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Les découvertes de Gaia

Le courant stellaire Nyx (III)

Une équipe d'astrophysiciens du Caltech a découvert à proximité du Soleil, le courant stellaire Nyx témoignant de l'absorption d'une galaxie naine par la Voie Lactée. Cette nouvelle découverte qui tira profit de l'IA et de nouvelles méthodes d'apprentissage automatique (deep learning), pourrait fournir la première indication qu'une galaxie naine fusionna avec le disque de la Voie Lactée.

Selon les chercheurs, le courant stellaire Nyx contenait à l'origine des amas globulaires ou des galaxies naines qui ont été étirées le long de son orbite par les forces de marée avant d'être complètement perturbé. Les résultats de cette étude réalisée par Lina Necib du Caltech et ses collègues furent publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2020.

Depuis 2014, les chercheurs ont développé des simulations très détaillées et hyperréalistes des galaxies dans le cadre du projet FIRE (Feedback In Realistic Environments). Ces simulations incluent toutes les lois que les scientifiques connaissent sur la façon dont les galaxies se forment et évoluent. Partant de l'équivalent virtuel du début des temps, les simulations produisent des galaxies qui ressemblent et agissent comme la Voie Lactée ou d'autres galaxies.

FIRE est capable de simuler l'aspect visuel d'une galaxie mais également dans différentes longueurs d'ondes : en rayons X pour afficher le gaz chaud, dans la raie du CO pour observer le gaz moléculaire, dans l'infrarouge pour observer la poussière, etc. Il peut également simuler la collision ou la fusion de galaxies aussi massives que la Voie Lactée ou celle d'Andromède, des jeunes amas d'étoiles, des amas globulaires ou l'obscurcissement dense de gaz et de poussière qu'on observe dans la Voie Lactée.

Parallèlement à FIRE, le satellite Gaia a fourni aux chercheurs les données sur les mouvements réels d'un milliard d'étoiles. Selon Necib, "Un sous-ensemble de celui-ci comprend 7 millions d'étoiles et leurs vitesses dans les trois axes, ce qui signifie que nous pouvons savoir exactement où se trouve une étoile et son mouvement. Nous sommes passés de très petits ensembles de données à des analyses massives que nous ne pouvions pas faire auparavant pour comprendre la structure de la Voie Lactée."

La découverte de Nyx impliqua la combinaison de ces deux grands projets d'astrophysique et leur analyse à l'aide de méthodes empruntées à l'intelligence artificielle.

A voir : Le déplacement de 2 millions d'étoiles au cours des 5 prochains millions d'années, ESA

Ci-dessus, les positions de 2 millions d'étoiles de la Voie Lactée obtenues par Gaia DR1 en 2016 et leur projection dans 5 millions d'années. Voir aussi l'animation ci-dessus. Ci-dessous, simulation de la Voie Lactée par FIRE telle qu'elle était quelques millions d'années après sa formation. Documents ESA/Gaia et Hopkins Research Group, Caltech/L.Necib et al. (2020).

Parmi les questions posées à la fois par les simulations et par le relevé du ciel, les chercheurs voulaient savoir comment la Voie Lactée est devenue ce qu'elle est aujourd'hui ? Les données tracent les fusions de galaxies mais elles sont difficiles à distinguer. En revanche, les simulations des chercheurs les rélèvent très hien, y compris les petites structures. Le problème est que l'oeil humain ne peut pas correctement analyser une image contenant un milliard d'étoiles. Selon Necib, "Avant, les astronomes devaient faire beaucoup de recherches et de tracés, et peut-être utiliser des algorithmes de clustering. Mais ce n'est plus vraiment possible. Nous ne pouvons pas regarder sept millions d'étoiles et comprendre ce qu'elles font. Ce que nous avons fait dans cette série de projets, c'est utiliser les catalogues virtuels de Gaia."

A partir du catalogue virtuel de Gaia développé par Robyn Sanderson de l'Université de Pennsylvanie, les chercheurs se sont demandés ce qu'ils verraient si les simulations FIRE correspondaient à la réalité et étaient observées par Gaia ?

Bryan Ostdiek, aujourd'hui à l'Université d'Harvard et coauteur de cet article, s'est basé sur son expérience pour transposer à l'astrophysique des méthodes d'analyses des Big Data qu'il utilisait lorsqu'il travaillait au LHC du CERN, ouvrant la porte à une nouvelle façon d'explorer l'univers : "les galaxies de FIRE fournissent un environnement merveilleux pour former nos modèles, mais elles ne sont pas la Voie Lactée. Nous avons dû apprendre non seulement ce qui pourrait nous aider à identifier les étoiles intéressantes dans la simulation, mais aussi comment les généraliser à notre vraie Galaxie."

L'équipe a développé une méthode pour suivre les mouvements de chaque étoile dans les galaxies virtuelles et étiqueter les étoiles nées dans la galaxie hôte ou accrétées comme produits de fusions de galaxies. Les deux types d'étoiles ont des signatures différentes, bien que les différences soient souvent subtiles. Ces étiquettes ont été utilisées pour instruire le modèle d'apprentissage automatique, qui fut ensuite testé sur d'autres simulations de FIRE.

Après avoir construit le catalogue virtuel, Ostiek l'a appliqué aux données de Gaia en demandant au réseau neuronal sur base de ce qu'il avait appris, s'il pouvait indiquer si le nombre d'étoiles avait ou non augmenté ? Le modèle a évalué dans quelle mesure il était probable qu'une étoile soit née en dehors de la Voie Lactée sur une plage de 0 à 1. L'équipe a créé un seuil avec une marge d'erreur et analysa les résultats.

