y a environ 10 millions d'années : "les observations auxiliaires en HI, Hα, Al-26 et en rayons X soutiennent davantage ce scénario, et nous estimons l'âge de la coquille Per-Tau entre 6 et 22 millions d'années."

A voir : Gigantic Cavity in Space Sheds New Light on How Stars Form, CfA, 2021

A gauche, modélisation de la coquille Per-Tau. Les astronomes ont découvert que les nuages moléculaires du Taureau (bleu) et de Persée (rouge) connus de longue date ne sont pas indépendants. Ils se trouvent sur la surface d'une énorme cavité vide de matière mesurant ~156 pc ou plus de 500 années-lumière de diamètre formée suite à l'explosion d'une supernova il y a environ 10 millions d'années. A droite, la région des nuages moléculaires de Persée-Taureau (gauche) et la projection 2D des nuages de poussière (droite). Les modélisations montrent que les deux nuages moléculaires séparés de ~150 pc sont toujours liés mais sont situés aux extrémités opposées de la coquille Per-Tau. Documents S.Bialy et al. (2021).

Cette observation a permis de réaliser la première carte tridimentionnelle de la région montrant la formation des nuages moléculaires et d'étoiles déclenchées par la rétroaction stellaire et la supernova. Les modélisations (voir la vidéo ci-dessus) montrent que le choc engendré par la supernova aurait poussé les nuages de poussière et de gaz vers l'extérieur.

Le nuage moléculaire du Taureau situé à 125 pc du Soleil et celui de Persée situé à 320 pc que l'on croyait a priori indépendants se seraient donc formés ensembles à partir de l'onde de choc engendrée par cette explosion stellaire. Ils se sont déjà condensés et commencent à former de nouvelles étoiles. Selon Bialy, "Cela démontre que lorsqu'une étoile meurt, sa supernova génère une chaîne d'évènements qui peut finalement conduire à la naissance de nouvelles étoiles."

Les chercheurs ont également identifié d'autres nuages moléculaires sur la surface de cette bulle dont une grande structure en anneau surnommée le "Tau Ring".

Cette découverte apporte des indices sur la façon dont une supernova peut conduire à la formation de nouvelles étoiles et supporte l'idée que la Voie Lactée contiendrait des milliers de structures similaires.

Des étoiles OB dans l'Éperon de Céphée

Les étoiles OB sont les étoiles les plus rares, les plus chaudes et les plus massives dont la durée de vie est la plus courte entre toutes. Elles entretiennent de violentes réactions de nucléosynthèse les rendant au moins quatre fois plus chaudes que le Soleil (20000 à 60000 K contre 5700 K pour le Soleil). Etant donné leur masse importante elles terminent leur vie en supernova, dispersant des éléments lourds à travers la Galaxie.

Pendant des années, les astronomes ne possédaient qu'un seul catalogue des étoiles géantes OB, celui de Cameron Reed réalisé en 2003 et nommé le catalogue Alma Luminous Star (ALS) par référence au Collège Alma du Michigan où travaillait Reed, aujourd'hui retraité. Le catalogue ALS contient plus de 16000 étoiles OB. Mis à jour en 2005, il contient 18693 étoiles, pour la plupart des OB mais ~10% du catalogue concernent d'autres objets.

Grâce aux données astrométriques et photométriques de Gaia DR2, Reed et ses collègues ont pu compléter le catalogue ALS et réaliser un inventaire des étoiles massives dans le voisinage du Soleil avec un haut degré d'exhaustivité. Leur étude fut publiée dans les "MNRAS" en 2021 (en PDF sur arXiv).

Les chercheurs ont compilé leur carte stellaire en triangulant les distances des étoiles par rapport à la Terre à l'aide de la méthode de la parallaxe stellaire. En comparant les positions apparentes des étoiles, observées sous différentes perspectives depuis l'orbite de la Terre à différentes époques de l'année, les astronomes ont pu calculer la distance de chaque étoile. Grâce à cette méthode, complétée par les données de Gaia, l'équipe a cartographié les étoiles à des distances au-delà de celles cartographiées jusqu'ici et dans des zones de l'espace auparavant considérées comme vides.

Les chercheurs ont découvert à proximité du Soleil une région appelée l'Éperon de Céphée (Cepheus Spur) contenant des étoiles géantes bleues qui s'étend sur environ 10000 années-lumière et sur ~2500 années-lumière de largeur. Comme indiqué ci-dessous, il est niché entre le bras d'Orion-Cygne où se trouve le système solaire et le bras de Persée. Il se situe légèrement au-dessus du plan médian galactique et est probablement lié à la Vague de Radcliffe découverte en 2020 (voir plus bas).

Selon Reed, dans la Voie Lactée qui contient ~400 milliards d'étoiles, il pourrait y avoir au moins 200000 étoiles OB. Cette étude a répertorié 13762 étoiles massives et 1766 autres de masse élevée ou intermédiaire.

A gauche, positions de l'échantillon stellaire de l'Éperon de Céphée étudié projeté sur le plan galactique. Les barres d'erreur indiquent les incertitudes typiques pour les étoiles situées respectivement à 1, 2 et 3 kpc. A droite, même région montrant uniquement des objets massifs superposée à une illustration artistique de la Voie Lactée de Robert Hurt. Documents M.P. González et al. (2021).

Selon l'astrophysicien et astrobiologiste Michelangelo Pantaleoni González de l'Université Complutense de Madrid et du Centre d'Astrobiologie CSIC-INTA, coauteur de cette étude, "ces étoiles massives sont responsables de la création de nombreux éléments lourds et peuvent vraiment être considérées comme les enrichisseuses chimiques de la Voie Lactée. C'est à cause d'étoiles comme celles-ci, mortes il y a longtemps, que la géochimie de notre planète a été complexe, assez pour créer des réactions biochimiques." Selon les chercheurs, partout où l'on trouve des étoiles bleues, on trouve les régions les plus actives de la Galaxie.

Reed et ses collègues ont prouvé que l'Éperon de Céphée fait partie du disque galactique spiralé comprenant la majeure partie du matériel de la Voie Lactée et n'est pas seulement un alignement aléatoire d'étoiles. En découvrant la position surélevée de l'Éperon et sa légère ondulation, ils soupçonnent également qu'il pourrait fournir des indices intéressants sur le passé de la Voie Lactée. En effet, la présence d'ondulations verticales et horizontales dans les bras et dans le disque galactique pourraient être les traces d'un passé violent. Selon González, "Elles pourraient être des signes de collisions passées avec d'autres galaxies." Nous verrons plus loin que la Voie Lactée fusionna avec de nombreuses galaxies naines. Cette ondulation dans l'Éperon de Céphée en serait une trace supplémentaire qu'il faudra confirmer.

A gauche, cartographie des surdensités significatives autour de la position du Soleil (indiquée par l'étoile) avec la localisation de l'Epéron de Céphée riche en étoiles OB. A droite, distribution des étoiles massives dans l'Éperon de Céphée vu de profil. La position du Soleil est indiquée par l'étoile jaune. Le panneau central représente les objets dans les deux premiers quadrants galactiques et le panneau de droite l'équivalent pour les objets dans les deux derniers quadrants galactiques. Ce segment de bras ondule et se situe légèrement au-dessus du plan de la Voie Lactée. Documents M.P.González et al. (2021).

Le prochain objectif des chercheurs sera de placer des étoiles OB supplémentaires dans une carte plus détaillée qui, espèrent-ils, apportera encore plus d'informations sur la structure de la Voie Lactée.

