|
Les Nuages de Magellan LMC et SMC Lors de sa course autour du monde en 1519, le navigateur Fernando Magellan découvrit, perdues parmi les étoiles de l'hémisphère sud deux petites taches floues brillantes (magnitude visuelle intégrée de 0.9 pour le Grand Nuage de Magellan ou LMC (Large Magellanic Cloud) et de 2.7 pour le Petit Nuage de Magellan ou SMC (Small Magellanic Cloud) séparées l'une de l'autre d'environ 22°. Nous savons aujourd’hui qu'il s'agit de deux galaxies naines et donc évoluant en dehors de la Voie Lactée, situées respectivement à ~163000 années-lumière (LMC) et ~199000 années-lumière (SMC) du noyau galactique qui sont sur une trajectoire de collision avec la Voie Lactée. Jussqu'aux années 2000, les Nuages de Magellan étaient catalogués comme des galaxies satellites de la Voie Lactée. Mais en mesurant la vitesse du LMC, les astronomes ont découvert que sa vitesse de déplacement était trop élevée pour qu'il soit lié gravitationnellement à notre Galaxie. En fait, au lieu d'être satellisé, le LMC nous visite pour la première fois. Il en est de même pour la plupart des galaxies naines entourant la Voie Lactée. On y reviendra à propos des découvertes de Gaia. Le LMC s'étend sur plus de 10° (mais environ 5° à l'oeil nu) ce qui représente un diamètre de seulement 14000 années-lumière. Il contient quelque 20 milliards d'étoiles géantes, pour la plupart jeunes et chaudes des classes spectrales O et B représentant une masse totale (virielle) d'environ 188 milliards de masses solaires (cf. D.Erkal et al., 2018; N.Shipp et al., 2021), ce qui reste plus de 7 fois inférieur à la masse de la Voie Lactée. Ceci dit, face aux plus petites galaxies naines et aux plus massifs des amas globulaires, le LMC est cent fois plus massif. C'est donc déjà une galaxie naine respectable.
Comme on le voit sur les photos ci-jointes, son compagnon, le SMC est plus discret et plus diffus. Sa forme contraste fortement avec l'amas globulaire 47 Tucana situé à quelques degrés de distance. Le SMC mesure 7000 années-lumière de diamètre. Il contient quelques centaines de millions d'étoiles pour une masse totale d'environ 7 milliards de masses solaires. La masse stellaire de chacun des Nuages de Magellan est largement inférieure à leur masse totale. On en déduit qu'ils contiennent une grande quantité de matière sombre mais elle est totalement indétectable. Comme dans la majorité des galaxies, cette matière sombre se situe à la fois dans le disque de la galaxie mais également dans le halo galactique. Sa nature et son origine restent des mystères. Classification Quelle est la morphologie des Nuages de Magellan ? En 1955, Gérard de Vaucouleurs de l'Université d'Austin publia dans "The Astronomical Journal" les résultats de son étude du LMC dont plusieurs cartes photométriques. L'une d'elles (page 133 dudit article) révéla la présence d'un noyau pratiquement circulaire à partir duquel s'étendait plusieurs petits bras spiraux. Depuis, le Grand Nuage de Magellan est classé parmi les galaxies spirales barrées, SBm. De même, malgré son aspect diffus, le Petit Nuage de Magellan est classé parmi les galaxies spirales barrées sans anneau, SB(s)m, mais dont le bras spiralé est dispersé. Notons que la lettre "m" faire référence aux galaxies magellaniques (cf. la classification des galaxies révisée de Vaucouleurs). Composition Outre des étoiles, du gaz et de la poussière, pratiquement tous les objets de notre Galaxie sont représentés dans les Nuages de Magellan. Le LMC contient environ 2000 étoiles variables, plus de 400 nébuleuses brillantes dont la célèbre nébuleuse de la Tarentule (NGC 2070) qui vit l'explosion de la supernova de Sanduleak en 1987. Il contient 65 nébuleuses annulaires, d'innombrables amas ouverts et globulaires, des régions de matière obscure, une dizaine de pulsars dont un binaire X (LMC X-4) et un gamma (PSR J0540-6919), ainsi que des étoiles "blue stragglers" (BBS) évoquées plus haut. Au total on a recensé près de 900 objets et les découvertes se succèdent. La distribution de la taille des amas stellaires et en particulier globulaires dans le LMC en fonction de leur âge est très déroutante. Selon une étude publiée dans la revue "Nature" en 2019 par l'équipe de Francesco Ferraro de l'Université de Bologne, les jeunes amas sont tous compacts, tandis que les amas les plus âgés présentent des tailles variables. Ce phénomène est généralement interprété comme l'effet de trous noirs binaires entraînant une expansion progressive du coeur des amas globulaires. Mais selon les chercheurs, il s'agirait plutôt des conséquences de l'évolution naturelle des amas peu massifs et jeunes (ceux formés il y a ~3 milliards d'années) car seuls