Cette approche appelée l'apprentissage par transfert contenait de nombreux défis qu'ont dû résoudre les chercheurs comme celui de s'assurer que le système découvre quelque chose dans les véritables données et non dans les données de la simulation. Les chercheurs ont d'abord vérifié si la simulation pouvait identifier les caractéristiques connues de la Voie Lactée comme la "Saucisse de Gaia" découvertes récemment (voir page suivante). La Saucisse de Gaia était là, tout comme le halo stellaire et les "Courants d'Helmi" (voir page suivante), une autre galaxie naine découverte en 1999 qui fusionna avec la Voie Lactée dans un lointain passé.

C'est alors que le modèle identifia une nouvelle structure : un amas de 250 étoiles tournant avec le disque de la Voie Lactée, mais allant également vers le centre de la Galaxie.

Le courant stellaire Nyx découvert dans les données de Gaia grâce à l'apprentissage automatique. Document L.Necib et al. (2020).

Après quelques hésitations, pensant d'abord qu'il s'agissait d'un bug, Necib mit trois semaines pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une erreur ou que l'amas n'avait pas déjà été découvert. Finalement, il se rendit à l'évidence : "ce n'était pas un bug, c'est en fait réel et c'est nouveau. J'ai donc pu le nommer, ce qui est la chose la plus excitante en astrophysique. Je l'ai appelé Nyx, la déesse grecque de la nuit. Cette structure particulière est très intéressante car elle aurait été très difficile à voir sans l'apprentissage automatique."

Le projet a nécessité une informatique très avancée à de nombreuses étapes. Les simulations FIRE et FIRE-2 mises à jour sont parmi les plus grands modèles informatiques de galaxies jamais réalisés. Chacune des neuf simulations principales - trois formations de galaxies distinctes, chacune avec un point de départ légèrement différent pour le Soleil - a requis des mois de calculs sur les superordinateurs les plus puissants du monde. Il s'agit notamment du Blue Waters du National Center for Supercomputing Applications (NCSA), des installations informatiques Pleiades de la NASA et, plus récemment, de Stampede2 du Texas Advanced Computing Center (TACC). Les chercheurs ont également utilisé les clusters d'ordinateurs de l'Université d'Oregon pour former le modèle d'apprentissage automatique et pour l'appliquer à l'ensemble des données de Gaia.

Pour poursuivre ce travail, en 2020 les chercheurs ont utilisé le système Frontera du TACC, le 8e système le plus rapide du monde qui comprend près de 448500 coeurs de processeurs de 2.7 GHz et atteignant une performance (pic) de 4 PFLOPS (cf. TOP500). Par comparaison, le fameux système Pleiades de la NASA est classé en 39e place.

A l'avenir Necib et ses collègues prévoient d'explorer Nyx à l'aide des plus grands télescopes terrestres dont les Keck de 10 m de diamètre installés à Hawaï qui sont justement gérés par le Caltech et la NASA. Cela fournira des informations sur la composition chimique du courant stellaire et d'autres détails qui les aideront à dater l'arrivée de Nyx dans la Voie Lactée et éventuellement de fournir des indices sur son origine.

Necib est très enthousiasmé par les performances de l'outil qu'il a développé : "Lorsque la mission Gaia a commencé, les astronomes savaient que c'était l'un des plus grands ensembles de données qu'ils allaient obtenir, et avaient beaucoup de raisons d'être excités. Mais nous devions faire évoluer nos techniques pour nous adapter à l'ensemble de données. Si nous ne modifiions ni ne mettions à jour nos méthodes, nous manquerions la physique qui se cache dans notre ensemble de données."

Les succès de l'approche de l'équipe du Caltech pourraient avoir un impact encore plus important. Selon Necib, "Nous développons des outils informatiques qui seront disponibles pour de nombreux domaines de recherche et pour des sujets non liés à la recherche. C'est ainsi que nous repoussons la frontière technologique en général."

La plupart des galaxies naines compagnes de la Voie Lactée sont de nouvelles venues

Selon les données de la 3e distribution intermédiaire de Gaia (EDR3), les galaxies compagnes de la Voie Lactée se révèlent être pour la plupart des nouvelles venues dans notre environnement galactique. Telle est la conclusion d'une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2021 par l'équipe de François Hammer de l'Observatoire de Paris.

Les chercheurs ont utilisé les données de Gaia pour calculer les mouvements de 40 galaxies naines gravitant autour de la Voie Lactée à partir de leurs vitesses tridimensionnelles, puis les ont utilisées pour calculer l'énergie orbitale et le moment angulaire (de rotation) de chacune d'elles. Ils ont découvert que ces galaxies se déplacent beaucoup plus rapidement que les étoiles géantes et les amas stellaires orbitant autour de la Voie Lactée. Leur déplacement est si rapide qu'elles ne peuvent pas encore être satellisées autour de la Voie Lactée, où les interactions avec notre Galaxie et son contenu auraient épuisé leur énergie orbitale et leur moment angulaire. Dire que ces galaxies naines sont des satellites de la Voie Lactée est donc un abus de langage. Il y en a mais ce n'est pas la majorité.

Quelques-unes des galaxies naines les plus brillantes compagnes de la Voie Lactée. Document ESA.

Avec sa masse imposante, cela fait des éons que notre Galaxie cannibalise des galaxies naines. Ainsi, il y a 8 à 10 milliards d'années, la galaxie naine Gaia-Encélade fut absorbée par la Voie Lactée. Ses étoiles peuvent encore être identifiées dans les données de Gaia en raison des orbites excentriques et de la gamme d'énergies qu'elles possèdent.

Plus récemment, il y a 4 à 5 milliards d'années, la galaxie naine du Sagittaire (SagDEG) fut capturée par la Voie Lactée et est actuellement en train d'être mise en pièces et assimilée. L'énergie de ses étoiles est plus élevée que celles de Gaia-Encélade, indiquant qu'elles ont subi moins longtemps l'influence de la Voie Lactée.