Découverte d'une troisième population stellaire dans le disque galactique

Au cours d'une étude sur la cinématique et la composition chimique d'un échantillon d'étoiles proches du Soleil, l'équipe de Daniela Carollo de l'Observatoire d'Astrophysique de Turin et ses collègues a découvert que les étoiles qui composent le disque épais de la Voie Lactée appartiennent à deux populations stellaires distinctes aux caractéristiques différentes et non à une seule, comme on le pensait depuis la fin des années 1990. Les résultats de leur étude furent publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2019 (en PDF sur arXiv).

Distribution logarithmique du nombre de densité dans les plans (Lz, Lp) et ([Fe/H], Lz). Document D.Carollo et al. (2019).

La nouvelle composante du disque épais, appelée le disque épais faible en métal ou MWTD (Metal-Weak Thick Disk), diffère du modèle canonique par la vitesse de rotation autour du centre galactique et sa composition chimique. En effet, les étoiles qui composent le disque épais (ou TD) ont une vitesse de rotation d'environ 180 km/s, tandis que celles du MWTD tournent plus lentement, à environ 150 km/s. Les étoiles appartenant au MWTD sont également deux fois plus pauvres en métaux que celles du TD et ont une énergie plus élevée, une propriété qui leur permet d'atteindre de plus grandes hauteurs par rapport au plan galactique.

Les paramètres précis fournis par Gaia et les informations chimiques sur un échantillon de 40000 étoiles du sondage SDSS ont permis à l'équipe de distinguer le MWTD dans un diagramme montrant les moments angulaires combinés avec la chimie. Selon Carollo, "Les impulsions angulaires sont des quantités qui sont conservées pendant la formation et l'évolution ultérieure d'un système physique comme notre Galaxie. Ainsi, dans un diagramme précis des moments angulaires, les étoiles introduites dans la Galaxie par le même progéniteur, comme par exemple d'une fusion précédente d'une galaxie satellite, auront des moments angulaires similaires et auront tendance à se regrouper dans le diagramme."

Le TD et le MWTD forment deux groupes distincts dans le diagramme, ainsi que dans leur chimie. Pour rappel, les éléments chimiques plus lourds que l'hydrogène et l'hélium, qui se sont formés lors du Big Bang, sont définis comme des métaux. Ces éléments chimiques plus lourds ont été produits lors de la nucléosynthèse au coeur des étoiles ainsi que lors de l'explosion des étoiles massives en supernovae.

Un groupe particulier d'éléments légers tels que le magnésium et le titane, par rapport aux éléments plus lourds tels que le fer, fournit un paramètre fondamental qui permet aux scientifiques de distinguer les populations d'étoiles jeunes et anciennes. Le MWTD possède non seulement des étoiles plus pauvres en fer, mais ces étoiles sont également plus riches en éléments du groupe magnésium et titane (éléments alpha) qui suggèrent une formation antérieure au TD.

Ces différences importantes entre le TD et le MWTD, à savoir la cinématique et la chimie de leurs étoiles, suggèrent que les deux disques avaient une origine différente au cours du processus de formation de la Voie Lactée.

Mais comment s'est formé le disque TD de la Voie Lactée ? Les hypothèses sont multiples : le MWTD pourrait être plus ancien que le TD et ses étoiles auraient pu être dynamisées par la fusion d'une galaxie satellite naine avec la Voie Lactée lors de sa phase de formation initiale. Par la suite, la fusion d'une deuxième galaxie satellite aurait donné naissance au TD.

Une autre possibilité est que les étoiles composant le MWTD se sont initialement formées dans une zone plus proche du centre de la Galaxie primordiale et ont ensuite été transportées sur de plus grandes distances, plus près de l'endroit où se trouve aujourd'hui le Soleil, par des phénomènes internes tels que les instabilités de la barre centrale ou de la formation des bras en spirale de la Voie Lactée. Ou encore, une ancienne galaxie satellite de masse similaire au Petit Nuage de Magellan a fusionné avec la Galaxie primordiale et ses étoiles ont commencé à tourner autour du centre galactique en raison de l'interaction gravitationnelle mutuelle.

Toutes ces hypothèses devront être testées à travers des modèles théoriques et des simulations de formation de galaxies semblables à la Voie Lactée.

Flambée de formation stellaire dans le disque il y a 2 ou 3 milliards d'années

Les modèles cosmologiques prédisent que la Voie Lactée aurait grandi et serait devenue plus massive en raison de sa fusion avec d'autres galaxies, un fait qui a été validé par plusieurs études exploitant les données de Gaia (voir plus bas). L'une de ces fusions pourrait être à l'origine de la flambée de formation stellaire qui laissa son empreinte dans les données de Gaia.

Distribution des 3 millions d'étoiles utilisées par l'équipe de J.R.Mor pour détecter la flambée de formation stellaire il y a 2 ou 3 milliards d'années superposée à une illustration de la Voie Lactée.

Grâces aux données de la 2e distribution de Gaia (DR2), l'équipe de Juan R. Mor de l'Université de Barcelone annonça dans un article publié dans la revue "Astronomy and Astrophysics" en 2019 que la moitié des étoiles du disque mince galactique se sont formées il y a 2 ou 3 milliards d'années au cours d'un seul évènement, une flambée de formation stellaire qui résulte probablement de la collision et la fusion avec une galaxie naine satellite. Les chercheurs ont également obtenu un taux de formation stellaire actuel de ~1 M/an, conforme aux observations précédentes.

Ces résultats sont cohérents avec l'extinction cosmologique indiquant que la formation stellaire s'éteint aux décalages Doppler z < 1.8 soit il y a moins de 10 milliards d'années. Cette tendance décroissante fut suivie par une augmentation du taux de formation stellaire qui commença voici ~5 milliards d'années et qui se prolongea jusqu'il y a ~1 milliard d'années.

Selon Francesca Figuerars, coautrice de cet article, "en réalité, contrairement à ce que nous avions prédit avant d'avoir des données de Gaia, le pic de formation d'étoiles est si clair que nous avons jugé nécessaire de traiter son interprétation avec des experts en évolution cosmologique des galaxies externes."

Selon l'expert des simulations des galaxies similaires à la Voie Lactée, Santi Roca-Fàbrega de l'Université Complutense de Madrid et coauteur de cet article, "les résultats obtenus correspondent aux prévisions des modèles cosmologiques actuels, et en plus notre Galaxie vue des yeux de Gaia est un excellent laboratoire cosmologique où nous pouvons tester et confronter des modèles à une plus grande échelle dans l'univers."

Pour obtenir ces résulats, les chercheurs ont utilisé les données de magnitudes, couleurs et de parallaxes de 3 millions d'étoiles proches du Soleil dont une cartographie est présentée à droite, complétées par la relation IMF (la fonction de masse initiale qui décrit la distribution des masses des étoiles pour une population stellaire nouvellement formée) et un modèle SFH (Star Formation History) de l'histoire de la formation stellaire non paramétrique (non basée sur des statistiques) pour le disque galactique. Cette analyse a été réalisée en combinant les simulations du Modèle galactique de Besançon (BGM FASt) et un algorithme de calcul probabiliste (bayésien) approximatif. De plus, la modélisation dans le Modèle de Besançon combinée aux données de parallaxes extraites de Gaia a permis aux chercheurs de mieux contraindre les modèles SFH et la relation IMF.

A voir : Fusion de galaxies spirales, UCSC/NASA

À partir de leur meilleur modèle, les chercheurs estiment qu'environ 50% de la masse utilisée pour générer des étoiles tout au long de la vie du disque mince galactique fut dépensée au cours de ces quatre milliards d'années. L'échelle de temps et la quantité de masse stellaire générée au cours de cette période qui représente des dizaines de milliards de masses solaires, suggère que son origine n'est pas intrinsèque au disque. En fait, une perturbation externe est nécessaire pour expliquer cette flambée d'activité stellaire.