les systèmes les plus compacts ont survécu et sont observables. Les vieux amas (et les plus massifs) seraient juste le résultat d'une évolution dynamique interne. En complément, en 1996 des astronomes participant au projet OGLE de l'Université de Princeton et observant à Las Campanasau Chili ont découvert dans le LMC une première confirmation de l'existence des MACHOs, ces objets sombres qui peuplent les galaxies et qui pourraient participer à la matière sombre de l'Univers. Ce thème qui fait encore couler beaucoup d'encre sera développé dans le dossier consacré à la cosmologie. On reviendra plus bas sur la matière sombre du LMC. En 2023, grâce à ALMA des astronomes ont découvert un disque d'accrétion autour de la jeune étoile du système HH1177 situé dans le Grand Nuage de Magellan. C'est la première fois qu'un tel disque est découvert en dehors de la Galaxie (cf. la phase T Tauri). Les nouvelles observations révèlent une jeune étoile massive de la classe des MYSO (Massive Young Stellar Object) accrétant la matière de son environnement et formant un disque en rotation képlérienne (cf. A.F. McLeod et al., 2023). Cette découverte fait suite aux observations effectuées avec l'instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopique Explorer) du VLT grâce auquel les chercheurs avaient repéré un jet provenant de ce système protostellaire situé au plus profond du nuage de gaz LHA 120-N 180B du LMC comme illustré ci-dessous.
Pour rappel, les MYSO de plus de 8 M, telles HH1177, se forment beaucoup plus rapidement et vivent beaucoup moins longtemps que les étoiles de faible masse comme le Soleil. Dans la Voie Lactée, ces étoiles massives sont notoirement difficiles à observer et sont souvent masquées par les nuages de poussière à partir desquels elles se forment. Cependant, dans le LMC, la matière à partir de laquelle naissent les nouvelles étoiles est fondamentalement différente de celle de la Voie Lactée. Selon les auteurs, grâce à sa faible teneur en poussière et sa faible métallicité, HH1177 n'est plus enfermé dans son cocon et offre aux astronomes une vue dégagée, quoique lointaine, de la formation des étoiles et des planètes. Cartographie En 2018, l'astronome Dougal Mackey de l'Université de Cambridge et son équipe ont publié dans "The Astrophysical Journal Letters" les résultats d'une nouvelle cartographie des étoiles situées en bordure des Nuages de Magellan réalisée dans le cadre du sondage Dark Energy Survey (DES) grâce au télescope Blanco de 4 m installé à l'observatoire du CTIO au Chili. Les chercheurs ont confirmé la forte interaction entre les deux Nuages de Magellan. Le disque externe du LMC est fortement déformé, présentant une forme irrégulière, des signes de gauchissement et une troncature importante du côté du SMC. De grandes sous-structures stellaires diffuses sont présentes à la fois au nord et au sud du LMC et dans la région interstellaire qui relie les deux galaxies comprenant des étoiles variables RR Lyrae.
Le SMC est fortement perturbé. Il présente des queues de marée tandis que les populations stellaires sont distribuées spatialement de manière remarquablement différentes. Les étoiles relativement jeunes (dont l'âge est compris entre ~1.5-4 milliards d'années) présentent une distribution globalement sphérique mais dont le centre est décalé de plusieurs degrés vers le LMC par rapport à la localisation des étoiles plus âgées. Les chercheurs en ont déduit que les interactions entre la composante gazeuse du SMC et le LMC se sont produites il y a plusieurs milliards années. Ces découvertes qui ajoutent des contraintes aux modèles galactiques vont permettre d'améliorer notre compréhension de l'histoire des interactions des Nuages de Magellan avec la Voie Lactée. Comme on le voit ci-dessous, dans la raie de l'hydogène neutre à 21 cm, les deux galaxies naines sont reliées entre elles ainsi qu'à la Voie Lactée par deux queues de marée formant des ponts diffus de matière contenant des régions HI et une population jeune d'étoiles bleues[1]. La Voie Lactée et les deux Nuages de Magellan forment ainsi un système multiple en interactions dont les effets gravifiques réciproques modifient insensiblement mais constamment l'évolution. Cette configuration n'est pas exceptionnelle et nous trouvons d'autres exemples de ce type dans le ciel, comme la galaxie d'Andromède M31 ou celle des Chiens de Chasse M51 qui s'entoure également de petites galaxies satellites. Ces queues de marée ainsi que le Courant Magellanique qui s'étend entre les Nuages de Magellan et la Voie Lactée qui les accompagnent ne sont pas des nappes de gaz inertes. Au contraire, ils participent à la formation de nouvelles étoiles.