Dans le cas des galaxies naines analysées dans le cadre de la nouvelle étude, leurs énergies sont encore plus élevées. Cela suggère fortement qu'elles sont arrivées "récemment" près de la Voie Lactée, c'est-à-dire au cours des derniers milliards d'années.

Cette découverte complète celle faite dans le Grand Nuage de Magellan (LMC) situé dans l'hémisphère sud. Le LMC était également considéré comme une galaxie satellite de la Voie Lactée jusqu'aux années 2000, lorsque les astronomes ont mesuré sa vitesse et ont découvert qu'il se déplaçait trop vite pour être lié gravitationnellement à la Voie Lactée. Le LMC n'est pas encore satellisé et nous visite pour la première fois. En revanche, il subit l'influence de la Voie Lactée. Il en va de même pour la plupart des galaxies naines proches.

Quant aux nouvelles galaxies naines compagnes de la Voie Lactée, leur avenir est incertain. Selon Hammer certaines d'entre elles seront capturées par la Voie Lactée et deviendront des satellites avant d'être absorbées. Mais dire exactement lesquelles sont concernées est encore difficile à déterminer car cela dépend de la masse exacte de la Voie Lactée. Or de nos jours les estimations varient encore d'un facteur deux.

Si la plupart des galaxies naines proches ne sont pas encore satellisées, elles ressentent déjà l'attraction gravitationnelle de la Voie Lactée à travers les forces de marée. Selon Hammer, "La Voie Lactée est une grande galaxie, donc sa force de marée est tout simplement gigantesque et il est très facile de détruire une galaxie naine après peut-être un ou deux passages."

En d'autres termes, devenir un compagnon de la Voie Lactée revient à une condamnation à mort pour les galaxies naines. La seule chose qui pourrait résister à l'emprise destructrice de notre Galaxie est que la galaxie naine contienne une quantité importante de matière sombre. Sa gravité supplémentaire est capable de maintenir la cohésion interne des galaxies individuelles. Mais à courte distance, la masse de la Voie Lactée l'emportera toujours sur un compagnon plus léger.

Par conséquent, dans la vision traditionnelle selon laquelle les galaxies naines de la Voie Lactée étaient des galaxies satellites en orbite depuis plusieurs milliards d'années, on supposait qu'elles devaient être dominées par la matière sombre pour équilibrer la force de marée de la Voie Lactée et les garder intactes. Or grâce à Gaia, les astronomes ont découvert que la plupart des galaxies naines gravitent autour de la Voie Lactée pour la première fois. Cela signifie qu'elles n'ont pas nécessairement besoin de contenir de matière sombre du tout (mais beaucoup en possèdent vu la grande différence entre leur masse visible et leur masse virielle), ce qui force désormais les astronomes à réévaluer si ces systèmes sont en équilibre ou plutôt en voie de dislocation et de fusion.

Selon Timo Prusti, scientifique responsable du projet Gaia à l'ESA, "Grâce en grande partie à Gaia, il est maintenant évident que l'histoire de la Voie Lactée est bien plus riche en histoires que les astronomes ne l'avaient compris auparavant. En enquêtant sur ces indices alléchants, nous espérons découvrir davantage les chapitres fascinants du passé de notre Galaxie."

Des galaxies naines de la Voie Lactée hors équilibre

En complément de l'étude précédente, dans un article publié dans les "MNRAS" en 2023 (en PDF sur arXiv), François Hammer précité et ses collègues ont démontré que les galaxies naines n'auraient pas atteint l'état d'équilibre gravitationnel. Mais cette hypothèse ouvre des questions importantes sur le modèle cosmologique Standard, notamment sur la prévalence de la matière sombre dans notre banlieue galactique proche.

On a longtemps supposé que les galaxies naines proche de la Voie Lactée avaient été capturées il y a près de 10 milliards d'années. En corollaire, elles devaient contenir d'énormes quantités de matière sombre pour maintenir leur cohésion malgré les effets de marée dus à l'attraction gravitationnelle de notre Galaxie. On a supposé que cette matière sombre était à l'origine de la grande dispersion des vitesses des étoiles observées de ces galaxies naines. Mais selon les résultats de simulations, l'explication serait ailleurs.

Les données de Gaia ont révélé une vision complètement différente des propriétés de ces galaxies naines. Les auteurs ont réussi à dater l'histoire de la Voie Lactée grâce à la relation qui lie l'énergie orbitale d'un objet à l'époque de son entrée dans le halo, au moment où il fut capturé pour la première fois par le champ gravitationnel de la Voie Lactée. En effet, plus un objet est tombé tôt dans notre Galaxie, plus il a perdu de l'énergie durant ses rencontres et collisions avec d'autres objets. Ainsi les énergies orbitales de la plupart des galaxies naines sont trois fois plus grandes que celle de la galaxie naine du Sagittaire (SagDEG) qui est entrée dans le halo il y a 5 à 6 milliards d’années. Les auteurs en déduisent que la plupart des galaxies naines sont arrivées beaucoup plus récemment, il y a moins de trois milliards d'années.

Une arrivée aussi récente implique que les galaxies naines proches proviennent de l'extérieur du halo, où presque toutes les galaxies naines contiennent d'énormes réservoirs de gaz neutre. Les galaxies riches en gaz ont perdu leur gaz lorsqu'elles sont entrées en collision avec le gaz chaud du halo galactique. La violence des chocs et les turbulences ont complètement modifié ces galaxies naines. Alors que les galaxies naines originellement riches en gaz étaient dominées par la rotation du gaz et des étoiles, lorsqu'elles se transforment en systèmes dépourvus de gaz, leur gravité est équilibrée par les mouvements aléatoires de leurs étoiles restantes.