La fusion avec une galaxie riche en gaz satellite de la Voie Lactée aurait pu apporter cette matière première et réactiver le processus de formation stellaire, comme de l'oxygène réactive un feu. Ce mécanisme expliquerait la répartition des distances, des âges et des masses estimés à partir des données extraites de Gaia.

Le crash de Sagittarius (SagDEG)

Découverte en 1994 (cf. R.A. Ibata et al. 1994; K.V. Johnston et al., 1995), la galaxie naine sphéroïdale du Sagittaire alias Sagittarius ou SagDEG (également connue sous l'acronyme Sgr dSph, Sgr dE ou simplement Sgr), à ne pas confondre avec SagDIG qui est une naine irrégulière, mesure 10000 années-lumière et se situe à environ 81000 années-lumière du Soleil et 50000 années-lumière du centre de la Galaxie, derrière les bulles de Fermi.

SagDEG est 10000 fois moins massive que notre Galaxie. C'est une galaxie satellite de la Voie Lactée. SagDEG ne contient que quelques dizaines de millions d'étoiles, 4 amas globulaires dont M54 (NGC 6715) situé à ~70000 années-lumière dans le Sagittaire et plusieurs pulsars (voir plus bas). C'est l'une des galaxies naines proches les plus massives.

Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2020, Tomás Ruiz-Lara, de l'Institut d'Astrophysique des Canaries (IAC) à Ténérife, en Espagne, et ses collègues ont découvert grâce aux données de la 2e distribution de Gaia (DR2) et des simulations que SagDEG a traversé le disque de la Voie Lactée à plusieurs reprises. Cela s'est produit au moins trois fois dans le passé : il y a 5.7 milliards d'années, 1.9 milliard d'années et 1 milliard d'années. À chaque collision, la Voie Lactée dépouilla les étoiles et même la matière sombre de SagDEG, laissant derrière elle une galaxie naine de plus en plus petite et anémiée. A terme, SagDEG fusionnera complètement avec la Voie Lactée. Mais bien que très peu massive par rapport à la Voie Lactée, ses multiples interactions ont laissé des traces importantes.

Comme expliqué précédemment (voir page 1), en 2022 on découvrit que SagDEG avait perturbé l'extrémité du disque externe de la Voie Lactée dont les étoiles continuent à osciller de nos jours. Les chercheurs ont également constaté que dans le sillage laissé par SagDEG lors de ses passages successifs à travers le disque de la Voie Lactée, les formations stellaires ont augmenté. En fait, l'une de ces périodes coïncida à peu près avec la formation du Soleil et de son cortège planétaire il y a 4.7 milliards d'années.

Des études antérieures ont montré que malgré sa masse importante, même la structure en spirale de la Voie Lactée pourrait être le résultat d'au moins trois collisions avec SagDEG au cours des 6 derniers milliards d'années.

A voir : Zooming in on the globular star cluster Messier 54, ESO

Illustrations de l'évolution de la galaxie naine sphéroïdale du Sagittaire (Sagittarius ou SagDEG) depuis 8 milliards d'années. Ce serait son troisième passage dans le disque de la Voie Lactée. Document ESA adapté par l'auteur.

Les chercheurs pensent que chaque passage provoqua des ondulations de matière dans le milieu interstellaire, comme une pierre jetée dans l'eau engendre des ondes. En conséquence, la concentration de gaz et de poussière dans certaines zones de la Voie Lactée augmenta au point de déclencher la formation d'étoiles. Selon Ruiz-Lara, "Après une première période violente de formations stellaires, déclenchées en partie par une fusion antérieure, la Voie Lactée avait atteint un état d'équilibre dans lequel les étoiles se formaient régulièrement. La Galaxie était relativement calme. Soudainement, le Sagittaire est tombé dedans et a perturbé l'équilibre, déplaçant tout le gaz et la poussière auparavant immobiles à l'intérieur de la plus grande galaxie comme des ondulations dans l'eau."

Cette étude s'appuie sur une étude publiée en 2019 par des chercheurs de l'Université de Barcelone qui ont calculé la taille et la luminosité réelles de millions d'étoiles observées par Gaia. Les chercheurs avaient conclu que la formation d'étoiles dans la Voie Lactée avait diminué depuis sa formation jusqu'à il y a environ 5 milliards d'années, où elle a soudainement augmenté. Jusqu'à la moitié de la masse totale de toutes les étoiles créées dans le disque mince de la Voie Lactée - qui contient la majorité des étoiles de la Galaxie - fut produite au cours de cette période.

Il semble établi que sans l'interaction de la relativement petite galaxie naine du Sagittaire, la Voie Lactée aurait été très différente aujourd'hui et aurait eu beaucoup moins d'étoiles. Selon Timo Prusti de la mission Gaia, "C'est vraiment la première fois que nous voyons une histoire détaillée de la formation stellaire de la Voie Lactée. C'est un témoignage de la puissance scientifique de Gaia que nous avons vu se manifester encore et encore dans d'innombrables études révolutionnaires en une période de seulement quelques années."

Des pulsars dans SagDEG

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2022, Roland M. Crocker de l'Université Nationale Australienne et une équipe internationale de chercheurs ont découvert que les émissions de la petite galaxie naine du Sagittaire (Sagittarius ou SagDEG) proviennent probablement de pulsars millisecondes projetant des rayons cosmiques et confirment que le cocon de Fermi est en fait dû à l'émission de SagDEG.

Les pulsars millisecondes sont des vestiges d'étoiles massives généralement organisées dans des systèmes binaires. En raison de leur énergie rotationnelle extrême, ils génèrent des éruptions de rayons cosmiques (composés à 88% de protons, 9% d'hélions, le reste étant distribué entre les électrons, les muons, les neutrinos et leurs antiparticules). Les électrons notamment émis par les pulsars millisecondes entrent en collision avec des photons à basse énergie du fond diffus cosmologique (le rayonnement à 2.7 K), les portant jusqu'aux énergies du rayonnement gamma (de quelques keV à ~450 TeV).

A gauche, les panneaux (a, b) sont des vues de l'entiereté du ciel. L'est à gauche et la région d'intérêt est dans le cadre en pointillé. Les panneaux (c,d, e) sont des agrandissements de la zone d'intérêt en projections cylindriques et en coordonnées galactiques (longitude ℓ et latitude b). Les panneaux (a) et (c) affichent le modèle spatial de rayons γ pour les bulles de Fermi avec une échelle linéaire de couleurs mettant en évidence le cocon de Fermi. Les panneaux (b) et (d) affichent la densité angulaire des étoiles RR Lyrae à partir des données de Gaia DR2 pour des distances > 20 kpc dans la ligne de visée. On reconnait SagDEG (Sgr dSph), le Courant du Sagittaire et les deux Nuages de Magellan. Le mouvement propre de SagDEG est vers le haut. Le panneau (e) affiche les contours de densité de surface des RR Lyrae superposés sur le modèle des bulles de Fermi. A droite, carte gamma des bulles de Fermi (bleus) superposée sur la carte de distribution des étoiles RR Lyrae (rouges) observées par Gaia. La forme et l'orientation de SagDEG correspond parfaitement à celle du cocon de Fermi, une sous-structure lumineuse de rayons gamma située dans la partie sud des bulles de Fermi. C'est une preuve forte que le cocon de Fermi est dû à des processus énergétiques se produisant, vu de la Terre, derrière les bulles de Fermi. Documents J.Bland-Hawthorn et al. (2019), G.Ponti et al. (2019) et R.M. Crocker et al. (2022) adapté par l'auteur.