Notons qu'en 2019, l'équipe de Joss Ban-Hawthorn de l'Université de Sydney montra que le coeur de la Voie Lactée connut une phase éruptive de type Seyfert il y a environ 3.5 millions d'années engendrée par le trou noir supermassif Sgr A* alors en pleine activité. Les effets de cette éruption colossale furent ressentis jusqu'à 75 kpc soit 244500 années-lumière, laissant leur empreinte dans l'émission de l'hydrogène alpha du Courant Magellanique comme illustré ci-dessus à droite et dont on trouve encore la trace aujourd'hui. On y reviendra à propos de la Voie Lactée. Le LMC déforme la Voie Lactée Si les deux Nuages de Magellan sont en interactions mutuelles, bien que leur masse soit faible, la masse du LMC représente 1/8 à 1/10 de celle de la Voie Lactée et est suffisante pour perturber la Voie Lactée et déplacer légèrement son noyau.
Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2020 (en PDF sur arXiv), Michael S. Petersen de l'Université d'Edimbourg et son collègue Jorge Peñarrubia ont pris en compte les caractéristiques (mouvements et vitesses) de traceurs représentés par des étoiles du halo externe de la Galaxie et des étoiles du LMC enregistrées au cours des sondages Pan-STARRS DR1 et Gaia DR2 qu'ils ont ensuite modélisées pour simuler leurs déplacements historiques. Ils ont découvert qu'il y a 700000 ans, le LMC serait passé à 50 kpc soit 163000 années-lumière du centre de notre Galaxie à la vitesse relativement élevée de 327 km/s. Suite à ce passage, la périphérie du disque galactique eut un mouvement de réaction mais avec un effet retard par rapport à la position actuelle du LMC. Comme illustré à droite dans cette représentation de la fonction de densité de probabilité projetée sur le ciel, la direction du sommet des trois traceurs ne pointe pas vers l'emplacement actuel du LMC, mais le long de sa trajectoire historique à travers la Voie Lactée. Alors que le LMC approchait de son emplacement actuel à grande vitesse, le disque de la Voie Lactée n'a pas pu suivre le mouvement. En conséquence, le disque de la Voie Lactée semble se déplacer dans la direction du LMC à un point antérieur de sa trajectoire (courbe en tirets). En passant près de la Voie Lactée, le LMC aurait donc laissé des traces d'étirement et de déformation dans le disque galactique au point de déplacer le disque de la Voie Lactée par rapport au barycentre galactique. Les perturbations induites par le LMC ont en moyenne augmenté la vitesse des étoiles du halo externe galactique de 32 km/s. Pour rappel, les étoiles du halo de la Voie Lactée ont une dispersion de vitesse radiale d'environ 200 km/s et une vitesse moyenne de rotation d'environ 50 km/s. Les chercheurs estiment que la masse virielle (totale) du LMC nécessaire pour produire la déformation observée dans la trajectoire des étoiles est d'au moins 100 milliards de masses solaires. Or la matière visible se concentre dans un rayon de 8.6 kpc ou ~28400 années-lumière et représente 17 milliards de masses solaires. On en déduit que cette galaxie naine cache 83 milliards de masses solaires sous forme de matière sombre ! Selon les chercheurs, "Ces résultats confirment que les modèles dynamiques de notre Galaxie ne peuvent pas négliger les perturbations gravitationnelles induites par le Grand Nuage de Magellan, ni de traiter les données des étoiles du halo galactique en utilisant un référentiel non corrigé du mouvement réflexe du disque galactique" (dans lequel le disque galactique serait dans un état d'équilibre). Le prochain objectif des chercheurs est de combiner des études spectroscopiques du halo stellaire avec les données astrométriques de Gaia pour réaliser une modélisation plus détaillée de la trajectoire du LMC à travers la Voie Lactée afin de contraindre la distribution de la matière sombre dans les deux galaxies. Origine extragalactique de l'amas stellaire Price-Whelan 1 L'astrophysicien Adrian Price-Whelan de l'Institut Flatiron de la Fondation Simons et ses collègues ont annoncé en 2019 dans "The Astrophysical Journal" la découverte d'un nouvel amas d'étoiles à la périphérie de la Voie Lactée. L'analyse spectrale suggère que les jeunes étoiles ont une origine extragalactique. Elles ne se sont apparemment pas formées à partir de matière de la Voie Lactée mais des Nuages de Magellan. L'amas stellaire fut nommé Price-Whelan 1. Selon Price-Whelan, "Il s'agit d'un groupe d'étoiles insignifiant - moins de quelques milliers d'étoiles au total - mais il a de grandes implications au-delà de sa zone locale de la Voie Lactée." En effet, ces nouvelles étoiles pourraient apporter des informations précieuses sur l'histoire de la Voie Lactée; elles pourraient par exemple nous révéler si les Nuages de Magellan sont entrés en collision et ont traversé notre Galaxie dans le passé.