A voir : Transformation of a gas-rich and rotation-dominated galaxy

into a spherical dwarf galaxy, Obs. Paris, 2023

Simulation de la transformation d'une galaxie riche en gaz et dominée par la rotation en une galaxie naine sphérique, ici un analogue de la galaxie naine du Sculpteur. Les étoiles sont représentées en orange et le gaz en cyan. Voir la vidéo ci-dessus. La simulation est conforme aux observations sans tenir compte de la matière sombre. Documents J.Wang et al. (2023).Lire aussi F.Hammer et al. (2023).

Les galaxies naines perdent leur gaz dans un processus si violent qu'il les met hors de l'état d'équilibre, ce qui signifie que la vitesse de déplacement de leurs étoiles n'est plus en équilibre avec leur accélération gravitationnelle. Les effets combinés de la perte de gaz et des chocs gravitationnels dus à la plongée dans la Galaxie expliquent la grande dispersion des vitesses des étoiles au sein des restes des galaxies naines.

L'une des curiosités de cette étude est le rôle de la matière sombre. Tout d'abord, l'absence d'équilibre empêche toute estimation de la masse dynamique des galaxies naines de la Voie Lactée et de leur contenu en matière sombre. Ensuite, alors que dans le scénario précédent, la matière sombre protégeait la supposée stabilité des galaxies naines, invoquer la matière sombre devient plutôt gênant pour les objets hors d'état d'équilibre. En fait, si la galaxie naine avait déjà contenu beaucoup de matière sombre, elle aurait stabilisé son disque rotatif initial d'étoiles, empêchant ainsi la transformation de la naine en une galaxie aux mouvements stellaires aléatoires, comme observé.

La chute récente de nombreuses galaxies naines et leurs transformations dans le halo expliquent de nombreuses propriétés observées de ces systèmes, en particulier pourquoi ces galaxies contiennent des étoiles très éloignées de leur centre. Leurs propriétés semblent compatibles avec une absence de matière sombre, alors qu'elles sont généralement considérées comme des objets contenant le plus de matière sombre.

Mais de nouvelles questions se posent désormais : où se trouvent les nombreuses galaxies naines dominées par la matière sombre que le modèle cosmologique Standard prévoit autour de la Voie Lactée ? Comment pouvons-nous déduire le contenu en matière sombre d'une galaxie naine si l'équilibre ne peut être supposé ? Quelles autres observations pourraient faire la distinction entre les galaxies naines hors équilibre proposées et l'image classique des galaxies naines dominées par la matière sombre ?

La coquille Persée-Taureau

Des astronomes du Centre d'Astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) de Cambridge, Mass., ont découvert dans les données de Gaia sur la Voie Lactée, une énorme bulle vide de matière entre les constellations de Persée et du Taureau qu'ils ont nommée la bulle ou coquille Persée-Taureau (Tau-Per shell). La cavité est quasi sphérique et mesure ~156 pc soit plus 500 années-lumière de diamètre. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021 par Shmuel Bialy et ses collègues comprenant notamment Catherine Zucker déjà connue pour son analyse de la Bulle Locale. Cette bulle Per-Tau se trouve juste à côté de la Bulle Locale.

Selon les chercheurs, cette bulle ou cette cavité aurait été créée suite à l'explosion d'une supernova survenue il y a environ 10 millions d'années : "les observations auxiliaires en HI, Hα, Al-26 et en rayons X soutiennent davantage ce scénario, et nous estimons l'âge de la coquille Per-Tau entre 6 et 22 millions d'années."

A voir : Gigantic Cavity in Space Sheds New Light on How Stars Form, CfA, 2021

A gauche, modélisation de la coquille Per-Tau. Les astronomes ont découvert que les nuages moléculaires du Taureau (bleu) et de Persée (rouge) connus de longue date ne sont pas indépendants. Ils se trouvent sur la surface d'une énorme cavité vide de matière mesurant ~156 pc ou plus de 500 années-lumière de diamètre formée suite à l'explosion d'une supernova il y a environ 10 millions d'années. A droite, la région des nuages moléculaires de Persée-Taureau (gauche) et la projection 2D des nuages de poussière (droite). Les modélisations montrent que les deux nuages moléculaires séparés de ~150 pc sont toujours liés mais sont situés aux extrémités opposées de la coquille Per-Tau. Documents S.Bialy et al. (2021).

Cette observation a permis de réaliser la première carte tridimentionnelle de la région montrant la formation des nuages moléculaires et d'étoiles déclenchées par la rétroaction stellaire et la supernova. Les modélisations (voir la vidéo ci-dessus) montrent que le choc engendré par la supernova aurait poussé les nuages de poussière et de gaz vers l'extérieur.

Le nuage moléculaire du Taureau situé à 125 pc du Soleil et celui de Persée situé à 320 pc que l'on croyait a priori indépendants se seraient donc formés ensembles à partir de l'onde de choc engendrée par cette explosion stellaire. Ils se sont déjà condensés et commencent à former de nouvelles étoiles. Selon Bialy, "Cela démontre que lorsqu'une étoile meurt, sa supernova génère une chaîne d'évènements qui peut finalement conduire à la naissance de nouvelles étoiles."

Les chercheurs ont également identifié d'autres nuages moléculaires sur la surface de cette bulle dont une grande structure en anneau surnommée le "Tau Ring".

Cette découverte apporte des indices sur la façon dont une supernova peut conduire à la formation de nouvelles étoiles et supporte l'idée que la Voie Lactée contiendrait des milliers de structures similaires.

Des étoiles OB dans l'Éperon de Céphée

Les étoiles OB sont les étoiles les plus rares, les plus chaudes et les plus massives dont la durée de vie est la plus courte entre toutes. Elles entretiennent de violentes réactions de nucléosynthèse les rendant au moins quatre fois plus chaudes que le Soleil (20000 à 60000 K contre 5700 K pour le Soleil). Etant donné leur masse importante elles terminent leur vie en supernova, dispersant des éléments lourds à travers la Galaxie.