En raison de l'orbite serrée de SagDEG autour de la Voie Lactée et de ses passages précédents à travers le disque galactique, elle a perdu la majeure partie de son gaz interstellaire, et nombre de ses étoiles ont été arrachées de son noyau pour former des courants stellaires.

Selon les chercheurs, étant donné que le SagDEG est au repos et ne contient ni gaz ni nurseries stellaires, il n'y a que deux origines possibles à ses émissions gamma : soit une population de pulsars millisecondes inconnus soit des annihilations de matière sombre.

Les chercheurs ont découvert que les pulsars millisecondes sont des accélérateurs efficaces d'électrons et de positrons hautement énergétiques, et suggèrent également que des processus physiques similaires pourraient être à l'oeuvre dans d'autres galaxies naines satellites de la Voie Lactée.

Selon Oscar Macias du GRAPPA (Gravitational and Astroparticle Physics Amsterdam) de l'Université d'Amsterdam et coauteur de cet article, "C'est une découverte significative car certains modèles prédisent que les rayons gamma d'une galaxie naine seraient une signature irréfutable de l'annihilation de la matière sombre. Notre étude oblige à réévaluer les capacités d'émission à haute énergie des objets stellaires au repos, tels que les galaxies sphéroïdales naines, et leur rôle en tant que cibles principales pour les recherches d'annihilation de la matière sombre."

Une onde dans la Galaxie : l'escargot de Gaia

Selon une étude publiée dans la revue "Nature" en 2018 (en PDF sur arXiv) et résumée sur le site de l'ESA, il semble qu'en frôlant la Voie Lactée il y a entre 300 et 900 millions d'années, la galaxie naine SagDEG généra une onde de densité dans le disque galactique qui perturba les trajectoires de millions d'étoiles.

Grâce au satellite Gaia, après avoir comparé l'altitude de quelques millions d'étoiles par rapport au plan galactique et en estimant leurs vitesses dans les trois dimensions (l'espace des phases) afin de déterminer géométriquement leurs mouvements, Teresa Antoja de l'Université de Barcelone et ses collègues ont découvert que la distribution des étoiles dans l'espace de phase du disque galactique contient d'innombrables sous-structures de formes diverses, dont la plupart n'ont jamais été observées auparavant par manque de données. En résumé, quand on reporte les positions et vitesses des étoiles dans un diagramme de phase comme on le voit ci-dessous à droite, on constate que les étoiles s'alignent en formant une onde en spirale. Ce motif est parfois surnommé "l'escargot de Gaia".

A gauche, distribution des étoiles de la Voie Lactée dans le plan vertical position-vitesse (Z-Vz, par rapport au plan galactique). A droite, simulation du motif en spirale imprégné dans la vitesse des étoiles de la Voie Lactée. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 7 MB). Documents T.Antoja et al. (2018) adapté par l'auteur et ESA.

A la différence des molécules d'eau qui inventent sans cesse des motifs ondulés, les étoiles conservent une sorte de "mémoire" de l'objet qui les a perturbées. Cette empreinte se trouve dans leurs mouvements. Après un certain temps qui se compte en centaines de millions d'années, bien que les ondulations s'amortissent et soient moins visibles, en caractérisant suffisamment d'étoiles on peut encore détecter cette perturbation dans la répartition des étoiles en analysant leurs vitesses.

Les chercheurs ont réexaminé des travaux antérieurs portant sur ce "mélange de phases" dans le domaine astrophysique mais également en physique quantique. Bien que personne n'ait encore étudié ce phénomène dans le disque de la Voie Lactée, les structures découvertes rappellent clairement ces phénomènes spiralés qui correspondent exactement aux cas d'écoles décrits dans les manuels comme la simulation présentée ci-dessus à droite.

Preuve d'une collision latérale avec une galaxie naine

Alors qu'il y a encore quelques générations, on imaginait que les galaxies subissaient peu de collisions, en réalité il s'avère qu'elles en subissent énormément - des dizaines en quelques milliards d'années - principalement avec des galaxies naines qu'elles absorbent et qui contribuent à augmenter leur masse et modifier leur forme.

Ainsi, dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2020 (en PDF sur arXiv), l'équipe de Heidi Jo Newberg, professeur de physique, physique appliquée et d'astronomie à l'Institut Polytechnique Rensselaer de Troy, dans l'État de New York aux Etats-Unis, annonça la découverte d'une collision latérale survenue il y a plusieurs milliards d'années entre une galaxie naine et la Voie Lactée. Cette fusion (merge) engendra une série de formations stellaires en forme de coquilles révélatrices à proximité de la constellation de la Vierge comme le montre la simulation présentée ci-dessous à gauche.

La découverte est doublement intéressante car il s'agit des premières structures en coquilles de ce type découvertes dans la Voie Lactée.

La Fusion Radiale de la Vierge

Cette découverte fait suite à l'identification par plusieurs astronomes d'une surdensité d'étoiles dans la constellation de la Vierge il y a plusieurs décennies (cf. A.K. Vivas et al., 2001; R.Ibata et al., 2001). Les études ont révélé que certaines de ces étoiles se déplacent dans notre direction tandis que d'autres s'éloignent, ce qui est inabituel car un groupe d'étoiles voyage généralement de concert. Selon Newberg qui est expert du halo de la Voie Lactée, "Ce groupe d'étoiles avait tout un tas de vitesses différentes, ce qui était très étrange. Mais maintenant que nous voyons leur mouvement dans son ensemble, nous comprenons pourquoi les vitesses sont différentes, et pourquoi elles se déplacent comme elles le font."

Arrêt sur image sur une simulation du Virgo Radial Merger (VRM, cf. la vidéo). Les étoiles identifiées forment des surdensités, des coquilles suite à une collision radiale survenue entre une galaxie naine et la Voie Lactée il y a ~2.7 milliards d'années. Simulation de T.Donlon (2020).

Sur la base de nouvelles données, les chercheurs ont proposé dans un article publié en 2019 que la surdensité était le résultat d'une fusion radiale. Les structures en coquilles représentent des plans d'étoiles incurvés comme des parapluies laissés lorsque la galaxie naine fut disloquée, rebondissant littéralement de haut en bas à travers le centre de la Voie Lactée dans un mouvement de va-et-vient graduellement amorti, chaque écrasement au centre engendrant la formation d'une nouvelle structure en coquille. Les chercheurs ont surnommé cet évènement, la "Fusion Radiale de la Vierge" (Virgo Radial Merger). Des simulations ont permis de reproduire la séquence complète de collision et de calculer quand elle s'était produite.

Sur la base des données du SDSS (Sloan Digital Sky Survey), du satellite Gaia et du télescope LAMOST installé en Chine, les chercheurs ont identifié deux structures en coquille dans la surdensité de la Vierge et deux autres dans la région du nuage Hercules Aquila (HAC). La modélisation informatique des coquilles et du mouvement des étoiles indique que la galaxie naine traversa pour la première fois le centre de la Voie Lactée il y a ~2.7 milliards d'années.

Ces fusions dites marémotrices sont assez courantes et on en trouve de nombreuses traces dans le halo galactique sous forme de longs rubans d'étoiles se déplaçant à l'unisson dans le halo. On reviendra sur les autres collisions.