Sachant toute la difficulté de déterminer si des étoiles appartiennent réellement à un amas, il est nécessaire de mesurer leurs paramètres (mouvements et vitesses) plusieurs fois dans le temps. Price-Whelan et ses collègues ont utilisé les dernières données collectées par le satellite astrométrique Gaia de l'ESA, qui a mesuré et catalogué les distances et les mouvements de 1.7 milliard d'étoiles. Les astrophysiciens ont ensuite cherché dans ce vaste ensemble de données des étoiles très bleues, qui sont rares dans l'univers, et ont identifié plusieurs amas stellaires. Après recoupement et l'exclusion des amas connus, il ne resta qu'un seul candidat. Selon Price-Whelan, le nouvel amas est relativement jeune, âgé de 117 millions d'années et se situe "plus loin que toutes les jeunes étoiles connues de la Voie Lactée qui se trouvent généralement dans le disque." En fait, cet amas se trouve dans le Courant Magellanique. Selon les analyses conduites sur 27 étoiles de cet amas par David Nidever de l'Université d'État du Montana à Bozeman, les étoiles comme le gaz contenus dans ce courant contiennent peu de métaux, contrairement au gaz situé dans les parties exérieures de la Voie Lactée. Les chercheurs proposent que l'amas Price-Whelan 1 s'est formé suite à la compression du gaz dans le courant magellanique. Cette traînée, ainsi que les queues de marée générées par la force gravitationnelle de la Voie Lactée, ont suffisamment condensé le gaz pour déclencher la formation d'étoiles. Au fil du temps, les étoiles se sont rapprochées du gaz environnant et ont rejoint la Voie Lactée. On a observé le même phénomène avec des galaxies naines entrées en collision avec la Voie Lactée. La présence de cet amas ouvert représente une opportunité unique. Jusqu'à présent les astronomes ne savaient pas à quelle distance de la Voie Lactée se trouvait le courant magellanique. En mesurant la distance des étoiles de cet amas, les chercheurs ont pu prédire que l'extrémité la plus proche du courant magellanique se trouve à 90000 années-lumière de la Voie Lactée. C'est à peu près la moitié de la distance précédemment calculée. Selon Nidever, "Si le courant magellanique est plus proche, en particulier le bras principal le plus proche de notre Galaxie, il est probable qu'il sera intégré dans la Voie Lactée plus tôt que le modèle actuel ne le prédit. Finalement, ce gaz se transformera en nouvelles étoiles dans le disque de la Voie Lactée. À l'heure actuelle, notre Galaxie consomme du gaz plus rapidement que sa reconstitution. Ce gaz supplémentaire entrant nous aidera à reconstituer ce réservoir et à nous assurer que notre Galaxie continue de prospérer et de former de nouvelles étoiles". Selon Price-Whelan, la correction de la distance du courant magellanique améliorera les modèles galactiques et pourrait même résoudre le débat autour de la question de savoir si les Nuages de Magellan ont déjà traversé la Voie Lactée auparavant. Réponse à cette question aidera les astronomes à mieux comprendre l'histoire et les propriétés de notre Galaxie. Nous verrons à propos des découvertes de Gaia que si les Nuages de Magellan paraissent peu productifs de nos jours, au cours des deux derniers milliards d'années ils formaient plus d'étoiles que la Voie Lactée qui était déjà sur le déclin. Cette production stellaire trouve probablement son origine dans les interactions entre les Nuages de Magellan et notre Galaxie. On y reviendra. Nous verrons également à propos des interactions entre galaxies que dans ~2.4 milliards d'années, les Nuages de Magellan fusionneront avec la Voie Lactée suivis quelques milliards d'années plus tard par une rencontre rapprochée entre la galaxie M31 et la Voie Lactée. Enfin, les Nuages de Magellan ne sont pas les seules galaxies satellites de la Voie Lactée, il s'agit seulement des plus brillantes. Nous verrons à propos des amas de galaxies que la Voie Lactée s'entoure d'au moins 50 galaxies satellites. Discutant de galaxies et nous situant à présent en lisière de l'espace profond, profitons-en pour nous éloigner de la Voie Lactée et partir à la découverte des autres galaxies et des entités plus étranges encore qui peuplent l'univers. Pour plus d'informations Sur ce site Les nébuleuses dont les SNR
|