Pendant des années, les astronomes ne possédaient qu'un seul catalogue des étoiles géantes OB, celui de Cameron Reed réalisé en 2003 et nommé le catalogue Alma Luminous Star (ALS) par référence au Collège Alma du Michigan où travaillait Reed, aujourd'hui retraité. Le catalogue ALS contient plus de 16000 étoiles OB. Mis à jour en 2005, il contient 18693 étoiles, pour la plupart des OB mais ~10% du catalogue concernent d'autres objets.

Grâce aux données astrométriques et photométriques de Gaia DR2, Reed et ses collègues ont pu compléter le catalogue ALS et réaliser un inventaire des étoiles massives dans le voisinage du Soleil avec un haut degré d'exhaustivité. Leur étude fut publiée dans les "MNRAS" en 2021 (en PDF sur arXiv).

Les chercheurs ont compilé leur carte stellaire en triangulant les distances des étoiles par rapport à la Terre à l'aide de la méthode de la parallaxe stellaire. En comparant les positions apparentes des étoiles, observées sous différentes perspectives depuis l'orbite de la Terre à différentes époques de l'année, les astronomes ont pu calculer la distance de chaque étoile. Grâce à cette méthode, complétée par les données de Gaia, l'équipe a cartographié les étoiles à des distances au-delà de celles cartographiées jusqu'ici et dans des zones de l'espace auparavant considérées comme vides.

Les chercheurs ont découvert à proximité du Soleil une région appelée l'Éperon de Céphée (Cepheus Spur) contenant des étoiles géantes bleues qui s'étend sur environ 10000 années-lumière et sur ~2500 années-lumière de largeur. Comme indiqué ci-dessous, il est niché entre le bras d'Orion-Cygne où se trouve le système solaire et le bras de Persée. Il se situe légèrement au-dessus du plan médian galactique et est probablement lié à la Vague de Radcliffe découverte en 2020 (voir plus bas).

Selon Reed, dans la Voie Lactée qui contient ~400 milliards d'étoiles, il pourrait y avoir au moins 200000 étoiles OB. Cette étude a répertorié 13762 étoiles massives et 1766 autres de masse élevée ou intermédiaire.

A gauche, positions de l'échantillon stellaire de l'Éperon de Céphée étudié projeté sur le plan galactique. Les barres d'erreur indiquent les incertitudes typiques pour les étoiles situées respectivement à 1, 2 et 3 kpc. A droite, même région montrant uniquement des objets massifs superposée à une illustration artistique de la Voie Lactée de Robert Hurt. Documents M.P. González et al. (2021).

Selon l'astrophysicien et astrobiologiste Michelangelo Pantaleoni González de l'Université Complutense de Madrid et du Centre d'Astrobiologie CSIC-INTA, coauteur de cette étude, "ces étoiles massives sont responsables de la création de nombreux éléments lourds et peuvent vraiment être considérées comme les enrichisseuses chimiques de la Voie Lactée. C'est à cause d'étoiles comme celles-ci, mortes il y a longtemps, que la géochimie de notre planète a été complexe, assez pour créer des réactions biochimiques." Selon les chercheurs, partout où l'on trouve des étoiles bleues, on trouve les régions les plus actives de la Galaxie.

Reed et ses collègues ont prouvé que l'Éperon de Céphée fait partie du disque galactique spiralé comprenant la majeure partie du matériel de la Voie Lactée et n'est pas seulement un alignement aléatoire d'étoiles. En découvrant la position surélevée de l'Éperon et sa légère ondulation, ils soupçonnent également qu'il pourrait fournir des indices intéressants sur le passé de la Voie Lactée. En effet, la présence d'ondulations verticales et horizontales dans les bras et dans le disque galactique pourraient être les traces d'un passé violent. Selon González, "Elles pourraient être des signes de collisions passées avec d'autres galaxies." Nous verrons plus loin que la Voie Lactée fusionna avec de nombreuses galaxies naines. Cette ondulation dans l'Éperon de Céphée en serait une trace supplémentaire qu'il faudra confirmer.

A gauche, cartographie des surdensités significatives autour de la position du Soleil (indiquée par l'étoile) avec la localisation de l'Epéron de Céphée riche en étoiles OB. A droite, distribution des étoiles massives dans l'Éperon de Céphée vu de profil. La position du Soleil est indiquée par l'étoile jaune. Le panneau central représente les objets dans les deux premiers quadrants galactiques et le panneau de droite l'équivalent pour les objets dans les deux derniers quadrants galactiques. Ce segment de bras ondule et se situe légèrement au-dessus du plan de la Voie Lactée. Documents M.P.González et al. (2021).

Le prochain objectif des chercheurs sera de placer des étoiles OB supplémentaires dans une carte plus détaillée qui, espèrent-ils, apportera encore plus d'informations sur la structure de la Voie Lactée.

Une troisième population stellaire dans le disque galactique

Au cours d'une étude sur la cinématique et la composition chimique d'un échantillon d'étoiles proches du Soleil, l'équipe de Daniela Carollo de l'Observatoire d'Astrophysique de Turin et ses collègues a découvert que les étoiles qui composent le disque épais de la Voie Lactée appartiennent à deux populations stellaires distinctes aux caractéristiques différentes et non à une seule, comme on le pensait depuis la fin des années 1990. Les résultats de leur étude furent publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2019 (en PDF sur arXiv).

Distribution logarithmique du de la densité numérique dans les plans (Lz, Lp) et ([Fe/H], Lz). Document D.Carollo et al. (2019).