Avec le temps, les fusions radiales ou latérales violentes sont devenues beaucoup plus rares. Les plus connues ont été découvertes dans des galaxies éloignées (cf. les interactions entre galaxies). Thomas Donlon II qui est le principal auteur de l'article sur la Fusion Radiale de la Vierge publié en 2019 fut le premier à proposer une fusion latérale. En effet, alors qu'avec ses collègues ils modélisaient le mouvement de la surdensité de la Vierge, ils ont réalisé que c'est le même type de fusion qui provoque les grandes coquilles multiples qu'on observe dans certaines galaxies comme NGC 474/NGC 470 alias Arp 227. Selon Donlon, "L'une des différences est que nous sommes à l'intérieur de la Voie Lactée, donc nous avons une perspective différente, et c'est aussi une galaxie à disque et nous n'avons pas autant d'exemples de structures en coquilles dans ce type de galaxie."

Cette découverte a des implications potentielles pour un certain nombre d'autres phénomènes stellaires, y compris la "saucisse de Gaia", une formation d'étoiles qui aurait résulté de la fusion d'une galaxie naine il y a 8 à 10 milliards d'années (voir plus bas).

Des travaux antérieurs ont soutenu l'idée que la Fusion Radiale de la Vierge et la saucisse de Gaia résultaient du même évènement. Mais l'estimation d'âge beaucoup plus basse pour la Fusion Radiale de la Vierge signifie que soit les deux évènements sont différents soit que la "saucisse de Gaia" est beaucoup plus jeune et n'aurait pas pu provoquer la création du disque épais de la Voie Lactée, comme on l'affirma en 2018.

Un modèle en spirale fut également découvert dans les données de position et de vitesse des étoiles proches du Soleil, parfois appelé "l'escargot de Gaia" (voir plus bas), et un autre évènement hypothétique appelé "Splash", peuvent également être associés à la Fusion Radiale de la Vierge. Selon Newberg, "Il y a beaucoup de liens potentiels avec cette découverte. La Fusion Radiale de la Vierge ouvre la porte à une meilleure compréhension d'autres phénomènes que nous voyons et ne comprenons pas complètement, et qui pourraient très bien avoir été affectés par quelque chose qui est tombé en plein milieu de la Galaxie il y a moins de 3 milliards d'années."

A voir : The Milky Way's Shell Structure Reveals the Time of a Radial Collision

Simulation of the Virgo Radial Merger (VRM)

Les Courants d'Helmi

Illustration des principales collisions et/ou fusions que connut la Voie Lactée depuis 11 milliards d'années. Document Dailymail adapté par l'auteur.

Après avoir étudié pendant 22 mois des millions d'étoiles de la Voie Lactée grâce à Gaia, dans un article publié dans la revue "Nature" en 2018, l'expert en archéologie galactique Amina Helmi de l'Université de Groningen, aux Pays-Bas, et ses collègues ont découvert qu'un groupe de 30000 étoiles se déplaçait de manière synchronisée dans le voisinage du Soleil dans la direction opposée au reste de leur échantillon de sept millions d'étoiles.

Ce modèle de mouvement atypique correspondait à ce que les scientifiques avaient précédemment observé dans des simulations informatiques modélisant des collisions et des fusions galactiques.

En terme de couleur et de luminosité, les étoiles de ce groupe surnommé les "Courants d'Helmi" occupent une place particulière dans le diagramme H-R. C'est de toute évidence une population distincte de celle de la Voie Lactée. Autrement dit, elles proviendraient d'une autre galaxie. Selon Helmi, "La collection d'étoiles que nous avons trouvée avec Gaia a toutes les propriétés de ce que vous attendez des débris d'une fusion galactique."

Une analyse plus approfondie confirma que les étoiles, qui font désormais partie du halo interne de la Voie Lactée et du disque épais galactique, doivent provenir d'une autre galaxie surnommée Gaia-Encélade (voir ci-dessous).

Les débris de Gaia-Encélade

Amina Helmi précitée et ses collègues ont découvert les "Courants d'Helmi", un groupe de 30000 étoiles qui se déplace de manière synchronisée à travers la Galaxie. Leur analyse montre qu'il s'agit clairement d'une population distincte, différente des étoiles de la Voie Lactée..

En analysant ces données surprenantes, Helmi et ses collègues ont tout de suite soupçonné que ces étoiles avaient un rapport avec l'histoire de la formation de la Voie Lactée. En effet, par le passé Helmi et son groupe de recherche avaient réalisé des simulations informatiques pour étudier l'évolution des étoiles lors d'une fusion entre deux grandes galaxies. C'est en comparant cette simulation aux données de Gaia que les chercheurs ont constaté que les résultats simulés correspondaient aux observations.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2018, Helmi déclara que "la collection d'étoiles que nous avons trouvée avec Gaia possède toutes les propriétés qu'on peut attendre des débris d'une fusion galactique." En d'autres termes, ce groupe d'étoiles faisait autrefois partie d'une autre galaxie, la galaxie naine Gaia-Encélade, qui fut absorbée par la Voie Lactée. Ces étoiles forment à présent l'essentiel du halo interne de la Galaxie - une composante diffuse formée à une époque très ancienne et qui entoure à présent l'essentiel de la Voie Lactée.

Illustrations artistiques des débris de la galaxie Gaia-Encélade qui fusionna avec la Voie Lactée il y a 10 milliards d'années et dont on trouve des débris dans toute la Galaxie. Les positions et les mouvements des étoiles de Gaia-Encélade (représentés par des flèches jaunes) dans cette première phase de la fusion sont basés sur une simulation qui modélise une rencontre similaire à celle découverte par Gaia. Documents ESA/A.Helmi et al. (2018) pour la simulation et NASA/ESA/HST (image).

Selon les simulations de l'équipe d'Helmi, en plus d'alimenter les étoiles du halo, la galaxie naine accrétée aurait également perturbé les étoiles préexistantes de la Voie Lactée et contribuèrent à la formation du disque épais (voir plus bas). Sachant que les étoiles qui se forment dans les différentes galaxies ont des compositions chimiques uniques qui correspondent aux conditions de la galaxie d'origine, si ce groupe d'étoiles représente bien les débris d'une galaxie qui fusionna avec la nôtre, les étoiles restantes devraient conserver une empreinte dans leur composition. Mais avant de conclure, les astronomes devaient compléter les données de Gaia avec celles sur la composition chimique des étoiles fournies par le sondage APOGEE du SDSS. C'est effectivement ce qui fut observé.

Les astronomes ont appelé cette galaxie "Gaia-Encélade" par référence au nom de l'un des géants de la mythologie grecque qui donna naissance à Gaia (Gaïa en français), la Terre et à Uranus, le Ciel. Helmi nous rappelle que "selon la légende, Encélade aurait été enseveli sous l'Etna, en Sicile, et serait responsable des tremblements de terre locaux. De même, les étoiles de Gaia-Encélade ont été profondément enfouies dans les données de Gaia et elles ont ébranlé le disque épais de la Voie Lactée."

Même si aucune preuve supplémentaire n'était vraiment nécessaire, les chercheurs ont également trouvé des centaines d'étoiles variables et 13 amas globulaires dans la Voie Lactée qui suivent des trajectoires similaires à celles des étoiles de Gaia-Encélade, indiquant qu'ils faisaient partie de ce système. Le fait que tant de groupes puissent être liés à Gaia-Encélade est une autre indication du fait que cette galaxie dut être autrefois une grande galaxie, avec sa propre population d'amas globulaires.