La nouvelle composante du disque épais, appelée le disque épais faible en métal ou MWTD (Metal-Weak Thick Disk), diffère du modèle canonique par la vitesse de rotation autour du centre galactique et sa composition chimique. En effet, les étoiles qui composent le disque épais (ou TD) ont une vitesse de rotation d'environ 180 km/s, tandis que celles du MWTD tournent plus lentement, à environ 150 km/s. Les étoiles appartenant au MWTD sont également deux fois plus pauvres en métaux que celles du TD et ont une énergie plus élevée, une propriété qui leur permet d'atteindre de plus grandes hauteurs par rapport au plan galactique.

Les paramètres précis fournis par Gaia et les informations chimiques sur un échantillon de 40000 étoiles du sondage SDSS ont permis à l'équipe de distinguer le MWTD dans un diagramme montrant les moments angulaires combinés avec la chimie. Selon Carollo, "Les impulsions angulaires sont des quantités qui sont conservées pendant la formation et l'évolution ultérieure d'un système physique comme notre Galaxie. Ainsi, dans un diagramme précis des moments angulaires, les étoiles introduites dans la Galaxie par le même progéniteur, comme par exemple d'une fusion précédente d'une galaxie satellite, auront des moments angulaires similaires et auront tendance à se regrouper dans le diagramme."

Le TD et le MWTD forment deux groupes distincts dans le diagramme, ainsi que dans leur chimie. Pour rappel, les éléments chimiques plus lourds que l'hydrogène et l'hélium, qui se sont formés lors du Big Bang, sont définis comme des métaux. Ces éléments chimiques plus lourds ont été produits lors de la nucléosynthèse au coeur des étoiles ainsi que lors de l'explosion des étoiles massives en supernovae.

Un groupe particulier d'éléments légers tels que le magnésium et le titane, par rapport aux éléments plus lourds tels que le fer, fournit un paramètre fondamental qui permet aux scientifiques de distinguer les populations d'étoiles jeunes et anciennes. Le MWTD possède non seulement des étoiles plus pauvres en fer, mais ces étoiles sont également plus riches en éléments du groupe magnésium et titane (éléments alpha) qui suggèrent une formation antérieure au TD.

Ces différences importantes entre le TD et le MWTD, à savoir la cinématique et la chimie de leurs étoiles, suggèrent que les deux disques avaient une origine différente au cours du processus de formation de la Voie Lactée.

Mais comment s'est formé le disque TD de la Voie Lactée ? Les hypothèses sont multiples : le MWTD pourrait être plus ancien que le TD et ses étoiles auraient pu être dynamisées par la fusion d'une galaxie satellite naine avec la Voie Lactée lors de sa phase de formation initiale. Par la suite, la fusion d'une deuxième galaxie satellite aurait donné naissance au TD.

Une autre possibilité est que les étoiles composant le MWTD se sont initialement formées dans une zone plus proche du centre de la Galaxie primordiale et ont ensuite été transportées sur de plus grandes distances, plus près de l'endroit où se trouve aujourd'hui le Soleil, par des phénomènes internes tels que les instabilités de la barre centrale ou de la formation des bras en spirale de la Voie Lactée. Ou encore, une ancienne galaxie satellite de masse similaire au Petit Nuage de Magellan a fusionné avec la Galaxie primordiale et ses étoiles ont commencé à tourner autour du centre galactique en raison de l'interaction gravitationnelle mutuelle.

Toutes ces hypothèses devront être testées à travers des modèles théoriques et des simulations de formation de galaxies semblables à la Voie Lactée.

Flambée de formation stellaire dans le disque il y a 2 ou 3 milliards d'années

Les modèles cosmologiques prédisent que la Voie Lactée aurait grandi et serait devenue plus massive en raison de sa fusion avec d'autres galaxies, un fait qui a été validé par plusieurs études exploitant les données de Gaia (voir plus bas). L'une de ces fusions pourrait être à l'origine de la flambée de formation stellaire qui laissa son empreinte dans les données de Gaia.

Distribution des 3 millions d'étoiles utilisées par l'équipe de J.R.Mor pour détecter la flambée de formation stellaire il y a 2 ou 3 milliards d'années superposée à une illustration de la Voie Lactée.

Grâces aux données de la 2e distribution de Gaia (DR2), l'équipe de Juan R. Mor de l'Université de Barcelone annonça dans un article publié dans la revue "Astronomy and Astrophysics" en 2019 que la moitié des étoiles du disque mince galactique se sont formées il y a 2 ou 3 milliards d'années au cours d'un seul évènement, une flambée de formation stellaire qui résulte probablement de la collision et la fusion avec une galaxie naine satellite. Les chercheurs ont également obtenu un taux de formation stellaire actuel de ~1 M/an, conforme aux observations précédentes.

Ces résultats sont cohérents avec l'extinction cosmologique indiquant que la formation stellaire s'éteint aux décalages Doppler z < 1.8 soit il y a moins de 10 milliards d'années. Cette tendance décroissante fut suivie par une augmentation du taux de formation stellaire qui commença voici ~5 milliards d'années et qui se prolongea jusqu'il y a ~1 milliard d'années.

Selon Francesca Figuerars, coautrice de cet article, "en réalité, contrairement à ce que nous avions prédit avant d'avoir des données de Gaia, le pic de formation d'étoiles est si clair que nous avons jugé nécessaire de traiter son interprétation avec des experts en évolution cosmologique des galaxies externes."

Selon l'expert des simulations des galaxies similaires à la Voie Lactée, Santi Roca-Fàbrega de l'Université Complutense de Madrid et coauteur de cet article, "les résultats obtenus correspondent aux prévisions des modèles cosmologiques actuels, et en plus notre Galaxie vue des yeux de Gaia est un excellent laboratoire cosmologique où nous pouvons tester et confronter des modèles à une plus grande échelle dans l'univers."

Pour obtenir ces résulats, les chercheurs ont utilisé les données de magnitudes, couleurs et de parallaxes de 3 millions d'étoiles proches du Soleil dont une cartographie est présentée à droite, complétées par la relation IMF (la fonction de masse initiale qui décrit la distribution des masses des étoiles pour une population stellaire nouvellement formée) et un modèle SFH (Star Formation History) de l'histoire de la formation stellaire non paramétrique (non basée sur des statistiques) pour le disque galactique. Cette analyse a été réalisée en combinant les simulations du Modèle galactique de Besançon (BGM FASt) et un algorithme de calcul probabiliste (bayésien) approximatif. De plus, la modélisation dans le Modèle de Besançon combinée aux données de parallaxes extraites de Gaia a permis aux chercheurs de mieux contraindre les modèles SFH et la relation IMF.

A voir : Fusion de galaxies spirales, UCSC/NASA

À partir de leur meilleur modèle, les chercheurs estiment qu'environ 50% de la masse utilisée pour générer des étoiles tout au long de la vie du disque mince galactique fut dépensée au cours de ces quatre milliards d'années. L'échelle de temps et la quantité de masse stellaire générée au cours de cette période qui représente des dizaines de milliards de masses solaires, suggère que son origine n'est pas intrinsèque au disque. En fait, une perturbation externe est nécessaire pour expliquer cette flambée d'activité stellaire.

La fusion avec une galaxie riche en gaz satellite de la Voie Lactée aurait pu apporter cette matière première et réactiver le processus de formation stellaire, comme de l'oxygène réactive un feu. Ce mécanisme expliquerait la répartition des distances, des âges et des masses estimés à partir des données extraites de Gaia.

Des galaxies naines dérobées au Grand Nuage de Magellan

Autour de la Voie Lactée gravitent au moins 50 galaxies naines (cf. le Groupe Local dans l'article sur les amas de galaxies) dont le Grand Nuage de Magellan (LMC). Dans une étude publiée dans les "MNRAS" en 2019, le postdoctorant Ethan D. Jahn et ses collègues de l’Université de Californie à Riverside (UCR) ont découvert que plusieurs de ces galaxies naines avaient probablement été dérobées au LMC, y compris plusieurs naines de faibles masses mais relativement brillantes dont les galaxies Carina Dwarf et Fornax Dwarf.

Les chercheurs ont fait cette découverte en utilisant les données de Gaia sur les mouvements de plusieurs galaxies proches et en les comparant aux dernières simulations hydrodynamiques tenant compte de la matière sombre. Ils ont constaté qu'au moins quatre naines ultra-légères et deux naines classiques (Carina et Fornax) étaient auparavant des satellites du LMC. Cependant, dans le cadre du processus de fusion en cours, la Voie Lactée étant plus massive, son puissant champ gravitationnel a "déchiré" le LMC et attira ces satellites.

Pour obtenir ce résultat, les chercheurs ont utilisé des simulations informatiques du projet FIRE précité pour montrer que le LMC et les galaxies similaires hébergent de nombreuses petites galaxies naines dont beaucoup ne contiennent aucune étoile mais uniquement de la matière sombre. En effet, selon les chercheurs, le nombre élevé de minuscules galaxies naines semble indiquer que le contenu en matière sombre du LMC est assez important, ce qui signifie que la Voie Lactée connaît actuellement la fusion la plus massive de son histoire.

A gauche, Ethan Jahn et Laura Sales à l'Université de Princeton en 2019 discutant de la simulation décrite dans leur article sur le LMC. A droite, extrait d'une simulation utilisée dans cette étude. En haut à gauche, la matière sombre est représentée en blanc. En bas à droite, une galaxie simulant le Grand Nuage de Magellan contenant des étoiles et du gaz, ainsi que plusieurs galaxies naines satellites.

Selon Jahn, le LMC apporta jusqu'à un tiers de la masse du halo de matière sombre de la Voie Lactée et il est tout à fait possible que le LMC contienne encore de nombreuses galaxies naines de matière sombre. Mais vu leur nature, elles sont très difficiles à détecter (rappelons que le LMC hébergea au moins sept galaxies satellites, dont le Petit Nuage de Magellan (SMC), avant d'être capturé par la Voie Lactée).

Selon Laura Sales, autrice principale de cet article, "ces résultats sont une confirmation importante de nos modèles cosmologiques qui prédisent que les petites galaxies naines devraient également être entourées d'une population de plus petits compagnons constitués de galaxies plus pâles. C’est la première fois que nous sommes en mesure de cartographier la hiérarchie de la structure de naines aussi pâles."

Ces résultats ont également des implications importantes pour déterminer la masse totale du LMC et pour préciser la formation de la Voie Lactée. En effet, si autant de galaxies naines du LMC furent récemment attirées par la Voie Lactée, cela signifie que les propriétés des galaxies satellites de la Galaxie étaient radicalement différentes il y a à peine un milliard d'années, ce qui a une incidence sur notre compréhension de la formation et de l'évolution des galaxies les plus pâles.

Le prochain objectif des chercheurs est d'étudier comment les satellites des galaxies de la taille du LMC forment leurs étoiles et de quelle manière ce processus est lié à la matière sombre qu'elles abritent. Il sera notamment intéressant de savoir si en présence de matière sombre ces galaxies se forment de la même manière et ressemblent ou non à la Voie Lactée.

Sursaut de formation stellaire dans le LMC

Nous avons expliqué que le Grand Nuage de Magellan (LMC) contient plus de 900 objets astronomiques parmi lesquels des centaines de nébuleuses brillantes, des étoiles variables, le résidu d'une supernova (Sanduleak) et même un pulsar qui viennent s'ajouter aux 20 milliards d'étoiles en majorité des géantes chaudes (classes O et B).