A voir : Merger in the early formation stages of our Galaxy, ESA

Localisation et parallaxe (une mesure de leur distance) des étoiles du groupe Gaia-Encélade découvert dans la Voie Lactée. Les valeurs pourpres indiquent les étoiles proches et les jaunes les plus éloignées. Les cercles blancs indiquent l'emplacement des amas globulaires qui suivent la même trajectoire que les étoiles de Gaia-Encélade. Les étoiles variables associées au groupe Gaia-Encélade sont indiquées par les symboles bleus. Document ESA/Gaia/A.Helmi et al. (2018).

Une analyse plus poussée révéla que cette galaxie avait à peu près la taille de l'un des Nuages de Magellan. Cependant, il y a dix milliards d'années, lorsqu'eut lieu la fusion avec Gaia-Encélade, la Voie Lactée était beaucoup plus petite, le rapport entre les deux étant de 4:1. C'était donc clairement une collision majeure pour la Voie Lactée.

Grâce à Gaia, les astronomes ont également découverts l'empreinte d'autres collisions.

Gaia-Sausage : une collision majeure qui changea la Voie Lactée

Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2018 (en PDF sur arXiv), sur base d'un relevé partiel réalisé par Gaia des paramètres de 7 millions d'étoiles proches du Soleil, l'équipe de Vasiuly Belokurov de l'Université de Cambridge (GB) a découvert que la distribution de ces étoiles n'était pas régulière, la plupart présentant des trajectoires très radiales et des vitesses élevées qui les ont conduites très près du centre de la Galaxie. C'est un signe révélateur que la Voie Lactée fut percutée par une galaxie naine placée sur une orbite très excentrique qui scella son destin.

Comme on le voit ci-dessous, la distribution de ces étoiles (en rouge) est le résultat d'une collision survenue il y a 8 à 11 milliards d'années entre la Voie Lactée et une petite galaxie surnommée "Sausage" (Saucisse) en raison de la distribution caractéristique des étoiles. Celles-ci gravitent à peu près toutes à la même distance du centre de la Galaxie. On observe également des demi-tours impliquant que la densité dans le halo stellaire de la Voie Lactée diminue considérablement à l'endroit où les étoiles inversent leur course. Ce phénomène de "U-Turn" typique d'une relaxation avait déjà été prédit en 2013 par Alis Deason de l'Université de Durnham qui avait suggéré qu'il était associé à un évènement d'accrétion massif très ancien (cf. A.Deason et al., 2013). Sa prédiction s'est avérée correcte.

A gauche, lorsqu'on analyse la distribution des vitesses des étoiles de la Voie Lactée, on constate qu'elles ont conservé l'empreinte de la galaxie "Sausage" (Saucisse), surnom donné en raison de sa forme caractéristique allongée. Cette forme unique résulte des rapides mouvements radiaux des étoiles. Étant donné que le Soleil se trouve au centre de cet énorme nuage d'étoiles, la distribution n'inclut pas les étoiles lentes qui font actuellement demi-tour vers le centre de la Galaxie. A droite, illustration artistique de l'aspect de la Voie Lactée et de la petite galaxie "Sausage" avec laquelle elle entra en collision il y a 8 à 11 milliards d'années. L'enregistrement de cette rencontre a été préservé dans les vitesses et la chimie des étoiles. Documents V. Belokurov et al. (2018) et ESO/Juan Carlos Muñoz.

Cette collision fut l'une des plus importantes que connut la Voie Lactée et déforma sa structure, tant son bulbe que le halo. La galaxie naine n'a pas survécu à l'interaction et s'est rapidement disloquée, ses constituants étant aujourd'hui éparpillés tout autour de nous sous forme d'étoiles animées de vitesses radiales élevées. Ces étoiles sont ce qui reste de la dernière fusion majeure de la Voie Lactée.

Ceci dit, comme nous l'avons expliqué, la Voie Lactée continue d'entrer en collision avec d'autres galaxies, notamment avec la galaxie naine SagDEG. Toutefois, la galaxie "Sausage" était beaucoup plus massive. Sa masse totale (virielle) en gaz, étoiles et matière sombre a été estimée à environ 50 milliards de masses solaires, soit 500 fois supérieure à celle de SagDEG.

Sur base de simulations de cette fusion réalisée par Denis Erkal de l'Université de Surrey et coauteur de cet article, les chercheurs ont conclu que la masse importante de ce mergeur provoqua beaucoup de "dégâts" et de perturbations. Les étoiles suivant des orbites très allongées, le disque de la Voie Lactée s'est probablement épaissi ou s'est même fracturé suite à l'impact et a dû être reconstruit au fil des interactions gravitationnelles. Les débris de la galaxie naine s'étant éparpillés tout autour des parties internes de la Voie Lactée, ils ont accentué voire même créé la barre du bulbe central galactique et le halo stellaire environnant car cette galaxie était assez massive pour amener avec elle près d'une dizaine d'amas globulaires dont probalement NGC 2808 comme le confirma cette autre étude publiée par l'équipe de G.C. Myeong en 2018.

Mais comme nous l'avons expliqué plus haut à propos de la Fusion Radiale de la Vierge (les coquilles stellaires découvertes dans la Voie Lactée), il faut replacer cet évènement dans son contexte et notamment par rapport aux autres collisions pour comprendre quelle fusion contribua à quelle partie de la Voie Lactée, un puzzle qui n'est pas facile d'assembler.

Une collision au début de la formation de la Voie Lactée

Grâce aux données de la 2e distribution de Gaia (DR2) relatives à la position, la luminosité et la distance d'environ un million d'étoiles situées à moins de 6500 années-lumière du Soleil, l'équipe de Carme Gallart de l'IAC en Espagne a pu mettre en évidence certaines des premières étapes de la formation de la Voie Lactée expliquant les caractéristiques du disque et du halo. Les chercheurs ont analysé et comparé les données aux modèles théoriques de la distribution des couleurs et des magnitudes (luminances) des étoiles de la Voie Lactée, en les scindant en deux composantes : le halo stellaire et le disque épais. Les résultats de leur étude furent publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2019.

Des études précédentes avaient montré que le halo galactique présentait des signes évidents de deux composantes stellaires distincts, l’une dominée par des étoiles plus bleues. Le mouvement des étoiles dans la composante bleue a rapidement permis aux chercheurs de l'IAC de l'identifier comme les restes de la galaxie naine Gaia-Encélade évoquée ci-dessus entrée en collision très tôt avec la Voie Lactée. Cependant, la nature de la population rouge et l'époque de la fusion entre Gaia-Encélade et notre Galaxie étaient jusqu'à présent inconnues.

Selon Chris Brook de l'IAC et coauteur de cet article, "l'analyse des données de Gaia nous a permis d'obtenir la distribution des âges des étoiles dans les deux composantes et a montré que celles-ci sont formées par des étoiles également anciennes, plus anciennes que celles du disque épais." Mais si les deux composantes se sont formées en même temps, qu'est-ce qui différencie l'une de l'autre ?

A voir : Early days of the Milky Way

Evolution de la Voie Lactée depuis sa fusion avec la galaxie naine Gaia-Encélade il y a 10 milliards d'années. Consultez la vidéo ci-dessus pour une simulation de la fusion. Document Gabriel Pérez Díaz, SMM (IAC) adapté par l'auteur.

Selon son collègue Tomás Ruiz Lara, "la dernière pièce du casse-tête fut donnée par la quantité de métaux dans les étoiles d'une composante ou de l'autre" (pour rappel, les étoiles bleues ont une quantité de métaux inférieure à celle des étoiles plus rouges). Ces résultats, auxquels s'ajoutent les prédictions de simulations également analysées dans l'article, ont permis aux chercheurs de compléter l'histoire de la formation de la Voie Lactée.

Selon les chercheurs, il y a 13 milliards d'années, des étoiles ont commencé à former deux systèmes stellaires différents qui ont ensuite fusionné : une galaxie naine appelée Gaia-Encélade et l'autre, la forme primitive de la Voie Lactée, quatre fois plus massive et plus vaste et contenant plus de métaux. Il y a environ 10 milliards d'années, une violente collision s'est produite entre les deux galaxies. Comme le montre l'animation ci-dessus, certaines étoiles de la Voie Lactée et de Gaia-Encélade furent entraînées dans des mouvements chaotiques et ont finalement formé le halo actuel de la Voie Lactée. Ensuite, on observe une flambée de formation d'étoiles pendant ~4 milliards d'années (jusqu'il y a 6 milliards d'années), lorsque le gaz est retombé dans le disque de la Voie Lactée et forma ce qu'on appelle le "disque mince".

Selon Matteo Monelli de l'IAC et coauteur de cet article, "jusqu'à présent, toutes les prédictions et les observations des galaxies spirales lointaines similaires à la Voie Lactée indiquent que cette phase violente de fusion entre des structures plus petites était très fréquente. Grâce aux données de Gaia, nous avons enfin pu identifier la spécificité du processus dans notre propre Galaxie, en révélant les premières étapes de notre histoire cosmique avec des détails sans précédent."

Collision avec la galaxie naine Antlia 2

Selon une étude publiée en 2019 par la physicienne Sukanya Chakrabarti de l'Ecole de Physique et d'Astronomie de l'Institut de Technologie de Rochester (RIT) et ses collègues, des perturbations visibles sur le bord du disque de la Voie Lactée proviendraient d'une collision avec la galaxie naine Antlia 2 qui se serait produite il y a des centaines de millions d'années.

La galaxie naine Antlia 2 fut découverte en 2018 grâce au satellite Gaia. C'est une galaxie de magnitude visuelle 12.1 mais très diffuse située à 432800 années-lumière du coeur de la Voie Lactée et qui ne s'en approche jamais à moins de 130000 années-lumière (à ne pas confondre avec la galaxie naine Antlia située à 4.3 millions d'années-lumière). Antlia 2 est paradoxalement une galaxie naine géante; elle mesure un tiers de la Voie Lactée mais est 10000 fois plus pâle que le Grand Nuage de Magellan (LMC). Selon les modèles astrophysiques, elle semble beaucoup trop grande pour sa luminosité (ou trop pâle pour sa taille) et contiendrait essentiellement de la matière sombre (ou noire).

La localisation actuelle d'Antlia 2 correspond étroitement à celle d’une galaxie naine dominée par de la matière sombre telle que l'avait prédite Chakrabarti en 2009 au moyen d'une analyse dynamique. À l'aide des données de Gaia, Chakrabarti calcula sa trajectoire passée et découvrit qu'Antlia 2 se serait écrasée dans la Voie Lactée en produisant les grandes ondulations que nous voyons dans le disque de gaz extérieur de notre Galaxie. Les simulations suivantes illustrent cette collision.

A voir : Watch Galaxies Collide

A gauche, photomontage montrant l'aspect de la galaxie Antlia 2 découverte en 2018 comparée à la Voie Lactée et au LMC. Document V.Belokurov/U.Cambridge, Marcus et Gail Davies, Robert Gendler. Au centre, l'équipe de Sukanya Chakrabarti pense que la collision de la galaxie naine sombre Antlia 2 avec la Voie Lactée il y a des centaines de millions d’années est responsable des ondulations caractéristiques visibles dans le disque externe de la Voie Lactée. A droite, cette simulation décrit les interactions entre la Voie Lactée et Antlia 2 depuis 3 milliards d'années jusqu'à nos jours. Les panneaux de gauche montrent la distribution du gaz et les panneaux de droite les étoiles. Les panneaux du haut montrent les galaxies de face tandis que les panneaux du bas montrent les galaxies de profil. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (.GIF de 1.3 MB). Documents S.Chakrabarti et al. (2019).

Selon Chakrabarti, cette découverte ne restera pas sans suite car elle devrait permettre de développer des méthodes pour débusquer les galaxies sombres et aider à résoudre le problème toujours ouvert de la nature de la matière sombre. "Si Antlia 2 est la galaxie naine que vous avez prédite, vous connaissez son orbite. Vous savez qu'elle devait s'approcher du disque galactique. Cela impose donc des contraintes strictes non seulement sur la masse, mais aussi sur son profil de densité. Cela signifie que vous pourrez utiliser Antlia 2 en tant que laboratoire unique pour en savoir plus sur la nature de la matière sombre."

Les chercheurs ont également exploré d’autres causes potentielles des ondulations du disque externe de la Voie Lactée, mais ont exclu les autres candidats. Ainsi, la force de marée engendrée par la galaxie naine SagDEG était insuffisante tandis que les deux Nuages de Magellan sont trop éloignés. Les preuves indiquent qu'Antlia 2 est la cause la plus probable de cette perturbation.

Cette étude disponible en PDF sur arXiv fut présentée au cours de 234e meeting de l'American Astronomical Society qui s'est tenu à Saint Louis, Mo, le 12 juin 2019.

Des galaxies naines dérobées au Grand Nuage de Magellan

Autour de la Voie Lactée gravitent au moins 50 galaxies naines (cf. le Groupe Local dans l'article sur les amas de galaxies) dont le Grand Nuage de Magellan (LMC). Dans une étude publiée dans les "MNRAS" en 2019, le postdoctorant Ethan D. Jahn et ses collègues de l’Université de Californie à Riverside (UCR) ont découvert que plusieurs de ces galaxies naines avaient probablement été dérobées au LMC, y compris plusieurs naines de faibles masses mais relativement brillantes dont les galaxies Carina Dwarf et Fornax Dwarf.

Les chercheurs ont fait cette découverte en utilisant les données de Gaia sur les mouvements de plusieurs galaxies proches et en les comparant aux dernières simulations hydrodynamiques tenant compte de la matière sombre. Ils ont constaté qu'au moins quatre naines ultra-légères et deux naines classiques (Carina et Fornax) étaient auparavant des satellites du LMC. Cependant, dans le cadre du processus de fusion en cours, la Voie Lactée étant plus massive, son puissant champ gravitationnel a "déchiré" le LMC et attira ces satellites.

Pour obtenir ce résultat, les chercheurs ont utilisé des simulations informatiques du projet FIRE précité pour montrer que le LMC et les galaxies similaires hébergent de nombreuses petites galaxies naines dont beaucoup ne contiennent aucune étoile mais uniquement de la matière sombre. En effet, selon les chercheurs, le nombre élevé de minuscules galaxies naines semble indiquer que le contenu en matière sombre du LMC est assez important, ce qui signifie que la Voie Lactée connaît actuellement la fusion la plus massive de son histoire.

A gauche, Ethan Jahn et Laura Sales à l'Université de Princeton en 2019 discutant de la simulation décrite dans leur article sur le LMC. A droite, extrait d'une simulation utilisée dans cette étude. En haut à gauche, la matière sombre est représentée en blanc. En bas à droite, une galaxie simulant le Grand Nuage de Magellan contenant des étoiles et du gaz, ainsi que plusieurs galaxies naines satellites.

Selon Jahn, le LMC apporta jusqu'à un tiers de la masse du halo de matière sombre de la Voie Lactée et il est tout à fait possible que le LMC contienne encore de nombreuses galaxies naines de matière sombre. Mais vu leur nature, elles sont très difficiles à détecter (rappelons que le LMC hébergea au moins sept galaxies satellites, dont le Petit Nuage de Magellan (SMC), avant d'être capturé par la Voie Lactée).