Taux de formation stellaire de la Voie Lactée et du LMC basé sur les données de Gaia et du sondage SDSS. Ces données ne tiennent pas compte de l'effet du passage de la galaxie naine SagDEG sur le sursaut de production stellaire de la Voie Lactée il y a ~5 milliards d'années. Document D.Nidever et al. (2019).

Si le LMC paraît assez calme de nos jours, grâce aux données de Gaia et du sondage SDSS, les astronomes ont découvert que cela n'a pas toujours été le cas.

Pour estimer le taux de formation stellaire des deux Nuages de Magellan, les chercheurs ont réalisé des spectres de 3200 géantes rouges identifiées dans ces deux galaxie naines. En mesurant la composition chimique de ces étoiles, les astronomes ont pu déduire leur histoire stellaire et déterminer approximativement l'époque à laquelle elles se sont formées. Ensuite, à partir de ces données ils ont pu estimer le taux de production stellaire au cours du temps.

La reconstruction a été possible en raison de la différence de durée de vie des étoiles de chaque classe spectrale et du rôle que jouent les étoiles plus massives quand elles explosent en supernovae dans l'enrichissement des galaxies en éléments lourds. Les nouvelles générations d'étoiles se forment à partir du gaz enrichi et héritent de cette composition chimique. Le processus se répète au rythme des générations stellaires. Les étoiles de faible masse ont pu survivre plus longtemps et préserver dans leur composition l'histoire de l'enrichissement de leur galaxie. En cartographiant les abondances de ces étoiles (notamment H et Fe), les astronomes sont parvenus à lire les archives des formations stellaires des Nuages du Magellan.

Les résultats de cette étude publiée en 2019 par David L. Nidever de la NOAO et ses collègues montrent que l'histoire de la formation stellaire des deux Nuages de Magellan est très différente de celle de la Voie Lactée. Comme on le voit dans le graphique présenté à gauche, dans la Voie Lactée le taux de formation d'étoiles débuta de manière explosive et déclina progressivement, à l'exception du moment où elle subit le crash de SagDEG décrit précédemment.

. En revanche, dans les Nuages de Magellan, au début les étoiles se sont formées extrêmement lentement, à un taux de seulement 1/50e de celui de la Voie Lactée, puis ce taux est monté en flèche au cours des 2 derniers milliards d'années et est encore de nos jours supérieur à celui de la Voie Lactée qui produit l'équivalent d'environ 3 M par an (cf. les découvertes récentes en astrophysique).

Selon Nidever, le sursaut spectaculaire du taux de formation stellaire est dû aux interactions gravitationnelles entre les Nuages de Magellan et la Voie Lactée : "les Nuages de Magellan ont commencé leur vie dans une partie relativement isolée de l'univers, où il n'y avait aucune raison de former des étoiles. Mais au cours des derniers milliards d'années, les interactions étroites entre les deux Nuages et avec la Voie Lactée ont provoqué la transformation du gaz en étoiles."

Comme nous le verrons à propos des interactions entre galaxies, au cours des prochains milliards d'années, les Nuages de Magellan fusionneront avec la Voie Lactée. À mesure que la fusion progressera, le taux de formation stellaire dans les Nuages de Magellan devrait atteindre un niveau uniforme. Ensuite, dans environ 2.5 milliards d'années, le Grand Nuage de Magellan sera entièrement absorbé par la Voie Lactée, processus qui sera marqué par une explosion de formation d'étoiles. Si nos voisins les plus proches ont peut-être démarré lentement, des temps passionnants les attendent !

Enfin, grâce à Gaia, en 2018 les astronomes ont découvert trois nouveaux amas ouverts dans la Voie Lactée. On y reviendra.

Image synthétique de la Voie Lactée

L'image panoramique ci-dessous de la Voie Lactée fut publiée dans le cadre de la 2e distribution des données de Gaia (DR2) le 25 avril 2018 par l'ESA. Cette image est une carte virtuelle construite numériquement et non pas une véritable photo de la Voie Lactée. Cette image est basée sur les mesures de position et de couleur de près de 1.7 milliard d'étoiles et affichée selon une projection équirectangulaire (une projection de la sphère céleste sur un rectangle qui convient aux projections sur une surface sphérique).

Cette carte indique la couleur (teinte, pureté et luminance) des étoiles observées par le satellite Gaia dans les deux hémisphères célestes entre juillet 2014 et mai 2016. Les régions plus claires indiquent des concentrations plus denses d'étoiles particulièrement brillantes, tandis que les régions plus sombres correspondent à des zones du ciel contenant moins d'étoiles brillantes. La représentation des couleurs fut obtenue en combinant des images optiques (lumière blanche) avec des images prises sous filtre bleu et rouge.

A voir : Vue interactive à 360° de la Voie Lactée, ESA

Image synthétique de la Voie Lactée obtenue à partir des données de Gaia DR2 entre 2014-2016. Document ESA.

On reconnaît facilement la structure horizontale brillante du plan galactique, c'est-à-dire le disque aplati (composé du disque mince et du disque épais) qui héberge la plupart des étoiles de notre Galaxie. Au centre de l'image se trouve le bulbe galactique qui concentre le plus d'étoiles et abrite notamment le fameux trou noir supermassif Sgr A*.

Les régions plus sombres qui apparaissent comme des filaments devant le plan galactique correspondent à des nuages interstellaires composés de gaz et de poussière qui absorbent la lumière des étoiles situées à l'arrière-plan. La plupart de ces nuages cachent des pépinières d'étoiles où se forment les nouvelles générations d'étoiles.

De nombreux amas ouverts et globulaires sont identifiables sur l'image en haute résolution (46 mégapixels), ainsi que plusieurs galaxies dont les Nuages de Magellan, M31 et M33.

Gaia n'a pas fini de nous surprendre.

Pour plus d'informations

Gaia, ESA

Gaia - Image of the week, ESA

La Voie Lactée (sur ce site).

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