Selon Laura Sales, autrice principale de cet article, "ces résultats sont une confirmation importante de nos modèles cosmologiques qui prédisent que les petites galaxies naines devraient également être entourées d'une population de plus petits compagnons constitués de galaxies plus pâles. C’est la première fois que nous sommes en mesure de cartographier la hiérarchie de la structure de naines aussi pâles."

Ces résultats ont également des implications importantes pour déterminer la masse totale du LMC et pour préciser la formation de la Voie Lactée. En effet, si autant de galaxies naines du LMC furent récemment attirées par la Voie Lactée, cela signifie que les propriétés des galaxies satellites de la Galaxie étaient radicalement différentes il y a à peine un milliard d'années, ce qui a une incidence sur notre compréhension de la formation et de l'évolution des galaxies les plus pâles.

Le prochain objectif des chercheurs est d'étudier comment les satellites des galaxies de la taille du LMC forment leurs étoiles et de quelle manière ce processus est lié à la matière sombre qu'elles abritent. Il sera notamment intéressant de savoir si en présence de matière sombre ces galaxies se forment de la même manière et ressemblent ou non à la Voie Lactée.

Sursaut de formation stellaire dans le LMC

Nous avons expliqué que le Grand Nuage de Magellan (LMC) contient plus de 900 objets astronomiques parmi lesquels des centaines de nébuleuses brillantes, des étoiles variables, le résidu d'une supernova (Sanduleak) et même un pulsar qui viennent s'ajouter aux 20 milliards d'étoiles en majorité des géantes chaudes (classes O et B).

Taux de formation stellaire de la Voie Lactée et du LMC basé sur les données de Gaia et du sondage SDSS. Ces données ne tiennent pas compte de l'effet du passage de la galaxie naine SagDEG sur le sursaut de production stellaire de la Voie Lactée il y a ~5 milliards d'années. Document D.Nidever et al. (2019).

Si le LMC paraît assez calme de nos jours, grâce aux données de Gaia et du sondage SDSS, les astronomes ont découvert que cela n'a pas toujours été le cas.

Pour estimer le taux de formation stellaire des deux Nuages de Magellan, les chercheurs ont réalisé des spectres de 3200 géantes rouges identifiées dans ces deux galaxie naines. En mesurant la composition chimique de ces étoiles, les astronomes ont pu déduire leur histoire stellaire et déterminer approximativement l'époque à laquelle elles se sont formées. Ensuite, à partir de ces données ils ont pu estimer le taux de production stellaire au cours du temps.

La reconstruction a été possible en raison de la différence de durée de vie des étoiles de chaque classe spectrale et du rôle que jouent les étoiles plus massives quand elles explosent en supernovae dans l'enrichissement des galaxies en éléments lourds. Les nouvelles générations d'étoiles se forment à partir du gaz enrichi et héritent de cette composition chimique. Le processus se répète au rythme des générations stellaires. Les étoiles de faible masse ont pu survivre plus longtemps et préserver dans leur composition l'histoire de l'enrichissement de leur galaxie. En cartographiant les abondances de ces étoiles (notamment H et Fe), les astronomes sont parvenus à lire les archives des formations stellaires des Nuages du Magellan.

Les résultats de cette étude publiée en 2019 par David L. Nidever de la NOAO et ses collègues montrent que l'histoire de la formation stellaire des deux Nuages de Magellan est très différente de celle de la Voie Lactée. Comme on le voit dans le graphique présenté ci-dessus, dans la Voie Lactée le taux de formation d'étoiles débuta de manière explosive et déclina progressivement, à l'exception du moment où elle subit le crash de SagDEG décrit précédemment.

. En revanche, dans les Nuages de Magellan, au début les étoiles se sont formées extrêmement lentement, à un taux de seulement 1/50e de celui de la Voie Lactée, puis ce taux est monté en flèche au cours des 2 derniers milliards d'années et est encore de nos jours supérieur à celui de la Voie Lactée qui produit l'équivalent d'environ 3 M par an (cf. les découvertes récentes en astrophysique).

Selon Nidever, le sursaut spectaculaire du taux de formation stellaire est dû aux interactions gravitationnelles entre les Nuages de Magellan et la Voie Lactée : "les Nuages de Magellan ont commencé leur vie dans une partie relativement isolée de l'univers, où il n'y avait aucune raison de former des étoiles. Mais au cours des derniers milliards d'années, les interactions étroites entre les deux Nuages et avec la Voie Lactée ont provoqué la transformation du gaz en étoiles."

Comme nous le verrons à propos des interactions entre galaxies, au cours des prochains milliards d'années, les Nuages de Magellan fusionneront avec la Voie Lactée. À mesure que la fusion progressera, le taux de formation stellaire dans les Nuages de Magellan devrait atteindre un niveau uniforme. Ensuite, dans environ 2.5 milliards d'années, le Grand Nuage de Magellan sera entièrement absorbé par la Voie Lactée, processus qui sera marqué par une explosion de formation d'étoiles. Si nos voisins les plus proches ont peut-être démarré lentement, des temps passionnants les attendent !

Enfin, grâce à Gaia, en 2018 les astronomes ont découvert trois nouveaux amas ouverts dans la Voie Lactée. On y reviendra.

Image synthétique de la Voie Lactée

L'image panoramique ci-dessous de la Voie Lactée fut publiée dans le cadre de la 2e distribution des données de Gaia (DR2) le 25 avril 2018 par l'ESA. Cette image est une carte virtuelle construite numériquement et non pas une véritable photo de la Voie Lactée. Cette image est basée sur les mesures de position et de couleur de près de 1.7 milliard d'étoiles et affichée selon une projection équirectangulaire (une projection de la sphère céleste sur un rectangle qui convient aux projections sur une surface sphérique).

Cette carte indique la couleur (teinte, pureté et luminance) des étoiles observées par le satellite Gaia dans les deux hémisphères célestes entre juillet 2014 et mai 2016. Les régions plus claires indiquent des concentrations plus denses d'étoiles particulièrement brillantes, tandis que les régions plus sombres correspondent à des zones du ciel contenant moins d'étoiles brillantes. La représentation des couleurs fut obtenue en combinant des images optiques (lumière blanche) avec des images prises sous filtre bleu et rouge.

A voir : Vue interactive à 360° de la Voie Lactée, ESA

Image synthétique de la Voie Lactée obtenue à partir des données de Gaia DR2 entre 2014-2016. Document ESA.

On reconnaît facilement la structure horizontale brillante du plan galactique, c'est-à-dire le disque aplati (composé du disque mince et du disque épais) qui héberge la plupart des étoiles de notre Galaxie. Au centre de l'image se trouve le bulbe galactique qui concentre le plus d'étoiles et abrite notamment le fameux trou noir supermassif Sgr A*.

Les régions plus sombres qui apparaissent comme des filaments devant le plan galactique correspondent à des nuages interstellaires composés de gaz et de poussière qui absorbent la lumière des étoiles situées à l'arrière-plan. La plupart de ces nuages cachent des pépinières d'étoiles où se forment les nouvelles générations d'étoiles.

De nombreux amas ouverts et globulaires sont identifiables sur l'image en haute résolution (46 mégapixels), ainsi que plusieurs galaxies dont les Nuages de Magellan, M31 et M33.

Gaia n'a pas fini de nous surprendre.

Pour plus d'informations

Gaia, ESA

Gaia - Image of the week, ESA

La Voie Lactée (sur ce site).

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